LE MAGAZINE DES SCIENCES DE L’UNIVERS EN AFRIQUE
OISA et le Meeting RR Lyrae 2024  : Un Tremplin pour les Collaborations en Astronomie

OISA et le Meeting RR Lyrae 2024 : Un Tremplin pour les Collaborations en Astronomie

Le mois de novembre 2024 a marqué une avancée remarquable pour l’astronomie en Afrique, grâce à l’organisation de deux événements scientifiques de premier plan à Marrakech, Maroc : la huitième édition de l’École Internationale d’Astrophysique d’Oukaimeden (OISA) (co chair : jamila Chouqar/Abdelmajid Benhida) et le Meeting RR Lyrae et Céphéides 2024 (co-chair: Abdelmajid Benhida/ Zouhair Benkhaldoun):  https://cep24.uca.ma/  . 

Ces manifestations, orchestrées par l’Université Cadi Ayyad et l’Observatoire d’Oukaimeden, ont rassemblé des scientifiques, des éducateurs et des étudiants de divers horizons, affirmant le rôle de l’Afrique dans la recherche astronomique mondiale.

 

L’Observatoire d’Oukaimeden : Une Plateforme Unique pour la Recherche et la Collaboration

L’Observatoire d’Oukaimeden s’est imposé comme un acteur clé dans l’organisation de ces événements, offrant non seulement des infrastructures de recherche de pointe, mais aussi un cadre exceptionnel pour inspirer les collaborations scientifiques. Situé à plus de 2 700 mètres d’altitude dans les montagnes de l’Atlas, cet observatoire est devenu un pôle de convergence pour les chercheurs du monde entier, grâce à ses contributions majeures à des programmes internationaux et son engagement dans le développement des sciences en Afrique.

En accueillant des excursions et des ateliers pratiques, l’Observatoire a démontré son rôle central dans la vulgarisation scientifique et la sensibilisation à l’astronomie, tout en renforçant son image comme un catalyseur d’échanges scientifiques internationaux.

 

Une Équipe à l’Origine de Réalisations Remarquables

Ces événements ont été portés par une équipe dynamique et expérimentée, qui a également orchestré avec succès la cinquième conférence de l’African Astronomical Society (AfAS) en avril 2024 à Marrakech. Cette conférence avait rassemblé des acteurs clés de l’astronomie africaine et internationale, consolidant le rôle du Maroc comme un hub scientifique régional.

Par ailleurs, la même équipe a joué un rôle actif dans l’organisation de l’Assemblée Générale de l’Union Astronomique Internationale (IAU) en août 2024 à Cape Town, un événement majeur qui a réuni des milliers de scientifiques du monde entier. La gestion de ces deux rendez-vous, en parallèle des préparatifs pour OISA et le Meeting RR Lyrae, a représenté un défi de taille, relevé avec brio.

 

OISA 2024 : Une Formation d’Excellence au Service des Talents de Demain

L’École Internationale d’Astrophysique d’Oukaimeden (OISA) a réuni pendant cinq jours des participants africains et internationaux autour d’un programme intensif consacré à la physique stellaire. Grâce à des conférences animées par des experts mondialement reconnus et à des ateliers basés sur les données des missions spatiales (TESS, Kepler, Gaia), les participants ont approfondi des thématiques clés telles que les relations période-luminosité-couleur, la spectroscopie des étoiles variables et l’analyse des données astrophysiques.

OISA 2024 a également illustré l’engagement stratégique de l’Afrique dans le développement des compétences en astronomie. La collaboration avec des chercheurs sud-africains de renom a mis en lumière le potentiel du continent pour s’imposer comme un acteur incontournable de la recherche mondiale. L’accès à des infrastructures de pointe, comme le Southern African Large Telescope (SALT), ainsi que l’échange d’expertises, témoignent de l’ambition croissante de la communauté astronomique africaine.

 

Le Meeting RR Lyrae et Céphéides : Un Rendez-vous d’Envergure Internationale

Quelques jours après OISA, le Meeting RR Lyrae et Céphéides 2024 a rassemblé 90 participants originaires de 26 pays dans un format hybride innovant. Ce cinquième rendez-vous a abordé des enjeux scientifiques majeurs autour des pulsateurs classiques – les RR Lyrae et les Céphéides – éléments essentiels pour la mesure des distances cosmiques et la compréhension de l’évolution stellaire.

Le programme, soigneusement élaboré, a exploré des thématiques complexes telles que l’effet Blazhko, les contributions des missions spatiales telle que GAÏA, et les perspectives offertes par les projets terrestres. Des sessions dédiées ont également permis de valoriser les capacités de l’Observatoire d’Oukaimeden, renforçant son positionnement comme un acteur incontournable de l’astronomie au sol.

Des Intervenants de Prestige pour un Contenu d’Exception

Ces événements se sont distingués par un programme scientifique d’une qualité exceptionnelle. Parmi les intervenants, Adam Riess, Prix Nobel de Physique 2011, a captivé l’audience avec une conférence portant sur les limites et promesses du télescope spatial James Webb dans le contexte de la tension de Hubble (différence de mesure entre la méthode directe par mesures des distances, et la méthode utilisant le fond diffus cosmologique pour déterminer la vitesse de fuite des objets extragalactiques).

Des chercheurs de renom, tels que Kathy Vivas, Robert Szabó, Sylvia Ekström, Radek Smolec,  Katrien Kolenberg et Vincenzo Ripepi, ont enrichi les discussions avec des présentations couvrant des sujets variés : la modélisation numérique des pulsations stellaires, la photométrie spatiale et les implications des RR Lyrae et Céphéides pour la cosmologie. Ces échanges ont mis en lumière les avancées scientifiques récentes et ouvert la voie à de nouvelles collaborations.

Un Tremplin pour l’Astronomie Africaine dans le domaine des étoiles variables

En renforçant les compétences des chercheurs, en mobilisant des experts internationaux et en valorisant des infrastructures locales comme l’Observatoire d’Oukaimeden, ces événements ont consolidé la place de l’Afrique dans le paysage astronomique mondial. La synergie entre les chercheurs, les institutions et les infrastructures locales témoigne d’une ambition partagée : faire de l’Afrique un partenaire essentiel dans l’exploration scientifique de l’univers.

 

Astronomie pour Tous

Au cours de  ce meeting international RRL cep2024,  plusieurs  conférences grand public ont été données par des astrophysiciens de renommée internationale :  Kathy Vivas ( Université de Yale)  et Rachael Beaton (Princeton University)  . 

Les organisateurs se sont également fixés comme objectif de promouvoir l’astronomie inclusive et d’orienter les jeunes élèves vers les domaines STEM. Des visites à des internats de jeunes filles (Dar Taliba Marrakech) et à des écoles dans et autour de Marrakech qui promeuvent l’éducation pour les filles rurales, en particulier celles issues de milieux défavorisés, ont été organisées.

En conclusion, l’OISA 2024 et le Meeting RR Lyrae et Céphéides 2024 ont illustré avec brio le potentiel scientifique de l’Afrique. Ces événements ne se contentent pas de promouvoir l’excellence académique : ils construisent également un pont entre l’Afrique et la communauté scientifique internationale, ouvrant des perspectives prometteuses pour l’avenir de l’astronomie en générale et la physique stellaire en particulier , en prenant rendez vous pour une présence africaine encore plus importante au cours de la prochaine édition qui aura lieu en Chili en 2026.

 

par : Dr. Jamila Chouqar et Prof. Zouhair Benkhaldoun

Asamaan : les météores au Sénégal sous surveillance

Asamaan : les météores au Sénégal sous surveillance

Une équipe de recherche Franco-Sénégalaise, menée par François Colas (CNRS) et composée de membres de l’Université Numérique Cheikh Hane (UNHCK), de l’Université Cheikh Anta Diop de Dakar (UCAD), et de l’Institut de Recherche pour le Développement (IRD) a installé entre 2022 et 2024 les premières caméras d’observation du ciel qui font partie d’un réseau mondial de surveillance des météores. Ce réseau est dénommé avec l’acronyme FRIPON qui signifie « Fireball Recovery and InterPlanetary Observation Network » (Réseau d’observation et de récupération des bolides interplanétaires). La partie Sénégalaise de ce réseau, déjà composée de 7 caméras, se nomme Asamaan, ce qui signifie Ciel en Wolof.

Dans le sillage de l’Initiative Africaine pour les Sciences des Planète et de l’Espace lancée fin 2017 (http://africapss.org), le Sénégal poursuit donc son aventure spatiale tous azimuts, sous l’impulsion et la vision de Maram KAIRE, Directeur de l’Agence Sénégalaise d’Etudes Spatiales, crée en 2022. La mise en place réussie de ce réseau est indissociable du succès des Espaces Numériques Ouverts (ENO) de l’UNCHK. Les ENO permettent à des milliers de jeunes Sénégalaises et Sénégalais, vivant loin de Dakar, ou des principales universités du pays, de suivre à distance des formations diplômantes. Ces bâtiments dotés d’une infrastructure numérique performante forment un maillage sur le territoire du Sénégal idéal pour le déploiement de capteurs scientifiques tels que les caméras du réseau Asamaan.

A quoi sert le réseau FRIPON, et pourquoi son extension au Sénégal (Asamaan) est importante ? Le réseau FRIPON a pour objectif la détection des météores et la recherche de nouvelles chutes de météorites. Il a pour but de répondre aux questions suivantes : Quelle quantité de matière interplanétaire tombe sur la Terre ? D’où viennent ces objets ? Quelle est leur origine ? Quels sont leurs corps parents ? Initié en France en 2013, son extension à d’autres pays a pour but d’atteindre une description toujours plus complète de la matière interplanétaire tombant sur la Terre pour une gamme de tailles de 1 cm à 1 mètre. Le Sénégal offre une opportunité de compléter les capacités de surveillance du réseau vers le ciel de l’hémisphère sud, où le manque de données est important (Fig. 1).

1. Carte des radiants des météores observés pour des tailles centimétriques à métriques par le réseau FRIPON (2016-2022, 7300 objets).
On constate le manque de données dans l’hémisphère sud qui sera en partie comblé par le réseau Asamaan.

 

Le réseau Asamaan est actuellement composé de 7 caméras installées sur le toit des ENO de Mbour, Diourbel, Kaolack, Louga, Linguère, Saint-Louis, et Podor. Les caméras couvrent une petite moitié ouest du pays. Le réseau comptera au final au moins 16 cameras, les installations se feront en fonction de l’ouverture prévue de nouveaux ENO. La multiplication des caméras permet aussi de déterminer avec précisions les trajectoires des météores (Fig. 2, exemple de détection multiple). Le réseau a permis à ce jour plusieurs dizaines de détections (Fig. 3). L’équipe du Laboratoire d’Astrophysique de Marseille, responsable du Service National d’Observation labellisé par le CNRS se charge de l’inclusion des données des caméras Sénégalaises dans la base de données globale du réseau FRIPON. Compte tenu de la surface du réseau Asamaan et du climat Sahélien on s’attend à obtenir ~400 observations par an ce qui est loin d’être négligeable comparé aux 1500 météores observés annuellement par le réseau FRIPON.

2. Exemple de détection multiple, Louga et Saint-Louis – 23/12/2024, 4h45 TU.

 

3. Carte des caméras installés du réseau Asamaan à ce jour superposée aux trajectoires des météores détectés par le réseau sur la période 2022 – 2024.

 

L’aspect le plus excitant du projet est bien sûr de retrouver des météorites après leur chute. Ceci est particulièrement important pour récupérer des météorites non altérées par l’atmosphère terrestre et qui sont dans des conditions proches de celles de l’espace pour permettre des études pétrographiques proches de celles que l’on fait pour les missions spatiales avec retour d’échantillon. A ce jour, aucune météorite enregistrée dans les collections ne provient du Sénégal. Le projet ambitionne donc d’offrir au Sénégal sa première météorite, et par la même occasion de communiquer au grand public comment ces objets nous permettent de déchiffrer nos origines. Les campagnes de recherche de météorites bénéficieront de l’expérience française du projet de science citoyenne Vigie-Ciel, et seront coordonnées par l’ASES, avec l’appui des membres de l’Association Sénégalaise pour la Promotion de l’Astronomie (ASPA).

par François COLAS (IMCCE), Salma SYLLA (UCAD), Absa GASAMA (UNCHK), David BARATOUX (IRD/GET), Pr Ousmane SALL (UNCHK) 

 

Remerciements : Ce projet bénéficie du soutien financier de l’IRD, du CNRS, de l’UNCHK. Le membres du projet remercie également les personnels des Espaces Numériques Ouverts pour leur accueil et les moyens mis en œuvre pour faciliter l’installation et la maintenance des services d’observation. Ces caméras ont été installé lors de deux missions dédiées, la dernière ayant eu lieu en novembre 2024, avec la participation sur le terrain de F. Colas (CNRS), D. Baratoux (IRD), S. Sylla (UCAD), A. Barro (UNCKH), I. C. Ba (UNCKH) et A.O. Diallo (IRD).

Un étrange satellite découvert autour d’un astéroïde

Un étrange satellite découvert autour d’un astéroïde

La mission américaine Lucy, lancée en 2021, a survolé un petit astéroïde de la ceinture principale, Dinkinesh, doté d’un satellite baptisé Selam, dont la structure s’est révélée complexe.

1. L’astéroïde Ida et son satellite Dactyle, découvert lors du survol de l’astéroïde par la sonde Galileo le 28 août 1993. Ida est, comme Dinkinesh, un astéroïde de la ceinture principale, située entre Mars et Jupiter. Son diamètre moyen est de 31 km, alors que celui de Dactyle est de 1,4 km. (©NASA)

 

Depuis plus d’un demi-siècle, l’exploration spatiale du Système solaire a privilégié l’étude des planètes, de leurs satellites et des comètes. Il aura fallu attendre la fin du XXe siècle pour que les astéroïdes bénéficient eux aussi de leurs missions dédiées. Avant cette date, certains d’entre eux avaient tout de même été approchés par des sondes spatiales au cours de leur croisière : c’est le cas en particulier d’Ida, satellite de la ceinture principale autour duquel la sonde américaine Galileo, en route vers Jupiter, a découvert en 1993 un satellite nommé Dactyle ; d’autres astéroïdes ont aussi été observés par d’autres missions spatiales au cours de leur trajet, en particulier la mission européano-américaine Cassini-Huygens et la mission européenne Rosetta.

2. Exemples d’images de l’astéroïde Dinkinesh et de son satellite Selam prises par la sonde Lucy lors de son survol le 1er novembre 2023. À gauche, les images b et f montrent l’astéroïde Dinkinesh. Il a la forme d’une toupie aussi observée sur Ryugu et Bennu, caractéristique d’une structure interne en « rubble pile » (terme anglais pour décrire un assemblage de roches sans cohésion, maintenues ensemble par la force de gravité). On voit clairement le bourrelet équatorial et, sur l’image b, la faille oblique qui témoigne d’un bouleversement passé de sa structure interne. Les images d et m montrent l’astéroïde et son satellite sous des angles différents. L’image l est un agrandissement du satellite montrant clairement sa structure bilobée. (© Levison et al. 2024)

 

En 1996 est lancée la première mission dédiée à un astéroïde : c’est NEAR-Shoemaker qui explore l’astéroïde Éros en 2000. Ensuite, il faut attendre la mission japonaise Hayabusa, lancée en 2003, qui explore l’astéroïde Itokawa en 2005 et rapporte le premier échantillon astéroïdal sur Terre en 2010. En 2006, la mission américaine New Horizons est lancée en direction du Système Solaire extérieur : elle survole Pluton en 2015, puis en 2019 un autre objet transneptunien, Arrokoth. La collecte d’échantillons reprend avec la mission japonaise Hayabusa2, lancée en 2014, qui explore l’astéroïde Ryugu dont un échantillon est récupéré sur Terre en 2020. En parallèle, la mission américaine OsirisREx, lancée en 2016, explore entre 2018 et 2020 l’astéroïde Bennu, dont un échantillon a été rapporté sur Terre en 2023 ; comme celle d’Itokawa, les orbites de Ryugu et Bennu sont relativement proches de celle de la Terre.

Dans la lignée de New Horizons, la mission américaine Lucy, lancée en 2021, a aussi pour objectif d’explorer les astéroïdes éloignés. Il s’agit cette fois de six astéroïdes troyens qui partagent l’orbite de Jupiter. En chemin, la sonde doit explorer quatre autres astéroïdes de la ceinture principale. Le premier d’entre eux, Dinkinesh, a été survolé par la sonde Lucy le 1er novembre 2023 et la rencontre a déjà révélé une surprise de taille, révélée par un article de Harold Levison (SwRI, Boulder, Colorado, É.-U.) et ses collègues [1], publié dans la revue Nature le 30 mai 2024: un satellite en orbite autour de l’astéroïde principal ! Qui plus est, ce nouvel objet est constitué de deux lobes accolés, alignés le long de l’axe astéroïde-satellite. Le nouvel objet a été appelé Selam (les noms éthiopiens Dinkinesh et Selam étant les appellations de Lucy, l’australopithèque fossile découvert en 1974, et d’un autre fossile d’australopithèque).

Dinkinesh est un astéroïde de type S, c’est à-dire riche en silicates, d’un diamètre inférieur ou égal à 800 mètres. L’étude de sa courbe de lumière (par mesures télescopiques avant la rencontre) avait permis de déterminer une période de 52,6 heures. Les images enregistrées par la sonde Lucy lors de son survol ont mis en évidence l’existence du satellite ainsi que sa structure bilobée. De plus, les courbes de lumière de Dinkinesh et de Selam prises par la sonde Lucy après le survol montrent que la période orbitale de Selam est très proche de sa période de rotation, ce qui indique que les deux objets sont en rotation synchrone (Selam présente toujours la même face à Dinkinesh). Ce résultat est aussi confirmé par le fait que, comme le montrent les images, le centre de Dinkinesh est aligné avec les centres des deux lobes de Selam. De plus, l’observation d’occultations mutuelles sur la courbe de lumière de Selam montree que l’orbite de Selam est rétrograde par rapport à l’orbite héliocentrique de Dinkinesh. Les images de l’astéroïde montreent que Dinkinesh est en rotation rapide avec une période de 3,7 heures. Sa rotation est rétrograde par rapport au pôle Nord de l’écliptique, et donc dans le même sens que la révolution de Selam autour de Dinkinesh. L’examen des courbes de lumière suggère aussi que l’orbite de Selam est circulaire, et les phénomènes d’occultations mutuelles montrent que celle-ci est proche du plan orbital héliocentrique de Dinkinesh ; elle est aussi sans doute proche du plan équatorial de Dinkinesh. Cette configuration est très courante chez les petits astéroïdes binaires, car elle résulte d’une réorientation de l’axe de rotation sous l’effet des forces de rayonnement thermique asymétriques qui s’exercent sur l’objet : c’est ce que l’on nomme l’effet Yarkovsky [2].

3. Courbes de phase de Dinkinesh (EN HAUT) et de Selam (EN BAS) réalisées avec une période de rotation de 3,7387 h pour Dinkinesh et 52,67 h pour Selam, mesurées par la sonde Lucy après le survol. La courbe de Selam, très régulière, est conforme à la courbe attendue si les deux lobes de Selam sont alignés avec l’axe satellite-astéroïde. Les points rouges correspondent à des occultations mutuelles. Les flèches orange indiquent les événements attendus si l’orbite de Selam est rétrograde, et les flèches vertes indiquent les événements attendus dans le cas d’une orbite prograde. On voit que la courbe observée indique une orbite rétrograde. (© Levison et al. 2024)

Selon les calculs, il faut environ 107 ans – soit un temps très court à l’échelle du Système Solaire – pour que, sous l’effet YORP, l’axe de rotation de l’astéroïde devienne perpendiculaire au plan de son orbite. D’un point de vue dynamique, le couple Dinkinesh-Selam est conforme aux autres systèmes d’astéroïdes binaires de la ceinture principale ou en deçà, avec un objet principal en rotation rapide et un satellite en rotation synchrone autour de celui-ci.

Les images de Selam montrent deux lobes presque identiques, de diamètres respectifs 210 et 230 mètres. Dans l’image montrant les deux lobes côte à côte, la partie intermédiaire est dans l’ombre, ce qui fait que l’on ignore la largeur de la partie centrale. La forme triangulaire de Selam (que l’on retrouve chez d’autres petits astéroïdes comme Ryugu et Bennu) suggère aussi une structure en rubble pile. Cependant, la présence des deux lobes indique aussi une certaine forme de cohésion interne.

Les images montrent que Dinkinesh possède, comme Ryugu et Bennu, un bourrelet central, caractéristique de la structure en rubble pile. Elles montrent également un large sillon, interprété par les auteurs de l’étude comme la trace d’une fracture interne globale intervenue dans le passé, sans doute une conséquence de l’effet Yarkovsky. La matière évacuée au moment de ce bouleversement aurait formé un anneau, puis un bourrelet équatorial et un satellite.

La découverte du système de Dinkinesh suggère que les petits astéroïdes de la ceinture principale pourraient être plus complexes que prévu. L’existence de satellites bilobés autour d’un astéroïde suggère un nouveau mode de formation possible pour les astéroïdes bilobés tels qu’Itokawa ; ceux-ci pourraient, comme Selam autour de Dinkinesh, avoir été agrégés à un corps central, dont ils se seraient ensuite séparés.

Thérèse Encrenaz – Observatoire de Paris-PSL

  1. H. P. Levison et al., « A contact binary satellite of the asteroid (152830)Dinkinesh » , Nature 629, 1015, 2024.
  2.  L’effet Yarkovsky, aussi appelé effet YORP (YarkovskyO’Keefe-Radsievskii-Paddack), a pour origine une force thermique liée à l’insolation asymétrique d’un astéroïde en rotation sur lui-même. Le rayonnement solaire absorbée par la surface de l’astéroïde est réémis après un certain temps sour forme de rayonnement thermique, dans une direction légèrement différente compte tenu de la rotation de l’objet sur lui-même ; il en résulte un couple susceptible de modifier à long terme le mouvement de l’objet. L’effet Yarkovsky dépend fortement de la capacité des matériaux en surface à conduire la chaleur en profondeur ; il est nul pour un objet parfaitement conducteur. Il s’applique aux objets de petit diamètre (D < 40 km) relativement proches du Soleil et a pour effet de modifier à long terme leur distance au Soleil, leur période de rotation et leur obliquité.

 

 

Quand les trous noirs modèlent les galaxies

Quand les trous noirs modèlent les galaxies

On sait maintenant, après une discussion qui a duré plus de vingt ans, pourquoi la masse des trous noirs centraux des galaxies est corrélée à celle de leur galaxie hôte. C’est parce que leurs vents et leurs jets chauffent le gaz du halo et arrêtent la formation de nouvelles étoiles à leur périphérie. Ce phénomène est considéré comme une « rétroaction » de la part du trou noir central.

La galaxie NGC 1232 est vue de face, ce qui permet d’identifier ses différentes parties. Le trou noir central, dans le noyau d’une galaxie, a peu d’influence gravitationnelle, mais s’il émet des jets, ceux-ci peuvent inhiber la formation d’étoiles dans le bulbe et se propager jusque dans le halo. (© ESO)

 

Les galaxies sont constituées de différentes régions. En leur centre, on trouve un trou noir géant, dont la masse peut atteindre des milliards de masses solaires. Cet espace central, appelé le noyau, est minuscule à l’échelle de la galaxie ; il se trouve dans une région beaucoup plus vaste, de forme arrondie ou elliptique, appelée le bulbe [1]. La masse du bulbe est principalement dominée par les étoiles, bien qu’on y trouve aussi un peu de gaz et de poussières. Certaines galaxies, dites elliptiques, sont formées principalement d’un bulbe. D’autres ont un disque qui s’étend bien au-delà du bulbe, d’autres encore ont un disque dominé par des bras spiraux. Audelà encore des limites visibles de la galaxie se trouve le halo, comportant une matière très diffuse, mais totalisant une masse importante.

Les trous noirs centraux des galaxies peuvent être calmes, c’est-à-dire que presque rien ne tombe dedans, ou actifs et on parle alors de « quasars », quand de la matière y tombe. Avec les quasars, une partie de la matière précipitée vers le trou noir n’y tombe pas, elle est même violemment éjectée dans l’espace jusqu’au halo de la galaxie, sous la forme de jets (outflows en anglais) de matière très rapide.

Il a été observé à la fin des années 1990 que la masse des trous noirs géants au centre des galaxies de l’époque actuelle est d’environ un millième de la masse du bulbe. Puisque ce rapport de masses est négligeable, l’influence du trou noir via les forces de gravitation est faible ; on s’est donc demandé comment pouvait s’établir une telle corrélation entre masse du trou noir et masse des étoiles, très loin alentour. La réponse est venue en considérant les jets de matière associés aux trous noirs actifs : ils empêchent la matière de s’accumuler dans le bulbe et s’opposent à la formation de nouvelles étoiles. On appelle ce mécanisme « la rétroaction ».

La question se pose pour les galaxies lointaines : subissent-elles également cette « rétroaction » ? Ce qui signifierait que de nombreuses galaxies ont été empêchées de grossir tôt dans leur existence et sont demeurées bloquées depuis cette époque. Les simulations cosmologiques que l’on fait actuellement tiennent compte de la présence de quasars envoyant des jets dans les régions périphériques de la galaxie. Un trou noir actif chaufferait le halo, empêchant ainsi son gaz de se condenser sous l’effet du froid et de former de nouvelles étoiles. Cependant, aucune preuve définitive n’a été établie concernant ce processus.

Au cours de la dernière décennie, les relevés de galaxies ont amélioré notre compréhension des flots pendant l’époque de formation stellaire, et il semble que les trous noirs actifs les plus lumineux de z compris entre 1 et 3 possèdent des flots généralement présents dans une petite fraction de galaxies. Ces valeurs de z correspondent à des temps de regard en arrière de 10 à 12 milliards d’années (fig. 1).

1. Relation entre le décalage vers le rouge ou redshift et le temps de regard en arrière.

 

Mais ces flots sont-ils assez puissants pour bloquer la formation d’étoiles dans leur galaxie ? Des mesures basées sur les émissions optiques traçant le gaz chaud suggèrent que la plupart des f lots enlèvent du gaz moins rapidement qu’il n’est consommé par la formation d’étoiles. Au contraire, dans l’ultraviolet, des raies spectrales en absorption suggèrent que les flots ont des masses du même ordre que celles nécessaires pour former des étoiles.

En fait, les observations basées sur une seule phase gazeuse très chaude ou chaude (107 à 104 degrés) donnent une idée très incomplète de la quantité de gaz disponible dans les flots.

Or, il s’avère que la sensibilité exceptionnelle du JWST dans l’infrarouge permet de détecter du gaz neutre et froid qui pourrait constituer la quantité nécessaire pour former des étoiles. C’est pourquoi une équipe internationale conduite par une chercheuse australienne du Centre d’astrophysique et du supercalculateur de l’université de technologies de Swinburne à Victoria, en Australie, a décidé d’utiliser les observations effectuées dans le Cycle 1 du programme du JWST [2]. Le Cycle 1 a permis de recueillir les spectres de plusieurs centaines de galaxies observées avec le spectrographe infrarouge NIRSpec. Les chercheurs ont ainsi pu obtenir des spectres depuis 3 000 jusqu’à 12 000 ångströms pour 113 galaxies massives ayant des redshifts compris entre z = 1,7 et z = 3,5 [1].

La grande nouveauté de cette étude a été de montrer la présence du doublet du sodium neutre Na I en absorption dans 30 des 113 galaxies. Ces deux raies à 5 895 et 5 889 ångströms, notées D1 et D2, sont très intenses dans les spectres des étoiles comme le Soleil ou plus froides. Elles sont malheureusement proches d’une raie de l’hélium en émission de longueur d’onde de 5 875 ångströms. Jusqu’alors, il était seulement possible de détecter le gaz ionisé qui ne suffisait pas à bloquer la formation des étoiles.

Les auteurs de l’article ont soigneusement modélisé la population stellaire et les raies du sodium et de l’hélium, ainsi que les autres raies en émission depuis l’ultraviolet jusqu’à l’infrarouge en utilisant les abondances solaires (fig. 2, p. 24). Ils ont constaté que la variation du rapport entre le sodium et le fer n’avait heureusement pas d’incidence sur les résultats. Le problème le plus difficile a été de s’assurer que la raie de Na I dépasse significativement la contribution des étoiles.

2. Spectre (corrigé du redshift) d’une galaxie de z = 1,81, obtenu avec l’instrument NIRSpec du JWST entre 3 800 et 6 700 Å. La résolution spectrale est R = 1 000. La courbe orange montre le continu stellaire ; les courbes magenta et bleue montrent les meilleurs modèles pour les raies en émission et le doublet Na I en absorption, respectivement. Le médaillon est un zoom de la région contenant la raie en émission de l’hélium et celle en absorption de Na I. (© Rebecca L. Davies et al., arXiv:2310.17939v2)

 

50 % des profils de Na I en absorption sont décalés vers le bleu d’au moins 100 km/s, ce qui prouve la présence de flots dirigés vers nous, donc vers l’extérieur. Les vitesses de ces flots, mesurées par le décalage vers le bleu des raies du Na I, sont typiquement de 200 à 1 000 km/s. Ils sont observés dans les galaxies les plus massives qui possèdent un trou noir actif, attesté par la présence et l’intensité des raies en émission. Et comme les supernovæ ne sont pas suffisantes pour provoquer les flots nécessaires à l’arrêt de la formation stellaire, c’est une forte indication que l’arrêt de la formation stellaire – s’il existe – serait causé par les trous noirs actifs. Une preuve en est donnée par le fait que les galaxies ayant une forte raie de Na I ont un grand rapport de luminosité des raies [NII]/Hα, typique des trous noirs très actifs.

Il est difficile de déterminer exactement le destin du gaz contenu dans ces flots de gaz froid, et il est possible que, dans la plupart des cas, il aille séjourner dans les halos des galaxies. Cependant, les éjections de gaz froid autour des trous noirs les plus actifs pourraient déclencher l’arrêt de la formation stellaire et maintenir la galaxie dans un état quiescent (c’est-à-dire sans taux élevé de création de nouvelles étoiles). Ces cas pourraient se produire fréquemment au-delà de redshifts de l’ordre de 2. Il est souhaitable que de telles études soient étendues à des échantillons plus importants de galaxies vieilles et massives.

 

Suzy Collin-Zahn Observatoire de Paris-PSL

Publié dans le n°185 de l’Astronomie

 

  1. Le bulbe est la partie la plus lumineuse des galaxies, la première que l’on distingue en les observant avec un petit télescope.
  2. Rebecca L. Davies et al., « JWST Reveals Widespread AGN-Driven Neutral Gas Outflows in Massive z ~ 2 Galaxies », arXiv:2310.17939v2 [astro-ph.GA].

 

 

 

A la découverte des astéroïdes doubles !!

A la découverte des astéroïdes doubles !!

Depuis de nombreuses années , la découverte d’astéroïdes double ou ayant un petit satellite devient finalement courant. On estime qu’à l’heure actuelle, il y a au moins 30% des astéroïdes qui sont doubles voir triples. Dans ce cadre , à l’observatoire de Besely près de Mahajunga à Madagascar, nous avons participé à ce type de découvertes. Sur les mois de juillet, août et septembre, nous avons observé sur plusieurs nuits , trois astéroïdes candidats. Ce programme est dirigé par un chercheur tchèque, Petr Pravec de l’observatoire d’Ondrejov (33km du centre de Prague).

Détection d’un des astéroides

 

Les observations ont consisté à  prendre des images à intervalle régulier (typiquement des poses unitaires de 5min) sur ces objets. En analysant, la variation de luminosité de l’astéroïde au cours de la session d’observation, on en obtient une courbe de lumière qui nous donne la période de rotation de l’objet concerné. C’est dans ces courbes de lumière que nous cherchons des petites variations qui trahissent la présence du satellite. Les données produites doivent permettent d’obtenir une incertitude sur les mesures de magnitude de quelques centièmes. Nous en reproduisons un exemple ici. Bien entendu, ces résultats sont obtenus avec la collaboration de plusieurs observatoires , qu’ils soient amateurs ou professionnels.

Variation de la magnitude de l’astéroide

 

Arnaud Leroy, Uranoscope de l’Ile de France

Les circulaires annonçant les découvertes :

(3969) ROSSI Benishek, Belgrade Astronomical Observatory; P. Pravec, Ondrejov Observatory; A. Leroy, Observatoire de Besely, Ecole du Monde, Mahajanga, Madagascar; and R. Durkee, Shed of Science South Observatory, Pontotoc, TX, USA, report that photometric observations taken with a 0.35-m telescope at the Sopot Observatory in Serbia, a 0.36-m telescope at the Observatoire de Besely, and a 0.50-m telescope at the Shed of Science South Observatory during Aug. 13-Sept. 8 reveal that minor planet (3969) is a binary system with an orbital period of 19.365 ± 0.004 hr.  The primary shows a period of 2.88972 ± 0.00008 hr and has a lightcurve amplitude of 0.13 mag at solar phases 1-8 degrees, suggesting a nearly spheroidal shape.  Mutual eclipse/occultation events that are 0.08 to 0.16 magnitude deep indicate a secondary-to-primary mean-diameter ratio of 0.28 ± 0.02.

2024 September 17                (CBET 5449)              Daniel W. E. Green » [2024-09-18 05:53, Ondrejov]

 

(7930) 1987 VD Benishek, Belgrade Astronomical Observatory; P. Pravec, P. Kusnirak, and P. Fatka, Ondrejov Observatory; K. Ergashev, O. Burkhonov, and Sh. Ehgamberdiev, Ulugh Beg Astronomical Institute, Tashkent, Uzbekistan; A. Leroy, Observatoire de Besely, Ecole du Monde, Mahajanga, Madagascar; R. Durkee, Shed of Science South Observatory, Pontotoc, TX, USA; and N. Ruocco, Osservatorio Astronomico Nastro Verde, Sorrento, Italy, report that photometric observations taken with a 0.35-m telescope at the Sopot Observatory in Serbia, a 0.6-m telescope at Maidanak Observatory in Uzbekistan, a 0.36-m telescope at the Observatoire de Besely, a 0.50-m telescope at the Shed of Science South Observatory, and a 0.35-m telescope at the Osservatorio Astronomico Nastro Verde during July 17-Sept. 11 reveal that minor planet (7930) is a binary system with an orbital period of 14.615 ± 0.005 hr.  Mutual eclipse/occultation events that are 0.07 magnitude deep indicate a lower limit on the secondary-to-primary mean-diameter ratio of 0.26.  Superimposed to the eclipse/occultation lightcurve are two rotational lightcurves with periods 2.5746 ± 0.0002 hr and 5.5600 ± 0.0008 hr, with amplitudes of 0.10 and 0.07 mag, respectively; their behavior in the mutual events — they are present with unchanged shapes during the events — indicates that none of them belongs to the eclipsing/occulting secondary.  This suggests that, while one of the short periods belongs to the primary, the other belongs to a third body in the system (compare with other cases of this kind in Pravec et al. 2016, Icarus 267, 267; and Pravec et al. 2019, Icarus 333, 429).

2024 September 15                (CBET 5446)              Daniel W. E. Green » [2024-09-16 06:07, Ondrejov]

Le volcanisme durable d’Io

Le volcanisme durable d’Io

Io, le satellite galiléen le plus proche de Jupiter, est animé d’une intense activité volcanique. Une étude basée sur les rapports isotopiques du soufre et du chlore contenus dans son atmosphère suggère que cette activité a sans doute démarré peu après la formation d’Io.

 

1. Io vu par la sonde Juno en octobre 2023. Cette image met notamment en évidence 3 pics volcaniques dans la région du pôle Nord (en haut de l’image) qui n’avaient pas été observés jusqu’à présent. (© NASA/JPL-Caltech/SwRI/MSSS)

 

Io, le satellite galiléen le plus proche de Jupiter, se déplace autour de cette planète sur une orbite légèrement excentrique. À peine plus gros que notre Lune (1821 km de rayon), sa masse volumique moyenne élevée (3 530 kg/m3) montre que, contrairement à ses compagnons (Europe, Ganymède et Callisto), il ne contient pas de glaces: il est uniquement formé de roches et de métaux. On sait aussi qu’Io est différencié, c’est-à-dire qu’il se divise en un noyau composé de fer (auquel il faut sans doute ajouter une grande quantité de soufre, jusqu’à 25 % en masse), un manteau rocheux et, en surface, une croûte, également rocheuse. Io se distingue enfin (et surtout) par l’activité volcanique particulièrement intense qui anime sa surface. Révélée en 1979 par la sonde Voyager 1, cette activité a été amplement confirmée par les missions suivantes, notamment Galileo. Plus de 400 volcans associés soit à un volcanisme explosif (à l’origine des panaches observés par Voyager 1), soit à l’épanchement de coulées de lave ont ainsi été mis en évidence à la surface d’Io. Le volcanisme explosif se manifeste par des panaches pouvant atteindre quelques centaines de kilomètres d’altitude. Ceux-ci résultent du dégazage du soufre dissous dans les magmas qui arrivent en surface. Les gaz soufrés entraînent avec eux des fragments de roches silicatées (pyroclastes), l’ensemble se redéposant en cercles concentriques de couleur rouge pour le soufre et noire pour les pyroclastes. Les coulées de lave sont, de leur côté, émises depuis de grandes dépressions (appelées paterae) ou depuis des fractures situées dans les plaines. Elles sont composées de soufre et de silicates riches en magnésium et en fer.

Cette activité volcanique est directement liée aux forces de marée très intenses que Jupiter exerce sur son satellite [1], forces qui sont elles mêmes rendues possibles par le fait que l’orbite d’Io est excentrique. Io est ainsi constamment déformé, ce qui produit de fortes frictions dans sa croûte et dans son manteau. La dissipation d’énergie qui en résulte est suffisante pour entraîner une élévation de la température provoquant une fusion partielle de la croûte et du manteau. Toutefois, avec le temps, l’orbite d’Io aurait dû se circulariser. Si l’excentricité de cette trajectoire reste importante aujourd’hui, c’est à la faveur de résonances orbitales entre Io, Europe et Ganymède. Or, il semblerait que ces résonances aient été acquises lors de la formation de ces satellites. Si tel est le cas, le volcanisme qui anime la surface d’Io pourrait être très ancien et avoir démarré peu après la formation de ce satellite. Une étude basée sur l’analyse de la composition isotopique de l’atmosphère d’Io vient conforter cette hypothèse [2].

2. Carte d’intensité des raies d’émission du SO2 (en haut) et du NaCl (en bas) dans l’atmosphère d’Io pour les isotopes 32S du soufre et 35Cl du chlore (à gauche), et 34S du soufre et 37Cl du chlore (à droite).
(© de Kleer et al., 2024)

 

 

LE MESSAGE DES RAPPORTS ISOTOPIQUES

Pour mieux comprendre les processus ayant affecté la surface, l’intérieur ou l’atmosphère d’une planète, les géochimistes ont souvent recours aux rapports isotopiques, c’est-à-dire aux rapports d’abondance entre les isotopes d’un même élément chimique. Rappelons que les isotopes d’un élément donné sont des atomes qui possèdent le même numéro atomique (qui définit l’élément en question), mais une masse différente due à une différence dans le nombre de neutrons qu’ils comportent. Certains de ces isotopes sont instables (ils se désintègrent par radioactivité), et peuvent être utilisés pour dater les roches. Les isotopes stables, pour autant qu’ils ne soient pas eux-mêmes le produit d’une chaîne de dés- intégration radioactive, apportent eux aussi de précieux renseignements. En effet, certains processus physiques ou chimiques peuvent conduire au fractionnement, c’est- à-dire à la séparation en plusieurs réservoirs, de ces isotopes. L’analyse de leurs rapports d’abondance dans un environne- ment ou un système donné permet alors d’identifier les processus ayant affecté ce système, ainsi que la longévité de ces processus. Cela suppose bien sûr de connaître le rapport isotopique initial. Dans le cas des objets du Système solaire, les rapports isotopiques de départ de certains éléments sont susceptibles de varier d’un objet à un autre, car les conditions de formation des planètes peuvent, elles aussi, conduire à des fractionnements isotopiques. Pour de nombreux éléments, les rapports isotopiques mesurés dans les météorites chondritiques donnent toutefois une bonne idée des rapports initiaux. Revenons à l’évolution des planètes. Le dégazage lié au volcanisme et l’échappement gravitationnel font partie des processus de fractionnement, car ils affectent préférentiellement les isotopes les plus légers d’un élément particulier. Le soufre présent dans les magmas, par exemple, possède trois isotopes stables, dont le 32S, le plus abondant, et le 34S. Les panaches volcaniques dégazent préférentiellement le 32S, qui est plus léger. Parallèlement, le magma résiduel s’enrichit en 34S. Au bout d’un certain temps, et en comparaison des gaz relâchés auparavant, les panaches issus du magma plus évolué seront eux aussi enrichis en 34S. En conséquence, si, comme dans le cas d’Io, les gaz volcaniques s’échappent vers l’espace au lieu de s’accumuler dans l’atmosphère, le rapport isotopique 34S/32S de cette atmosphère doit augmenter au cours du temps. Un processus similaire affecte les isotopes 35Cl et 37Cl du chlore. Les valeurs atmosphériques de ces rapports isotopiques, pour peu que l’on puisse les mesurer, fournissent alors une estimation de la longévité de l’activité volcanique.

 

Des rapports isotopiques très élevés

Io possède une fine atmosphère alimentée par les gaz des panaches volcaniques, phénomène aussi appelé dégazage. La composition de cette atmosphère est dominée par le dioxyde et le monoxyde de soufre (SO2 et SO). On y trouve également des molécules comme les chlorures de sodium et de potassium (NaCl et KCl), ainsi que du soufre et de l’oxygène atomiques. La faible gravité d’Io ne permet pas à ces gaz de s’accumuler pour former une atmosphère épaisse. Ils finissent donc par s’échapper dans l’espace. D’un autre côté, l’activité volcanique permet de réalimenter l’atmosphère en permanence, et donc de maintenir une fine couche de gaz autour d’Io. Toutefois, on s’attend à ce que la composition isotopique (c’est-à-dire, pour un élément chimique donné, les rapports d’abondance entre les différents isotopes de cet élément) de ces gaz varie au cours du temps (voir encadré). Plus précisément, dans le cas d’Io, les rapports d’abondance entre les isotopes 34S et 32S du soufre (34S /32S) et les isotopes 37Cl et 35Cl du chlore (37Cl/35Cl) doivent, en principe, augmenter avec le temps, car les isotopes 32S et 35Cl, plus légers, ont plus de chance que le 34S et le 37Cl d’être entraînés par les panaches volcaniques et de s’échapper vers l’espace. Plus le démarrage de l’activité volcanique est ancien et plus celle-ci est durable, plus ces rapports seront élevés.

3. Les rapports isotopiques du soufre (34S/32S, A) et du chlore (37S/35S, B) dans l’atmosphère d’Io sont nettement plus élevés que sur Terre (Earth) et dans les autres objets du Système solaire, ainsi que dans les météorites chondritiques (OC). Les magmas dont sont issus les panaches volcaniques d’Io sont ainsi fortement enrichis en isotope 34S du soufre et 37C du chlore, signe que le volcanisme d’Io a démarré très tôt dans l’histoire de ce satellite et qu’il est resté actif depuis ce temps-là. (© de Kleer et al., 2024)

 

Avec ce raisonnement à l’esprit, une équipe de chercheurs de l’Institut technologique de Californie (Caltech) a mesuré les rapports isotopiques du soufre et du chlore dans l’atmosphère d’Io. Pour cela, ils ont cartographié l’intensité des raies d’émission liées aux modes de rotation de quatre molécules (SO2, SO, NaCl et KCl ; fig. 2) à l’aide du radiotélescope ALMA (Atacama Large Millimeter Array). La gamme de longueurs d’onde explorée, autour de 0,7 mm, permet d’observer les signatures des molécules composées par les différents isotopes du soufre et du chlore (par exemple, 32SO2 et 34SO2 ou Na35Cl et Na37Cl). Les rapports d’abondance entre ces isotopes sont ensuite déduits des rapports d’intensité entre les raies observées. Les valeurs mesurées, 0,0595 ± 0,0038 pour 34S /32S et 0,403 ± 0,028 pour 37Cl/35Cl, sont très élevées en comparaison de ce qui est observé dans la plupart des autres objets du Système solaire, notamment sur Terre, sur la Lune et dans les météorites chondritiques (fig. 3). Ce résultat suggère que l’activité volcanique d’Io est très ancienne. Selon les auteurs de cette étude, elle pourrait même avoir démarré peu de temps après la formation d’Io, il y a près de 4,57 milliards d’années. De plus, Io aurait déjà perdu de 94 à 99 % du soufre contenu dans son manteau. Cette estimation est compatible avec l’idée qu’Io s’est formé à partir de météorites de type L et LL [3], et qu’une grande partie du soufre apporté par ces météorites (de 80 à 97 %) est stockée dans le noyau d’Io. Par ailleurs, elle repose sur l’hypothèse que par le passé, la perte de soufre a pu varier dans une fourchette de 0,5 à 5 fois sa valeur actuelle. Autrement dit, il est possible (et même probable) qu’au cours de son histoire, l’activité volcanique d’Io ait été encore plus intense qu’elle ne l’est aujourd’hui.

 

Frédéric Deschamps IESAS, Taipei, Taïwan

Publié dans le n°185 de l’Astronomie

 

  1. Lire à ce sujet l’article d’Yves Rogister dans le numéro 183 de juin 2024 de l’Astronomie.
  2.  de Kleer K. et al., « Isotope evidence of long-lived volcanism on Io », Science, 384, 2024, 682-687.
  3.  Les météorites L et LL sont des chondrites ordinaires, c’est-à-dire des météorites rocheuses qui n’ont pas été modifiées par des processus de fusion ou de différenciation. Les chondrites L et LL représentent respectivement environ 35 % et 8 à 9 % de l’ensemble des météorites connues.

 

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