LE MAGAZINE DES SCIENCES DE L’UNIVERS EN AFRIQUE
Le bassin de l’Anambé en Casamance – Une structure d’impact météoritique ?

Le bassin de l’Anambé en Casamance – Une structure d’impact météoritique ?

La formation de cratère d’impact lors de la chute d’astéroïdes ou de comète à la surface de la Terre est maintenant reconnue comme un processus géologique majeure qui a contribué à l’évolution de notre planète depuis sa formation. Ces dernières décennies ont été marquées par la découverte de nouvelles structures d’impact qui viennent compléter notre connaissance de l’histoire des collisions entre notre planète et les autres corps du Système Solaire. Cependant, ces découvertes concernent essentiellement les continents américain et européen, tandis que le continent africain reste sous-exploré. Certaines structures sont d’ores et déjà identifiées comme structures d’impact potentielles, mais attendent des campagnes d’exploration géologique et géophysique pour apporter les preuves nécessaires de leur origine extraterrestre.

 

Fig. 1 – Vue 3D de la dépression circulaire de Vélingara, Casamance, Sénégal. © Yoann Quesnel

 

Parmi ces structures potentiellement d’origine extraterrestre, la dépression circulaire de Vélingara, appelée également bassin de l’Anambé, dans l’est de la Casamance, est un objet géologiquement majeur avec un diamètre d’environ 35 km de diamètre. Il est occupé au centre par un projet d’aménagement agricole pour la riziculture, mené par la SODAGRI. 5000 ha sont déjà irrigués, et ce site produit l’un des meilleurs rendements du Sénégal (6t de riz / hectare) permettant de nourrir environ 100 000 personnes. En considérant la forme de ce bassin, identifiée sur l’imagerie satellite, deux chercheurs, Souleye Wade et Sharad Master, respectivement de l’Université Cheikh Anta Diop et de l’Université de Witswatersrand, ont proposé il y a plus de 20 ans qu’un impact météoritique était à l’origine de cette dépression.  La structure a été probablement formée dans des sédiments marins de l’Eocène moyen (49 – 37 Ma) du bassin côtier du Sénégal et a été enterrée jusqu’à 90 m de sédiments continentaux post-Eocène. Des relevés de forages hydrauliques et une étude de résistivité suggèrent que le socle Néoprotérozoïque ou Paléozoïque de la ceinture mauritanienne est sub-affleurant dans les parties centrales. Ceci a été considéré comme une indication d’un soulèvement du socle dans la partie centrale de la structure – selon l’hypothèse de structure d’impact météoritique il s’agirait donc d’un pic ou anneau central. Il s’agirait donc de la 13ème structure d’impact terrestre par sa taille. Sur les cent derniers millions d’années, il s’agirait de la troisième plus grosse structure après Chixculub (150 km, 66 millions d’années) et Popigai (100 km, 35.7 millions d’années). Il s’agirait donc d’un évènement géologique majeur à l’échelle régionale (Afrique de l’Ouest), voire mondiale, même si cela reste spéculatif, tant que l’origine, l’âge, et la taille de cette structure ne sont pas correctement élucidés.

Fig. 2 – Mesures magnétiques au centre de la dépression à l’aide d’une pirogue avec Y. Quesnel (CEREGE) © David Baratoux

La quasi absence d’affleurement, et la couverture latéritique sont l’obstacle principal, qui explique l’absence de preuve, mais aussi un manque de connaissance de la structure en elle-même, étant donné que son expression en surface est limitée à un faible relief, sans que l’on puisse cartographier les lithologies associées aux faibles expressions topographiques. Pour essayer de déchiffrer la structure cachée sur les sédiments, il existe deux méthodes : le forage, et la géophysique. Le forage permet une observation ponctuelle de la nature des roches en profondeur, tandis que la géophysique renseigne sur les propriétés (densité, magnétisme) des roches enfouies sous les sédiments. Les deux approches sont complémentaires, et surtout, la méthode géophysique précède normalement le forage, qui peut être très coûteux, d’afin de déterminer le ou les lieux où les forages devront être réalisés.

Fin Mars 2022 une équipe de six géophysiciens et géologues des universités de Dakar, Abidjan et Aix-Marseille, ainsi que de l’Institut de Recherche pour le Développement (IRD), a recueilli pendant huit jours des données géophysiques à même de révéler la densité et les propriétés magnétiques du sol, et de mieux comprendre la structure du sous-sol actuellement recouvert par des sédiments et sols récents. Ils ont pu également réaliser de nouvelles observations, à partir des rares fragments de roche présents en surface, ou des puits réalisés récemment dans les villages du bassin de l’Anambé. Des mesures magnétiques ont pu être réalisées jusqu’au centre de la structure, actuellement occupée par un lac d’environ 3 km de diamètre, à l’aide d’une pirogue.

 

Fig. 3 – Champ irrigué du bassin de l’Anambé (SODAGRI) dans la zone centrale de la dépression © David Baratoux

L’interprétation préliminaire des résultats montre des anomalies, en particulier gravimétriques, centrées sur la dépression et typiques d’un cratère érodé issu de la chute d’un astéroïde d’un diamètre de l’ordre du kilomètre. Les autres processus géologiques pouvant engendrer des structures circulaires sont connues : magmatisme, volcanisme, activité tectonique, diapirisme…mais il semble actuellement difficile, voire impossible d’expliquer ces anomalies par l’un de ces processus. Les données géophysiques seules ne pouvant apporter la preuve définitive de l’origine extraterrestre de la structure, les recherches se focaliseront donc également sur les quelques échantillons de surfaces qui ont pu être trouvés lors de cette mission. Pour trancher définitivement, il est probable qu’il faudra attendre la réalisation, que l’on espère prochaine, de forages carottés. Ces forages, s’ils confirment l’origine extraterrestre de la dépression, seront par ailleurs utiles pour contraindre le diamètre initial de la structure, au moment de sa formation, son niveau d’érosion actuellement, et son âge. Au vu de la morphologie actuelle, l’âge du cratère est a priori très ancien, plusieurs dizaines de millions d’années au minimum, mais une datation à l’aide d’un chronomètre isotopique, remis à zéro lors de l’impact (par la chaleur apportée par l’impact et/ou la fusion des roches impactées) est nécessaire pour fournir une estimation précise de l’âge de la structure, et compléter ainsi notre connaissance de l’histoire des collisions entre la Terre et des Astéroïdes.

Si l’origine extra-terrestre est confirmée, les ressources agricoles et halieutiques de bassin de l’Anambé auraient donc une origine extra-terrestre. Cette situation viendrait compléter la longue liste des structures d’impact qui sont associées à des ressources économiques : hydrocarbures, gisement de métaux, diamants, ou ressources en eaux. Ce lien avéré entre structures d’impact et géoressources représente également l’une des motivations de l’exploration future des potentielles structures d’impact sur le continent africain.

Fig. 4 – Equipe Scientifique lors de la campagne de mesures géophysiques. © David Baratoux

Cette étude effectuée en collaboration entre le CEREGE, l’Université Cheikh Anta Diop et le laboratoire Géosciences Environnement Toulouse est soutenue financièrement par le CNRS (projet AWA Astrophysics and Planetary Science in Africa, dispositif de soutien du CNRS aux collaborations avec l’Afrique Sub-Saharienne) et l’IRD, dans le cadre de l’Initiative Africaine pour les Sciences des Planètes et de l’Espace (http://africapss.org). Le projet AWA vise plus particulièrement à développer dans les pays africains l’étude de cratères d’impact dont on sait que de nombreux cratères restent à découvrir dans ce continent, particulièrement hors du Sahara et de l’Afrique australe : seulement deux cratères y sont connus, au Ghana et au Congo, alors que la surface considérée devrait en héberger quelques dizaines. Outre l’aspect recherche fondamentale à forte résonance médiatique, les compétences développées, en particulier la géophysique et la télédétection, sont directement transférables à des domaines d’intérêt économique et sociétal (ressources minérales et hydrocarbures, ressources en eau, agriculture, etc.).

David Baratoux – IRD/GET

 

Contacts :

Université Cheikh Anta Diop : Cheikh Ahmadou Bamba NIANG, cabniangeos@gmail.com

CEREGE : Yoann Quesnel, quesnel@cerege.fr

IRD/GET : David Baratoux, david.baratoux@ird.fr

 

 

 

 

 

L’Observatoire de radioastronomie du Ghana (GRAO)

L’Observatoire de radioastronomie du Ghana (GRAO)

La conversion de l’antenne de télécommunication ghanéenne de 32 m en un radiotélescope capable d’interférométrie à très grande base (VLBI) a commencé lorsque l’Afrique a reçu sa part dans l’appel d’offres du projet Square Kilometre Array (SKA) pour accueillir le plus grand radiotélescope du monde. Il était donc nécessaire de faciliter les activités dans le domaine de la science et de la technologie de la radioastronomie dans les pays partenaires du SKA. La reconnaissance a indiqué que le Ghana, parmi d’autres pays, possède une antenne de télécommunication qui pourrait être réaffectée à la radioastronomie à un coût relativement faible. Le ministère sud-africain de la Science et de la Technologie, par l’intermédiaire du ministère ghanéen de l’Environnement, de la Science, de la Technologie et de l’Innovation (MESTI), a entamé des discussions avec Vodafone Ghana Limited en vue d’acquérir et de réutiliser sa grande antenne de station terrestre de Kuntunse, au Ghana, pour la radioastronomie compatible avec le VLBI.

Le radiotélescope GRAO (Ghana Radio Astronomy Observatory)

 

Le projet de conversion est devenu une possibilité lorsque Vodafone-Ghana a transféré l’antenne au MESTI par le biais d’un protocole d’accord signé entre les deux parties en mai 2012. Par la suite, le Ghana Space Science and Technology Institute (GSSTI) a été autorisé par le MESTI à collaborer avec SKA SA, une unité commerciale de la National Research Foundation d’Afrique du Sud. Une inspection détaillée de l’ensemble de la structure a révélé que l’antenne et la structure associée étaient en bon état malgré le fait qu’elles aient été redondantes pendant près de dix  ans. Les travaux ont donc été axés sur la sécurité d’abord, puis sur les performances et la fiabilité. Le télescope a été officiellement lancé en 2017 et devrait être intégré au réseau VLBI africain (AVN) en préparation de la deuxième phase de construction du SKA à travers le continent africain.
Dans le cadre du développement des capacités humaines en vue de la conversion, une équipe de sept scientifiques et techniciens a été envoyée en Afrique du Sud pour être formée au transfert de compétences en science, technologie et ingénierie de la science et de l’instrumentation de la radioastronomie, dans le but de devenir compétent dans l’exploitation, la maintenance et le maintien de la station VLBI de Kuntunse. En outre, des bourses ont été offertes à des scientifiques ghanéens pour étudier l’astronomie, l’ingénierie mécanique et les cours liés à l’astronomie au Royaume-Uni et en Afrique du Sud par le biais de la Royal Society, de Development in Africa for Radio Astronomy (DARA) au Royaume-Uni et du projet de bourses SKA. Depuis 2014, GRAO (Ghana Radio Astronomy Observatory) a été désigné comme un centre de formation pour préparer les étudiants à des carrières en radioastronomie par la Royal Society, DARA et SKA, et a successivement formé plus de 71 étudiants.

Joyce Koranteng-Acquah du Centre de radioastronomie et d’astrophysique du GSSTI.
https://gssti.org ou https://gssti.gaecgh.org

 

Les galaxies naines proches de la Voie lactée sont-elles plus récentes qu’on le pensait ?

Les galaxies naines proches de la Voie lactée sont-elles plus récentes qu’on le pensait ?

Depuis cinquante ans, on pensait que les galaxies naines situées au voisinage de la Voie lactée avaient été satellisées il y a plusieurs milliards d’années. Cette idée a été remise en question grâce aux nouvelles données astrométriques du satellite Gaia, publiées dans le catalogue EDR3 (Gaia Early Data Release 3, Fig. 1) mis à la disposition de la communauté scientifique, et à ce jour les plus précises au monde.

 

Fig 1. Le ciel de Gaia EDR3 avec les mouvements propres de 2 000 étoiles en 800 000 ans. Les traits sont d’autant plus longs que les mouvements des étoiles sont plus grands. (Esa/Gaia/DPAC, CC BY-SA 3.0 IGO)

La première partie du troisième catalogue Gaia (voir le dernier article sur Gaia dans le numéro 144 de l’Astronomie) a été publiée le 3 décembre 2020. La seconde partie sera publiée en 2022. Ce catalogue, qui contient environ 1,8 milliard de sources, constitue une avancée majeure par rapport au deuxième catalogue quant à la précision, l’exactitude et l’homogénéité des données astrométriques et photométriques. Il donne pour plusieurs millions de sources les mouvements propres sur la sphère céleste et les vitesses radiales mesurées par effet Doppler. On peut en déduire les mouvements propres des sources (traits blancs sur la Figure 1).

La Voie lactée est entourée d’un halo contenant de nombreux objets, tels que des étoiles géantes ou des amas d’étoiles appelés « amas globulaires », et dans le cas qui nous occupe ici, des galaxies naines. Le catalogue EDR3 qui vient d’être publié a permis ainsi d’obtenir les paramètres orbitaux (apocentres et péricentres, excentricités, formes de l’orbite) de 46 galaxies naines du halo de la Voie lactée, avec une précision 2,5 fois supérieure à celle du précédent catalogue. L’incertitude principale sur ces paramètres provient en fait de notre méconnaissance de la masse exacte de la Voie lactée, qui joue naturellement un rôle important pour déduire les paramètres orbitaux en fonction des vitesses mesurées. Une telle incertitude empêche de déterminer la nature et l’origine de ces galaxies. Sont-elles de vieilles galaxies satellites liées depuis longtemps à la Voie lactée, ou au contraire de jeunes galaxies satellites effectuant leur premier passage au voisinage de la Voie lactée, comme c’est le cas des Nuages de Magellan ?

On a pensé pendant longtemps que l’observation d’une formation ancienne d’étoiles dans certaines de ces galaxies naines prouvait une arrivée datant de plusieurs milliards d’années, lorsqu’elles commencèrent à tomber dans le halo, comme le réclame la cosmologie standard « LambdaCDM ». Incidemment, on a découvert un grave problème résidant dans le nombre bien trop petit de galaxies satellites par rapport aux prévisions du modèle standard ; c’est ce que l’on a nommé « le problème des galaxies naines satellites », qui n’est toujours pas résolu. En fait, la formation stellaire dans ces galaxies naines ne prouve rien, car on y trouve aussi bien de vieilles étoiles que des étoiles récentes datant de deux milliards d’années. Et on ignore si elles contiennent des étoiles encore plus jeunes, en particulier parce que les étoiles géantes rouges ayant quitté la séquence principale ne sont pas détectées facilement et ne peuvent donc être utilisées pour déterminer un âge.

Fig 2. Une image de la Galaxie avec les principales galaxies naines qui l’entourent. Les lignes jaunes représentent la limite de la grande structure où se trouve la majeure partie des naines, la ligne violette est la limite d’un des relevés profonds pour trouver ces objets. (H. Jerjen (galaxies naines) & Eso (image de la Voie lactée))

 

Il faut donc se résoudre à contraindre l’histoire passée de ces galaxies naines par l’étude de leurs coordonnées dans l’espace à six dimensions issues des mesures de Gaia, celle des positions et des vitesses, d’où sont déduits leurs moments angulaires [1]. C’est ce qui vient d’être tenté dans un article publié par une équipe internationale dirigée par un astronome de l’Observatoire de Paris–PSL [2].

Les auteurs se sont d’abord rendu compte que les vitesses et les moments angulaires sont beaucoup plus grands que ceux des autres objets du halo. Or, il est admis que tous les objets gravitant autour de la Voie lactée ont des énergies et des moments angulaires décroissant avec le temps, à cause des effets de marée [3] et des rencontres avec d’autres objets. Plus longtemps ils sont en orbite, plus leurs énergies et leurs moments angulaires diminuent.

Puis les auteurs ont reconstitué les mouvements orbitaux en comparant les positions des galaxies naines avec celles des amas globulaires et de la population de vieilles étoiles du halo. La plupart des étoiles géantes entourant la Voie lactée sont nées d’une ancienne collision qui l’a formée il y a huit à dix milliards d’années. D’autres font partie d’un courant stellaire lié à la chute et à la destruction de la galaxie naine du Sagittaire dans la Voie lactée, il y a 4 à 5 milliards d’années. Or, les galaxies naines ont des énergies et des moments angulaires plus grands que tous ces objets, ce qui permet de conclure qu’elles ont rejoint la Voie lactée plus récemment, il y a seulement 1 ou 2 milliards d’années. Dans ces conditions, elles ont à peine eu le temps de parcourir une seule orbite.

Les auteurs en déduisent que ces galaxies naines ont dû arriver au voisinage de la Voie lactée à peu près en même temps que les Nuages de Magellan. Cela implique surtout que notre Galaxie a très peu de vrais satellites, ce qui pose un problème encore plus aigu concernant le modèle standard de la cosmologie. Une seconde conséquence est que ces galaxies ne contiennent peut-être pas de matière noire. En effet, on supposait qu’elles en contenaient beaucoup, ce qui leur permettait de résister pendant des milliards d’années aux forces de marée de la Voie lactée. C’est donc tout le scénario de la matière noire qui serait remis en cause. Cette solution était déjà proposée dans un article précédent des mêmes auteurs [4], mais elle n’était pas étayée par les mêmes données concernant les galaxies naines. C’est l’avenir qui dira si cette hypothèse radicale est juste ou non.

 

Par Suzy Collin-Zahn Observatoire de Paris-PSL

 

  1. Le moment angulaire est le produit de la vitesse tangentielle de la galaxie naine (la composante de la vitesse qui est projetée sur le ciel) par sa distance au centre de la Voie lactée.
  2. François Hammer et al., « Gaia EDR3 proper motions of Milky Way dwarfs. II: velocities, total energy and angular momentum », à paraître dans Astrophysical Journal.
  3. Effet d’étirement dû à la gravité d’un objet massif. C’est le même processus qui crée les marées terrestres sous l’effet de la gravité du Soleil et de la Lune.
  4. Hammer et al., « On the absence of dark matter in dwarf galaxies surrounding the Milky Way », The Astrophysical Journal, 883, 171, 2019.

 

Les sursauts radio rapides, histoire d’une théorie sur un phénomène astronomique

Les sursauts radio rapides, histoire d’une théorie sur un phénomène astronomique

Les sursauts radio rapides ont été découverts au début des années 2010. Ils ont des propriétés auxquelles personne ne s’attendait. Très vite, des explications ont été proposées. Fabrice Mottez est l’auteur de l’une de ces explications et nous raconte dans cet article l’origine de cette proposition.

Il y a quelques années, un train dans lequel je voyageais s’arrêta sur la voie. À l’époque, la SNCF n’informait pas ses voyageurs de la nature des incidents concernant leur voyage. Dans les haut-parleurs de la voiture, une voix nous demanda simplement de ne pas descendre sur les voies. Alors, tranquillement, des voyageurs firent part de leur interprétation du phénomène. Dehors, rien ne paraissait anormal ; nous n’avions aucune information et toutes les explications données étaient plausibles compte tenu du peu d’informations dont nous disposions. Avez-vous constaté ce phénomène : moins les gens en savent, plus ils ont d’explications à proposer ? Voici le récit d’une recherche de nature théorique, commencée vers 2012, à propos d’un phénomène observé pour la première fois en 2006 et qu’on appellerait bientôt « sursaut radio rapide » (FRB pour fast radio burst en anglais).

 

Fig 1. Spectre du FRB011025 (obtenu le 25 octobre 2010) avec le radiotélescope de Parkes, en Australie. L’axe horizontal représente le temps exprimé en millisecondes. L’axe vertical représente les fréquences exprimées en mégahertz. Le signal apparaît en noir, il se détache clairement du bruit de fond. Le fait que le signal aux basses fréquences arrive en retard par rapport aux hautes fréquences est un effet de propagation lié aux électrons rencontrés par l’onde entre la source et les observateurs. La durée du signal à une fréquence donnée est de l’ordre de 1 à 10 millisecondes. (Sarah Burke-Spolaor & Keith Bannister, The Astrophysical Journal 792 :19, 2014)

 

Les FRB sont des signaux radio qui durent quelques millisecondes seulement (leur brièveté explique leur découverte tardive), mais les études statistiques montrent qu’il y aurait plusieurs milliers d’événements de ce type chaque jour dans notre ciel. Le fait étonnant, qui a intéressé les théoriciens comme moi, est l’éloignement de ces émetteurs radio, à des milliards d’années-lumière de nous. De plus, pour expliquer la brièveté du phénomène, il faut que sa source soit petite, de l’ordre de la centaine de kilomètres, voire moins. Pour qu’on en capte le signal d’aussi loin, il faut a priori un événement extrêmement énergétique. Ces deux observations semblent relier le phénomène aux étoiles à neutrons, qui sont à la fois des astres très petits, très énergétiques et capables d’émettre des ondes radio, bien que l’intensité généralement observée de ces dernières soit plus faible de plusieurs ordres de grandeur que celle des FRB.

En 2012, une dizaine d’événements avaient été observés. À cette époque, les théoriciens dont j’étais disposaient d’assez peu d’informations. Cela nous permettait d’avancer une grande quantité d’explications possibles : une explosion d’étoile à neutrons, ou sa transformation en trou noir sous l’effet d’une étoile voisine lui fournissant un flux continu de matière, ou bien la fusion de deux étoiles à neutrons, ou encore la chute d’une étoile dans un trou noir ou autre chose de ce genre. Ces événements très violents émettent en principe beaucoup de rayons X et gamma, que nous aurions dû capter. Or, on ne capte ni de rayons X ni de gamma lors des FRB. En outre, on ne s’attend pas à ce que des événements par nature uniques dans l’existence d’une étoile soient fréquents au point d’être observables des milliers de fois par jour. Le phénomène sur lequel nous nous penchions était qualifié de mystérieux et personne ne l’avait envisagé. Pourtant, une fois observé, il y eut plus de théories proposées que d’événements répertoriés ! Ainsi, dire qu’un phénomène est mystérieux ne signifie pas forcément que l’on n’a pas d’explication à avancer.

Avec deux collègues émérites (c’est-à-dire à la retraite mais continuant à faire de la recherche), Jean Heyvaerts et Silvano Bonazzola, nous étudions dans les années 2010 un sujet totalement « hors mode », a priori sans lien avec les FRB : des astéroïdes autour d’une étoile à neutrons. Personne en dehors de nous ne s’intéressait à ce phénomène, car personne ne pensait qu’il serait observable.

Le contexte général de nos recherches était l’environnement des étoiles à neutrons. C’est seulement en 1968 que fut confirmée l’existence des étoiles à neutrons grâce aux observations des radioastronomes, bien que trois physiciens géniaux aient décrit leur structure dès 1939. De nos jours, nous n’avons plus aucun doute sur le fait que les étoiles à neutrons existent. Nous en observons environ deux mille, généralement sous la forme d’émissions radio ou de hautes énergies pulsées à la fréquence de rotation de l’étoile sur elle-même. Nous appelons ces phénomènes répétitifs des pulsars. Les pulsars sont donc les catégories d’étoiles à neutrons les plus faciles à observer, bien que les étoiles à neutrons ne soient pas toutes associées à un pulsar.

Une étoile à neutrons est un astre très compact (une boule de 25 km de diamètre), ayant une ou deux fois la masse du Soleil. Cela représente la masse d’un Soleil et demi contenue dans une boule un peu plus petite que l’agglomération parisienne. Les étoiles à neutrons (du moins celles observées en tant que pulsars) tournent très vite sur elles-mêmes (le pulsar le plus rapide a une période de 1,6 milliseconde, les plus lents, un peu plus d’une seconde, contre 27 jours pour le Soleil), avec des champs magnétiques ultra-intenses, de l’ordre de 108 teslas. Et les champs magnétiques sont de très bons « ingrédients » pour fabriquer des ondes radio, lesquelles sont observables depuis la Terre. Et les champs magnétiques sont aussi ma spécialité.

Il doit y avoir environ un milliard d’étoiles à neutrons dans notre Galaxie. Il faut qu’elles soient disposées par rapport à nous selon des angles particuliers pour que nous puissions observer leur rayonnement, c’est-à-dire pour qu’elles apparaissent comme des pulsars ; c’est pour cela que nous n’en voyons que deux mille, tandis que nous estimons leur nombre à un milliard.

Certaines étoiles à neutrons ont un champ magnétique mille fois plus intense que ceux des pulsars et tournent un peu moins vite sur elles-mêmes (une rotation en une à dix secondes). On les appelle des magnétars.

Nous n’avons aucune preuve expérimentale que de telles étoiles puissent être environnées d’astéroïdes. Simplement, un article de radioastronomes publié vers 2008 montrait que des fluctuations de la période avec laquelle nous recevons les signaux d’un pulsar particulier, PSR J1937+21, pourraient être dues à la présence d’astéroïdes. Contrairement aux astéroïdes, nous avions des preuves que des planètes de pulsars existent. Ce furent même les premières exoplanètes découvertes, en 1992 : quatre planètes autour du pulsar PSR B1957+12, bien avant la fameuse planète 51 Peg b orbitant autour d’une étoile de la séquence principale. Une poignée de pulsars sont maintenant connus pour héberger des planètes.

2. Vue d’artiste d’une planète orbitant autour d’un pulsar. (Mark A. Garlick; Dunlap Institute for Astronomy & Astrophysics, University of Toronto)

 

Vers 2009, je faisais des calculs pour interpréter quelque chose qui n’avait rien à voir avec les FRB, dont j’ignorais alors l’existence. Je voulais comprendre le comportement particulier d’un pulsar nommé PSR 1931+24. Celui-ci est parfois actif (en émettant des ondes radio) et parfois inactif (inobservable). Il alternait les phases d’activité et d’inactivité de manière quasi périodique en une trentaine de jours. Cette périodicité et d’autres propriétés suggéraient que les variations d’activité du pulsar pouvaient être causées par son interaction avec une planète.

Les étoiles à neutrons émettent un vent d’électrons et de positrons. Les positrons sont des anti-électrons, des particules prédites en 1931 par le physicien Paul Dirac, puis détectées expérimentalement en 1932 par un autre physicien, Carl David Anderson. Le positron est de même masse que l’électron, mais de charge électrique opposée à celle de l’électron, c’est-à-dire positive. La notion d’antimatière a un je-ne-sais-quoi de fascinant qui a beaucoup inspiré les scientifiques et les auteurs de science-fiction. Certains imaginaient dans les années 1950-1960 des galaxies d’antimatière côtoyant dans l’Univers des galaxies de matière comme la nôtre. Des recherches menées dans les années 1970 ont montré qu’en fait, la matière est relativement rare dans l’Univers (elle ne constitue que 20% de sa masse, ou son équivalent en énergie), mais l’antimatière, elle, est presque complètement inexistante. Cependant, dans un pulsar, il arrive que des photons de très haute énergie constituant des rayons gamma se désintègrent en interagissant avec d’autres photons ou avec un champ magnétique, en produisant un électron et son antiparticule, un positron. Les paires d’électron-positron ainsi créées dans les pulsars sont assez nombreuses et énergétiques pour alimenter un vent se propageant depuis l’étoile vers l’espace. Ce vent est peu dense mais extrêmement rapide : il progresse quasiment à la vitesse de la lumière. Comme la théorie de la relativité d’Einstein s’applique pleinement dans ce cas, on dit que ce vent est ultra-relativiste. (Autrement dit, en faisant des calculs de mécanique classique – donc approchés par rapport à la réalité –, on n’obtiendrait avec le vent d’un pulsar  des résultats complètement faux.)

Fig. 3. Dans la plupart des expériences menées sur notre belle planète dans des accélérateurs de particules, des paires électron-positron peuvent être créées lorsqu’un photon de rayonnement gamma interagit avec le champ électrique d’un atome rencontré sur son passage. C’est ce qui est illustré sur cette figure. Pour transformer un photon en une telle paire de particules, il est nécessaire que l’énergie initiale du photon gamma dépasse l’énergie de masse de l’électron plus celle du positron. C’est pour cela que seuls des photons gamma permettent cette réaction, les autres (X, visible, etc.) n’ont pas assez d’énergie. Dans une magnétosphère de pulsar, il y a peu d’atomes, mais beaucoup de photons dans la gamme des rayons X. Les paires électron-positron sont alors créées par interaction entre un photon gamma et un photon X. (DR)

 

Se trouver face à ce genre de phénomène a quelque chose de déroutant, et l’idée même n’en vient pas spontanément. Pour se faire une place dans ce monde de théories, il n’y a pas de routine possible. Il faut chercher à être à la fois créatifs et rigoureux. L’équilibre n’est pas aisé, et pour distinguer ce qui est possible de ce qui ne l’est pas, on rencontre souvent de sérieuses difficultés de calcul.

En 2012, j’avais calculé que, dans un vent ultra-relativiste, des astéroïdes ou des planètes d’étoiles à neutrons pouvaient émettre des ondes radio dans un faisceau extrêmement fin (bien plus fin que celui d’un laser) et avec une densité d’énergie très élevée. Si la Terre passait dans un tel faisceau, on capterait un signal radio même si la source était à des millions d’années-lumière (on a mieux calculé depuis qu’elle était même à des milliards d’années-lumière), c’est-à-dire dans des galaxies extrêmement éloignées.

Voici comment est élaboré ce modèle : imaginez un gros caillou conducteur d’électricité (les roches le sont toutes un peu), immergé dans ce vent ultra-rapide et accompagné d’un champ magnétique. Il se forme à l’arrière de ce caillou un sillage analogue à celui que laisse derrière lui un bateau, quasi stationnaire dans le référentiel du navire. S’agissant d’un astre dans un vent magnétisé d’électrons et de positrons, les ondes stationnaires sont des ondes de perturbation du champ magnétique, que l’on appelle des ondes d’Alfvén (voir l’éclairage du numéro de janvier 2022), et ces ondes stationnaires attachées à la planète ou à l’astéroïde sont appelées des ailes d’Alfvén.

Les ailes d’Alfvén sont bien expliquées, notamment celles du satellite Io, qui se déplace dans la magnétosphère de Jupiter. Je les avais étudiées avec un collègue radioastronome, Philippe Zarka, et un étudiant que nous encadrions alors, Sébastien Hess. Mais l’environnement de Jupiter n’est pas ultra-relativiste. En 2011, nous avions montré avec Jean Heyvaerts que les ondes d’Alfvén apparaissent dans un vent ultra-relativiste d’électrons et de positrons, dont nous avions calculé les propriétés. Nous avions aussi montré qu’une interaction entre une planète immergée dans le vent émis par le pulsar PSR 1931+24 (donc très proche de l’étoile à neutrons) pouvait expliquer l’intermittence quasi périodique de ce vent.

Le défaut de notre modèle, à ce stade de développement, était de n’indiquer aucune forme de rayonnement que pourraient capter les télescopes ou les radiotélescopes des astronomes. Or, une théorie n’impliquant pas de phénomènes observables n’intéresse en général pas grand monde. De plus, le fait que PSR 1931+24 puisse s’allumer et s’éteindre régulièrement était une preuve insuffisante de la pertinence du modèle développé par Jean Heyvaerts et moi. Jean décéda subitement en 2013. Vers 2014, j’essayais de calculer quel genre d’ondes radio pourrait engendrer un astre orbitant dans le vent ultrarelativiste d’un pulsar.

Mes calculs montrèrent que le faisceau d’ondes radio émis par le vent au moment où il traverse l’aile d’Alfvén de la planète ou du satellite se trouve focalisé vers l’avant (donc dans la direction opposée à l’étoile). Toute l’énergie était concentrée dans un cône dont l’angle au sommet est de l’ordre de 1/10 000 de degré. Ce faisceau, avec une forte densité de rayonnement encore mieux focalisée qu’un faisceau laser, avait donc tout ce qu’il fallait pour être vu de très loin (puisque la densité de rayonnement est forte), mais seulement très brièvement (au moment précis où la ligne de visée de l’observateur croise ce faisceau). J’étais un peu déçu, car je pensais qu’il faudrait une chance incroyable pour observer un tel phénomène. Quant à PSR 1931+24, sa planète n’avait pas la bonne orientation par rapport à nous pour nous permettre d’observer une telle émission.

Je racontai cela à mon ami Philippe, le radioastronome, lors d’un repas à la cantine de l’Observatoire, en 2013. Je lui dis que je croyais ces signaux inobservables. C’est là qu’il me parla des FRB. Ou plutôt du seul FRB observé à l’époque, qu’on appelait le « signal de Lorimer », un signal ultra-énergétique qu’un radioastronome australien appelé Duncan Lorimer avait découvert en 2010 en ré-épluchant les archives d’un radiotélescope australien (il réanalysait le signal brut avec de nouvelles techniques). Ce que je racontais à Philippe correspondait exactement à ce que Lorimer avait observé. C’était en 2013. À cette époque, Lorimer s’était laissé convaincre que son signal n’était pas un artefact, et il embauchait une thésarde nommée Emily Petroff.  Petroff et Lorimer découvrirent et caractérisèrent vers 2012-2013 d’autres signaux de ce genre, puis des signaux analogues furent observés avec d’autres radiotélescopes. C’est à ce moment-là que le terme FRB fut inventé. Philippe et moi nous sommes mis au travail ensemble et, en 2014, nous avons publié un article montrant que des planètes (nous ne pensions pas encore à des astéroïdes) autour d’un pulsar pouvaient expliquer les FRB. On connaissait une dizaine de FRB en 2014, on dépasse le millier actuellement.

Nous présentions le seul modèle prédisant que les FRB pourraient se répéter périodiquement : du fait que les planètes tournent régulièrement, à chaque passage, on a une chance de capter un FRB. Tous les autres modèles de FRB associés à des sources très éloignées prévoyaient des phénomènes catastrophiques extrêmement énergétiques, mais uniques. Dans les mêmes années, des radioastronomes prouvèrent que les FRB se produisent réellement à des milliards d’années-lumière de nous. Notre modèle était donc le seul à prévoir la production d’un FRB par une source située à la bonne distance, ainsi que sa répétition périodique.

 

Fig. 4. Schéma illustrant le sillage d’un astéroïde dans le vent d’un pulsar ou d’un magnétar et l’emplacement des sources d’émission radio perçues depuis la Terre sous la forme de FRB. L’étoile à neutrons est à gauche (hors image) et le vent issu de la magnétosphère de cette étoile (flèche rouge) se déplace vers la droite. L’astéroïde possède un sillage électromagnétique nommé aile d’Alfvén, parcouru par un courant électrique intense (flèches bleues). L’interaction du vent du pulsar avec ce courant, qui a lieu dans l’aile, hors de l’ombre de l’astéroïde (zone en jaune), crée des émissions d’ondes radio. Dans le repère de l’astéroïde (ou celui de la Terre), celles-ci sont émises dans un faisceau étroit (figuré en vert). En réalité, l’angle formé par l’aile avec la direction du vent, ainsi que l’ouverture de l’angle au sommet du cône sont beaucoup plus faibles que sur cette image. Ces émissions radio sont très puissantes dans la direction du cône et nulles dans les autres directions. Quand ce cône croise brièvement les radiotélescopes terrestres, à des milliards d’années-lumière de distance, le signal correspond à un FRB. (F. Mottez)

 

Quelques mois plus tard, des radioastronomes d’Arecibo découvrirent un FRB se répétant. Il fut baptisé FRB121102, car il avait été enregistré la première fois le 2 novembre 2012 (et identifié ultérieurement). Quelle joie pour nous ! Mais les répétitions étaient irrégulières, et donc notre modèle ne collait pas parfaitement. Alors, avec Philippe et l’un de mes anciens étudiants, Guillaume Voisin, nous avons repensé à des astéroïdes. Il nous semblait que ceux-ci, par leur nombre et leurs positions variées autour de l’étoile, feraient disparaître le caractère périodique associé à une seule planète. Nous nous disions qu’en jouant un peu avec les paramètres, nous devrions y arriver.

Avec une collègue de l’Institut d’astrophysique de Paris, Kumiko Kotera, nous avons étudié le chauffage des astéroïdes. S’ils sont trop proches d’une étoile à neutrons, dont la température de surface est d’un million de degrés et qui émettent des ondes radio de très grande énergie, il faut s’attendre à ce que les astéroïdes s’évaporent, et donc… qu’il n’y en ait plus. Alors, exit notre modèle. L’onde électromagnétique qui chauffe des astres autour des pulsars est une onde émise à la fréquence de rotation du pulsar sur lui-même et qui se propage à la vitesse de la lumière. Comme une étoile à neutrons fait typiquement de 1 à 1 000 tours par seconde, c’est une onde de fréquence entre 1 Hz et 1 000 Hz, dont la longueur se mesure en centaines de kilomètres. Or, j’avais observé que, dans un four à micro-ondes (qui chauffe un peu à la manière de cette onde d’étoile à neutrons), on peut faire bouillir un bol rempli d’eau, mais que les gouttes tombées à côté du bol restent tièdes et ne s’évaporent pas. Avec Kumiko, nous avons expliqué cette observation par une théorie physique bien connue (la théorie de Mie), que nous avons appliquée aux astéroïdes de pulsar : pour qu’un corps absorbe l’énergie d’une onde (telle celle émise par un pulsar) et soit chauffé par elle, il faut que les dimensions de ce corps soient comparables ou plus grandes que la longueur de cette onde. Nous avons montré que les astéroïdes baignés dans les ondes des pulsars sont comme les gouttes d’eau dans un four à micro-ondes : ils sont assez petits pour ne pas être suffisamment chauffés et demeurent donc dans leur état solide de gros caillou.

Ensuite, j’ai préféré attendre que les données d’observation s’accumulent avant de me remettre au travail sur ce sujet. En fait, je ne croyais plus à ce modèle, pour certaines raisons techniques, liées notamment à la durée du phénomène, que je pensais plus variable que celle des FRB observés. Mais Philippe insistait pour s’y remettre. En 2020, je me suis laissé convaincre. Philippe, Guillaume et moi avons conçu un autre modèle montrant que des astéroïdes d’étoile à neutrons peuvent causer des FRB. En gros, notre nouveau modèle tenait bon, alors que des dizaines d’autres devenaient caduques au vu de récentes observations.

 

5. A l’issue d’une enquête difficile, il a été possible de localiser le FRB121102, le premier identifié comme ayant des sursauts se répétant aléatoirement. Il est situé dans une galaxie naine dénuée de caractéristiques remarquables, dont la distance est de l’ordre de 3 milliards d’années-lumière. (Gemini Observatory/AURA/NSF/NR)

 

Durant cette période 2018-2020, des observateurs découvraient un autre FRB répéteur (on en connaît actuellement plus d’une vingtaine). Celui-ci est périodique, mais statistiquement seulement : des sursauts se produisent aléatoirement, mais seulement lors d’intervalles de temps de quelques jours se répétant tous les 16 jours. Guillaume eut une idée judicieuse pour interpréter ce comportement : il serait dû à la présence de deux familles particulières d’astéroïdes, les troyens et les hildas, également observés dans l’environnement de Jupiter. Nos « ingrédients » étaient donc un pulsar (pas suffisamment bien orienté pour être observé, comme c’est le cas le plus fréquent), entouré d’une grosse planète (qu’on ne voit pas) et d’astéroïdes troyens et hildas liés à cette planète et à l’étoile à neutrons.

De nos jours, notre théorie n’est toujours pas dans le mainstream, ce n’est pas celle que les collègues citent le plus souvent. Cependant, elle reste en lice. Deux familles de modèles, avec de multiples variantes, sont plus populaires (à lire dans le prochain numéro de l’Astronomie), et une poignée d’autres avec un statut semblable à la nôtre.

Une autre théorie est souvent assimilée à la nôtre, car elle implique aussi une étoile à neutrons et des astéroïdes. Elle a été développée notamment par Bing Zang, de l’université du Nevada (É.-U.). Contrairement à la nôtre, qui laisse les astéroïdes en orbite autour d’une étoile à neutrons, la sienne fait tomber les astéroïdes directement sur l’étoile.

Les théories actuelles expliquent beaucoup de choses, mais pas tout. Elles progressent petit à petit, au fil des observations et des idées nouvelles. On peut espérer qu’il y aura finalement un consensus. Pour le moment, les chercheurs ne sont pas tous prêts à admettre qu’une seule et même théorie puisse expliquer l’ensemble des FRB. Il pourrait en effet exister plusieurs sortes de FRB, avec des causes différentes.

Que notre théorie soit bonne ou mauvaise, qu’elle survive ou non aux futures observations, nous aurons fait notre travail de chercheurs scientifiques, car la science avance ainsi, avec des essais, des échecs et des succès. Une théorie ne peut être acceptée seulement parce qu’elle fonctionne. Il faut aussi vérifier s’il n’y en a pas d’autres possibles. Et pour en être sûr, il faut toutes les essayer.

Fabrice MOTTEZ | CNRS, Observatoire de Paris

 

ORUS : Une troisième Occultation stellaire observée au Sénégal 

ORUS : Une troisième Occultation stellaire observée au Sénégal 

En Octobre 2021 s’est déroulé au Sénégal une campagne d’observation d’une occultation stellaire du satellite Troyen de Jupiter Orus. Cette campagne avait pour objectif de préparer le lancement et le survol de cet astéroïde par la sonde LUCY (NASA). Cette campagne d’observation astronomique est la troisième réalisée au Sénégal après le succès des observations d’occultation par Arrokoth en Août 2018 (mission NASA New Horizons, Arrokoth fut survolé en 2019), et en Septembre 2020 par Polymele, un autre astéroïde Troyen de Jupiter qui sera survolé par LUCY.

Ces campagnes d’occultation ont été confiées par la NASA à l’Association Sénégalaise pour la Promotion de l’Astronomie (ASPA), sous la responsabilité de Maram KAIRE.

ORUS fait partie des 7 astéroïdes ciblés par la mission LUCY lancée le 16 Octobre depuis le Cap Canaveral. Les Troyens de Jupiter se trouvent au-delà de la ceinture d’astéroïdes, il tournent autour du Soleil, sur une orbite proche de celle de Jupiter, et sont 60° en avance ou en retard par rapport à la planète géante. La campagne d’observation de l’occultation d’Orus au Sénégal, a, comme pour les autres campagnes, l’objectif de déterminer avec précision la position, la vitesse, la taille et si possible la forme (à l’aide de l’ombre projetée mesurée par plusieurs télescopes) de l’objet afin de préparer au mieux son survol.

 Equipe de la mission 

L’équipe scientifique internationale était constituée 29 chercheurs ou astronomes amateurs, 18 sénégalais, 2 Burkinabés, 2 américains, 6 français et 1 belge (Fig. 1).  

Fig 1. Équipe de la mission ORUS au Sénégal en compagne de M. Marie Teuw Niane, ancien Ministre de la Recherche, de l’Enseignement Supérieur et de l’Innovation de la République du Sénégal. Crédit: ASPA

Equipement

Le matériel envoyé par la NASA et confié à l’ASP est composé de 10 télescopes de 20 cm de diamètre,  transportables, de type Dobson accompagnés (voir Fig. 2) chacun d’une caméra, d’un GPS pour enregistrer avec précision le temps de l’occultation et d’un ordinateur portable dédié au contrôle de l’acquisition des données. 

À l’issue de cette campagne, le Sénégal a eu l’opportunité d’acquérir un télescope du même type grâce au financement du Bureau de l’Astronomie pour le Développement (OAD). Ce télescope qui est actuellement confié à l’ASPA peut être utilisé dans de futures activités scientifiques, d’enseignement ou pour la diffusion des connaissances astronomiques vers le grand public.

Fig 2. Télescope de type Dobson transportable de 20 cm de diamètre utilisée lors de la mission. Le télescope est motorisé (pour suivre le mouvement des étoiles dans le ciel, lié à la rotation de la Terre sur elle-même) et peut être assemblé en quelques dizaines de minutes sur le site d’observation. Crédit : ASPA

Les observations 

La campagne se déroule en deux phases. La première phase est consacré à des sessions de formation (Fig. 3), d’échange et de pratique pour se familiariser avec le matériel et apprendre à pointer l’étoile qui sera occultée dans le temps imparti. Il s’agit d’être capable d’arriver de nuit sur le site d’observation, de monter le télescope et faire l’ensemble des réglages, puis de monter l’étoile et la placer dans le champ de la caméra afin de démarrer l’enregistrement quelques minutes avant l’heure prévue de l’occultation. Les gestes sont répétés jusqu’à atteindre les automatismes pour la nuit de l’évènement où l’erreur n’est pas permise. Ces sessions de formation ont lieu de jour comme de nuit. Les astronomes dorment peu, mais suffisant pour être reposé pour l’évènement. Les sessions d’entraînement ont été réalisées sur le site de l’hôtel Royal Malango, à Fatick, qui a également servi de quartier général pour piloter le déploiement des télescopes le soir de l’évènement.

Fig. 3. Session d’entraînement avant la nuit de l’occultation avec les dernières recommendations de Mickaël Strutskie, Astronome américain de l’Université de Virginie. Crédit: ASPA

 

La deuxième étape correspondait à la nuit de l’occultation stellaire par l’astéroïde ORUS. L’occultation est prévue aux environs de 1h56 UT,  dans la nuit du 15 au 16 Octobre 2022. Ainsi 10 équipes composées de trois membres chacune ont été constituées, chaque équipe étant affectée à un site. Tous les sites sont distants de 10 km l’un de l’autre autour de la région de Fatick située à l’ouest du Sénégal.

Fig. 4 – Déploiement des télescopes sur les sites d’observation. Les marques bleues indiquent la position des sites, visités et validés par une partie de l’équipe scientifique. Les lignes rouges parallèles correspondent à la trajectoire de l’occultation (trajectoire de l’ombre projetée de l’astéroïde sur le sol terrestre). La durée de l’occultation sur chaque de ces lignes contrant la forme de l’astéroïde (corde). L’absence d’occultation indique que l’on est en dehors de l’astéroïde. Crédit: SWRI

Le départ vers les sites est un moment d’enthousiasme et de forte tension, car chaque équipe est maintenant livrée à elle-même sur son site avec l’objectif d’obtenir les précieuses données, et doit tout faire pour réussir – l’erreur n’est pas permise – et chaque équipe doit aussi composer avec des conditions météos qui peuvent compliquer le pointage de l’étoile (la présence de nuage ou brume, pendant la phase de pointage par exemple). Au retour des sites d’observation, toutes les équipes se retrouvent pour partager les données, et faire les premières analyses, avec l’espoir de confirmer les observations obtenues en direct sur le terrain. Certaines équipes ont en effet eu la chance de pouvoir observer en direct l’extinction de l’étoile au moment de l’occultation. On retient son souffle pendant ces quelques secondes critiques ! 

Couverture médiatique et diffusion des connaissance vers le grand public

L’événement a été suivi par plusieurs organismes de presse au niveau local et international et une grande soirée d’observation du ciel et de partage a été organisée en présence des astronomes la nuit après l’occultation sur la place du Souvenir à Dakar. Le public venu nombreux, a pu échanger avec les astronomes, rencontrer les membres de l’ASPA et des enfants, collégiens ou lycéens ont pu ainsi échanger sur les études à suivre pour prendre part à l’aventure spatiale et les initiatives pour soutenir le développement de l’astronomie et de la planétologie en Afrique (e.g., Initiative Africaine pour les Sciences des Planètes et de l’Espace au Sénégal, https://africapss.org)

Salma Sylla et David Baratoux

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