LE MAGAZINE DES SCIENCES DE L’UNIVERS EN AFRIQUE
Histoire de l’Observatoire Royal de Tananarive

Histoire de l’Observatoire Royal de Tananarive

Perché sur les hauteurs d’Ambohidempona, l’Institut et Observatoire de Géophysique d’Antananarivo (IOGA), anciennement connu sous le nom d’Observatoire Royal de Tananarive, se dresse tel un gardien silencieux de l’histoire scientifique de Madagascar.

L’observatoire royale de Tananarive en 1889

 

En 1887, au lendemain de la première guerre franco-malgache, l’idée de fonder un observatoire à Antananarivo naquit de la vision partagée du résident général de Madagascar, M. le Myre de Vilers, du vicaire apostolique, Mgr Cazet, et du R.P. Michel, supérieur provincial de Toulouse, en mission dans le pays. Ce projet, motivé par l’intérêt français, visait à établir une présence scientifique solide dans la région en se consacrant à des travaux météorologiques, astronomiques, magnétiques.

Le Père Elie Colin, désigné pour concevoir et diriger l’observatoire, choisit d’Ambohidempona pour abriter l’observatoire. Cette colline fut  cédée par le premier ministre Rainilaiarivony et en contrepartie, l’observatoire sera baptisé « Observatoire royal ». Situé à une altitude de 1402 m au-dessus du niveau de la mer, il figurait parmi les observatoires les plus hauts de son époque fut l’un des plus grands conçu par les Jésuites en Afrique.

Les bâtiments, achevés en 1889, se déploient en “T” avec un octogone central de 8 mètres de diamètre au dessus duquel s’élève une grande coupole surmonté d’une boule, servant de point géodésique et de signal pour l’heure, de 1 mètre de diamètre. Une gamme d’instruments, provenant d’Europe, étaient réparties dans ces différentes branches et tours. On y trouvait un anémomètre,  des héliographes brûleur et photographique, des actinomètres et actinographe, ainsi qu’une lunette méridienne Brunner et une lunette équatoriale Eichen de 20 cm de diamètre. L’obtention de ces dernières a été possible grâce à l’aide de l’amiral Mouchez, directeur de l’Observatoire de Paris à l’époque. Le transport de cette lunette équatoriale marqua un moment mémorable de l’histoire. Son périple jusqu’à Tananarive fut ponctué d’anecdotes, notamment lorsque des porteurs malgaches, méfiants, découvrirent ce qu’ils crurent être un canon dans les caisses et les jetèrent dans la forêt . Heureusement, grâce à l’intervention du résident général Bompard, la lunette fut sauvegardée et installée à l’observatoire.

La lunette de l’observatoire sous la coupole de 5 mètres

 

Les premières années furent fertiles en découvertes, notamment avec l’observation du transit de Mercure devant le soleil en 1891, réalisées par le Père Colin. L’observatoire devint également un acteur majeur dans la cartographie de l’île, contribuant aux premières mesures géodésiques et à la triangulation de la région d’Imerina. D’ailleurs, le R.P. Colin et son collègue, le R.P. Roblet, obtiennent le Prix Herbet Fournet, en 1898 pour ces travaux de cartographie de l’Imerina.

Cependant, les relations franco-malgaches se détériorèrent, menant au départ des Jésuites et à la destruction de l’observatoire en 1895. Durant les hostilités, la plupart des instruments astronomiques furent emportés, cachés ou détruits.

L’observatoire détruit en 1895

 

Le R.P. Colin revient à Madagascar, lors de son annexion par la France, en 1896. Son retour marqua le début de la reconstruction, mais les ressources limitées et les contraintes  géographiques freinèrent les ambitions. Les constructeurs investissent alors pour une coupole en acier de 5 mètres de diamètre, destinée à recevoir  l’équatoriale. Elle est posée au début d’août 1899, les autres instruments réinstallées, l’observatoire est à nouveau en état de marche et fut réinauguré en 1902.

L’observatoire après sa reconstruction, entre 1920-1940

 

Les travaux scientifiques reprennent même si le budget n’est plus le même. L’observatoire s’assure toujours du service météorologique, de la mesure du temps et du magnétisme terrestre. Il prend aussi part au réseau sismique colonial et enregistre grâce à deux séismographes,  100 à 200 tremblements de terre par an. Et grâce à leur situation géographique autorise  la surveillance efficace de l’Océan Indien, des îles de la Sonde aux Kerguelen  et de l’Afrique orientale de l’Abyssinie jusqu’au Cap de Bonne Espérance. La publication des  résultats météorologiques et sismographiques sous forme de bulletins mensuels est pris en charge par l’imprimerie coloniale à compter des années vingt et est adressé pour échange à environ cent cinquante bibliothèques, instituts ou observatoires.

 

En 1923, Charles Poisson, un ancien officier de la Marine française ayant participé à la Première Guerre mondiale, succède au R.P. Colin . Il poursuit les travaux entrepris par ses prédécesseurs, en particulier dans l’étude des cyclones tropicaux. En 1927, après qu’un cyclone eut causé d’importants dégâts, Poisson est officiellement désigné par l’administration coloniale française en tant que Directeur technique de la météorologie à Madagascar. De 1903 à 1943, l’Observatoire de Tananarive était officiellement chargé par le gouvernement colonial de prévoir l’arrivée des cyclones à Madagascar. Ce service, ainsi que le service de l’heure, étaient les seuls à bénéficier d’un soutien financier de la part des autorités coloniales. Cependant, faute de moyens financiers adéquats, l’observatoire n’était pas en mesure de moderniser ses instruments ni de les renouveler, ce qui limitait son travail à la simple observation. Ce manque de fonds, associé à un manque de personnel et l’arrivé de l’indépendance du pays en 1960, précipitait l’institution à son déclin.

Vue aérienne de l’observatoire actuellement

 

En 1967, les Jésuites cédèrent l’observatoire à l’Université d’Antananarivo. Aujourd’hui, sous le nom d’Institut et Observatoire de Géophysique d’Antananarivo, l’institution reste un pilier de la recherche scientifique nationale et internationale, s’engageant dans des domaines variés tels que la sismologie, la géomagnétisme, et les géosciences.

 

Étudiant malgache dans le cadre du Development in Africa with Radio Astronomie

 

À travers les décennies, l’observatoire a évolué, s’adaptant aux avancées technologiques tout en préservant son héritage scientifique. Et 135 ans plus tard, même si l’IOGA ne se consacre plus à la recherche en astronomie, il accueille encore des événements, des ateliers, des formations en astronomie ainsi que des visiteurs intéressés par cette science.

par Andoniaina Rajaonarivelo, président d’Haikintana

 

Site internet de l’observatoire : http://ioga.univ-antananarivo.mg/

 

 

 

Les sciences spatiales en Côte d’Ivoire : ça bouge !

Les sciences spatiales en Côte d’Ivoire : ça bouge !

La côte d’Ivoire possède des atouts considérables pour contribuer au développement du spatial africain, et à son utilisation pour des applications utiles aux citoyens. Depuis quelques années, les initiatives se multiplient à différents niveaux, et montre le dynamisme d’une communauté d’acteurs scientifiques, d’ingénieurs, et d’industriels pour faire entrer la Côte d’Ivoire dans l’ère du Spatial.

1. Photo de groupe lors de la séance d’observation du ciel au Lycée Blaise Pascal, dans le cadre des journées sur le spatial, en présence de M. Philippe Achilléas, Professeur de Droit Spatial à l’Université Paris-Saclay, et M. Bard, Proviseur du Lycée Blaise Pascal.

 

La côte d’Ivoire possède des infrastructures de recherche reconnues pour leur activité dans ce domaine. Elle possède une prestigieuse école d’ingénieur, l’Institut National Polytechnique Houphouët-Boigny (INP-HB), qui sera l’institution naturelle pour la formation des ingénieurs du spatial. Le Centre Universitaire de Recherche Appliquée en Télédétection (CURAT) sur le Campus de l’Université Félix Houphouët-Boigny est impliqué dans de nombreux programmes de recherche et d’observation de la Terre depuis l’espace, sur des sujets tels que le climat, l’évolution du littoral, les inondations et aléas climatiques, l’agriculture, l’environnement, la déforestation, et les ressources naturelles. L’Université Félix Houphouët-Boigny abrite également un laboratoire de recherche dont l’un des spécialités est la géophysique spatiale : Le Laboratoire de Physique de l’Atmosphère et de Mécanique des Fluides LAPA-MF. Ce laboratoire abrite même le premier chercheur en astrophysique de Côte d’Ivoire, spécialiste des galaxies, et formé en Afrique du Sud. C’est également au sein de ce laboratoire qu’est né l’Association Ivoirienne d’Astronomie (AIA) qui a déjà construit un solide bilan d’activités de promotion scientifique sur Abidjan, et à l’intérieur du pays (observations publiques régulières du ciel sur le campus de Cocody, et la réalisation récente de l’évènement « Astro Tour Ivoire », avec le concours de Space Bus France, de l’IRD (AFIPS), et d’Unistellar) (cf. https://www.ird.fr/astrotour-lastronomie-pour-toutes-en-cote-divoire).

C’est en s’appuyant sur ce contexte favorable que s’est tenu en 2021 une conférence sur le thème « L’Afrique entre dans l’ère du spatial : cas de la Côte d’Ivoire », organisée par l’Association pour la Sauvegarde et la Promotion de la Pensée de El Hadj-Boubacar Gamby Sakho (ASPP-BGS), avec le soutien de avec le soutien  du  ministère de l’Enseignement Supérieur  et de la Recherche Scientifique  et en partenariat avec la Fondation Félix Houphouët-Boigny,  pour la Recherche de la Paix, le district de Yamoussoukro et l’Institut National Polytechnique Houphouët-Boigny (INPHB). Cette conférence, s’est tenue à l’Université Houphouët-Boigny d’Abidjan Cocody, dans l’amphithéâtre Koffi Allangba, devant environ 200 étudiants et sous le parrainage de Monsieur le Député de Yamoussoukro, Ahuili Naylor. Elle réunit panel réunissant des personnalités scientifiques et politiques partageant leurs visions respectives les bénéfices économiques et sociétaux de développement du secteur spatial africain. Ce panel était composé de Maram Kaire, Directeur de l’Agence Sénégalaise d’Etudes Spatiales, Marie Korsaga, première Astrophysicienne du Burkina Faso, Sébastien Périmony (France), auteur du livre « Voir l’Afrique avec les yeux du Futur » et David Baratoux, Directeur de Recherche à l’Institut de Recherche pour le Développement.

2. Intervention de David Baratoux sur les recherches en sciences des planètes et de l’Espace sur le continent Africain.

 

En 2023, Abidjan a vibré au rythme de la « New Space Africa Conference », l’événement incontournable qui a réuni les plus grands noms du spatial en Afrique, mettant en lumière le tout premier satellite « made in Côte d’Ivoire ». Baptisé YAM-SAT-01, ce nanosatellite révolutionnaire, pesant seulement quelques kilogrammes, promet une observation de la Terre sans précédent, avec une caméra capable de capturer des images spectaculaires de la côte, des forêts, des parcs naturels et des zones urbaines ivoiriennes. C’est une fierté nationale, entièrement construite par des experts ivoiriens d’Universal Konstructors Associated, en collaboration avec des partenaires académiques locaux.

Pendant ce temps, le ciel était le sujet brûlant lors des « journées du spatial » au Lycée Français Blaise Pascal d’Abidjan. Les élèves de terminale ont été captivés par les interventions dynamiques du Professeur Philippe Achilléas de l’Université Paris-Saclay, spécialiste du droit spatial, ainsi que par le témoignage inspirant d’un ancien élève, aujourd’hui étudiant en droit des activités spatiales à Paris-Saclay. Cet événement a également été marqué par la présentation passionnante du Dr. Boukary OUATTARA de 3D PLUS et consultant pour  UKA, et de m. YAO YAO Jules, dévoilant le programme spatial ivoirien et ses avantages pour le pays. De plus, David Baratoux a partagé des histoires à succès sur les avancées du secteur spatial africain, offrant une perspective optimiste sur l’avenir de la région dans l’espace.

La première journée s’est clôturée de manière magique avec une séance d’observation du ciel grâce aux télescopes de l’Association Ivoirienne d’Astronomie, émerveillant les élèves et les professeurs du Lycée Blaise Pascal. Cet engouement pour l’astronomie a été renforcé par l’inauguration du tout nouveau Club d’Astronomie Philippe Achilléas, bénéficiant d’un généreux don de télescope de l’ASPP-BGS dans le cadre de son programme « Une école, un télescope ».

En 2024, l’excitation continue avec la deuxième phase de ce programme, prévoyant la remise de 4 nouveaux télescopes et la création de 4 nouveaux clubs d’astronomie dans des lycées d’excellence, sous l’égide de deux ministères. C’est une opportunité fantastique pour les jeunes ivoiriens de se plonger dans l’univers captivant de l’astronomie et des sciences spatiales.

 

par Boubacar FOFANA, Marc Fortune YAO, Aziz DIABY, David BARATOUX

 

Zélandia  le continent perdu

Zélandia le continent perdu

Depuis une vingtaine d’années, les géologues ont mis en évidence un continent immergé d’environ 5 millions de kilomètres carrés de superficie situé à l’est de l’Australie. Les campagnes océanographiques, qui viennent de s’achever, ont permis de mieux comprendre son évolution.

 

Dans l’imaginaire collectif, le terme de continent perdu est souvent associé à l’Atlantide, île mythique évoquée par Platon, et qui aurait la dimension d’un continent. Si Platon situe cette île au-delà des Colonnes d’Hercule (le détroit de Gibraltar), c’est-à-dire quelque part dans l’océan Atlantique, la légende pourrait avoir pour origine l’explosion du volcan Santorin, en mer Égée, vers 1600 avant J.-C. Celle-ci aurait provoqué un tsunami géant, lui-même responsable de la disparition de la civilisation minoenne qui fleurissait en Crète à cette époque. À défaut d’Atlantide, les scientifiques ont, depuis une vingtaine d’années, identifié et étudié un continent presque entièrement immergé situé à l’est de l’Australie. La cartographie de ce huitième continent, baptisé Zélandia (ou Zealandia), en référence à la Nouvelle-Zélande qui constitue sa principale partie émergée, vient de s’achever [1]. Plusieurs campagnes océanographiques ont été nécessaires pour établir cette cartographie. Ces campagnes ont également effectué de nombreux prélèvements de roches par dragage, lesquelles ont permis de mieux cerner la géologie et l’évolution de ce continent perdu (et, désormais, retrouvé).

Un nouveau continent

Les résultats de ces campagnes ont d’abord permis de classer Zélandia parmi les continents. Rappelons qu’à la surface de la Terre, les géologues distinguent deux types de croûte. D’une part la croûte océanique, qui forme les planchers océaniques, à des profondeurs de 4 000 à 5 000 mètres sous le niveau de la mer, et qui est composée de basaltes. Relativement dense, elle replonge assez rapidement (en moins de 180 millions d’années, Ma) dans le manteau, suivant un phénomène de subduction. Et d’autre part, la croûte continentale, formée de roches moins denses, qui compose les masses continentales. Plus légers, les continents peuvent se maintenir en surface très longtemps (les plus anciennes roches continentales sont datées autour de 3,8 milliards d’années). Aujourd’hui, l’élévation de ces masses continentales se situe majoritairement au-dessus du niveau de la mer. Cependant, les continents possèdent aussi sur leur pourtour des parties immergées, les marges continentales, plus ou moins étroites et peu profondes (quelques centaines de mètres). Le fait d’être émergé ou immergé ne constitue donc pas un critère pour définir la croûte continentale. La classification de Zélandia parmi les continents repose sur deux principaux arguments. D’abord la composition des roches la constituant qui est typique de la croûte continentale. Ensuite son élévation moyenne (environ 1 100 m en dessous du niveau de la mer), qui la situe nettement au-dessus des planchers océaniques. En revanche, Zélandia se singularise par sa configuration presque entièrement sous-marine, conséquence du fait que la croûte continentale y est beaucoup moins épaisse (environ 20 km) que dans les autres continents (40 km en moyenne).

1. Les principales plaques tectoniques à la surface de la Terre. Zélandia est traversée par une frontière de plaque (ici, une zone de subduction) entre les plaques Australie et Pacifique. À noter également les marges continentales (en couleurs atténuées) plus ou moins larges sur le pourtour des continents. (© American Geophysical Union.)

 

Un peu de géographie et de géologie

Zélandia couvre une superficie de 5 millions de kilomètres carrés et est immergée à 95 %. Ses principales terres émergées sont la Nouvelle-Zélande, comme nous l’avons vu et, plus au nord, la Nouvelle-Calédonie. Elle comprend aussi de nombreuses petites îles volcaniques, comme les îles Lord Howe et Norfolk au nord, et les îles Campbell et Auckland au sud, ainsi que des récifs coralliens, comme celui de Fairway, tout au nord. Deux reliefs sous-marins, presque parallèles, parcourent Zélandia du nord-ouest vers le sud-est, jusqu’à la Nouvelle-Zélande. Ces deux rides sont séparées par le bassin de Nouvelle-Calédonie, qui est en fait un rift avorté [2]. Au sud de la Nouvelle-Zélande, Zélandia est dominée par deux plateaux sous-marins, Chatham et Campbell. Du point de vue de la tectonique des plaques [3], Zélandia est située à cheval sur les plaques Australie et Pacifique. Elle est donc traversée par une frontière de plaques, plus précisément, dans ce cas, une zone de subduction, localisée le long de la Nouvelle-Zélande. Cette frontière est utilisée par certains géologues pour séparer Zélandia en deux parties, la Zélandia du Nord et la Zélandia du Sud, qui incluent respectivement les îles nord et sud de la Nouvelle-Zélande.

Il y a près de 200 Ma, Zélandia faisait partie du supercontinent Gondwana, qui comprenait l’Amérique du Sud, l’Afrique, l’Inde, l’Australie et l’Antarctique, et qui commença à se fragmenter vers la fin du Jurassique moyen (160 Ma). Dans le cadre de cette fragmentation, la Zélandia du Sud s’est détachée de l’Antarctique à partir de 85 Ma, tandis qu’un peu plus tard, vers 60 Ma, la Zélandia du Nord s’est, elle, séparée de l’Australie. Plusieurs évènements ont ensuite affecté ces deux micro-continents, notamment des processus d’extensions, qui ont conduit à l’amincissement de la croûte et, vers 25 Ma, une migration vers le nord de la Zélandia du Sud, qui s’est traduite par la formation d’une chaîne de montagnes, les Alpes du Sud, sur l’île sud de la Nouvelle-Zélande. Combiné avec son amincissement, le refroidissement de la croûte, qui la rend plus dense et favorise son affaissement, a lentement conduit à la submersion de Zélandia. Il y a environ 25 Ma, ce continent a finalement disparu sous les eaux de l’océan Pacifique. Bien plus tard, au xviie siècle, les navigateurs européens, James Cook en tête, sillonnèrent cette région à la recherche d’un grand continent austral. Pouvaient-ils se douter qu’un continent, il est vrai plus petit et moins gorgé de richesses que les géographes de l’époque ne l’imaginaient, se trouvait précisément sous leurs frégates ?

Le Gondwana il y a 200millions d’années. (© American Geophysical Union.)

 

par Frédéric Deschamps, IESAS, Taipei, Taïwan

 

Publié dans le numéro de Janvier 2024

 

 

 

Notes :

  1. Mortimer N. et al., « Reconnaissance basement geology and tectonics of North Zealandia », Tectonics, 42, 2023, e2023TC007961, doi: 10.1029/2023TC007961.
  2. Un rift est une dépression causée par l’étirement et l’amincissement de la croûte continentale sous l’effet de forces tectoniques. Il peut conduire à un phénomène d’océanisation, c’est-à-dire de fracturation complète de la croûte avec formation d’une dorsale océanique et de croûte océanique de part et d’autre de cette dorsale. C’est ce qui s’est produit en mer Rouge et qui semble se produire le long du rift est-africain. Dans de nombreux cas, cependant, le processus d’étirement s’arrête avant que ne se forme un océan. On parle de rift avorté. Le fossé rhénan et la plaine de la Limagne en sont deux exemples.
  3. Lire à ce sujet l’article de Maelis Arnould dans l’Astronomie no 169 de mars 2023.
JWST : un trou noir très gros très tôt

JWST : un trou noir très gros très tôt

L’origine des trous noirs supermassifs est vivement débattue depuis des décennies. La découverte de l’un d’eux ayant vécu moins de 500 millions d’années après le Big Bang relance le débat.

Les quasars sont des galaxies possédant, caché dans leur cœur, un trou noir de quelques dizaines à quelques centaines de millions de masses solaires. La matière que le trou noir accrète depuis sa galaxie, et qui rayonne intensément juste avant de s’engouffrer dans le trou noir, rend les quasars extrêmement lumineux.

1. Détection de la source X UHZ1: comme précisé sur la figure, la région est centrée sur UHZ1. Le panneau de droite est une image X de 155 x 155’’ entourant UHZ1. Le cercle blanc en trait continu a un rayon de 1’’, et correspond à la galaxie candidate à z = 10,32, tandis que les cercles blancs en tirets correspondent à une région comprise entre 3’’ et 6’’ où le spectre a été mesuré. L’échelle en bas donne le comptage des photons X. Le Nord est en haut, l’Est est à gauche. (© Akos Bogdan et al., arXiv:2305.15458v2.)

 

Avec le premier relevé du programme scientifique du JWST, il a été possible de regarder derrière l’amas Abell 2744, situé à un redshift égal à 0,308 (donc ayant vécu 2 milliards d’années après le Big Bang, d’après le modèle standard de la cosmologie). Dans le même champ, on a découvert plusieurs galaxies situées derrière l’amas, dont les redshifts donnés par la méthode photométrique sont compris entre 9 et 15. Par ailleurs, des observations profondes effectuées avec le télescope spatial X Chandra ont permis de découvrir dans la même région du ciel des sources de rayonnement X, signatures claires de l’accrétion sur des trous noirs supermassifs. Ce sont donc des quasars.

2. Schéma montrant la croissance du trou noir correspondant à différentes masses des « graines » et des taux d’accrétion. Le temps (en abscisse) est ici exprimé comme un redshift (les grands redshifts correspondent aux temps plus anciens). La masse du trou noir (en ordonnées) est en échelle logarithmique. (Une valeur de 2 correspond à 100 masses solaires, une valeur de 3 à mille masses solaires, etc.) On voit que les graines « légères » (light seed, de masse inférieure à 100 masses solaires) ne permettent pas aux trous noirs de dépasser une masse de 104 – 105 M⊙ à un redshift de 10,3, à moins d’accréter à un taux beaucoup trop élevé (super-Edington), du moins d’après les auteurs. (© Akos Bogdan et al., arXiv:2305.15458v2.)

 

Un article publié par une équipe internationale (comprenant une chercheuse de l’Institut d’astrophysique de Paris) conduite par un chercheur du centre d’astrophysique de Harvard à Cambridge, aux États-Unis, a étudié en détail l’un de ces quasars émetteurs de rayonnement X à la position RA = 0:14:16.096, Dec = –30:22:40.285 [1]. Grâce aux positions données par le JWST des galaxies de redshift supérieur à 9 situées derrière Abell 2744, l’équipe a isolé les images X de 11 galaxies et en a fait la photométrie. Dans cet échantillon de 11 galaxies, les chercheurs ont détecté une source de rayons X associée avec la galaxie UHZ1. Ils ont montré qu’aucune autre galaxie ne peut être associée avec cette source X (fig. 1).

Par les méthodes habituelles d’étude des quasars (mesure de la luminosité, aspect du spectre…), les auteurs ont déduit une masse du trou noir comprise entre 10 millions et 100 millions de masses solaires, comparable à la masse stellaire de la « galaxie hôte » UHZ1 déduite de la photométrie optique et infrarouge. Naturellement, les auteurs de l’article ont effectué de nombreux tests pour vérifier la plausibilité de leur modèle. Ce résultat contraste avec le cas des galaxies proches, où la masse de la galaxie hôte est environ 1 000 fois plus grande que celle du trou noir !

Se pose alors la question centrale de cet article, du moins pour ses auteurs. Les « graines » qui ont donné naissance aux premiers trous noirs supermassifs sont-elles « légères », c’est-à-dire ont-elles des masses situées entre 10 et 100 M⊙ ? Ou bien sont-elles « lourdes », c’est-à-dire ont-elles des masses situées entre 104 et 105 M⊙ ? Dans le premier cas, elles proviendraient simplement de l’effondrement des premières étoiles massives. Dans le second, il s’agirait de l’effondrement direct de gros nuages de gaz. Les auteurs montrent que les graines « lourdes » sont plus probables, en se basant sur la grande masse du trou noir comparée à celle de la galaxie hôte (fig. 2). Il faut noter que cette question est débattue depuis des décennies. Diverses théories et divers modèles avaient été élaborés… sans qu’aucun n’ait jamais été réellement convaincant. Il me semble qu’il faudra attendre la découverte de quasars encore plus âgés pour tirer des conclusions fermes, d’autant que l’une des hypothèses est qu’il n’existe pas d’accrétion à des taux très élevés, ce qui est contestable dans la phase de formation des trous noirs.

 

Par  Suzy Collin-Zahn, Observatoire de Paris-PSL

 

Publié dans le numéro de Janvier 2024

 

 

Notes

  1. Akos Bogdan et al., « Evidence for heavy seed origin of early supermassive black holes from a z ∼ 10 Xray quasar », arXiv:2305.15458v2.
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