LE MAGAZINE DES SCIENCES DE L’UNIVERS EN AFRIQUE

Dès le XVIIIe siècle, scientifiques et philosophes se sont interrogés sur l’origine du Système solaire. C’est ainsi qu’Emmanuel Kant (1724-1804) puis Pierre-Simon de Laplace (1749-1827) ont proposé le modèle de la « nébuleuse solaire primitive », selon lequel le Système solaire est le produit de l’effondrement d’un fragment de nuage interstellaire en rotation en un disque perpendiculaire à l’axe de rotation du nuage. L’étude des étoiles jeunes, au cours des dernières décennies, a largement validé ce scénario, qui s’applique également aux étoiles qui nous entourent. Dans le cas de la nébuleuse solaire, la matière proche du centre forme le proto-Soleil, tandis que, selon le scénario développé par V. Safronov à la fin des années 1960, les planètes se forment au sein du disque autour d’inhomogénéités locales à partir de particules solides.

Plus tard apparut le concept de « ligne des glaces », proposé en particulier par H. Mizuno en 1980 ; celle-ci marque la limite de condensation des petites molécules, à commencer par l’eau, H2O, à une température d’environ 170 K. À cette distance (environ 3 à 5 unités astronomiques [ua] du Soleil, au moment de la formation des planètes), la formation des glaces juste en deçà de cette ligne semble avoir favorisé la formation de Jupiter et, au-delà, des autres planètes géantes [1]. Si la présence de la ligne des glaces a apporté une explication satisfaisante à la formation des planètes géantes, il était beaucoup plus difficile de rendre compte de la formation des planètes rocheuses : les modèles nécessitaient soit des particules de taille excessive, soit un disque protoplanétaire excessivement riche en éléments lourds.

Pour résoudre cette difficulté, une équipe européenne coordonnée par A. Morbidelli, de l’Observatoire de la Côte d’Azur [2], a récemment imaginé un scénario dans lequel le matériau provenant de la nébuleuse primitive aurait été déficient en moment angulaire, ce qui aurait produit la formation d’un disque protoplanétaire très proche du Soleil, chaud et compact. La matière propulsée vers l’extérieur aurait franchi la ligne des glaces et, en s’y accumulant, aurait formé les planétésimaux qui ont ensuite donné naissance aux planètes géantes. L’originalité de l’étude est d’imaginer, en deçà de la ligne des glaces, à une distance héliocentrique d’environ 1 ua, une autre frontière associée à la condensation des silicates, à une température d’environ 1 000 K, qui aurait permis, par accumulation de matière à cette frontière, la formation des planétésimaux qui ont ensuite été incorporés dans les planètes rocheuses du Système solaire. Pour les auteurs de l’étude, les deux lignes de condensation se seraient mises en place simultanément, mais, selon leurs calculs, les planétésimaux de la ligne des glaces se formèrent plus rapidement que ceux de la ligne des silicates.

Pour tester leur modèle, A. Morbidelli et ses collègues font appel aux météorites ferreuses, formées dans le premier milliard d’années après la formation du Système solaire. En effet, la formation des planétésimaux à la ligne des glaces est difficile à concilier avec la formation précoce et simultanée de météorites ferreuses présentant des états d’oxydation et des compositions isotopiques différents, indiquant qu’ils ont été formés à des distances du Soleil différentes (lire l’encadré). Les nouveaux résultats présentés par A. Morbidelli et son équipe ouvrent une nouvelle perspective dans la reconstitution des toutes premières phases d’accrétion au sein du disque protosolaire. Il restera à mieux contraindre le modèle dont de nombreux paramètres sont encore mal connus, et aussi à déterminer dans quelle mesure le scénario proposé est unique ou constitue une solution parmi d’autres possibles.

Schéma de la formation du Système solaire selon le modèle de Morbidelli et al. (2022). Haut : Modèle standard. Les flèches noires inclinées indiquent les distances auxquelles 50 % et 100 % du matériau ont été accrétés. Les flèches vertes inclinées, très proches du Soleil, correspondent aux mêmes limites dans le modèle de Morbidelli et al. ; la flèche verte horizontale indique l’échappement vers l’extérieur du matériau tombé à proximité du Soleil. Bas : les lignes de condensation des silicates à 1 ua (T = 1 000 K) et des glaces à 5 ua (T = 170 K). Les planétésimaux se forment à proximité de ces lignes de condensation ; ils sont les embryons des planètes telluriques et géantes. (C. Ormel 2022, Nature Astronomy [3])

LES MÉTÉORITES MÉTALLIQUES ET LA FORMATION DU SYSTÈME SOLAIRE Selon le modèle décrit par A. Morbidelli et son équipe, les planétésimaux formés à la ligne de condensation des silicates devraient avoir un rapport silicates/réfractaires 10 à 35 % supérieur à ceux formés au niveau de la ligne des glaces. Or, les météorites métalliques sont de deux types, les météorites carbonées (CC), formées dans un milieu plus riche en eau (sans doute la ligne des glaces et au-delà), et les non-carbonées (NC), plus riches en silicates, qui pourraient donc s’être formées à proximité de la ligne de condensation des silicates. Ces deux classes de météorites, CC et NC, se caractérisent par des différences dans certains rapports isotopiques qui pourraient être la signature de l’injection dans le disque protosolaire de matériaux distincts à différentes époques, les CC étant plus riches en matériaux « primitifs » (c’est-à-dire antérieurs à 20 000 ans) que les NC. Toujours selon le modèle des auteurs, les CC, formées à la ligne des glaces, seraient plus riches en matériau primitif, car celui-ci aurait été transporté très rapidement vers l’extérieur, alors que les NC, plus proches du Soleil, auraient davantage de matériau tardif tombant sur le disque intérieur.

 

par Thérèse Encrenaz, Observatoire de Paris

 

 

 

Article publié dans l’Astronomie n°165, novembre 2022

 

Notes: [1]. voir Pollack et al., Icarus, vol. 124, Issue 1, p. 62-85, 1996
[2]. A. Morbidelli  et al., 2022. « Contemporary formation of early solar system planetesimals at two distinct radial locations », Nature Astronomy [https://doi.org/10.1038/s41550-021-01517-7].
[3]. C. Ormel, « Archaeology of the Solar System », Nature Astronomy, vol. 6, p. 16-17, janvier 2022. [https://www.nature.com/articles/s41550-021-01521-x]

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