LE MAGAZINE DES SCIENCES DE L’UNIVERS EN AFRIQUE

Une nouvelle série d’analyses non destructives de la composition chimique du poignard du pharaon Toutankhamon a été conduite pour éclairer sur son origine « extraterrestre ».

 

L’archéologue Howard Carter découvre le 4 novembre 1922 dans la vallée des Rois la tombe du pharaon Toutankhamon, qui a régné sur l’Égypte au xive siècle av. J.-C. La tombe est remarquablement conservée et, dans le sarcophage, des objets précieux entourant la momie apportent des informations appréciables sur l’histoire de l’Égypte ancienne ; en particulier, parmi ces objets, une dague (fig. 1) dont la lame en fer homogène, non rouillé, va apporter des indices pour une meilleure connaissance de la manufacture des objets métalliques à cette époque de la transition entre l’âge de bronze et l’âge de fer dans le Bassin méditerranéen. 

 

Les deux faces du poignard de 35,2 cm de long photographiées le 9 février 2020. La lame en fer métallique (21,8 cm) a un double tranchant et une épaisseur de ~2 mm au centre ; la poignée (~ 13,4  cm) est principalement en or. (© Matsui T. et al.)

 

Une étude de la composition chimique de la dague a été publiée en 2016 [1], qui a permis de conclure que le fer constituant la lame du poignard est d’origine météoritique (voir l’Astronomie 104 d’avril 2017 pour un compte rendu). Toutefois, la technologie et l’origine de l’objet n’étaient pas bien comprises ; savait-on dans l’Égypte de cette époque travailler le fer météoritique ? La dague n’avait-elle pas été importée ? 

Pour en avoir le cœur net et affiner les précédents résultats, une nouvelle série d’analyses non destructives de la composition chimique du poignard a été conduite en février 2020 au sein même du Musée archéologique du Caire, à l’aide d’un spectromètre de fluorescence X portable, permettant l’analyse chimique des échantillons ; en particulier, la distribution du nickel et du soufre apporte des informations importantes sur le fer météoritique qui a servi à sa fabrication [2]. 

La cartographie élémentaire du nickel indique des arrangements discontinus, caractéristiques de ce qu’on appelle des « figures de Widmanstätten » et qui suggèrent que le fer météoritique qui a servi à la fabrication de la dague est de l’octahédrite, une catégorie de météorites de fer très répandue (voir encadré). Les taches noires présentes sur la lame sont probablement des résidus d’inclusion de sulfure de fer (troilite FeS) que l’on peut rencontrer dans ce type de météorites. L’existence de figures de Widmanstätten et la présence de résidus de troilite suggèrent que l’objet a été fabriqué à relativement faible température (< 950 °C). Enfin, l’analyse de la poignée en or où sont retrouvées des traces de calcium incite les auteurs à proposer que l’adhésif qui a servi à fixer les décorations sur la poignée soit un enduit à la chaux plutôt que de plâtre ; cette information écarte une fabrication en Égypte, où l’usage de la chaux n’a commencé que bien plus tard, à l’époque ptolémaïque. 

 

La météorite de fer Shiharagi, conservée au musée des Sciences de Toyama (Japon) et prise comme modèle pour les analyses du fer de la dague de Toutankhamon, et des figures de Widmanstätten que l’on y devine. Comme le fer de la dague, c’est une octahédrite, catégorie de météorites de fer la plus répandue, constituée de deux alliages distincts de fer et de nickel. (© Matsui T. et al.)

 

Il existe par ailleurs une correspondance, appelée « les lettres d’Amarna », entre les dignitaires égyptiens de l’époque et différents dignitaires étrangers [3] ; l’une de ces lettres dit qu’une dague en fer avec une poignée en or a été offerte par le roi de Mitanni (une région d’Anatolie en Turquie) à Amenhotep III, le grand-père de Toutankhamon. Un faisceau de présomptions, donc, suggérant que la « dague de Toutankhamon » retrouvée dans le sarcophage de ce jeune souverain a été forgée bien loin de la vallée des Rois à partir de fer d’origine encore plus lointaine.

Les météorites de fer et les figures de Widmanstätten

Les météorites de fer représentent environ 6 % des chutes de météorites connues sur Terre, elles sont essentiellement constituées d’un alliage métallique de fer (~ 90 %) et nickel, appelé fer météoritique. Ce sont des vestiges de noyaux d’astéroïdes, et donc des témoins de la différenciation d’embryons planétaires. Comme le fer métallique résiste bien aux conditions d’entrée dans l’atmosphère, ce sont les principales responsables des cratères découverts sur Terre. Elles sont assez facilement identifiables ; elles sont surreprésentées dans les collections et, résistantes à l’érosion atmosphérique, on les retrouve au sol en gros morceaux. Le fer météoritique a été utilisé à l’âge de bronze, parce que sa structure métallique rendait inutile une opération de réduction dans des fourneaux [4]. 

Il existe deux grandes classifications des météorites de fer, selon leur structure et/ou leur composition. C’est au début du xixe siècle que sont découvertes les figures particulières obtenues en décapant une section de météorite ferreuse avec une solution d’acide, faisant apparaître un réseau enchevêtré de phases métalliques appelé figures de Widmanstätten (figure), ce réseau est révélé quand une météorite de fer n’est pas constituée d’une seule phase, mais d’au moins deux phases cristallines, fonctions de la teneur en nickel ; les morphologies finales des cristaux sont fonction de la composition globale du métal et de la vitesse de refroidissement de l’ensemble. Les figures de Widmanstätten sont géométriques, car il existe des relations d’orientation cristalline entre les différentes phases présentes. Leur étude permet d’avoir un aperçu sur la formation des astéroïdes parents.

Par Janet Borg, Institut d’astrophysique spatiale

Notes :

1. Comelli D. et al. (2016) « The meteoritic origin of Tutankhamun’s iron dagger blade », Meteoritics and Planetary Science 51, 1301-1309.

2. Matsui T. et al. (2022) « The manufacture and origin of the Tutankhamen iron dagger », Meteoritics and Planetary Science 1-12.

3. Les lettres d’Amarna sont un ensemble de 382 tablettes en argile, retrouvées sur le site d’Amarna en Égypte, correspondance d’ordre diplomatique entre les pharaons et les grandes cours étrangères de l’époque. 

4. Jambon A., « Bronze age iron: meteoritic or not? A chemical strategy », Journal of Archeological Science, 2017, DOI: 10.1016/j.jas.2017.09.008.

 

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