LE MAGAZINE DES SCIENCES DE L’UNIVERS EN AFRIQUE

En avril 2023 ont été publiées deux nouvelles reconstructions du trou noir supermassif au centre de la galaxie Virgo A (M 87). L’une correspond aux données obtenues à partir des observations de 2017 et utilise l’IA, tandis que l’autre provient de nouvelles données obtenues en 2018 et analysées par la méthode classique. Les deux articles concluent à une révision nécessaire des propriétés de l’image.

1. À gauche, image par l’EHT du trou noir au centre de M87, basée sur les observations de 2017, telle que rapportée par la collaboration EHT en 2019. Au milieu, reconstruction de l’image à partir des mêmes données en appliquant les algorithmes de PRIMO. À droite, l’image de PRIMO floutée pour la mettre à la résolution de l’EHT. Le diamètre de l’anneau d’émission, l’asymétrie nord-sud et la dépression centrale de la brillance sont présents dans toutes les images. Mais l’image PRIMO offre une utilisation supérieure de la résolution et de la dynamique de l’EHT.

 

Ce que l’on a nommé l’EHT (Event Horizon Telescope) est un réseau d’une douzaine de radiotélescopes distribués autour de la Terre, destinés à étudier notamment l’environnement immédiat du trou noir supermassif de la Voie lactée et de celui de M 87 avec un pouvoir de résolution permettant d’observer leur horizon [1]. L’observation a été réalisée en avril 2017 et les résultats en ont été rapportés en 2019 et 2021 (voir l’Astronomie 129 de juin 2019 et 149 de mai 2021). Ces observations ont révélé une structure en forme d’anneau qui a été interprétée comme une émission amplifiée gravitationnellement autour d’un trou noir central.

Une équipe d’astronomes états-uniens conduite par une chercheuse de l’Institut d’études avancées de Princeton vient de publier un article dans lequel elle réanalyse ces observations qui avaient été obtenues à partir de données informatiques assez clairsemées, à l’aide d’un algorithme de l’IA appelé PRIMO. Celui-ci utilise comme ensemble d’entraînement des simulations très précises de trous noirs [2]. Les auteurs déduisent que l’image du trou noir contient un anneau mince et brillant dont l’épaisseur est deux fois plus faible que ce qui avait été rapporté précédemment (fig. 1). Cette amélioration devrait conduire à des erreurs réduites concernant la masse du trou noir.

Un autre article publié presque en même temps par une équipe de plus de cent astronomes conduits par deux chercheurs chinois de l’observatoire astronomique de Shanghai rapporte les résultats d’une observation de M 87 réalisée en 2018 [3]. Cet article utilise des données obtenues avec le « Global Millimetre VLBI Array » (GMVA), un réseau plus ancien qui partage de nombreux collaborateurs avec l’EHT, mais observe à 3,5 millimètres de longueur d’onde et non pas à 1,3 millimètre.

 

2. Images à haute résolution de M 87 obtenues les 14 et 15 avril 2018 à la longueur d’onde de 3,4 millimètres. En a, image obtenue avec un poids uniforme. L’ellipse remplie dans le coin gauche en bas donne la taille du faisceau du radiotélescope. Les contours montrent la brillance en mJy et augmentent par pas d’un facteur 2. En b est montrée la région centrale de l’image mais restaurée avec le faisceau projeté sur un cercle ayant la taille du petit axe de l’ellipse. En c, grossissement de la région centrale montrant la taille de la structure en anneau vue à 3,5 millimètres de longueur d’onde, qui est approximativement 50 % plus large qu’à 1,3 millimètre. Pour chaque image, la carte en couleur donne la température en kelvin, qui est reliée à la brillance.

 

Quel est l’intérêt de cette nouvelle observation ? Se placer à une plus grande longueur d’onde réduit la résolution, mais montre une partie plus grande de l’image et permet pour la première fois de voir comment le jet se connecte à l’anneau. La source radio compacte est résolue spatialement et révèle une structure en anneau dont la taille est de 8 rayons gravitationnels, environ 50 % plus grand que celui observé à 1,3 mm. Cet anneau à la fois plus large et plus épais implique une contribution significative d’un flot d’accrétion, en plus de l’émission de l’anneau amplifiée gravitationnellement. Les images montrent le bord brillant d’un jet dont la région de lancement est plus grande que celle qu’on attendait. L’origine de cet excès est encore incomprise, mais il est possible qu’elle marque la présence d’un vent associé au flot d’accrétion (fig. 2).

Par Suzy Collin-Zahn, Observatoire de Paris-PSL

Publié dans le magazine L’Astronomie Juillet-Août 2023

 

 

 

 

 

 

 

Notes

  1. 1. L’horizon d’un trou noir représente la frontière à partir de laquelle la vitesse de libération atteint celle de la lumière, c’est-à-dire que la lumière elle-même est capturée et ne peut plus sortir du trou noir. D’une part, la taille de cet horizon dépend de la rotation du trou noir, d’autre part, elle est proportionnelle à sa masse. Ainsi, l’horizon d’un trou noir sans rotation d’un milliard de masses solaires a un rayon (le « rayon gravitationnel ») de 3 milliards de kilomètres. Il est plus petit si le trou noir est en rotation.
  2. Lia Medeiros, Dimitrios Psaltis, Tod R. Lauer, et Feryal Özel, « The Image of the M87 Black Hole Reconstructed with PRIMO », The Astrophysical Journal Letters, 947, L7, 10 avril 2023.
  3. Ru-Sen Lu, Keiichi Asada et al., « A ring-like accretion structure in M87 connecting its black hole and jet », Nature, avril 2023.
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