L’Association Ivoirienne d’Astronomie (AIA) était l’invitée spéciale du Café des Savoirs du jeudi, 26 janvier 2023 organisé par l’Institut Français de Côte d’Ivoire autour du thème : « Il n’y a pas de planète B ». À cet effet, la Directrice du Pôle Français, Langues et Savoirs Celine DESBOS a invité les participants à bien vouloir cheminer dans l’espace avec l’AIA.
D’entrée de jeu, Dr DIABY Kassamba Abdel Aziz, Physicien de l’espace et Président de l’AIA, a souligné que cette jeune association, composée de quarante membres dont dix-sept membres de bureau, a été créée le 13 février 2021 à l’UFR des Sciences et structures de la matière de l’Université Félix Houphouët-Boigny (Côte d’Ivoire). Elle cherche à atteindre les objectifs suivants : contribuer à la diffusion des connaissances scientifiques, amener les jeunes ivoiriens à manifester un vif intérêt pour les filières scientifiques, promouvoir la place des femmes dans les sciences, réunir toutes les personnes désireuses de contribuer au développement des sciences spatiales dans notre pays. L’AIA entend œuvrer à la création d’un observatoire astronomique et d’une agence spatiale ivoirienne. Ainsi, depuis sa création, elle a mené plusieurs activités scientifiques, en l’occurrence des activités mensuelles d’observation du ciel, des conférences, des tournées dans les écoles, des séances d’astrophotographies et la recherche d’astéroïdes marquée et remarquée en 2022 par sa découverte de six astéroïdes. Aussi, est-il important de préciser que cette recherche d’astéroïdes se fait toujours en collaboration avec l’Union Astronpmique Internationale et la NASA. En 2023, l’AIA et Space Bus France sont porteurs d’un projet dénommé ASTRO TOUR édition ivoire, lequel est d’une importance considérable pour la promotion de l’astronomie dans notre pays.
Après la présentation de l’AIA par son Président, quatre conférences successives et respectives ont été prononcées par Dr YAO Marc Harris, Astrophysicien et premier Vice-président de l’AIA, Dr AKA Pancrace, Épistémologue, Historien des sciences, Logicien et Secrétaire général adjoint de l’AIA, Dr David BARATOUX, Planétologue et Conseiller scientifique de l’AIA et M. AHOUA Stéphane, Doctorant en physique de l’atmosphère et Secrétaire à l’organisation de l’AIA. Ces conférences ont été suivies d’échanges et de débats fructueux et enrichissants avec un public varié (élèves, étudiants, professionnels, Universitaires, etc.) et fort intéressé par les sciences spatiales.
La conférence du Dr Yao Marc Harris était axée sur « la place de l’homme dans l’univers ». Il a montré qu’à l’origine, l’espace et le temps n’existaient pas. Tout est donc parti de rien. Mais, comment cela a-t-il été possible ? En effet, à partir de rien, voire d’un point infiniment petit, l’Univers tel qu’on le connaît a commencer une expansion: le big bang – ayant pour conséquence la libération de l’énergie déroulant ainsi le tissu de l’espace-temps. Cette énergie donnera naissance à la matière, aux briques de celle-ci. De ces briques de matière se formeront des atomes qui, sous l’effet de la gravité, finiront par s’agglomérer pour former des étoiles, lesquelles se mettront ensemble pour former, à leur tour, la myriade de galaxies de notre univers. Le système solaire fait partie intégrante de la Voie lactée et jusqu’à ce jour la Terre demeure la seule planète connue pour être habitée dans notre univers. C’est aussi la seule planète habitable dans notre Système Solaire, et à des années lumières autour de nous. Il est donc nécessaire de la préserver et d’en prendre soin.
Dr AKA Pancrace, pour sa part, est intervenu sur le sujet suivant : « La dynamique des astéroïdes : entre curiosité et anxiété des scientifiques ». Il a tenté d’apporter une réponse à la question suivante : pourquoi la dynamique des astéroïdes est-elle à la fois une source de curiosité et d’anxiété des scientifiques ? Selon les mots de l’épistémologue de l’astronomie, la dynamique des astéroïdes se présente, d’un côté, comme une source de curiosité des scientifiques, laquelle révèle l’idée essentielle que ces petits corps célestes constituent l’ADN de notre système solaire, et de l’autre, elle apparaît comme une source de leur anxiété, dans la mesure où leur entrée en collision régulière avec la Terre menace son existence et celle de ses habitants. Pour lui, la dynamique des astéroïdes rend problématique l’habitabilité de la terre ; d’où la nécessité de sensibiliser l’humanité sur les impacts cosmiques de ceux-ci, afin qu’elle prenne des précautions et des mesures idoines essentielles à sa vie et à sa survie.
« Mars est-elle une planète habitable ? », tel fut l’intitulé de la conférence du Planétologue David BARATOUX. Pour l’essentiel, il a fait remarquer qu’une planète habitable est celle qui contient de l’eau liquide qui pourrait s’écouler. Or, à l’état actuel des choses, Mars a perdu son atmosphère d’antan. Pour être plus précis, son atmosphère n’est pas respirable pour les êtres humains. Les violentes tempêtes de poussière qui sont fréquentes sur la planète rouge rendent son atmosphère dangereuse tant pour la vie humaine qu’animale. À en croire le planétologue, en l’état actuel de l’évolution de l’humanité et des progrès technoscientifiques, il n’y a pas de planète B qui nous permettrait de nous affranchir dans le temps imparti de nos responsabilités sur le changement climatique, et la dégradation de notre environnement. C’est pourquoi nous devons la protéger.
Pour finir, M. AHOUA Stéphane a permis au public de faire « une promenade dans l’espace » par le biais du logiciel Stellarium. Ce logiciel de planétarium lui a permis de projeter un ciel réaliste en 3D tout en donnant la possibilité à tous les participants au Café des Savoirs d’observer la lune, la terre, Mars…
Par Dr AKA Pancrace, Épistémologue, Historien des sciences, Logicien, Secrétaire général Adjoint de l’AIA, Maître Assistant, Département de philosophie, Université Félix Houphouët-Boigny, Abidjan, Côte d’Ivoire.
Titritland est une entreprise marocaine spécialisée dans la fourniture d’expériences immersives autour de l’astronomie et dans la vente de télescopes. L’entreprise aspire à devenir leader dans la vente en ligne de matériel astronomique en Afrique, offrant une gamme complète de produits et services pour répondre aux besoins des passionnés d’astronomie.
Dirigée par trois membres fondateurs dévoués et soutenus par une équipe croissante d’animateurs et de formateurs passionnés d’astronomie, Titritland s’engage à offrir les meilleures expériences d’exploration de l’univers à ses clients.
Grâce à son réseau de fournisseurs internationaux et à ses concepts exclusifs, Titritland propose une large gamme de produits, notamment des télescopes, des jumelles et des accessoires pour l’observation du ciel.
Titritland a soigneusement sélectionné les marques les plus réputées telles que Sky-Watcher, Celestron, Takahashi, 10 Microns, TeleVue et ZWO pour répondre aux besoins de tous les amateurs d’observation et de photographie du ciel. Elle distribue également plus de 30 autres marques de qualité telles que Starlight Instruments, Atik, Orion, QSI, Lunt Solar System et FLI.
Outre la vente de produits liés à l’astronomie, Titritland propose des soirées d’observation, des formations en astrophotographie et des stages d’initiation pour tous les niveaux afin aider les clients à découvrir les merveilles de l’univers de manière interactive et ludique. Sa mission : accompagner durablement ses clients dans la pratique de leur passion.
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Suite aux activités du Festival d’Astronomie de Marrakech, nous avons voulu rendre hommage à la défunte Carolina Ödman Govender, qui joua un rôle important dans l’éducation et la promotion des filles en science. Elle a contribué à la création du groupe de travail « Astronomy for Africa » et à la direction de « Connaissance de l’Univers » (Universe Awareness, UNAWE), un programme de sensibilisation pour inspirer les enfants à propos de l’astronomie et qui touche plus de 400 000 enfants dans plus de 60 pays.
Ses réalisations ont été impressionnantes et multiples, dans les domaines des sciences, de la médecine, de la technologie, des arts et de l’enseignement des Sciences, technologie, ingénierie et mathématiques (STIM). Elles ont transformé la façon dont la science est présentée à un public toujours plus vaste et plus diversifié.
Au delà de ses engagements professionnels (Professeur en astrophysique à l’Université publique du Cap Occidental (UWC) en Afrique du Sud, et Directrice associée à l’Institut Inter-universitaire pour les données intensives en astronomie [IDiA, https://www.idia.ac.za/]), Carolina Odman Govender était très engagée dans les programmes de vulgarisation de l’astronomie et de la science en général en considérant la science comme la clé pour s’adresser aux défis de la société. À cet égard, elle fut membre fondatrice du réseau africain pour les femmes en astronomie (AfNWA, https://afnwa.org/). Pour rendre les sciences plus accessibles, elle avait également un programme ambitieux qui concernait l’introduction des langues africaines pour l’enseignement des sciences.
Toutes ses contributions lui ont valu différentes reconnaissances. En 2018, elle a reçu le prix de l’Union Astronomique International (UAI) pour le Développement et l’Education de l’astronomie. En 2021, elle a obtenu le prix du Forum National de la Science et de la Technologie pour la communication.
Plusieurs hommages lui ont été rendu à travers la communauté astronomique internationale. Par exemple, lors de la conférence annuelle de la Société Africaine Astronomique (AfAS) en mars 2023, AfNWA a annoncé que désormais, le prix dédié à la meilleure femme astronome en début de carrière en Afrique porterait son nom.
Professeur Carolina Odman Govender fut très appréciée, car en plus de ses engagements au sein de ses différentes connections, elle fut une personne avec des valeurs humaines à haut standard.
Dans ce cadre, pour rendre hommage à toutes ses réalisations et afin de promouvoir une astronomie plus inclusive et l’orientation des filles vers les STIM, nous avons organisé une sortie de 2 jours à l’observatoire de l’Oukaimeden en faveur de 50 filles du pensionnat de Dar taliba à Marrakech, Maroc.
L’association Dar Taliba Marrakech se consacre à la promotion de l’éducation des filles rurales, en particulier celles issues de milieux défavorisés. La sortie s’est déroulée du samedi 21 au dimanche 22 janvier 2023 à l’Oukaimeden. Cette activité a été animée par l’association d’astronomie 3AM et la fondation Atlas Dark Sky en collaboration avec le bureau National Outreach Coordinator (NOC) de l’UAI au Maroc. Nos sponsors (CAF/Intrepid) nous ont permis d’assurer le transport, l’hébergement et la restauration des 50 filles et de leurs animateurs.
Nous avons commencé notre activité le samedi 21 janvier après-midi par une cérémonie d’hommage à Carolina Ödman Govender. Ce fut un moment très émouvant où différents témoignages ont été dédiés à sa vie très remplie d’abnégations. La chorale de filles de Dar Taliba a clôturé cette cérémonie par une chanson de Francis Lalanne en son honneur.
Les animateurs de l’association des astronomes amateurs 3AM ont encadré une visite à l’observatoire de l’Oukaimeden, une séance d’observation et une initiation de lecture de la carte du ciel en faveur de nos étoiles.
Nous avons également souhaité impliquer l’AfNWA qui est la seule organisation africaine de femmes en astronomie. En effet, les astrophysiciens africains et européens Mirjana Povic, Vanessa McBride, Michele Gerbaldi, Katrien Kolenberg, Kevin Govender, Meriem Elyajouri, Meryem Guenoun, Salma Sylla, Zouhair Benkaldoun et Abdelmajid Benhida et d’autres participantes de l’Université Cadi Ayyad, Fatima zohra Iflahenet de la société civile et Leila Binebine ont animé une conférence-débat autour de l’expérience de cette organisation pour promouvoir l’astronomie au féminin. Cette discussion a aussi abordé les moyens afin de pérenniser ce genre d’activités et de profiter des opportunités offertes par les organismes OAD, AfAS, OAO, IAU, aux Astroclubs pour leur financement.
Cette conférence vise aussi à mettre en valeur et à motiver davantage ces filles issus de milieux défavorisés à s’intéresser au rôle des femmes dans les sciences.
La fondation Atlas Dark Sky a proposé en outre de saisir l’occasion pour sensibiliser les jeunes filles à la pollution lumineuse et les impliquer à prendre des mesures contre elle dans leurs villages respectifs.
Un atelier STIM autour de l’initiation à l’astronomie a également été encadré par l’astrophysicienne Katrien Kolenberg.
Enfin, un intermède musical animé par Meryem Guenoun et les filles de Dar Taliba au club Alpin Français a permis à toutes les participantes de jouer un rôle à l’ambiance festive de cette activité.
Un Astro club Dar Taliba a été créé grâce à cet évènement et a permis de collecter déjà 3 télescopes et une caméra grâce au don de Jean Pierre Grootaerd et de Sterren Schitteren Voor Iedereen (SSVI, Stars Shine For Everyone, les étoiles brillent pour tout le monde), un projet d’astronomie pour les enfants handicapés et les communautés mal desservies du monde entier (https://www.ssvi.be).
Nous comptons élargir cette expérience en établissant un programme de création et d’équipement des Astro club à travers le Maroc en coopération africaine avec le Sénégal et Madagascar.
Depuis plusieurs décennies, l’observation des objets du Système solaire à l’occasion d’occultations stellaires a révélé des résultats extrêmement intéressants. La méthode consiste à mesurer avec une grande précision et une grande résolution temporelle la lumière d’une étoile au moment du passage d’un objet (planète ou astéroïde) devant celle-ci. On voit alors la lumière de l’étoile diminuer jusqu’à s’annuler, puis réapparaître après le passage de l’objet. Cette méthode a apporté trois types de résultats : 1) l’étude des atmosphères des objets qui en sont dotés (planètes géantes, Titan, Triton, Pluton) ; 2) l’étude de leur forme et de leurs dimensions; et enfin 3) la découverte et l’étude d’anneaux autour de certains d’entre eux. C’est par cette méthode que les anneaux d’Uranus ont été découverts en 1977 [1] (fig. 1), puis ceux de Neptune en 1984 [2] (fig. 2) plusieurs années avant leur confirmation par Voyager 2. C’est aussi par cette méthode que le diamètre de l’objet transneptunien Éris a été mesuré [3] ; le résultat, très proche de celui de Pluton, a été un élément important en faveur de la redéfinition du statut de Pluton, rebaptisé planète naine par l’Union astronomique internationale en 2006.
1. Les anneaux d’Uranus observés par la sonde Voyager 2 (1986, à gauche) et par le télescope spatial Hubble (2002, à droite). (Nasa/JPL)
Au cours des dix dernières années, la méthode des occultations stellaires nous a offert de nouvelles surprises. En 2014, contre toute attente, un anneau a été découvert autour de l’astéroïde de type centaure (qui orbite entre Jupiter et Neptune) Chariklo [4] ; trois ans plus tard, c’est le transneptunien Hauméa qui s’est lui aussi trouvé doté d’un anneau [5]. Ces deux découvertes ont remis en question les modèles de formation des anneaux, que l’on croyait jusqu’alors réservés aux planètes géantes, et les ont fait progresser pour rendre compte de ces nouvelles observations.
Aujourd’hui, c’est une nouvelle surprise qui nous est révélée. A nouveau, un anneau a été découvert autour d’un objet transneptunien nommé Quaoar, par des observations d’occultation stellaire ; le fait nouveau est que cet anneau est situé à une distance anormalement éloignée de l’objet. Jusqu’à présent, tous les anneaux découverts dans le Système solaire (à l’exception des plus ténus, ou de ceux qui sont alimentés par des satellites) sont relativement proches de l’objet qu’ils entourent, de sorte que les forces de marée qu’ils subissent empêchent les particules de s’agglomérer pour former un satellite : c’est ce que l’on appelle la limite de Roche. Si les particules en orbite autour de l’objet ont la même densité que celui-ci, on estime cette limite à 2,5 fois le rayon de l’objet. Or, dans le cas de Quaoar, l’anneau observé est situé à plus de 7 rayons de l’objet central !
2. Les anneaux de Neptune observés par la sonde Voyager 2 (1989, en haut) et par le James Webb Space Telescope (2022, en bas). (Nasa/JWST)
Les observations
Quaoar est un objet transneptunien dont le diamètre est de 1 150 km et la période de rotation de 17,7 heures. Quaoar possède un satellite nommé Weywot, d’un diamètre de 170 km, et d’une période orbitale de 12,5 jours, découvert sur des images du télescope spatial Hubble. Il orbite dans un plan incliné de 14 degrés par rapport au plan de révolution de Quaoar autour du Soleil.
Quatre occultations stellaires par Quaoar ont été observées, grâce à des prédictions utilisant les données astrométriques les plus récentes de la sonde européenne Gaia. Elles ont eu lieu le 2 septembre 2018, le 5 juin 2019, le 11 juin 2020 et le 27 août 2021. Comme c’est l’usage, chaque événement mobilise plusieurs télescopes localisés en différents points du globe terrestre, la coordination étant assurée par un réseau regroupant astronomes amateurs et professionnels. Dans le cas de Quaoar, le télescope spatial CHEOPS, dédié à l’observation des exoplanètes par transit, a également été mobilisé le 11 juin 2020. La première détection de l’une des composantes de l’anneau a été obtenue en Namibie en 2018, ce qui a justifié la mise en place d’une campagne d’observations à l’occasion des occultations stellaires suivantes. Le plus beau résultat a été obtenu le 5 juin 2019 par le télescope GranTeCan de La Palma qui a pu observer les deux composantes de l’anneau de part et d’autre de l’occultation centrale due à l’objet lui-même (fig. 3). Plus tard, d’autres détections réalisées en différents sites ont permis d’affiner la représentation de l’anneau, en particulier celle obtenue en Australie en août 2021. C’est aussi le cas des observations de CHEOPS du 11 juin 2020 ; bien que la résolution temporelle des données soit inférieure à celle des données prises du sol, il est tout de même possible de détecter la présence des anneaux de part et d’autre de l’objet (fig. 4).
3. À gauche : Projection sur le ciel de la trajectoire de l’étoile en fonction du temps lors de l’occultation stellaire par Quaoar le 5juin 2019. À droite, en haut : Courbe d’occultation stellaire par Quaoar enregistrée au GranTeCan le 5 juin 2019, entre –250 et +250 secondes. À droite, en bas : Agrandissement de la courbe à proximité de l’occultation par l’anneau. On voit que les profils sont nettement différents, ce qui montre que l’anneau présente des inhomogénéités en longitude.
Les observations du 5 juin 2019 (fig. 3) font clairement apparaître que l’anneau de Quaoar n’est pas homogène en densité. À partir d’un modèle prenant en compte l’ensemble des observations, les auteurs de l’étude ont pu préciser les caractéristiques de l’anneau. Son épaisseur optique varie entre une fraction de pour cent et l’unité selon la longitude*. Les observations sont compatibles avec un anneau coplanaire avec l’orbite du satellite de Quaoar, Weywot, lui-même situé à 24 rayons du corps central ; il est en effet probable que l’anneau et le satellite sont tous deux issus du même système primordial en orbite autour de Quaoar. La distance de l’anneau à l’objet central est d’environ 4 100 km, soit 7,4 fois le rayon de Quaoar.
Un anneau au-delà de la limite de Roche
Comment peut-on expliquer l’existence d’un anneau au-delà de la limite de Roche ? Nous avons vu que cette limite dépend de la densité du matériau considéré. À la distance où l’anneau est observé, ce matériau devrait avoir une densité très faible (de l’ordre de 30 kg/m3) pour être détruit par les forces de marée de l’objet central ; cette densité correspondrait à un matériau extrêmement poreux, ce qui le rendrait très différent des anneaux observés autour de Chariklo et Hauméa. Mais même dans ces conditions, selon les simulations numériques, le matériau contenu dans l’anneau de Quaoar devrait former un satellite en seulement quelques décennies… La probabilité d’observer un tel phénomène est donc extrêmement faible, et l’explication doit être recherchée ailleurs.
4. À gauche : Projection sur le ciel de la trajectoire de l’étoile en fonction du temps lors de l’occultation stellaire par Quaoar le 11 juin 2020, telle qu’elle a été observée par le télescope spatial CHEOPS. À droite, en haut : Courbe d’occultation stellaire par Quaoar enregistrée par CHEOPS le 11 juin 2020, entre –200 et +200 secondes. À droite, en bas : Agrandissement de la courbe à proximité de l’occultation par l’anneau.
Une autre piste a été explorée par les découvreurs de l’anneau de Quaoar. Ils font remarquer que la force d’attraction gravitationnelle entre deux particules d’un anneau dépend de leur densité, mais aussi de la dispersion de leur vitesse par rapport à l’objet central. Si celle-ci est élevée, alors les deux particules peuvent éviter de s’agglomérer, même au-delà de la limite de Roche. Une façon d’augmenter la dispersion des vitesses des particules de l’anneau est d’utiliser une loi de collision qui n’a pas été jusque-là considérée pour les anneaux. Des mesures de laboratoire ont en effet montré que pour des températures plus basses que celles qui ont été jusque-là considérées pour les anneaux de Saturne, les collisions sont plus élastiques. Les auteurs de l’article montrent alors que les vitesses post-impacts restent suffisamment grandes pour que les particules échappent à leur attraction mutuelle, inhibant ainsi l’accrétion. Une autre cause pour maintenir une grande dispersion de vitesse pourrait également être une force extérieure. Celle-ci pourrait provenir de résonances (voir Éclairage, p. 76) avec Quaoar, ou avec son satellite Weywot, ou avec d’autres satellites qui resteraient à découvrir autour de Quaoar. Il se trouve que l’anneau est proche de la résonance spin-orbite 1:3 de Quaoar, et de la résonance de moyen mouvement 6:1 de Weywot. Vu sa taille relativement petite, Quaoar possède probablement une forme irrégulière qui pourrait être à l’origine de résonances spin-orbite 1:3 ; celles-ci sont aussi observées dans le cas des anneaux de Chariklo et Hauméa, et pourraient favoriser le confinement de l’anneau à proximité de cette résonance. Des simulations numériques sont en cours pour tester ce mécanisme
par Thérèse Encrenaz, Observatoire de Paris-PSL
Article publié dans l’Astronomie, Février 2023
NOTE
* Une épaisseur optique de 1 correspond à un objet totalement opaque et une épaisseur de 0 à un objet totalement transparent.
J. L. Elliot et al. (1977). The rings of Uranus. Nature 267, 328-330.
W. B. Hubbard et al. (1986). Occultation detection of a neptunian ring-like arc. Nature 319, 636-640.
B. Sicardy et al. (2011). A Pluto-like radius and a high albedo for the dwarf planet Eris from an occultation. Nature 478, 493-496.
F. Braga-Ribas et al. (2014). A ring system detected around the Centaur (10199) Chariklo. Nature 508, 72-75.
J. L. Ortiz et al. (2017). The size, shape, density and ring of the dwarf planet Haumea from a stellar occultation. Nature 550, 219-223.
Des simulations numériques montrent que la Lune se serait formée immédiatement après l’impact entre Théia et la Terre, sans passer par une phase de disque de débris. Ces simulations expliquent également la composition isotopique des roches lunaires.
Selon la théorie actuelle, la Lune se serait formée à la suite d’un impact entre une petite planète, Théia, et une proto-Terre un peu plus petite que la Terre actuelle (voir l’Astronomie 129, été 2019, « Aux sources de la Lune – Rencontre avec Théia ? »). La collision entre ces deux objets aurait désintégré Théia et excavé une partie du manteau terrestre, envoyant en orbite un disque de débris. La Lune se serait ensuite formée par accrétion d’une partie du matériau de ce disque, le reste retombant sur Terre. Ce scénario, plus connu sous le nom d’impact géant, a été proposé dès 1975. Il permet d’expliquer un certain nombre de propriétés du système Terre-Lune tel que nous le connaissons, à commencer par le moment cinétique élevé de ce système et le fait que la Lune est globalement moins riche en fer que la Terre.
Dans une certaine mesure, il explique également la similarité isotopique entre notre planète et son satellite (voir encadré), similarité qui suggère que le manteau terrestre et la Lune sont issus d’une même source. En mélangeant les roches de Théia et du manteau de la proto-Terre, l’impact géant fournit en effet une source de matériau commune à la Lune et au manteau terrestre. Dans les années 2000, des simulations numériques ont démontré la faisabilité du scénario de l’impact géant. Mais ces simulations ont également jeté un doute en montrant que la Lune devait être formée du matériau issu de Théia à plus de 70 %. Selon ce résultat, la similarité isotopique entre la Terre et la Lune devrait, contrairement à ce qui est observé, être limitée. Cette contradiction constitue jusqu’à présent le principal obstacle à l’hypothèse de l’impact géant, sauf (ce qui est peu probable) si l’on suppose que la proto-Terre et Théia se sont formées dans le même environnement. De nouvelles simulations numériques semblent lever cette hypothèque [1].
Les simulations numériques de collisions entre petites planètes sont basées sur des calculs hydrodynamiques dans lesquels les planètes sont modélisées par l’assemblage d’un grand nombre de points, ou particules, dont on suit l’évolution pendant et après l’impact. Plus le nombre de particules (ou, si l’on préfère, la résolution) utilisé est élevé, plus la taille de chaque particule est petite, et donc plus la précision des calculs sera bonne. Pour des raisons liées aux temps et aux puissances de calcul, les simulations réalisées jusqu’à présent utilisaient un nombre de particules compris entre cent mille (10^5) et un million (10^6).
Or, les simulations effectuées par Jacob Kegerreis, chercheur à l’université de Durham, qui utilisent jusqu’à cent millions (10^8) de particules, montrent que passé un certain seuil, autour de 3 millions de particules, le scénario de l’impact géant diverge notablement par rapport aux simulations précédentes. La principale différence est que la Lune se serait formée presque instantanément dans la foulée de l’impact, et sans passer par la formation d’un disque de débris (fig. 2).
Le matériau composant la future Lune se serait séparé très rapidement (moins de 2 heures après l’impact) du reste des débris, et aurait été placé immédiatement en orbite grâce à un effet de fronde [3]. Autre différence de taille, ces nouvelles simulations prédisent que le satellite ainsi formé, du moins son enveloppe externe, est composé à 60 % du matériau de la proto-Terre. Autrement dit, elles expliquent en grande partie la similarité isotopique entre la Terre et la Lune, venant ainsi conforter le scénario de l’impact géant, cela d’autant plus qu’elles rendent également compte du moment cinétique du système Terre-Lune et de l’appauvrissement en fer de notre satellite.
SIMILARITE ISOTOPIQUE
Un élément chimique est caractérisé par son nombre de protons (ou d’électrons), mais peut comporter un nombre différent de neutrons, ce qui définit autant d’isotopes du même élément. Par exemple, l’oxygène (O), qui comporte 8 protons, possède trois isotopes, 16O, 17O et 18O, comptant respectivement 8, 9 et 10 neutrons. Dans la nature, l’abondance en chaque isotope d’un élément donné peut varier d’un environnement (ou d’une roche) à un autre, l’un des isotopes étant généralement beaucoup plus abondant que les autres (16O dans le cas de l’oxygène). Ces variations sont induites par différents mécanismes physiques, comme les processus volcaniques ou l’évaporation (les isotopes les moins lourds ayant plus de chance de s’évaporer). On rassemble généralement ces processus sous le terme de fractionnement isotopique.
Pour le plus grand bonheur des scientifiques, les rapports isotopiques mesurés aujourd’hui dans les roches, les glaces ou d’autres matériaux apportent des indices sur les processus s’étant produits par le passé et ayant affecté la Terre ou les autres objets du Système solaire. Les éléments comportant plus de deux isotopes stables sont par ailleurs très intéressants, car ils permettent de déterminer si deux roches sont issues d’une même source primordiale même si, par la suite, ces roches ont suivi différentes histoires. En effet, lors d’un fractionnement isotopique, les rapports d’abondances entre les isotopes les moins fréquents et l’isotope dominant (par exemple, les abondances en 17O et 18O par rapport à 16O, notées d17O et d18O [2]) sont modifiés, mais dans des proportions identiques. Ainsi, lorsque, dans un graphe, on représente l’un de ces rapports en fonction de l’autre (par exemple d18O en fonction de d17O) les échantillons issus d’un même matériau primordial s’alignent le long d’une droite.
La dispersion des mesures le long de cette droite reflète un ou plusieurs fractionnements ultérieurs, suite à un ou des événements particuliers. De la même façon, le fait que des échantillons issus de différentes roches (par exemple des roches lunaires et des roches terrestres) s’alignent sur une même droite suggère que ces différentes roches proviennent d’un même matériau primordial. L’analyse des échantillons de roches lunaires rapportés par les missions Apollo a révélé une grande similarité de composition isotopique entre la Terre et son satellite. Par exemple, les rapports isotopiques de l’oxygène, d17O et d18O, suivent des tendances identiques sur Terre et sur la Lune : les rapports mesurés pour différents échantillons terrestres et lunaires se situent sur une même droite (fig. 1). La proximité isotopique entre la Terre et son satellite s’étend à d’autres éléments, dont le chrome, le titane, le fer, et le potassium, et, comme on vient de le voir, elle suggère que la Lune et le manteau terrestre sont issus d’un même matériau.
Les mesures réalisées sur les météorites provenant de différents corps du Système solaire, dont Mars et Vesta, montrent au contraire de grandes disparités isotopiques dans les matériaux sources utilisés pour former la Terre et ces corps. Ces différences reflètent d’importantes variations isotopiques dans la nébuleuse protoplanétaire, donc antérieures à la formation des planètes, sans doute liées à la distance au Soleil. Théia et la proto-Terre, dont la collision a donné naissance au système Terre-Lune, se sont sans doute formées dans des environnements différents et devaient donc avoir des signatures isotopiques initiales différentes. L’impact géant aurait eu pour effet de mélanger efficacement les matériaux de Théia et de la proto-Terre, fournissant une origine commune aux roches de la Lune et du manteau terrestre.
1. Comparaison des rapports isotopiques d17O et d18O de l’oxygène sur la Terre, la Lune, Mars et Vesta. (D’après Wiechert et al. (2001), Science, 294, 345-348.)
Par Frédéric Deschamps, IESAS, Taipei, Taïwan
Article publié dans l’Astronomie, Mars 2023
Notes
Kegerreis J. A. et al. (2022), « Immediate origin of the Moon as a post-impact satellite », Astrophys. J. Lett., 937, L40, doi: 10.3847/2041-8213/ac8d96.
Les rapports isotopiques « deltas » sont obtenus en deux temps. D’abord, on mesure le rapport d’abondance R par rapport à l’isotope le plus fréquent (ici 16O), par exemple, pour 17O, R = 17O/16O. Puis on compare le rapport obtenu pour chaque échantillon avec un rapport de référence (ici, la composition isotopique moyenne des océans terrestres, RSMOW), par exemple, pour 17O, d17O = (R – RSMOW)/RSMOW.
Plus précisément, la partie des débris qui, à terme, va retomber sur Terre transfère du moment cinétique à la future Lune, ce qui permet à cette dernière de se placer en orbite.