LE MAGAZINE DES SCIENCES DE L’UNIVERS EN AFRIQUE
Nouvelle fusion d’un trou noir

Nouvelle fusion d’un trou noir

Coalescence d’un trou noir de 23 masses solaires avec un astre compact 9 fois plus léger et de nature inconnue

Les détecteurs Virgo (USA) et LIGO (Italie) ont enregistré le 14 août 2019 des ondes gravitationnelles (des déformations de l’espace-temps) dont la fréquence est montée de 20 à 100 Hz environ en deux secondes. Leur analyse a révélé qu’elles ont été émises durant les dernières secondes avant la fusion de deux astres en un seul plus massif . Ce couple d’astres, avant qu’il fusionne en un trou noir plus massif de 25,6 masses solaires, était formé d’un astre compact de 2,6 masses solaires et d’un trou noir de 23,2 masses solaires. Aucune contrepartie connue à ce jour n’a été observée dans le spectre électromagnétique (lumière visible, ondes radio, rayons X et gamma).

Mais au fait, direz-vous, si on additionne les masses des deux astres, on trouve 2,6+23,2=25,8. Or l’astre final a une masse de 25,6 masses solaires. Où sont passées les 0,2 masses solaires manquantes ? Elles ont été converties en énergie, selon la célèbre formule E=mc**2, précisément celle qui a propagé des déformations d’espace-temps sous forme d’ondes gravitationnelles.

Cet événement présente deux particularités intéressantes.

D’abord la masse du corps le plus léger, 2,6 masses solaires, en fait  soit le trou noir le moins massif jamais observé, soit l’étoile à neutrons la plus massive connue. En principe, rien ne s’oppose à l’existence d’un trou noir de 2,6 masses solaires, mais les scénarios actuels de l’effondrement des étoiles massives suggèrent qu’on obtienne, outre les quantités énormes de matière éjectées dans l’espace, des trous noirs plus massifs. En ce qui concerne les étoiles à neutrons, tous les modèles actuels décrivant les propriétés de leur matière (équations d’état), quoique nombreux et tous relativement spéculatifs, prévoient pour les étoiles à neutrons une masse maximale n’excédant 2 masses solaires que de très peu.

L’autre intérêt est la grande différence de masses entre les deux astres au moment où ils ont émis ces ondes gravitationnelles. Une onde gravitationnelle émise par deux astres de même masse est surtout intense à une certaine fréquence, que l’on peut appeler la fréquence fondamentale du système. Deux astres de masses très différentes émettent, en plus de ce mode fondamental, des ondes gravitationnelles à des fréquences multiples du mode fondamental. Si on faisait un parallèle avec la musique, on dirait que les systèmes asymétriques ont un timbre plus riche que les systèmes formés de deux astres de même masse. Cela offre des contraintes nouvelles pour mettre à l’épreuve la théorie de la relativité générale en champ gravitationnel fort, ainsi que les théories alternatives. Encore une fois, on ne mesure pas de déviation entre ce qui est prédit par la théorie de la relativité générale et ce qui est observé.

masse des objets observés par LiGo-Virgo. Les fusions d’étoiles sont indiquées par des lignes partant des deux étoiles progénitrices et aboutissant (flèche) à l’étoile fusionnée. Les objets en jaune sont des étoiles à neutrons dont la masse a pu être mesurée par des observations dans le domaine électromagnétique (donc pas avec LiGo-Virgo). Les étoiles à neutrons détectées avec des ondes gravitationnelles (avec LiGo et/ou Virgo) sont en orange. Les objets en violet sont des trous noirs détectés dans le domaine électromagnétique, ceux en bleu sont des trous noirs détectés grâce aux ondes gravitationnelles. LiGo-Virgo a observé deux fusions d’étoiles à neutrons, onze fusions de trous noirs, et l’événement GW190814 (entouré en blanc), fusion entre un trou noir et un objet de nature inconnue. L’auteur parle de «stellar graveyard», soit «cimetière d’étoiles» pour ce objets.

 

Fabrice Mottez, CNRS, Observatoire de Paris-psl

Lien vers l’article de la découverte : https://ui.adsabs.harvard.edu/abs/2020arXiv200612611T/abstract

 

 

 

 

Astronomie et Covid

Astronomie et Covid

La maladie à coronavirus (COVID-19) est une maladie infectieuse causée par une nouvelle souche de coronavirus (SARS-CoV-2). Le premier cas a été signalé dans la ville de Wuhan, dans la province chinoise du Hubei, le 31 décembre 2019 par l’Organisation mondiale de la santé. Cette maladie est rapidement devenue une pandémie mondiale et s’est quasiment propagée  dans le monde entier. A ce jour, 11 janvier 2021, plus de 90 millions de personnes dans le monde ont été testées positives au COVID-19, avec plus de 1,9 million décès confirmés (les derniers chiffres sont disponibles sur le site web de l’OMS).

Heureusement, nous disposons maintenant de vaccins (Pfizer-BioNTech, Moderna, etc.), et de nombreux pays ont déjà commencé la campagne de vaccination. Cela permettra certainement de réduire le nombre de nouveaux cas et éventuellement d’atteindre l’immunité collective.

Toutefois, il est important de souligner que différentes activités ont été menées par des scientifiques (groupes ou individus) depuis le début de la pandémie afin d’aider à la combattre. Pour ce faire, j’ai donc travaillé en tant que fellow à l’Office of Astronomy for Development (OAD)  qui est basé à Cape Town en Afrique du Sud afin d’élucider comment la communauté d’astronomie peut contribuer à l’atténuation de la pandémie du COVID-19 et de ses effets. Mon étude a montré que les astronomes peuvent transférer leurs connaissances des études des étoiles et de l’exploration de l’univers à la contribution à la lutte contre la pandémie. Par exemple, les astronomes utilisent leurs ressources informatiques à l’exécution de simulations pour aider à comprendre la structure du virus, participent au travail d’assistance sanitaire (comme la conception de ventilateurs en Afrique du Sud, aux États-Unis, en Italie, au Canada et en Thaïlande) et participent à l’éducation des enfants via l’enseignement de l’astronomie en ligne afin de leur permettre de continuer  à apprendre tout en restant chez eux lors des fermetures des écoles et mesures de confinement.

National Ventilators Project (NVP) géré par SARAO (South African Radio Astronomy Observatory) en Afrique du Sud.

 

Ventilateur VITAL développé par la NASA Jet Propulsion Laboratory pour assister les patients de COVID-19 ayant des difficultés à respirer. Crédit photo: NASA/JPL-Caltech

 

De plus amples informations sur ces activités menées par la communauté astronomique dans la lutte contre le COVID-19 sont disponibles sur le site web de l’OAD: www.astro4dev.org/covid-19

Marie Korsaga – Burkina Faso

Le cycle nouveau est arrivé ! 

Le cycle nouveau est arrivé ! 

Le Soleil possède un cycle d’activité magnétique, modulé autour d‘une période de 11 ans. Par convention, ces cycles ont commencé à être numérotés à partir du milieu du 18 e siècle, le 1er cycle commençant en août 1755 et finissant en mars 1766. Récemment, le passage du 24 e vers le 25 e cycle a été acté, les données solaires montrant que le basculement s’est fait en décembre 2019. Nous allons ici donner un coup de projecteur sur les éléments ayant permis à la communauté scientifique de valider cette transition de cycle. De plus, celle-ci annonce qu’un nouveau maximum d’activité solaire devrait intervenir d’ici cinq ans, si les prévisions actuelles se vérifient.


Historiquement, tout au moins en Europe, c’est le célèbre savant italien Galilée qui a mis en évidence l’existence sur la surface du Soleil de taches sombres. Le suivi systématique de ces taches a alors commencé dans plusieurs observatoires et l’existence d’une modulation d’environ 11 ans fut mise en évidence par l’astronome allemand Henrich Schwabe au milieu du 19 e siècle, dans un article intitulé « Observations solaires durant 1843 ». Nous montrons sur la Figure 1 (panneau du haut), l’enregistrement des taches solaires depuis le début du 18 e siècle et la numérotation associée. La série montrée est la compilation méticuleuse de très nombreuses observations prises dans différents observatoires au cours des siècles sur des séries plus ou moins longues et fiables pour les plus anciennes et de manière plus systématique et coordonnée plus récemment. Elle a été remise à jour en 2015 par un groupe d’experts internationaux sous l’égide de l’Union Astronomique Internationale (IAU) et est librement accessible sur le site web de l’Observatoire Royal de Belgique (http://sidc.be/silso/home).

Nous remarquons, que le nombre de taches varie (oscille) en effet en moyenne sur 11 ans avec des cycles courts et d’autres plus longs. Nous notons aussi que certains cycles sont plus faibles que d’autres atteignant à peine 100 taches (cycles 5 et 6 par exemple) alors que d’autres comme le cycle 19, dépassent les 300 à son maximum vers 1960. Une analyse en transformée de Fourier révèle aussi qu’un autre cycle plus long existe. On peut en effet remarquer une modulation d’environ 90 à 100 ans sur l’amplitude des cycles, cette modulation s’appelle le cycle de Gleissberg.

Dès lors certaines questions deviennent inévitables : D’où viennent ces taches ? de quoi sont-elles faites ? pourquoi apparaissent elles de manière cyclique ?

Le lien entre ces taches sombres, appelées couramment taches solaires, et le magnétisme solaire n’a été réalisé qu’au début du 20 e siècle par l’astronome américain George Ellery Hale en 1908. Le même G.E. Hale, démontra en 1919 que le magnétisme du Soleil a changé de polarité d’un cycle à l’autre. Pour expliquer la nature magnétique des taches solaires, il faut donc que le Soleil lui-même soit magnétique. C’est effectivement le cas, le Soleil opère un mécanisme dit de dynamo fluide, qui convertit l’énergie mécanique de son enveloppe externe convective en énergie magnétique. Il s’avère que ce mécanisme induit un champ magnétique et un courant électrique associé, cycliques. Ces taches sont faites de plasma fortement magnétisé, et elles apparaissent sombres, étant moins chaudes que la convection (granulation) de surface les environnant (environ 1500 K d’écart) car le champ magnétique inhibe la convection et en modifie les propriétés thermodynamiques locales.

En enregistrant l’apparition de ces taches et en suivant l’évolution spatio-temporelle au fur et à mesure des rotations du Soleil sur lui-même (environ en 28 jours), il est possible d’établir une image précise du cycle solaire sur des périodes s’étalant sur des décennies voire des siècles et d’en caractériser les propriétés fines.

Panneau du haut : Nombre de taches solaires observées depuis le milieu du 18 e siècle. On remarque clairement la répétition des cycles d’une durée moyenne de 11 ans et leur numérotation. En bleu-gris nous représentons la moyenne glissante de 13 mois. C’est celle-ci qui détermine le début et la fin de chaque cycle. Nous représentons aussi en orange la même série mais avec une moyenne mensuelle, celle-ci montrant la variabilité autour du cycle de 11 ans (données SILSO/ROB). La zone légèrement bleutée à partir de 1975 couvre la même durée que le diagramme « papillon » représenté sur la panneau en bas à gauche. Ce diagramme représente la moyenne longitudinale des cartes synoptiques créées pour chaque rotation de Carrington (données Mount Wilcox/GONG/SOLIS). L’amplitude de la composante radiale du champ magnétique et sa polarité sont représentées en fonction du temps et de la latitude sur la surface du Soleil. On remarque la forme caractéristique de l’apparition des taches de plus en plus concentrées vers l’équateur au cours du cycle de 11 ans, ainsi qu’une branche polaire, avec inversion de polarités aux pôles au maximum de chaque cycle. Sur le panneau en bas à droite, on montre un zoom sur le cycle 24 du nombre de taches solaires (même code couleurs que sur la panneau du haut). En 2020 en particulier on remarque le tout début de la remontée du nombre de taches solaires, aussi bien sur la moyenne glissante sur 13 mois (courbe bleue-grise) que sur l’enregistrement mensuel (courbe orange) (données SIDC/SILSO).

 

Sur la Figure 1 (panneau du bas à gauche), on représente le diagramme dit « papillon » du magnétisme solaire, à cause de sa forme caractéristique en forme d’ailes. Celui-ci est constitué à partir de magnétogrammes, des enregistrements du magnétisme de surface du Soleil (voir fig. 2). En suivant la rotation du Soleil, on peut créer des images représentant l’activité magnétique du Soleil du nord au sud sur environ 28 jours (rotation dite de Carrington) et 360° de longitude[1]. Ces images, dites cartes synoptiques, peuvent ensuite être moyennées en longitude et former une bande en fonction de la latitude solaire par rotation (ici à partir de 1975 en utilisant les données sol du Mont Wilcox et du réseau GONG). En mettant ces bandes à la suite les unes après les autres, on commence à former une « fresque » temporelle du magnétisme solaire. On remarque alors la succession des cycles (ici sont représentés les quatre derniers cycles de 21 à 24), la propagation de l’apparition des taches, des moyennes latitudes vers l’équateur solaire et l’inversion de l’ordre des polarités des bipôles formés par les taches d’un cycle à l’autre.

 

Nous représentons 2 magnétogrammes de la surface du Soleil pris à différentes dates par l’instrument HMI à bord du satellite Solar Dynamical Observatory (SDO). À gauche, durant le maximum du cycle 24, en aout  2014 et à droite en juin 2020, lors du début du cycle 25 (données NASA/SDO- site solarmonitor.org). On remarque que durant le maximum d’activité il y a beaucoup plus de taches à la surface. On note aussi que l’ordre des polarités (noire négative, blanche positive) est inversé entre les hémisphères nord et sud. Encore plus surprenant, cet ordre des polarités s’inverse dans chaque hémisphère entre 2014 et 2020. En 2014, dans l’hémisphère nord la polarité plus (+) est derrière la polarité moins (-), alors qu’en 2020, elle est devant. Ceci prouve qu’en 2020, se sont des taches du nouveau cycle 25 qui apparaissent.

 

Pour acter la transition d’un cycle solaire, ici du cycle 24 au cycle 25, il faut donc plusieurs éléments. Tout d’abord il faut que la moyenne glissante sur 13 mois du nombre de taches solaires passe par un minimum. On voit Figure 1 (panneau bas à droite), que c’est le cas à partir de janvier 2020, on remarque la légère remontée de la courbe. On en déduit donc que le minimum a été atteint en décembre 2019. Ceci est confirmé quand on regarde sur la Figure 2, la polarité des bipôles magnétiques associés au taches solaires grâce à des magnétogrammes. On remarque que la succession des polarités des bipôles entre 2014 et 2020 a changé de signe dans les deux hémisphères. Par exemple, les bipôles magnétiques dans l’hémisphère nord étaient dans une configuration +/- (blanche/noire) en 2014 et -/+ (noire/blanche) en 2020. De plus on note qu’en 2014 les taches en plein maximum d’activité solaire (soit 5 ans après le début du cycle 24), sont plus proches de l’équateur que les taches observées en 2020, confirmant selon la progression du cycle (début vs fin), la migration plus ou moins forte vers les basses latitudes des taches. Une dernière confirmation vient du nombre de taches d’une polarité vs celle du cycle « précédent ». Sur la Figure 3, nous montrons comment la transition entre les cycles 24 et 25 sur les années 2018 à 2020 s’est opérée. Il est maintenant clair que la polarité des taches associées au cycle 25 (-/+ dans l’hémisphère nord) domine dans la plupart des bipôles observés en 2020. Il est normal d’avoir un léger chevauchement entre les deux cycles (l’un finissant, l’autre commençant) et donc parfois un mélange de l’ordre des polarités comme en janvier 2020, mais cela ne dure pas.

Pour conclure, la durée du cycle 24 aura donc été précisément 11 ans, de décembre 2008 à décembre 2019. Par comparaison la durée du cycle précédent (23) avait été de 12 ans et 3 mois. On note aussi que le cycle 24 a été plus faible que les 3 cycles précédents. Il est vraisemblable que nous soyons à la fin du cycle de Gleissberg commencé au 20eme siècle, et dont le maximum se trouvait autour du cycle 19. En comparaison au cycle 19, le cycle 24 est près de 2,5 fois plus faible. Les prévisions actuelles donnent un cycle 25 aussi faible que le cycle 24, un peu comme la succession des cycles 5 et 6 (dits minimum de Dalton). Il sera intéressant de vérifier cela dans quelques années, le prochain maximum étant prévu à ce jour en 2025. 

 

Nombre de groupe de taches solaires associé aux deux cycles 24 et 25, lors de la transition entre les deux vers fin 2019. Comme nous l’avons vu sur la figure 2, grâce aux magnétogrammes on connaît la polarité des taches solaires. Il est alors aisé de leur associer le bon cycle. On voit qu’à partir de décembre 2019, les taches de polarité du cycle nouveau (25) sont plus nombreuses. Leur position sur le disque peut aussi aider à la classer. Généralement à la fin du cycle, les taches sont proches de l’équateur (voir la figure 1 et la forme du diagramme papillon), alors qu’en début de cycle elles sont à moyennes latitudes vers 35-45 degrés (SIDC/SILSO).

 

Dr. Allan Sacha Brun, CEA Paris-Saclay/AIM

[1] rappelons ici que nous ne voyons qu’une face du Soleil à chaque instant depuis la Terre ; le satellite Solar Orbiter (SolO) lancé en février 2020 nous permettra d’y remédier en étendant la couverture longitudinale avec une vue complémentaire à celle de la ligne de visée Terre-Soleil (https://www.cosmos.esa.int/web/solar-orbiter/where-is-solar-orbiter).

 

Quelques sites supplémentaires pour voir des observations du Soleil :

http://bass2000.obspm.fr/home.php

https://nso.edu/data/solis-data/

http://solarmonitor.org

https://helioviewer.org

 

Trop de poussière dans la Galaxie

Trop de poussière dans la Galaxie

Notre Voie Lactée laissant apparaitre des milliards d’étoiles mais pas que.

La Voie lactée : la plus grande galaxie de notre groupe local de la Vierge abrite une quantité inimaginable d’étoiles. On compte plus d’étoiles dans la Galaxie que de grains de sable sur l’ensemble des plages du globe. Les plus chanceux d’entre vous se sont peut-être déjà aperçu que les étoiles n’étaient pas les seuls constituants de notre belle Galaxie. Si les étoiles fournissent le rayonnement lumineux nécessaire à la vie sur Terre, un autre composant tout aussi essentiel constitue une bonne partie de la masse de notre Galaxie : la poussière.

La poussière: brique de la vie

Pour les astronomes, la poussière est quelque peu différente des agrégats moutonneux que l’on trouve sous nos armoires. La poussière interstellaire est constituée d’atomes, suffisamment nombreux pour former de petits grains mesurant quelques dixièmes de microns (> 0,1 µm). En comparaison, le diamètre d’un cheveu en mesure quelques dizaines (> 10 µm). C’est cette poussière qui donne l’aspect cotonneux à notre Galaxie observée depuis la Terre, et qui cache une partie des étoiles à nos yeux (fig. 1). Cette matière constitue la matrice idéale pour former les nouvelles générations d’étoiles et de planètes. En effet, les propriétés physico-chimique de ces grains en font de parfaits capteurs de rayonnement énergétique (visible et ultra-violet). Les grains de poussières chauffés par le rayonnement stellaire ont pour effet de refroidir le milieu environnant et de réémettre un rayonnement de plus faible énergie, l’infrarouge, qui est donc le domaine de longueur d’onde privilégié pour étudier leurs propriétés. En plus de fournir la matière qui formera les futures étoiles, la poussière constitue également les briques qui formeront plus tard les planètes, et tout ce qui s’y trouve (nous y compris). Oui, chaque atome a d’abord été forgé au cœur des étoiles, puis exposé au froid interstellaire sous forme de poussière avant de constituer les os de notre corps, l’air que l’on respire ou les composants de nos ordinateurs.

Nébuleuse du cône. Des étoiles naissantes sont visibles au sommet de l‘édifice de poussière. (HST/NASA)

Dans la Galaxie, la poussière  peut se trouver au sein de différentes objets astronomiques :

  • Les nuages moléculaires géants (La Nébuleuse de l’Aigle, ou d’Orion en sont de parfait exemples), là où naissent les étoiles (i.e.: les pouponnière d’étoiles, fig. 2),
  • Les disques de matière autour des étoiles nouvellement formées, restes de leur cocon originel et berceaux des futures systèmes planétaires,
  • Les nébuleuses planétaires comme la Lyre ou le Chat, vestige d’une fin de vie stellaire calme et sans sursaut,
  • Et enfin, autour des étoiles productrices de poussière.

Un excédent de poussière (galactique)

Jusqu’à aujourd’hui, on avait une idée assez claire concernant les protagonistes à l’origine des poussières observées dans les galaxies. La majorité de celle-ci se formerait autour des phases évoluées des étoiles de faible masse (i.e. de masse inférieure à huit fois la masse du Soleil). Après avoir brûlé son matériel nucléaire pendant des milliards d’années, l’étoile présente une phase instable, nommée Branche Asymptotique des Géantes (ou AGB). Ces étoiles pulsent, et cette pulsation entraîne du gaz au delà de la surface de l’étoile. La pulsation crée aussi des chocs, créant des zone de gaz denses et froid, car loin de l’étoile. Ce gaz se solidifie alors en poussière.  Cette poussière va absorber le rayonnement de l’étoile et être éjectée, entraînant avec elle le gaz de l’étoile, enrichissant ainsi le milieu interstellaire en az et poussière. Le deuxième mécanisme majeur surviendrait lors de l’explosion en supernovæ d’étoiles très massives, (au moins 8 fois plus lourdes que le Soleil). La matière éjectée lors de cette explosion pourrait alors condenser, s’agréger et former des grains de poussières. Des études récentes menées par la professeure Martha Boyer de l’Université Hopkins à Baltimore sur les Nuages de Magellan (galaxies satellites de la Voie lactée) ont montré que ces mécanismes ne pouvaient expliquer à eux seuls la quantité de poussières observées dans ces galaxies : il y a trop de poussière.

La nébuleuse spirale WR104 imagée en infrarouge grâce à l’instrument SPHERE du télescope européen VLT.

Des étoiles monstrueuses à la rescousse

Parmi les pistes évoquées pour expliquer l’excès de poussière galactique, figurent les étoiles massives évoluées, ultime étape de leur combustion thermonucléaire : les étoiles Wolf-Rayet (WR). Parmi les milliards d’étoiles présentes dans les galaxies, 1 sur 50 000 dispose d’une masse suffisante pour déclencher une phase Wolf-Rayet. Cette phase ne durant que quelques centaines de milliers d’années, elles sont extrêmement rares mais suscitent un intérêt renouvelé de par leurs caractéristiques particulières. Ces étoiles, nommées en l’honneur des astronomes français Charles Wolf et Georges Rayet, se caractérisent par une très grande instabilité et une luminosité hors normes. Cette grande luminosité (plus de 200 000 fois plus grande que celle du Soleil) génère une perte de masse importante sous forme de vent stellaire dense et rapide (se propageant à plus de 4 millions de km/h) : un phénomène similaire dans sa nomenclature au vent produit par le Soleil à l’origine des aurores boréales et australes, mais beaucoup plus important, au point d’occulter l’étoile elle-même. Ce type d’étoile étant souvent en couple (les stars n’aiment pas la solitude, c’est bien connu), l’interaction de ce vent avec un compagnon serait à l’origine d’une production de poussière sans commune mesure dans la Galaxie.

Vue d’artiste de la zone de collision de vent (en violet) donnant naissance à la poussière (en rouge). (Gemini Observatory)

En 2018, une étude menée par l’équipe du Dr. Anthony Soulain, chercheur à l’Université de Sydney, a révélé l’étrange système présent autour d’une de ces étoiles Wolf-Rayet nommé WR104 dans la constellation du Sagittaire. Au moyen de l’instrument SPHERE installé sur le très grand télescope (VLT) européen de huit mètres au Chili, l’équipe a montré que ce système pouvait produire une quantité de poussière équivalent à deux fois la masse de la planète Mars chaque année. En comparaison, cela représente la quantité de poussière produite par l’ensemble des étoiles AGB du Petit Nuage de Magellan (plusieurs milliers d’objets). Les images de très hautes précisions montrent un environnement de poussière en forme de spirale, faisant quasiment face à la Terre (fig. 3). Ce quasi alignement a d’ailleurs valu son nom d’étoile de la mort à WR104. En effet, ce type d’étoile finira par exploser en supernova, qui pourrait s’accompagner d’un jet de matière énergétique se propageant vers la Terre. Heureusement, les quelques degrés de décalage qui existent avec ce système nous mettent hors de danger. L’aspect spiral de cette nébuleuse est attribué à une production de poussière continue, associée à un mouvement orbital circulaire. Plus précisément, c’est le choc d’interaction des vents des 2 étoiles constituant le système de WR104 (une étoile WR riche en carbone (type WC) et une étoile massive (type O)), qui générerait les conditions propices à la création des grains de poussière (fig. 4). On peut aisément faire une analogie avec les systèmes d’arrosage de nos jardins, où la turbine en rotation va éjecter l’eau pour former une spirale (vue du dessus). En termes d’échelle, le gigantisme de la structure spirale observée est difficilement concevable car l’ensemble de notre Système solaire tiendrait dans la partie centrale la plus brillante de l’image. On connaît aujourd’hui près de 700 étoiles Wolf-Rayet dans notre Galaxie (666 pour être exact, drôle de coïncidence pour des étoiles monstrueuses). Si une seule de ces étoiles est capable de produire autant de poussière, à l’instar de WR104, cette population stellaire pourrait rivaliser avec les étoiles de plus faible masses (AGB) et les supernovas. Plusieurs études sont actuellement menées sur ce type d’étoiles afin de déterminer précisément leur taux de production de poussière. L’équipe du Dr. Ryan Lau, de l’Université de Tokyo, ont étudié le spectre infrarouge de plusieurs dizaines de WR révélant des taux de production extrêmement élevés. Si ces études se confirment, les étoiles WR seraient alors les producteurs de poussière les plus efficaces de la Galaxie. En parallèle des observations, plusieurs équipes de par le monde tentent d’expliquer la physique à l’œuvre dans ces systèmes au moyen de modèles numériques sophistiqués.

Les chercheurs Anthony Soulain et Astrid Lamberts, de l’Observatoire de la Côte d’Azur, ont permis de faire le lien entre la composition chimique de l’environnement de ces étoiles et les caractéristiques géométriques des spirales qui en résultent. Grâce à ces études, il est possible d’étudier directement les mécanismes de formation des grains de poussière grâce aux images obtenues depuis le sol et bientôt dans l’espace. En effet, les étoiles Wolf-Rayet constituent une des nombreuses cibles prometteuses qu’observera le télescope spatial JWST, remplaçant de Hubble, et permettra de mieux appréhender ces monstres stellaires.

 

Anthony Soulain – Sydney Institute for Astronomy (SIfA), université de Sydney, CNRS

 

 

Des astronomes sénégalais explorent les confins du système solaire

Des astronomes sénégalais explorent les confins du système solaire

Des Astronomes Sénégalais explorent les confins du système solaire 

Comment se forment les planètes ? Des indices pourraient se trouver sur des astéroïdes situés dans la ceinture de Kuiper – portion de l’univers froide et sombre où se situe Pluton – car ils sont des « fossiles » inchangés depuis 4,5 milliards d’années. Afin de guider la sonde spatiale New Horizons vers Arrokoth [1] – l’un des objets célestes le plus lointain jamais visité par une mission spatiale – des astronomes américains, sénégalais et français se sont réunis au Sénégal le 4 Août 2018 pour préparer cette rencontre sans précédent à plus de 6 milliards de kilomètres de la Terre. 

Séance de travail sur le site d’entrainement (Centre de Conférence de Diamniadio, Sénégal). © ASPA

22 télescopes (essentiellement de type Dobson de 40 cm de diamètre) ont été déployés à 4 km d’intervalle couvrant environ 60 km de part et d’autre de la ligne centrale d’occultation prédite. Chaque système a été opéré par une équipe de trois personnes incluant un chercheur Sénégalais et de deux chercheurs américains ou français. 3 nuits d’apprentissage ont permis à chaque participant d’acquérir les compétences techniques pour l’installation du télescope sur chaque site d’observation et l’enregistrement de 10 minutes de vidéos autour de l’instant prédit de l’évènement.

Deux nouvelles cordes ont été obtenues [2]. Combinées avec les données de 4 autres occultations en 2017, ces observations ont permis d’obtenir des données astrométriques essentielle pour la navigation et la préparation du survol d’Arrokoth le 1et Janvier 2019. Ces observations ont également permis des prédire une forme bilobée de l’objet.

Cette forme, confirmée lors du survol d’Arrokoth le 1er janvier 2019, a ouvert une fenêtre sur les processus d’accrétion planétaire il y a plus de 4.5 Milliards d’années.  En effet, à l’issue de l’analyse des observations, les modèles de la formation et d’évolution d’Arrokoth indiquent que l’accrétion de l’objet binaire s’est réalisé par effondrement gravitationnel d’un nuage de galets en présence du gaz de la nébulaire protosolaire. Arrokoth est le produit d’une fusion en douceur et à faible vitesse dans le système solaire primitif. Des processus accrétionnels similaires se sont probablement produits ailleurs dans le système solaire au début de sa formation.

Cette étude démontre le puissance de cette technique d’occultations stellaires pour sonder les propriétés géométriques des milliers d’astéroïdes dans le système solaire et progresser dans notre compréhension de la formation du système solaire. Ces occultations sont également un moyen essentiel pour préparer les futures missions spatiales d’exploration de ces objets.

François Colas (Observatoire de Paris) et Salma Sylla (Université Cheikh Anta Dio) pendant la phase d’entrainement. © ASPA

Le Sénégal est dorénavant associé à l’exploration du système solaire. L’expérience acquise par les chercheurs Sénégalais dans ce domaine est précieuse et la NASA pourrait bientôt à nouveau bénéficier de cette expérience.  La mission NASA « Lucy » est la première mission spatiale à s’approcher des satellites troyens de Jupiter (astéroïdes qui partagent l’orbite de la planète Jupiter autour du Soleil, aux alentours des points de Lagrange L4 et L5 du système Soleil-Jupiter, c’est-à-dire 60° en avance ou en retard sur Jupiter). Dans un contexte mondial de restrictions des déplacements, l’observation d’occultations stellaires soulève de nouvelle difficulté. La NASA a donc décidé de s’appuyer en Septembre 2020 sur l’expérience de l’équipe Sénégalaise pour mener à bien, à nouveau sous la direction de Maram Kaire, président de l’Association Sénégalaise pour la Promotion de l’Astronomie (ASPA), une campagne d’occultation par l’astéroïde Polymele, qui sera survolé en 2027. Bonne chance à cette équipe soutenue également par une participation française (Centre National de la Recherche Scientifique, et Institut de Recherche pour le Développement).

David Baratoux, Directeur de recherche à l’Institut de Recherche pour le Développement

 

`Pour en savoir plus (portail de liens vers les communiqués de presse, revue de presse, film documentaire, et article scientifique)

https://africapss.org/2018/07/27/the-stellar-occultation-by-the-asteroid-ultima-thule-mu69-in-senegal-an-opportunity-for-the-development-of-astronomy-in-africa/

https://africapss.org/2019/10/09/in-pursuit-of-ultima-thule-in-senegal/

[1] Arrokoth signifie «ciel» en Powhatan, une langue amérindienne.

[2] Buie et al. (2020). Size and shape constrains of (486958) Arrokoth from stellar occultation. Astrophysical Journal, 159:130, doi:10.3847/1538-3881/ab6ced.

Les citoyens sont invités à chercher des trous noirs supermassifs !

Les citoyens sont invités à chercher des trous noirs supermassifs !

Il a été question à plusieurs reprises dans le magazine l’Astronomie de la Société Astronomique de France du radiotélescope LOFAR (Low Frequency Array). Il s’agit d’un réseau de plusieurs milliers de petits radiotélescopes répartis en Europe et coordonnés par l’institut néerlandais de radioastronomie, qui combine les signaux des différentes antennes pour créer un radiotélescope géant virtuel. La partie française de LOFAR est installée à Nançay, dans le Cher, au sein de la station de radioastronomie de l’Observatoire de Paris.

Image LOFAR d’une radiogalaxie dont l’image radio a été superposée à une image optique du ciel (issue du « Sloan Digital Sky Survey »). Les jets radio détectés par LOFAR comme ceux que l’on voit ici sous la forme de 2 lobes de part et d’autre de la galaxie indiquent la présence d’un trou noir supermassif situé au centre d’une galaxie. Il s’agit d’identifier celle-ci. Crédit Cyril Tasse, Observatoire de Paris – PSL et l’équipe survey LOFAR.

Dans le cadre du programme de science participative en ligne appelé « Galaxy Zoo » qui existe depuis une quinzaine d’années, un nouveau programme concernant les trous noirs supermassifs a été lancé sous le nom de « LOFAR Radio Galaxy Zoo ». Il s’agit pour les internautes de regarder et d’analyser des images de sources radio parmi les quatre millions de sources déjà découvertes avec LOFAR, pour aider à les associer à des galaxies vues par des télescopes observant à d’autres longueurs d’onde, par exemple dans le visible. Le but essentiel de ce travail est d’identifier les galaxies qui sont à l’origine des émissions radio (ou jets radios)  observées par LOFAR, et parfois même de reconstituer ces jets radios à partir des données obtenues automatiquement. Ces jets radios sont émis au voisinage immédiat d’un trou noir supermassif situé en général au centre d’une galaxie. Ils peuvent se propager à des millions d’années-lumière de la galaxie, que l’on appelle alors une radiogalaxie. Il reste de nombreux problèmes à résoudre concernant ces jets radios : comment sont-ils formés près du trou noir ? Quelle est la relation de ce dernier avec la galaxie qui l’abrite ? On espère que l’étude d’un grand nombre de radiogalaxies permettra de répondre à ces questions fondamentales.

Le site officiel de LOFAR galaxy zoo est:
https://www.zooniverse.org/projects/chrismrp/radio-galaxy-zoo-lofar

Fabrice Mottez, Société Astronomique de France

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