LE MAGAZINE DES SCIENCES DE L’UNIVERS EN AFRIQUE
Une collaboration avec African Science Stars

Une collaboration avec African Science Stars

L’équipe de rédaction de l’Astronomie Afrique est heureux d’annoncer un partenariat avec le magazine African Science Stars. Désormais plusieurs articles issus du magazine seront publiés sur notre webzine trimestriel!

African Science Stars est une initiative visant à produire une publication régulière sur l’astronomie en Afrique. Il s’inspire du succès et du modèle du magazine Science Stars, une initiative sud-africaine qui vise à sensibiliser les jeunes, les adultes et les parties prenantes aux sciences, à la technologie, à l’ingénierie et aux mathématiques (STEM), en particulier dans les communautés rurales et les townships.

Le concept du magazine africain Science Stars est apparu pour entreprendre une initiative à l’échelle africaine, en s’appuyant sur le succès du projet Science Stars et en l’étendant à l’échelle continentale en Afrique, en utilisant l’astronomie comme outil de sensibilisation à la science.

Ce projet est financé sous l’égide de la Société africaine d’astronomie (Afas).

Venez découvrir le magazine African Science Stars sur: https://africansciencestars.com/

 

 

Les principaux partenaires sont: 

  • DSI
  • African Astronomical Society (AfAS)
  • SARAOD and the International Astronomical Union Office for Astronomy Development (IAU-OAD)
  • International Dark-Sky Association (IDA) – an organization that works to help stop light pollution and protect the night skies for present and future generations
  • African Planetarium Society (APS)
  • Astronomy Without Borders (AWB)
  • Astronomical Society of Southern Africa (ASSA) – an umbrella body for Astronomy Clubs (Amateur Associations)
  • Southern African Association of Science and Technology Centres (SAASTEC) – an umbrella body for Astronomy Clubs (Amateur Associations)
  • African Space Agency African Union
  • SADC STI Desk in Gaborone
  • South African Radio Astronomy Observatory (SARAO) – responsible for SKA Africa and AVN projects.
  • South African Astronomical Observatory (SAAO)

 

Contact : info@assap.co.za

Nouveau système de 6 planètes observées en transit

Nouveau système de 6 planètes observées en transit

Tandis que le JWST commence à explorer l’atmosphère d’un nombre croissant d’exoplanètes, les autres télescopes spatiaux dédiés à leur recherche continuent à engranger les résultats. Un nouveau système multiple de six planètes, tournant sur des orbites quasi coplanaires et concentriques, vient d’être découvert par les sondes spatiales TESS et CHEOPS. Situé à une centaine d’années-lumière, il présente l’avantage d’être relativement proche de nous.

Tracing a link between two neighbour planet at regular time interval along their orbits, create a pattern unique to each couple. The six planets of the HD110067 system create together a mesmerising geometric pattern due to their resonance-chain.

 

Parmi les quelque 5 500 exoplanètes découvertes à ce jour, les systèmes multiples sont nombreux. On en compte près de 900 dotés d’au moins deux planètes. Le record est le célèbre système TRAPPIST-1, découvert en 2016 et doté de sept planètes. Nous connaissons aujourd’hui une vingtaine de systèmes dotés de six planètes, dont une dizaine découverts par la méthode des transits. Ceux-ci sont les plus intéressants, car les observations combinées de transit et de mesure des vitesses radiales permettent d’accéder aux caractéristiques physiques des planètes (rayon, masse et donc densité).

 

Caractéristiques des systèmes multiples déjà connus

Parmi ces systèmes, celui de TRAPPIST-1 fait figure d’exception. En effet, l’étoile centrale, de type spectral M8, est particulièrement petite et froide, et la planète la plus éloignée est située à moins d’un dixième d’unité astronomique – le quart de la distance de Mercure au Soleil. C’est sa proximité au Soleil (12 parsecs, soit moins de 40 années-lumière) qui a rendu le système observable. Les autres systèmes à six planètes sont en orbite autour d’étoiles plus « normales », de type spectral G (comme le Soleil) ou K, et sont situés à des distances de quelques centaines d’années-lumière ; le plus éloigné, autour de l’étoile K5 Kepler-80, est à plus de 1 000 années-lumière.

1. Le système de HD 110067 vu de dessus. L’axe des x représente la distance des planètes à l’étoile centrale, en unités astronomiques. L’axe des y représente la température d’équilibre des planètes. (© Luque et al. 2023)

 

Successivement détectées, trois puis quatre, puis six planètes en résonance orbitale

Or, un nouveau système à six planètes vient d’être découvert à une distance de 32 parsecs, soit environ 100 années-lumière : c’est le plus proche de la série [1]. Ces nouvelles venues tournent autour de l’étoile HD 110067, située dans la constellation de Coma Berenices. De type spectral K0V, elle est un peu plus petite que le Soleil. Deux planètes, HD 110067 b et c, ont d’abord été détectées par le télescope spatial TESS (Transit Exoplanet Survey Satellite) avec des périodes orbitales de 9,114 et 13,673 jours. De nouvelles observations réalisées ensuite par la sonde CHEOPS (CHaracterising ExOPlanets Satellite) ont mis en évidence l’existence d’une troisième planète, de période orbitale 20,519 jours.

Les travaux ont été menés par une équipe internationale coordonnée par Rafael Luque, de l’université de Chicago. Les auteurs ont remarqué que les périodes de ces trois planètes Pc/Pb et Pd/Pc étaient dans un rapport très proche de 1,5 (1,5002 et 1,5007 respectivement) : autrement dit, la planète c fait deux tours autour de son étoile hôte quand la planète b en fait trois, et il en est de même pour les planètes d et c. C’est ce que les astronomes appellent une résonance de moyen mouvement (voir l’Astronomie no 168, p. 76, février 2023), qui confère au système une très grande stabilité. Cette configuration particulière, appelée chaîne de résonance et étudiée en particulier par le physicien Pierre-Simon Laplace (1749-1927), laissait supposer que d’autres planètes pouvaient se trouver plus loin de l’étoile centrale, à des distances telles que leur période orbitale soit dans un rapport 3,2 avec celle de la planète précédente. C’est ainsi qu’une quatrième planète, HD 110067 e, a été repérée avec une période de 30,7931 jours (soit Pe/Pd = 1,5007).

Sur leur lancée, les auteurs de l’étude ont recherché d’autres planètes plus lointaines ayant des périodes orbitales dans un rapport de nombres entiers avec celles des planètes précédentes. C’est ainsi que, fouillant les données de TESS, ils ont détecté deux planètes lointaines en résonance 4,3 avec la précédente : HD 110067 f a une période de 41,0585 jours (Pf/Pe = 1,333 367) et HD 110067 g une période de 54,7699 jours (Pg/Pf = 1,333 95). Nous sommes donc bien en présence d’un système de six planètes en résonance de Laplace. Une configuration analogue dans le Système solaire est l’ensemble des trois satellites galiléens Io, Europe et Ganymède autour de Jupiter : Ganymède effectue une révolution autour de Jupiter pendant qu’Europe en fait 2 et Io 4.

2. Le système de HD 110067 comparé aux autres exoplanètes connues de type sub- Neptune. En a : période orbitale (en x) en fonction du rayon de la planète (en y) ; on voit que la planète e constitue un point singulier du système. Les planètes du système de
HD 110067 sont représentées par leur lettre. En b : diagramme masse-rayon. Pour les planètes c, e et g, les valeurs de la masse correspondent à des limites supérieures. Les courbes en pointillé représentent des modèles d’intérieurs planétaires ; de bas en haut : planètes rocheuses (Earth-like), planètes riches en eau (50% water), planètes riches en hydrogène et en hélium (2% et 5%). En c : température d’équilibre des planètes appartenant à des systèmes de 5 planètes ou plus, en fonction de la magnitude infrarouge de l’étoile hôte, mesurée dans le filtre J à 1,2 mm. Les magnitudes les plus élevées (en bas de l’échelle) correspondent aux étoiles les plus faibles. Le code couleur (TSM, transmission spectroscopy metric) indique une estimation de l’observabilité des planètes par spectroscopie à transit : cette méthode a pour but de caractériser l’atmosphère de l’exoplanète. Plus le TSM est élevé, plus le signal attendu pour la détection d’une atmosphère autour de la planète est élevé. Les sources en jaune clair sont donc les plus favorables. (© Luque et al. 2023)

 

Un ensemble compact et homogène de planètes chaudes, non telluriques, avec des atmosphères riches en hydrogène

Quelle est la nature des six planètes du système HD 110067 ? Elles ne ressemblent pas du tout à celles de notre Système solaire. Tout d’abord, elles forment un ensemble très compact et très proche de leur étoile : les distances s’échelonnent entre 20 et 70 rayons stellaires. Comparativement au Système solaire, cet ensemble serait entièrement contenu dans l’orbite de Mercure, elle-même située à 80 rayons solaires. De plus, les orbites sont vraiment coplanaires puisque les six planètes ont été observées en transit ; ce n’est pas le cas du Système solaire, les orbites des différentes planètes ayant par rapport à l’écliptique une inclinaison faible mais non nulle, et les planètes elles-mêmes étant très éloignées du Soleil. Comme dans le cas du système de TRAPPIST-1, les planètes sont suffisamment proches de leur étoile hôte pour être en rotation synchrone : elles présentent toujours le même côté à l’étoile, comme le fait la Lune vis-à-vis de la Terre.

En complément des observations de transit, le système de HD 110067 a fait l’objet de mesures de vitesses radiales avec les instruments CARMENES à l’observatoire de Calar Alto et HARPS-N à l’observatoire de La Palma, tous deux en Espagne. Ces mesures ont permis, d’une part, de déterminer la masse de trois planètes (5,7, 8,5 et 5,0 masses terrestres pour b, d et f respectivement) et, d’autre part, d’obtenir des limites supérieures de la masse pour les trois autres (6,3, 3,9 et 8,4 masses terrestres pour c, e et g respectivement). Les rayons des planètes s’échelonnent de 1,94 à 2,9 rayons terrestres. Là encore, le système de HD 110067 est radicalement différent du Système solaire : pas de planètes telluriques ou géantes, mais un ensemble remarquablement homogène de planètes dont les caractéristiques, assez voisines les unes des autres, se rapprochent de celles des sub-Neptunes, dont l’atmosphère est riche en hydrogène ; seule la planète e pourrait être plus dense et peut-être riche en eau. Quant aux températures de ces corps, elles peuvent être estimées à partir de la luminosité de l’étoile centrale et de la distance des planètes à celle-ci ; elles s’échelonnent de 800 K (527 °C) à 440 K (167 °C). Il s’agit donc de planètes chaudes, toutes situées en deçà de la zone habitable de l’étoile ; a priori, pas de probabilité d’y trouver de la vie…

 

Une cible de choix pour le JWST

Il n’est pas exclu que des mesures de transit ultérieures révèlent d’autres planètes ayant des périodes orbitales de plus de 70 jours. En attendant, le système de HD 110067 sera une cible de choix pour le JWST. La proximité de l’étoile, les périodes orbitales relativement courtes et la présence vraisemblable d’une atmosphère riche en hydrogène représentent autant de facteurs favorables pour caractériser leur atmosphère dans l’infrarouge proche et lointain.

 

Par Thérèse Encrenaz, Observatoire de Paris-PSL

Publié dans le n°179 de l’Astronomie

 

  1. R. Luque et al., « A resonant sextuplet of sub-Neptunes transiting the bright star HD 110067 », Nature 623, 2023, p. 932-937.
Osiris-Rex : De la difficulté d’ouvrir un bocal

Osiris-Rex : De la difficulté d’ouvrir un bocal

C’est le 24 septembre 2023 que l’échantillon provenant de l’astéroïde Bennu a atterri dans le désert de l’Utah, pour être immédiatement transporté au Johnson Space Center à Houston et placé dans la salle blanche qui lui est dédiée [1]. Plus précisément, c’est le porte-échantillons du système TAGSAM (Touch and Go Sample Acquisition Mechanism) [2] d’Osiris-Rex, qui avait permis la collecte des échantillons, qui a été installé dans une boîte à gants afin de retirer son couvercle en aluminium en prenant soin de ne pas égarer de précieuses poussières en cours d’opérations.

Quelques grammes supplémentaires de poussières de Bennu sur le couvercle de l’instrument TAGSAM, utilisé pour rapporter la matière qui a été collectée sur l’astéroïde par la mission Osiris-Rex.

Les scientifiques s’attendaient à trouver quelques particules sur le couvercle, mais pas dans de telles quantités ; avant même d’ouvrir le couvercle, 70,3  g de poussière sombre contenant des cailloux, plus que ce qu’espéraient les responsables de la mission, sont récupérés ; immédiatement, une partie d’entre eux est stockée dans des conditions optimales en vue d’être préservés pour le futur.

Toutefois, la suite des opérations pour ouvrir le récipient a donné à tous des sueurs froides. Il était en effet impossible de soulever le couvercle avec les outils qui étaient disponibles dans la salle blanche. Il semblerait que la suite de ces déboires serait due à des ennuis à l’atterrissage, une des anses du parachute ne s’étant pas déployée comme il fallait.

Début janvier, on apprend que les deux attaches, sur les trente-cinq fixant le couvercle, qui posaient problème ont pu être retirées.

Grâce à ce succès, l’examen des poussières collectées sur Bennu peut reprendre et l’équipe chargée de l’analyse espère publier un catalogue des échantillons rapportés par Osiris-Rex ce printemps.

Gros plan sur une partie du matériau provenant de l’astéroïde Bennu. (NASA/Erika Blumenfeld & Joseph Aebersold)

Par Janet Borg

Publié dans le numéro de l’Astronomie n°180

 

 

 

 

 

 

  1. Pour suivre l’épopée Osiris-Rex vers, sur et au retour de Bennu, relire les numéros de l’Astronomie 123, 135 et 176.
  2. Afin de collecter les échantillons sur l’astéroïde Bennu par une manœuvre de « touch and go », Osiris-Rex est équipé d’un système appelé TAGSAM (Touch-and-Go Sample Acquisition Mechanism). Il s’agit d’un bras articulé au bout duquel est fixée la tête arrondie du collecteur ; projetée vers le sol, elle le touche pendant environ 5 secondes, temps suffisant pour faire la collecte, alors qu’un jet d’azote souffle sur la surface pour attirer poussières et petits cailloux qu’il faudra aspirer. La collecte d’échantillons avec TAGSAM (revenu sur Terre avec son précieux chargement) a eu lieu il y a plus de trois ans, le 20 octobre 2020.

 

 

Séismes et avalanches de poussières sur Mars

Séismes et avalanches de poussières sur Mars

L’un des principaux objectifs de la mission InSight, qui s’est posée sur Mars en novembre 2018, était d’étudier la structure interne de cette planète. Équipée du sismomètre ultrasensible de fabrication française SEIS, la sonde a enregistré plus de 1 300 séismes martiens, dus à des mouvements internes ou, pour certains, provoqués par des impacts de météorites. Le dernier signal reçu avant l’arrêt de la mission date du 15 décembre 2022.

1. Une avalanche de glaces et de poussières sur Mars. Cette avalanche, observée par la caméra HiRISE de la sonde Mars Reconnaissance Orbiter en mars 2010, dévale une falaise d’environ 700 mètres de hauteur située dans la région polaire boréale. Dans ce cas précis, elle aurait été déclenchée par le réchauffement et la sublimation de CO2. (© NASA/JPL/University of Arizona)

 

Une particularité des séismes martiens est qu’ils pourraient donner naissance à des avalanches de poussières générées par ces mouvements du sol au passage des ondes sismiques. Pour illustrer cette hypothèse, une équipe internationale sous la responsabilité de chercheurs de l’Institut de physique du globe de Paris (IPGP) a croisé les données de SEIS avec des observations orbitales, notamment celle de la mission MRO [1], qui a déjà enregistré plusieurs avalanches (fig. 1). Cette comparaison a permis d’analyser et de comprendre les conséquences de l’activité sismique martienne sur l’évolution des terrains situés à proximité des foyers des séismes. Ces chercheurs ont tout particulièrement étudié les conséquences de deux événements sismiques particulièrement violents, S1000a et S1222a [2]. Ceux-ci ont eu lieu le 18 septembre 2021 et le 4 mai 2022 et sont (pour Mars) de magnitudes très élevées, respectivement 4,1 et 4,7 [3], comme rapporté dans l’Astronomie (no 163, septembre 2022).

Le premier événement, S1000a, est un impact météoritique qui a donné naissance à un cratère de 150 m de diamètre. En comparant les observations orbitales avant et après l’impact, un nombre important d’avalanches ont été observées après celui-ci. Toutefois, ces dernières seraient dues à des impacts secondaires et pas à la propagation d’ondes sismiques.

En ce qui concerne le second événement, S1222a, le scénario de déclenchement d’avalanches serait plus complexe, sans doute parce que la région sous-jacente présente une géologie plus compliquée. En effet, son épicentre est localisé près d’un volcan ancien, le volcan Apollinaris Patera (fig. 2), à une profondeur inférieure à 20 km, dans une région de terrains meubles à forte pente, propice à des déclenchements d’avalanches. L’activité sismique pourrait être liée à cet ancien volcan, bien que ce dernier ne soit sans doute plus en activité. Une autre hypothèse avancée par les chercheurs est l’existence d’une grande ride de 450 km de long située à proximité de l’épicentre.

2. Apollinaris Patera vu par la sonde Mars Global Surveyor en avril 1999. (© NASA/JPL/MSSS)

 

Le lien entre cette structure et l’activité sismique n’est pas encore bien compris. À noter que S1222a est l’événement le plus violent enregistré par SEIS, et qu’aucun nouveau cratère n’a été observé sur le sol martien à la suite de S1222a, excluant ainsi la possibilité d’un impact météoritique comme cause de la source du séisme.

Dès que S1222a a été détecté, les images provenant des observations orbitales des caméras HiRISE et CTX à bord de MRO, prises avant et après l’événement, ont été analysées. Plusieurs centaines d’images, complétées par des modélisations statistiques, ont été utilisées pour documenter le séisme et mieux comprendre le déroulé des événements ; ainsi, les chercheurs ont pu estimer que le taux d’avalanches, en moyenne de 3 %, est passé à plus de 40 % pour ce nouveau séisme [4]. Aucune tempête n’a eu lieu pendant la période couverte par ces observations, que ce soit avant ou après le séisme, qui aurait pu expliquer ces avalanches de poussières.

En conclusion, cette augmentation significative des avalanches dans des zones propices aux séismes suggère que les déformations du manteau jouent un rôle essentiel dans ces processus et que l’une des causes possibles des séismes sur Mars est la contraction thermique du manteau martien à cause du refroidissement de cette planète au cours du temps. De futures recherches permettront de mieux comprendre comment l’activité sismique martienne influence les processus de surface et de subsurface. Enfin, les conséquences visibles des séismes que sont les avalanches de poussières peuvent dans l’avenir servir d’outils pour documenter ces processus rapides que sont les impacts météoritiques et les séismes.

 

Par Janet Borg, Institut d’astrophysique spatiale

Publié dans le numéro de l’Astronomie n°182

 

 

 

 

 

 

  1. Mars Reconnaissance Orbiter (MRO) est une mission spatiale américaine de la Nasa en orbite autour de Mars qui a été lancée en août 2005 et dont l’objectif principal est de cartographier la surface de Mars. Il est équipé entre autres des deux instruments utilisés dans cette étude, à savoir la caméra du télescope HiRISE et celle de CTX (Context Imager) qui fournit des images monochromes complétant les clichés obtenus à plusieurs longueurs d’onde de HiRISE.
  2. A. Lucas et al., « Possibly seismically triggered avalanches after the S1222a Marsquake and S1000a impact event », Icarus, vol. 411, 2024, 115942, DOI : 10.1016/j.icarus.2023.115942.
  3. À titre de comparaison, 95 % des séismes enregistrés par SEIS depuis l’arrivée d’InSight sur Mars ont une magnitude inférieure à 3,5. Sur Terre, on enregistre des événements de magnitude beaucoup plus élevée ; par exemple autour de 6,8 pour le violent séisme qui s’est produit dans le Haut Atlas marocain le 8 septembre 2023.
  4. Un taux de 3 % signifie que 3 nouvelles avalanches apparaissent au cours d’une année martienne pour 100 avalanches existantes.

 

Combien de planètes  dans le Système solaire ?  Une histoire longue et inachevée…

Combien de planètes dans le Système solaire ? Une histoire longue et inachevée…

Le nombre de planètes orbitant autour du Soleil est une question moins anodine qu’il y paraît. Elle nous pousse à définir ce qu’est une planète avant de nous entraîner dans les couloirs de l’histoire de l’astronomie. La découverte de la ceinture d’Edgeworth-Kuiper, il y a une trentaine d’années, et son étude ont rebattu les cartes et suggèrent la présence d’une neuvième planète loin, très loin, au-delà de cette ceinture.

 

Combien y a-t-il de planètes dans le Système solaire ? Un livre d’astronomie récent, un astronome, professionnel ou amateur, ou même toute personne qui s’intéresse de près ou de loin à l’astronomie répondra facilement à cette question : le Système solaire abrite 8 planètes. En partant du Soleil, on trouve Mercure, Vénus, notre planète la Terre, Mars, Jupiter, Saturne, Uranus et enfin Neptune. Mais à la réflexion, cette question est moins simple qu’il y paraît. D’une part parce qu’elle appelle une autre question, plus difficile et quelque peu subjective : qu’est-ce qu’une planète ? Et d’autre part parce que la réponse donnée par les livres ou par les astronomes dépend de l’état actuel de nos connaissances. Elle n’est donc pas définitive. D’ailleurs, il y a seulement une vingtaine d’années, elle aurait été différente, tandis qu’au début du xxe siècle, Camille Flammarion aurait également répondu 8. Voyons cela plus en détail.

Le cortège planétaire du Soleil tel qu’on le représente depuis 2006. Aux planètes qui satisfont les critères de l’UAI, il faut ajouter des planètes naines, dont Cérès, Pluton et Éris (les distances ne sont pas à l’échelle). (Crédit NASA)

 

La définition de l’Union astronomique internationale

Comment définit-on une planète ? Et avant toute chose, est-il raisonnable de le faire ? Toute définition comporte en effet des zones d’ombre, une part de flou (volontaire ou non), ainsi qu’une pointe de subjectivité. Néanmoins, établir une définition permet de décrire un concept (ou de tenter de le faire) et, au-delà, d’entreprendre la classification d’objets ou d’observations, classification qui, à son tour, est très souvent un préalable à la compréhension d’un système, de sa formation et de son évolution. En l’occurrence, ici, le Système solaire. En 2006, motivée par la découverte de plusieurs objets transneptuniens, l’Union astronomique internationale (UAI) a ainsi apporté une définition au concept de planète. Cette définition a, comme nous venons de le souligner, une part de subjectivité, ce qui explique que son élaboration ait été assez mouvementée, et qu’elle est susceptible d’être révisée. Par ailleurs, elle se restreint volontairement au cas du Système solaire. Quoi qu’il en soit, la définition de l’UAI comporte trois critères qu’il est important de détailler :

  1. Une planète est en orbite autour du Soleil. Les satellites naturels des planètes, comme la Lune, Ganymède ou Titan, ne sont donc pas des planètes.
  2. Une planète a une masse suffisante pour parvenir à un équilibre hydrostatique, ce qui lui confère une forme presque sphérique. Ce critère un peu technique signifie qu’à une profondeur donnée, le poids d’une colonne de roche est compensé (équilibré) par la pression exercée par les roches. Concrètement, cela se produit pour des corps suffisamment massifs, qu’ils soient rocheux ou gazeux. Cela élimine de nombreux petits corps de forme irrégulière ou pas assez sphériques, comme la plupart des astéroïdes et des objets de la ceinture de Kuiper.
  3. Une planète a nettoyé le voisinage de son orbite. Autrement dit, une planète est suffisamment grosse pour éjecter ou absorber les objets se déplaçant sur des trajectoires proches de son orbite. Cette précision est importante car, comme nous allons le voir, elle est à l’origine du déclassement de Pluton de la catégorie des planètes vers celle des planètes naines, créée pour cette occasion. C’est aussi ce qu’avaient pressenti, sans vraiment le formaliser, les astronomes du xixe siècle lorsqu’ils décidèrent de ne pas ranger Cérès parmi les planètes. Nous y reviendrons également.

 

Selon la définition de l’UAI formulée en 2006, une planète doit avoir « fait le ménage » aux alentours de son orbite. C’est essentiellement le cas pour les planètes terrestres ainsi que les planètes géantes (dénotées J, S, U et N), mais pas pour Pluton, qui orbite dans la ceinture d’Edgeworth-Kuiper (représentée ici par les points bleus et orange). (© WilyD)

 

Plus de 5 000 exoplanètes ont été détectées à ce jour. Au regard de cette moisson, le fait que la définition de l’UAI ne concerne que le Système solaire peut sembler un peu trop restrictif. De fait, il est plus que tentant d’étendre cette définition aux exoplanètes. Cela demanderait de remplacer « Soleil » par « étoile parente » dans le 1er critère, modification mineure en apparence. En revanche, la définition de l’UAI est mise en défaut dans (au moins) deux cas de figure : les naines brunes et les planètes vagabondes. Rappelons brièvement que les naines brunes, souvent qualifiées « d’étoiles ratées », sont des objets qui ne sont pas suffisamment massifs pour amorcer la fusion d’hydrogène en hélium, mais qui le sont pour abriter la fusion du deutérium (ou hydrogène lourd, dont le noyau comporte un proton et un neutron) en hélium, qui se produit à des pressions et températures plus faibles. À part cela, les naines brunes remplissent parfaitement les critères de l’UAI, si ce n’est que le Système solaire n’en comporte a priori pas. Ce n’est pas le cas d’autres systèmes stellaires, puisque environ 3 000 naines brunes ont été répertoriées jusqu’à présent. Un amendement possible de la définition de 2006 pourrait préciser qu’une planète ne peut pas être le siège de réactions de fusion thermonucléaire. Reste que, d’un point de vue observationnel, la distinction entre les naines brunes et les planètes géantes gazeuses n’est pas si aisée. Les observations ne font pas apparaître, comme on pourrait s’y attendre, de lacunes (c’est-à-dire l’absence ou un nombre très réduit d’objets) de masse autour de la limite théorique entre naines brunes et géantes gazeuses. Cette limite est généralement fixée à 13 fois la masse de Jupiter, mais elle est sans doute beaucoup plus floue, et, comme le suggèrent certains astronomes, il est peut-être plus sage de ne pas la fixer trop précisément [1].

 

La naine brune Gliese 229b vue par le télescope du Mont Palomar (à gauche), et par le télescope spatial Hubble (à droite). Les naines brunes satisfont globalement aux critères de l’UAI transposés à d’autres étoiles que le Soleil. Pour autant, et contrairement à l’idée que l’on se fait d’une planète, elles abritent des réactions thermonucléaires en leur cœur. (T. Nakajima and S. Kulkarni [CalTech], S. Durrance and D. Golimowski [JHU], NASA)

Détectées dès les années 2000 par imagerie directe ou grâce à la technique des microlentilles gravitationnelles, les planètes vagabondes, comme leur nom l’indique, ne sont pas liées à une étoile hôte [2]. Deux scénarios principaux (et non exclusifs) permettent d’expliquer leur origine. D’une part, les planètes vagabondes pourraient s’être formées dans des systèmes stellaires, tout comme les planètes ordinaires, puis avoir été éjectées de ceux-ci par le jeu de perturbations gravitationnelles. D’autre part, elles pourraient se former directement par effondrement de petits nuages de gaz, c’est-à-dire selon un processus analogue à la formation des étoiles. Quoi qu‘il en soit, un autre amendement à la définition de l’UAI pourrait préciser qu’une planète, même abandonnée par son étoile parente ou orpheline, reste une planète.

Naines brunes et planètes vagabondes montrent, comme on l’a souligné, que définir ce qu’est une planète n’est pas aussi facile qu’il y paraît. Cela étant, prenons pour acquise la définition de l’UAI, tout en gardant à l’esprit ses limites, et revenons à la question du nombre de planètes dans le Système solaire.

 

De l’Antiquité au XVIIe siècle : 5 planètes et la Terre

La définition d’une planète étant posée, combien d’objets satisfaisant à cette définition existe-t-il dans le Système solaire ? Comme on s’en doute, la réponse à cette question a évolué au cours du temps. Sans connaître les subtilités de la définition moderne d’une planète, les civilisations anciennes, depuis Babylone jusqu’aux Grecs et aux Romains, avaient identifié 5 objets visibles à l’œil nu et se déplaçant sur un fond d’étoiles fixes. Les Grecs qualifiaient ces objets « d’astres errants » (πλανήτηζ ou planêtês), dénomination qui constitue l’étymologie du mot « planète » dans de nombreuses langues dont, bien évidemment, le français. À ces astres errants il faut ajouter le Soleil et la Lune qui, eux aussi, se déplacent par rapport aux étoiles. Sept objets au total, que les philosophes grecs, dont Platon et Aristote, situaient sur des sphères concentriques, une pour chaque astre (dans l’ordre, la Lune, Mercure, Vénus, le Soleil, Mars, Jupiter et Saturne), centrées sur la Terre et tournant autour de celle-ci. Au iie siècle après J.-C., Claude Ptolémée perfectionna ce système géocentrique en introduisant les épicycles, qui lui permettaient de mieux expliquer les mouvements observés. Par ailleurs, les Romains associaient chacun de ces sept objets à une divinité de leur panthéon, et à un jour de la semaine : le lundi pour la Lune (associée à la déesse Luna, elle-même identifiée à Diane), du mardi au samedi pour les 5 planètes (Mars, Mercure, Jupiter, Vénus et Saturne), et le dimanche pour le Soleil (associé au dieu Sol). Il en reste bien sûr une trace dans le nom des jours de la semaine que nous utilisons, mis à part le samedi et le dimanche qui, en français, ont une origine hébraïque. Dans le monde anglo-saxon, par contre, les deux derniers jours de la semaine restent bien associés à Saturne (Saturday) et au Soleil (Sunday). La Lune est, comme en français, liée au premier jour de la semaine (Monday), mais les 4 jours restants sont associés à des dieux nordiques ou germaniques correspondant plus ou moins aux dieux romains [3].

L’astronomie chinoise répertorie elle aussi 5 astres errants, ou planètes, auxquels elle associe, d’une part, une signification astrologique particulière et, d’autre part, une couleur et un élément de base de la philosophie chinoise [4]. Ainsi, Mercure la noire est associée à l’eau, Vénus la blanche au métal, Mars la rouge au feu, Jupiter la bleue au bois, et Saturne la jaune à la terre ; appellations que le monde chinois utilise aujourd’hui encore pour désigner ces cinq planètes : étoile d’eau (水星), de métal (金星), de feu (火星), de bois (木星) et de terre (土星). Mais surtout, les astronomes chinois ont mesuré avec précision les positions de ces planètes sur de longues périodes, ce qui leur a permis de déterminer qu’elles suivaient des mouvements cycliques et, par extension, de prédire leurs positions à venir. En se basant sur l’écart entre les positions prédites par les observations passées et les positions observées à un instant donné, les astronomes chinois ont progressivement affiné ces trajectoires. Le plus ancien texte connu décrivant les planètes et leurs mouvements est le Wuxingzhan (Divination par les 5 planètes).

 

Le Wuxingzhan (« Divination par les 5 planètes »), retrouvé en 1972 dans la tombe de Mawangdui, datée autour de 170 avant J.-C. Ce manuscrit, écrit sur un rouleau de soie, décrit les mouvements de Vénus, Jupiter et Saturne sur une période de 70 ans, entre –245 et –176. (© Hunan Museum)

 

Il date du début du IIe siècle avant J.-C., et on y apprend, notamment, que les périodes des cycles de Jupiter et de Saturne, c’est-à-dire le temps mis par ces planètes pour revenir en un point précis du ciel, sont d’environ 12 et 30 ans. On retrouve une description détaillée des mouvements planétaires dans « Le livre des officiers célestes », chapitre d’une encyclopédie plus vaste composée par l’historien Sima Qian durant le ier siècle avant notre ère. Ce livre indique en particulier la durée (en jours) pendant laquelle le mouvement d’une planète donnée est prograde (d’ouest en est) ou rétrograde (d’est en ouest), ainsi que la durée pendant laquelle cette planète n’est pas visible.

Le système héliocentrique, selon lequel les planètes tournent autour du Soleil (et non de la Terre), n’ayant pas encore fait son chemin, le monde antique ainsi que la Chine ancienne et l’Occident médiéval sont peuplés de 5 planètes. Il fallut un peu de temps, mais aussi la détermination et les travaux de savants comme Nicolas Copernic, Johannes Kepler et Galilée pour comprendre et faire admettre que la Terre elle-même tourne autour du Soleil (et non l’inverse), et que par conséquent elle est une planète presque comme les autres [5]. Vers le milieu du xviie siècle, le système héliocentrique semblait toutefois admis, si bien qu’un astronome de cette époque pouvait compter 6 planètes (les 5 planètes visibles à l’œil nu plus la Terre) dans le Système solaire. À partir de là, les choses s’accélérèrent.

 

Le télescope de 7 pieds de William Herschel, c’est avec ce télescope, construit par ses propres soins, qu’il découvrit Uranus le 13 mars 1781. (Wikipedia)

 

Deux nouvelles planètes et des astéroïdes

Au xviiie siècle, l’idée que la formation de la Terre telle qu’elle est décrite dans la Bible n’est que symbolique se développa, ce qui permit à des savants comme Georges Buffon d’élaborer d’autres scénarios. Dans cette lignée, Emmanuel Kant proposa en 1755 une théorie de la formation du Système solaire à partir d’un disque de gaz et de matière en rotation, thèse qui préfigurait les théories modernes sur ce sujet. Les considérations qu’il développa pour démontrer cette théorie et expliquer comment les planètes et les comètes acquièrent leurs trajectoires l’amenèrent à conclure que d’autres planètes existent peut-être au-delà de Saturne. Intuition brillante, et surtout confirmée un demi-siècle plus tard (en mars 1781) par William Herschel, astronome britannique d’origine allemande, qui découvrit Uranus par hasard, alors qu’il effectuait des relevés pour établir son catalogue stellaire à l’aide de son télescope de sept pieds. Herschel pensa d’abord qu’il s’agissait d’une comète et, sans doute par excès de prudence, continua de le penser pendant encore quelques mois. Les observations réalisées par d’autres astronomes, suite au signalement effectué par Herschel, ne laissèrent toutefois pas de place au doute. Elles montraient en effet que l’objet détecté par Herschel se déplaçait sur une orbite de faible excentricité, ce qui n’est pas le cas des comètes. En 1783, Uranus fut ainsi définitivement admise parmi les planètes du Système solaire, même si le consensus sur son nom fut beaucoup plus lent à établir [6]. À noter que, selon certains travaux historiques, Uranus pourrait avoir été observée dès l’Antiquité, en 128 av. J.-C., par l’astronome grec Hipparque, qui l’aurait prise pour une étoile fixe.

Urbain Le Verrier et un extrait des calculs de perturbation gravitationnelle qui lui permirent de déterminer la position de Neptune.
(© Observatoire de Paris)

 

Les astronomes se sont toutefois vite aperçus qu’Uranus ne se comportait pas tout à fait comme prévu. Son orbite est irrégulière, c’est-à-dire qu’elle s’écarte de la trajectoire prédite par les calculs basés sur la théorie de la gravitation universelle et tenant compte des planètes connues. Pour expliquer ces anomalies, les astronomes firent alors l’hypothèse qu’une autre planète devait être présente au-delà d’Uranus, et que cette planète inconnue exercerait une très légère attraction sur Uranus. Plusieurs astronomes se lancèrent alors dans des calculs visant à prédire la position de cette éventuelle huitième planète, histoire riche en rebondissements que nous ne détaillerons pas ici. Rappelons simplement que cette recherche fit l’objet d’une âpre controverse entre les astronomes français et anglais. Ces efforts furent néanmoins couronnés de succès puisque, sur la base des calculs d’Urbain Le Verrier, plus tardifs mais aussi plus précis que ceux de John Adam Couch, Johann Galle découvrit Neptune en septembre 1846. Là encore, il semblerait que Neptune ait été observée bien plus tôt par plusieurs astronomes, notamment par Galilée, mais qu’elle ait été considérée comme une étoile fixe. Pour l’histoire des sciences, Neptune restera donc la première planète à avoir été découverte grâce à des calculs de perturbations gravitationnelles. Fort de son succès, Urbain Le Verrier chercha à expliquer les perturbations de l’orbite de Mercure par la présence d’une petite planète, un peu trop précocement nommée Vulcain, entre Mercure et le Soleil. Ces recherches n’aboutirent pas. Et pour cause : on sait aujourd’hui qu’une telle planète n’existe pas, et que les perturbations de l’orbite de Mercure sont une conséquence de la relativité générale, qui ne sera formulée qu’en 1915 par Albert Einstein.

Entre les découvertes d’Uranus et de Neptune, un autre corps a bien failli rejoindre le cortège planétaire du Soleil. Découvert en 1801, Cérès a, dans un premier temps, comblé les supporters de la loi de Titius-Bode, relation mathématique empirique qui permet de déterminer approximativement les distances des planètes au Soleil, mais qui n’a pas de fondement physique. Selon cette loi, une planète devait s’intercaler entre Mars et Jupiter, et c’est précisément dans cet intervalle que Cérès se situe. L’espoir que l’existence de Cérès validerait la loi de Titius-Bode fut vite déçu avec la découverte d’autres petits corps à des distances similaires, notamment Pallas (1802), Junon (1804) et Vesta (1807), découvertes qui poussèrent les astronomes à s’interroger sur le statut de ces petits objets. Dans un premier temps, ils furent considérés comme des planètes à part entière, si bien qu’un manuel d’astronomie des années 1830 pouvait compter jusqu’à 11 planètes dans le Système solaire. Mais vers le milieu du xixe siècle, les discussions aboutirent à la conclusion que ces objets, parfois appelés planètes télescopiques, étaient trop nombreux (plus d’une douzaine en 1850) pour que l’on puisse raisonnablement les faire entrer dans la catégorie des planètes. En revanche, cela a conduit les astronomes à définir une nouvelle catégorie d’objets, les astéroïdes, dont Cérès est le représentant le plus gros. Notons au passage qu’étymologiquement, ce terme, forgé par William Herschel, signifie « qui a l’aspect d’une étoile ». Il reflète ainsi la volonté de distinguer clairement ces nouveaux objets des planètes. Aujourd’hui, on estime le nombre d’astéroïdes de plus d’un kilomètre entre 700 000 et 1 700 000, l’immense majorité d’entre eux orbitant à des distances comprises entre 2,1 et 3,3 unités astronomiques (ua).

 

Le cas de Pluton et de la ceinture d’Edgeworth-Kuiper

La présence de Neptune n’a pas permis d’expliquer complètement les perturbations de l’orbite d’Uranus (des calculs plus récents semblent toutefois indiquer que si). Pire, on s’est aperçu que l’orbite de Neptune est elle-même perturbée. Comme dans le cas d’Uranus, la conclusion qui s’est imposée aux astronomes était qu’il devait exister une (ou plusieurs) planète(s) au-delà de Neptune. Camille Flammarion, par exemple, postula l’existence de deux planètes transneptuniennes, qu’il situait à des distances de 100 et 300 ua. Mais c’est surtout l’astronome et mathématicien américain Percival Lowell qui s’illustra dans cette nouvelle quête. En utilisant la méthode développée par Le Verrier, Lowell prédit la présence d’une 9e planète à une distance de 47,5 ua du Soleil. À partir de 1905, l’observatoire de Flagstaff (Arizona), qu’il fit construire en 1894 pour étudier la surface de Mars, fut en partie employé à la recherche d’une 9e planète. Les efforts de Percival Lowell ne furent pas récompensés. Après sa mort, en 1916, il fallut même quelques années avant que les recherches reprennent. Celles-ci aboutirent cependant à la découverte de Pluton par Clyde Tombaugh, en 1930. Pluton se situe à environ 40 ua du Soleil mais, par rapport aux autres planètes, son orbite est très excentrique (e = 0,250), si bien que son périhélie et son aphélie (ses distances d’approche minimale et maximale au Soleil) sont de 29,6 et 49,3 ua. En fait, sa trajectoire croise celle de Neptune, planète avec laquelle elle est en résonance 3:2, c’est-à-dire que Neptune accomplit trois orbites pendant que Pluton en parcourt deux. Autre particularité, l’orbite de Pluton est très inclinée par rapport au plan de l’écliptique (i = 17,1°). Enfin, si les premières estimations de la taille de Pluton laissaient entrevoir une planète un peu plus petite que la Terre, les mesures d’occultations stellaires réalisées vers la fin des années 1970 ont drastiquement revu cette estimation à la baisse, avec un rayon de seulement 1 200 km (très proche de la valeur mesurée avec la sonde spatiale New Horizons, 1 188 km). À la même époque, les astronomes découvrent que Pluton possède un satellite, Charon [7], ce qui permit de déterminer sa masse, tout juste 2 millièmes de celle de la Terre. Au fil des années, Pluton est donc apparu comme un objet peu massif, petit et se déplaçant sur une trajectoire inhabituelle pour une planète. De quoi se poser des questions.

 

Les plaques photographiques prises par Clyde Tombaugh ayant permis la découverte de Pluton (à la pointe de la flèche) en 1930.
(© Lowell Observatory Archives)

 

Mais c’est au début des années 1990 que, suite à un bis repetita dont l’histoire des sciences a le secret, les affaires se gâtèrent vraiment pour Pluton. En 1992, deux astronomes américains, David Jewitt et Janet Luu, détectèrent un petit objet, 1992QB1 (renommé par la suite Albion), autour de 45 ua, donc proche de l’orbite de Pluton. Dans les mois et les années qui suivirent, plusieurs autres objets furent observés à des distances comparables. Certains de ses objets, avec des rayons de plusieurs centaines de kilomètres, sont même assez imposants. Mieux, en 2005, Mike Brown découvrit Éris, dont la taille (1 160 km de rayon) est quasiment égale à celle de Pluton, et que certains considérèrent brièvement comme la dixième planète du Système solaire [8]. Voilà qui rappelle les circonstances dans lesquelles Cérès puis la ceinture d’astéroïdes furent découverts, avec, certes, un temps de latence beaucoup plus long. À la vérité, les astronomes soupçonnaient déjà depuis quelques décennies la présence de nombreux petits corps dans cette partie du Système solaire, aujourd’hui connue sous le nom de ceinture d’Edgeworth-Kuiper, qui s’étend entre 30 et 50 ua [9]. Dès les années 1940, Kenneth Edgeworth avait en effet émis l’hypothèse que le matériau formé au-delà de Neptune, trop espacé et en trop petite quantité, n’avait pas pu se rassembler pour former une planète, et qu’il devait donc subsister à ces distances un disque de petits corps très primitifs. Un peu plus tard, Gerard Kuiper suggéra que la plupart des objets de ce disque primitif avaient été dispersés et éjectés plus loin dans le Système solaire sous l’effet de perturbations gravitationnelles exercées par Pluton, que l’on pensait beaucoup plus massif à l’époque. La détection de petits objets dans l’environnement de Pluton est venue confirmer l’hypothèse de Kenneth Edgeworth et invalider celle de Gerard Kuiper.

Assez logiquement, la présence de ces petits objets amena aussi l’UAI à se réunir pour élaborer une définition aussi précise que possible de ce qu’est une planète. Le troisième critère de cette définition, que l’on a rappelé au début de cet article, exclut de facto Pluton de la catégorie des planètes. Depuis 2006, on ne compte ainsi plus que 8 planètes dans le Système solaire. En guise de lot de consolation, l’UAI a créé la catégorie des planètes naines dans laquelle Cérès et trois objets de la ceinture d’Edgeworth-Kuiper (Éris, Hauméa et Makémaké) sont venus rejoindre Pluton. Pluton a par ailleurs fait l’objet d’une mission spatiale dédiée, New Horizons, mission conçue alors que Pluton était encore rangé parmi les planètes et lancée l’année même de son déclassement. Et comme pour faire un pied de nez aux scientifiques qui l’ont rétrogradé, Pluton s’est révélé être un monde incroyablement riche d’un point de vue géologique.

 

Orbites de 6 objets détachés de la ceinture d’Edgeworth-Kuiper. Les fortes inclinaisons de ces orbites (cartouche en haut à gauche) et la concentration des périhélies dans un secteur restreint du Système solaire pourraient être le résultat de perturbations gravitationnelles exercées par une neuvième planète située au-delà de la ceinture de Kuiper. L’orbite possible d’une hypothétique neuvième planète est indiquée en rouge. Le cartouche en haut à droite fait un zoom sur le Système solaire externe.(© F. Deschamps)

 

Une neuvième planète, en fin de compte ?

La mise en évidence de la ceinture d’Edgeworth-Kuiper a eu une autre conséquence. Parmi les objets la peuplant se trouvent les objets détachés, ou épars, ainsi dénommés car ils circulent sur des orbites très excentriques dont les périhélies se situent à plus de 35 ua et les aphélies peuvent largement dépasser 100 ua. Cela les amène bien au-delà de la limite externe de la ceinture de Kuiper classique, fixée à 50 ua. Autre particularité, les orbites de ces objets sont, comme celle de Pluton, très inclinées par rapport au plan de l’écliptique. L’objet épars le plus connu est sans doute Sedna, dont le diamètre atteint quasiment 1 000 km, et dont le périhélie et l’aphélie se situent respectivement à 76 et 937 ua. Les astronomes se sont rendu compte que les orbites de certains objets épars, dont Sedna, étaient confinées dans un secteur du ciel relativement restreint. Plus précisément, c’est l’argument du périhélie (c’est-à-dire l’angle entre les directions du nœud ascendant et du périhélie) de ces orbites qui se concentre autour d’une valeur particulière, configuration qui a peu de chance d’être le simple fruit du hasard. En revanche, cette configuration pourrait résulter de perturbations gravitationnelles induites par un objet relativement massif orbitant au-delà de la ceinture d’Edgeworth-Kuiper. Autrement dit, une neuvième planète très lointaine. Selon certains calculs, cette neuvième planète, si elle existe, pourrait avoir une masse de 5 à 15 masses terrestres, et se déplacerait sur une orbite de demi-grand axe compris entre 400 et 800 ua.

La présence d’un objet de cette taille aussi loin du Soleil pose toutefois une autre question : à cette distance, la quantité de matériau disponible pour fabriquer une planète est limitée, et il est peu probable qu’une grosse planète puisse s’y former. Mais selon certains astronomes, il est possible qu’une telle planète se soit formée plus près du Soleil, en deçà de la ceinture d’Edgeworth-Kuiper, avant d’être éjectée sur son orbite actuelle par des perturbations gravitationnelles induites par la migration de Neptune et d’Uranus vers l’extérieur du Système solaire. Quoi qu’il en soit, depuis quelques années, plusieurs équipes d’astronomes se sont lancées à la recherche d’une éventuelle neuvième planète. La tâche n’est pas simple, mais elle n’est pas hors de portée des instruments actuels, notamment du télescope Subaru installé sur l’île de Mauna Kea (Hawaï) et, dans le domaine infrarouge, du satellite WISE (Wide-field Infrared Survey Explorer).

 

Le Système solaire et au-delà

Au fil du temps, l’image que l’on s’est faite du Système solaire, notre connaissance de sa formation, de sa structure, des objets qui le peuplent et de la nature de ces objets, ont beaucoup évolué. Par conséquent, le nombre de planètes connues a, lui aussi, changé. À ce jour, et selon les critères définis en 2006 par l’Union astronomique internationale, 8 planètes ont été détectées dans le Système solaire. Mais la possibilité qu’une neuvième planète soit présente bien au-delà de la ceinture d’Edgeworth-Kuiper est bien réelle.

Pour conclure, comment ne pas évoquer une aventure scientifique qui a débuté il y a à peine un quart de siècle, et qui ne fait sans doute que commencer : la détection de systèmes planétaires autour d’autres étoiles. Comme nous l’avons dit, plus de 5 000 exoplanètes ont été détectées jusqu’à présent. Elles orbitent autour de près de 4 000 étoiles, et 800 d’entre elles possèdent deux planètes ou plus. Pour l’instant, le record est détenu par Kepler-90, une étoile un peu plus massive que le Soleil, avec… 8 planètes, dont 2 géantes gazeuses. Kepler-90 pourrait être détrônée par t Ceti, une proche voisine située à seulement 12 années-lumière de nous, légèrement moins massive que le Soleil, et qui, selon certaines études, abriterait 9 ou 10 planètes, ainsi qu’un disque de débris analogue à la ceinture d’Edgeworth-Kuiper. Toutefois, dans ces deux systèmes, et mis à part le disque de débris de t Ceti, les cortèges planétaires sont confinés dans des espaces relativement réduits, de l’ordre de 1 à 2 ua. Pour le moment, notre Système solaire, avec sa configuration de 8 planètes s’échelonnant entre 0,4 et 30 ua, semble unique. L’avenir nous dira sans doute s’il s’agit là d’un biais observationnel ou si le Système solaire est réellement un cas singulier, ou pour le moins très rare.

 

par  Frédéric Deschamps, IESAS, Taipei, Taïwan

Publié dans le numéro de l’Astronomie n°184

 

 

 

 

 

 

  1. Selon certaines études, une lacune pourrait exister autour de 25 masses de Jupiter. Toutefois, d’autres contraintes observationnelles demeurent, y compris l’incertitude sur les mesures, ce qui complique la définition d’une masse limite. Lire à ce sujet Schneider J. et al., « Defining and cataloging exoplanets: the exoplanets.eu database », Astronomy & Astrophysics, 532, A79, 2011, doi: 10.1051/0004-6361/201116713.
  2. Voir à ce sujet l’article de Núria Miret-Roig dans le numéro 167 (janvier 2023) de l’Astronomie.
  3. Par exemple, Thor, le dieu nordique du tonnerre équivalent de Zeus, a donné « Thursday », et Tiw, dieu germanique de la guerre, est à l’origine de « Tuesday ».
  4. On trouvera plus de détails sur l’observation des planètes par les astronomes chinois dans le livre de Jean-Marc Bonnet-Bidaud 4 000 ans d’astronomie chinoise paru aux éditions Belin.
  5. « Presque », car, comme le rappelle le Petit Prince, « la Terre n’est pas une planète ordinaire ». C’est notre planète.
  6. Il faudra en effet attendre plus de 60 ans… Précisons que dans la mythologie romaine (grecque), Uranus (Ouranos) est le père de Saturne (Cronos) et donc le grand-père de Jupiter (Zeus).
  7. Quatre autres satellites, Hydre, Nix, Kerbéros et Styx, beaucoup plus petits, seront découverts par la suite.
  8. À noter qu’Éris se déplace sur une orbite très excentrique (e = 0,436) dont le périhélie (38,3 ua) se situe dans la ceinture d’Edgeworth-Kuiper, mais dont l’aphélie se trouve bien au-delà (97,5 ua), ce qui en fait un objet épars.
  9. La découverte de la ceinture d’Edgeworth-Kuiper et le déclassement de Pluton sont racontés, de façon très personnelle, dans le livre de Mike Brown, How I killed Pluto, and why it had it coming (Comment j’ai tué Pluton et pourquoi il l’a mérité).

 

Instagram
YouTube
YouTube
Follow by Email