LE MAGAZINE DES SCIENCES DE L’UNIVERS EN AFRIQUE

Les filaments de gaz dans lesquels naissent les galaxies sont prédits depuis longtemps par les modèles cosmologiques, mais il n’existait pas encore d’images de ces objets. Pour la première fois, plusieurs filaments de cette « toile cosmique » ont été observés directement. Cette prouesse a été réalisée grâce à l’instrument Muse du Very Large Telescope (VLT) de l’Eso, au Chili.

 

1. Simulation de l’Univers lointain. Cette image illustre la lumière émise par les atomes d’hydrogène de la toile cosmique dans une région d’environ 15 millions d’années-lumière de côté. Outre l’émission très faible du gaz intergalactique, on devine de multiples sources ponctuelles, qui sont des galaxies formant leurs premières étoiles. (Jérémy Blaizot /projet Sphinx)

 

La structure filamentaire du gaz d’hydrogène dans lequel se forment les galaxies, appelée toile cosmique, est l’une des grandes prédictions du modèle du Big Bang et de la formation des galaxies (fig. 1). Jusqu’à maintenant, on ne pouvait détecter ces filaments qu’au moyen des raies d’absorption qu’ils impriment dans les spectres de sources lumineuses plus lointaines (des quasars la plupart du temps), lorsqu’ils sont situés sur leur ligne de visée. Ces observation ne permettaient d’obtenir une vision de l’Univers que suivant des lignes ténues et espacées. Or, les filaments émettent eux-mêmes une lumière diffuse très faible, due à la transition Lyman alpha de l’hydrogène atomique (voir encadré). Celle-ci peut être directement observée et imagée à condition de disposer d’un spectro-imageur puissant installé sur un très grand télescope muni d’un système d’optique adaptative permettant d’augmenter la résolution spatiale des images.

MUse (Multi Unit spectrograph explorer, voir l’Astronomie de juillet 2016) est un spectrographe-imageur 3D grand champ fonctionnant dans le visible, installé en 2014 sur le VLT. Il a été développé par le Centre de recherche en astrophysique de Lyon (Cral) afin d’explorer l’espace en trois dimensions (localisation et distance, cette dernière étant donnée par la vitesse de récession due à la loi de Hubble) et de détecter les galaxies les plus jeunes.

 

2. Les 2 250 galaxies du «cône» d’Univers observé par mUSe, représentées ici en fonction de l’âge de l’Univers (en milliards d’années). La période de l’Univers jeune (de 0,8 à 2,2 milliards d’années après le Big Bang), explorée dans cette étude, est représentée en rouge. Les 22 régions de surdensité de galaxies sont marquées par des rectangles gris. Les 5 régions où des filaments ont été identifiés de la manière la plus significative sont identifiées en bleu. (Roland Bacon / David Mary)

 

Une collaboration internationale dirigée par le Cral et associant le laboratoire Lagrange [1] a réussi à détecter ces filaments en pointant pendant plus de 140 heures le VLT équipé de l’instrument MUse sur une région du champ ultra-profond de Hubble, qui correspond à l’image la plus profonde du cosmos jamais obtenue [2].

Le traitement et l’analyse des données ont permis de révéler pour la première fois la lueur Lyman alpha de filaments d’hydrogène, dans 5 des 22 structures denses observées. Les images de plusieurs filaments de 2,5 à 4 Mpc [3] tels qu’ils étaient 1 à 2 milliards d’années après le Big Bang ont été alors obtenues (fig. 2 et 3). Les auteurs de l’article découvrent que si 70 % des filaments sont bien illuminés par des galaxies situées à de grandes distances, l’émission des 30 % restants provient du fond diffus cosmique. Cette émission est produite par une importante population d’émetteurs Lyman alpha de très faible luminosité.

 

3. Un des filaments d’hydrogène (en bleu) découverts par mUSe dans le champ ultra-profond de Hubble. il est situé dans la constellation du Fourneau, à 11,5 milliards d’années-lumière et s’étend sur plus de 15 millions d’années-lumière. L’image en arrière-plan est celle de Hubble

 

Il s’agirait d’une population de galaxies naines très nombreuses, jusqu’alors insoupçonnées, ayant existé 1 à 2 milliards d’années après le Big Bang. Ce qui signifierait qu’il existait à cette époque des filaments cosmiques constitués de galaxies dont la luminosité était aussi faible que mille luminosités solaires ! Cette observation ouvre évidemment des perspectives très prometteuses pour faire progresser nos connaissances sur la formation des galaxies.

 

Suzy Collin-Zahn Observatoire de Paris

 

La raie Lyman aLpha dans les filaments cosmiques
La raie Lyman alpha, lorsqu’elle est en émission, correspond aux photons émis lors des transitions entre le niveau 2 et le niveau 1 (niveau fondamental) de l’hydrogène atomique (voir la figure ci-dessous). Dans des milieux très dilués tels que le gaz intergalactique, cette raie est formée lorsqu’un atome dans l’état fondamental est ionisé par un photon ultraviolet de plus de 13,6 eV qui lui arrache son électron périphérique. L’ion d’hydrogène se recombine ensuite en capturant un électron sur un niveau supérieur, puis émet des photons correspondant aux cascades depuis les niveaux élevés jusqu’au niveau 2, et finit par émettre un photon Lyman alpha. On appelle ce processus « la fluorescence ».
Curieusement, bien que Lyman alpha soit une raie de l’hydrogène atomique, son intensité permet de déterminer le nombre d’ions d’hydrogène, qui dominent largement sur les atomes dans ces milieux, à partir du moment où ceux-ci contiennent des photons ultraviolets.

 

 

[1] CNRS/Université Lyon 1/ENS de Lyon et CNRS/Université Côte d’Azur/Observatoire de la Côte d’Azur.

[2] Roland Bacon, David Mary, Thibault Garel et al., « MUSE Extremely Deep Field: the cosmic web in emission at high redshift », arXiv 2101.07932.V1 et Astronomy & Astrophysics 647, 107, 2021.

[3] En coordonnées comobiles, c’est-à-dire en supposant que ces filaments n’ont pas de vitesse propre et qu’ils suivent simplement l’expansion de l’Univers.

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