LE MAGAZINE DES SCIENCES DE L’UNIVERS EN AFRIQUE
Nouveau système de 6 planètes observées en transit

Nouveau système de 6 planètes observées en transit

Tandis que le JWST commence à explorer l’atmosphère d’un nombre croissant d’exoplanètes, les autres télescopes spatiaux dédiés à leur recherche continuent à engranger les résultats. Un nouveau système multiple de six planètes, tournant sur des orbites quasi coplanaires et concentriques, vient d’être découvert par les sondes spatiales TESS et CHEOPS. Situé à une centaine d’années-lumière, il présente l’avantage d’être relativement proche de nous.

Tracing a link between two neighbour planet at regular time interval along their orbits, create a pattern unique to each couple. The six planets of the HD110067 system create together a mesmerising geometric pattern due to their resonance-chain.

 

Parmi les quelque 5 500 exoplanètes découvertes à ce jour, les systèmes multiples sont nombreux. On en compte près de 900 dotés d’au moins deux planètes. Le record est le célèbre système TRAPPIST-1, découvert en 2016 et doté de sept planètes. Nous connaissons aujourd’hui une vingtaine de systèmes dotés de six planètes, dont une dizaine découverts par la méthode des transits. Ceux-ci sont les plus intéressants, car les observations combinées de transit et de mesure des vitesses radiales permettent d’accéder aux caractéristiques physiques des planètes (rayon, masse et donc densité).

 

Caractéristiques des systèmes multiples déjà connus

Parmi ces systèmes, celui de TRAPPIST-1 fait figure d’exception. En effet, l’étoile centrale, de type spectral M8, est particulièrement petite et froide, et la planète la plus éloignée est située à moins d’un dixième d’unité astronomique – le quart de la distance de Mercure au Soleil. C’est sa proximité au Soleil (12 parsecs, soit moins de 40 années-lumière) qui a rendu le système observable. Les autres systèmes à six planètes sont en orbite autour d’étoiles plus « normales », de type spectral G (comme le Soleil) ou K, et sont situés à des distances de quelques centaines d’années-lumière ; le plus éloigné, autour de l’étoile K5 Kepler-80, est à plus de 1 000 années-lumière.

1. Le système de HD 110067 vu de dessus. L’axe des x représente la distance des planètes à l’étoile centrale, en unités astronomiques. L’axe des y représente la température d’équilibre des planètes. (© Luque et al. 2023)

 

Successivement détectées, trois puis quatre, puis six planètes en résonance orbitale

Or, un nouveau système à six planètes vient d’être découvert à une distance de 32 parsecs, soit environ 100 années-lumière : c’est le plus proche de la série [1]. Ces nouvelles venues tournent autour de l’étoile HD 110067, située dans la constellation de Coma Berenices. De type spectral K0V, elle est un peu plus petite que le Soleil. Deux planètes, HD 110067 b et c, ont d’abord été détectées par le télescope spatial TESS (Transit Exoplanet Survey Satellite) avec des périodes orbitales de 9,114 et 13,673 jours. De nouvelles observations réalisées ensuite par la sonde CHEOPS (CHaracterising ExOPlanets Satellite) ont mis en évidence l’existence d’une troisième planète, de période orbitale 20,519 jours.

Les travaux ont été menés par une équipe internationale coordonnée par Rafael Luque, de l’université de Chicago. Les auteurs ont remarqué que les périodes de ces trois planètes Pc/Pb et Pd/Pc étaient dans un rapport très proche de 1,5 (1,5002 et 1,5007 respectivement) : autrement dit, la planète c fait deux tours autour de son étoile hôte quand la planète b en fait trois, et il en est de même pour les planètes d et c. C’est ce que les astronomes appellent une résonance de moyen mouvement (voir l’Astronomie no 168, p. 76, février 2023), qui confère au système une très grande stabilité. Cette configuration particulière, appelée chaîne de résonance et étudiée en particulier par le physicien Pierre-Simon Laplace (1749-1927), laissait supposer que d’autres planètes pouvaient se trouver plus loin de l’étoile centrale, à des distances telles que leur période orbitale soit dans un rapport 3,2 avec celle de la planète précédente. C’est ainsi qu’une quatrième planète, HD 110067 e, a été repérée avec une période de 30,7931 jours (soit Pe/Pd = 1,5007).

Sur leur lancée, les auteurs de l’étude ont recherché d’autres planètes plus lointaines ayant des périodes orbitales dans un rapport de nombres entiers avec celles des planètes précédentes. C’est ainsi que, fouillant les données de TESS, ils ont détecté deux planètes lointaines en résonance 4,3 avec la précédente : HD 110067 f a une période de 41,0585 jours (Pf/Pe = 1,333 367) et HD 110067 g une période de 54,7699 jours (Pg/Pf = 1,333 95). Nous sommes donc bien en présence d’un système de six planètes en résonance de Laplace. Une configuration analogue dans le Système solaire est l’ensemble des trois satellites galiléens Io, Europe et Ganymède autour de Jupiter : Ganymède effectue une révolution autour de Jupiter pendant qu’Europe en fait 2 et Io 4.

2. Le système de HD 110067 comparé aux autres exoplanètes connues de type sub- Neptune. En a : période orbitale (en x) en fonction du rayon de la planète (en y) ; on voit que la planète e constitue un point singulier du système. Les planètes du système de
HD 110067 sont représentées par leur lettre. En b : diagramme masse-rayon. Pour les planètes c, e et g, les valeurs de la masse correspondent à des limites supérieures. Les courbes en pointillé représentent des modèles d’intérieurs planétaires ; de bas en haut : planètes rocheuses (Earth-like), planètes riches en eau (50% water), planètes riches en hydrogène et en hélium (2% et 5%). En c : température d’équilibre des planètes appartenant à des systèmes de 5 planètes ou plus, en fonction de la magnitude infrarouge de l’étoile hôte, mesurée dans le filtre J à 1,2 mm. Les magnitudes les plus élevées (en bas de l’échelle) correspondent aux étoiles les plus faibles. Le code couleur (TSM, transmission spectroscopy metric) indique une estimation de l’observabilité des planètes par spectroscopie à transit : cette méthode a pour but de caractériser l’atmosphère de l’exoplanète. Plus le TSM est élevé, plus le signal attendu pour la détection d’une atmosphère autour de la planète est élevé. Les sources en jaune clair sont donc les plus favorables. (© Luque et al. 2023)

 

Un ensemble compact et homogène de planètes chaudes, non telluriques, avec des atmosphères riches en hydrogène

Quelle est la nature des six planètes du système HD 110067 ? Elles ne ressemblent pas du tout à celles de notre Système solaire. Tout d’abord, elles forment un ensemble très compact et très proche de leur étoile : les distances s’échelonnent entre 20 et 70 rayons stellaires. Comparativement au Système solaire, cet ensemble serait entièrement contenu dans l’orbite de Mercure, elle-même située à 80 rayons solaires. De plus, les orbites sont vraiment coplanaires puisque les six planètes ont été observées en transit ; ce n’est pas le cas du Système solaire, les orbites des différentes planètes ayant par rapport à l’écliptique une inclinaison faible mais non nulle, et les planètes elles-mêmes étant très éloignées du Soleil. Comme dans le cas du système de TRAPPIST-1, les planètes sont suffisamment proches de leur étoile hôte pour être en rotation synchrone : elles présentent toujours le même côté à l’étoile, comme le fait la Lune vis-à-vis de la Terre.

En complément des observations de transit, le système de HD 110067 a fait l’objet de mesures de vitesses radiales avec les instruments CARMENES à l’observatoire de Calar Alto et HARPS-N à l’observatoire de La Palma, tous deux en Espagne. Ces mesures ont permis, d’une part, de déterminer la masse de trois planètes (5,7, 8,5 et 5,0 masses terrestres pour b, d et f respectivement) et, d’autre part, d’obtenir des limites supérieures de la masse pour les trois autres (6,3, 3,9 et 8,4 masses terrestres pour c, e et g respectivement). Les rayons des planètes s’échelonnent de 1,94 à 2,9 rayons terrestres. Là encore, le système de HD 110067 est radicalement différent du Système solaire : pas de planètes telluriques ou géantes, mais un ensemble remarquablement homogène de planètes dont les caractéristiques, assez voisines les unes des autres, se rapprochent de celles des sub-Neptunes, dont l’atmosphère est riche en hydrogène ; seule la planète e pourrait être plus dense et peut-être riche en eau. Quant aux températures de ces corps, elles peuvent être estimées à partir de la luminosité de l’étoile centrale et de la distance des planètes à celle-ci ; elles s’échelonnent de 800 K (527 °C) à 440 K (167 °C). Il s’agit donc de planètes chaudes, toutes situées en deçà de la zone habitable de l’étoile ; a priori, pas de probabilité d’y trouver de la vie…

 

Une cible de choix pour le JWST

Il n’est pas exclu que des mesures de transit ultérieures révèlent d’autres planètes ayant des périodes orbitales de plus de 70 jours. En attendant, le système de HD 110067 sera une cible de choix pour le JWST. La proximité de l’étoile, les périodes orbitales relativement courtes et la présence vraisemblable d’une atmosphère riche en hydrogène représentent autant de facteurs favorables pour caractériser leur atmosphère dans l’infrarouge proche et lointain.

 

Par Thérèse Encrenaz, Observatoire de Paris-PSL

Publié dans le n°179 de l’Astronomie

 

  1. R. Luque et al., « A resonant sextuplet of sub-Neptunes transiting the bright star HD 110067 », Nature 623, 2023, p. 932-937.
Osiris-Rex : De la difficulté d’ouvrir un bocal

Osiris-Rex : De la difficulté d’ouvrir un bocal

C’est le 24 septembre 2023 que l’échantillon provenant de l’astéroïde Bennu a atterri dans le désert de l’Utah, pour être immédiatement transporté au Johnson Space Center à Houston et placé dans la salle blanche qui lui est dédiée [1]. Plus précisément, c’est le porte-échantillons du système TAGSAM (Touch and Go Sample Acquisition Mechanism) [2] d’Osiris-Rex, qui avait permis la collecte des échantillons, qui a été installé dans une boîte à gants afin de retirer son couvercle en aluminium en prenant soin de ne pas égarer de précieuses poussières en cours d’opérations.

Quelques grammes supplémentaires de poussières de Bennu sur le couvercle de l’instrument TAGSAM, utilisé pour rapporter la matière qui a été collectée sur l’astéroïde par la mission Osiris-Rex.

Les scientifiques s’attendaient à trouver quelques particules sur le couvercle, mais pas dans de telles quantités ; avant même d’ouvrir le couvercle, 70,3  g de poussière sombre contenant des cailloux, plus que ce qu’espéraient les responsables de la mission, sont récupérés ; immédiatement, une partie d’entre eux est stockée dans des conditions optimales en vue d’être préservés pour le futur.

Toutefois, la suite des opérations pour ouvrir le récipient a donné à tous des sueurs froides. Il était en effet impossible de soulever le couvercle avec les outils qui étaient disponibles dans la salle blanche. Il semblerait que la suite de ces déboires serait due à des ennuis à l’atterrissage, une des anses du parachute ne s’étant pas déployée comme il fallait.

Début janvier, on apprend que les deux attaches, sur les trente-cinq fixant le couvercle, qui posaient problème ont pu être retirées.

Grâce à ce succès, l’examen des poussières collectées sur Bennu peut reprendre et l’équipe chargée de l’analyse espère publier un catalogue des échantillons rapportés par Osiris-Rex ce printemps.

Gros plan sur une partie du matériau provenant de l’astéroïde Bennu. (NASA/Erika Blumenfeld & Joseph Aebersold)

Par Janet Borg

Publié dans le numéro de l’Astronomie n°180

 

 

 

 

 

 

  1. Pour suivre l’épopée Osiris-Rex vers, sur et au retour de Bennu, relire les numéros de l’Astronomie 123, 135 et 176.
  2. Afin de collecter les échantillons sur l’astéroïde Bennu par une manœuvre de « touch and go », Osiris-Rex est équipé d’un système appelé TAGSAM (Touch-and-Go Sample Acquisition Mechanism). Il s’agit d’un bras articulé au bout duquel est fixée la tête arrondie du collecteur ; projetée vers le sol, elle le touche pendant environ 5 secondes, temps suffisant pour faire la collecte, alors qu’un jet d’azote souffle sur la surface pour attirer poussières et petits cailloux qu’il faudra aspirer. La collecte d’échantillons avec TAGSAM (revenu sur Terre avec son précieux chargement) a eu lieu il y a plus de trois ans, le 20 octobre 2020.

 

 

Séismes et avalanches de poussières sur Mars

Séismes et avalanches de poussières sur Mars

L’un des principaux objectifs de la mission InSight, qui s’est posée sur Mars en novembre 2018, était d’étudier la structure interne de cette planète. Équipée du sismomètre ultrasensible de fabrication française SEIS, la sonde a enregistré plus de 1 300 séismes martiens, dus à des mouvements internes ou, pour certains, provoqués par des impacts de météorites. Le dernier signal reçu avant l’arrêt de la mission date du 15 décembre 2022.

1. Une avalanche de glaces et de poussières sur Mars. Cette avalanche, observée par la caméra HiRISE de la sonde Mars Reconnaissance Orbiter en mars 2010, dévale une falaise d’environ 700 mètres de hauteur située dans la région polaire boréale. Dans ce cas précis, elle aurait été déclenchée par le réchauffement et la sublimation de CO2. (© NASA/JPL/University of Arizona)

 

Une particularité des séismes martiens est qu’ils pourraient donner naissance à des avalanches de poussières générées par ces mouvements du sol au passage des ondes sismiques. Pour illustrer cette hypothèse, une équipe internationale sous la responsabilité de chercheurs de l’Institut de physique du globe de Paris (IPGP) a croisé les données de SEIS avec des observations orbitales, notamment celle de la mission MRO [1], qui a déjà enregistré plusieurs avalanches (fig. 1). Cette comparaison a permis d’analyser et de comprendre les conséquences de l’activité sismique martienne sur l’évolution des terrains situés à proximité des foyers des séismes. Ces chercheurs ont tout particulièrement étudié les conséquences de deux événements sismiques particulièrement violents, S1000a et S1222a [2]. Ceux-ci ont eu lieu le 18 septembre 2021 et le 4 mai 2022 et sont (pour Mars) de magnitudes très élevées, respectivement 4,1 et 4,7 [3], comme rapporté dans l’Astronomie (no 163, septembre 2022).

Le premier événement, S1000a, est un impact météoritique qui a donné naissance à un cratère de 150 m de diamètre. En comparant les observations orbitales avant et après l’impact, un nombre important d’avalanches ont été observées après celui-ci. Toutefois, ces dernières seraient dues à des impacts secondaires et pas à la propagation d’ondes sismiques.

En ce qui concerne le second événement, S1222a, le scénario de déclenchement d’avalanches serait plus complexe, sans doute parce que la région sous-jacente présente une géologie plus compliquée. En effet, son épicentre est localisé près d’un volcan ancien, le volcan Apollinaris Patera (fig. 2), à une profondeur inférieure à 20 km, dans une région de terrains meubles à forte pente, propice à des déclenchements d’avalanches. L’activité sismique pourrait être liée à cet ancien volcan, bien que ce dernier ne soit sans doute plus en activité. Une autre hypothèse avancée par les chercheurs est l’existence d’une grande ride de 450 km de long située à proximité de l’épicentre.

2. Apollinaris Patera vu par la sonde Mars Global Surveyor en avril 1999. (© NASA/JPL/MSSS)

 

Le lien entre cette structure et l’activité sismique n’est pas encore bien compris. À noter que S1222a est l’événement le plus violent enregistré par SEIS, et qu’aucun nouveau cratère n’a été observé sur le sol martien à la suite de S1222a, excluant ainsi la possibilité d’un impact météoritique comme cause de la source du séisme.

Dès que S1222a a été détecté, les images provenant des observations orbitales des caméras HiRISE et CTX à bord de MRO, prises avant et après l’événement, ont été analysées. Plusieurs centaines d’images, complétées par des modélisations statistiques, ont été utilisées pour documenter le séisme et mieux comprendre le déroulé des événements ; ainsi, les chercheurs ont pu estimer que le taux d’avalanches, en moyenne de 3 %, est passé à plus de 40 % pour ce nouveau séisme [4]. Aucune tempête n’a eu lieu pendant la période couverte par ces observations, que ce soit avant ou après le séisme, qui aurait pu expliquer ces avalanches de poussières.

En conclusion, cette augmentation significative des avalanches dans des zones propices aux séismes suggère que les déformations du manteau jouent un rôle essentiel dans ces processus et que l’une des causes possibles des séismes sur Mars est la contraction thermique du manteau martien à cause du refroidissement de cette planète au cours du temps. De futures recherches permettront de mieux comprendre comment l’activité sismique martienne influence les processus de surface et de subsurface. Enfin, les conséquences visibles des séismes que sont les avalanches de poussières peuvent dans l’avenir servir d’outils pour documenter ces processus rapides que sont les impacts météoritiques et les séismes.

 

Par Janet Borg, Institut d’astrophysique spatiale

Publié dans le numéro de l’Astronomie n°182

 

 

 

 

 

 

  1. Mars Reconnaissance Orbiter (MRO) est une mission spatiale américaine de la Nasa en orbite autour de Mars qui a été lancée en août 2005 et dont l’objectif principal est de cartographier la surface de Mars. Il est équipé entre autres des deux instruments utilisés dans cette étude, à savoir la caméra du télescope HiRISE et celle de CTX (Context Imager) qui fournit des images monochromes complétant les clichés obtenus à plusieurs longueurs d’onde de HiRISE.
  2. A. Lucas et al., « Possibly seismically triggered avalanches after the S1222a Marsquake and S1000a impact event », Icarus, vol. 411, 2024, 115942, DOI : 10.1016/j.icarus.2023.115942.
  3. À titre de comparaison, 95 % des séismes enregistrés par SEIS depuis l’arrivée d’InSight sur Mars ont une magnitude inférieure à 3,5. Sur Terre, on enregistre des événements de magnitude beaucoup plus élevée ; par exemple autour de 6,8 pour le violent séisme qui s’est produit dans le Haut Atlas marocain le 8 septembre 2023.
  4. Un taux de 3 % signifie que 3 nouvelles avalanches apparaissent au cours d’une année martienne pour 100 avalanches existantes.

 

Zélandia  le continent perdu

Zélandia le continent perdu

Depuis une vingtaine d’années, les géologues ont mis en évidence un continent immergé d’environ 5 millions de kilomètres carrés de superficie situé à l’est de l’Australie. Les campagnes océanographiques, qui viennent de s’achever, ont permis de mieux comprendre son évolution.

 

Dans l’imaginaire collectif, le terme de continent perdu est souvent associé à l’Atlantide, île mythique évoquée par Platon, et qui aurait la dimension d’un continent. Si Platon situe cette île au-delà des Colonnes d’Hercule (le détroit de Gibraltar), c’est-à-dire quelque part dans l’océan Atlantique, la légende pourrait avoir pour origine l’explosion du volcan Santorin, en mer Égée, vers 1600 avant J.-C. Celle-ci aurait provoqué un tsunami géant, lui-même responsable de la disparition de la civilisation minoenne qui fleurissait en Crète à cette époque. À défaut d’Atlantide, les scientifiques ont, depuis une vingtaine d’années, identifié et étudié un continent presque entièrement immergé situé à l’est de l’Australie. La cartographie de ce huitième continent, baptisé Zélandia (ou Zealandia), en référence à la Nouvelle-Zélande qui constitue sa principale partie émergée, vient de s’achever [1]. Plusieurs campagnes océanographiques ont été nécessaires pour établir cette cartographie. Ces campagnes ont également effectué de nombreux prélèvements de roches par dragage, lesquelles ont permis de mieux cerner la géologie et l’évolution de ce continent perdu (et, désormais, retrouvé).

Un nouveau continent

Les résultats de ces campagnes ont d’abord permis de classer Zélandia parmi les continents. Rappelons qu’à la surface de la Terre, les géologues distinguent deux types de croûte. D’une part la croûte océanique, qui forme les planchers océaniques, à des profondeurs de 4 000 à 5 000 mètres sous le niveau de la mer, et qui est composée de basaltes. Relativement dense, elle replonge assez rapidement (en moins de 180 millions d’années, Ma) dans le manteau, suivant un phénomène de subduction. Et d’autre part, la croûte continentale, formée de roches moins denses, qui compose les masses continentales. Plus légers, les continents peuvent se maintenir en surface très longtemps (les plus anciennes roches continentales sont datées autour de 3,8 milliards d’années). Aujourd’hui, l’élévation de ces masses continentales se situe majoritairement au-dessus du niveau de la mer. Cependant, les continents possèdent aussi sur leur pourtour des parties immergées, les marges continentales, plus ou moins étroites et peu profondes (quelques centaines de mètres). Le fait d’être émergé ou immergé ne constitue donc pas un critère pour définir la croûte continentale. La classification de Zélandia parmi les continents repose sur deux principaux arguments. D’abord la composition des roches la constituant qui est typique de la croûte continentale. Ensuite son élévation moyenne (environ 1 100 m en dessous du niveau de la mer), qui la situe nettement au-dessus des planchers océaniques. En revanche, Zélandia se singularise par sa configuration presque entièrement sous-marine, conséquence du fait que la croûte continentale y est beaucoup moins épaisse (environ 20 km) que dans les autres continents (40 km en moyenne).

1. Les principales plaques tectoniques à la surface de la Terre. Zélandia est traversée par une frontière de plaque (ici, une zone de subduction) entre les plaques Australie et Pacifique. À noter également les marges continentales (en couleurs atténuées) plus ou moins larges sur le pourtour des continents. (© American Geophysical Union.)

 

Un peu de géographie et de géologie

Zélandia couvre une superficie de 5 millions de kilomètres carrés et est immergée à 95 %. Ses principales terres émergées sont la Nouvelle-Zélande, comme nous l’avons vu et, plus au nord, la Nouvelle-Calédonie. Elle comprend aussi de nombreuses petites îles volcaniques, comme les îles Lord Howe et Norfolk au nord, et les îles Campbell et Auckland au sud, ainsi que des récifs coralliens, comme celui de Fairway, tout au nord. Deux reliefs sous-marins, presque parallèles, parcourent Zélandia du nord-ouest vers le sud-est, jusqu’à la Nouvelle-Zélande. Ces deux rides sont séparées par le bassin de Nouvelle-Calédonie, qui est en fait un rift avorté [2]. Au sud de la Nouvelle-Zélande, Zélandia est dominée par deux plateaux sous-marins, Chatham et Campbell. Du point de vue de la tectonique des plaques [3], Zélandia est située à cheval sur les plaques Australie et Pacifique. Elle est donc traversée par une frontière de plaques, plus précisément, dans ce cas, une zone de subduction, localisée le long de la Nouvelle-Zélande. Cette frontière est utilisée par certains géologues pour séparer Zélandia en deux parties, la Zélandia du Nord et la Zélandia du Sud, qui incluent respectivement les îles nord et sud de la Nouvelle-Zélande.

Il y a près de 200 Ma, Zélandia faisait partie du supercontinent Gondwana, qui comprenait l’Amérique du Sud, l’Afrique, l’Inde, l’Australie et l’Antarctique, et qui commença à se fragmenter vers la fin du Jurassique moyen (160 Ma). Dans le cadre de cette fragmentation, la Zélandia du Sud s’est détachée de l’Antarctique à partir de 85 Ma, tandis qu’un peu plus tard, vers 60 Ma, la Zélandia du Nord s’est, elle, séparée de l’Australie. Plusieurs évènements ont ensuite affecté ces deux micro-continents, notamment des processus d’extensions, qui ont conduit à l’amincissement de la croûte et, vers 25 Ma, une migration vers le nord de la Zélandia du Sud, qui s’est traduite par la formation d’une chaîne de montagnes, les Alpes du Sud, sur l’île sud de la Nouvelle-Zélande. Combiné avec son amincissement, le refroidissement de la croûte, qui la rend plus dense et favorise son affaissement, a lentement conduit à la submersion de Zélandia. Il y a environ 25 Ma, ce continent a finalement disparu sous les eaux de l’océan Pacifique. Bien plus tard, au xviie siècle, les navigateurs européens, James Cook en tête, sillonnèrent cette région à la recherche d’un grand continent austral. Pouvaient-ils se douter qu’un continent, il est vrai plus petit et moins gorgé de richesses que les géographes de l’époque ne l’imaginaient, se trouvait précisément sous leurs frégates ?

Le Gondwana il y a 200millions d’années. (© American Geophysical Union.)

 

par Frédéric Deschamps, IESAS, Taipei, Taïwan

 

Publié dans le numéro de Janvier 2024

 

 

 

Notes :

  1. Mortimer N. et al., « Reconnaissance basement geology and tectonics of North Zealandia », Tectonics, 42, 2023, e2023TC007961, doi: 10.1029/2023TC007961.
  2. Un rift est une dépression causée par l’étirement et l’amincissement de la croûte continentale sous l’effet de forces tectoniques. Il peut conduire à un phénomène d’océanisation, c’est-à-dire de fracturation complète de la croûte avec formation d’une dorsale océanique et de croûte océanique de part et d’autre de cette dorsale. C’est ce qui s’est produit en mer Rouge et qui semble se produire le long du rift est-africain. Dans de nombreux cas, cependant, le processus d’étirement s’arrête avant que ne se forme un océan. On parle de rift avorté. Le fossé rhénan et la plaine de la Limagne en sont deux exemples.
  3. Lire à ce sujet l’article de Maelis Arnould dans l’Astronomie no 169 de mars 2023.
JWST : un trou noir très gros très tôt

JWST : un trou noir très gros très tôt

L’origine des trous noirs supermassifs est vivement débattue depuis des décennies. La découverte de l’un d’eux ayant vécu moins de 500 millions d’années après le Big Bang relance le débat.

Les quasars sont des galaxies possédant, caché dans leur cœur, un trou noir de quelques dizaines à quelques centaines de millions de masses solaires. La matière que le trou noir accrète depuis sa galaxie, et qui rayonne intensément juste avant de s’engouffrer dans le trou noir, rend les quasars extrêmement lumineux.

1. Détection de la source X UHZ1: comme précisé sur la figure, la région est centrée sur UHZ1. Le panneau de droite est une image X de 155 x 155’’ entourant UHZ1. Le cercle blanc en trait continu a un rayon de 1’’, et correspond à la galaxie candidate à z = 10,32, tandis que les cercles blancs en tirets correspondent à une région comprise entre 3’’ et 6’’ où le spectre a été mesuré. L’échelle en bas donne le comptage des photons X. Le Nord est en haut, l’Est est à gauche. (© Akos Bogdan et al., arXiv:2305.15458v2.)

 

Avec le premier relevé du programme scientifique du JWST, il a été possible de regarder derrière l’amas Abell 2744, situé à un redshift égal à 0,308 (donc ayant vécu 2 milliards d’années après le Big Bang, d’après le modèle standard de la cosmologie). Dans le même champ, on a découvert plusieurs galaxies situées derrière l’amas, dont les redshifts donnés par la méthode photométrique sont compris entre 9 et 15. Par ailleurs, des observations profondes effectuées avec le télescope spatial X Chandra ont permis de découvrir dans la même région du ciel des sources de rayonnement X, signatures claires de l’accrétion sur des trous noirs supermassifs. Ce sont donc des quasars.

2. Schéma montrant la croissance du trou noir correspondant à différentes masses des « graines » et des taux d’accrétion. Le temps (en abscisse) est ici exprimé comme un redshift (les grands redshifts correspondent aux temps plus anciens). La masse du trou noir (en ordonnées) est en échelle logarithmique. (Une valeur de 2 correspond à 100 masses solaires, une valeur de 3 à mille masses solaires, etc.) On voit que les graines « légères » (light seed, de masse inférieure à 100 masses solaires) ne permettent pas aux trous noirs de dépasser une masse de 104 – 105 M⊙ à un redshift de 10,3, à moins d’accréter à un taux beaucoup trop élevé (super-Edington), du moins d’après les auteurs. (© Akos Bogdan et al., arXiv:2305.15458v2.)

 

Un article publié par une équipe internationale (comprenant une chercheuse de l’Institut d’astrophysique de Paris) conduite par un chercheur du centre d’astrophysique de Harvard à Cambridge, aux États-Unis, a étudié en détail l’un de ces quasars émetteurs de rayonnement X à la position RA = 0:14:16.096, Dec = –30:22:40.285 [1]. Grâce aux positions données par le JWST des galaxies de redshift supérieur à 9 situées derrière Abell 2744, l’équipe a isolé les images X de 11 galaxies et en a fait la photométrie. Dans cet échantillon de 11 galaxies, les chercheurs ont détecté une source de rayons X associée avec la galaxie UHZ1. Ils ont montré qu’aucune autre galaxie ne peut être associée avec cette source X (fig. 1).

Par les méthodes habituelles d’étude des quasars (mesure de la luminosité, aspect du spectre…), les auteurs ont déduit une masse du trou noir comprise entre 10 millions et 100 millions de masses solaires, comparable à la masse stellaire de la « galaxie hôte » UHZ1 déduite de la photométrie optique et infrarouge. Naturellement, les auteurs de l’article ont effectué de nombreux tests pour vérifier la plausibilité de leur modèle. Ce résultat contraste avec le cas des galaxies proches, où la masse de la galaxie hôte est environ 1 000 fois plus grande que celle du trou noir !

Se pose alors la question centrale de cet article, du moins pour ses auteurs. Les « graines » qui ont donné naissance aux premiers trous noirs supermassifs sont-elles « légères », c’est-à-dire ont-elles des masses situées entre 10 et 100 M⊙ ? Ou bien sont-elles « lourdes », c’est-à-dire ont-elles des masses situées entre 104 et 105 M⊙ ? Dans le premier cas, elles proviendraient simplement de l’effondrement des premières étoiles massives. Dans le second, il s’agirait de l’effondrement direct de gros nuages de gaz. Les auteurs montrent que les graines « lourdes » sont plus probables, en se basant sur la grande masse du trou noir comparée à celle de la galaxie hôte (fig. 2). Il faut noter que cette question est débattue depuis des décennies. Diverses théories et divers modèles avaient été élaborés… sans qu’aucun n’ait jamais été réellement convaincant. Il me semble qu’il faudra attendre la découverte de quasars encore plus âgés pour tirer des conclusions fermes, d’autant que l’une des hypothèses est qu’il n’existe pas d’accrétion à des taux très élevés, ce qui est contestable dans la phase de formation des trous noirs.

 

Par  Suzy Collin-Zahn, Observatoire de Paris-PSL

 

Publié dans le numéro de Janvier 2024

 

 

Notes

  1. Akos Bogdan et al., « Evidence for heavy seed origin of early supermassive black holes from a z ∼ 10 Xray quasar », arXiv:2305.15458v2.
Existe-t-il des vents dans les galaxies lointaines ?

Existe-t-il des vents dans les galaxies lointaines ?

Les vents éjectés par les galaxies jouent apparemment un rôle crucial dans l’évolution de ces dernières en régulant leur masse et la formation d’étoiles. Des vents ont ainsi été observés dans des galaxies du Groupe local jusqu’à une dizaine de kiloparsecs (1 parsec = 3,26 années-lumière) du centre. On prédit que de tels vents existent également dans les galaxies plus lointaines lorsqu’elles subissent une intense formation d’étoiles. Mais ils doivent alors avoir une très faible brillance et être par conséquent très difficiles à observer.

 

Une galaxie, comme bien d’autres objets célestes (les étoiles par exemple), est capable d’émettre de la matière, en général peu dense, mais assez rapide, que l’on appelle un vent (outflow en anglais [1]). Si les galaxies ont un vent, c’est probablement parce que certaines étoiles qui les peuplent en ont un. Le vent des galaxies serait la somme des vents des étoiles soufflés par la galaxie. S’il est assez rapide, ce vent échappe au champ de gravitation de la galaxie, se propage alors loin de celle-ci. Jusqu’à quelle distance peut-on l’observer ? Quelle est sa vitesse ? Dans quelles directions est-il émis ? Quelle est sa composition chimique ? Une simple photographie d’une galaxie ne permet pas de voir ni de caractériser les vents de matière éjectés. Pour répondre à ces questions, il faut analyser le spectre de la galaxie. Comme les vents sont réputés ne pas être très énergétiques, il faut observer des raies spectrales caractérisant des gaz peu chauffés (mais pas glacials, comme dans les pouponnières d’étoiles). Une étude fine de ces raies peut révéler alors la température et la vitesse du vent (dans la direction de la ligne de visée).

Les vents de galaxies ont été observés dans des galaxies proches, qui ont donc connu de nombreuses générations d’étoiles. Mais les galaxies plus anciennes, qui ne sont pas peuplées des mêmes étoiles, ont-elles également un vent ?

C’est à cette question fondamentale que s’est attaquée une équipe internationale menée par trois astronomes français de Lyon [2]. Elle vient de publier un article sur l’environnement d’un ensemble de galaxies spirales de redshift voisin de 1, ayant existé à peu près 6 milliards d’années après le Big Bang (voir l’encadré sur le redshift), pour déterminer si elles présentent des vents semblables à ceux des galaxies locales [3]. Les chercheurs ont utilisé l’instrument MUSE (Multi Unit Spectroscopic Explorer) implanté sur le VLT au Chili pour observer un ensemble de galaxies du champ ultraprofond de Hubble. MUSE est ce que l’on nomme un « spectrographe à champ intégral » qui combine spectroscopie et imagerie. Durant la dernière décennie, de tels instruments ont été développés sur les grands télescopes, comme MUSE ou KCWI (Keck Cosmic Web Imager Integral Field Spectrograph) sur le Keck (ensemble d’observatoires sur le mont Mauna Kea à Hawaï). Ils fournissent en chaque point du ciel l’intensité du rayonnement et sa distribution spectrale. Ils ont permis, pour des galaxies proches, de cartographier leur pourtour et d’en déduire ses conditions physiques jusqu’à des distances de plusieurs dizaines de kiloparsecs.

Pour les premières observations avec MUSE, on avait utilisé comme indicateurs des propriétés physiques du milieu gazeux la raie Lyman alpha (Ly α) de l’hydrogène ou les raies d’atomes ionisés du carbone qui sont très intenses dans l’ultraviolet lointain. Malheureusement, ces raies ne peuvent être observées avec des instruments au sol comme MUSE que lorsqu’elles sont déportées dans le visible en vertu de la loi de Hubble (le rayonnement d’un objet éloigné est décalé vers les grandes longueurs d’onde en proportion de sa distance), donc pour des galaxies très lointaines dont le redshift est supérieur à 2. Mais alors, la brillance de ces galaxies très éloignées est trop faible pour dresser une carte. Le problème semblait donc insoluble pour les galaxies lointaines.

 

Le magnésium à la rescousse

Heureusement, il existe une solution ! Dans l’ultraviolet proche, un ensemble de deux raies jumelles du magnésium ionisé une fois (Mg II, magnésium ayant perdu un électron), de longueurs d’onde 279,6 nm et 280,3 nm, présente une alternative intéressante à Ly α, car elles sont émises dans des conditions semblables. Contrairement à Ly α, ces raies ont une longueur d’onde pour laquelle l’atmosphère terrestre est quasi transparente ; on peut donc obtenir des images de ces raies pour des redshifts 0 < z ≤ 1 avec des instruments au sol. Par ailleurs, l’énergie nécessaire (7,6 eV) pour ioniser le magnésium neutre Mg I et produire l’ion Mg II est beaucoup plus faible que l’énergie d’ionisation de l’hydrogène (13,6 eV). Cela implique que le magnésium est sous forme à la fois de Mg I et Mg II, ce qui en fait un traceur de régions relativement froides, comme le sont les vents stellaires. Un autre résultat que l’on tirera de l’observation du magnésium sera que ces galaxies contiennent déjà des éléments « lourds » [4].

 

 

Quelles méthodes ?

Le but de l’étude étant de déterminer l’étendue de l’émission de Mg II en fonction de la direction, une détermination a priori des orientations des galaxies était nécessaire. Les chercheurs ont donc séparé par une inspection visuelle les galaxies en deux échantillons : les galaxies « vues de face » ayant des angles d’inclinaison > 55°, et celles « vues de profil », avec des inclinaisons < 30°. Ils ont éliminé les galaxies en train de fusionner. Ils ont ainsi trouvé 112 galaxies vues de profil, et 60 vues de face. Ils ont aligné les galaxies vues de profil et celles vues de face suivant leur axe majeur. Pour chacun des deux échantillons, ils ont alors cumulé leur émission pour obtenir un meilleur rapport signal sur bruit, puis ont construit des images en additionnant les données de toutes les galaxies du même type. Ils obtiennent donc un seul spectre dont ils peuvent tirer un grand nombre d’informations. À titre d’exemple, la figure 1 montre les résultats obtenus pour l’émission de Mg II 2 796, la figure 2 montre le champ de vitesses, et la figure 3 la distribution du rayonnement stellaire. Le redshift médian est z = 1,1, et les masses stellaires médianes (qui sont déjà connues par les résultats du télescope Hubble) sont pratiquement de 3 milliards de masses solaires dans les deux cas.

Fig. 1. Carte montrant la distribution de l’émission Mg II de l’échantillon de galaxies, avec les galaxies vues de profil à gauche, et les galaxies vues de face à droite. La rangée du haut montre les images du HST additionnées (bandes 435W, F775W, F606W, F850LP et F160W) qui représentent la composante stellaire. Les rangées du milieu et du bas montrent respectivement la valeur moyenne et la valeur médiane de l’intensité de la raie Mg II 2796 Å. Les contours blancs correspondent à différents niveaux d’importance. Chaque vignette a une taille de 5”x 5”, correspondant à peu près à 40 x 40 kpc. Chaque cellule de la rangée du haut correspond à 8 kpc. Les petit et grand cercles dans le panneau de droite en haut représentent respectivement les PSF du HST et de MUSE. La brillance de surface est donnée par le panneau du bas. Une différence manifeste apparaît entre les deux types de galaxies : dans les galaxies vues de profil, le gaz produisant Mg II s’étend loin de part et d’autre de la galaxie avec une forte émission, tandis que dans les galaxies vues de face, il est quasiment absent. L’interprétation est très claire : les vents sont dirigées symétriquement et perpendiculairement au disque galactique. (Yucheng Guo, Roland Bacon, Nicolas F. Bouché et al., Nature 624, p. 53, arXiv:2312.05167v.).

Fig. 2. Images pour différentes valeurs de la vitesse, correspondant à des intervalles de 100 km/s (≈1Å dans le système au repos) centrées à Mg II 2796A. Les rangées du haut et du bas montrent respectivement les échantillons vus de profil et vus de face. Les contours blancs correspondent à différents niveaux d’importance. Les échelles sont les mêmes que pour la figure 1. Ces images sont difficiles à interpréter. Les plages bleues dans les galaxies vues de face semblent révéler un mélange d’absorption et d’émission dans la partie centrale, surtout pour les vitesses négatives, ce qui correspondrait bien à des éjections perpendiculaires au plan galactique. Pour les galaxies vues par la tranche, le gaz s’étend loin du centre, mais avec des vitesses plus faibles, ce qui indique bien que le vent s’étend plus loin, mais moins rapidement. (Yucheng Guo, Roland Bacon, Nicolas F. Bouché et al., Nature 624, p. 53, arXiv:2312.05167v.)

3. Cartes du rayonnement stellaire et de l’émission Mg II pour les grandes masses à gauche et les petites masses à droite, séparées par la masse médiane 109.5M⊙ . La rangée du bas montre les images Mg II 2796 A. Les échelles de couleur à gauche et à droite sont ajustées pour une présentation pratique. Toutes les échelles et les annotations sont les mêmes que dans la figure 1. (Yucheng Guo, Roland Bacon, Nicolas F. Bouché et al., Nature 624, p. 53, arXiv:2312.05167v.)

 

Quels résultats ?

L’article cité contient encore d’autres résultats, comme la présence d’un anneau dans les galaxies vues de face. Il ressort essentiellement de cette étude que les vents s’étendent sur des échelles de l’ordre de 10 kiloparsecs autour des galaxies vues de profil, mais qu’ils sont en revanche presque inexistants sur celles vues de face, à l’exception d’une petite région autour du centre. La forte dépendance des paramètres à l’inclinaison de la galaxie suggère que les éjections ont une géométrie bipolaire perpendiculaire au disque galactique. Elles sont intenses lorsque la masse des étoiles dépasse 3 milliards de masses solaires. Ces résultats confirment l’importance de vents provenant de galaxies présentes six milliards d’années après le Big Bang et enrichissant en éléments lourds le gaz intergalactique.

 

4. Raie en absorption du Mg II au centre des galaxies (dans 1’’x 1’’), après soustraction du rayonnement stellaire. Les lignes rose et gris correspondent respectivement aux galaxies vues de face et vues de profil. La ligne rouge en pointillés correspond à la décomposition du doublet Mg II 2803A en une double gaussienne [5]. Les deux raies verticales hachurées montrent les longueurs d’onde du doublet de Mg II. L’intensité totale de la raie Mg II 2796A pour les galaxies vues de profil est de 7,4, epour les galaxies vues de profil de 2,5 A. Il y a donc beaucoup plus de gaz sur la ligne de visée des galaxies vues de face que sur celles vues de profil. (Yucheng Guo, Roland Bacon, Nicolas F. Bouché et al., Nature 624, p. 53, arXiv:2312.05167v.)

 

par Suzy Collin-Zahn, Observatoire de Paris-PSL

 

 

Publié dans le numéro 180

 

 

Notes

  1. On appelle ces vents des outflows. Il est très difficile de traduire le mot outflow sinon par une périphrase compliquée, c’est pourquoi nous préférons garder le mot « vent ».
  2. ENS de Lyon, CNRS, Centre de recherche astrophysique de Lyon.
  3. Yucheng Guo, Roland Bacon, Nicolas F. Bouché et al., « Bipolar outflows out to 10 kpc for massive galaxies at redshift z ≈ 1 », Nature 624, 2023, p. 53, arXiv:2312.05167v.
  4. Rappelons qu’on appelle en astronomie « éléments lourds » les éléments comme le carbone et les éléments suivants comme l’azote, l’oxygène, etc., synthétisés dans les étoiles et non dans l’Univers primordial.
  5. Une gaussienne est une fonction caractéristique utilisée dans le calcul des probabilités qui a la forme d’une courbe en cloche.
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