Le satellite astrométrique européen Gaia vient de livrer ses premières découvertes d’exoplanètes. Elles devraient se multiplier à mesure que les observations seront dépouillées sur une plus longue durée : Gaia sera dans quelques années le principal pourvoyeur d’exoplanètes nouvelles.
1. Le satellite Gaia, vue d’artiste. (ESA)
Depuis le 19ème siècle, on a tenté de découvrir des planètes autour d’étoiles proches en détectant par astrométrie le petit mouvement qu’elles produisent sur l’étoile autour de laquelle elles gravitent. On a même annoncé quelques détections qui n’ont jamais été confirmées. Avant Gaia, six exoplanètes seulement (si nous appelons planètes les objets de masse inférieure à 20 fois celle de Jupiter, les plus massifs étant des étoiles naines brunes) ont été trouvées par astrométrie : une avec l’interféromètre optique PHASES au Mont Palomar, HD 176051 b ; deux par interférométrie radio à très longue base (VLBI, l’étoile centrale étant dans ce cas un émetteur d’ondes radio), GJ 896A b et TVLM 513-46546 b ; une par astrométrie en lumière visible, GJ 2030 c et deux par astrométrie dans l’infrarouge, WISE J0458+6434 B et 2MASS J0249-0557 (AB) c. Les observations correspondantes sont longues et difficiles, si bien que l’on ne s’attend pas à ce qu’elles conduisent à de nombreuses découvertes.
Cependant, la précision astrométrique du satellite européen Gaia (fig. 1) est comparable à celle des observations interférométriques, et on peut espérer que ce satellite permettra de découvrir de très nombreuses exoplanètes, s’ajoutant aux quelques 5 200 connues au moment où nous écrivons. Quelles seront ces planètes ? Plus la planète est massive et plus elle est éloignée de l’étoile, plus le mouvement de l’étoile est important. En effet, plus la planète est éloignée, plus le centre de l’étoile est distant du centre de gravité du système. On découvre donc préférentiellement par astrométrie de grosses planètes gravitant loin de leur étoile. Par ailleurs, on trouve plus facilement ainsi les planètes qui tournent autour d’étoiles de faible masse puisque le rapport de la masse de la planète à celle de l’étoile est plus grand, comme les étoiles naines de type M ou éventuellement les naines blanches ou brunes. Notons également que puisqu’une orbite sous-tend un angle d’autant plus grand qu’elle est plus près de nous, on découvre surtout par astrométrie des planètes autour d’étoiles proches.
Mais il faut être patient, car on ne peut pas se contenter d’observer une portion limitée de l’orbite, le mouvement de l’étoile pouvant alors être confondu avec le déplacement de l’étoile liée à son mouvement propre au sein de la galaxie. C’est une des raisons pour lesquelles aucune découverte d’exoplanète par Gaia n’avait encore été annoncée en 2020 ; l’autre raison est le temps nécessaire pour analyser la masse énorme de données acquises par le satellite. Cependant, Gaia avait déjà permis de constater que de nombreuses étoiles « bougent » ; la statistique a montré que 30 à 40 % des étoiles proches ont un compagnon massif, grosse planète ou naine brune (voir le numéro de janvier 2021 de l’Astronomie, p. 26).
La situation a bien changé avec la troisième livraison des données de Gaia, qui contient toutes les observations depuis les premières en juillet 2014 jusqu’à celles de mai 2017, soit pendant 34 mois. Le délai qui s’étend entre mai 2017 et aujourd’hui a été nécessaire pour réduire ces observations, c’est pourquoi elles ne sont publiées que maintenant. Les 34 mois d’observations permettent enfin de tracer l’orbite de nombreuses étoiles munies d’une exoplanète, donc de détecter celle-ci, alors que ce n’était guère possible lors de la première et de la deuxième livraison, qui ne portaient respectivement que sur 14 et 22 mois de données. 6 306 étoiles sont dotées d’un ou plusieurs compagnons compacts invisibles d’après ces données. Beaucoup sont des exoplanètes. Gaia a aussi repéré 214 étoiles devant lesquelles une planète est passée et 363 évènements d’amplification de la lumière d’une étoile par l’effet de microlentille gravitationnelle dûe à une étoile interposée. Pour ces objets, une étude approfondie permettra peut-être de détecter dans quelques cas le passage d’un compagnon compact de l’étoile interposée.
2. Les détecteurs du plan focal de Gaia. Ce sont 106 CCD avec un total de 938 millions de pixels. La rotation du satellite sur lui-même produit un balayage du ciel. Les objets sont d’abord repérés et triés dans les deux ensembles de 7 CCD, correspondant chacun à une des deux directions simultanées de visée du satellite, qui sont distantes de 106,5°. Puis les deux images superposées de ces deux directions de visée balayent les CCD astrométriques, donc chaque objet voit sa position mesurée 9 (ou 8) fois. La précision de mesure est meilleure dans la direction du balayage que dans la direction perpendiculaire. Les CCD pour la photométrie et pour la spectrométrie sont balayés ensuite. Deux CCD auxiliaires sont représentés en orange et deux en violet. (Adapté de l’ESA)
Comment Gaia trouve les exoplanètes
Voyons maintenant comment Gaia détecte les exoplanètes par astrométrie.
Chaque étoile a été observée de l’ordre de 400 fois pendant les 34 mois d’observations actuellement dépouillées ; lorsqu’elle est dans le champ de vision, l’étoile passe 8 ou 9 fois devant les détecteurs de position (fig. 2). La précision sur la position en est améliorée, mais le nombre d’observations indépendantes est réduit d’autant, à une cinquantaine. Pour chercher des exoplanètes, seuls sont utiles les groupes d’observations bien répartis dans le temps, qui sont finalement au nombre de 15 à 35 pour chaque étoile. Cela permet de chercher si elle possède une exoplanète, mais pour l’instant pas d’en trouver plusieurs autour de l’étoile.
Après les corrections habituelles sur la position de l’étoile (précession, nutation, aberration, déplacement relativiste par la masse du Soleil, parallaxe), on porte cette position en fonction du temps, obtenant ainsi le mouvement propre de l’étoile. En l’absence de perturbation, le déplacement de l’étoile est rectiligne, mais des déviations périodiques éventuelles révèlent la présence d’un compagnon (fig. 3). La distance de l’étoile étant connue par la mesure de sa parallaxe par Gaia, on peut déduire des observations le demi-grand axe a de la trajectoire de son centre autour du centre de gravité commun de l’ensemble étoile-planète. Puis, connaissant la période p de révolution et en estimant la masse M de l’étoile à partir de son type spectral, on peut obtenir le demi-grand axe A de l’orbite de la planète en utilisant la formule de Kepler/Newton : A³/p² = GM/4π²,
G étant la constante de la gravitation. On peut alors obtenir la masse m de la planète en remarquant que m/M = a/A.
On a le plus grand intérêt à vérifier les résultats de l’astrométrie en observant les variations de la vitesse radiale de l’étoile, ce qui permet d’améliorer et de compléter les paramètres du système. D’ailleurs, ces méthodes sont complémentaires : l’astrométrie est sensible aux mouvements dans le plan du ciel et la vitesse radiale aux mouvements perpendiculaires.
3. Mouvement de deux étoiles observé par Gaia. À gauche, HD 114762, un cas relativement facile (distance 129 années-lumière, période de révolution 83,7 jours, excentricité apparente 0,32). À droite, le cas plus difficile de HD 40503 (distance 128 années-lumière, période 2,3 ans, excentricité apparente 0,07). En haut, le mouvement de chaque étoile sur le ciel (échelles des ordonnées en millisecondes de degré). En bas, déplacement de l’étoile par rapport au centre de gravité étoile- planète. Les points d’observations individuelles sont en grisé, leurs moyennes sont les points noirs avec barre d’erreur dirigée selon la trajectoire de l’étoile sur les CCD (l’autre dimension n’est pas utilisée). (Adapté de Holl B., Sozzetti A., Sahlmann J. et al.)
Les résultats de l’astrométrie de Gaia
Des algorithmes différents ont été utilisés par plusieurs équipes pour chercher si les étoiles observées par Gaia avaient un compagnon compact. Une de ces équipes réunissant des chercheurs des observatoires de Genève et de Turin ainsi que de l’Agence spatiale européenne à Madrid a identifié 17 étoiles probablement munies d’une planète, dont 9 détections ont été validées par l’observation des variations de la vitesse radiale de l’étoile et correspondent donc à des exoplanètes déjà connues. Les autres restent à valider et seront donc des découvertes à mettre au compte de Gaia si leur validation est positive. La collaboration internationale DPAC trouve 70 étoiles éventuellement munies d’une exoplanète, dont 9 sont validées. Seules quelques-unes sont communes aux deux études, ce qui illustre les difficultés de détection des exoplanètes par astrométrie pendant un délai de seulement 34 mois. La situation devrait s’améliorer énormément par la validation des candidats déjà connus et surtout l’analyse des observations obtenues par Gaia pendant une période plus longue que les 34 mois actuellement analysés.
Les détections d’exoplanètes par transit
Les capacités photométriques de Gaia sont remarquables : le flux d’une étoile peut être mesuré avec une précision de l’ordre de 1/1 000. Cela a permis, comme on l’a dit plus haut, de détecter 214 étoiles devant lesquelles est probablement passée une planète. 173 de ces détections confirment des observations antérieures de transits à partir du sol ou de satellites, et 41 correspondent à des étoiles nouvelles. Pour être sûr que la diminution temporaire de l’éclat d’une étoile correspond bien au passage d’une exoplanète devant son disque et non à une variation intrinsèque, il faut observer plusieurs transits, et Gaia n’est pas particulièrement adaptée pour cela car chaque étoile n’est observée qu’une quinzaine de fois par an. Il faudra donc attendre d’avoir plus de données pour validation. Il est aussi très souhaitable d’observer les variations de la vitesse radiale de l’étoile pour confirmer la détection et en particulier pour préciser la période de révolution de l’exoplanète.
Ces conditions ont été réunies pour l’étoile de type solaire Gaia EDR3 3026325426682637824 (cf. Fig. 4). Ces 19 chiffres sont nécessaires pour identifier l’étoile parmi les quelque 2 milliards observées par Gaia. La figure 4 montre les mesures de l’éclat de l’étoile en fonction du temps pendant les 34 mois d’observation. La recherche d’une périodicité dans les diminutions d’éclat observées a conduit à une période de révolution de l’exoplanète de 3,0525 jours, valeur confirmée par des observations de la vitesse radiale de l’étoile. De l’ensemble de ces observations on déduit que la planète, nommée Gaia-1b, est un « Jupiter chaud » de masse voisine de celle de Jupiter, qui gravite très près de l’étoile, à seulement 6 millions de kilomètres, dix fois plus près de l’étoile que Mercure du Soleil. Gaia a aussi découvert par transit un autre Jupiter chaud, Gaia-2b et il reste donc 39 candidats à confirmer par des observations ultérieures.
4. Photométrie par Gaia de l’étoile EDR3 3026325426682637824. En haut, le flux en fonction du temps, dans les trois bandes G (vert, observée par les CCD astrométriques), BP (bleu) et RP (rouge) observées par les CCD photométriques (voir la figure 2). Les évènements d’occultation sont bien visibles. En bas, les mêmes données mais regroupées en fonction de la révolution de la planète. (Patrick Boissé)
Les résultats des observations astrométriques et photométriques que nous venons de décrire sont encore peu nombreux : mais ce n’est qu’un petit avant-goût de ce qui nous attend dans quelques années, lorsque toutes les observations de Gaia seront dépouillées. Elles couvrent actuellement plus de 8 années. On estime que Gaia pourrait découvrir par astrométrie de l’ordre de 70 000 exoplanètes si la durée de la mission est étendue à dix ans, ce qui est fort probable ; il faut y ajouter plusieurs centaines d’exoplanètes qui seront découvertes par transit devant leur étoile.
Par James Lequeux
Publié dans le numéro Novembre 2022
Pour en savoir plus
Gaia Collaboration : Arenou F., Babusiaux C., Barstow M. A. et al., 2022, « Gaia Data Release 3: Stellar multiplicity, a teaser for the hidden treasure » [https://www.aanda.org/articles/aa/abs/forth/aa43283-22/aa43283-22.html].
Holl B., Sozzetti A., Sahlmann J. et al., 2022, « Gaia DR3 astrometric orbit determination… » [https://arxiv.org/pdf/2206.05439.pdf].
Panahi A., Zucker S., Clementini G. et al., 2022, « The detection of transiting exoplanets by Gaia » [https://www.aanda.org/articles/aa/pdf/2022/07/aa43497-22.pdf].
Nous vous proposons dans cet article de partir à la rencontre de Taha Shisseh, qui a obtenu il y a quelques mois son doctorat en planétologie à l’Université Hassan II de Casablanca, dans le cadre d’une collaboration internationale entre le Maroc, la France et les États-Unis. Nous découvrirons son parcours, source d’inspiration pour les jeunes scientifiques africains. Au-delà de ces travaux scientifiques sur certaines météorites issus de l’astéroïde Vesta, Taha s’engage à fond pour rendre les sciences de l’espace et l’astronomie accessibles au plus grand nombre. Passionné depuis son enfance par l’astronomie, il nous fait aujourd’hui partager sa passion au travers d’une nouvelle initiative appelé « Space Chat ». Des contenus vivants, clairs et précis pour s’initier aux sciences de l’Univers, et susciter de nouvelles vocations sur le continent African, et au-delà !
Taha Shisseh au laboratoire de conservation des météorites trouvées en Antarctique, au centre spatial Johnson de la NASA (Photo prise par Dr. David Mittlefehldt)
MON PARCOURS
Ma passion envers le ciel et ses secrets remonte à mon enfance. Pendant la nuit, J’observais le ciel étoilé et je me posais de nombreuses questions sur la nature des objets qui constituent notre Système Solaire et l’univers. Cette curiosité m’a permis de réaliser mon rêve de devenir un chercheur scientifique, et de me consacrer à l’étude de l’origine, de la formation et l’évolution des objets du Système Solaire.
J’ai réalisé Mon doctorat à l’université Hassan II de Casablanca au Maroc, sous la direction d’Hasnaa Chennaoui-Aoudjehane que je remercie pour l’opportunité d’avoir intégré ce programme doctoral. Mon travail avait pour objective d’étudier des météorites de type HED (howardites, eucrites, et diogénites) qui sont parmi les premières roches ignées (roches obtenues par fusion et cristallisation d’un magma silicaté) formées au tout début de la formation du Système Solaire il y a 4.5 milliards d’années. Ces roches extraterrestres sont originaires de (4) Vesta, qui est le deuxième grand astéroïde dans la ceinture des astéroïdes située entre Mars et Jupiter. L’étude de ces météorites m’a permis de révéler quelques pages de l’histoire de la formation et de l’évolution de Vesta. Les météorites étudiées ont été collectées dans mon pays, au Maroc, et c’est donc aussi pour moi une source de fierté de contribuer à révéler la valeur scientifique de ces objets.
Pendant mes années doctorales, et grâce aux efforts déployés par le service de coopération à l’université Hassan II et de mon laboratoire d’origine, j’ai bénéficié de deux bourses Erasmus et une bourse du prestigieux programme Fulbright. Ces bourses m’ont conduit à poursuivre mes recherches et ma formation au Muséum National d’Histoire Naturelle de Paris en France, à l’Université de Pise en Italie, et à l’institut de météorites aux États-Unis. Je remercie en particulier Jean-Alix Barrat, Brigide Zanda, Roger Hewins, Emmanuel Jacquet, Luigi Folco, et Carl Agee pour le temps qu’ils ont consacré à formuler mes questions de recherche, à me former aux techniques d’analyses des météorites, et à m’offrir un regard critique et constructif sur mes travaux.
Pendant mon séjour aux États-Unis, j’ai eu également l’occasion d’échanger avec des spécialistes du centre spatial Johnson de la NASA de pour développer mon sujet de thèse et discuter les résultats de mes recherches et je les remercie pour ces échanges. Ces collaborations m’ont permis non seulement d’échanger avec des chercheurs scientifiques reconnus mondialement, mais aussi d’approfondir mes connaissances et d’élargir mon expertise dans la science des météorites et la planétologie.
Ma passion et mon enthousiasme envers ces sciences m’ont inspiré pour les transmettre à au grand public, en créant l’initiative Space Chat (voir paragraphe suivant), et en participant dans plusieurs conférences, ateliers et formations en collaboration avec plusieurs astronomes amateurs et chercheurs marocains qui partagent la même vision que moi comme Meriem El Yajouri et Zakaria Belhaj (société Titritland™, NOC Maroc). En 2017, j’ai eu le plaisir et l’honneur d’apprendre que le nom « Shisseh » a été donné à l’un des astéroïdes découverts par le chasseur des astéroïdes et des comètes Michel Ory. Cette marque de reconnaissance de la communauté pour mes efforts de vulgarisation scientifique au Maroc et ailleurs m’encourage à poursuivre une carrière scientifique, avec un rôle actif au sein de la société pour partager avec le plus grand nombre cette passion par l’origine et l’histoire de notre Système Solaire.
Activité de vulgarisation scientifique dans une école publique pendant le Festival d’astronomie d’Ifrane au Maroc. L’activité a permis aux élèves de se connaître les différents types de météorites, et de comprendre leur formation et leur origine. (Photo prise par Pr. Hassan Darhmaoui, directeur du festival)
C’EST QUOI SPACE CHAT, ET QUEL EST SON OBJECTIF ?
Space Chat est une initiative qui a pour objectif principal de transmettre le savoir et de vulgariser la planétologie, l’astronomie et l’astrophotographie. L’idée de créer Space Chat m’est venue pendant mon séjour aux États-Unis en 2019, lorsque je ne pouvais pas participer en présentiel aux évènements de vulgarisation scientifique organisés au Maroc. Pour cette raison, j’ai décidé de créer une plateforme numérique active dans différents réseaux sociaux au travers desquels un public marocain, arabe, et africain assoiffé du savoir, est informé régulièrement sur l’actualité scientifique autour des thématiques de planétologie et d’astronomie. Space Chat vise aussi à combler une lacune dans la scène de création de contenu marocaine, arabe, et africaine par un contenu scientifique crédible et fiable. Le but de ce contenu est de lutter contre la désinformation et les fausses nouvelles qui n’ont aucun fondement scientifique propagées par des créateurs de contenu qui s’intéressent uniquement à avoir un grand taux d’engagement.
Le contenu Space Chat est clair, précis, et surtout attractif. Il comprend des vidéos en langue arabe darija avec des sous-titres en anglais sur YouTube, ainsi que des Réels et des images et leur explication sur Facebook et Instagram. Par exemple, dans certaines vidéos Space Chat publiées sur YouTube, j’utilise des échantillons de météorites réels pour élucider leurs caractéristiques, leurs classes, et leurs origines dans le Système Solaire. Dans une autre vidéo, j’explique les techniques que j’ai utilisé pour prendre des images de l’éclipse solaire annulaire qui a eu lieu en octobre 2023 aux États-Unis, ainsi que les phénomènes responsables de sa formation.
Capture d’écran d’une vidéo Space Chat qui parle des caractéristiques principales des météorites et comment les identifier.
A l’avenir, je voudrais que Space Chat devienne une plateforme destinée à faire lumière sur les découvertes scientifiques, les observations astronomiques, les parcours et l’expérience des chercheurs scientifiques et des astronomes amateurs marocains et africains, sous forme de podcasts, pour inspirer le grand public, et pour encourager les enfants et les jeunes à poursuivre une carrière scientifique ou d’ingénieurs. Actuellement, je suis en train de créer un site web Space Chat qui contiendra des articles en arabe et en anglais sur l’actualité scientifique, et qui va permettre la diffusion de l’information en relation avec les manifestations scientifiques en planétologie et en astronomie organisées au Maroc et ailleurs. Ce site contiendra aussi des formations et des ressources (brochures, guides d’ateliers pédagogiques, présentations) destinées aux enseignants au Maroc ou ailleurs pour assurer un transfert maximum et efficace du savoir, et pour leur inciter à introduire la planétologie et l’astronomie dans le programme scolaire, vu que ces sciences fascinantes permettent le développement de la créativité et l’esprit critique des enfants et des jeunes.
J’invite le lecteur à suivre les liens dessous pour découvrir les activités Space Chat.
La découverte et les premières explorations du cratère d’Aouelloul
Théodore Monod, naturaliste, explorateur et humaniste français de renom, a contribué de manière significative à notre compréhension du monde et de ces différentes cultures. L’une de ses explorations remarquables a été sa visite du cratère de d’Aouelloul.
Aouelloul est un cratère d’impact météoritique situé en Mauritanie, en Afrique de l’Ouest (Fig. 1). Il s’agit d’un cratère relativement petit, d’un diamètre d’environ 390 mètres et d’une profondeur d’environ 100 mètres. Malgré sa taille modeste, le cratère a suscité l’intérêt des scientifiques en raison de ses caractéristiques bien préservées et des informations qu’il fournit sur des évènements (chutes de météorites de quelques mètres de diamètre) relativement fréquents qui représentent des menaces sérieuses pour les zones habitées. La cratère d’Aouelloul s’est formé il y a seulement 3 millions d’années.
1 – Extrait de la carte géologique de la Mauritanie, avec la position d’Aeoulloul et de Tenoumer (autre cratère d’impact en Mauritanie).
Le cratère a d’abord été découvert lors d’un survol en avion par M. A. Pourquié en 1938. M.A. Pourquié était géologue et géophysicien, connu pour avoir réalisé des levées aériens en Afrique de l’ouest. Le cratère a été visité par M.A. Pourquié à deux reprises. Théodore Monod a pu également le reconnaitre par avion, puis l’étudier au sol au début des années 1950. Son voyage n’était pas seulement scientifique, c’était aussi une aventure dans un paysage isolé et accidenté, typique de l’esprit explorateur de Théodore Monod.
Dans ses écrits, Théodore Monod (1951) décrit avec précision la morphologie du cratère, et reproduit sous forme de croquis les remparts du cratère (Fig. 2). Il y note avec précision la présence de végétation, les différentes lithologies observées, les fractures, l’orientation des couches géologiques dans le cratère et autour du cratère. Il fait également la découverte, à l’extérieur et au sud-est du cratère, de fragments de verre, qu’il fait ensuite analyser.
Théodore Monod discute l’origine de cet accident circulaire, sans pouvoir encore conclure à l’époque sur son origine météoritique.
2 – Reproduction des quelques croquis réalisés par Théodore Monod lors de la première campagne d ‘exploration au sol du cratère d’Aouelloul (Monod et Pourquié, 1951).
Un cratère d’impact confirmé plus de dix après sa découverte et relativement peu exploré
L’origine d’impact du cratère de l’Aouelloul a été confirmée par la détection d’une composante extraterrestre dans les fragments de verre trouvés autour du cratère, sous la forme de sphérules de nickel-fer (Chao et al., 1966), et confirmée plus tard par des études isotopiques du Re-Os (Koeberl et al., 1998). L’enrichissement des fragments de verre en Co, Fe et Ni par rapport à la roche cible peut également représenter une contamination météoritique, bien que ces enrichissements ne soient pas considérés comme suffisants pour prouver l’origine météoritique d’une structure circulaire. En outre, quelques grains de quartz présentant « des ensembles d’inclusions fluides étroites et densément espacées considérées comme des vestiges possibles de déformation planaire » ont été rapportés par Koeberl et al. (1998) à partir d’échantillons de grès fracturés prélevés sur le pourtour du cratère.
Malgré l’intérêt de l’étude des petits cratères pour comprendre les conséquences des impacts météoritiques de petites tailles, mais relativement fréquents dans l’histoire de l’humanité, le cratère d’Aouelloul, reste peu exploré. Une campagne de géophysique (gravimétrie) est réalisée par Fudali et Cassidy (1972). Cela permet d’estimer l’épaisseur de remplissage sédimentaire (une vingtaine de mètres) reposant sur une lentille de brèche s’étendant jusqu’à une profondeur maximale de 130 m. Les verre d’Aouelloul a aussi donné lieu à quelques études. Cressy et al. (1972) ont rapporté des teneurs en K, Rb, Sr, Th et U, ainsi que le rapport 87Sr/86Sr, dans plusieurs échantillons de verre et de grès d’Aouelloul, et ont conclu que le verre est dérivé d’un grès localement présent (grès de Zli) qui aurait donc été fondu au moment de l’impact. Des données géochimiques des verres d’impact d’Aouelloul et des roches ont également été rapportées par Koeberl et Auer (1991). La datation par traces de fission et par K-Ar de fragments de verre d’impact trouvés autour du cratère ont permis de dater le cratère avec des âges qui varient un peu selon les auteurs, 3,25 ± 0,50 Ma pour Storzer et Wagner (1977) et de 3,1 ± 0,3 Ma pour Fudali et Cressy (1976).
Un campement au cœur du cratère
En février 2019, une équipe internationale (Maroc, Mauritanie, France) reprend le flambeau de l’exploration du cratère, dans le cadre de l’Initiative Africaine pour les Sciences des Planètes et de l’Espace. Ce projet deviendra le projet de thèse d’ Elycheikh Ould Mohamed Navee, qui a soutenu sa thèse le 14 Avril 2024 à l’Université Hassan II de Casablanca. L’équipe est composée du Dr. David Baratoux (IRD), du Prof. Hasnaa Chennaoui-Aoudjenane (Université Hassan II de Casablanca), de Ludovic Ferrière (au Muséum d’Histoire Naturelle de Vienne, Autriche au moment de l’expédition), et de M.S. Ould Sabar (Faculté des Sciences et Technologie de l’Université de Nouakchott Al-Asriya). Les conditions d’accès en 2019 restent difficiles dans cette zone soumise à des contrôles strictes de l’armée et demandent des autorisations particulières. L’équipe ne pourra rester que trois nuits dans la zone du cratère, et doit disposer d’un téléphone satellite. Le campement est établi à l’intérieur du cratère, ce qui permet d’explorer efficacement les remparts et les alentours du cratère, sous le Soleil déjà brûlant du mois de février.
Cette mission a pour objectif de faire des relevés structuraux afin de cartographier la déformation associée des grès lors de l’impact, de prélever des échantillons pour rechercher des traces de métamorphismes de chocs dans mes minéraux, et enfin de cartographier la distribution du verre d’impact (Fig. 4), à partir de la zone de découverte initiale décrite dans l’article de Théodore Monod.
3 – La campement au cœur du cratère, lors de la campagne de terrain de 2019.
4 – Photographie de verre d’impact prélevé lors de la campagne de 2019 (le fragment de gauche à une longueur d’environ 5 cm).
Résultats
Des études pétrographiques détaillées de huit échantillons de grès, tous prélevés sur le bord du cratère lors de la campagne de terrain en 2019, montrent que des lamelles de déformation tectonique sont présentes dans un certain nombre de grains de quartz, mais ne révèlent aucun signe de métamorphisme de choc.
Les données géologiques et litho structurales sont également présentées sous forme de carte (Figs. 5 & 6) et montrent que le bord du cratère est caractérisé par des blocs de roches plus ou moins perturbés, métriques à pluri-métriques, présentant une fracturation et un pendage vers l’intérieur ou l’extérieur du cratère.
De nouvelles observations sur la distribution du verre d’impact sont réalisées. Le verre est distribué exclusivement dans les parties extérieures sud et est du cratère (Fig. 6) Cette distribution, si on considère qu’elle reflète la distribution au moment de l’impact, permet de proposer que le cratère résulte d’un impact oblique, avec des directions possibles allant du sud-ouest au nord (dans le sens des aiguilles d’une montre).
Cette étude confirme les travaux antérieurs menés sur le cratère de l’Aouelloul et illustre la difficulté de démontrer l’origine impactante de cratères relativement petits. Les résultats de cette campagne ont fait l’objet d’une publication scientifique (Ould Mohamed Navee et al. 2024).
Fig. 5 – Synthèse des observations structurales et lithologiques réalisées par Théodore Monod et lors de l’expédition de terrain de 2019.
Vers d’autres découvertes de cratères d’impact en Mauritanie
Ce projet de recherche en. Mauritanie s’inscrit dans un projet plus vaste de recherche de structures d’impact dans le désert Mauritanien. Dans le cadre de ce travail, Elycheikh Ould Mohamed Navee et David Baratoux ont utilisé différentes techniques pour rechercher des structures circulaires en Mauritanie. Plus de 50 structures circulaires ont pu ainsi être cartographiées, et examinées à l’aide des données de télédétection. Sur ces 50 structures, 6 sont considérées comme particulièrement prometteuses. L’une d’entre elle, déjà connue, la structure de Temimichat Ghallaman, a été aussi visitée, uniquement par l’équipe Mauritanienne, en 2019, mais aucune conclusion définitive n’a pu être apportée à ce jour. Les conditions d’exploration de la Mauritanie s’améliorent. Elycheikh Ould Mohamed Navee, avec le concours de ses encadrants, a pu aussi susciter l’intérêt des autorités Mauritaniennes et de la population pour la thématique de recherche. Il est aussi le président fondateur de l’Association Mauritanienne d’Astronomie. Espérons que ces premiers pas permettront de belles découvertes dans l’avenir, et une poursuite de l’exploration des richesses du désert Mauritanien pour les sciences planétaires.
Fig. 6 – Cartographie de la zone de présence de verre d’impact réalisée pendant la campagne de terrain de 2019
par David Baratoux, directeur de recherche à l’IRD
Fudali, R.F., Cressy, P.J., 1976. Investigation of a new stony meteorite from Mauritania with some additional data on its find site: Aouelloul crater. Earth Planet Sci. Lett. 30 (2), 262–268. https://doi.org/10.1016/0012-821X(76)90253-3
Koeberl, C., Auer, P., 1991. Geochemistry of impact glass from the Aouelloul crater, Mauritania (abstract). In: 22nd Lunar and Planetary Science Conference. pp. 731–732. Texas, U.S.A.
Monod, T., Pourquié, A., 1951. Le Cratère d’Aouelloul, Adrar. Sahara Occidental, vol. 13. Bulletin de l’Institut fondamental d’Afrique noire, pp. 293–311.
Oul Mohamed Naviee, E., et al. Aouelloul impact crater, Mauritania: New structural, lithological, and petrographic data. Journal of African Earth Sciences. https://doi.org/10.1016/j.jafrearsci.2024.105210
Storzer, D., Wagner, G.A., 1977. Fission track dating of meteorite impacts. Meteoritics 12, 368–369.
Remerciements
Ce projet a reçu le soutien de l’Office Mauritanien pour la Recherche Géologique, de la Fondation de la Famille Barringer, de l’Initiative Africaine pour les Sciences des Planètes et de l’Espace, de la fondation ATTARIK, et de l’Institut de Recherche pour le Développement.
Entre mars et décembre 2023, 129 jeunes d’Albanie, Belgique, France, Liban, Madagascar, Maurice, Sénégal et Syrie de 11 à 18 ans, ont réalisé 56 vidéos astronomiques, toutes diffusées sur la chaîne youtube de la Société Astronomique de France Younivers. La finale internationale s’est déroulée en visio à Tirana en Albanie. Tous les lauréats de chaque pays ont gagné une lunette astronomique offerte par SSVI. La lauréate du challenge de la francophonie est Melvika Gajeelee (Ile Maurice) et a gagné une météorite lunaire offerte par Luc Labenne.
L’observation des aurores polaires permet d’étudier à distance les planètes magnétisées et leur environnement, en complément de leur exploration in situ par des sondes spatiales. La magnétosphère de Saturne a été explorée de fond en comble entre 2004 et 2017 par la sonde spatiale internationale Cassini. La mission orbitale s’est conclue par une série inédite d’orbites polaires proches qui a fourni des observations uniques des régions aurorales, avec le soutien de télescopes terrestres comme Hubble. Un an après ce « Grand Finale », que sait-on des aurores kroniennes ?
Les planètes ne sont pas que des réflecteurs de la lumière des étoiles, elles sont aussi le siège d’émissions lumineuses intrinsèques. Lorsqu’elles possèdent un champ magnétique à grande échelle, comme Mercure, la Terre ou les planètes géantes, elles produisent des ondes électromagnétiques intenses autour des pôles magnétiques, ceux qu’indique une boussole. Boréales au nord, australes au sud, ce sont les aurores polaires. Des aurores ont été observées sur presque tout le spectre électromagnétique, dans les domaines infrarouge (IR), visible et ultraviolet (UV) pour les émissions produites dans l’atmosphère et dans les gammes radio et X pour les ondes rayonnées à plus haute altitude, dans l’environnement planétaire proche. La figure 1 montre des images des aurores de la Terre et de Jupiter, Saturne et Uranus à l’échelle.
1. (Page de gauche) images composites des aurores ultraviolettes de saturne, Jupiter, Uranus et la terre, à l’échelle, toutes vues depuis l’espace. (Ci- dessus) images composites des aurores visibles de la terre, observées depuis le sol ou l’espace. (NASA/ESA, L. Lamy & R. Prangé, LESIA/Obs. de Paris)
L’aurore « aux doigts de rose » ou « en robe de safran », ces vers de l’Iliade décrivant l’aube antique en Méditerranée auraient pu s’appliquer avec non moins de poésie aux ballets colorés du ciel polaire terrestre. Ce spectacle a longtemps inspiré les contes nordiques avant l’essor de la physique ionosphérique et aurorale sous l’impulsion de Kristian Birkeland à la fin du xixe siècle, puis l’exploration in situ de l’environnement terrestre avec l’avènement de l’ère spatiale dans les années 1960. Aujourd’hui, la physique des aurores terrestres est bien comprise, même si Internet contribue à diffuser massivement tout autant de fausses idées que de magnifiques images [1]. Plus loin dans le Système solaire, si l’on excepte la détection des émissions radio aurorales de Jupiter dès 1955 à l’aide de radiotélescopes au sol (qui fournirent la première preuve observationnelle de l’existence d’un champ magnétique jovien !), les aurores des planètes géantes ont été découvertes plus tard, par les sondes d’exploration Voyager et le télescope spatial IUE (International Ultraviolet Explorer) dans les années 1980. Mais que nous apprennent au juste ces chandelles célestes sur les astres qui les rayonnent ?
Les émissions aurorales sont produites par des particules énergétiques chargées électriquement. Ces particules, essentiellement des électrons, proviennent de l’environnement magnétisé et ionisé de la planète, sa magnétosphère, où elles sont accélérées puis guidées le long des lignes de champ magnétique de haute latitude, comme des perles sur un fil, jusqu’aux pôles magnétiques où leur énergie cinétique est dissipée en grande partie sous forme de rayonnement.
Lorsqu’elles entrent en collision avec la haute atmosphère, ces particules génèrent des émissions par impact qui couvrent la gamme UV/visible à IR. Au-dessus de l’atmosphère, elles alimentent des émissions dites de faisceau [Note 1] dans les domaines radio et X.
Les aurores révèlent ainsi des propriétés physiques essentielles de la planète hôte, son intérieur, son atmosphère et sa magnétosphère. Par exemple, la détection d’ovales auroraux organisés autour des pôles magnétiques donne instantanément la position de l’axe du champ magnétique planétaire. La mesure par un observateur fixe de la variation d’intensité en fonction du temps fournit, en sus, une mesure directe de la période de rotation du cœur planétaire qui produit le champ magnétique (selon le principe du phare tournant). Plus haut, les aurores sont un diagnostic des espèces chimiques de la haute atmosphère. Enfin, la position et la dynamique des différentes composantes aurorales renseignent sur les régions actives de la magnétosphère, identifiées grâce à un modèle de champ magnétique, et sondent les transferts d’énergie à grande échelle entre l’atmosphère, la magnétosphère, d’éventuelles lunes et le vent solaire.
L’étude des phénomènes auroraux du Système solaire bénéficie de mesures in situ de sondes d’exploration spatiale et d’observations à (grande) distance par des télescopes terrestres. C’est un enjeu d’envergure pour caractériser l’environnement des planètes magnétisées proches. Leur compréhension doit par ailleurs permettre d’établir un cadre de référence pour interpréter des émissions aurorales en provenance d’exoplanètes (dont la recherche bat son plein) ou d’objets plus massifs tels que des naines brunes ou des étoiles jeunes (avec déjà une quinzaine de sources aurorales détectées) inaccessibles à l’exploration. Le premier anniversaire de la fin de la mission orbitale Cassini nous donne l’occasion de revenir sur le cas très particulier de Saturne, qui ne se distingue pas seulement par son système d’anneaux, mais aussi par une magnétosphère atypique et de spectaculaires aurores polaires !
2. représentation schématique des magnétosphères planétaires du système solaire. Les particules énergisées dans l’environnement planétaire migrent vers les pôles magnétiques où l’énergie transportée est dissipée sous forme de rayonnements auroraux. (NASA/ESA, S. Cnudde & L. Lamy, LESIA/Obs. de Paris)
La magnétosphère géante de Saturne
Le lecteur assidu de l’Astronomie se souviendra sans doute d’un (excellent) article dédié aux magnétosphères planétaires publié en 2007, et toujours d’actualité [2]. On se contentera donc ici de rappeler qu’une magnétosphère est formée par l’interaction entre le vent solaire (ou stellaire), ce vent de particules chargées électriquement (on parle de plasma) émis en permanence par le Soleil à des vitesses moyennes d’environ 400 km/s, et le champ magnétique planétaire. Elle forme une cavité dans le milieu interplanétaire, comprimée par le vent solaire côté jour et allongée côté nuit, où les mouvements du plasma sont organisés par le champ magnétique planétaire. Propriété remarquable, une magnétosphère agit comme un gigantesque accélérateur de particules avec une intense activité électrique dont on peut mesurer, en bout de chaîne, la réponse aurorale, comme schématisé sur la figure 2.
La magnétosphère de Saturne, schématisée sur la figure 3, a été découverte par des mesures magnétiques lors du survol de la sonde Pioneer 11 en 1979, avant d’être explorée par les survols successifs des sondes Voyager 1 et 2 en 1980 et 1981, puis caractérisée en détail lors du tour orbital de la sonde Cassini entre 2004 et 2017, dont l’ultime phase, une série d’orbites polaires rapprochées sobrement baptisée « le Grand Finale » (dont le e final garde la trace sémantique de son origine, un hommage à l’opéra italien), s’est conclue par la spectaculaire plongée de la sonde dans l’atmosphère planétaire le 15 septembre 2017 [3].
3. schéma de principe de la magnétosphère de saturne et des processus complexes qu’elle héberge. Les émissions aurorales sont produites au- dessus des pôles magnétiques.
Les mesures du champ magnétique ainsi obtenues au plus près de la planète ont d’abord permis de confirmer une particularité unique de Saturne dans le Système solaire : son axe magnétique est confondu avec son axe de rotation (avec un écart angulaire < 0,0095° !). Cela rend la magnétosphère symétrique et les théoriciens perplexes, car un angle significatif (observé sur toutes les autres planètes magnétisées) est nécessaire pour générer un champ magnétique stable par effet dynamo. Saturne possède également un champ magnétique comparable à celui de la Terre (0,2 gauss en surface à l’équateur, contre 0,3 gauss pour la Terre), mais est dix fois plus éloignée du Soleil. Il en résulte une magnétosphère sensible au vent solaire et très étendue, atteignant 20 rayons planétaires (un rayon équatorial kronien [Note 2] mesure 60 268 km) côté jour et plusieurs centaines de rayons planétaires côté nuit. Autre fait d’importance, Saturne tourne rapidement, avec une période de rotation inférieure à 11 heures, ce qui affecte directement la circulation du plasma dans la magnétosphère. Soumis à la force centrifuge mais contraint de suivre les lignes de champ magnétique, le plasma s’accumule le long d’un disque près de l’équateur magnétique. Enfin, et découverte majeure de la première partie de la mission Cassini, sa principale source de plasma est le satellite de glace Encelade, dont les panaches de matière glacée alimentent la magnétosphère à hauteur d’environ 100 kg de plasma par seconde, ce qui donne naissance à un tore le long de l’orbite de la lune, distante de 4 rayons kroniens. Ces propriétés font de la magnétosphère de Saturne un objet astrophysique complexe, à la fois un cas intrinsèquement très particulier d’une part, et à mi-chemin entre la Terre (champ modéré, pas de source de plasma interne, rotation lente) et Jupiter (champ magnétique élevé, Io comme source principale de plasma, rotation rapide) d’autre part.
Les aurores de Saturne ont été essentiellement observées dans les domaines UV (par les observatoires spatiaux IUE, Voyager, Hubble puis Cassini) et radio (par les sondes Voyager, Ulysse et Cassini), mais aussi plus récemment dans le proche IR (par des télescopes au sol et Cassini) et tout dernièrement dans le visible (par Cassini uniquement car, dans ce domaine de fréquences, il faut pouvoir observer les aurores du côté nuit avec un contraste suffisant vis-à-vis de la contribution de l’atmosphère, comme sur Terre). Malgré plusieurs tentatives, aucune émission X n’a été détectée à ce jour, probablement en raison d’un niveau d’émission trop faible pour la sensibilité des télescopes actuels ou à cause d’une faible activité aurorale coïncidant avec les observations (les planètes savent se montrer facétieuses). Ces différents domaines spectraux sondent des processus d’émission variés et nous fournissent des informations riches et complémentaires.
4. images des émissions aurorales UV, ir (observées le 27 janv. 2009), visible (observées le 27 nov. 2011) et radio (le spectre dynamique degaucheaétéobtenudu12au15sept.2017, l’image radio de droite a été obtenue le 7 mars 2017) de saturne en fausses couleurs par les spectro-imageurs UVis, iss, Vims et rPWs de la sonde Cassini. (NASA/ESA, L. Lamy, LESIA/Obs. de Paris/CNES
Des aurores colorées
La fenêtre UV (ou visible) bénéficie d’une excellente résolution angulaire propice aux images. Elle sonde la réponse instantanée de la haute atmosphère neutre aux précipitations aurorales avec les transitions électroniques des espèces dominantes H et H2 entre 80 et 160 nm (ou la raie de Balmer rouge de H). Outre une mesure directe de l’énergie rayonnée, l’analyse des spectres UV permet aussi de déterminer la profondeur de pénétration des électrons énergétiques et ainsi leur énergie. La fenêtre proche IR permet de mesurer la réponse de la haute atmosphère ionisée avec les raies de la molécule H3+ entre 3 et 5 μm, sensibles à la température. Ces observations « optiques » sont acquises lors de séquences d’observations discontinues, souvent espacées dans le temps. Hubble a ainsi observé régulièrement les aurores UV de Saturne lors
de plus de 15 programmes d’observations étalées de 1994 à 2017. Une illustration des aurores UV, visible et IR de Saturne observées par les spectro-imageurs de la mission Cassini est visible en haut de la figure 4.
Les émissions radio aurorales couvrent la gamme basse fréquence s’étalant de 1 kHz à 1 MHz et ne peuvent donc être observées que depuis l’espace (l’atmosphère terrestre est opaque aux fréquences inférieures à 10 MHz). Elles résultent d’un mécanisme bien connu des radioastronomes, fondé sur l’amplification d’ondes par des électrons en mouvement circulaire (giration cyclotron) dans le champ magnétique de Saturne. Ces émissions radio se produisent au-dessus de l’atmosphère jusqu’à quelques rayons planétaires de distance le long de lignes de champ magnétique connectées, à plus basse altitude, aux aurores atmosphériques. Les observations radio à basse fréquence, donc grande longueur d’onde, ne fournissent généralement pas directement d’images, mais peuvent mesurer le spectre radio en continu pendant de longues périodes de temps, comme représenté sur le spectre « dynamique » en bas à gauche de la figure 4. Néanmoins, une technique de mesure sophistiquée mise en œuvre sur l’instrument radio embarqué sur Cassini a permis de réaliser les premières « images » d’émissions radio planétaires, telle celle en bas à droite de la figure 4. Elle montre non seulement que les sources radio aurorales sont bien localisées le long des lignes de champ de haute latitude, mais permet d’interpréter finement la richesse des structures observées dans le spectre dynamique.
Vingt-sept ans après la détection des aurores de Saturne, que nous ont-elles appris sur la planète et son environnement ?
5. Évolution temporelle de la résolution spatiale des observations des aurores ultraviolettes de saturne réalisées avec différentsspectro-imageursdeHubble(de performance croissante) et l’instrument Cassini/UVis (à des distances d’observation de plus en plus proches de la planète). Les images sont tracées en fausses couleurs. (NASA/ESA, APIS [5] et W. Pryor, LASP/Central Arizona College)
Des origines multiples
Les sondes Voyager 1 et 2 ont d’abord révélé le rayonnement radio (kilométrique) auroral, observé jusqu’à quelques unités astronomiques (UA) de distance, et montré qu’il est très variable à deux échelles de temps. Le spectre dynamique radio de la figure 4 (qui montre les ultimes observations Cassini, obtenues trois décennies plus tard) illustre que ce rayonnement est d’abord modulé à une période stable (flèches blanches), proche de la variété de périodes de rotation des nuages. Cette période radio de presque 11 heures a servi à définir la période de rotation interne, dont nous reparlerons plus loin. L’activité radio varie ensuite fortement avec le vent solaire, s’intensifiant au passage de chocs interplanétaires qui compriment la magnétosphère (épisodes « d’orages auroraux » comme celui visible sur la figure 4) jusqu’à s’éteindre complètement quand le vent solaire est « coupé », comme l’observa la sonde Voyager 2 en 1981 lorsque Saturne fut exceptionnellement plongée dans la queue de la magnétosphère de Jupiter, située 5 UA plus près du Soleil !
Voyager a aussi détecté les aurores atmosphériques avec son spectromètre UV, et montré que leur activité était corrélée à celles des émissions radio, mais il a fallu attendre Hubble pour en obtenir les premières images. Sur la figure 5, on distingue un ovale auroral prédominant, plus intense du côté matin (du côté gauche des images prises par Hubble depuis la Terre). Il s’intensifie parfois soudainement avec des émissions remplissant l’ovale du côté matin (comme sur les images prises en 2000 et 2004 de la figure 5) avant de revenir progressivement à sa forme circulaire et son intensité initiales au fur et à mesure de la rotation planétaire. Si l’on suit les lignes de champ magnétique associées, pour remonter la trajectoire des particules causant les aurores, on parvient aux parties les plus externes de la magnétosphère, qui sont en contact avec le milieu interplanétaire. Les émissions aurorales UV et radio ont ainsi été imputées à l’interaction variable de la planète avec le vent solaire [4]. Cette interaction est analogue à celle qui prévaut dans le cas terrestre, mais suit un scénario différent. Les lignes de champ magnétique connectées à l’ovale auroral principal forment une frontière au travers de laquelle le mouvement global du plasma change brutalement : on parle de cisaillement de vitesse. Celui-ci a lieu entre les lignes de champ magnétique dites « fermées » (connectées aux deux pôles de la planète et qui tournent avec elle) et les lignes dites « ouvertes » (connectées à un seul pôle et emportées du côté jour vers le côté nuit par le vent solaire). Ce cisaillement produit – en vertu de la loi d’Ampère – un courant électrique à grande échelle qui circule le long des lignes de champ aurorales pour se refermer dans la haute atmosphère ionisée de Saturne. On parle de courant « aligné » avec les lignes de champ, l’équivalent des courants de Birkeland terrestres. À haute latitude, comme on l’a vu, la densité de plasma, dominée par les électrons (les ions, plus lourds, étant confinés à l’équateur), est faible et la continuité du courant nécessite d’accélérer les électrons ambiants restants [Note 3]. Dans le cas de Saturne, l’énergie cinétique mesurée des électrons ainsi accélérés qui précipitent dans l’atmosphère varie de 1 à 20 kiloélectronvolts [Note 4] d’une région à l’autre des aurores. L’arrivée de ces électrons énergétiques aux pôles magnétiques à toutes les longitudes permet d’expliquer l’ovale circumpolaire observé. L’intensification des aurores côté matin correspond dans ce scénario à un cisaillement de vitesse maximal, donc une accélération d’électrons plus efficace.
La résolution croissante des observations Hubble et l’arrivée de Cassini en orbite, jusqu’à l’extrême précision des images obtenues pendant le Grand Finale représentées sur la figure 5, ont révolutionné cette vision. L’ovale auroral, qu’on appellera désormais plus modestement ovale principal, n’est pas une structure continue, ni même toujours avec une forme d’ovale, mais morcelée en une grande variété de régions actives variables temporellement jusqu’à l’échelle de la minute qui signalent des processus complexes et dynamiques à petite échelle dans la magnétosphère [6]. En dehors de cet ovale coexistent trois grandes catégories d’émission.
À plus basse latitude, on trouve un ovale secondaire (initialement découvert sur l’image Hubble du 26 janvier 2004 de la figure 5 et bien visible sur celles de Cassini prises ultérieurement), peu variable et d’intensité beaucoup plus faible. Il a été attribué à la précipitation dans l’atmosphère d’une population d’électrons « chauds » (d’énergie ~1 keV) présente en permanence dans la partie de la magnétosphère la plus proche de Saturne. À plus haute latitude, on trouve des taches ou des arcs transitoires brillants. Ces émissions ont été directement reliées à l’interaction entre la magnétosphère et le vent solaire par un processus de reconnexion magnétique entre les lignes de champ planétaire et interplanétaire du côté jour de la magnétosphère capable de transférer de l’énergie aux particules. Ce type de signatures intermittentes, qui permet de cartographier de manière dynamique la portion de la magnétosphère ouverte sur le vent solaire, est l’équivalent des aurores peu intenses de cornet polaire (le cornet polaire, nommé cusp en anglais, est indiqué sur la figure 3) régulièrement observées sur Terre.
Enfin, une dernière composante aurorale a été identifiée sur seulement trois images UV de toute la mission Cassini, dont l’une, prise en 2008, est représentée sur la figure 6. Il s’agit d’une tache située exactement au « pied » magnétique de la lune Encelade : autrement dit, remonter la ligne de champ associée à cette tache aboutit au satellite. Ce type de signature est bien connu sur Jupiter, où des taches brillantes semblables sont associées aux lunes Io, Ganymède et Callisto. L’empreinte aurorale d’Encelade révèle une interaction planète-satellite qui prend la forme d’un autre système de courant électrique « aligné », généré par le déplacement de la lune dans le champ magnétique de la planète et se refermant le long des lignes de champ de haute latitude, où il peut à nouveau accélérer les électrons froids ambiants. Jusqu’à cette découverte, les interactions planète-satellite étaient l’apanage du système de Jupiter. Le cas Saturne-Encelade révèle un processus universel, avec des caractéristiques très différentes (émission faible et très variable).
6. (À gauche) image d’artiste associant une observation UV à distance de Cassini/UVis et une observation de particules énergétiques au-dessus d’encelade de l’instrument Cassini/inCA à quelques semaines d’intervalle. (À droite) Projection polaire de l’observation UV. en dehors des aurores intenses autour du pôle, une tache (encadrée en blanc) indique l’empreinte aurorale d’encelade.
Le mystère de la longueur du jour
Une question qui reste largement incomprise à l’issue de la mission Cassini forme un sujet d’étude majeur depuis Voyager : la détermination de la période de rotation interne de Saturne [7]. Contrairement aux planètes rocheuses, il n’y a pas de repère fixe à suivre à la « surface » des planètes géantes où les nuages se déplacent le long de bandes de latitude à des vitesses différentes. Pour identifier la période de rotation interne, une alternative est de mesurer la période de modulation d’une observable liée au champ magnétique, lui-même formé dans le cœur planétaire. Les émissions radio ont été le diagnostic le plus utilisé, étant observables à distance et continûment pendant de longues périodes de temps. Les périodes radio mesurées pour les quatre planètes géantes (parfois vérifiées à l’aide d’autres mesures in situ) ont ainsi été officiellement adoptées comme périodes de rotation par l’Union astronomique internationale.
Cependant, l’existence même d’une période radio pour Saturne (séparant les sursauts radio réguliers indiqués par les flèches blanches sur le spectre dynamique de la figure 4) pose déjà un premier problème. Alors que l’angle entre l’axe de rotation et l’axe magnétique des autres géantes est significatif (d’une dizaine de degrés ou plus), ce qui conduit à interpréter la modulation radio observée par un observateur fixe comme un phare tournant, celui de Saturne est nul et ne devrait pas induire de modulation rotationnelle des émissions. Les observations à distance des sondes Ulysse dans les années 1990, puis Cassini à partir de 2003 ont révélé deux problèmes supplémentaires.
D’abord, la période radio mesurée varie d’environ 1 % à l’échelle de quelques années, une variation trop grande pour s’expliquer par une accélération ou un ralentissement du cœur planétaire. Ensuite, Saturne ne dispose pas d’une, mais de deux périodes radio, chacune correspondant à un hémisphère. Ces deux périodes radio varient lentement à l’échelle de quelques années de manière anti-corrélée. Une illustration de la variation des périodes radio nord et sud mesurées pendant la totalité de la mission Cassini est représentée sur la figure 7. Cette variation anti-corrélée à long terme a conduit à penser que la variation saisonnière[Note 5] de l’illumination solaire des régions polaires pouvait jouer un rôle dans un « ralentissement » de la période de l’hémisphère éclairé par rapport à une période de référence interne plus courte, par son influence sur la conductivité ionosphérique et ainsi sur les systèmes de courant qui couplent la magnétosphère à l’ionosphère pour donner naissance aux émissions radio. Néanmoins, la figure 7 montre que les deux périodes radio se sont « croisées » plusieurs années après l’équinoxe, alors que la période sud avait atteint son maximum bien après le solstice. En d’autres termes, même l’hypothèse la plus aboutie de variation saisonnière n’explique pas tout.
Plusieurs découvertes sont néanmoins venues lever une partie du voile sur ce mystère. Les deux périodes radio nord/sud ont été observées dans nombre d’autres phénomènes de la magnétosphère (oscillations locales du champ magnétique ou de la densité de plasma, oscillations de l’intensité et de la position des aurores UV/visible/IR, oscillations des frontières de la magnétosphère, etc.). Toutes ces modulations sont la conséquence directe de deux systèmes de courants électriques « alignés » le long des lignes de champ magnétique, tournant chacun dans un hémisphère à une période propre. L’origine de ces systèmes de courant reste cependant inconnue. L’hypothèse la plus défendue postule l’existence de deux tourbillons géants de matière dans la haute atmosphère ionisée, capables de produire un courant électrique à longue durée de vie et avec des périodes de rotation contrôlées par l’interaction entre l’atmosphère ionisée et l’atmosphère neutre. Cependant, ils se situeraient dans une région peu dense difficile à sonder, même pour Cassini, et valider cette hypothèse reste un défi.
7. Périodogramme des émissions radio aurorales de saturne en fonction du temps. Les courbes bleues et orange, ajustées sur les signaux périodiques les plus intenses, correspondent aux périodes radio des hémisphères nord et sud. (L. Lamy, LESIA/Obs. de Paris/CNES)
L’exploration in situ, une clef pour aborder la microphysique
Le panorama dressé montre que nous avons désormais une bonne connaissance des différentes composantes des aurores de Saturne, leur distribution spatiale, leur budget d’énergie et leur dynamique sur des échelles de temps allant de la saison à la minute. Associée à un bon modèle de champ magnétique, tel celui bâti à partir des dernières mesures de Cassini, l’observation de ces émissions permet de diagnostiquer précisément les régions actives de la magnétosphère et nous éclaire sur les processus globaux qui s’y déroulent, telle que la circulation générale du plasma, les systèmes de courant électrique à grande échelle, l’interaction variable entre Saturne et le vent solaire, entre la planète et sa lune Encelade, etc. Entre ces deux bouts de la chaîne, l’étude de la microphysique des processus d’accélération et de rayonnement, c’est-à-dire la manière dont l’énergie est transférée de la magnétosphère vers les régions polaires, commence à peine à éclore. C’est en effet grâce aux mesures in situ acquises lors du Grand Finale, lorsque la sonde a traversé les régions où accélération des particules et rayonnement radio se produisent, que ces questions peuvent pour la première fois être abordées pour Saturne et comparées au cas terrestre. Le hasard des calendriers des agences spatiales faisant parfois bien les choses, la sonde américaine Juno mène en ce moment même, et depuis son arrivée en orbite polaire autour de Jupiter mi-2016, des mesures similaires permettant de faire de la planétologie comparée in situ en même temps pour les deux géantes ! Cette coïncidence forme un véritable âge d’or pour la physique aurorale planétaire, même s’il faudra certainement plusieurs décennies pour analyser pleinement les données de ces deux sondes. Les premiers résultats in situ du Grand Finale confirment une chose importante : le rayonnement radio auroral de Saturne est produit par le même mécanisme que celui de la Terre, même si c’est dans un environnement très différent [6]. Cela suggère un mécanisme de rayonnement universel, capable de révéler des exoplanètes en orbite autour d’étoiles plus lointaines que le Soleil. De quoi attendre leur détection avec plus d’impatience encore.
par Laurent Lamy | LESIA – Observatoire de Paris
Publié dans le magazine L’Astronomie Mars 2019
Remerciements : L’auteur de ces lignes remercie Renée Prangé pour une relecture minutieuse, dans l’esprit et la lettre, ainsi que le comité éditorial de l’Astronomie pour ses commentaires constructifs et pertinents.
Références
[1] F. Mottez, Aurores polaires – La Terre sous le vent du Soleil, Belin, 2017, ISBN 978-2-7011-9605-3.
[2] P. Zarka, « L’environnement magnétique des planètes », l’Astronomie, mars-avril 2007, p. 151-157.
[3] Un rapide bilan scientifique de la mission Cassini est dressé dans cette animation du JPL : www.jpl.nasa.gov/video/details.php?id=1464
[4] Cette animation d’images UV de Saturne prise en 2017 avec Hubble montre clairement la dynamique des aurores à l’échelle de plusieurs semaines : www.youtube.com/watch?v=v3pp7DhxPtk
[5] Le service CNRS/INSU APIS (Auroral Planetary Imaging and Spectroscopy) permet de compulser des observations aurorales planétaires en ligne : http://apis.obspm.fr [6] Cette animation des aurores visibles de Saturne mesurée en 2009 avec Cassini montre des rideaux d’émission tournant avec la planète variable à l’échelle de quelques dizaines de minutes : www.youtube.com/watch?v=yWOjfznja6o
[7] Cette animation grand public résume fidèlement la problématique de la modulation rotationnelle radio : www.sciencemag.org/news/2018/10/how-long-saturn-s-day-search-reveals-even-deeper-mystery
[8] Les premières traversées des sources du rayonnement radio auroral kronien ont livré leurs résultats : https://www.obspm.fr/cassini-grand-finale-une.html
Notes
Les émissions de faisceau sont produites directement par les faisceaux de particules. Par opposition les émissions par impact sont produites par les molécules de l’atmosphère. – 2. Du grec Kronos, assimilé par les Romains à Saturne. – 3. Pour maintenir un courant électrique, il faut conserver le produit de la vitesse par la densité des porteurs de charge électrique (ici les électrons). Si la densité diminue, il faut augmenter la vitesse, donc accélérer les électrons. – 4. Le kiloélectronvolt (ou keV) est une unité d’énergie correspondant à celle d’un électron accéléré par un potentiel électrique de 1 000 volts. – 5. Saturne effectue une révolution autour du Soleil en 29 ans.