LE MAGAZINE DES SCIENCES DE L’UNIVERS EN AFRIQUE

Depuis plusieurs décennies, l’observation des objets du Système solaire à l’occasion d’occultations stellaires a révélé des résultats extrêmement intéressants. La méthode consiste à mesurer avec une grande précision et une grande résolution temporelle la lumière d’une étoile au moment du passage d’un objet (planète ou astéroïde) devant celle-ci. On voit alors la lumière de l’étoile diminuer jusqu’à s’annuler, puis réapparaître après le passage de l’objet. Cette méthode a apporté trois types de résultats : 1) l’étude des atmosphères des objets qui en sont dotés (planètes géantes, Titan, Triton, Pluton) ; 2) l’étude de leur forme et de leurs dimensions; et enfin 3) la découverte et l’étude d’anneaux autour de certains d’entre eux. C’est par cette méthode que les anneaux d’Uranus ont été découverts en 1977 [1] (fig. 1), puis ceux de Neptune en 1984 [2] (fig. 2) plusieurs années avant leur confirmation par Voyager 2. C’est aussi par cette méthode que le diamètre de l’objet transneptunien Éris a été mesuré [3] ; le résultat, très proche de celui de Pluton, a été un élément important en faveur de la redéfinition du statut de Pluton, rebaptisé planète naine par l’Union astronomique internationale en 2006.

1. Les anneaux d’Uranus observés par la sonde Voyager 2 (1986, à gauche) et par le télescope spatial Hubble (2002, à droite). (Nasa/JPL)

Au cours des dix dernières années, la méthode des occultations stellaires nous a offert de nouvelles surprises. En 2014, contre toute attente, un anneau a été découvert autour de l’astéroïde de type centaure (qui orbite entre Jupiter et Neptune) Chariklo [4] ; trois ans plus tard, c’est le transneptunien Hauméa qui s’est lui aussi trouvé doté d’un anneau [5]. Ces deux découvertes ont remis en question les modèles de formation des anneaux, que l’on croyait jusqu’alors réservés aux planètes géantes, et les ont fait progresser pour rendre compte de ces nouvelles observations.

Aujourd’hui, c’est une nouvelle surprise qui nous est révélée. A nouveau, un anneau a été découvert autour d’un objet transneptunien nommé Quaoar, par des observations d’occultation stellaire ; le fait nouveau est que cet anneau est situé à une distance anormalement éloignée de l’objet. Jusqu’à présent, tous les anneaux découverts dans le Système solaire (à l’exception des plus ténus, ou de ceux qui sont alimentés par des satellites) sont relativement proches de l’objet qu’ils entourent, de sorte que les forces de marée qu’ils subissent empêchent les particules de s’agglomérer pour former un satellite : c’est ce que l’on appelle la limite de Roche. Si les particules en orbite autour de l’objet ont la même densité que celui-ci, on estime cette limite à 2,5 fois le rayon de l’objet. Or, dans le cas de Quaoar, l’anneau observé est situé à plus de 7 rayons de l’objet central !

2. Les anneaux de Neptune observés par la sonde Voyager 2 (1989, en haut) et par le James Webb Space Telescope (2022, en bas). (Nasa/JWST)

Les observations

Quaoar est un objet transneptunien dont le diamètre est de 1 150 km et la période de rotation de 17,7 heures. Quaoar possède un satellite nommé Weywot, d’un diamètre de 170 km, et d’une période orbitale de 12,5 jours, découvert sur des images du télescope spatial Hubble. Il orbite dans un plan incliné de 14 degrés par rapport au plan de révolution de Quaoar autour du Soleil.

Quatre occultations stellaires par Quaoar ont été observées, grâce à des prédictions utilisant les données astrométriques les plus récentes de la sonde européenne Gaia. Elles ont eu lieu le 2 septembre 2018, le 5 juin 2019, le 11 juin 2020 et le 27 août 2021. Comme c’est l’usage, chaque événement mobilise plusieurs télescopes localisés en différents points du globe terrestre, la coordination étant assurée par un réseau regroupant astronomes amateurs et professionnels. Dans le cas de Quaoar, le télescope spatial CHEOPS, dédié à l’observation des exoplanètes par transit, a également été mobilisé le 11 juin 2020. La première détection de l’une des composantes de l’anneau a été obtenue en Namibie en 2018, ce qui a justifié la mise en place d’une campagne d’observations à l’occasion des occultations stellaires suivantes. Le plus beau résultat a été obtenu le 5 juin 2019 par le télescope GranTeCan de La Palma qui a pu observer les deux composantes de l’anneau de part et d’autre de l’occultation centrale due à l’objet lui-même (fig. 3). Plus tard, d’autres détections réalisées en différents sites ont permis d’affiner la représentation de l’anneau, en particulier celle obtenue en Australie en août 2021. C’est aussi le cas des observations de CHEOPS du 11 juin 2020 ; bien que la résolution temporelle des données soit inférieure à celle des données prises du sol, il est tout de même possible de détecter la présence des anneaux de part et d’autre de l’objet (fig. 4).

3. À gauche : Projection sur le ciel de la trajectoire de l’étoile en fonction du temps lors de l’occultation stellaire par Quaoar le 5juin 2019. À droite, en haut : Courbe d’occultation stellaire par Quaoar enregistrée au GranTeCan le 5 juin 2019, entre –250 et +250 secondes. À droite, en bas : Agrandissement de la courbe à proximité de l’occultation par l’anneau. On voit que les profils sont nettement différents, ce qui montre que l’anneau présente des inhomogénéités en longitude.

 

Les observations du 5 juin 2019 (fig. 3) font clairement apparaître que l’anneau de Quaoar n’est pas homogène en densité. À partir d’un modèle prenant en compte l’ensemble des observations, les auteurs de l’étude ont pu préciser les caractéristiques de l’anneau. Son épaisseur optique varie entre une fraction de pour cent et l’unité selon la longitude*. Les observations sont compatibles avec un anneau coplanaire avec l’orbite du satellite de Quaoar, Weywot, lui-même situé à 24 rayons du corps central ; il est en effet probable que l’anneau et le satellite sont tous deux issus du même système primordial en orbite autour de Quaoar. La distance de l’anneau à l’objet central est d’environ 4 100 km, soit 7,4 fois le rayon de Quaoar.

 

Un anneau au-delà de la limite de Roche

Comment peut-on expliquer l’existence d’un anneau au-delà de la limite de Roche ? Nous avons vu que cette limite dépend de la densité du matériau considéré. À la distance où l’anneau est observé, ce matériau devrait avoir une densité très faible (de l’ordre de 30 kg/m3) pour être détruit par les forces de marée de l’objet central ; cette densité correspondrait à un matériau extrêmement poreux, ce qui le rendrait très différent des anneaux observés autour de Chariklo et Hauméa. Mais même dans ces conditions, selon les simulations numériques, le matériau contenu dans l’anneau de Quaoar devrait former un satellite en seulement quelques décennies… La probabilité d’observer un tel phénomène est donc extrêmement faible, et l’explication doit être recherchée ailleurs.

4. À gauche : Projection sur le ciel de la trajectoire de l’étoile en fonction du temps lors de l’occultation stellaire par Quaoar le 11 juin 2020, telle qu’elle a été observée par le télescope spatial CHEOPS. À droite, en haut : Courbe d’occultation stellaire par Quaoar enregistrée par CHEOPS le 11 juin 2020, entre –200 et +200 secondes. À droite, en bas : Agrandissement de la courbe à proximité de l’occultation par l’anneau.

 

Une autre piste a été explorée par les découvreurs de l’anneau de Quaoar. Ils font remarquer que la force d’attraction gravitationnelle entre deux particules d’un anneau dépend de leur densité, mais aussi de la dispersion de leur vitesse par rapport à l’objet central. Si celle-ci est élevée, alors les deux particules peuvent éviter de s’agglomérer, même au-delà de la limite de Roche. Une façon d’augmenter la dispersion des vitesses des particules de l’anneau est d’utiliser une loi de collision qui n’a pas été jusque-là considérée pour les anneaux. Des mesures de laboratoire ont en effet montré que pour des températures plus basses que celles qui ont été jusque-là considérées pour les anneaux de Saturne, les collisions sont plus élastiques. Les auteurs de l’article montrent alors que les vitesses post-impacts restent suffisamment grandes pour que les particules échappent à leur attraction mutuelle, inhibant ainsi l’accrétion. Une autre cause pour maintenir une grande dispersion de vitesse pourrait également être une force extérieure. Celle-ci pourrait provenir de résonances (voir Éclairage, p. 76) avec Quaoar, ou avec son satellite Weywot, ou avec d’autres satellites qui resteraient à découvrir autour de Quaoar. Il se trouve que l’anneau est proche de la résonance spin-orbite 1:3 de Quaoar, et de la résonance de moyen mouvement 6:1 de Weywot. Vu sa taille relativement petite, Quaoar possède probablement une forme irrégulière qui pourrait être à l’origine de résonances spin-orbite 1:3 ; celles-ci sont aussi observées dans le cas des anneaux de Chariklo et Hauméa, et pourraient favoriser le confinement de l’anneau à proximité de cette résonance. Des simulations numériques sont en cours pour tester ce mécanisme

 

par Thérèse Encrenaz, Observatoire de Paris-PSL

 

Article publié dans l’Astronomie, Février 2023

 

 

NOTE

* Une épaisseur optique de 1 correspond à un objet totalement opaque et une épaisseur de 0 à un objet totalement transparent.

  1. J. L. Elliot et al. (1977). The rings of Uranus. Nature 267, 328-330.
  2. W. B. Hubbard et al. (1986). Occultation detection of a neptunian ring-like arc. Nature 319, 636-640.
  3. B. Sicardy et al. (2011). A Pluto-like radius and a high albedo for the dwarf planet Eris from an occultation. Nature 478, 493-496.
  4. F. Braga-Ribas et al. (2014). A ring system detected around the Centaur (10199) Chariklo. Nature 508, 72-75.
  5. J. L. Ortiz et al. (2017). The size, shape, density and ring of the dwarf planet Haumea from a stellar occultation. Nature 550, 219-223.

 

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