LE MAGAZINE DES SCIENCES DE L’UNIVERS EN AFRIQUE
Neptune, une évolution imprévue  de sa température

Neptune, une évolution imprévue de sa température

Des mesures effectuées à l’aide de caméras infrarouges montrent de manière surprenante que les températures atmosphériques de Neptune ne suivent pas une évolution saisonnière normale.

Située à environ 30 unités astronomiques du Soleil, Neptune a une période de révolution de 164 ans. Dotée d’une obliquité de 29°, la planète présente des effets saisonniers qui se manifestent sur plusieurs dizaines d’années ; le passage au solstice d’été dans l’hémisphère Sud a eu lieu en 2005. C’est à cette époque que l’instrument infrarouge VISIR, installé au VLT (Very Large Telescope) sur le site du Cerro Paranal de l’Eso (European Southern Observatory) au Chili, est entré en activité. En 2006, il a obtenu les premières images de Neptune dans l’infrarouge moyen (7-25 μm).  Le rayonnement infrarouge donne une mesure de la température atmosphérique à une certaine altitude, qui dépend de la pression et de la composition atmosphériques. Les gaz absorbant dans  l’infrarouge thermique sont principalement l’hydrogène H2 (à 17,6 μm), le méthane CH4 (à 8,6 μm) et l’éthane C2H6 (à 12,3 μm). À 17,6 μm, le rayonnement provient de la tropopause à environ 100 mbars, tandis qu’à 8,6 et 12,3 μm, il est émis par la stratosphère, à plus haute altitude,  entre 0,1 et 1 mbar. Rappelons que la tropopause est la limite haute de la zone de l’atmosphère où la température décroît avec l’altitude, et où ont lieu des mouvements verticaux. La stratosphère est la zone située au-dessus de la tropopause,  et la température y augmente avec l’altitude, sans mouvements verticaux de la matière gazeuse.

1. Images de Neptune prises dans l’infrarouge en 2006 avec l’instrument VISIR du VLT. À 17,6 μm (A), le rayonnement provient de la tropopause, au niveau du minimum de température, à un niveau de pression de 100 mbars. À 12,3 μm (D) et 8,6 μm (E), le rayonnement provient de la stratosphère, à plus haute altitude, à des niveaux de pression compris entre 0,1 et 1 mbar. Le point brillant au pôle Sud a été interprété en 2006 comme un effet saisonnier, lié au passage de la planète au solstice d’été dans l’hémisphère Sud en 2005 [1]. À droite des images A et D, on voit l’image d’une étoile voisine utilisée pour le calibrage en radiance et pour mesurer la fonction d’appareil, c’est-à-dire évaluer la résolution spatiale. La configuration géométrique de la planète est représentée à droite de l’image E.

La cartographie de la planète à ces différentes longueurs d’onde permet donc de reconstruire une image en trois dimensions du profil thermique et de la distribution verticale du méthane et de l’éthane.

Depuis 2006, la planète Neptune a fait l’objet d’une campagne régulière d’observations en imagerie thermique, avec l’instrument VISIR du VLT mais aussi les caméras infrarouges COMICS au Subaru, à Hawaï, et la caméra T-ReCS du télescope Gemini-South au Chili. Les résultats viennent d’être publiés dans The Planetary Science Journal par une équipe de chercheurs européens et américains.

 

2. Évolution de l’image de Neptune à 12,3 μm entre 2006 et 2020. Les images ont été prises avec l’instrument VISIR du VLT. L’image de gauche est la même que l’image D de la figure 1. On observe un léger refroidissement de la planète entre 2006 et 2009, puis une remontée de température en 2018, et particulièrement nette en 2020 [2].

Les conditions d’ensoleillement sur Neptune peu peu évolué au cours de cette période, la latitude du point subsolaire, celui où le Soleil apparaît au zénith, passant de 29° S en 2005 (au moment du solstice d’été dans l’hémisphère Sud) à 24° S en 2020. La figure 1 montre le disque de Neptune enregistré en 2006 dans les trois longueurs d’onde mentionnées ci-dessus. L’intensité du rayonnement donne une mesure de la température dans la couche de l’atmosphère dont il provient. On voit que le rayonnement à 17,6 μm, qui provient de la tropopause, affiche un point très brillant au pôle Sud. Ce phénomène a été interprété alors comme un réchauffement du pôle Sud associé à sa forte insolation, juste un an après le solstice d’été. À 12,3 μm, l’image montre un fort éclairement au limbe de toute la planète, ce qui traduit une élévation de température dans la stratosphère à toutes les latitudes. La figure 2 montre l’image de Neptune à 12,3 μm, en 2006, 2009, 2019 et 2020. C’est là qu’apparaît une découverte surprenante. Alors que l’on attendait la poursuite de l’échauffement au pôle Sud pendant les années suivant le passage au solstice d’été, on a assisté à une lente diminution de la température du pôle Sud, suivie d’une brutale remontée en 2019 et 2020. Ces variations ne peuvent pas s’expliquer simplement par les effets saisonniers liés à l’orbite de Neptune. D’autres mécanismes possibles ont été invoqués par les auteurs, comme un couplage possible entre le rayonnement solaire et la production des hydrocarbures par photochimie, ou des variations liées à la circulation atmosphérique et la formation de nuages, ou bien l’effet possible d’ondes de gravité émises depuis les couches plus profondes par des plumes convectives intermittentes, ou encore un effet du cycle solaire, dont la période est de 11 ans. Pour l’instant, l’énigme reste entière et les mesures devront se poursuivre dans les décennies qui viennent pour tenter de l’élucider.

 

par Thérèse Encrenaz, Observatoire de Paris-PSL

 

 

Article publié dans l’Astronomie n°163, septembre 2022

 

 

Notes

  1. G. Orton et al., « Evidence for methane escape and strong seasonal and dynamical perturbations of Neptune’s atmospheric temperatures », Astron. Astrophys. 473, L5-L8, 2007, doi: 10.1051/0004-6361:20078277.
  2. M. T. Roman et al., « Sub-seasonal variation in Neptune’s mid-infrared emission from ground-based imaging », The Planetary Science Journal, doi:10.3847/PSJ/ac5aa4.

 

Les lois d’échelle des galaxies à disque révèlent leur histoire de formation

Les lois d’échelle des galaxies à disque révèlent leur histoire de formation

L’étude des mouvements dynamiques des étoiles et des nuages de gaz au sein des galaxies spirales (ou galaxies à disque), par exemple par Vera Rubin et son équipe dans les années 1970, a fourni l’une des premières indications qu’une partie importante de la matière qui constitue les galaxies ne pouvait pas être observée par les télescopes. En effet, les masses combinées des étoiles, du gaz et de la poussière ne sont pas assez importantes pour expliquer la vitesse à laquelle on voit les étoiles et le gaz tourner dans les disques des galaxies, ce qui indique que les galaxies doivent aussi être composées d’une sorte de matière non ordinaire qui n’émet pas de lumière. C’est ce que nous appelons aujourd’hui la « matière noire ».

Après ces premiers travaux pionniers, l’étude dynamique des galaxies spirales a pris de l’ampleur et est devenue un domaine très actif de la recherche astronomique au cours des 40 dernières années. Grâce à ces études, nous avons maintenant une compréhension assez solide de la structure interne des galaxies spirales, de la façon dont les étoiles et les nuages de gaz se déplacent en leur sein, et de la quantité de matière noire qu’elles abritent. En fait, les télescopes modernes nous permettent de mesurer la vitesse de rotation des étoiles et du gaz dans les galaxies spirales avec une telle précision que nous savons maintenant que les disques de galaxies composés d’étoiles, de gaz et de poussière que nous pouvons observer sont noyés dans des halos sphériques de matière noire invisible dont la taille est des dizaines de fois supérieure à celle des disques de galaxies. Ces halos de matière noire sont environ ~100 fois plus massifs que les galaxies elles-mêmes, ce qui implique que la matière noire est la composante qui domine la force gravitationnelle dans les galaxies.

Cette constatation est cruciale pour comprendre l’un des faits observationnels les plus étonnants que nous connaissons sur les galaxies spirales : les relations dites de Tully-Fisher et de Fall. Il s’agit d’importantes lois d’échelle auxquelles obéissent les galaxies spirales et qui relient leur masse à la vitesse de rotation (relation de Tully-Fisher) ou au moment angulaire (relation de Fall) des étoiles élevées à une certaine puissance. Ces relations caractéristiques révèlent qu’il doit exister un mécanisme physique fondamental, impliquant la masse, la vitesse de rotation et le moment angulaire, qui guide la structure des galaxies à disque. Selon certains des derniers modèles cosmologiques de pointe sur la formation des galaxies, ces relations sont transmises par les halos de matière noire aux galaxies qui s’y forment. Par conséquent, les galaxies suivent les voies de formation des halos de matière noire et partagent leurs propriétés et leurs lois d’échelle structurelle.

Une question importante qui reste sans réponse dans ce scénario est de savoir si ces relations d’échelle sont universelles, dans le sens où elles s’appliquent aux galaxies spirales de toutes tailles et masses, ou si elles se brisent à un régime de masse spécifique. Une rupture dans les relations d’échelle est un symptôme que la physique des galaxies est en train de changer à l’échelle de masse où la rupture se produit ; inversement, si les lois d’échelle sont universelles et ininterrompues, cela signifie que la physique qui régit la formation des galaxies spirales est vraiment la même à toutes les échelles. Par conséquent, détecter ou exclure la présence d’une rupture dans les relations d’échelle est une pièce cruciale du puzzle de la formation des galaxies dans notre Univers. Bien que certains modèles de formation de galaxies prévoient qu’une rupture se produise à une échelle de masse correspondant à peu près à la masse de notre Voie lactée (~5 x 10^10 masses solaires), il n’existe pas encore de détection observationnelle claire de cette rupture.

1. Relations de Tully-Fisher pour les galaxies spirales massives. La relation Tully-Fisher stellaire est présentée à gauche et la relation Tully-Fischer baryonique à droite. Les carrés rouges correspondent aux galaxies spirales massives utilisées dans ce travail et les galaxies du catalogue SPARC (Lelli et al. 2016, AJ, 152, 157) sont représentées en cercles bleus. La ligne noire continue est le fit de toutes les galaxies de l’échantillon et la bande grise représente la dispersion 1 sigma autour du fit. Les tirets noirs représentent le fit des galaxies avec une masse stellaire plus grande que 3×10^10 masse solaire (figure à gauche) et avec une masse baryonique plus grande que 3×10^10 masse solaire (figure à droite).

Une nouvelle étude a été menée par Enrico di Teodoro et al. (2021, MNRAS, 507, 5820) précisément dans le but de discerner si les relations de Tully-Fisher (masse-vitesse) et de Fall (masse-momentum angulaire) se brisent ou non aux masses les plus élevées. Les auteurs ont recherché les galaxies à disque les plus lumineuses dans deux études portant sur de grands volumes de l’Univers proche: le Sloan Digital Sky Survey (SDSS), dans l’optique, et le 2-Micron All Sky Survey (2MASS) dans le proche infrarouge. Un catalogue complet de ces disques extrêmement massifs, appelés  » super-spirales « , a été assemblé par Ogle et al. (2019, ApJS, 243, 14) et contient les luminosités et les masses de tous ces objets. Pour mesurer les vitesses de rotation et les moments angulaires, nécessaires à la construction des relations d’échelle, di Teodoro et al. ont effectué des observations de suivi de 43 de ces  » super-spirales « , principalement avec le spectrographe Robert Stobie (RSS) monté sur le South African Large Telescope (SALT). Le SALT est une installation de l’Observatoire astronomique sud-africain qui fonctionne depuis Sutherland, en Afrique du Sud. Grâce aux extraordinaires spectres à longue fente obtenus avec le SALT, di Teodoro et al. ont pu mesurer avec certitude la vitesse de rotation et le moment angulaire des galaxies en détectant la raie d’émission H-alpha, à 6562,80 angströms, de l’hydrogène gazeux ionisé (à une température de ~10 000 degrés Celsius) en orbite dans les disques des galaxies. Cela leur a permis pour la première fois d’étendre les relations d’échelle dans le régime des masses extrêmement élevées, où ils n’ont trouvé aucune indication de rupture dans les lois d’échelle.

2. Relation de Fall pour les galaxies spirales massives. L’échantillon utilisé dans cette étude est représenté en carrés rouges et les galaxies du catalogue SPARC (Posti et al. 2018, A&A, 612, L6) en cercles bleus. La ligne noire continue est le fit de toutes les galaxies de l’échantillon et la bande grise représente la dispersion sigma de 0.19 dex autour du fit. Les tirets noirs représentent le fit des galaxies avec une masse stellaire plus grande que 3×10^10.5 masse solaire.

Ainsi, le principal résultat scientifique que nous pouvons tirer de cette étude est que les lois d’échelle des galaxies à disque sont universelles, elles sont valables pour toutes les échelles galactiques, et que les galaxies spirales sont des objets « autosimilaires » régis par la même loi physique. Dans ce contexte, « autosimilaire » signifie qu’une galaxie spirale géante n’est qu’une version agrandie d’une galaxie spirale naine beaucoup plus petite et que les principaux processus physiques qui les gouvernent sont les mêmes. De plus, cela suggère également que le rôle des halos de matière noire dans la transmission des lois d’échelle des galaxies à disque est similaire et ne change pas avec l’échelle de la galaxie, de naine à géante. Ceci est révélateur de la forte connexion qui existe entre les galaxies spirales et leurs halos de matière noire.

Par Lorenzo Posti, Observatoire Astronomique de Strasbourg (ObAS)

Lien vers l’article de référence: https://academic.oup.com/mnras/article/507/4/5820/6368866

Les super-terres possèdent-elles de gros satellites ?

Les super-terres possèdent-elles de gros satellites ?

Selon des simulations numériques d’impacts géants, il serait très difficile de former de gros satellites autour de planètes rocheuses de masse supérieure à 6 masses terrestres.

Si l’on met de côté le cas un peu particulier du couple Pluton-Charon, la planète du Système solaire possédant le plus gros satellite par rapport à sa propre masse est la Terre. La Lune représente en effet plus de 1 % de la masse terrestre. Cette configuration serait le résultat d’un impact géant survenu il y a environ 4,47 milliards d’années (Ga) entre une planète, la proto-Terre, un peu plus petite que la Terre elle-même, et un objet de la taille de Mars, Théia. Cet impact aurait détruit Théia et excavé une partie du manteau terrestre. Et c’est à partir de ce matériau rassemblé en un disque de gaz et de débris que la Lune se serait formée. Selon les modèles actuels d’évolution du Système solaire, les impacts géants auraient été inévitables, et même communs, dans la jeunesse de celui-ci. Au point que l’on se demande pourquoi Vénus ne possède pas, elle aussi, un gros satellite1. Une autre question brûle les lèvres : qu’en est-il des autres systèmes planétaires ? De nombreuses exoplanètes de taille comparable à la Terre (exo-Terres) ou un peu plus grosses (super-Terres) ont été recensées. Celles-ci possèdent-elles, dans leur majorité, de grosses exo-lunes ? Une équipe de chercheurs dirigée par Miki Nakajima, de l’université de Rochester, s’est penchée sur cette question à l’aide de simulations numériques d’impacts géants2. Ces chercheurs notent tout d’abord qu’une étude approfondie réalisée sur une soixantaine de super-Terres répertoriées dans le catalogue de la mission Kepler n’a mis en évidence aucune exo-lune autour de ces exoplanètes. Détecter une exo-lune n’est évidemment pas une mince affaire, et ce résultat négatif ne signifie pas que les super-Terres sont systématiquement dépourvues de satellite. Mais il se pourrait aussi qu’il traduise une tendance bien réelle. C’est en tout cas ce que suggèrent les simulations numériques de Miki Nakajima et de ses collègues (fig. 1). Selon ces calculs, la formation d’un gros satellite à la suite d’un impact géant ne pourrait pas se produire pour des super-Terres rocheuses de 6 masses terrestres ou plus (fig. 2), ce qui correspond à des planètes d’au moins 1,6 rayon terrestre. Pour des super-Terres composées de glace, la masse seuil tombe à une masse terrestre, soit une planète d’environ 1,3 rayon terrestre. Ce résultat s’explique par la quantité d’énergie libérée pendant l’impact, qui est d’autant plus élevée que la masse totale du système (proto-planète plus impacteur) est grande. Or, plus cette énergie est élevée, plus la fraction de matériau à l’état de vapeur dans le disque de débris est importante. Un embryon de satellite de 100 m à 100 km se formant dans un tel disque est soumis à d’intenses forces de frottement qui le poussent à migrer vers la planète mère. Son destin est alors inéluctable : il va, à brève échéance, franchir la limite de Roche et se disloquer. Difficile, dans ces conditions, de former un gros satellite.

1. Deux simulations numériques pour des planètes d’une masse terrestre, en haut (Rocky planet), pour une planète rocheuse, et en bas (Icy planet) pour une planète de glace. Dans le premier cas, il se forme bien un satellite, mais pas dans le second. Pour les planètes rocheuses, la masse seuil au-dessus de laquelle la formation d’un satellite est entravée est de 6 masses terrestres. (Nakajima et al., 2022)

 

Si ces simulations reflètent la réalité, la chasse aux exo-lunes autour de super-Terres pourrait s’annoncer plus compliquée que prévu. Elle devra en effet se focaliser sur des planètes de taille comparable à celle de la Terre, ce qui requiert des moyens d’observation plus puissants que pour une recherche similaire autour de super-Terres. Ce résultat compromet aussi quelque peu l’habitabilité des super-Terres. La présence de la Lune permet en effet de maintenir l’inclinaison de l’axe de rotation de la Terre dans une gamme de valeurs relativement étroite. Notre planète peut ainsi se prémunir de variations climatiques trop extrêmes ou fréquentes, donnant à la vie le temps nécessaire pour évoluer vers des formes complexes.

2. Selon les simulations numériques de Miki Nakajima, la formation de gros satellites suite à un impact géant n’est sans doute pas possible pour les super-Terres trop massives. Le seuil se situe autour de 6 masses terrestres pour les planètes rocheuses (à gauche), et une masse terrestre pour les planètes de glace (à droite). (© Nakajima et al., 2022)

 

Frédéric Deschamps, IESAS, Taipei, Taïwan

 

Notes

  1. Cette question n’a pour le moment pas de réponse. Une hypothèse est que Vénus aurait subi deux impacts. Le premier aurait bien créé un satellite, mais le second aurait modifié la rotation de Vénus de telle façon que, sous l’effet des forces de marée, ce satellite aurait migré vers Vénus au lieu de s’en éloigner, et se serait disloqué en franchissant la limite de Roche. Cette explication a le mérite d’expliquer la vitesse de rotation faible et rétrograde de Vénus. Mais il est aussi possible que Vénus n’ait pas subi d’impact géant.
  2. Nakajima M. et al., « Large planets may not form fractionally large moons », Nature Communications, 13:568, 2022. doi : 10.1038/s41467-022-28063-8.

 

Détection d’une source FRB dans la Grande Ourse

Détection d’une source FRB dans la Grande Ourse

Une source de sursauts radio rapides a été détectée dans la galaxie Messier 81 de la Grande Ourse.

La galaxie M 81, où les sursauts radio ont été observés. En dessous, la galaxie M 82 (vue par la tranche). [photo : Maxime Tessier, collectif NOX]

Les sursauts radio rapides (FRB pour Fast Radio Burst en anglais) sont des impulsions radio extrêmement énergétiques durant seulement quelques millisecondes. Leur brièveté indique que la taille des sources ne dépasse pas le millier de kilomètres. Et pourtant, elles sont si puissantes que l’on peut en observer depuis des distances de centaines de millions d’années-lumière (al). De plus, certaines sources émettent des FRB de façon répétitive, quoique sans régularité. La première source répétitive découverte, FRB 121102, fait partie d’une galaxie naine située à plus de trois milliards d’al. La plupart des FRB connus viennent de sources lointaines, et cela ne facilite pas leur observation, notamment parce qu’il est difficile d’y détecter des rayonnements à d’autres longueurs d’onde.

Cette absence de contrepartie en rayons X et gamma est-elle un effet de la distance ou une absence réelle d’émission ? Pour répondre à cette question, il est souhaitable de découvrir des sources de FRB plus proches de notre Galaxie, ou même dans celle-ci. En 2020, un magnétar de notre Galaxie,  SGR 1935+2154, connu préalablement pour des phases d’éruption en rayons X, a émis deux signaux radio ayant plusieurs caractéristiques d’un FRB, mais 40 fois moins énergétiques [1]. Ces signaux ont été émis durant une éruption en rayons X, mais les autres éruptions en X n’ont pas montré de signaux ressemblant à des FRB, et des FRB encore plus faibles ont été émis cette fois-ci sans contrepartie mesurable en rayons X. Il n’est donc pas évident d’associer FRB et émissions en X de manière simple. Une source de FRB nommée FRB 20200120E, plus puissante que SGR 1935+2154, a été découverte dans une voisine proche : la galaxie spirale Messier 81, dite galaxie de Bode, dans la Grande Ourse [2].

Plus précisément, la source est située dans un amas globulaire de M 81. Cette source située à 11 millions d’al est beaucoup plus proche que toutes les autres sources de FRB puissants connues. FRB 20200120E est très actif, on a observé de nombreux sursauts, dont une éruption de 40 minutes durant laquelle 53 sursauts ont été observés. Pour le moment, avec cette source, aucune contrepartie aux FRB hors du domaine radio n’a été observée. Cependant, cette source n’est pas totalement typique des autres FRB connus, car ses impulsions radio, au lieu de durer seulement quelques millisecondes, s’étendent sur des centaines de millisecondes. Cela suggère la possibilité d’une source d’émissions radio de plus grande taille. Et surtout, on ne sait pas si l’on doit rattacher cet objet à la famille des FRB déjà connus, ou à une nouvelle famille d’éruptions radio « moins rapides ».

 

Trois sursauts radio… pas si rapides en fait, en provenance de FRB 20200120E situé dans M 81. L’intensité des émissions radio est représentée en fonction du temps. Le signal est représenté sur une durée excédant légèrement une seconde.

 

Fabrice Mottez , Observatoire de Paris-PSL

 

Notes

  1. Bochenek et al., Nature, vol. 587, Issue 7832, p. 59-62, 2020.
  2. Nimo et al., MNRAS, sous presse, 2022.

 

 

Eraendel, L’étoile la plus distante jamais observée

Eraendel, L’étoile la plus distante jamais observée

Le télescope spatial Hubble a fait une nouvelle découverte extraordinaire en détectant la lumière d’une étoile qui a existé au cours du premier milliard d’années après la naissance de l’Univers lors du Big Bang. Il s’agit de l’étoile la plus éloignée jamais observée à ce jour.

Un détail de la vue ci-dessus montre « l’arc du Soleil levant », contenant les 6 images de deux amas d’étoiles. Les deux plus brillantes images sont désignées par une flèche. L’image de l’étoile Earendel est unique. La ligne en pointillé indique la région d’amplification maximale de la lumière par effet de lentille gravitationnelle selon les modèles employés dans cette étude. L’étoile Earendel est observable individuellement (à une magnitude de 27) précisément parce qu’elle se trouve, par hasard, sur cette ligne. [SCIENCE: NASA, ESA, Brian Welch (JHU), Dan Coe (STScI), IMAGE PROCESSING: NASA, ESA, Alyssa Pagan (STScI)]

Tout commence avec un amas très massif de galaxies, nommé WHL0137-08, situé à une distance caractérisée par un décalage cosmologique vers le rouge z = 0,566. Derrière cet amas de galaxies se trouve une autre galaxie, beaucoup plus éloignée, à z = 6,2, soit une distance de 12 milliards d’années-lumière. On ne la voit pas directement, car l’amas WHL0137-08 est assez épais pour la masquer. En revanche, par effet de lentille gravitationnelle, des rayons lumineux en provenance de la lointaine galaxie, qui en l’absence de WHL0137-08 seraient à peine perceptibles, apparaissent comme un arc de lumière d’une longueur apparente de 15 secondes d’arc. Cet arc, catalogué sous le nom WHL0137-zD1 et surnommé « l’arc du Soleil levant », est la somme de plusieurs images de la très lointaine galaxie, chacune de ces images étant étirée par les effets relativistes de propagation de la lumière dans le champ de gravitation de l’amas WHL0137-08.

Une équipe internationale conduite par Brian Welch, de l’université Johns-Hopkins (Baltimore, É.-U.), s’est fondée sur plusieurs relevés de l’arc du Soleil levant par le télescope spatial Hubble pour déceler, à l’aide de modèles de la lentille gravitationnelle, des sous-structures de la lointaine galaxie à z = 6,2 [1]. Les auteurs de cette étude ont utilisé quatre modèles de la lentille gravitationnelle, fondés sur des hypothèses différentes concernant les propriétés de l’amas de galaxies WHL0137-08 qui sert de lentille, et dont la forme est relativement complexe. Selon les modèles, toutes les régions de la galaxie lointaine ne sont pas également amplifiées en luminosité. Mais ils permettent de comprendre que l’arc comporte en particulier trois images de deux amas d’étoiles (soit 6 régions en surbrillance). Une autre région en surbrillance n’apparaît qu’une fois, et elle se situe dans une région particulièrement favorable à l’amplification en intensité lumineuse par la lentille gravitationnelle. L’analyse montre que c’est un objet de taille inférieure à un parsec, ce n’est donc pas un amas d’étoiles.

Il s’agit soit d’une étoile, soit d’un système d’étoiles multiples. C’en est une parmi les milliards d’étoiles de la galaxie lointaine, qui se trouve par le jeu du hasard dans de très bonnes conditions pour être vue depuis la Terre grâce à la lentille gravitationnelle formée par l’amas de

galaxies plus proche WHL0137-08. L’étoile (simple ou multiple) a été baptisée WHL0137-LS, mais aussi « Earendel », ce qui signifie « étoile du matin » en vieil anglais. Cela va bien avec le nom de « l’arc du Soleil levant » où elle a été découverte ! La magnitude absolue d’Earendel est estimée entre –8 et –12 ; elle brille comme des centaines de milliers de Soleils [2]. Les modèles d’évolution stellaire impliquent que sa masse, s’il s’agit d’une seule étoile, est comprise entre 40 et 500 masses solaires. Ce serait une étoile de type O, ou O-B ou A, et sa température de surface serait de l’ordre de 8 000 K (pour une masse de 40 masses solaires) et de 60 000 K pour une masse supérieure à 100 masses solaires. Ces paramètres sont conformes à l’idée que les étoiles de la première génération étaient très massives, très chaudes (étoiles dites de population III). Elles avaient aussi la vie brève, en comparaison de l’âge de leur galaxie, réduite à quelques dizaines de millions d’années.

L’étoile est-elle seule ou dans un système multiple ? Selon les auteurs, il y a peu de chances qu’elle soit seule, mais une des étoiles du système domine probablement les autres en masse et en luminosité. Il est donc probable que ce que nous voyons d’Earendel est surtout le fait d’une étoile très brillante, entourée d’un petit nombre d’étoiles beaucoup moins lumineuses.

Des amas d’étoiles dans une galaxie avaient déjà été identifiés (par la même méthode de lentille gravitationnelle) dans une autre galaxie, à une distance z = 6,14.

Avec un décalage cosmologique z = 6,2, Earendel est la plus lointaine étoile jamais observée. Le modèle standard de la cosmologie nous indique qu’à z = 6,2, l’étoile nous apparaît telle qu’elle était 900 millions d’années après le Big Bang, quand l’Univers avait 7 % de son âge actuel. L’analyse de la lumière infrarouge d’Earendel est un bon objectif pour des observations par le JWST afin de mieux caractériser cette étoile très ancienne.

Fabrice Mottez, Observatoire de Paris-PSL

 

Notes

  1. Welch et al., « A highly magnified star at redshift 6.2 », Nature 603, 2022.
  2. Le Soleil a une magnitude absolue de +4,8, et chaque écart de –5 magnitudes correspond à une multiplication de la luminosité par 100.
Les super-terres possèdent-elles de gros satellites ?

Les super-terres possèdent-elles de gros satellites ?

Selon des simulations numériques d’impacts géants, il serait très difficile de former de gros satellites autour de planètes rocheuses de masse supérieure à 6 masses terrestres.

 

Si l’on met de côté le cas un peu particulier du couple Pluton-Charon, la planète du Système solaire possédant le plus gros satellite par rapport à sa propre masse est la Terre. La Lune représente en effet plus de 1 % de la masse terrestre. Cette configuration serait le résultat d’un impact géant survenu il y a environ 4,47 milliards d’années (Ga) entre une planète, la proto-Terre, un peu plus petite que la Terre elle-même, et un objet de la taille de Mars, Théia. Cet impact aurait détruit Théia et excavé une partie du manteau terrestre. Et c’est à partir de ce matériau rassemblé en un disque de gaz et de débris que la Lune se serait formée. Selon les modèles actuels d’évolution du Système solaire, les impacts géants auraient été inévitables, et même communs, dans la jeunesse de celui-ci. Au point que l’on se demande pourquoi Vénus ne possède pas, elle aussi, un gros satellite1. Une autre question brûle les lèvres : qu’en est-il des autres systèmes planétaires ? De nombreuses exoplanètes de taille comparable à la Terre (exo-Terres) ou un peu plus grosses (super-Terres) ont été recensées. Celles-ci possèdent-elles, dans leur majorité, de grosses exo-lunes ? Une équipe de chercheurs dirigée par Miki Nakajima, de l’université de Rochester, s’est penchée sur cette question à l’aide de simulations numériques d’impacts géants2. Ces chercheurs notent tout d’abord qu’une étude approfondie réalisée sur une soixantaine de super-Terres répertoriées dans le catalogue de la mission Kepler n’a mis en évidence aucune exo-lune autour de ces exoplanètes. Détecter une exo-lune n’est évidemment pas une mince affaire, et ce résultat négatif ne signifie pas que les super-Terres sont systématiquement dépourvues de satellite. Mais il se pourrait aussi qu’il traduise une tendance bien réelle. C’est en tout cas ce que suggèrent les simulations numériques de Miki Nakajima et de ses collègues (fig. 1). Selon ces calculs, la formation d’un gros satellite à la suite d’un impact géant ne pourrait pas se produire pour des super-Terres rocheuses de 6 masses terrestres ou plus (fig. 2), ce qui correspond à des planètes d’au moins 1,6 rayon terrestre. Pour des super-Terres composées de glace, la masse seuil tombe à une masse terrestre, soit une planète d’environ 1,3 rayon terrestre. Ce résultat s’explique par la quantité d’énergie libérée pendant l’impact, qui est d’autant plus élevée que la masse totale du système (proto-planète plus impacteur) est grande. Or, plus cette énergie est élevée, plus la fraction de matériau à l’état de vapeur dans le disque de débris est importante. Un embryon de satellite de 100 m à 100 km se formant dans un tel disque est soumis à d’intenses forces de frottement qui le poussent à migrer vers la planète mère. Son destin est alors inéluctable : il va, à brève échéance, franchir la limite de Roche et se disloquer. Difficile, dans ces conditions, de former un gros satellite. 

 

Deux simulations numériques pour des planètes d’une masse terrestre, en haut (Rocky planet), pour une planète rocheuse, et en bas (Icy planet) pour une planète de glace. Dans le premier cas, il se forme bien un satellite, mais pas dans le second. Pour les planètes rocheuses, la masse seuil au-dessus de laquelle la formation d’un satellite est entravée est de 6 masses terrestres. (Nakajima et al., 2022)

 

Si ces simulations reflètent la réalité, la chasse aux exo-lunes autour de super-Terres pourrait s’annoncer plus compliquée que prévu. Elle devra en effet se focaliser sur des planètes de taille comparable à celle de la Terre, ce qui requiert des moyens d’observation plus puissants que pour une recherche similaire autour de super-Terres. Ce résultat compromet aussi quelque peu l’habitabilité des super-Terres. La présence de la Lune permet en effet de maintenir l’inclinaison de l’axe de rotation de la Terre dans une gamme de valeurs relativement étroite. Notre planète peut ainsi se prémunir de variations climatiques trop extrêmes ou fréquentes, donnant à la vie le temps nécessaire pour évoluer vers des formes complexes. 

 

Selon les simulations numériques de Miki Nakajima, la formation de gros satellites suite à un impact géant n’est sans doute pas possible pour les super-Terres trop massives. Le seuil se situe autour de 6 masses terrestres pour les planètes rocheuses (à gauche), et une masse terrestre pour les planètes de glace (à droite). (© Nakajima et al., 2022)

 

Par Frédéric Deschamps, IESAS, Taipei, Taïwan

 

Notes :

1. Cette question n’a pour le moment pas de réponse. Une hypothèse est que Vénus aurait subi deux impacts. Le premier aurait bien créé un satellite, mais le second aurait modifié la rotation de Vénus de telle façon que, sous l’effet des forces de marée, ce satellite aurait migré vers Vénus au lieu de s’en éloigner, et se serait disloqué en franchissant la limite de Roche. Cette explication a le mérite d’expliquer la vitesse de rotation faible et rétrograde de Vénus. Mais il est aussi possible que Vénus n’ait pas subi d’impact géant.

2. Nakajima M. et al., « Large planets may not form fractionally large moons », Nature Communications, 13:568, 2022. doi : 10.1038/s41467-022-28063-8.

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