LE MAGAZINE DES SCIENCES DE L’UNIVERS EN AFRIQUE
La vie des étoiles

La vie des étoiles

Les étoiles. Quand on regarde le ciel, elles sont là, immuables, presque rassurantes, toujours fidèles au rendez-vous. De toute éternité, semble-t-il. Pourtant, les étoiles ont bien une « vie ». Elles « naissent », « vieillissent », puis « meurent ». Environ dix nouvelles étoiles se forment chaque année dans notre Galaxie, la Voie lactée, qui en compte la bagatelle de cent milliards. Mais comment les étoiles se forment-elles ? À partir de quelle matière ? Comment leurs caractéristiques, notamment leur masse, sont-elles déterminées ? Quels rôles jouent-elles dans l’histoire de l’Univers ? C’est à toutes ces questions, dont nous verrons qu’elles sont centrales pour notre compréhension du monde, que nous tenterons de répondre ici.

 

Disons-le d’emblée, les étoiles sont LE grand moteur de l’Univers, de l’Univers complexe en tout cas. En effet, au sortir du Big Bang, il n’existe qu’un très petit nombre d’éléments chimiques : l’hydrogène et l’hélium, bien sûr et, hormis quelques traces infimes de lithium et de deutérium, c’est pratiquement tout. Pas de quoi aller bien loin, donc. En comparaison, un rapide coup d’œil au tableau périodique des éléments, aussi appelé tableau de Mendeleïev, nous en dévoile plus d’une centaine.

Une étoile, ça « sert » à quoi ?

Ce sont bien entendu nos étoiles qui sont les grands alchimistes du cosmos. En effet, seuls les cœurs stellaires, confinés par la gravité, sont en mesure de fournir les températures et les densités nécessaires pour allumer les réactions nucléaires qui engendreront des éléments nouveaux. Pierre philosophale de la toute première heure, elles font beaucoup mieux que transformer le plomb en or : les étoiles transforment l’hydrogène… en vie ! Enfin, en ses briques dans un premier temps. Les étoiles sont en effet responsables de la synthèse de pratiquement tous les éléments, par exemple, et pour ne citer qu’eux, de l’oxygène et du carbone. Ces éléments chimiques sont absolument essentiels à l’émergence de la complexité moléculaire, qui commence avec des molécules aussi modestes que le monoxyde de carbone (CO), l’eau (H2O), ou encore l’ion moléculaire HCO+ et se poursuit jusqu’aux molécules du vivant telles que l’ADN. Précisons que ces atomes et ces molécules, avant même de permettre la vie, jouent un rôle de premier plan dans la structuration des galaxies et même pour la formation des étoiles. En effet, atomes et molécules amènent le milieu interstellaire à se refroidir, c’est-à-dire à émettre des photons qui emportent leurs excès d’énergie, abaissant ainsi la température du gaz et facilitant, voire permettant, la contraction de ce dernier.

Mais les étoiles sont beaucoup plus que de simples alchimistes cosmiques, elles donnent également naissance aux planètes puis dispensent à ces dernières la chaleur et la lumière qui permettent, en tout cas sur Terre, à la vie de se développer puis de prospérer. En effet, les planètes naissent dans des disques de gaz et de poussière qui, comme on le verra plus en détail par la suite, apparaissent autour de l’étoile au moment où elle se forme. Une fois ce disque dissipé, un système planétaire est né. La durée de vie d’une étoile telle que notre Soleil étant de plusieurs milliards d’années, période durant laquelle il évolue très peu (on dit qu’il est sur la séquence principale), les planètes bénéficient d’un environnement très stable, ce qui, si elles se trouvent à la bonne distance de leur étoile pour avoir de l’eau à l’état liquide, comme la Terre, permet à la vie d’évoluer. Rappelons simplement ici que l’on a aujourd’hui observé directement plus de quatre mille planètes autour d’autres étoiles (fig. 1 et 2) et que, selon des arguments statistiques, on estime que le nombre d’exoplanètes dans la Galaxie est un peu supérieur à celui des étoiles.

1. Une planète récemment observée. L’étoile centrale est masquée afin de rendre l’observation possible. (ESO/J. Rameau)

2. Une naine brune (au centre) et sa planète. C’est la première fois qu’une planète est observée autour d’un objet aussi peu massif. (ESO)

 

La recette de la formation des étoiles

L’histoire commence dans le grand vide galactique. En fait, la nature en ayant horreur, de vide, il n’y a point. La Galaxie est remplie d’un gaz, composé pour l’essentiel d’hydrogène et d’hélium, encore appelé milieu interstellaire. Ce dernier est une composante importante de notre Galaxie puisque sa masse totale, à peu près dix milliards de masses solaires, est d’environ 10 % de celle des étoiles. Il s’agit là d’un fluide très complexe qui donne beaucoup de fil à retordre aux physiciens depuis plus d’un siècle ! En effet, le milieu interstellaire est un environnement multiphasique. En certains endroits, il peut être extrêmement brûlant, avec des températures atteignant le million de kelvins, alors qu’ailleurs il peut tomber au-dessous des dix kelvins, ce qui en fait l’une des régions les plus froides de l’Univers. Ces contrastes de température se conjuguent avec des contrastes de densité tout aussi extrêmes : les régions chaudes sont les plus ténues, ne contenant parfois que quelques milliers d’atomes par mètre cube, alors que les plus denses en contiennent plusieurs dizaines de milliards.

De plus, le milieu interstellaire, à la manière d’un torrent impétueux, est « turbulent », c’est-à-dire animé de mouvements aléatoires, et ce sur des distances allant du millier d’années-lumière jusqu’à la seconde-lumière. De surcroît, il présente un nombre de Mach élevé, c’est-à-dire que la vitesse du fluide est plusieurs fois supérieure à la vitesse du son. Ces mouvements supersoniques, en conjonction avec la force gravitationnelle, le rendent fortement compressible. Pour couronner le tout, le milieu interstellaire est également baigné d’un champ magnétique (fig. 3) qui co-évolue avec lui. Ce champ magnétique, qui agit un peu à la manière d’une pelote d’élastiques, rend les mouvements du fluide anisotropes. Il est plus facile aux éléments du fluide de se mouvoir le long du champ magnétique que dans la direction transverse. Gravité, turbulence, magnétisme, phase, c’est dans ce contexte que nos étoiles apparaissent.

3. Le plan de la Galaxie observé par le satellite Planck. Les contours montrent la structure du champ magnétique galactique. (esA/Planck Collaboration. Acknowledgement: M.-A. Miville-Deschênes, CNRs – institut d’astrophysique spatiale, université Paris-Xi, orsay (France)

Plus précisément, les étoiles se forment dans les régions denses du milieu interstellaire, encore appelées nuages moléculaires (fig. 4). Ces derniers, qui doivent leur nom au fait que l’hydrogène s’y trouve sous forme de dihydrogène (H2), sont en effet de vastes étendues dont la forme évoque celle des nuages atmosphériques. Ces géants, que l’on trouve souvent sous forme de filaments ou d’une collection de filaments (fig. 5, fig. 6 et 7), ont une taille qui dépasse la centaine d’années-lumière et pèsent jusqu’à cent mille masses solaires. Sous l’influence de la force de gravitation, les parties les plus denses de ces nuages, encore appelées cœurs denses préstellaires (fig. 8), vont se contracter, subissant une véritable implosion, un effondrement au cours duquel leur densité va augmenter de manière vertigineuse. De quelques dizaines de milliards de particules par mètre cube, celle-ci va progressivement croître pour atteindre plusieurs milliards de milliards de fois cette valeur. Quant à la taille, initialement de l’ordre de l’année-lumière, elle va diminuer jusqu’à finalement atteindre environ un rayon solaire, soit approximativement deux secondes-lumière. Une étoile est née ! Bien entendu, l’ensemble du processus n’est pas instantané. Il faut quelques centaines de milliers, peut-être un million, d’années pour que le cœur dense préstellaire donne naissance à un embryon stellaire puis que celui-ci accrète la masse qui constituera l’étoile.

 

4. Le nuage moléculaire du Taureau. Il s’agit de l’un des nuages formant des étoiles, les plus proches et les mieux étudiés. (Five College Radio Astronomy observatory (FCRAo), Gopal Narayanan / Mark Heyer)

 

5. Un nuage sombre de poussière cosmique serpente sur cette image spectaculaire à grand champ, éclairé par la lumière brillante de nouvelles étoiles. Ce nuage dense est une région de formation d’étoiles appelée Lupus 3, où des étoiles d’une chaleur éblouissante naissent de l’effondrement de masses de gaz et de poussière. Cette image a été créée à partir d’images prises à l’aide du VLT Survey Telescope et du télescope MPG/ESO de 2,2 mètres. Il s’agit de l’image la plus détaillée prise jusqu’à présent de cette région.

 

6. Un filament massif du nuage moléculaire d’Orion observé par le satellite Herschel. La direction du champ magnétique observée par Planck est également représentée. – 7. Un filament de gaz moléculaire situé dans le nuage du Taureau. (eso/APeX (MPifR/eso/oso)/A. Hacar et al./Digitized sky survey 2. Acknowledgment: Davide De Martin) – 8. Globule Barnard 68. Ce nuage est si dense qu’il est autogravitant, c’est-à-dire qu’il est confiné par sa propre force de gravité. Il produira peut- être une étoile dans le futur, s’il finit par s’effondrer sur lui-même. (ESO) – 9. Un disque protoplanétaire (centre de l’image) vu par la tranche. Sa taille est de quelques centaines d’unités astronomiques. (ESO)

 

Des disques, des jets : rotation et champ magnétique !

La formation d’une étoile est en fait plus complexe qu’un simple effondrement. Au moins deux phénomènes, aussi spectaculaires qu’essentiels, sont également à l’œuvre. Ils trouvent tous deux leur origine dans la rotation… En effet, la matière interstellaire étant animée de mouvements turbulents, un nuage, une fois cette turbulence dissipée, hérite d’un certain moment cinétique qui, lui, ne se dissipe pas. Or, à l’instar d’un patineur qui accélère quand il ramène ses bras tendus vers son corps, un nuage en rotation qui se contracte tourne de plus en plus vite. Tellement vite que la force centrifuge, celle-là même qui empêche la Lune de tomber sur la Terre, finit par s’opposer à la gravité, stoppant pour un temps l’effondrement gravitationnel. La force centrifuge ne s’exerçant que dans le plan de la rotation, le gaz adopte alors la forme d’un disque appelé encore disque d’accrétion (fig. 9).

Se pose alors un problème crucial. Puisque le gaz est à présent à l’équilibre et que le moment cinétique est conservé, le gaz est « piégé » dans le disque. Comment parvient-il alors jusqu’à l’étoile ? D’une manière ou d’une autre, le moment cinétique du disque doit diminuer, ce qui n’est possible que si le disque parvient à évacuer ce moment vers l’extérieur. C’est là qu’un autre acteur majeur entre en lice : le champ magnétique. En effet, les lignes de champ magnétique, qui, rappelons-le, se comportent un peu comme des élastiques, permettent aux différentes particules de fluide d’échanger de la rotation via la « tension magnétique ». Cela a pour effet de ralentir le disque et de permettre au gaz de poursuivre sa course jusqu’à l’étoile. Il faut croire que ce mécanisme est réellement efficace, car le moment cinétique du Soleil est environ un million de fois plus faible que celui contenu initialement dans le cœur dense préstellaire. Autrement dit, le moment cinétique des particules qui composent le Soleil a diminué d’un facteur un million au moment de la formation de ce dernier. L’existence de ces disques est d’une grande importance car c’est en leur sein que se forment les planètes (fig. 10).

 

10. Observation réalisée avec ALMA du disque protoplanétaire autour de l’étoile HL Tauri. On y voit des sillons qui, bien que cela reste à confirmer, pourraient être liés à la présence de planètes. (AlMA-eso/NAoJ/NRAo) –

Le champ magnétique et la rotation du gaz engendrent un autre phénomène étonnant, les jets protostellaires (fig. 11 et 12). Comme leur nom l’indique, les jets sont constitués de gaz éjecté à grande vitesse, jusqu’à 200 km/s, du voisinage de l’étoile. À la manière d’un jet d’eau, ils sont souvent très directionnels. En fait, ce mécanisme d’éjection est assez général en astrophysique et on le trouve très souvent associé aux phénomènes d’accrétion. C’est également le cas par exemple pour les noyaux actifs de galaxies, qui sont constitués d’un trou noir géant et qui donnent naissance à des jets de la taille d’une galaxie (fig. 13). L’émission des jets et l’évolution du disque d’accrétion sont encore imparfaitement comprises. Elles semblent étroitement liées l’une à l’autre, le jet permettant sans doute au disque d’évacuer son excès de moment cinétique.

11. Une protoétoile et son jet. Elle se situe dans la partie la plus sombre de l’image et on voit le jet qui en émane de part et d’autre. (eso) – 12. Un jet émanant d’une très jeune étoile. Il s’étend sur plusieurs années-lumière. (eso/M. McCaughrean)

13. La galaxie lenticulaire Centaurus A. On voit un jet de plusieurs dizaines de milliers d’années-lumière de long. Ce jet est la conséquence du trou noir central de cette galaxie qui accrète du gaz et des étoiles. (eso/WFi (optical); MPifR/eso/APeX/A.Weiss et al. (submillimetre); NAsA/CXC/CfA/R.Kraft et al. (X-ray))

 

Les étoiles se forment en amas

Tout observateur un peu attentif remarque immédiatement, lors d’une nuit dégagée, que les étoiles, loin de se répartir uniformément sur la voûte céleste, ont une tendance certaine à se regrouper. Parmi les plus beaux exemples visibles à l’œil nu, on trouve les Pléiades ou encore Orion (les figures 14 et 15  en montrent deux exemples moins connus). Par ailleurs, c’est à présent bien établi, environ la moitié des étoiles sont binaires, c’est-à-dire qu’elles possèdent un compagnon auquel elles sont liées par la force gravitationnelle. Les étoiles auraient-elles un instinct grégaire ? En un sens, oui, et ce d’autant plus qu’elles sont jeunes. À bien y réfléchir, la raison en est assez simple. C’est une fois encore notre bonne vieille gravité, assistée sans doute par la turbulence, qui en est responsable. Ainsi qu’on le sait depuis Newton, la force de gravité décroît comme l’inverse du carré de la distance. Dans le jargon des physiciens, on dit que c’est une force à « longue portée », c’est-à-dire que son influence se ressent même sur de grandes distances.

14. Le superamas d’étoiles Westerlund 1. Situé à environ 12 000 années-lumière, cet amas possède des étoiles jeunes et massives. (ESO)

15. L’amas Arches est le plus dense connu à ce jour dans la Galaxie. Situé à une centaine d’années-lumière du Centre galactique, il est sans doute âgé de 2 millions d’années. (ESO/P. espinoza)

La conséquence est que l’effondrement gravitationnel d’un nuage est un événement complexe. Tout se passe comme si le nuage s’effondrait à la fois globalement et localement, et ce de manière relativement synchronisée, c’est-à-dire dans un intervalle de temps assez court. Il en résulte un groupe d’étoiles formées à peu près en même temps et dans une région très limitée. Autrement dit, ces étoiles sont liées entre elles par leur force de gravité, et ce lien, s’il est assez fort, peut durer très longtemps. Ainsi, les amas globulaires (fig. 16), qui sont sans doute les résidus de la formation des étoiles des premières galaxies, ont un âge qui atteint la dizaine de milliards d’années. On observe des amas de toutes les tailles, allant de quelques étoiles jusqu’à plusieurs centaines de millions. Néanmoins, dans la majorité des cas, les amas d’étoiles ne sont pas suffisamment liés et finissent par se désolidariser, soit spontanément quand les étoiles massives explosent en expulsant du gaz, soit sous l’influence du champ gravitationnel galactique, qui tend à les détruire petit à petit. Les étoiles de ces amas suivent alors des trajectoires différentes et finissent par se disperser, perdant toute trace de leur origine commune. Vraiment toute ? Peut-être pas, car les amas d’étoiles semblent remarquablement homogènes chimiquement. Les abondances des différents éléments chimiques sont donc très proches d’une étoile à l’autre d’un même amas, qui possède ainsi une certaine signature chimique. Il est donc théoriquement possible de retrouver les étoiles qui se sont formées au sein d’un même amas.

16. L’amas globulaire géant Oméga Centauri. Situé à environ dix-sept mille années-lumière, il comporte environ trois cent mille étoiles. (eso/iNAF- Vst/omegaCAM. Acknowledgement: A. Grado, l. limatola/iNAF-Capodimonte observatory)

Précisons que les étoiles binaires se forment, elles, peut-être par un mécanisme différent lié à la rotation et aux disques d’accrétion. Quand ceux-ci sont suffisamment massifs, il est en effet envisageable que l’instabilité gravitationnelle se développe au sein du disque et conduise à la formation d’une autre étoile dans le disque (fig. 17 ). Comme la taille du disque est d’environ cent unités astronomiques ou moins, le compagnon ainsi formé se situe à peu près à cette distance. Bien entendu, des phénomènes de migration peuvent avoir lieu et amener les étoiles de la binaire ainsi formée à se rapprocher ou, au contraire, à s’éloigner l’une de l’autre.

17. Un système multiple en cours de formation. Au centre de l’image se trouve une binaire. Un troisième objet orbite autour des deux autres. Le gaz est en rotation autour des deux étoiles centrales. L’ensemble constitue peut- être un disque d’accrétion qui s’est fragmenté sous l’influence de la force de gravité. La structure fait une centaine d’unités astronomiques de rayon. (AlMA (ESO/NAOJ/NRAO)/J.J. tobin (University of oklahoma/leiden University)

 

Des grosses, des petites : tout un éventail de masses

Notre étoile, le Soleil, qui possède une masse d’environ 2.10^30 kg, soit environ 400 000 fois la masse de la Terre, est une étoile assez banale. Des étoiles, il en existe des grosses, jusqu’à au moins 200 fois la masse du Soleil, et des petites, moins d’un dixième de masse solaire. En fait, il en existe même de plus petites, enfin pas tout à fait de « vraies » étoiles. Pourquoi ? Elles sont trop peu massives pour que puisse avoir lieu la réaction nucléaire impliquant la conversion de l’hydrogène en hélium. Elles brûlent tout de même un élément, le deutérium, sorte de gros atome d’hydrogène contenant, en plus de son proton, un neutron. Ces astres, encore appelés naines brunes, peuvent donc avoir une masse beaucoup plus petite, un centième de masse solaire, peut-être même moins. Les étoiles et les naines brunes couvrent donc un spectre de masse qui s’étale sur plus de quatre ordres de grandeur et il est même possible que des étoiles encore plus grosses puissent exister, aucun mécanisme connu ne s’y opposant.

Pour autant, cela ne signifie pas, bien entendu, que toutes ces étoiles soient en nombre comparable. C’est même très loin d’être le cas. Les étoiles les plus abondantes sont plus petites que notre Soleil, environ trois fois moins massives. Ainsi, les étoiles moins massives que cette valeur deviennent de moins en moins nombreuses, jusqu’à même devenir rares pour les naines brunes de plus faible masse. De même, plus les étoiles sont massives, moins elles sont nombreuses. Les observateurs ont même trouvé que le nombre d’étoiles diminue comme leur masse à la puissance 2,3. Cette valeur, qui est connue depuis 1955, reste mal comprise sur le plan théorique. Elle joue pourtant un rôle absolument fondamental dans l’histoire de l’Univers car, on le verra par la suite, les étoiles de masses différentes ont des comportements et des propriétés bien spécifiques. Les idées les plus modernes pour expliquer la distribution de masse des étoiles mettent en avant le rôle de la gravité ainsi que celui de la turbulence. Cette dernière crée des fluctuations de la densité du gaz qui sont ensuite amplifiées par la gravité. Elle tend alors à les isoler du reste de l’écoulement et induit leur effondrement.

Comme on le pressent assez naturellement, les caractéristiques d’une étoile dépendent fortement de sa masse. Par exemple, la luminosité d’une étoile, c’est-à-dire le nombre de photons émis depuis la surface à chaque seconde, est proportionnelle au cube de sa masse. Cela signifie qu’une étoile de dix masses solaires brille comme mille Soleils ! Cette forte dépendance est une conséquence de la loi dite du corps noir. Cette loi bien connue en physique stipule qu’un tel corps – un four bien isolé en est un exemple – rayonne comme sa température à la puissance quatre. Or, il se trouve qu’une étoile est un excellent corps noir . Contrairement à ce que l’on pourrait croire, une étoile est en effet très opaque. Les photons qui voyagent dans une étoile ne cessent de se heurter aux électrons et aux noyaux : ils doivent véritablement se frayer un chemin jusqu’à la surface. Plusieurs dizaines de milliers d’années leur sont nécessaires pour faire un trajet qui leur prendrait deux secondes dans le vide !

Cette forte dépendance de la luminosité à la masse de l’étoile n’est pas sans conséquence. En effet, rayonner coûte de l’énergie à une étoile. Chaque photon émis tend à la refroidir et, pour maintenir sa température élevée, elle doit puiser dans ses ressources. Ces dernières n’étant pas infinies, elles finissent par s’épuiser. Dans une étoile, la seule source d’énergie vient des réactions nucléaires, celles-là mêmes qui convertissent l’hydrogène en éléments lourds. L’énergie émise provient en fait de la légère perte de masse qui a lieu au cours de ces transformations selon la célèbre formule E = mc2. Ainsi, la réserve en énergie d’une étoile est proportionnelle à sa masse. Mais comme, rappelons-le, la luminosité dépend du cube de la masse, cela signifie que le temps mis pour consommer toute l’énergie disponible, soit approximativement la durée de vie de l’étoile, est donc inversement proportionnel au carré de la masse de l’étoile.

Les grosses étoiles, en particulier, vivent un temps très court. Une étoile de dix masses solaires vit environ cent millions d’années ; les plus grosses étoiles connues vivent environ quatre millions d’années. À l’échelle cosmique, c’est un temps dérisoire. Rappelons par exemple que le Soleil, aujourd’hui âgé de cinq milliards d’années, en vivra encore cinq autres. Quant aux petites étoiles, elles vivent donc plus longtemps que le Soleil. Ainsi une étoile de 0,7 masse solaire vit plus de quinze milliards années, l’âge de l’Univers. Les petites étoiles sont donc virtuellement immortelles ! Les premières à s’être formées sont toujours présentes. Elles constituent autant de fossiles cosmiques, témoins privilégiés des débuts de l’Univers, encore peu en mesure de former des étoiles. Bien entendu, elles sont activement recherchées par les astronomes.

18. Le reste de la supernova 1987A vu par l’interféromètre ALMA. (AlMA:eso/NAoJ/NRAo/A.)

La formation des étoiles : un processus diablement inefficace

À chaque instant, quantité d’événements ont lieu au sein des galaxies : le ballet des étoiles qui tournent, celui du gaz qui bouillonne, explose ou jaillit. Comment comprendre et quantifier toute cette agitation ? Parmi tous les chiffres auxquels on peut penser, il en est un qui continue de faire l’objet d’une attention toute particulière ; on peut même dire que c’est l’un des graals de l’astrophysique contemporaine. Il s’agit du taux de formation des étoiles (star formation rate en anglais). Cette quantité décrit simplement le nombre d’étoiles formées en une année. Étant donné le rôle majeur joué par les étoiles, on comprend bien pourquoi elle est si importante. Les observations montrent que dans le cas de notre Galaxie par exemple, environ dix nouvelles étoiles, soit en masse l’équivalent de trois nouveaux Soleils, se forment chaque année. Les astrophysiciens essaient depuis plus d’un demi-siècle de comprendre ce résultat en apparence simple… sans y parvenir.

L’origine du problème est la suivante : la force de gravité qui s’exerce dans un milieu agit en un temps caractéristique, encore appelé temps de chute libre. En substance, c’est le temps que le milieu en question met pour s’effondrer sur lui-même. Dans le cas du gaz pouvant former des étoiles dans la Galaxie, ce temps vaut à peu près un million d’années. Par ailleurs, la masse de gaz dense est, elle, de l’ordre d’un milliard de masses solaires. En divisant cette masse par le temps de chute libre, on s’attendrait à avoir une estimation du taux de formation d’étoiles; or, un calcul élémentaire conduit à la valeur de mille masses solaires par an, ce qui est trois cents fois supérieur à la valeur observée ! La conclusion qui s’impose est donc que le gaz dans la Galaxie n’est pas en chute libre. Un ou plusieurs processus physiques s’opposent à la force de gravité. En dépit de nombreux efforts, cinquante années de recherche n’ont pas permis d’élucider avec précision la raison de cette inefficacité, même si des progrès importants ont été réalisés.

Plusieurs pistes ont été explorées. Ainsi, on a d’abord proposé que le champ magnétique, encore lui, pouvait expliquer le faible taux de formation d’étoiles. Pour ce faire, l’intensité magnétique doit être élevée, de sorte que la force magnétique domine la force gravitationnelle. Or, bien que le champ magnétique soit une quantité difficile à mesurer, l’acharnement des astrophysiciens a fini par révéler que ce dernier était sans doute trop faible pour s’opposer efficacement à la gravité. Dans un second temps, une nouvelle hypothèse a été explorée, la turbulence. Les mouvements désordonnés du fluide constituent un obstacle pour la gravité et, s’ils sont assez forts, ils peuvent même l’empêcher d’agir. Néanmoins, la turbulence a cette particularité qu’elle se dissipe rapidement : à peine une particule de fluide a-t-elle le temps de traverser le nuage, que déjà l’intensité de la turbulence a très fortement décru. Il faut donc des sources puissantes pour, sans cesse, régénérer la turbulence, et ce sont ces sources qui font défaut ici.

La dernière hypothèse, toujours en cours d’investigation, est que la rétroaction exercée par les jeunes étoiles formées, particulièrement les massives, disperse le gaz et limite l’efficacité de la gravité. De quoi s’agit-il exactement ? Les étoiles au cours de leur vie, et plus particulièrement à leur début et à leur fin, dégagent des quantités importantes d’énergie sous forme de rayonnement ou de matière. On a déjà évoqué les jets qui accompagnent très souvent les processus d’accrétion. Il y a également le rayonnement très intense des jeunes étoiles. Il peut ioniser le gaz environnant (fig. 19 et 20) et de ce fait le chauffer jusqu’à des températures de milliers de degrés. Ces bulles chaudes et ionisées repoussent alors le gaz du nuage dans lequel l’étoile est née et finissent par le détruire. Enfin, les étoiles massives en fin de vie émettent des vents puissants et finissent par exploser en supernovae (fig. 18). Ces dernières émettent en un temps très court une quantité gigantesque d’énergie et deviennent même plus lumineuses que la Galaxie. Une fantastique onde de choc est émise, créant une bulle de trois cents années-lumière. Bien entendu, une telle explosion n’est pas sans conséquence sur les nuages de gaz qui se trouvent à proximité. Ceux-ci sont dispersés, ce qui arrête instantanément la formation des étoiles.

19. Le nuage moléculaire de la nébuleuse d’Orion est ionisé par le rayonnement produit par les étoiles massives situées à proximité.

 

Les modèles actuels, qui prennent en compte l’ensemble de ces phénomènes – champ magnétique, turbulence et rétroaction stellaire –, obtiennent des taux de formation stellaire en bien meilleur accord avec les observations, quoique sans doute encore trop élevés. Du fait de la complexité du problème et des difficultés à le modéliser, la raison de ce désaccord n’est pas encore bien claire. Est-ce dû à un processus manquant ou à une insuffisance dans les calculs ? Les recherches continuent.

20. Les Piliers de la création pris par le télescope Hubble dans le visible (gauche) et l’infrarouge (droite). Situées dans la nébuleuse de l’Aigle, ces structures de gaz sont érodées par le rayonnement ionisant dû aux étoiles massives proches. (ESO)

 

L’écologie galactique

Gravité, turbulence, champ magnétique, rétroaction stellaire, rayonnement, chimie : la formation des étoiles implique de nombreux processus, de nombreux champs du savoir. Tous ces phénomènes interagissent, « se couplent », dit-on en physique. De plus, les échelles spatiales impliquées vont de la centaine d’années-lumière, soit la taille des nuages moléculaires géants, jusqu’à la seconde-lumière, soit la taille d’une étoile. C’est à peu près comme si l’on comparait la taille de la Terre et celle d’une fourmi. Nombreux processus physiques, grandes dynamiques d’échelles, formation de structures, rétroaction, voilà un ensemble qui n’est pas dissociable de ses parties. Un ensemble cohérent qui n’est pas sans rappeler, sur le principe uniquement bien sûr, la complexité du climat terrestre. À ce titre, il n’est sans doute pas exagéré de parler d’un écosystème galactique. De fait, les galaxies présentent une organisation qui va bien au-delà des nuages moléculaires géants dont nous avons déjà mentionné l’existence et le rôle dans la formation des étoiles (fig. 21).

Pour bien percevoir qu’une telle organisation est bien à l’œuvre, examinons quelques échelles de temps. On l’a déjà dit, notre Galaxie possède environ un milliard de masses solaires de gaz moléculaire. Comme par ailleurs elle forme environ trois masses solaires d’étoiles par an, cela implique qu’en moins d’un milliard d’années, notre Galaxie aura épuisé son gaz. Or, notre Galaxie est âgée de dix milliards d’années et tout laisse penser que durant ce laps de temps, sa vie a été en tout point identique à ce qu’elle est aujourd’hui. Il y a donc une contradiction apparente. Dans le même ordre d’idée, si l’on tient compte de toutes les générations d’étoiles qui ont déjà vécu, l’enrichissement du gaz interstellaire en éléments lourds (carbone, oxygène…) devrait être bien supérieur à ce qu’il est aujourd’hui. Une conclusion s’impose : notre Galaxie continue de grossir… Du gaz intergalactique pauvre en éléments lourds, celui-là même qui à l’origine forma la Voie lactée, continue, sous l’influence du champ gravitationnel galactique, de tomber sur celle-ci, venant se mélanger au milieu interstellaire galactique. En fait, on estime que la Galaxie reçoit environ trois masses solaires de gaz chaque année, de sorte que le gaz transformé en étoiles est remplacé par ce gaz venu du milieu dit intergalactique.

L’image qui peu à peu émerge est donc celle de galaxies nourries par du gaz primordial qui se mélange au gaz galactique, sous l’influence de la force de gravité assistée par les mouvements turbulents. Ce gaz s’assemble en nuages géants, puis en cœurs préstellaires qui s’effondrent et forment des étoiles. Ces dernières synthétisent les éléments chimiques lourds puis les dispersent à la fin de leur vie, notamment lors des explosions de supernovae. Ces éjecta se mélangent au gaz ambiant en même temps qu’ils détruisent les nuages moléculaires. Après un grand brassage, ce gaz finira par se contracter de nouveau, poursuivant ainsi le cycle de la matière interstellaire. Bien entendu, toutes les galaxies ne sont pas identiques à la nôtre, certaines forment encore beaucoup plus d’étoiles, d’autres n’en forment pratiquement plus aujourd’hui. Toutes, néanmoins, connaissent ou ont connu une phase active de formation d’étoiles et un cycle de la matière interstellaire. Comme l’histoire de la formation des étoiles varie d’une galaxie à l’autre, voire d’un endroit à l’autre d’une même galaxie, on s’attend à ce que l’abondance des éléments chimiques lourds, encore appelée « métallicité », varie, et c’est précisément ce qui est observé. La métallicité varie de moins d’un dixième, de la valeur dite solaire, c’est-à-dire correspondant à la composition de notre Soleil, à plus de trois fois cette valeur.

21. La galaxie spirale NGC1232. Plusieurs bras spiraux sont visibles. Ils contiennent des nuages moléculaires qui forment activement des étoiles. (eso)

 

Notre Univers est donc très profondément organisé et structuré par les étoiles. Des galaxies aux planètes, en passant par les nuages de gaz interstellaires, toutes les structures subissent leurs influences. Pour reprendre l’expression chère à Hubert Reeves, nous sommes bien des « poussières d’étoiles ». Comprendre l’histoire et les détails de leur formation, c’est comprendre la grande mécanique de l’Univers et la toute première étape de notre propre histoire.

 

Patrick Hennebelle | AIM – CEA

 

Pour aller plus loin

  • Derek Ward-Thompson, Anthony P. Whitworth, An Introduction to Star Formation, Cambridge University Press, 2011. ISBN 9780521630306.
  • Steven W. Stahler, Francesco Palla, The Formation of Stars, Wiley-VCH, janvier 2005, p. 865. ISBN 3-527-40559-3.
  • Christopher McKee, Eve Ostriker, « Theory of Star Formation », Annual Review of Astronomy & Astrophysics, vol. 45, Issue 1, p. 565-687.
  • Patrick Hennebelle, Edith Falgarone, « Turbulent Molecular Clouds », The Astronomy and Astrophysics Review, vol. 20, article id. 55.
  • James Lequeux, avec la contribution de Edith Falgarone et Charles Ryter, Le Milieu Interstellaire, EDP Sciences, coll. « Savoirs actuels ».

 

Détection d’une source FRB dans la Grande Ourse

Détection d’une source FRB dans la Grande Ourse

Une source de sursauts radio rapides a été détectée dans la galaxie Messier 81 de la Grande Ourse.

La galaxie M 81, où les sursauts radio ont été observés. En dessous, la galaxie M 82 (vue par la tranche). [photo : Maxime Tessier, collectif NOX]

Les sursauts radio rapides (FRB pour Fast Radio Burst en anglais) sont des impulsions radio extrêmement énergétiques durant seulement quelques millisecondes. Leur brièveté indique que la taille des sources ne dépasse pas le millier de kilomètres. Et pourtant, elles sont si puissantes que l’on peut en observer depuis des distances de centaines de millions d’années-lumière (al). De plus, certaines sources émettent des FRB de façon répétitive, quoique sans régularité. La première source répétitive découverte, FRB 121102, fait partie d’une galaxie naine située à plus de trois milliards d’al. La plupart des FRB connus viennent de sources lointaines, et cela ne facilite pas leur observation, notamment parce qu’il est difficile d’y détecter des rayonnements à d’autres longueurs d’onde.

Cette absence de contrepartie en rayons X et gamma est-elle un effet de la distance ou une absence réelle d’émission ? Pour répondre à cette question, il est souhaitable de découvrir des sources de FRB plus proches de notre Galaxie, ou même dans celle-ci. En 2020, un magnétar de notre Galaxie,  SGR 1935+2154, connu préalablement pour des phases d’éruption en rayons X, a émis deux signaux radio ayant plusieurs caractéristiques d’un FRB, mais 40 fois moins énergétiques [1]. Ces signaux ont été émis durant une éruption en rayons X, mais les autres éruptions en X n’ont pas montré de signaux ressemblant à des FRB, et des FRB encore plus faibles ont été émis cette fois-ci sans contrepartie mesurable en rayons X. Il n’est donc pas évident d’associer FRB et émissions en X de manière simple. Une source de FRB nommée FRB 20200120E, plus puissante que SGR 1935+2154, a été découverte dans une voisine proche : la galaxie spirale Messier 81, dite galaxie de Bode, dans la Grande Ourse [2].

Plus précisément, la source est située dans un amas globulaire de M 81. Cette source située à 11 millions d’al est beaucoup plus proche que toutes les autres sources de FRB puissants connues. FRB 20200120E est très actif, on a observé de nombreux sursauts, dont une éruption de 40 minutes durant laquelle 53 sursauts ont été observés. Pour le moment, avec cette source, aucune contrepartie aux FRB hors du domaine radio n’a été observée. Cependant, cette source n’est pas totalement typique des autres FRB connus, car ses impulsions radio, au lieu de durer seulement quelques millisecondes, s’étendent sur des centaines de millisecondes. Cela suggère la possibilité d’une source d’émissions radio de plus grande taille. Et surtout, on ne sait pas si l’on doit rattacher cet objet à la famille des FRB déjà connus, ou à une nouvelle famille d’éruptions radio « moins rapides ».

 

Trois sursauts radio… pas si rapides en fait, en provenance de FRB 20200120E situé dans M 81. L’intensité des émissions radio est représentée en fonction du temps. Le signal est représenté sur une durée excédant légèrement une seconde.

 

Fabrice Mottez , Observatoire de Paris-PSL

 

Notes

  1. Bochenek et al., Nature, vol. 587, Issue 7832, p. 59-62, 2020.
  2. Nimo et al., MNRAS, sous presse, 2022.

 

 

Eraendel, L’étoile la plus distante jamais observée

Eraendel, L’étoile la plus distante jamais observée

Le télescope spatial Hubble a fait une nouvelle découverte extraordinaire en détectant la lumière d’une étoile qui a existé au cours du premier milliard d’années après la naissance de l’Univers lors du Big Bang. Il s’agit de l’étoile la plus éloignée jamais observée à ce jour.

Un détail de la vue ci-dessus montre « l’arc du Soleil levant », contenant les 6 images de deux amas d’étoiles. Les deux plus brillantes images sont désignées par une flèche. L’image de l’étoile Earendel est unique. La ligne en pointillé indique la région d’amplification maximale de la lumière par effet de lentille gravitationnelle selon les modèles employés dans cette étude. L’étoile Earendel est observable individuellement (à une magnitude de 27) précisément parce qu’elle se trouve, par hasard, sur cette ligne. [SCIENCE: NASA, ESA, Brian Welch (JHU), Dan Coe (STScI), IMAGE PROCESSING: NASA, ESA, Alyssa Pagan (STScI)]

Tout commence avec un amas très massif de galaxies, nommé WHL0137-08, situé à une distance caractérisée par un décalage cosmologique vers le rouge z = 0,566. Derrière cet amas de galaxies se trouve une autre galaxie, beaucoup plus éloignée, à z = 6,2, soit une distance de 12 milliards d’années-lumière. On ne la voit pas directement, car l’amas WHL0137-08 est assez épais pour la masquer. En revanche, par effet de lentille gravitationnelle, des rayons lumineux en provenance de la lointaine galaxie, qui en l’absence de WHL0137-08 seraient à peine perceptibles, apparaissent comme un arc de lumière d’une longueur apparente de 15 secondes d’arc. Cet arc, catalogué sous le nom WHL0137-zD1 et surnommé « l’arc du Soleil levant », est la somme de plusieurs images de la très lointaine galaxie, chacune de ces images étant étirée par les effets relativistes de propagation de la lumière dans le champ de gravitation de l’amas WHL0137-08.

Une équipe internationale conduite par Brian Welch, de l’université Johns-Hopkins (Baltimore, É.-U.), s’est fondée sur plusieurs relevés de l’arc du Soleil levant par le télescope spatial Hubble pour déceler, à l’aide de modèles de la lentille gravitationnelle, des sous-structures de la lointaine galaxie à z = 6,2 [1]. Les auteurs de cette étude ont utilisé quatre modèles de la lentille gravitationnelle, fondés sur des hypothèses différentes concernant les propriétés de l’amas de galaxies WHL0137-08 qui sert de lentille, et dont la forme est relativement complexe. Selon les modèles, toutes les régions de la galaxie lointaine ne sont pas également amplifiées en luminosité. Mais ils permettent de comprendre que l’arc comporte en particulier trois images de deux amas d’étoiles (soit 6 régions en surbrillance). Une autre région en surbrillance n’apparaît qu’une fois, et elle se situe dans une région particulièrement favorable à l’amplification en intensité lumineuse par la lentille gravitationnelle. L’analyse montre que c’est un objet de taille inférieure à un parsec, ce n’est donc pas un amas d’étoiles.

Il s’agit soit d’une étoile, soit d’un système d’étoiles multiples. C’en est une parmi les milliards d’étoiles de la galaxie lointaine, qui se trouve par le jeu du hasard dans de très bonnes conditions pour être vue depuis la Terre grâce à la lentille gravitationnelle formée par l’amas de

galaxies plus proche WHL0137-08. L’étoile (simple ou multiple) a été baptisée WHL0137-LS, mais aussi « Earendel », ce qui signifie « étoile du matin » en vieil anglais. Cela va bien avec le nom de « l’arc du Soleil levant » où elle a été découverte ! La magnitude absolue d’Earendel est estimée entre –8 et –12 ; elle brille comme des centaines de milliers de Soleils [2]. Les modèles d’évolution stellaire impliquent que sa masse, s’il s’agit d’une seule étoile, est comprise entre 40 et 500 masses solaires. Ce serait une étoile de type O, ou O-B ou A, et sa température de surface serait de l’ordre de 8 000 K (pour une masse de 40 masses solaires) et de 60 000 K pour une masse supérieure à 100 masses solaires. Ces paramètres sont conformes à l’idée que les étoiles de la première génération étaient très massives, très chaudes (étoiles dites de population III). Elles avaient aussi la vie brève, en comparaison de l’âge de leur galaxie, réduite à quelques dizaines de millions d’années.

L’étoile est-elle seule ou dans un système multiple ? Selon les auteurs, il y a peu de chances qu’elle soit seule, mais une des étoiles du système domine probablement les autres en masse et en luminosité. Il est donc probable que ce que nous voyons d’Earendel est surtout le fait d’une étoile très brillante, entourée d’un petit nombre d’étoiles beaucoup moins lumineuses.

Des amas d’étoiles dans une galaxie avaient déjà été identifiés (par la même méthode de lentille gravitationnelle) dans une autre galaxie, à une distance z = 6,14.

Avec un décalage cosmologique z = 6,2, Earendel est la plus lointaine étoile jamais observée. Le modèle standard de la cosmologie nous indique qu’à z = 6,2, l’étoile nous apparaît telle qu’elle était 900 millions d’années après le Big Bang, quand l’Univers avait 7 % de son âge actuel. L’analyse de la lumière infrarouge d’Earendel est un bon objectif pour des observations par le JWST afin de mieux caractériser cette étoile très ancienne.

Fabrice Mottez, Observatoire de Paris-PSL

 

Notes

  1. Welch et al., « A highly magnified star at redshift 6.2 », Nature 603, 2022.
  2. Le Soleil a une magnitude absolue de +4,8, et chaque écart de –5 magnitudes correspond à une multiplication de la luminosité par 100.
Les météores ne traverseront plus le ciel Africain incognito !

Les météores ne traverseront plus le ciel Africain incognito !

L’espace interplanétaire (l’espace entre les planètes du Système Solaire) est-il essentiellement vide ? Pas tout à fait. Il existe des objets solides de dimensions variées, de la taille d’une poussière à plusieurs dizaines de kilomètres de diamètre. Ces objets sont issus de comètes, ou proviennent de la ceinture d’astéroïdes. En effet, le matériau cométaire, composé de glaces d’eau, de composés organiques et minéraux silicatés, va être libéré lors du passage des comètes au voisinage du Soleil, en raison de l’élévation de la température à la surface de ces objets. D’autre part, les collisions et interactions gravitationnelles ayant lieu dans la ceinture d’astéroïdes sont responsables de la présence de fragments de roches sur des orbites qui intersectent celles des planètes internes (Mercure, Vénus, la Terre, et Mars). Cette matière extra-terrestre entre régulièrement en collisions avec la Terre, et ce sont plusieurs milliers de tonnes par an qui pénètrent l’atmosphère terrestre sous forme de micrométéorites.

1. Caméra FRIPON de Marrakech et détection d’un météore très brillant le 8 avril 2021

 

Les plus petits objets, les poussières, arrivent rarement au sol, et forment des météores, ou étoiles filantes. Les pluies d’étoiles filantes se produisent lorsque la densité de poussière est plus élevée, lorsque notre planète entre en collision avec un nuage de poussière formé dans le sillage d’une comète sur son passage. Les plus gros objets d’au moins quelques dizaines de centimètres de diamètre vont se fragmenter et apparaître sous la forme de bolides particulièrement lumineux, parfois visibles en plein jour, comme lors de l’événement de Tcheliabinsk en Russie. Il est possible alors de retrouver des fragments de ces objets au sol, ce sont les météorites.

Dans les belles nuits étoilées, nous observons très souvent ces “étoiles filantes” et avant qu’elles ne “tombent”, nous formulons des vœux secrètement conçus. Pour les scientifiques, il est essentiel de comprendre à la fois le flux (la quantité de matière apportée chaque année), la composition chimique et minéralogique, et l’origine de cette matière extraterrestre (sa provenance parmi les nombreux objets du Système Solaire).

Pour se faire, plusieurs parties du monde ont déjà mis en place des réseaux de surveillance des météores. L’objectif est de placer des caméras espacées de quelques dizaines à centaines de kilomètres les unes des autres pour enregistrer la trajectoire des météores, et remonter ainsi à l’orbite de l’objet. Lorsque l’intensité lumineuse du météore est importante, on parle de bolide, et on peut s’attendre à ce qu’un fragment de roche puisse être trouvé au sol. Une météorite “fraîche”, c’est-à-dire n’ayant pas été transformée au contact des fluides terrestres, qui vont progressivement altérer sa composition chimique et sa minéralogie, a une très grande valeur scientifique, car ces objets sont des vestiges de la formation de notre Système Solaire. Leur étude vise à comprendre l’origine des planètes, et les causes des évolutions différentes des planètes solides – les questions de l’origine de l’eau et de la vie sur Terre sont donc au cœur de ces recherches. De tels réseaux de surveillance existent déjà en Europe (France: https://www.vigie-ciel.org/le-projet-fripon/, République Tchèque, Italie) au Canada (e.g;, http://bcmeteors.net)  et en Australie (Desert Fireball Network, http://fireballsinthesky.com.au/, ou DFN, piloté par l’Université de Curtin), avec également des initiatives à l’échelle mondiale (https://globalmeteornetwork.org/)

Depuis quelques années seulement, l’Afrique participe à cette aventure, avec en particulier le Maroc, le Burkina Faso, et bientôt le Sénégal, et ce sous l’impulsion de l’Initiative Africaine pour les Sciences des Planètes et de l’Espace (http://africapss.org), avec plus récemment le projet “Astrophysics and Planetary Science in Africa”, financé par le CNRS (France).

 

Au Maroc

Le réseau FRIPON est en développement au Maroc avec pour l’instant une caméra en fonctionnement près de Marrakech. Il est prévu d’installer trois autres caméras à Benguerir (Université Mohamed 6 Polytechnique) , Casablanca (Université Hassan II de Casablanca)   et Ifrane (Al Akhawayn University). Avec ces quatre caméras il sera possible de surveiller une grande partie de la plaine Marocaine.  Ce projet se fait en collaboration avec le réseau Australien DFN qui a déjà cinq caméras installées dans des zones montagneuses. A terme les deux réseaux vont couvrir l’ensemble du Maroc, les plaines et les régions côtières pour FRIPON et les régions montagneuses et désertiques pour le DFN.

 

Au Burkina Faso

Depuis Mars 2022 trône sur le toit du Laboratoire de Physique et de Chimie de l’Environnement (LPCE) de l’Université Joseph Ki-Zerbo, un œil sur le ciel, une caméra FRIPON, installée grâce à la collaboration avec l’Observatoire de Paris et l’Observatoire d’Astrophysique de la Côte d’Azure (OCA).

L’observation continue du ciel avec FRIPON aidera à retrouver les objets tombés au Burkina Faso. Après la première caméra installée à Ouagadougou, la seconde caméra  est en cours de déploiement à Koudougou ensuite suivront Bobo Dioulasso, Fada et Ouahigouya (dans les universités du pays). Ce réseau de dispositifs d’observation permettra de connaître où est tombé un débris entré dans l’atmosphère au Burkina Faso.

2. FRIPON Burkina Faso

 

Au Sénégal

La mission en cours du 4 au 14 Octobre 2022. François Colas, David Baratoux et Sylma Sylla Mbaye, avait pour objectif de sillonner les routes du pays de la Teranga pour installer les 4 premières caméras d’un réseau qui peu à peu vise à couvrir l’Afrique de l’Ouest. Les 4 premières caméras sont installées à l’IRD-Sénégal (Campus Hann-Maristes) aux ENO (UVS) de Mbour et de Diourbel, et l’hôtel Royal Malango à Fatick. Si le Burkina et le Maroc sont connus pour leurs météorites, il faut noter qu’aucune météorite n’a été retrouvée au Sénégal. Ce pays serait-il épargné ? Bien sûr que non, même si des petites variations de flux de météorites existent, en particulier en fonction de la latitude, on s’attend à plusieurs chutes de météorites par décennies sur un pays de la surface du Sénégal. En revanche, il est possible que l’altération, dans le climat Sahélien, avec une saison des pluies, même dans les régions les plus septentrionales du pays, à la frontière avec la Mauritanie, soit responsable d’une altération suffisamment rapide des météorites, ce qui limite les trouvailles ultérieures. Cependant, il est probable que les agriculteurs et habitants des régions rurales observent régulièrement des météores et aient été témoin de chutes de météorites par le passé. L’installation d’un réseau de surveillance des météores au Sénégal, et les actions de diffusion de connaissance associées à ce projet, permettront sans doute de faire quelques trouvailles. Les caméras seront installées dans le cadre d’un partenariat entre

l’Université Virtuelle du Sénégal (UVS) l’Association Sénégalaise pour la Promotion de l’Astronomie (ASPA), l’Université Cheikh Anta Diop de Dakar (UCAD), le Centre National de la Recherche Scientifique (CNRS) et l’Institut de Recherche pour le Développement (IRD). Les équipements et la mission au Sénégal ont été financés par le DIM-ACAV (région Ile d’Ile de France) et le dispositif du CNRS de soutien à l’Afrique Sub-Sharienne (projet Astrophysics and Planetary in West Africa, AWA).

3. Installation des quatre premières caméras au Sénégal à Dakar (IRD), aux ENO (UVS) de Mbour et Diourbel et à l’Hôtel Royal Malango à Fatick. La surface couverte sera de 60 000 km2, dont 40 000 km2 sur le continent soit un cinquième de la surface du Sénégal.

 

David Baratoux, François Colas, Salma Sylla, Zacharie Kam, Zouhair Benkhaldoun

Interview JWST – Meriem El Yajouri

Interview JWST – Meriem El Yajouri

Quelle est l’origine du projet JWST ? 

Dès les années 80, les chercheurs ont commencé à imaginer à quoi devrait ressembler la future génération de télescopes spatiaux et en particulier le successeur du télescope spatial Hubble (HST) tout en aspirant à répondre aux grandes questions scientifiques : observer plus loin dans l’univers, rechercher les premières étoiles et galaxies créées après le Big Bang, mieux comprendre comment les planètes, les étoiles et les galaxies naissent et évoluent au fil du temps. 

Au départ, le télescope spatial James Webb a été conçu pour capter le rayonnement extrêmement faible émis par la première génération de galaxies, qui a dû se former 100 à 200 millions d’années après la naissance de l’Univers.  Comme l’Univers est en expansion, la lumière de ces galaxies lointaines est atténuée et étirée vers des longueurs d’onde infrarouges, c’est ce qu’on appelle le décalage vers le rouge (ou redshift). Il est donc très difficile de les voir et de les identifier, car elles sont très faibles et très rouges. Il a fallu donc deux caractéristiques au JWST : une très grande sensibilité à la lumière faible et être capable de voir dans l’infrarouge. Le JWST est donc le premier télescope doté d’un miroir suffisamment grand (6m50) et d’instruments suffisamment froids pour sonder notre Univers dans l’infrarouge proche et moyen (0.6-28 microns). Combiné à sa résolution spatiale, cela permettra de dévoiler des détails avec une précision sans précédent d’objets proches et d’observer des objets lointains. 

 

Comment t’es-tu retrouvée impliquée dans ce projet ? 

Durant l’été 2021, j’étais en recherche active de postdoctorat. Je suis tombée par hasard sur une annonce concernant une offre de postdoctorat JWST à l’Institut d’Astrophysique Spatiale (IAS) en France.  Sur les conseils avisés de Jacques Lebourlot qui m’a recommandé de postuler, j’ai constitué un dossier, rédigé un rapport de recherche et sollicité des lettres de recommandation. Ensuite, il a fallu effectuer une présentation sur mes travaux antérieurs pour l’étape finale de la sélection. J’ai rejoint l’équipe en octobre 2021 et je suis très heureuse de faire partie de l’aventure JWST du groupe Astrophysique du Milieu Interstellaire (AMIS) à l’IAS.

Mon projet de recherche concerne l’étude des macromolécules et de la poussière dans les régions de photodissociation (PDRs) à l’aide des observations du JWST. Ces régions neutres du milieu interstellaire, à l’interface des nuages moléculaires, sont dominées par des photons ultraviolets qui influencent fortement les processus physiques et chimiques. 

Devenir un expert dans l’analyse de la physique et de la chimie du milieu interstellaire, nécessiterait d’étudier les modèles théoriques des régions de photodissociation et de les comparer aux observations. À ces fins, les capacités des instruments du JWST en termes de résolution spatiale et de sensibilité sont parfaitement adaptées aux échelles auxquelles les environnements des PDRs changent. Sur cet aspect, l’équipe du groupe de recherche AMIS de l’IAS rassemble toute l’expertise : elle est profondément impliquée dans l’un des programmes précoces du JWST (Early Release Science; ERS) et dans l’analyse des observations d’un programme à temps garanti (gto) prises au cours de la première année de fonctionnement du télescope. En plus, l’équipe a accès au soutien du centre d’expertise français local pour l’instrument MIRI (Mid-Infrared Instrument). 

Ce poste correspondait donc parfaitement à mes intérêts scientifiques, comme j’ai étudié de manière observationnelle comment les grandes molécules interagissent avec leur environnement dans le milieu interstellaire (MIS). Je me suis dit que poursuivre mes recherches dans l’étude de l’évolution du milieu interstellaire avec des objectifs similaires et compléter mon expérience dans la simulation et la modélisation des poussières impliquerait un pas en avant dans ma carrière et puis, quel privilège d’être parmi les premiers chercheurs à analyser les données du JWST !   

En quoi ce télescope spatial est-il une révolution en Astronomie observationnelle ?

Le JWST est le télescope de tous les superlatifs. Il a le plus grand miroir, les instruments les plus froids et les plus performants jamais lancés dans l’espace.  Donc on s’attend à ce que le JWST soit une révolution en astronomie observationnelle à plusieurs niveaux : d’abord, c’est une sorte de machine à remonter le temps, donc en regardant dans l’infrarouge, le webb va révéler des galaxies et des étoiles bien plus lointaines que tout ce qui a été observé jusqu’à présent.  

Concernant les exoplanètes, le télescope spatial James Webb jouera un rôle crucial dans l’étude de la composition chimique et des conditions physiques des enveloppes gazeuses de ces systèmes planétaires. Le coronographe du JWST bloquera la lumière d’une étoile, révélant les planètes en orbite autour d’elle.

D’autre part, grâce à sa sensibilité et sa résolution, nous pourrons résoudre spatialement les structures filamentaires des nébuleuses les plus proches avec un détail sans précédent et ainsi contraindre les processus physico-chimiques de ces régions. La fenêtre spectrale couverte par l’instrument moyen-infrarouge MIRI est inédite et cruciale pour l’étude de ces régions. Cela permettra de répondre aux questions encore en suspens sur la formation des étoiles et comment ces étoiles en fin de vie enrichissent leur milieu en matière. 

De plus, avec ses boucliers et ses miroirs segmentés qui devaient être déployés dans l’espace, le JSWT est également une prouesse technologique. Une autre capacité très intéressante de cet instrument spatial est la possibilité d’effectuer des observations en « mode parallèle ». En d’autres termes, on peut recueillir des données avec deux instruments différents du Webb en même temps avec des champs d’observation de taille différente. Cela vise non seulement à maximiser le rendement scientifique du JWST en obtenant simultanément des données de plusieurs instruments, mais on gagne également en efficacité dans l’interprétation des données en ayant des observations complémentaires (imagerie + spectroscopie). 

 

Quelle est selon toi la découverte la plus importante du JWST à ce jour ?

L’une des capacités tant vantées du JWST est la possibilité de remonter dans le temps jusqu’aux débuts de l’univers et de voir certaines des premières galaxies et étoiles. Selon moi, c’est dans ce contexte-là qu’on pourra avoir les découvertes les plus importantes.  

Concernant les exoplanètes, on a maintenant la première détection directe d’une exoplanète (première image !) ainsi que la détection du CO2. Cela n’implique pas qu’on va découvrir un signe de vie ailleurs tout de suite, mais il est important de comprendre la composition de l’atmosphère d’une planète, car elle nous renseigne sur l’origine de la planète et son évolution.

Mais n’oublions pas que le JWST est à ses débuts, l’analyse approfondie et pointue des données qui mènera vers les découvertes prendra du temps donc on n’aura pas toutes les réponses tout de suite. Ce n’est pas avec les belles images qu’on obtiendra les découvertes, car il est difficile d’expliquer le type de conditions physiques et d’éléments chimiques d’un phénomène ou d’un objet dans l’espace qu’avec l’imagerie. C’est surtout l’analyse spectroscopique – l’étude de l’interaction du rayonnement avec la matière – qui donnera des contraintes. En étudiant le spectre de fréquence de la lumière provenant d’un objet, il est possible de tirer des conclusions solides sur sa composition chimique, sa température et sa masse.

 

Que fais-tu avec les données du JWST ? 

Avec le JWST, on veut sonder des zones où les étoiles se forment. Les étoiles se forment dans des nuages de gaz et de poussière dans le milieu interstellaire, et ces nuages sont opaques dans le visible et donc les télescopes optiques ne peuvent pas voir à travers ces nuages, d’où l’intérêt d’utiliser l’infrarouge. Je suis impliquée dans deux programmes : un Early Science Realase Program pour l’étude de la barre d’Orion et un Programme de temps garanti (gto) pour l’étude de la tête de Cheval et de la nébuleuse NGC7023. 

Je vais analyser particulièrement l’interface de ces nébuleuses, comme mentionné dans une réponse précédente, dans ces régions les processus physiques et chimiques qui se produisent sont très intéressants pour comprendre le cycle de la matière interstellaire, de la formation des étoiles et l’interaction du champ de rayonnement UV des étoiles avec ces nuages. Il s’agit bien évidemment d’une collaboration nationale et internationale entre plusieurs scientifiques internationaux de différente expertise et différents backgrounds, chacun selon son domaine de prédilection est impliqué soit dans la réduction des données, l’analyse des spectres des instruments NIRSPEC et MRS ou le traitement des données d’imagerie MIRI ET NIRCAM. 

Mon rôle est d’étudier l’évolution de la poussière (son émission et sa diffusion) dans ces trois régions en confrontant les observations du Webb aux modèles qui ont été élaborés dans mon équipe à l’IAS. Je commencerai par la barre d’Orion et dès que les données sont disponibles pour le gto, j’appliquerai les mêmes outils que j’ai développés à la tête de Cheval et à la nébuleuse NGC7023.  Ces données permettront de tester des modèles théoriques largement utilisés et de les étendre à l’ère du JWST. 

 

Qui peut participer à l’analyse des données fournies par ce télescope spatial ?

Le Webb constituera une énorme archive publique où les chercheurs pourront puiser.  À terme, les données seront accessibles à toute personne intéressée et disposant des capacités et expertises nécessaires pour analyser les données de n’importe quel instrument du Webb.  

Les données des programmes dits ‘ERS’ sont publiques immédiatement. La liste détaillée des programmes acceptés peut être retrouvée sur ce site     : https://www.stsci.edu/jwst/science-execution/approved-ers-programs. Les données des programmes à temps garanti (gto) sont publiques après un an. 

Contrairement à ce qu’on pourrait penser, les archives des missions spatiales ou des observatoires au sol sont une mine d’or et les données d’archives ne sont souvent que très partiellement exploitées. Les données d’archives du grand réseau d’antennes millimétrique/submillimétrique de l’Atacama ALMA, sont un très bon exemple, plusieurs recherches et articles ont été publiés en exploitant les données d’archive ALMA (https://almascience.nrao.edu/aq/). 

 

Comment un étudiant ou chercheur africain passionné d’astronomie peut-il participer à cette aventure scientifique depuis son pays ?

Comme mentionné dans ma réponse précédente, les observations du télescope seront accessibles à toutes et à tous. Donc un étudiant ou un chercheur africain pourra puiser dans la base des données observées par le Webb télescope après la création d’un compte : https://archive.stsci.edu/missions-and-data/jwst 

Aussi, pour ceux qui veulent avoir leurs propres observations : les astronomes de tous les pays peuvent utiliser les instruments du JWST, à condition d’avoir une proposition de temps de télescope qui soit approuvée par leurs pairs.  D’où l’intérêt des programmes ERS, qui sont responsables de délivrer des produits scientifiques, conseils et même un mode d’emploi afin d’aider les chercheurs à mieux préparer leurs demandes d’observation pour les prochains cycles.  Concrètement, il faut se rapprocher des responsables des différents programmes. Assez souvent des téléconférences et des ateliers dédiés sont organisés à distance.

À l’exception des scientifiques directement impliqués dans le projet Webb, la plupart des utilisateurs potentiels du JWST demandent du temps d’utilisation par le biais du programme général des observateurs, ou GO (pour General Observers program). Toute la documentation, ainsi que plusieurs outils indispensables pour la préparation de chacun de ces programmes comme les outils Astronomer Proposal Tool (APT) et Exposure Time Calculator (ETC) sont mis à la disposition des chercheurs sur le site : https://jwst-docs.stsci.edu/ 

J’aimerai également souligner l’existence de ressources en français, via le projet JWST France qui est porté par le CNES, le CEA et le CNRS. Le site https://www.jwst.fr/ propose plusieurs ressources en français pour les chercheurs et pour le grand public

Propos recueillis par David Baratoux

 

A titre d’exemple, le programme ERS PDR4all propose de fournir un ensemble de données modèles conçu pour identifier les caractéristiques clés des régions de photodissociation (PDRs) dans les spectres du JWST (https://pdrs4all.org/seps/). L’idée est de guider la préparation des propositions du cycle 2 sur les régions de formation d’étoiles dans notre Galaxie et au-delà. Ce programme a obtenu les premières observations infrarouges à haute résolution spectrale et à résolution spatiale de la barre d’Orion en utilisant les instruments NIRCam, NIRSpec et MIRI. PDR4all fait appel à la communauté au sens large, comme en témoigne le soutien d’une grande équipe internationale de 138 scientifiques et  aide la communauté intéressée par les observations JWST des PDRs grâce à des produits scientifiques qui guideront la planification des observations et permettront une analyse rapide des données.

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