LE MAGAZINE DES SCIENCES DE L’UNIVERS EN AFRIQUE
Détection d’une source FRB dans la Grande Ourse

Détection d’une source FRB dans la Grande Ourse

Une source de sursauts radio rapides a été détectée dans la galaxie Messier 81 de la Grande Ourse.

La galaxie M 81, où les sursauts radio ont été observés. En dessous, la galaxie M 82 (vue par la tranche). [photo : Maxime Tessier, collectif NOX]

Les sursauts radio rapides (FRB pour Fast Radio Burst en anglais) sont des impulsions radio extrêmement énergétiques durant seulement quelques millisecondes. Leur brièveté indique que la taille des sources ne dépasse pas le millier de kilomètres. Et pourtant, elles sont si puissantes que l’on peut en observer depuis des distances de centaines de millions d’années-lumière (al). De plus, certaines sources émettent des FRB de façon répétitive, quoique sans régularité. La première source répétitive découverte, FRB 121102, fait partie d’une galaxie naine située à plus de trois milliards d’al. La plupart des FRB connus viennent de sources lointaines, et cela ne facilite pas leur observation, notamment parce qu’il est difficile d’y détecter des rayonnements à d’autres longueurs d’onde.

Cette absence de contrepartie en rayons X et gamma est-elle un effet de la distance ou une absence réelle d’émission ? Pour répondre à cette question, il est souhaitable de découvrir des sources de FRB plus proches de notre Galaxie, ou même dans celle-ci. En 2020, un magnétar de notre Galaxie,  SGR 1935+2154, connu préalablement pour des phases d’éruption en rayons X, a émis deux signaux radio ayant plusieurs caractéristiques d’un FRB, mais 40 fois moins énergétiques [1]. Ces signaux ont été émis durant une éruption en rayons X, mais les autres éruptions en X n’ont pas montré de signaux ressemblant à des FRB, et des FRB encore plus faibles ont été émis cette fois-ci sans contrepartie mesurable en rayons X. Il n’est donc pas évident d’associer FRB et émissions en X de manière simple. Une source de FRB nommée FRB 20200120E, plus puissante que SGR 1935+2154, a été découverte dans une voisine proche : la galaxie spirale Messier 81, dite galaxie de Bode, dans la Grande Ourse [2].

Plus précisément, la source est située dans un amas globulaire de M 81. Cette source située à 11 millions d’al est beaucoup plus proche que toutes les autres sources de FRB puissants connues. FRB 20200120E est très actif, on a observé de nombreux sursauts, dont une éruption de 40 minutes durant laquelle 53 sursauts ont été observés. Pour le moment, avec cette source, aucune contrepartie aux FRB hors du domaine radio n’a été observée. Cependant, cette source n’est pas totalement typique des autres FRB connus, car ses impulsions radio, au lieu de durer seulement quelques millisecondes, s’étendent sur des centaines de millisecondes. Cela suggère la possibilité d’une source d’émissions radio de plus grande taille. Et surtout, on ne sait pas si l’on doit rattacher cet objet à la famille des FRB déjà connus, ou à une nouvelle famille d’éruptions radio « moins rapides ».

 

Trois sursauts radio… pas si rapides en fait, en provenance de FRB 20200120E situé dans M 81. L’intensité des émissions radio est représentée en fonction du temps. Le signal est représenté sur une durée excédant légèrement une seconde.

 

Fabrice Mottez , Observatoire de Paris-PSL

 

Notes

  1. Bochenek et al., Nature, vol. 587, Issue 7832, p. 59-62, 2020.
  2. Nimo et al., MNRAS, sous presse, 2022.

 

 

Eraendel, L’étoile la plus distante jamais observée

Eraendel, L’étoile la plus distante jamais observée

Le télescope spatial Hubble a fait une nouvelle découverte extraordinaire en détectant la lumière d’une étoile qui a existé au cours du premier milliard d’années après la naissance de l’Univers lors du Big Bang. Il s’agit de l’étoile la plus éloignée jamais observée à ce jour.

Un détail de la vue ci-dessus montre « l’arc du Soleil levant », contenant les 6 images de deux amas d’étoiles. Les deux plus brillantes images sont désignées par une flèche. L’image de l’étoile Earendel est unique. La ligne en pointillé indique la région d’amplification maximale de la lumière par effet de lentille gravitationnelle selon les modèles employés dans cette étude. L’étoile Earendel est observable individuellement (à une magnitude de 27) précisément parce qu’elle se trouve, par hasard, sur cette ligne. [SCIENCE: NASA, ESA, Brian Welch (JHU), Dan Coe (STScI), IMAGE PROCESSING: NASA, ESA, Alyssa Pagan (STScI)]

Tout commence avec un amas très massif de galaxies, nommé WHL0137-08, situé à une distance caractérisée par un décalage cosmologique vers le rouge z = 0,566. Derrière cet amas de galaxies se trouve une autre galaxie, beaucoup plus éloignée, à z = 6,2, soit une distance de 12 milliards d’années-lumière. On ne la voit pas directement, car l’amas WHL0137-08 est assez épais pour la masquer. En revanche, par effet de lentille gravitationnelle, des rayons lumineux en provenance de la lointaine galaxie, qui en l’absence de WHL0137-08 seraient à peine perceptibles, apparaissent comme un arc de lumière d’une longueur apparente de 15 secondes d’arc. Cet arc, catalogué sous le nom WHL0137-zD1 et surnommé « l’arc du Soleil levant », est la somme de plusieurs images de la très lointaine galaxie, chacune de ces images étant étirée par les effets relativistes de propagation de la lumière dans le champ de gravitation de l’amas WHL0137-08.

Une équipe internationale conduite par Brian Welch, de l’université Johns-Hopkins (Baltimore, É.-U.), s’est fondée sur plusieurs relevés de l’arc du Soleil levant par le télescope spatial Hubble pour déceler, à l’aide de modèles de la lentille gravitationnelle, des sous-structures de la lointaine galaxie à z = 6,2 [1]. Les auteurs de cette étude ont utilisé quatre modèles de la lentille gravitationnelle, fondés sur des hypothèses différentes concernant les propriétés de l’amas de galaxies WHL0137-08 qui sert de lentille, et dont la forme est relativement complexe. Selon les modèles, toutes les régions de la galaxie lointaine ne sont pas également amplifiées en luminosité. Mais ils permettent de comprendre que l’arc comporte en particulier trois images de deux amas d’étoiles (soit 6 régions en surbrillance). Une autre région en surbrillance n’apparaît qu’une fois, et elle se situe dans une région particulièrement favorable à l’amplification en intensité lumineuse par la lentille gravitationnelle. L’analyse montre que c’est un objet de taille inférieure à un parsec, ce n’est donc pas un amas d’étoiles.

Il s’agit soit d’une étoile, soit d’un système d’étoiles multiples. C’en est une parmi les milliards d’étoiles de la galaxie lointaine, qui se trouve par le jeu du hasard dans de très bonnes conditions pour être vue depuis la Terre grâce à la lentille gravitationnelle formée par l’amas de

galaxies plus proche WHL0137-08. L’étoile (simple ou multiple) a été baptisée WHL0137-LS, mais aussi « Earendel », ce qui signifie « étoile du matin » en vieil anglais. Cela va bien avec le nom de « l’arc du Soleil levant » où elle a été découverte ! La magnitude absolue d’Earendel est estimée entre –8 et –12 ; elle brille comme des centaines de milliers de Soleils [2]. Les modèles d’évolution stellaire impliquent que sa masse, s’il s’agit d’une seule étoile, est comprise entre 40 et 500 masses solaires. Ce serait une étoile de type O, ou O-B ou A, et sa température de surface serait de l’ordre de 8 000 K (pour une masse de 40 masses solaires) et de 60 000 K pour une masse supérieure à 100 masses solaires. Ces paramètres sont conformes à l’idée que les étoiles de la première génération étaient très massives, très chaudes (étoiles dites de population III). Elles avaient aussi la vie brève, en comparaison de l’âge de leur galaxie, réduite à quelques dizaines de millions d’années.

L’étoile est-elle seule ou dans un système multiple ? Selon les auteurs, il y a peu de chances qu’elle soit seule, mais une des étoiles du système domine probablement les autres en masse et en luminosité. Il est donc probable que ce que nous voyons d’Earendel est surtout le fait d’une étoile très brillante, entourée d’un petit nombre d’étoiles beaucoup moins lumineuses.

Des amas d’étoiles dans une galaxie avaient déjà été identifiés (par la même méthode de lentille gravitationnelle) dans une autre galaxie, à une distance z = 6,14.

Avec un décalage cosmologique z = 6,2, Earendel est la plus lointaine étoile jamais observée. Le modèle standard de la cosmologie nous indique qu’à z = 6,2, l’étoile nous apparaît telle qu’elle était 900 millions d’années après le Big Bang, quand l’Univers avait 7 % de son âge actuel. L’analyse de la lumière infrarouge d’Earendel est un bon objectif pour des observations par le JWST afin de mieux caractériser cette étoile très ancienne.

Fabrice Mottez, Observatoire de Paris-PSL

 

Notes

  1. Welch et al., « A highly magnified star at redshift 6.2 », Nature 603, 2022.
  2. Le Soleil a une magnitude absolue de +4,8, et chaque écart de –5 magnitudes correspond à une multiplication de la luminosité par 100.
Les météores ne traverseront plus le ciel Africain incognito !

Les météores ne traverseront plus le ciel Africain incognito !

L’espace interplanétaire (l’espace entre les planètes du Système Solaire) est-il essentiellement vide ? Pas tout à fait. Il existe des objets solides de dimensions variées, de la taille d’une poussière à plusieurs dizaines de kilomètres de diamètre. Ces objets sont issus de comètes, ou proviennent de la ceinture d’astéroïdes. En effet, le matériau cométaire, composé de glaces d’eau, de composés organiques et minéraux silicatés, va être libéré lors du passage des comètes au voisinage du Soleil, en raison de l’élévation de la température à la surface de ces objets. D’autre part, les collisions et interactions gravitationnelles ayant lieu dans la ceinture d’astéroïdes sont responsables de la présence de fragments de roches sur des orbites qui intersectent celles des planètes internes (Mercure, Vénus, la Terre, et Mars). Cette matière extra-terrestre entre régulièrement en collisions avec la Terre, et ce sont plusieurs milliers de tonnes par an qui pénètrent l’atmosphère terrestre sous forme de micrométéorites.

1. Caméra FRIPON de Marrakech et détection d’un météore très brillant le 8 avril 2021

 

Les plus petits objets, les poussières, arrivent rarement au sol, et forment des météores, ou étoiles filantes. Les pluies d’étoiles filantes se produisent lorsque la densité de poussière est plus élevée, lorsque notre planète entre en collision avec un nuage de poussière formé dans le sillage d’une comète sur son passage. Les plus gros objets d’au moins quelques dizaines de centimètres de diamètre vont se fragmenter et apparaître sous la forme de bolides particulièrement lumineux, parfois visibles en plein jour, comme lors de l’événement de Tcheliabinsk en Russie. Il est possible alors de retrouver des fragments de ces objets au sol, ce sont les météorites.

Dans les belles nuits étoilées, nous observons très souvent ces “étoiles filantes” et avant qu’elles ne “tombent”, nous formulons des vœux secrètement conçus. Pour les scientifiques, il est essentiel de comprendre à la fois le flux (la quantité de matière apportée chaque année), la composition chimique et minéralogique, et l’origine de cette matière extraterrestre (sa provenance parmi les nombreux objets du Système Solaire).

Pour se faire, plusieurs parties du monde ont déjà mis en place des réseaux de surveillance des météores. L’objectif est de placer des caméras espacées de quelques dizaines à centaines de kilomètres les unes des autres pour enregistrer la trajectoire des météores, et remonter ainsi à l’orbite de l’objet. Lorsque l’intensité lumineuse du météore est importante, on parle de bolide, et on peut s’attendre à ce qu’un fragment de roche puisse être trouvé au sol. Une météorite “fraîche”, c’est-à-dire n’ayant pas été transformée au contact des fluides terrestres, qui vont progressivement altérer sa composition chimique et sa minéralogie, a une très grande valeur scientifique, car ces objets sont des vestiges de la formation de notre Système Solaire. Leur étude vise à comprendre l’origine des planètes, et les causes des évolutions différentes des planètes solides – les questions de l’origine de l’eau et de la vie sur Terre sont donc au cœur de ces recherches. De tels réseaux de surveillance existent déjà en Europe (France: https://www.vigie-ciel.org/le-projet-fripon/, République Tchèque, Italie) au Canada (e.g;, http://bcmeteors.net)  et en Australie (Desert Fireball Network, http://fireballsinthesky.com.au/, ou DFN, piloté par l’Université de Curtin), avec également des initiatives à l’échelle mondiale (https://globalmeteornetwork.org/)

Depuis quelques années seulement, l’Afrique participe à cette aventure, avec en particulier le Maroc, le Burkina Faso, et bientôt le Sénégal, et ce sous l’impulsion de l’Initiative Africaine pour les Sciences des Planètes et de l’Espace (http://africapss.org), avec plus récemment le projet “Astrophysics and Planetary Science in Africa”, financé par le CNRS (France).

 

Au Maroc

Le réseau FRIPON est en développement au Maroc avec pour l’instant une caméra en fonctionnement près de Marrakech. Il est prévu d’installer trois autres caméras à Benguerir (Université Mohamed 6 Polytechnique) , Casablanca (Université Hassan II de Casablanca)   et Ifrane (Al Akhawayn University). Avec ces quatre caméras il sera possible de surveiller une grande partie de la plaine Marocaine.  Ce projet se fait en collaboration avec le réseau Australien DFN qui a déjà cinq caméras installées dans des zones montagneuses. A terme les deux réseaux vont couvrir l’ensemble du Maroc, les plaines et les régions côtières pour FRIPON et les régions montagneuses et désertiques pour le DFN.

 

Au Burkina Faso

Depuis Mars 2022 trône sur le toit du Laboratoire de Physique et de Chimie de l’Environnement (LPCE) de l’Université Joseph Ki-Zerbo, un œil sur le ciel, une caméra FRIPON, installée grâce à la collaboration avec l’Observatoire de Paris et l’Observatoire d’Astrophysique de la Côte d’Azure (OCA).

L’observation continue du ciel avec FRIPON aidera à retrouver les objets tombés au Burkina Faso. Après la première caméra installée à Ouagadougou, la seconde caméra  est en cours de déploiement à Koudougou ensuite suivront Bobo Dioulasso, Fada et Ouahigouya (dans les universités du pays). Ce réseau de dispositifs d’observation permettra de connaître où est tombé un débris entré dans l’atmosphère au Burkina Faso.

2. FRIPON Burkina Faso

 

Au Sénégal

La mission en cours du 4 au 14 Octobre 2022. François Colas, David Baratoux et Sylma Sylla Mbaye, avait pour objectif de sillonner les routes du pays de la Teranga pour installer les 4 premières caméras d’un réseau qui peu à peu vise à couvrir l’Afrique de l’Ouest. Les 4 premières caméras sont installées à l’IRD-Sénégal (Campus Hann-Maristes) aux ENO (UVS) de Mbour et de Diourbel, et l’hôtel Royal Malango à Fatick. Si le Burkina et le Maroc sont connus pour leurs météorites, il faut noter qu’aucune météorite n’a été retrouvée au Sénégal. Ce pays serait-il épargné ? Bien sûr que non, même si des petites variations de flux de météorites existent, en particulier en fonction de la latitude, on s’attend à plusieurs chutes de météorites par décennies sur un pays de la surface du Sénégal. En revanche, il est possible que l’altération, dans le climat Sahélien, avec une saison des pluies, même dans les régions les plus septentrionales du pays, à la frontière avec la Mauritanie, soit responsable d’une altération suffisamment rapide des météorites, ce qui limite les trouvailles ultérieures. Cependant, il est probable que les agriculteurs et habitants des régions rurales observent régulièrement des météores et aient été témoin de chutes de météorites par le passé. L’installation d’un réseau de surveillance des météores au Sénégal, et les actions de diffusion de connaissance associées à ce projet, permettront sans doute de faire quelques trouvailles. Les caméras seront installées dans le cadre d’un partenariat entre

l’Université Virtuelle du Sénégal (UVS) l’Association Sénégalaise pour la Promotion de l’Astronomie (ASPA), l’Université Cheikh Anta Diop de Dakar (UCAD), le Centre National de la Recherche Scientifique (CNRS) et l’Institut de Recherche pour le Développement (IRD). Les équipements et la mission au Sénégal ont été financés par le DIM-ACAV (région Ile d’Ile de France) et le dispositif du CNRS de soutien à l’Afrique Sub-Sharienne (projet Astrophysics and Planetary in West Africa, AWA).

3. Installation des quatre premières caméras au Sénégal à Dakar (IRD), aux ENO (UVS) de Mbour et Diourbel et à l’Hôtel Royal Malango à Fatick. La surface couverte sera de 60 000 km2, dont 40 000 km2 sur le continent soit un cinquième de la surface du Sénégal.

 

David Baratoux, François Colas, Salma Sylla, Zacharie Kam, Zouhair Benkhaldoun

Interview JWST – Meriem El Yajouri

Interview JWST – Meriem El Yajouri

Quelle est l’origine du projet JWST ? 

Dès les années 80, les chercheurs ont commencé à imaginer à quoi devrait ressembler la future génération de télescopes spatiaux et en particulier le successeur du télescope spatial Hubble (HST) tout en aspirant à répondre aux grandes questions scientifiques : observer plus loin dans l’univers, rechercher les premières étoiles et galaxies créées après le Big Bang, mieux comprendre comment les planètes, les étoiles et les galaxies naissent et évoluent au fil du temps. 

Au départ, le télescope spatial James Webb a été conçu pour capter le rayonnement extrêmement faible émis par la première génération de galaxies, qui a dû se former 100 à 200 millions d’années après la naissance de l’Univers.  Comme l’Univers est en expansion, la lumière de ces galaxies lointaines est atténuée et étirée vers des longueurs d’onde infrarouges, c’est ce qu’on appelle le décalage vers le rouge (ou redshift). Il est donc très difficile de les voir et de les identifier, car elles sont très faibles et très rouges. Il a fallu donc deux caractéristiques au JWST : une très grande sensibilité à la lumière faible et être capable de voir dans l’infrarouge. Le JWST est donc le premier télescope doté d’un miroir suffisamment grand (6m50) et d’instruments suffisamment froids pour sonder notre Univers dans l’infrarouge proche et moyen (0.6-28 microns). Combiné à sa résolution spatiale, cela permettra de dévoiler des détails avec une précision sans précédent d’objets proches et d’observer des objets lointains. 

 

Comment t’es-tu retrouvée impliquée dans ce projet ? 

Durant l’été 2021, j’étais en recherche active de postdoctorat. Je suis tombée par hasard sur une annonce concernant une offre de postdoctorat JWST à l’Institut d’Astrophysique Spatiale (IAS) en France.  Sur les conseils avisés de Jacques Lebourlot qui m’a recommandé de postuler, j’ai constitué un dossier, rédigé un rapport de recherche et sollicité des lettres de recommandation. Ensuite, il a fallu effectuer une présentation sur mes travaux antérieurs pour l’étape finale de la sélection. J’ai rejoint l’équipe en octobre 2021 et je suis très heureuse de faire partie de l’aventure JWST du groupe Astrophysique du Milieu Interstellaire (AMIS) à l’IAS.

Mon projet de recherche concerne l’étude des macromolécules et de la poussière dans les régions de photodissociation (PDRs) à l’aide des observations du JWST. Ces régions neutres du milieu interstellaire, à l’interface des nuages moléculaires, sont dominées par des photons ultraviolets qui influencent fortement les processus physiques et chimiques. 

Devenir un expert dans l’analyse de la physique et de la chimie du milieu interstellaire, nécessiterait d’étudier les modèles théoriques des régions de photodissociation et de les comparer aux observations. À ces fins, les capacités des instruments du JWST en termes de résolution spatiale et de sensibilité sont parfaitement adaptées aux échelles auxquelles les environnements des PDRs changent. Sur cet aspect, l’équipe du groupe de recherche AMIS de l’IAS rassemble toute l’expertise : elle est profondément impliquée dans l’un des programmes précoces du JWST (Early Release Science; ERS) et dans l’analyse des observations d’un programme à temps garanti (gto) prises au cours de la première année de fonctionnement du télescope. En plus, l’équipe a accès au soutien du centre d’expertise français local pour l’instrument MIRI (Mid-Infrared Instrument). 

Ce poste correspondait donc parfaitement à mes intérêts scientifiques, comme j’ai étudié de manière observationnelle comment les grandes molécules interagissent avec leur environnement dans le milieu interstellaire (MIS). Je me suis dit que poursuivre mes recherches dans l’étude de l’évolution du milieu interstellaire avec des objectifs similaires et compléter mon expérience dans la simulation et la modélisation des poussières impliquerait un pas en avant dans ma carrière et puis, quel privilège d’être parmi les premiers chercheurs à analyser les données du JWST !   

En quoi ce télescope spatial est-il une révolution en Astronomie observationnelle ?

Le JWST est le télescope de tous les superlatifs. Il a le plus grand miroir, les instruments les plus froids et les plus performants jamais lancés dans l’espace.  Donc on s’attend à ce que le JWST soit une révolution en astronomie observationnelle à plusieurs niveaux : d’abord, c’est une sorte de machine à remonter le temps, donc en regardant dans l’infrarouge, le webb va révéler des galaxies et des étoiles bien plus lointaines que tout ce qui a été observé jusqu’à présent.  

Concernant les exoplanètes, le télescope spatial James Webb jouera un rôle crucial dans l’étude de la composition chimique et des conditions physiques des enveloppes gazeuses de ces systèmes planétaires. Le coronographe du JWST bloquera la lumière d’une étoile, révélant les planètes en orbite autour d’elle.

D’autre part, grâce à sa sensibilité et sa résolution, nous pourrons résoudre spatialement les structures filamentaires des nébuleuses les plus proches avec un détail sans précédent et ainsi contraindre les processus physico-chimiques de ces régions. La fenêtre spectrale couverte par l’instrument moyen-infrarouge MIRI est inédite et cruciale pour l’étude de ces régions. Cela permettra de répondre aux questions encore en suspens sur la formation des étoiles et comment ces étoiles en fin de vie enrichissent leur milieu en matière. 

De plus, avec ses boucliers et ses miroirs segmentés qui devaient être déployés dans l’espace, le JSWT est également une prouesse technologique. Une autre capacité très intéressante de cet instrument spatial est la possibilité d’effectuer des observations en « mode parallèle ». En d’autres termes, on peut recueillir des données avec deux instruments différents du Webb en même temps avec des champs d’observation de taille différente. Cela vise non seulement à maximiser le rendement scientifique du JWST en obtenant simultanément des données de plusieurs instruments, mais on gagne également en efficacité dans l’interprétation des données en ayant des observations complémentaires (imagerie + spectroscopie). 

 

Quelle est selon toi la découverte la plus importante du JWST à ce jour ?

L’une des capacités tant vantées du JWST est la possibilité de remonter dans le temps jusqu’aux débuts de l’univers et de voir certaines des premières galaxies et étoiles. Selon moi, c’est dans ce contexte-là qu’on pourra avoir les découvertes les plus importantes.  

Concernant les exoplanètes, on a maintenant la première détection directe d’une exoplanète (première image !) ainsi que la détection du CO2. Cela n’implique pas qu’on va découvrir un signe de vie ailleurs tout de suite, mais il est important de comprendre la composition de l’atmosphère d’une planète, car elle nous renseigne sur l’origine de la planète et son évolution.

Mais n’oublions pas que le JWST est à ses débuts, l’analyse approfondie et pointue des données qui mènera vers les découvertes prendra du temps donc on n’aura pas toutes les réponses tout de suite. Ce n’est pas avec les belles images qu’on obtiendra les découvertes, car il est difficile d’expliquer le type de conditions physiques et d’éléments chimiques d’un phénomène ou d’un objet dans l’espace qu’avec l’imagerie. C’est surtout l’analyse spectroscopique – l’étude de l’interaction du rayonnement avec la matière – qui donnera des contraintes. En étudiant le spectre de fréquence de la lumière provenant d’un objet, il est possible de tirer des conclusions solides sur sa composition chimique, sa température et sa masse.

 

Que fais-tu avec les données du JWST ? 

Avec le JWST, on veut sonder des zones où les étoiles se forment. Les étoiles se forment dans des nuages de gaz et de poussière dans le milieu interstellaire, et ces nuages sont opaques dans le visible et donc les télescopes optiques ne peuvent pas voir à travers ces nuages, d’où l’intérêt d’utiliser l’infrarouge. Je suis impliquée dans deux programmes : un Early Science Realase Program pour l’étude de la barre d’Orion et un Programme de temps garanti (gto) pour l’étude de la tête de Cheval et de la nébuleuse NGC7023. 

Je vais analyser particulièrement l’interface de ces nébuleuses, comme mentionné dans une réponse précédente, dans ces régions les processus physiques et chimiques qui se produisent sont très intéressants pour comprendre le cycle de la matière interstellaire, de la formation des étoiles et l’interaction du champ de rayonnement UV des étoiles avec ces nuages. Il s’agit bien évidemment d’une collaboration nationale et internationale entre plusieurs scientifiques internationaux de différente expertise et différents backgrounds, chacun selon son domaine de prédilection est impliqué soit dans la réduction des données, l’analyse des spectres des instruments NIRSPEC et MRS ou le traitement des données d’imagerie MIRI ET NIRCAM. 

Mon rôle est d’étudier l’évolution de la poussière (son émission et sa diffusion) dans ces trois régions en confrontant les observations du Webb aux modèles qui ont été élaborés dans mon équipe à l’IAS. Je commencerai par la barre d’Orion et dès que les données sont disponibles pour le gto, j’appliquerai les mêmes outils que j’ai développés à la tête de Cheval et à la nébuleuse NGC7023.  Ces données permettront de tester des modèles théoriques largement utilisés et de les étendre à l’ère du JWST. 

 

Qui peut participer à l’analyse des données fournies par ce télescope spatial ?

Le Webb constituera une énorme archive publique où les chercheurs pourront puiser.  À terme, les données seront accessibles à toute personne intéressée et disposant des capacités et expertises nécessaires pour analyser les données de n’importe quel instrument du Webb.  

Les données des programmes dits ‘ERS’ sont publiques immédiatement. La liste détaillée des programmes acceptés peut être retrouvée sur ce site     : https://www.stsci.edu/jwst/science-execution/approved-ers-programs. Les données des programmes à temps garanti (gto) sont publiques après un an. 

Contrairement à ce qu’on pourrait penser, les archives des missions spatiales ou des observatoires au sol sont une mine d’or et les données d’archives ne sont souvent que très partiellement exploitées. Les données d’archives du grand réseau d’antennes millimétrique/submillimétrique de l’Atacama ALMA, sont un très bon exemple, plusieurs recherches et articles ont été publiés en exploitant les données d’archive ALMA (https://almascience.nrao.edu/aq/). 

 

Comment un étudiant ou chercheur africain passionné d’astronomie peut-il participer à cette aventure scientifique depuis son pays ?

Comme mentionné dans ma réponse précédente, les observations du télescope seront accessibles à toutes et à tous. Donc un étudiant ou un chercheur africain pourra puiser dans la base des données observées par le Webb télescope après la création d’un compte : https://archive.stsci.edu/missions-and-data/jwst 

Aussi, pour ceux qui veulent avoir leurs propres observations : les astronomes de tous les pays peuvent utiliser les instruments du JWST, à condition d’avoir une proposition de temps de télescope qui soit approuvée par leurs pairs.  D’où l’intérêt des programmes ERS, qui sont responsables de délivrer des produits scientifiques, conseils et même un mode d’emploi afin d’aider les chercheurs à mieux préparer leurs demandes d’observation pour les prochains cycles.  Concrètement, il faut se rapprocher des responsables des différents programmes. Assez souvent des téléconférences et des ateliers dédiés sont organisés à distance.

À l’exception des scientifiques directement impliqués dans le projet Webb, la plupart des utilisateurs potentiels du JWST demandent du temps d’utilisation par le biais du programme général des observateurs, ou GO (pour General Observers program). Toute la documentation, ainsi que plusieurs outils indispensables pour la préparation de chacun de ces programmes comme les outils Astronomer Proposal Tool (APT) et Exposure Time Calculator (ETC) sont mis à la disposition des chercheurs sur le site : https://jwst-docs.stsci.edu/ 

J’aimerai également souligner l’existence de ressources en français, via le projet JWST France qui est porté par le CNES, le CEA et le CNRS. Le site https://www.jwst.fr/ propose plusieurs ressources en français pour les chercheurs et pour le grand public

Propos recueillis par David Baratoux

 

A titre d’exemple, le programme ERS PDR4all propose de fournir un ensemble de données modèles conçu pour identifier les caractéristiques clés des régions de photodissociation (PDRs) dans les spectres du JWST (https://pdrs4all.org/seps/). L’idée est de guider la préparation des propositions du cycle 2 sur les régions de formation d’étoiles dans notre Galaxie et au-delà. Ce programme a obtenu les premières observations infrarouges à haute résolution spectrale et à résolution spatiale de la barre d’Orion en utilisant les instruments NIRCam, NIRSpec et MIRI. PDR4all fait appel à la communauté au sens large, comme en témoigne le soutien d’une grande équipe internationale de 138 scientifiques et  aide la communauté intéressée par les observations JWST des PDRs grâce à des produits scientifiques qui guideront la planification des observations et permettront une analyse rapide des données.

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Maroc : Le festival d’astronomie d’Ifrane, une semaine sous les étoiles 

Maroc : Le festival d’astronomie d’Ifrane, une semaine sous les étoiles 

Chaque année, la ville d’Ifrane au ciel étoilé abrite un festival d’astronomie qui a pour objectif la vulgarisation des sciences de l’espace auprès des jeunes afin de stimuler leurs intérêts pour les sciences et technologies.

Le festival d’astronomie d’Ifrane est organisé par le club d’astronomie de l’université Al Akhawayn d’Ifrane. Il représente à plus d’un titre un événement scientifique et culturel phare dans la région du Moyen Atlas.

Le festival s’est orienté depuis son lancement en 2012 vers la promotion de l’astronomie auprès des jeunes, mettant en avant la discipline en tant que précurseur important pour l’apprentissage des sciences à l’école.

La 10ᵉ édition du festival d’astronomie d’Ifrane qui s’est déroulée du 22 au 26 juin 2022, avait pour thème « les jeunes astronomes ». Elle a connu l’organisation de nombreuses activités destinées au grand public, mais surtout aux enfants et aux jeunes pour les sensibiliser davantage et de manière ludique à la discipline.

Les festivaliers avaient accès à une panoplie d’activités culturelles  scientifiques tout autour du ciel et l’espace: les matinées astro dans des écoles de la région, des ateliers d’astronomie en plein air au centre-ville, des expositions de posters sur l’espace, des conférences grand public par des astronomes professionnels et amateurs, des sessions de vulgarisation en planétarium, une table ronde sur le thème de la jeunesse et les études des sciences de l’espace,  des compétitions, des films sur l’espace, des nuits d’observation du ciel nocturne avec les télescopes, etc..

En outre, et afin de promouvoir les astronomes marocains auprès des jeunes et du grand public,  les organisateurs du 10ᵉ festival d’astronomie d’Ifrane ont choisi d’honorer les deux jeunes astrophysiciens marocains Dr. Meriem El Yajouri et le Dr. Youssef Moulane en reconnaissance de leurs contributions et dévouement pour la vulgarisation de l’astronomie au Maroc.

Par Prof. Hassane Darhmaoui – Président du Festival d’Ifrane

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