LE MAGAZINE DES SCIENCES DE L’UNIVERS EN AFRIQUE
Existe-t-il des galaxies semblables à la Voie lactée ?

Existe-t-il des galaxies semblables à la Voie lactée ?

Il est difficile de connaître la structure à grande échelle de notre Galaxie, la Voie lactée, puisque nous sommes à l’intérieur de celle-ci. Cependant, nous pouvons étudier individuellement les populations d’étoiles et leur composition chimique, et tenter de comparer ces propriétés à celles des autres galaxies que nous observons. Le résultat est surprenant.

1. Vue d’artiste, annotée, de la Voie lactée. (ASA/JPL-Caltech/R. Hurt (SSC/Caltech))

On ne connaît qu’approximativement la structure à grande échelle de la Voie lactée, grâce en particulier aux mesures des vitesses des étoiles et du gaz dans les bras spiraux (fig. 1), mais on peut déterminer individuellement les propriétés des étoiles : température, pression, abondance des éléments, etc. Au contraire, dans les galaxies extérieures, on observe facilement les propriétés à grande échelle, mais pas individuellement celles des étoiles.

On sait que la Voie lactée est une galaxie spirale de type morphologique (dit de Hubble) entre Sb et Sc (fig. 2), contenant 300 ou 400 milliards d’étoiles. La Voie lactée a-t-elle des galaxies jumelles ? Une équipe internationale de chercheurs principalement du Royaume-Uni, conduite par un chercheur de l’école de physique et d’astronomie de l’université de Nottingham, vient de chercher les « jumelles » de la Voie lactée dans un catalogue de 10 000 galaxies produit par le SDSS (Sloan Digital Sky Survey) [1].

Dans le catalogue SDSS-IV/MaNGA, ils ont sélectionné un échantillon de 138 galaxies de même type que la Voie lactée, en se fondant sur leur masse, leurs propriétés chimiques, le rapport et le taux de formation d’étoiles, le rapport entre la luminosité du bulbe et celle de la galaxie, afin de comparer plus finement leurs propriétés à celles de la Voie lactée. Pour décrypter les informations relatives à la Voie lactée, ils ont adapté un modèle semi-analytique de formation d’étoiles aux spectres du catalogue MaNGA, en tenant compte en particulier des vents stellaires qui tombent des régions externes vers les régions internes et en incorporant l’enrichissement chimique provenant des supernovae. Ils trouvent ainsi que 56 des 138 galaxies de l’échantillon reproduisent d’assez près les propriétés de la Voie lactée.

Actuellement, leur formation stellaire se produit dans les régions extérieures évoluant sur un temps long, les régions intérieures ayant connu, tôt dans leur histoire, une période de formation stellaire intense due à du gaz provenant de la région externe (fig. 3). D’autres galaxies sont très différentes : soit que leurs régions internes et externes évoluent de la même façon, soit qu’il y manque une région centrale où les étoiles auraient pu se former systématiquement plus tôt. Ces galaxies sont probablement plus âgées que la Voie lactée. Dans ce cas, elles en représenteraient le futur. Toutefois, il peut exister d’autres explications, par exemple un noyau trop actif ayant limité la formation d’étoiles dans la région interne [2].

2. et 3. Le meilleur modèle de galaxie semblable à la Voie lactée tiré du catalogue MaNGA. Le panneau de gauche montre une image optique de la galaxie modèle dont l’empreinte est représentée en magenta. Les deux ellipses en rouge et en bleu correspondent à deux rayons caractéristiques dans la galaxie. Le panneau du milieu montre le taux de formation stellaire calculé à l’intérieur des deux rayons précédents, et le panneau de droite montre l’abondance des éléments lourds (c’est-à-dire plus lourds que le lithium) dans les mêmes conditions, le tout en fonction du temps, en milliards d’années, écoulé depuis la formation de la galaxie modèle. (Shuang Zhou, arXiv:2212.09127v1)

 

On le voit, il reste beaucoup à apprendre de cette comparaison entre la Voie lactée et les modèles tirés des galaxies observées, mais elle offre en tout cas la possibilité d’en savoir un peu plus sur l’évolution des galaxies. On peut déjà en déduire que, si beaucoup de galaxies paraissent semblables à la Voie lactée, chacune d’elles est unique en son genre, et en outre qu’elles présentent entre elles des différences subtiles ayant certainement influencé leur évolution.

 

Par Suzy Collin-Zahn,  Observatoire de Paris-PSL

 

Article publié dans l’Astronomie, Mars 2023

 

 

Notes

  1. Shuang Zhou, Alfonso Aragón-Salamanca, Michael Merrifield, Brett H. Andrews, Niv Drory, Richard R. Lane, « Are Milky-Way-like galaxies like the Milky Way? A view from SDSS-IV/MaNGA », à paraître dans Monthly Notices of the Royal Astronomical Society, 2023, arXiv:2212.09127v1.
  2. Les noyaux actifs émettent des vents parfois assez puissants pour chasser les nuages de gaz du centre de la galaxie, empêchant ainsi leur effondrement sur eux-mêmes et les formations d’étoiles qui s’ensuivraient.

 

D’étranges anneaux autour d’une étoile

D’étranges anneaux autour d’une étoile

En août 2022, une image du James Webb Space Telescope (JWST) a créé la stupéfaction chez les astronomes : 17 anneaux concentriques entouraient un couple d’étoiles appelé Wolf-Rayet 140. Était-ce une illusion d’optique ou une structure réelle étrange ? La réponse a été donnée grâce à l’analyse détaillée par le télescope JWST de ce couple qui avait été observé depuis une vingtaine d’années.

Quand le vent intense d’une étoile Wolf-Rayet (WR) enrichie en carbone (WC), liée dans un couple à une étoile O ou B, interagit avec le vent moins fort de l’étoile compagne, il se produit un choc à la suite duquel sont formés des grains de poussière. Ceux-ci se propagent ensuite dans l’environnement du couple stellaire. Les premiers grains de poussière carbonée seraient ainsi produits dans les vents de couples d’étoiles évoluées dont l’une des composantes est une WC. Il semble que les WC régulent la position des poussières au cours du mouvement orbital du système.

1. Image en fausses couleurs de WR 140 obtenue avec les filtres de l’instrument MIRI du JWST, F770W, F1500W et F2100W, correspondant respectivement au bleu, au vert et au rouge. Huit pics de diffraction symétriques sont observés autour du cœur saturé de WR 140 et présentent des couleurs plus bleues que l’émission de poussière. (Ryan M. Lau et al., Nature Astronomy, 12 oct. 2022)

En fait, le couple WR 140 représente un laboratoire astrophysique idéal pour étudier cette question (fig. 1 et 2). L’étoile de type WC7 orbite autour d’une étoile O5 en 7,93 ans. Elle produit périodiquement de la poussière pendant quelques mois lorsque son vent est suffisamment comprimé lors de son passage au périastre de l’étoile O. Une émission infrarouge sous forme de deux anneaux de poussière avait déjà été observée au moyen de télescopes au sol à environ 5 000 unités astronomiques du centre du couple stellaire. Cependant, les autres anneaux n’avaient pu être détectés. Il était d’ailleurs nécessaire de s’assurer que ces deux anneaux étaient composés de carbone, ce qui était impossible aussi bien avec les télescopes au sol qu’avec le télescope spatial Hubble.

2. Cette vue d’artiste montre la taille relative du Soleil, en haut et à gauche, comparée à celles des deux étoiles du système Wolf- Rayet 140. L’étoile O a environ trente fois la masse du Soleil, et le compagnon environ dix fois cette masse. (Nasa/JPL-Caltech)

Une équipe internationale conduite par un astronome américain de l’université de Tucson vient de publier un article montrant que les 17 anneaux sont dus à l’interaction des deux étoiles du couple au cours des 130 dernières années [2]. Le JWST révèle en effet des bandes infrarouges à 6,4 et 7,7 microns, qui indiquent la présence de molécules composées d’hydrogène et de carbone observées auparavant autour d’autres étoiles WC mais c’est la première fois que des images confirment l’association de ces caractéristiques spectrales avec la présence de poussière (fig. 3).

3. Spectre obtenu par le JWST (et corrigé pour l’extinction atmosphérique) montrant les caractéristiques spectrales du carbone neutre dans l’anneau 2 (ligne rouge) par comparaison à un modèle en noir. La « raie » en absorption à 12 microns est un artefact instrumental, tandis que l’émission à 10,5 microns est probablement due au silicium. (Ryan M. Lau et al., Nature Astronomy, 12 oct. 2022)

 

Encore une découverte du JWST, qui nous réserve décidément bien des surprises !

 

par Suzy Collin-Zahn – Observatoire de Paris, PSL

 

 

 

Article publié dans l’Astronomie n°166, décembre 2022

 

 

 

Notes:

  1. Les étoiles Wolf-Rayet sont des étoiles chaudes de plusieurs dizaines de masses solaires issues d’étoiles O et B. Durant une phase brève (de l’ordre du million d’années), elles expulsent de la matière sous forme de vents stellaires violents laissant leur noyau à nu, avant d’exploser en supernova. Celles qui sont enrichies en carbone sont appelées WC, et sont classées en WC suivi d’un numéro, comme WC7 dans le cas présent.
  2. Ryan M. Lau et al., « Concentric rings in space: nested dust shells around the Wolf–Rayet binary WR 140 observed with JWST », Nature Astronomy, 12 oct. 2022.

 

 

 

 

L’origine du système solaire revisitée

L’origine du système solaire revisitée

Dès le XVIIIe siècle, scientifiques et philosophes se sont interrogés sur l’origine du Système solaire. C’est ainsi qu’Emmanuel Kant (1724-1804) puis Pierre-Simon de Laplace (1749-1827) ont proposé le modèle de la « nébuleuse solaire primitive », selon lequel le Système solaire est le produit de l’effondrement d’un fragment de nuage interstellaire en rotation en un disque perpendiculaire à l’axe de rotation du nuage. L’étude des étoiles jeunes, au cours des dernières décennies, a largement validé ce scénario, qui s’applique également aux étoiles qui nous entourent. Dans le cas de la nébuleuse solaire, la matière proche du centre forme le proto-Soleil, tandis que, selon le scénario développé par V. Safronov à la fin des années 1960, les planètes se forment au sein du disque autour d’inhomogénéités locales à partir de particules solides.

Plus tard apparut le concept de « ligne des glaces », proposé en particulier par H. Mizuno en 1980 ; celle-ci marque la limite de condensation des petites molécules, à commencer par l’eau, H2O, à une température d’environ 170 K. À cette distance (environ 3 à 5 unités astronomiques [ua] du Soleil, au moment de la formation des planètes), la formation des glaces juste en deçà de cette ligne semble avoir favorisé la formation de Jupiter et, au-delà, des autres planètes géantes [1]. Si la présence de la ligne des glaces a apporté une explication satisfaisante à la formation des planètes géantes, il était beaucoup plus difficile de rendre compte de la formation des planètes rocheuses : les modèles nécessitaient soit des particules de taille excessive, soit un disque protoplanétaire excessivement riche en éléments lourds.

Pour résoudre cette difficulté, une équipe européenne coordonnée par A. Morbidelli, de l’Observatoire de la Côte d’Azur [2], a récemment imaginé un scénario dans lequel le matériau provenant de la nébuleuse primitive aurait été déficient en moment angulaire, ce qui aurait produit la formation d’un disque protoplanétaire très proche du Soleil, chaud et compact. La matière propulsée vers l’extérieur aurait franchi la ligne des glaces et, en s’y accumulant, aurait formé les planétésimaux qui ont ensuite donné naissance aux planètes géantes. L’originalité de l’étude est d’imaginer, en deçà de la ligne des glaces, à une distance héliocentrique d’environ 1 ua, une autre frontière associée à la condensation des silicates, à une température d’environ 1 000 K, qui aurait permis, par accumulation de matière à cette frontière, la formation des planétésimaux qui ont ensuite été incorporés dans les planètes rocheuses du Système solaire. Pour les auteurs de l’étude, les deux lignes de condensation se seraient mises en place simultanément, mais, selon leurs calculs, les planétésimaux de la ligne des glaces se formèrent plus rapidement que ceux de la ligne des silicates.

Pour tester leur modèle, A. Morbidelli et ses collègues font appel aux météorites ferreuses, formées dans le premier milliard d’années après la formation du Système solaire. En effet, la formation des planétésimaux à la ligne des glaces est difficile à concilier avec la formation précoce et simultanée de météorites ferreuses présentant des états d’oxydation et des compositions isotopiques différents, indiquant qu’ils ont été formés à des distances du Soleil différentes (lire l’encadré). Les nouveaux résultats présentés par A. Morbidelli et son équipe ouvrent une nouvelle perspective dans la reconstitution des toutes premières phases d’accrétion au sein du disque protosolaire. Il restera à mieux contraindre le modèle dont de nombreux paramètres sont encore mal connus, et aussi à déterminer dans quelle mesure le scénario proposé est unique ou constitue une solution parmi d’autres possibles.

Schéma de la formation du Système solaire selon le modèle de Morbidelli et al. (2022). Haut : Modèle standard. Les flèches noires inclinées indiquent les distances auxquelles 50 % et 100 % du matériau ont été accrétés. Les flèches vertes inclinées, très proches du Soleil, correspondent aux mêmes limites dans le modèle de Morbidelli et al. ; la flèche verte horizontale indique l’échappement vers l’extérieur du matériau tombé à proximité du Soleil. Bas : les lignes de condensation des silicates à 1 ua (T = 1 000 K) et des glaces à 5 ua (T = 170 K). Les planétésimaux se forment à proximité de ces lignes de condensation ; ils sont les embryons des planètes telluriques et géantes. (C. Ormel 2022, Nature Astronomy [3])

LES MÉTÉORITES MÉTALLIQUES ET LA FORMATION DU SYSTÈME SOLAIRE Selon le modèle décrit par A. Morbidelli et son équipe, les planétésimaux formés à la ligne de condensation des silicates devraient avoir un rapport silicates/réfractaires 10 à 35 % supérieur à ceux formés au niveau de la ligne des glaces. Or, les météorites métalliques sont de deux types, les météorites carbonées (CC), formées dans un milieu plus riche en eau (sans doute la ligne des glaces et au-delà), et les non-carbonées (NC), plus riches en silicates, qui pourraient donc s’être formées à proximité de la ligne de condensation des silicates. Ces deux classes de météorites, CC et NC, se caractérisent par des différences dans certains rapports isotopiques qui pourraient être la signature de l’injection dans le disque protosolaire de matériaux distincts à différentes époques, les CC étant plus riches en matériaux « primitifs » (c’est-à-dire antérieurs à 20 000 ans) que les NC. Toujours selon le modèle des auteurs, les CC, formées à la ligne des glaces, seraient plus riches en matériau primitif, car celui-ci aurait été transporté très rapidement vers l’extérieur, alors que les NC, plus proches du Soleil, auraient davantage de matériau tardif tombant sur le disque intérieur.

 

par Thérèse Encrenaz, Observatoire de Paris

 

 

 

Article publié dans l’Astronomie n°165, novembre 2022

 

Notes: [1]. voir Pollack et al., Icarus, vol. 124, Issue 1, p. 62-85, 1996
[2]. A. Morbidelli  et al., 2022. « Contemporary formation of early solar system planetesimals at two distinct radial locations », Nature Astronomy [https://doi.org/10.1038/s41550-021-01517-7].
[3]. C. Ormel, « Archaeology of the Solar System », Nature Astronomy, vol. 6, p. 16-17, janvier 2022. [https://www.nature.com/articles/s41550-021-01521-x]

Neptune, une évolution imprévue  de sa température

Neptune, une évolution imprévue de sa température

Des mesures effectuées à l’aide de caméras infrarouges montrent de manière surprenante que les températures atmosphériques de Neptune ne suivent pas une évolution saisonnière normale.

Située à environ 30 unités astronomiques du Soleil, Neptune a une période de révolution de 164 ans. Dotée d’une obliquité de 29°, la planète présente des effets saisonniers qui se manifestent sur plusieurs dizaines d’années ; le passage au solstice d’été dans l’hémisphère Sud a eu lieu en 2005. C’est à cette époque que l’instrument infrarouge VISIR, installé au VLT (Very Large Telescope) sur le site du Cerro Paranal de l’Eso (European Southern Observatory) au Chili, est entré en activité. En 2006, il a obtenu les premières images de Neptune dans l’infrarouge moyen (7-25 μm).  Le rayonnement infrarouge donne une mesure de la température atmosphérique à une certaine altitude, qui dépend de la pression et de la composition atmosphériques. Les gaz absorbant dans  l’infrarouge thermique sont principalement l’hydrogène H2 (à 17,6 μm), le méthane CH4 (à 8,6 μm) et l’éthane C2H6 (à 12,3 μm). À 17,6 μm, le rayonnement provient de la tropopause à environ 100 mbars, tandis qu’à 8,6 et 12,3 μm, il est émis par la stratosphère, à plus haute altitude,  entre 0,1 et 1 mbar. Rappelons que la tropopause est la limite haute de la zone de l’atmosphère où la température décroît avec l’altitude, et où ont lieu des mouvements verticaux. La stratosphère est la zone située au-dessus de la tropopause,  et la température y augmente avec l’altitude, sans mouvements verticaux de la matière gazeuse.

1. Images de Neptune prises dans l’infrarouge en 2006 avec l’instrument VISIR du VLT. À 17,6 μm (A), le rayonnement provient de la tropopause, au niveau du minimum de température, à un niveau de pression de 100 mbars. À 12,3 μm (D) et 8,6 μm (E), le rayonnement provient de la stratosphère, à plus haute altitude, à des niveaux de pression compris entre 0,1 et 1 mbar. Le point brillant au pôle Sud a été interprété en 2006 comme un effet saisonnier, lié au passage de la planète au solstice d’été dans l’hémisphère Sud en 2005 [1]. À droite des images A et D, on voit l’image d’une étoile voisine utilisée pour le calibrage en radiance et pour mesurer la fonction d’appareil, c’est-à-dire évaluer la résolution spatiale. La configuration géométrique de la planète est représentée à droite de l’image E.

La cartographie de la planète à ces différentes longueurs d’onde permet donc de reconstruire une image en trois dimensions du profil thermique et de la distribution verticale du méthane et de l’éthane.

Depuis 2006, la planète Neptune a fait l’objet d’une campagne régulière d’observations en imagerie thermique, avec l’instrument VISIR du VLT mais aussi les caméras infrarouges COMICS au Subaru, à Hawaï, et la caméra T-ReCS du télescope Gemini-South au Chili. Les résultats viennent d’être publiés dans The Planetary Science Journal par une équipe de chercheurs européens et américains.

 

2. Évolution de l’image de Neptune à 12,3 μm entre 2006 et 2020. Les images ont été prises avec l’instrument VISIR du VLT. L’image de gauche est la même que l’image D de la figure 1. On observe un léger refroidissement de la planète entre 2006 et 2009, puis une remontée de température en 2018, et particulièrement nette en 2020 [2].

Les conditions d’ensoleillement sur Neptune peu peu évolué au cours de cette période, la latitude du point subsolaire, celui où le Soleil apparaît au zénith, passant de 29° S en 2005 (au moment du solstice d’été dans l’hémisphère Sud) à 24° S en 2020. La figure 1 montre le disque de Neptune enregistré en 2006 dans les trois longueurs d’onde mentionnées ci-dessus. L’intensité du rayonnement donne une mesure de la température dans la couche de l’atmosphère dont il provient. On voit que le rayonnement à 17,6 μm, qui provient de la tropopause, affiche un point très brillant au pôle Sud. Ce phénomène a été interprété alors comme un réchauffement du pôle Sud associé à sa forte insolation, juste un an après le solstice d’été. À 12,3 μm, l’image montre un fort éclairement au limbe de toute la planète, ce qui traduit une élévation de température dans la stratosphère à toutes les latitudes. La figure 2 montre l’image de Neptune à 12,3 μm, en 2006, 2009, 2019 et 2020. C’est là qu’apparaît une découverte surprenante. Alors que l’on attendait la poursuite de l’échauffement au pôle Sud pendant les années suivant le passage au solstice d’été, on a assisté à une lente diminution de la température du pôle Sud, suivie d’une brutale remontée en 2019 et 2020. Ces variations ne peuvent pas s’expliquer simplement par les effets saisonniers liés à l’orbite de Neptune. D’autres mécanismes possibles ont été invoqués par les auteurs, comme un couplage possible entre le rayonnement solaire et la production des hydrocarbures par photochimie, ou des variations liées à la circulation atmosphérique et la formation de nuages, ou bien l’effet possible d’ondes de gravité émises depuis les couches plus profondes par des plumes convectives intermittentes, ou encore un effet du cycle solaire, dont la période est de 11 ans. Pour l’instant, l’énigme reste entière et les mesures devront se poursuivre dans les décennies qui viennent pour tenter de l’élucider.

 

par Thérèse Encrenaz, Observatoire de Paris-PSL

 

 

Article publié dans l’Astronomie n°163, septembre 2022

 

 

Notes

  1. G. Orton et al., « Evidence for methane escape and strong seasonal and dynamical perturbations of Neptune’s atmospheric temperatures », Astron. Astrophys. 473, L5-L8, 2007, doi: 10.1051/0004-6361:20078277.
  2. M. T. Roman et al., « Sub-seasonal variation in Neptune’s mid-infrared emission from ground-based imaging », The Planetary Science Journal, doi:10.3847/PSJ/ac5aa4.

 

Les lois d’échelle des galaxies à disque révèlent leur histoire de formation

Les lois d’échelle des galaxies à disque révèlent leur histoire de formation

L’étude des mouvements dynamiques des étoiles et des nuages de gaz au sein des galaxies spirales (ou galaxies à disque), par exemple par Vera Rubin et son équipe dans les années 1970, a fourni l’une des premières indications qu’une partie importante de la matière qui constitue les galaxies ne pouvait pas être observée par les télescopes. En effet, les masses combinées des étoiles, du gaz et de la poussière ne sont pas assez importantes pour expliquer la vitesse à laquelle on voit les étoiles et le gaz tourner dans les disques des galaxies, ce qui indique que les galaxies doivent aussi être composées d’une sorte de matière non ordinaire qui n’émet pas de lumière. C’est ce que nous appelons aujourd’hui la « matière noire ».

Après ces premiers travaux pionniers, l’étude dynamique des galaxies spirales a pris de l’ampleur et est devenue un domaine très actif de la recherche astronomique au cours des 40 dernières années. Grâce à ces études, nous avons maintenant une compréhension assez solide de la structure interne des galaxies spirales, de la façon dont les étoiles et les nuages de gaz se déplacent en leur sein, et de la quantité de matière noire qu’elles abritent. En fait, les télescopes modernes nous permettent de mesurer la vitesse de rotation des étoiles et du gaz dans les galaxies spirales avec une telle précision que nous savons maintenant que les disques de galaxies composés d’étoiles, de gaz et de poussière que nous pouvons observer sont noyés dans des halos sphériques de matière noire invisible dont la taille est des dizaines de fois supérieure à celle des disques de galaxies. Ces halos de matière noire sont environ ~100 fois plus massifs que les galaxies elles-mêmes, ce qui implique que la matière noire est la composante qui domine la force gravitationnelle dans les galaxies.

Cette constatation est cruciale pour comprendre l’un des faits observationnels les plus étonnants que nous connaissons sur les galaxies spirales : les relations dites de Tully-Fisher et de Fall. Il s’agit d’importantes lois d’échelle auxquelles obéissent les galaxies spirales et qui relient leur masse à la vitesse de rotation (relation de Tully-Fisher) ou au moment angulaire (relation de Fall) des étoiles élevées à une certaine puissance. Ces relations caractéristiques révèlent qu’il doit exister un mécanisme physique fondamental, impliquant la masse, la vitesse de rotation et le moment angulaire, qui guide la structure des galaxies à disque. Selon certains des derniers modèles cosmologiques de pointe sur la formation des galaxies, ces relations sont transmises par les halos de matière noire aux galaxies qui s’y forment. Par conséquent, les galaxies suivent les voies de formation des halos de matière noire et partagent leurs propriétés et leurs lois d’échelle structurelle.

Une question importante qui reste sans réponse dans ce scénario est de savoir si ces relations d’échelle sont universelles, dans le sens où elles s’appliquent aux galaxies spirales de toutes tailles et masses, ou si elles se brisent à un régime de masse spécifique. Une rupture dans les relations d’échelle est un symptôme que la physique des galaxies est en train de changer à l’échelle de masse où la rupture se produit ; inversement, si les lois d’échelle sont universelles et ininterrompues, cela signifie que la physique qui régit la formation des galaxies spirales est vraiment la même à toutes les échelles. Par conséquent, détecter ou exclure la présence d’une rupture dans les relations d’échelle est une pièce cruciale du puzzle de la formation des galaxies dans notre Univers. Bien que certains modèles de formation de galaxies prévoient qu’une rupture se produise à une échelle de masse correspondant à peu près à la masse de notre Voie lactée (~5 x 10^10 masses solaires), il n’existe pas encore de détection observationnelle claire de cette rupture.

1. Relations de Tully-Fisher pour les galaxies spirales massives. La relation Tully-Fisher stellaire est présentée à gauche et la relation Tully-Fischer baryonique à droite. Les carrés rouges correspondent aux galaxies spirales massives utilisées dans ce travail et les galaxies du catalogue SPARC (Lelli et al. 2016, AJ, 152, 157) sont représentées en cercles bleus. La ligne noire continue est le fit de toutes les galaxies de l’échantillon et la bande grise représente la dispersion 1 sigma autour du fit. Les tirets noirs représentent le fit des galaxies avec une masse stellaire plus grande que 3×10^10 masse solaire (figure à gauche) et avec une masse baryonique plus grande que 3×10^10 masse solaire (figure à droite).

Une nouvelle étude a été menée par Enrico di Teodoro et al. (2021, MNRAS, 507, 5820) précisément dans le but de discerner si les relations de Tully-Fisher (masse-vitesse) et de Fall (masse-momentum angulaire) se brisent ou non aux masses les plus élevées. Les auteurs ont recherché les galaxies à disque les plus lumineuses dans deux études portant sur de grands volumes de l’Univers proche: le Sloan Digital Sky Survey (SDSS), dans l’optique, et le 2-Micron All Sky Survey (2MASS) dans le proche infrarouge. Un catalogue complet de ces disques extrêmement massifs, appelés  » super-spirales « , a été assemblé par Ogle et al. (2019, ApJS, 243, 14) et contient les luminosités et les masses de tous ces objets. Pour mesurer les vitesses de rotation et les moments angulaires, nécessaires à la construction des relations d’échelle, di Teodoro et al. ont effectué des observations de suivi de 43 de ces  » super-spirales « , principalement avec le spectrographe Robert Stobie (RSS) monté sur le South African Large Telescope (SALT). Le SALT est une installation de l’Observatoire astronomique sud-africain qui fonctionne depuis Sutherland, en Afrique du Sud. Grâce aux extraordinaires spectres à longue fente obtenus avec le SALT, di Teodoro et al. ont pu mesurer avec certitude la vitesse de rotation et le moment angulaire des galaxies en détectant la raie d’émission H-alpha, à 6562,80 angströms, de l’hydrogène gazeux ionisé (à une température de ~10 000 degrés Celsius) en orbite dans les disques des galaxies. Cela leur a permis pour la première fois d’étendre les relations d’échelle dans le régime des masses extrêmement élevées, où ils n’ont trouvé aucune indication de rupture dans les lois d’échelle.

2. Relation de Fall pour les galaxies spirales massives. L’échantillon utilisé dans cette étude est représenté en carrés rouges et les galaxies du catalogue SPARC (Posti et al. 2018, A&A, 612, L6) en cercles bleus. La ligne noire continue est le fit de toutes les galaxies de l’échantillon et la bande grise représente la dispersion sigma de 0.19 dex autour du fit. Les tirets noirs représentent le fit des galaxies avec une masse stellaire plus grande que 3×10^10.5 masse solaire.

Ainsi, le principal résultat scientifique que nous pouvons tirer de cette étude est que les lois d’échelle des galaxies à disque sont universelles, elles sont valables pour toutes les échelles galactiques, et que les galaxies spirales sont des objets « autosimilaires » régis par la même loi physique. Dans ce contexte, « autosimilaire » signifie qu’une galaxie spirale géante n’est qu’une version agrandie d’une galaxie spirale naine beaucoup plus petite et que les principaux processus physiques qui les gouvernent sont les mêmes. De plus, cela suggère également que le rôle des halos de matière noire dans la transmission des lois d’échelle des galaxies à disque est similaire et ne change pas avec l’échelle de la galaxie, de naine à géante. Ceci est révélateur de la forte connexion qui existe entre les galaxies spirales et leurs halos de matière noire.

Par Lorenzo Posti, Observatoire Astronomique de Strasbourg (ObAS)

Lien vers l’article de référence: https://academic.oup.com/mnras/article/507/4/5820/6368866

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Les super-terres possèdent-elles de gros satellites ?

Selon des simulations numériques d’impacts géants, il serait très difficile de former de gros satellites autour de planètes rocheuses de masse supérieure à 6 masses terrestres.

Si l’on met de côté le cas un peu particulier du couple Pluton-Charon, la planète du Système solaire possédant le plus gros satellite par rapport à sa propre masse est la Terre. La Lune représente en effet plus de 1 % de la masse terrestre. Cette configuration serait le résultat d’un impact géant survenu il y a environ 4,47 milliards d’années (Ga) entre une planète, la proto-Terre, un peu plus petite que la Terre elle-même, et un objet de la taille de Mars, Théia. Cet impact aurait détruit Théia et excavé une partie du manteau terrestre. Et c’est à partir de ce matériau rassemblé en un disque de gaz et de débris que la Lune se serait formée. Selon les modèles actuels d’évolution du Système solaire, les impacts géants auraient été inévitables, et même communs, dans la jeunesse de celui-ci. Au point que l’on se demande pourquoi Vénus ne possède pas, elle aussi, un gros satellite1. Une autre question brûle les lèvres : qu’en est-il des autres systèmes planétaires ? De nombreuses exoplanètes de taille comparable à la Terre (exo-Terres) ou un peu plus grosses (super-Terres) ont été recensées. Celles-ci possèdent-elles, dans leur majorité, de grosses exo-lunes ? Une équipe de chercheurs dirigée par Miki Nakajima, de l’université de Rochester, s’est penchée sur cette question à l’aide de simulations numériques d’impacts géants2. Ces chercheurs notent tout d’abord qu’une étude approfondie réalisée sur une soixantaine de super-Terres répertoriées dans le catalogue de la mission Kepler n’a mis en évidence aucune exo-lune autour de ces exoplanètes. Détecter une exo-lune n’est évidemment pas une mince affaire, et ce résultat négatif ne signifie pas que les super-Terres sont systématiquement dépourvues de satellite. Mais il se pourrait aussi qu’il traduise une tendance bien réelle. C’est en tout cas ce que suggèrent les simulations numériques de Miki Nakajima et de ses collègues (fig. 1). Selon ces calculs, la formation d’un gros satellite à la suite d’un impact géant ne pourrait pas se produire pour des super-Terres rocheuses de 6 masses terrestres ou plus (fig. 2), ce qui correspond à des planètes d’au moins 1,6 rayon terrestre. Pour des super-Terres composées de glace, la masse seuil tombe à une masse terrestre, soit une planète d’environ 1,3 rayon terrestre. Ce résultat s’explique par la quantité d’énergie libérée pendant l’impact, qui est d’autant plus élevée que la masse totale du système (proto-planète plus impacteur) est grande. Or, plus cette énergie est élevée, plus la fraction de matériau à l’état de vapeur dans le disque de débris est importante. Un embryon de satellite de 100 m à 100 km se formant dans un tel disque est soumis à d’intenses forces de frottement qui le poussent à migrer vers la planète mère. Son destin est alors inéluctable : il va, à brève échéance, franchir la limite de Roche et se disloquer. Difficile, dans ces conditions, de former un gros satellite.

1. Deux simulations numériques pour des planètes d’une masse terrestre, en haut (Rocky planet), pour une planète rocheuse, et en bas (Icy planet) pour une planète de glace. Dans le premier cas, il se forme bien un satellite, mais pas dans le second. Pour les planètes rocheuses, la masse seuil au-dessus de laquelle la formation d’un satellite est entravée est de 6 masses terrestres. (Nakajima et al., 2022)

 

Si ces simulations reflètent la réalité, la chasse aux exo-lunes autour de super-Terres pourrait s’annoncer plus compliquée que prévu. Elle devra en effet se focaliser sur des planètes de taille comparable à celle de la Terre, ce qui requiert des moyens d’observation plus puissants que pour une recherche similaire autour de super-Terres. Ce résultat compromet aussi quelque peu l’habitabilité des super-Terres. La présence de la Lune permet en effet de maintenir l’inclinaison de l’axe de rotation de la Terre dans une gamme de valeurs relativement étroite. Notre planète peut ainsi se prémunir de variations climatiques trop extrêmes ou fréquentes, donnant à la vie le temps nécessaire pour évoluer vers des formes complexes.

2. Selon les simulations numériques de Miki Nakajima, la formation de gros satellites suite à un impact géant n’est sans doute pas possible pour les super-Terres trop massives. Le seuil se situe autour de 6 masses terrestres pour les planètes rocheuses (à gauche), et une masse terrestre pour les planètes de glace (à droite). (© Nakajima et al., 2022)

 

Frédéric Deschamps, IESAS, Taipei, Taïwan

 

Notes

  1. Cette question n’a pour le moment pas de réponse. Une hypothèse est que Vénus aurait subi deux impacts. Le premier aurait bien créé un satellite, mais le second aurait modifié la rotation de Vénus de telle façon que, sous l’effet des forces de marée, ce satellite aurait migré vers Vénus au lieu de s’en éloigner, et se serait disloqué en franchissant la limite de Roche. Cette explication a le mérite d’expliquer la vitesse de rotation faible et rétrograde de Vénus. Mais il est aussi possible que Vénus n’ait pas subi d’impact géant.
  2. Nakajima M. et al., « Large planets may not form fractionally large moons », Nature Communications, 13:568, 2022. doi : 10.1038/s41467-022-28063-8.

 

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