LE MAGAZINE DES SCIENCES DE L’UNIVERS EN AFRIQUE
Event Horizon Telescope scrute un troisième trou noir géant

Event Horizon Telescope scrute un troisième trou noir géant

Après le trou noir de la galaxie M87 et celui de 3C 279, la collaboration EHT (Event Horizon Telescope) vient de publier les résultats concernant le trou noir supermassif de la radiogalaxie la plus proche de la Voie lactée, Centaurus A.

 

1. Superposition d’images de Centaurus A dans le domaine submillimétrique (APEX, en orange) avec le rayonnement X (Chandra, en bleu) et en lumière visible (Hubble). (NASA).

 

L’Event Horizon Telescope (EHT) est composé de plusieurs radio- télescopes disposés autour du monde et séparés par plusieurs centaines à plusieurs milliers de kilomètres. Ils sont reliés par le processus d’interférométrie pour créer un télescope « virtuel » équivalent à un télescope ayant un diamètre égal à celui de la Terre. L’EHT avait été initialement conçu pour donner l’image du trou noir supermassif du centre de la Voie lactée, Sgr A*, mais il n’a pas encore pu y parvenir à cause de la très faible luminosité et de la petite masse de ce trou noir. En revanche, l’EHT a réussi à observer le 10 avril 2019 « l’ombre » du trou noir supermassif au cœur de la galaxie M87, et plus récemment il a obtenu une image détaillée de l’environnement du trou noir de 3C 279 [1].

Centaurus A (NGC 5128) est une radiogalaxie extrêmement complexe (provenant probablement de la fusion assez récente de deux galaxies) qui rayonne intensément dans les domaines radio, visible et X, et qui est située à environ 12 millions d’années-lumière de la Voie lactée (fig. 1). Elle possède un trou noir central d’environ 50 millions de fois la masse du Soleil, donc intermédiaire entre celui de M87 (6,5 milliards de masses solaires) et Sgr A* (4 millions de masses solaires), ainsi que deux jets rayonnant en lumière visible, en radio et en rayons X. À une distance d’environ 15 000 années-lumière de Centaurus A, ces jets s’élargissent en forme de champignon, mais des nuages radio à l’extrémité de ces jets s’étendent jusqu’à une distance de près de 500000 années-lumière. Centaurus A est aussi traversée par une large bande de poussières, preuve s’il en était encore besoin d’un passé agité !

L’énorme production d’énergie de Centaurus A provient du gaz tombant dans le trou noir central. Une partie de cette matière est à nouveau éjectée dans deux jets opposés avec une vitesse au départ proche de la vitesse de la lumière. Les détails de ce processus n’étaient pas clairs, c’est pourquoi il était impératif de tenter d’observer le noyau de cette galaxie avec la meilleure résolution spatiale possible. C’est chose faite maintenant avec l’EHT.

Les données avaient été recueillies au cours des quatre jours d’observation de M87 en 2017. Une grosse équipe constituée par la collaboration EHT, à laquelle se sont joints une cinquantaine d’astronomes conduits par Michael Janssen, de l’université de Nimègue, aux Pays-Bas [2], vient de publier une modélisation fine des données permettant de dépasser la résolution théorique de l’interféromètre, et montrant des détails d’environ 0,6 jour-lumière, soit 25 milliards de kilomètres, correspondant à environ 250 rayons gravitationnels [3] du trou noir.

 

2. Structure du jet de Centaurus A comparée à celle du jet de M87. En a, le jet de Centaurus A observé à 8 GHz (λ = 3,7 cm) par le radiotélescope japonais TANAMI en novembre 2011. En b, l’image obtenue par l’EHT en avril 2017, après le travail de réduction. Les lignes en tirets entre a et b indiquent le zoom de l’image EHT. Pour comparaison, en c, le jet de M87 à 43 GHz (λ=7 mm) à partir des observations de juin 2013. Les échelles physiques du champ de vue complet montrées dans les trois images sont respectivement de 2 pc, 0,007 pc et 0,6 pc. Les tailles des faisceaux sont indiquées dans le coin en bas à droite pour chaque image. (M. Janssen, Nature Astronomy, 2021).

Les images du jet de Centaurus A, observé à une fréquence de 1,3 mm et comparé à des observations précédentes, sont obtenues avec une résolution spatiale 16 fois supérieure. Elles révèlent une structure collimatée sous la forme d’un jet dirigé dans notre direction possédant une gaine brillante entourant une colonne vertébrale presque invisible, ce qui donne l’impression de deux jets séparés. On distingue également un contre-jet très faible se dirigeant dans la direction opposée [4] mais de même structure (fig. 2). Cette structure est identique à celle du jet de M87 sur une échelle comparable de 500 rayons gravitationnels. De plus, les astronomes ont identifié la position du trou noir supermassif par rapport au jet. Par ailleurs il est bien connu qu’il existe des corrélations fortes entre la masse des trous noirs et leurs luminosités radio et X. Les auteurs en déduisent que la similitude de structure des jets de M87 et Centaurus A conforte l’idée d’une invariance d’échelle par rapport à la masse du trou noir.

Finalement, les auteurs montrent qu’il sera possible d’obtenir l’image de l’ombre du trou noir de Centaurus A, comme on l’a fait avec M87, mais en observant à une fréquence de quelques milliers de gigahertz, c’est-à-dire dans l’infrarouge lointain. On est malheureusement encore loin d’obtenir des mesures d’une aussi haute résolution dans cette gamme de rayonnement…

Suzy Collin-Zahn

 

1. Voir l’article de J. Lequeux et F. Vincent dans le numéro 128 de l’Astronomie, juin 2019 : « Première image de l’ombre d’un trou noir », et l’actualité de S. Collin-Zahn dans le numéro 140, été 2020, « Event Horizon Telescope dévoile le surprenant jet de 3C 279 ».

2. Michael Janssen et al., Nature Astronomy, « EHT observations of the jet launching and collimation in Centaurus A », 2021.

3. Le rayon gravitationnel (ou rayon de Schwarzschild) du trou noir est égal à 2GM/c2, où G est la constante de la gravitation universelle, c est la vitesse de la lumière et M la masse du trou noir, soit pour un trou noir de 55 millions de masses solaires environ 100 millions de kilomètres.
4. Le jet venant vers nous est amplifié par l’effet d’« aberration relativiste » tandis que celui qui s’éloigne est affaibli.

Mars a trouvé son nord à l’aide d’un gnomon

Mars a trouvé son nord à l’aide d’un gnomon

Sur Mars, c’est le gnomon qui a été choisi pour déterminer la direction du nord géographique ou orienter les instruments scientifiques des missions martiennes.

 

1. Photo du sommet du sismomètre SEIS prise le 1er janvier 2019. L’ombre du gnomon sur la mire est bien visible. (Nasa/JPL)

 

Si l’on considère que la détermination de l’altitude des montagnes lunaires par Galilée en 1610 préfigure l’application de la science des ombres à un autre astre que la Terre1, il faut, semble-t-il, attendre la fin des années 1960 et le début des années 1970 avec les missions américaines Apollo pour que commence véritablement l’utilisation scientifique du gnomon sur la Lune. Il faudra encore attendre un demi-siècle après cet événement pour que cet instrument soit utilisé sur la planète Mars avec la sonde InSight. Dans les deux cas, le gnomon a été choisi pour déterminer la direction du nord géographique ou pour orienter des instruments scientifiques de mesure, ce qui a impliqué à chaque fois de pouvoir calculer l’azimut du Soleil précisément puisque le principe repose sur l’angle que fait le Soleil (ou sa direction opposée) avec une direction cardinale. La Lune et Mars partagent une même caractéristique : l’absence d’un champ magnétique pour orienter une boussole, laquelle donne la direction du nord magnétique, qui ne coïncide pas forcément avec le nord géographique.

Pour que le sismomètre SEIS déposé par la sonde InSight à la surface de la planète Mars en décembre 2018 puisse être utilisé, il faut connaître son orientation par rapport au Nord géographique martien, lequel est défini, comme sur Terre, par la direction de l’axe de rotation. Il existe plusieurs solutions pour déterminer le nord sur une planète : utiliser une étoile polaire, utiliser l’ombre d’un objet éclairé par le Soleil, utiliser un gyroscope.

L’étoile polaire « nord » de Mars, qui n’est pas très éloignée de Deneb (α Cygni), aurait demandé un système de visée nocturne complexe ; de plus, en raison de la latitude équatoriale d’InSight (près de 4,5° N), l’étoile aurait été trop près de l’horizon. Dans le cas d’InSight, ce sont les deux dernières solutions qui ont été retenues par la Nasa.

Lors de la phase de descente de l’atterrisseur dans l’atmosphère, un gyroscope embarqué a permis de connaître l’orientation de la sonde, mais il était indispensable de la vérifier une fois l’ensemble posé au sol. À cet effet, on avait muni le sommet du sismomètre d’une mire divisée en secteurs angulaires afin de déterminer l’azimut de l’ombre du gnomon, puisque déterminer la direction du nord sur Mars par l’ombre revient à connaître l’azimut du Soleil. Le gnomon était constitué par le crochet de préhension de SEIS, ce qui était loin d’être idéal en raison de sa forme circulaire (fig. 1).

Après une série de tests en décembre 2018, la NASA a fourni 8 images en haute résolution, prises par la caméra située au bout du bras articulé (IDC) d’InSight le 1er janvier 2019. Pour chaque image qui arrivait, on connaissait l’heure de la prise de vue en temps universel coordonné (UTC) ainsi que les coordonnées géographiques du sismomètre (latitude = 4° 30’ 9’’ N, longitude = 135° 37’ 5’’ E). Pour calculer l’azimut et la hauteur du Soleil sur Mars en fonction de l’heure et du lieu, la solution VSOP87 de P. Bretagnon a été choisi. Elle fournit les coordonnées héliocentriques de Mars avec une très haute précision sur un grand intervalle de temps, en l’adaptant à un référentiel local martien prenant en compte les derniers ajustements en ce qui concerne l’obliquité de Mars et la précession-nutation du repère écliptique d’après les constantes issues d’A. Konopliv. Une simulation numérique très précise du gnomon de SEIS a été également mise au point en intégrant une version « allégée » du mouvement du Soleil sur Mars à l’aide du logiciel de raytracing POV-Ray. C’est grâce à ces simulations qu’un entrainement à faire des déterminations de direction du nord sur des images soit dégradées en visibilité, soit en intégrant un problème d’horizontalité du sismomètre a pu avoir lieu (en d’autres termes en lui donnant une inclinaison et une orientation inconnues). Nous avons mis au point une liste des problèmes possibles auxquels nous pourrions être confrontés : erreur sur les coordonnées « d’atterrissage » d’InSight, décalage dans la transmission en UTC des images, inclinaison du sismomètre de quelques degrés, etc. Cette analyse des sources d’erreur potentielles dans la détermination de l’azimut du Soleil nous a permis de choisir des plages horaires optimales pour les prises de vue de l’ombre du gnomon. Le voisinage du passage au méridien s’est avéré être la fenêtre la plus défavorable, même si une image méridienne permettait de valider la direction nord-sud.

Huit images ont été sélectionnées pour déterminer le nord : cela commence par un travail de calage des points de repère sur la mire puis par l’estimation du sommet de l’ombre (fig. 2) ; connaissant la hauteur du gnomon et l’heure de prise de vue en UTC, on a calculé l’azimut et la hauteur du Soleil ; puis on a reporté sur l’image grâce aux secteurs angulaires de la mire la valeur de l’azimut (en vérifiant le bon sens de rotation de l’ombre), en s’assurant de la cohérence de la longueur de l’ombre. Un léger avantage des ombres sur Mars tient au diamètre apparent du Soleil qui était de 0° 22’ début 2019, limitant ainsi l’effet de pénombre.

 

 

2. Méthode d’estimation de l’azimut du Soleil à partir de l’ombre.

 

Grâce aux repères du sismomètre, les ingénieurs de l’IPGP et du CNES ont finalement rapporté le nord géographique ainsi déterminé (fig. 3). On a pu vérifier au passage que l’orientation obtenue à l’aide du gnomon, comparée à celle obtenue avec le gyroscope, différait de 2,5°, ce qui finalement est un beau résultat.

3. Orientation finale du sismomètre par rapport au nord géographique martien.

 

Précisons pour finir que si les sondes Curiosity et Mars Exploration Rover incluaient un « MarsDial », ceux-ci étaient des appareils artistiques utilisés comme cibles d’étalonnage pour les caméras. Ils n’étaient pas destinés à fournir des mesures astronomiques rigoureuses et le gnomon d’InSight est le premier à ce jour à avoir servi de boussole solaire.

Denis Savoie, Syrte, observatoire de Paris

Le clin d’oeil de Bételgeuse

Le clin d’oeil de Bételgeuse

Nous sommes le 7 décembre 2019. Ce jour-là paraît le Télégramme des astronomes numéro 13341 qui s’intitule « La baisse de luminosité de la supergéante rouge proche Bételgeuse ». Tout est dans le titre : Bételgeuse est la plus célèbre des étoiles supergéantes rouges et, en cette fin d’année 2019, elle apparaît moins lumineuse que d’habitude.

 

 

Située dans la constellation d’Orion sur l’une de ses épaules, elle est très facilement repérable dans notre hiver boréal. Comme toutes les supergéantes rouges, c’est une variable semi-régulière : sans être tout à fait périodique, elle présente des changements de luminosité qui sont presque réguliers. Ainsi lui connaît-on deux périodes principales : une de 400 jours et une de 2 000 jours (environ 5 ans et demi). Pour cette raison, le 11 décembre, j’écris à mes collaborateurs Éric Lagadec (laboratoire Lagrange de l’observatoire de la Côte d’Azur, Nice) et Pierre Kervella (laboratoire Lesia de l’Observatoire de Paris-Meudon) qu’il est trop tôt pour affirmer que quelque chose est en cours sur Bételgeuse : sa luminosité est dans la gamme habituelle. On peut imaginer à ce moment qu’une conjonction des deux périodes de pulsation/convection conduira à un minimum un peu plus marqué, comme en 2009.

 

1. Courbe de lumière de Bételgeuse obtenue par l’Association américaine des observateurs d’étoiles variables (AAVSO) en bande V en vert foncé. Les points vert clair correspondent à des observations obtenues avec l’observatoire spatial STEREO-A. C’est une sonde normalement utilisée pour observer le Soleil et qui a été pointée sur Bételgeuse quand elle était inobservable depuis la Terre en juillet 2020, car justement trop proche du Soleil. STEREO-A est en retard par rapport à la Terre sur son orbite et n’avait donc pas le Soleil sur sa ligne de visée (https://www.astronomerstelegram.org/?read=13901). Les lignes verticales bleues correspondent aux dates des observations au VLT avec SPHERE.
(Montargès et al. 2021, Nature)

 

LA CAMPAGNE D’OBSERVATION

Le 19 décembre, alors que cette baisse de luminosité se poursuit et commence à agiter la presse, je décide de tenter des observations, dans le but de montrer que rien d’exceptionnel ne se passe (j’en ris encore !). Je compte utiliser les instruments de l’Observatoire européen austral (ESO), au Chili, installés sur le Very Large Telescope (VLT), car ils permettent de résoudre Bételgeuse, c’est-à-dire d’obtenir un niveau de détails suffisant pour ne plus la voir comme un point mais comme un disque. Or, les demandes de temps normal de l’Eso ne sont ouvertes qu’en mars et septembre (aux équinoxes). Je dois passer par le canal du « temps à la discrétion du directeur (DDT) », qui permet de solliciter du temps d’observation de manière exceptionnelle lorsque quelque chose d’imprévu a lieu en dehors des appels normaux. Mon projet est d’utiliser trois instruments :

 

  •  VLT/SPHERE-ZIMPOL : imagerie directe de la surface de l’étoile dans le domaine visible par optique adaptative (il s’agit du seul instrument au monde pouvant voir en détail la surface d’étoiles autres que le Soleil, en fait 4 ou 5 seulement !). Je compte initialement utiliser le mode polarimétrique à la recherche de poussière dans l’environnement de l’étoile.
  • VLTI/GRAVITY : un des 3 instruments interférométriques du VLT qui permet de recombiner la lumière de 4 télescopes, ici en infrarouge proche. Bételgeuse étant encore plus brillante en infrarouge qu’en visible, j’utilise les télescopes auxiliaires de 1,8 m de diamètre qui sont déplaçables, au lieu des grands unitaires de 8,2m. Le but est de déterminer la structure de la convection à la surface de l’étoile (voir l’Astronomie 131 de décembre 2017).
  • VLT/SPHERE-IRDIS : la composante proche infrarouge de SPHERE avec la technique de masquage de pupille. Un disque de quelques centimètres de diamètre est inséré sur le trajet de la lumière dans l’instrument percé de 7 trous : il transforme le télescope unitaire numéro 3 du VLT (Mélipal, la Croix du Sud) en interféromètre à courte ligne de base. Ici, je cherche à compléter les observations de GRAVITY.

 

Ces instruments installés au Chili ont été développés en Europe. Que ce soit SPHERE ou GRAVITY, les deux ont bénéficié d’une très forte participation française, l’Institut de planétologie et d’astrophysique de Grenoble (IPAG) étant même PI (Principal Investigator) sur SPHERE.

La demande de temps est soumise après relecture et commentaires par mes collaborateurs le 22 décembre. Le 27 décembre 2019 à 0 h 28, alors que je vais me coucher, je reçois un courriel sur mon téléphone m’indiquant que je dois envoyer les paramètres d’observation (Observing Blocks, OB) directement par courriel au télescope. Après un moment d’égarement, je comprends que je dois court-circuiter toute la procédure habituelle d’observation avec l’interface web dédiée, car tout le monde est en vacances pour Noël. À 1 h 38, j’envoie les OB et vais dormir. À 6 h 18, alors que je dors en Belgique, au Chili, SPHERE est pointé sur Bételgeuse et l’étoile que j’ai choisie pour l’étalonnage : la géante bleue Rigel. En me réveillant à 9 h 30, je reçois le courriel confirmant la bonne exécution des observations. Toujours en raison des vacances de Noël, au lieu de recevoir les données le jour même vers 14 heures, je dois attendre le 29 décembre en passant outre encore une fois une bonne partie des procédures habituelles. Stupéfaction : alors que je m’attendais à retrouver une Bételgeuse quasi ronde et uniforme, comme lors des observations que j’avais effectuées en personne un an auparavant, la nuit du 31 décembre 2018 au 1er janvier 2019 au Chili, je découvre que la partie sud de l’étoile est devenue 10 fois plus sombre ! C’est un sentiment grisant d’être, à ce moment-là, la seule personne à savoir que cette étoile (que tout le monde peut voir à l’œil nu !) a un aspect différent. Paradoxalement, ça n’est que le 30 décembre que je peux contempler Bételgeuse de mes propres yeux (la météo belge en décembre n’est pas celle du Chili). C’était saisissant de voir Bételgeuse, qui rivalise normalement avec Rigel, avoir la luminosité de Bellatrix.

 

2. La première ligne montre les images obtenues avec SPHERE-ZIMPOL dans le filtre continuum Hα à 644,9nm. La deuxième ligne correspond à un modèle de photosphère de supergéante rouge à 3700K avec un point froid à 3400K (3200K pour mars 2020). La troisième ligne est le produit de simulations de transfert radiatif avec un nuage de poussière juste devant Bételgeuse. Le disque blanc correspond au détail le plus petit que peut détecter ZIMPOL. L’échelle en ascension droite (RA) et déclinaison (Dec) est en millième de seconde d’angle. (Montargès et al. 2021, Nature)

 

UN VOILE DE POUSSIÈRES A CACHÉ BÉTELGEUSE

Le reste de l’histoire est maintenant connu. Le 14 février 2020, avec l’ESO, nous avons publié la comparaison avant et après des images SPHERE-ZIMPOL entre janvier et décembre 2019. Ce que peu savaient, c’est que j’avais effectué une seconde demande de temps à discrétion (DDT) dans le but d’observer Bételgeuse avec l’instrument MATISSE du VLTI (interférométrie en infrarouge moyen pour déterminer la composition de la poussière), et à nouveau avec SPHERE, avec cette fois la possibilité de déclencher les observations moi-même. Mon objectif était d’effectuer un suivi et d’obtenir des images au minimum de luminosité puis lors de la phase de remontée en brillance. Cette séquence fut un succès, les dernières observations avec SPHERE ont été sécurisées trois jours avant la fermeture du VLT en raison de la pandémie. Le reste de l’année s’est écoulé en modélisation (et réunions par vidéoconférence !). Pour cela, j’ai fait tourner des dizaines de milliers de modèles en utilisant la grille de calcul de mon institut à Louvain (ce qui permet de faire tourner jusqu’à plusieurs centaines de simulations en parallèle, mais nécessite malgré tout plusieurs jours). La conclusion de ce travail a été publiée dans Nature en juin 2021 (l’article avait été soumis en novembre 2020) : la Grande Baisse d’éclat de Bételgeuse a été provoquée par un refroidissement local de la photosphère qui a causé la formation de poussières (des particules solides mesurant un millième de millimètre) dans un nuage de gaz éjecté plusieurs mois auparavant par Bételgeuse sur la ligne de visée vers la Terre (voir schéma ci-dessus). En 150 ans, elle n’avait jamais connu une telle perte de luminosité. Quel vertige de penser que cet événement a eu lieu pile au bon moment, il y a plus de 700 ans, pour que sa lumière nous parvienne ces dernières années, alors que nous avons l’instrumentation adaptée pour le comprendre.

 

INTÉRÊT DE L’ÉVÉNEMENT

Il est légitime de se demander en quoi cet événement mérite une telle attention. Comme je l’avais expliqué dans l’Astronomie en décembre 2017 (numéro 111), on ne sait pas comment le vent stellaire des supergéantes rouges est déclenché. Or, il ne s’agit pas d’une petite brise comme pour le Soleil : il peut entraîner jusqu’à 60 % de la masse de l’étoile au cours de cette phase, et donc profondément changer son destin (type d’étoile donnant lieu à une supernova, courbe de lumière de la super- nova, nature du cadavre stellaire : trou noir ou étoile à neutrons). Ici, avec cette Grande Baisse d’éclat de Bételgeuse, nous avons assisté à un épisode plus important de perte de masse, ce qui va nous aider à mieux cerner les mécanismes en jeu. Nous allons continuer à observer et modéliser cette étoile et d’autres, mais cet événement aura eu un rôle fondamental dans notre compréhension des supergéantes rouges.

Miguel Montargès Lesia/Observatoire de Paris-PSL

Lofar bouleverse notre vision de l’univers violent et primitif

Lofar bouleverse notre vision de l’univers violent et primitif

Les images fraîchement publiées par la collaboration internationale Lofar apportent un éclairage essentiel à notre compréhension de l’évolution de l’Univers. Grâce à une sensibilité et une résolution inédites, l’interféromètre radio surpasse de loin toutes les espérances en cartographiant la position des trous noirs supermassifs et les lieux de formation stellaire dans l’Univers primordial.

1. Représentation artistique d’une onde radio émise par un pulsar et détectée par le radiotélescope Lofar aux Pays-Bas.
(© Danielle Futselaar/ASTRON)

Explorer l’Univers par le prisme des ondes radio

Les fréquences radio émises par des sources astrophysiques couvrent une vaste gamme dans le spectre électromagnétique, de 10 MHz jusqu’à 300 GHz . Ainsi, presque tous les types d’astres et de processus physiques peuvent être observés à ces fréquences. De plus, contrairement aux autres plages d’énergie de la lumière (c.-à-d. l’infrarouge, l’ultraviolet, les rayons X et gamma), le domaine radio possède l’avantage d’être observable tant depuis le sol que depuis l’espace. En effet, communément désigné comme la « fenêtre radio », il fait partie – avec le visible – des rares rayonnements qui nous parviennent de l’Univers sans être absorbés par l’atmosphère terrestre.

Toutefois, même si des instruments au sol peuvent capter ces grandes longueurs d’onde (de l’ordre du centimètre jusqu’à la dizaine de mètres 2), la face radio de l’Univers demeure mal appréhendée. Les observations restent difficiles à entreprendre en raison de la présence d’une couche de plasma (c.-à-d. gaz ionisé) dans l’atmosphère, entre 50 km et 600 km depuis la surface de la Terre, appelée ionosphère, qui agit comme une lentille qui se déplace continuellement au-dessus des radiotélescopes. En la traversant, la propagation des rayons lumineux est perturbée et, par conséquent, la reconstruction du champ du ciel contemplé se voit dégradée. Pour tenir compte des turbulences ionosphériques, les scientifiques ont alors recours à des superordinateurs et des algorithmes pour annuler son influence dans les relevés de données. En pratique, plus l’Univers est sondé aux très basses fréquences (c.-à-d. aux alentours des 10 MHz), plus les fluctuations atmosphériques prennent de l’importance, rendant l’observation moins aisée puisque l’on s’approche de la zone de coupure ionosphérique.

L’interféromètre  radio européen Lofar

Lofar – acronyme de Low Frequency Array – désigne le réseau d’antennes le plus étendu sur Terre, capable d’observer l’Univers en radio dans des bandes de fréquences ultra-basses (f < 100 MHz). Opérationnel depuis onze ans, ce projet international repose sur la technique de la synthèse d’ouverture par interférométrie. Le principe de fonctionnement consiste à répartir sur une vaste zone un ensemble d’antennes radio, puis de combiner les signaux reçus par chaque antenne pour afficher le bout de ciel étudié. De cette manière, les astronomes aboutissent à une résolution pour les images reconstituées équivalente à celle d’un unique et gigantesque radiotélescope, dont le diamètre vaudrait le périmètre couvert par l’agglomérat d’antennes (environ 1 500 km). Cette méthode remarquablement ingénieuse est également employée par la collaboration Event Horizon Telescope (EHT) qui s’emploie à capter l’ombre des trous noirs supermassifs.

En somme, ce télescope virtuel avec pointage numérique regroupe pas moins de cinquante-deux stations, ce qui représente plus de 70 000 antennes coordonnées et disséminées à travers neuf pays européens. Le cœur du réseau se localise aux Pays-Bas, avec trente-huit stations (fig. 1). Parmi les stations restantes, une se trouve en France, sur le site de Nançay de l’Observatoire de Paris-PSL. Ainsi, grâce à l’espace occupé au sol par Lofar, le degré de finesse des clichés obtenus entre 10 MHz et 240 MHz – intervalle du spectre électromagnétique couvert par l’instrument – est amélioré d’un facteur 10, constituant un véritable bond en avant pour la radioastronomie.

Avec pour ambition de révolutionner l’imagerie radio de l’hémisphère Nord (c.-à-d. en atteignant une résolution angulaire inférieure à 15″ 3), les astronomes travaillent à partir de deux types de relevés de données : d’une part LoTSS (Lofar Two-metre Sky Survey) qui sonde la voûte céleste entre 120 et 168 MHz en utilisant les antennes hautes fréquences HBA de Lofar, et d’autre part LoLSS (Lofar LBA Sky Survey) qui se concentre sur la gamme 42 MHz à 66 MHz à l’aide des antennes basses fréquences LBA.

 

2. Cartographie d’une portion du ciel à une résolution angulaire de 47”. Chaque point blanc est associé à un trou noir supermassif logé au centre d’une galaxie. Pour dresser cette mosaïque de 95 images, il aura finalement néć essité́ 256 heures d’observation au total. (© lOFAR/lolSS)

 

Une carte ultra-sensible met au jour plus de 25 000 trous noirs supermassifs

Une équipe d’astronomes du radiotélescope Lofar a fourni le 17 février 2021, dans la revue Astronomy & Astrophysics, la carte la plus étendue et précise du ciel vu à une fréquence d’environ 50 MHz. Ce sont d’ailleurs les ondes radio les plus grandes en longueur d’onde jamais utilisées pour observer une zone aussi large du ciel, jumelée à un niveau de détails sans précédent. Une carte qui a probablement à la fois émerveillé et déstabilisé le grand public dans la mesure où les points lumineux ne correspondent en rien à des étoiles (fig. 2). En effet, ces boules de réactions thermonucléaires étant pratiquement invisibles dans la bande radio, les astres qui transparaissent ici s’avèrent – pour la majeure partie – être des trous noirs supermassifs localisés au centre de galaxies actives très éloignées (AGN). Cartographier 3 % de l’hémisphère Nord a ainsi suffi pour révéler 25247 corps célestes en les comparant au catalogue de sources FIRST (Becker et al.,1995).

Bien que ces quatre-vingt-quinze images acquises avec le relevé LoLSS ne soient que préliminaires, « elles sont toujours dix fois plus sensibles que les études précédentes disponibles à ces basses fréquences », assurent les auteurs de la publication. « C’est le résultat de nombreuses années de travail sur des données incroyablement difficiles. Nous avons dû inventer de nouvelles stratégies pour convertir les signaux radio en images du ciel, mais nous sommes fiers d’avoir ouvert cette nouvelle fenêtre sur notre Univers », déclare Francesco de Gasperin, l’auteur référent de l’article. Cette mosaïque devra néanmoins recevoir des corrections pour retirer les effets dépendant de la direction, notamment l’influence de l’ionosphère repérable par la présence d’artefacts autour des points blancs. « Dans les deux prochaines années, nous prévoyons de traiter environ deux mille heures d’observation pour cartographier l’ensemble du ciel boréal. L’analyse de ces données pourrait révéler des phénomènes encore inconnus, par exemple nous pourrions voir l’émission de filaments cosmiques qui suivent la distribution de la matière dans l’Univers à grande échelle », confie avec enthousiasme Gianfranco Brunetti, astrophysicien coordinateur du consortium italien Lofar à l’Institut national d’astrophysique de Bologne (Inaf).

 

3. Image de la région centrale du champ Elais-N1 publiée par Lofar
(164 heures de pointage au total, à 150 MHz). On y distingue des jets radio résolus émis par des AGN (en haut à droite et en bas à gauche) ainsi que des sources ponctuelles trahissant des galaxies où se déroule un pic de formation stellaire (en bas à droite et en haut à gauche). (Philip Best & Jose Sabater/loTSS/lOFAR)

 

Un voile se lève sur la formation stellaire des jeunes galaxies

Le 7 avril 2021, une seconde parution dans la revue Astronomy & Astrophysics a constitué un tournant pour l’observation de la sphère céleste en multi-longueurs d’onde. Lofar y a présenté les résultats de trois régions particulières – Lockman Hole, Boötes et Elais-N –, issues de son premier relevé LoTSS en champ profond au voisinage de 150 MHz. « Les parties du ciel que nous avons choisies sont les mieux étudiées du ciel boréal », explique Philip Best, le responsable de l’étude, dans le communiqué de presse d’Astron (Institut néerlandais de radioastronomie). De ce fait, les chercheurs ont rassemblé des données optiques, submillimétriques, infrarouges proche et lointain pour les combiner sur les images LoTSS, afin d’interpréter le plus objectivement possible ce qui apparaît en radio.

L’initiative a permis de détecter plus de 85 000 radiosources, dont la faible lueur radio des étoiles massives qui explosent en supernovae au terme de leur vie, et ce au sein de dizaines de milliers de galaxies, jusqu’aux régions les plus reculées de l’Univers. « Quand une galaxie forme des étoiles, plein d’étoiles explosent en même temps, ce qui accélère les particules à très haute énergie, et les galaxies commencent à rayonner dans cette gamme d’ondes radio qu’observe Lofar », met en perspective Cyril Tasse, l’un

des auteurs de la publication (fig. 3). Il faut savoir qu’« autour de 3 milliards d’années après le Big Bang, c’est vraiment le feu d’artifice, avec un pic de formation stellaire et d’activité des trous noirs dans les jeunes galaxies », conclut l’astronome de l’Observatoire de Paris-PSL à l’Agence France-Presse.

« La formation des étoiles est généralement enveloppée de poussières, qui obscurcissent notre vue lorsque nous regardons avec des télescopes optiques. Mais les ondes radio pénètrent la poussière, si bien qu’avec Lofar, nous obtenons une image complète de leur formation stellaire », complète Isabella Prandoni, astrophysicienne à l’Inaf. Par conséquent, une nouvelle relation est sur le point de s’établir entre l’émission radio d’une galaxie et la vitesse à laquelle elle forme de nouvelles étoiles dans les jeunes années de l’Univers. « Et ce n’est que le début, ajoute Marco Bondi. La communauté italienne analyse les observations d’une autre région du ciel très intéressante, appelée Euclid Deep Field North. Ces données feront partie de la prochaine publication de données. »

 

Margaux Abello Présidente du Bureau des étudiants de l’Observatoire de Paris-PSL

 

I James J. CONDON et SCOTT m. RANSOM, Essential Radio Astronomy, Princeton university Press, 2016.
I Margaux Abello, « un trou noir surpris en train d’expulser de la matière, à plus de 99 % de la vitesse de la lumière ! », Journal Alma Mater, 2020.
I obs-nancay.fr/lofar/
I F. De Gasperin et al., « The lOFAR lBA Sky Survey – i. Survey description and preliminary data release », Astronomy & Astrophysics 648, A104, 2021.
I J. Sabater et al., « The lOFAR Two-meter Sky Survey: Deep Fields Data Release 1 – ii. The elAiS-N1 lOFAR deep field », Astronomy & Astrophysics 648, A2, 2021.

Les premières images de la toile cosmique

Les premières images de la toile cosmique

Les filaments de gaz dans lesquels naissent les galaxies sont prédits depuis longtemps par les modèles cosmologiques, mais il n’existait pas encore d’images de ces objets. Pour la première fois, plusieurs filaments de cette « toile cosmique » ont été observés directement. Cette prouesse a été réalisée grâce à l’instrument Muse du Very Large Telescope (VLT) de l’Eso, au Chili.

 

1. Simulation de l’Univers lointain. Cette image illustre la lumière émise par les atomes d’hydrogène de la toile cosmique dans une région d’environ 15 millions d’années-lumière de côté. Outre l’émission très faible du gaz intergalactique, on devine de multiples sources ponctuelles, qui sont des galaxies formant leurs premières étoiles. (Jérémy Blaizot /projet Sphinx)

 

La structure filamentaire du gaz d’hydrogène dans lequel se forment les galaxies, appelée toile cosmique, est l’une des grandes prédictions du modèle du Big Bang et de la formation des galaxies (fig. 1). Jusqu’à maintenant, on ne pouvait détecter ces filaments qu’au moyen des raies d’absorption qu’ils impriment dans les spectres de sources lumineuses plus lointaines (des quasars la plupart du temps), lorsqu’ils sont situés sur leur ligne de visée. Ces observation ne permettaient d’obtenir une vision de l’Univers que suivant des lignes ténues et espacées. Or, les filaments émettent eux-mêmes une lumière diffuse très faible, due à la transition Lyman alpha de l’hydrogène atomique (voir encadré). Celle-ci peut être directement observée et imagée à condition de disposer d’un spectro-imageur puissant installé sur un très grand télescope muni d’un système d’optique adaptative permettant d’augmenter la résolution spatiale des images.

MUse (Multi Unit spectrograph explorer, voir l’Astronomie de juillet 2016) est un spectrographe-imageur 3D grand champ fonctionnant dans le visible, installé en 2014 sur le VLT. Il a été développé par le Centre de recherche en astrophysique de Lyon (Cral) afin d’explorer l’espace en trois dimensions (localisation et distance, cette dernière étant donnée par la vitesse de récession due à la loi de Hubble) et de détecter les galaxies les plus jeunes.

 

2. Les 2 250 galaxies du «cône» d’Univers observé par mUSe, représentées ici en fonction de l’âge de l’Univers (en milliards d’années). La période de l’Univers jeune (de 0,8 à 2,2 milliards d’années après le Big Bang), explorée dans cette étude, est représentée en rouge. Les 22 régions de surdensité de galaxies sont marquées par des rectangles gris. Les 5 régions où des filaments ont été identifiés de la manière la plus significative sont identifiées en bleu. (Roland Bacon / David Mary)

 

Une collaboration internationale dirigée par le Cral et associant le laboratoire Lagrange [1] a réussi à détecter ces filaments en pointant pendant plus de 140 heures le VLT équipé de l’instrument MUse sur une région du champ ultra-profond de Hubble, qui correspond à l’image la plus profonde du cosmos jamais obtenue [2].

Le traitement et l’analyse des données ont permis de révéler pour la première fois la lueur Lyman alpha de filaments d’hydrogène, dans 5 des 22 structures denses observées. Les images de plusieurs filaments de 2,5 à 4 Mpc [3] tels qu’ils étaient 1 à 2 milliards d’années après le Big Bang ont été alors obtenues (fig. 2 et 3). Les auteurs de l’article découvrent que si 70 % des filaments sont bien illuminés par des galaxies situées à de grandes distances, l’émission des 30 % restants provient du fond diffus cosmique. Cette émission est produite par une importante population d’émetteurs Lyman alpha de très faible luminosité.

 

3. Un des filaments d’hydrogène (en bleu) découverts par mUSe dans le champ ultra-profond de Hubble. il est situé dans la constellation du Fourneau, à 11,5 milliards d’années-lumière et s’étend sur plus de 15 millions d’années-lumière. L’image en arrière-plan est celle de Hubble

 

Il s’agirait d’une population de galaxies naines très nombreuses, jusqu’alors insoupçonnées, ayant existé 1 à 2 milliards d’années après le Big Bang. Ce qui signifierait qu’il existait à cette époque des filaments cosmiques constitués de galaxies dont la luminosité était aussi faible que mille luminosités solaires ! Cette observation ouvre évidemment des perspectives très prometteuses pour faire progresser nos connaissances sur la formation des galaxies.

 

Suzy Collin-Zahn Observatoire de Paris

 

La raie Lyman aLpha dans les filaments cosmiques
La raie Lyman alpha, lorsqu’elle est en émission, correspond aux photons émis lors des transitions entre le niveau 2 et le niveau 1 (niveau fondamental) de l’hydrogène atomique (voir la figure ci-dessous). Dans des milieux très dilués tels que le gaz intergalactique, cette raie est formée lorsqu’un atome dans l’état fondamental est ionisé par un photon ultraviolet de plus de 13,6 eV qui lui arrache son électron périphérique. L’ion d’hydrogène se recombine ensuite en capturant un électron sur un niveau supérieur, puis émet des photons correspondant aux cascades depuis les niveaux élevés jusqu’au niveau 2, et finit par émettre un photon Lyman alpha. On appelle ce processus « la fluorescence ».
Curieusement, bien que Lyman alpha soit une raie de l’hydrogène atomique, son intensité permet de déterminer le nombre d’ions d’hydrogène, qui dominent largement sur les atomes dans ces milieux, à partir du moment où ceux-ci contiennent des photons ultraviolets.

 

 

[1] CNRS/Université Lyon 1/ENS de Lyon et CNRS/Université Côte d’Azur/Observatoire de la Côte d’Azur.

[2] Roland Bacon, David Mary, Thibault Garel et al., « MUSE Extremely Deep Field: the cosmic web in emission at high redshift », arXiv 2101.07932.V1 et Astronomy & Astrophysics 647, 107, 2021.

[3] En coordonnées comobiles, c’est-à-dire en supposant que ces filaments n’ont pas de vitesse propre et qu’ils suivent simplement l’expansion de l’Univers.

Ingenuity prend son envol

Ingenuity prend son envol

L’atterrissage de Perseverance dans le cratère Jezero a donné lieu à une fabuleuse découverte des environs dans le cratère ; en effet, les photos et les vidéos reçues permettent déjà de proposer un aperçu géologique et morphologique des environs du robot. Au mois d’avril, l’attention est plus particulièrement retenue par les premiers essais de l’hélicoptère Ingenuity, qui, fixé sous Perseverance, a fait le voyage jusqu’au cratère, avant d’être déposé sur le sol de Mars le 4 avril. Là, il a survécu au froid intense des nuits martiennes. Sa mission doit durer un mois, afin de tester la technologie mise en œuvre. Il n’y a aucun instrument scientifique à bord, il s’agit de tester qu’il est possible de faire voler ce type d’appareil dans l’atmosphère ténue de Mars, cent fois moins dense que l’atmosphère terrestre, ce qui nécessite des pales plus imposantes que pour un appareil de la même masse sur Terre et qui tournent beaucoup plus vite ; une aide au décollage est apportée par le champ gravitationnel de Mars, plus faible que sur Terre, qui fait que la masse à soulever peut être sensiblement plus importante que sur Terre. Il est prévu 4 vols pendant ce mois.

 

Le rover Perseverance en compagnie de l’hélicoptère Ingenuity. Cette photo a été prise le 6 avril 2021, au 46e sol, à l’aide de l’objectif grand angle de l’instrument SHERLOC situé à l’extrémité du long bras robotique du rover. (NASA/JPL-Caltech/MSSS)

LE PREMIER VOL (lundi 19 avril)

C’est le 7 avril, soit le 47e jour martien (ou sol) de la mission, que les moteurs sont testés, les pales libérées. Tout est contrôlé, vérifié avant le premier vol du petit hélicoptère. Ce vol d’essai a lieu le lundi 19 avril, immortalisé par la caméra WATSON fixée sur le bras robotique de Perseverance. Comme prévu, Ingenuity s’est élevé à environ 3 mètres du sol, a effectué un vol stationnaire avant de pivoter sur lui-même et revenir se poser au sol 30 secondes plus tard.

 

 

Il a fallu plus de trois heures pour que les données arrivent à la Terre ; Perseverance les a relayées à la sonde MRO[1], en orbite autour de Mars, qui les a ensuite renvoyées vers la Terre via le Deep Space[2] que des décisions devront être prises par le robot, en fonction de paramètres enregistrés par les ingénieurs par exemple sa température sera contrôlée par une sorte de thermostat de bord et des capteurs permettent de suivre les aspérités du terrain Dès lors qu’Ingenuity avait survécu à ce premier vol et prouvé qu’il pouvait recharger régulièrement ses batteries, il était prêt pour ses autres vols programmés pendant son mois d’activités sur Mars. Le second vol a eu lieu le 22 avril ; Ingenuity s’est élevé à une altitude de 5 mètres, a fait un aller-retour de 2 mètres à cette altitude, il est resté 51,9 secondes en l’air et a pu pivoter sur place de 276°. Dimanche 25 avril, Ingenuity a exécuté son troisième vol : à une altitude de 4,87 mètres, il a parcouru près de 50 mètres, pendant 80 secondes, à une vitesse qui a atteint 2m/s (figure). C’est mieux que tous les vols exécutés au cours des tests sur Terre. D’ici à début mai, un autre vol est Network . Ce délai dans les transmissions explique programmé .

 

PLUS LOIN, PLUS RAPIDE (lundi 25 avril)

Le rover Perseverance de la Nasa est visible dans le coin supérieur gauche de cette image prise par l’hélicoptère Ingenuity lors de son troisième vol, le 25 avril 2021. L’hélicoptère volait à une altitude de 5 mètres à environ 85 mètres du rover.

 

Cette capture d’Ingenuity par la NAVCAM gauche de Perseverance montre l’hélicoptère lors de son troisième vol, ici en stationnaire, le 25 avril 2021. (NASA / JPL-Caltech)

 

1. MRO (Mars Reconnaissance Orbiter) est une mission spatiale de la Nasa ; la sonde orbite autour de Mars depuis le printemps 2006.
2. Le Deep Space Network est le réseau utilisé par la Nasa pour les communications avec les sondes spatiales interplanétaires. Il est composé de 3 stations situées en Californie, en Espagne et en Australie, leur répartition permettant une couverture permanente du Système solaire.
3. Pour en savoir plus sur Ingenuity : go.nasa.gov/ingenuity.

 

Janet BORG | Institut d’astrophysique spatiale

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