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Le 11 janvier dernier, une découverte d’un genre nouveau a agité la communauté de l’« exoplanétologie ». Il ne s’agit pas cette fois de la détection d’un objet particulièrement exotique du fait de son orbite ou de ses paramètres physiques, mais de la première mesure d’un écart à la sphéricité d’une exoplanète déjà identifiée, WASP-103 b.

C’est la mission spatiale CHEOPS, en opération depuis 2020, qui est à l’origine de ce résultat. En utilisant ces données, une équipe scientifique a montré, grâce à l’analyse très précise de sa courbe de transit, que l’exoplanète WASP-203 b, un « Jupiter chaud » particulièrement proche de son étoile hôte, était déformée, tel un ballon de rugby, par les forces de marée agissant sur l’étoile et la planète.

Qu’est-ce que la mission CHEOPS ? Il s’agit de la première « petite » mission (dite de classe S) du programme Cosmic Vision de l’Agence spatiale européenne (Esa). L’idée était de développer dans un temps relativement court et avec un budget modeste (100 millions d’euros, financés à parts égales par l’Esa et un partenaire extérieur) une mission orientée vers un objectif scientifique bien ciblé. Le but de la mission CHEOPS (CHaracterizing EXOplanets Satellite) est de préciser les caractéristiques physiques (à commencer par le rayon) d’exoplanètes déjà connues. Développée conjointement par l’université de Berne et l’Esa, la mission CHEOPS, sélectionnée en 2012, a été lancée en décembre 2019. Équipé d’un télescope de 35 cm de diamètre et d’une masse totale inférieure à 300 kg, le satellite a déjà plusieurs résultats notoires à son actif, en particulier la caractérisation du système planétaire TOI-178, doté de 6 planètes, dont 5 en résonance orbitale, ainsi que la découverte d’une troisième planète dans le système proche (une quinzaine de parsecs) Nu2 Lupi. Mais le résultat qui vient d’être annoncé est d’une tout autre nature.

Dès le début de sa mise en opération, le satellite a observé des « Jupiters chauds », ces exoplanètes géantes très proches de leur étoile qui, du fait de leur courte période de révolution, sont des cibles idéales pour l’observation par transit. Or, l’exoplanète géante WASP-103 b, découverte par la méthode des transits en 2014 au moyen du réseau de télescopes terrestres SuperWASP, s’avère particulièrement intéressante. Dotée d’une masse égale à 1,5 fois celle de Jupiter et d’un rayon égal à deux rayons joviens, et située à moins de 0,02 UA de son étoile, sa rotation est synchrone et elle a une période orbitale de moins d’une journée. De plus, l’étoile hôte WASP-103, de type F8V, est particulièrement massive (1,22 masse solaire) et volumineuse (1,44 rayon solaire) ; sa température est de 6 110 K. Dès sa découverte, ce Jupiter particulièrement chaud a attiré l’attention des dynamiciens, qui ont soupçonné qu’un tel objet devait être soumis à des forces de marée extrêmement puissantes… suffisamment pour aller jusqu’à déformer la planète pour l’allonger comme un ballon de rugby selon l’axe étoile-planète. Nous connaissons bien cet effet dans le cas de la Terre, dont l’enveloppe liquide est déformée régulièrement par l’attraction de la Lune (et, dans une moindre mesure, du Soleil) : c’est le phénomène bien connu des marées.

 

Représentation schématique du transit de WASP-103 b devant son étoile. La forme allongée de la planète induit une très petite déformation de la courbe de transit. À droite : représentation schématique de la planète WASP-103 b, dont la forme est allongée dans la direction de son étoile.

 

Dans le cas de WASP-103 b, les spécialistes de mécanique céleste ont estimé que la force de marée exercée par l’étoile sur la planète pouvait être suffisante pour entraîner une déformation permanente, et que cet effet pourrait être mesurable à partir d’une courbe de transit extrêmement précise ; or, depuis deux ans, le satellite CHEOPS est capable de fournir cette précision. C’est ainsi qu’une équipe portugaise de l’université de Porto, en association avec l’université de Berne et l’Institut de mécanique céleste et de calcul des éphémérides (IMCCE, Observatoire de Paris) et de nombreux autres partenaires, a engagé un programme visant à observer des transits répétés de l’objet afin de détecter un éventuel écart à la sphéricité de la planète, et aussi pour rechercher (en utilisant des données antérieures) si une décroissance de la période orbitale (prévue par les calculs) pouvait aussi être observée. Les résultats viennent d’être publiés dans Astronomy and Astrophysics (Barros et al., 11 janvier 2022).

Dans cet article, les auteurs analysent 12 courbes de transit de WASP-103 b obtenues avec CHEOPS ; grâce à la facilité de pointage du satellite, ces douze transits ont pu être enregistrés dans un intervalle de deux mois seulement, entre avril et juin 2020. Après avoir corrigé les différents effets instrumentaux, ils ont réutilisé des courbes de transit de WASP-103 b obtenues en 2015 par les télescopes spatiaux Hubble et Spitzer et ont calculé, pour chaque jeu de données, les paramètres de transit dans le cas d’une planète sphérique et dans le cas d’une planète elliptique. La différence entre les courbes de transit correspondant aux deux modèles illustre la signature de la déformation de la planète sur la courbe de transit, qui se traduit par une légère oscillation de la courbe à l’immersion et à l’émersion. L’analyse de l’ensemble des courbes de transit a montré qu’elles étaient compatibles avec l’existence de cette déformation. À partir de l’analyse des courbes de lumière, l’équipe a pu calculer le « nombre de Love » de la planète, un paramètre qui mesure la répartition de la masse à l’intérieur d’une planète ; cette information peut donner une estimation de la rigidité d’un corps et de son aptitude à se déformer sous l’influence des forces de marée. Dans le cas de WASP-103 b, le nombre de Love déduit des mesures de transit est de 1,6, ce qui est comparable à la valeur pour Jupiter. Ce résultat pourrait signifier que les structures internes de ces deux objets sont comparables, en dépit de la nature nettement plus « gonflée » de l’exoplanète (figure ci-dessous).

En utilisant l’ensemble des données de 2015 et de 2020, les auteurs de l’article ont aussi tenté de mettre en évidence une diminution de la période orbitale, car celle-ci est prédite par les modèles comme une conséquence des effets de marée. Cependant, cet effet n’a pas été observé : à l’inverse, les mesures semblent indiquer une possible augmentation dont l’origine serait aujourd’hui inexpliquée. D’autres mesures seront nécessaires pour résoudre ce mystère. Dans un futur proche, on peut espérer que le JWST permettra d’obtenir de nouvelles courbes de transit encore plus précises, et donc de confirmer et préciser la déformation de l’exoplanète.

 

Par Thérèse Encrenaz Observatoire de Paris   

  1. S. Barros et al., « Detection of the tidal deformation of WASP-103b at 3 σ with CHEOPS », Astronomy and Astrophysics, 11 Janvier 2022, doi:10.1051/0004-6361/202142196.

 

 

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