LE MAGAZINE DES SCIENCES DE L’UNIVERS EN AFRIQUE

Des expériences ont mesuré la masse volumique d’un alliage de fer, de silicium et de carbone aux températures et pressions régnant dans le noyau de Mercure. Ces résultats permettent de mieux comprendre la structure interne de la première planète du Système solaire.

 

Figure 1 – Structure interne de Mercure. Avec un rayon d’environ 1 800 km, le noyau occupe 75 % du rayon total. Le noyau externe est liquide, et il est composé de fer et d’un certain nombre d’éléments légers, parmi lesquels se trouvent sans doute le silicium, le carbone et le soufre. La croûte et le manteau sont rocheux. L’anti-croûte, dont l’existence n’est pas certaine, est une couche intercalaire entre le noyau et le manteau composée de sulfure de fer solide. (D’après © NASA/JHUAPL.)

 

MERCURE, UNE PLANÈTE UN PEU PARTICULIÈRE

Mercure est un objet à part parmi les planètes telluriques du Système solaire. Avec un rayon moyen de 2 440 km, c’est la plus petite de ces planètes. De plus, elle est dépourvue d’atmosphère et sa surface ressemble beaucoup à celle de la Lune. Mais surtout, sa masse volumique moyenne très élevée, 5 340 kg/m3, indique qu’elle est considérablement enrichie en métaux (principalement du fer) par rapport aux autres planètes telluriques. Plus précisément, la masse volumique de Mercure suggère que cette planète est constituée d’un noyau métallique d’environ 1 800 km de rayon, c’est-à- dire les 3/4 de son rayon total [1], entouré d’un manteau et d’une croûte, tous deux composés de roches (fig. 1). Certaines études prédisent également la présence d’une couche de sulfure de fer (FeS) solide intercalée entre le noyau et le manteau. Le noyau de Mercure, tout comme le noyau terrestre, se divise en un noyau central solide (ou graine) et un noyau externe liquide. La présence d’un noyau liquide, qui est le siège de mouvements de convection, permet à Mercure d’entretenir un petit champ magnétique. La graine se forme par cristallisation du noyau liquide, et sa taille augmente au cours du temps. Sa taille actuelle n’est pas connue, mais les simulations numériques de dynamos, qui reconstituent les champs magnétiques des planètes, montrent que pour obtenir un champ magnétique comparable à celui de Mercure son rayon ne doit pas dépasser 1 200 km.

Les propriétés particulières de Mercure posent aussi la question de sa formation. Trois scénarios principaux sont mis en avant : une formation à partir d’un matériau très enrichi en fer ; une formation à partir d’un matériau plus classique suivie d’un impact géant ayant volatilisé une grande partie du manteau initial ; et enfin, l’évaporation, à cause de la proximité au Soleil, d’un manteau également beaucoup plus volumineux que le manteau actuel. Cette dernière hypothèse est cependant mise à mal par le fait que la surface de Mercure est riche en éléments volatils, notamment en soufre (S) et en potassium (K), qui auraient dû, eux aussi, disparaître lors de l’évaporation partielle du noyau. Une question  connexe est la composition des petits blocs à partir desquels Mercure s’est formée. Deux types de matériaux ont la préférence des scientifiques : un matériau similaire aux chondrites CB (ou bencubbinite), dont les abondances relatives en fer et silicium sont semblables à celles de Mercure ; et les chondrites EH, plus riches en sillicium. [2].

La réponse à ces questions passe par une connaissance plus pointue de la composition du noyau de Mercure, et plus particulièrement de la nature et de la quantité d’éléments légers présents à côté du fer. Les propriétés thermodynamiques de cet alliage sont également des informations clés. Sa masse volumique, par exemple, peut être utilisée pour estimer la masse volumique moyenne de Mercure ainsi que son moment d’inertie, deux paramètres que l’on peut mesurer directement.

 

DES MESURES EXPÉRIMENTALES POUR LE SYSTÈME FE-SI-C

La composition de surface fournit un premier indice sur la composition possible du noyau liquide. La présence de soufre et l’appauvrissement en fer observés par la sonde Messenger indiquent que Mercure s’est certainement formée dans un milieu réducteur, c’est-à-dire pauvre en oxygène. Dans ces conditions, les éléments tels que le silicium (Si) et le carbone (C) ont un comportement sidérophile : ils se lient facilement avec le fer, et ont tendance à le suivre dans le noyau lors de la formation de ce dernier. Du soufre peut également accompagner le fer, mais en quantité plus limitée. On s’attend donc à trouver du silicium et du carbone en quantité non négligeable dans le noyau de Mercure (et dans une moindre mesure, du soufre), raison pour laquelle une équipe de chercheurs, pour la plupart de l’université de Louvain, a mesuré les propriétés d’aliages Fe-Si-C (3) .

 

Jurrien Knibbe et ses collègues ont tout particulièrement déterminé la masse volumique de plusieurs alliages Fe-Si-C pour une gamme de pressions allant de 3 à 6 gigapascals (GPa) (4) et des températures comprises entre 1 600 et 2 000 K (fig. 2), conditions proches de celles auxquelles on s’attend dans le noyau externe de Mercure. Parce qu’elles ont été réalisées pour des alliages de compositions différentes, ces expériences permettent, par interpolation, d’estimer la masse volumique du noyau pour des abondances données en silicium et en carbone. On peut ainsi tester un ensemble de compositions possibles en comparant les valeurs de masse volumique moyenne et de moment d’inertie prédites par chacune de ces compositions avec les valeurs observées de ces paramètres.

 

Figure 2 – Masse volumique (ρ, axe des ordonnées) mesurée pour différents alliages fer-silicium- carbone (Fe-Si-C ; symboles de couleur), et à différentes pressions (axe des abscisses). (Knibbe et al., 2021)

 

UN NOUVEAU REGARD SUR LA STRUCTURE ET LA COMPOSITION

Dans la seconde partie de leur travail, Jurrien Knibbe et ses collègues se sont précisément livrés à ce type d’exercice. Leurs calculs montrent qu’un noyau trop riche en silicium (15 % en masse, ou plus) explique difficilement les observations. Cela nécessiterait un moment d’inertie proche de ou plus élevé que la borne supérieure admise par les observations, un manteau très dense, et un noyau externe de plus de 1 200 km de rayon (fig. 3). Ce dernier rend difficile l’entretien d’une dynamo dans le noyau externe, et donc l’existence d’un champ magnétique. Les résultats expérimentaux (fig. 2) montrent que l’ajout de carbone (aux dépens du silicium) augmente la masse volumique du noyau externe et permet de résoudre ces problèmes. On notera au passage que la quantité de carbone qui peut être dissoute dans le fer diminue lorsque la quantité de silicium augmente. Enfin, trop peu de silicium (4 % ou moins) n’est pas désirable, car dans ce cas le noyau externe deviendrait trop dense, ce qui impliquerait un moment d’inertie plus faible que la borne inférieure observée. Au total, les mesures de masse volumique du système Fe- Si-C à hautes températures et hautes pressions vont dans le sens d’une graine de rayon inférieur à 1 200 km, et d’un noyau externe composé de fer auquel il faut ajouter 5 à 7 % de silicium et 1 à 4 % de carbone. À son tour, cette composition accrédite l’hypothèse que Mercure s’est formée à partir d’un matériau plutôt semblable aux chondrites CB qu’aux chondrites EH, ces dernières impliquant une abondance en silicium de plus de 15 %.

 

Figure 3 – rayon de la graine calculé en fonction de l’abondance en silicium dans le noyau externe de Mercure et pour différentes compositions de ce noyau : (A) fer et silicium ; (B) fer, silicium, carbone ; (C) fer, silicium, soufre ; (D) fer, silicium, carbone et soufre. toutes les abondances sont données en pourcentage de masse (wt%). Chaque point représente un calcul effectué en supposant une valeur spécifique du moment d’inertie, I, et de la température (code de couleur). trois valeurs du moment d’inertie, correspondant à la valeur médiane et aux bornes supérieure et inférieure du moment observé, sont retenues pour les calculs. (Knibbe et al., 2021)

 

 

La présence, dans le noyau externe de Mercure, de quelques pour cent de carbone et éventuellement de soufre, dont les effets sont similaires, a des conséquences importantes pour le maintien du champ magnétique de Mercure. D’une part, comme on l’a vu, elle permet d’expliquer le moment d’inertie de cette planète sans avoir recours à une graine trop volumineuse, qui empêcherait un processus de dynamo de se produire. D’autre part, elle pourrait jouer un rôle moteur dans cette dynamo. En effet, le carbone et le soufre ne cristallisent pas avec le fer lors de la croissance de la graine. À l’inverse, ces éléments restent dans le liquide, et comme ils sont plus légers que le fer, ils peuvent enclencher et entretenir les mouvements de convection nécessaires à la dynamo, en migrant vers la surface du noyau.

 

Frédéric Deschamps IESAS, Taipei, Taïwan

 

1. En comparaison, le noyau de la Terre occupe un peu plus de la moitié (54 %) du rayon terrestre total. 2. Les chondrites CB sont des chondrites carbonées contenant plus de 50 % de métaux (fer et nickel), dont le prototype est la météorite de Bencubbin tombée en Australie. Les chondrites EH sont des chondrites à enstatite, également riches en fer, en éléments volatiles sidérophiles, et en silicium.
3. KNIBBE J. S. et al. (2021), « Mercury’s interior structure constrained by density and P-wave velocity measurements of liquid Fe-Si-C alloys », Journal of Geophysical Research Planets, 126, e2020JE006651, doi: 10.1029/2020JE006651.
4. Un gigapascal correspond à 104 atmosphères, c’est- à-dire 10 000 fois la pression atmosphèrique à la surface de la Terre.

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