LE MAGAZINE DES SCIENCES DE L’UNIVERS EN AFRIQUE
Le triomphe de Chang’e-5

Le triomphe de Chang’e-5

La mission lunaire chinoise de retour d’échantillons s’est parfaitement déroulée. Elle clôture en triomphe le programme d’exploration automatique de la Lune en trois phases qui avait été décidé par le gouvernement chinois en 2004. 

 

Figure 1 – Les pelles en action au bout du bras télémanipulateur de l’atterrisseur de Chang’E-5. on aperçoit à la surface lunaire les traces laissées par les pelles. (©CNSA)

 

Le recueil d’échantillons lunaires débuta peu après l’atterrissage de Chang’E-5, le 1er décembre 2020. Cette opération fut réalisée de manière presque idéale. En effet, si le bras télémanipulateur avec ses pelles avait parfaitement rempli son objectif à partir de 17 h 15 UTC, ce ne fut pas le cas de la foreuse qui n’avait pas pu récupérer les échantillons jusqu’à 2 m de profondeur, car le sous-sol était plus «dur» que prévu. Le forage put néanmoins extraire ce qui devait l’être à moins de 1 m (Fig. 1 et 2).
La phase de recueil fut plus courte que prévu : 19 heures au lieu de 20 heures. Elle était contrôlée depuis Pékin. Dans le Centre des observatoires nationaux, qui supervise les missions d’exploration chinoises, il y avait aussi une salle où l’on avait reproduit à la hâte le site d’atterrissage pour simuler sur Terre ce qui devait être réalisé sur la Lune. Cette pratique fut inaugurée avec Chang’E-3 en 2013-2014 pour commander le rover Yutu à la surface de la Lune.

 

Figure 2 – Le foret était le second système utilisé pour récupérer des échantillons lunaires. (©CNSA)

 

Retour des échantillons lunaires sur Terre

Les échantillons lunaires furent déposés dans un conteneur cylindrique hermétique ; ce dernier fut placé dans l’étage ascensionnel. Cet étage quitta la Lune le 3 décembre 2020 pour rejoindre le segment orbital. Le rendez-vous automatique avec le segment orbital (une première mondiale) fut parfaitement effectué le 6 décembre avant que l’amarrage des deux objets soit assuré par des pinces. Ensuite, le conteneur avec la précieuse cargaison fut transféré de l’étage ascensionnel à la capsule de retour. C’était la dernière opération avant que l’orbiteur de Chang’E-5 quitte l’orbite de la Lune pour rejoindre notre planète. Le 17 décembre, la capsule fut larguée à 5 000 km de la Terre au-dessus de l’Atlantique Sud. Ensuite, elle effectua un rebond atmosphérique à 60km d’altitude pour réduire sa vitesse et les frictions avec l’atmosphère. En fin de parcours, le parachute s’ouvrit à 10 km d’altitude. La capsule se posa en douceur à 18h59 (heure de Paris) après un périple de 23 jours (Fig. 3).

 

Figure 3 – La capsule de Chang’E-5 avec ses échantillons lunaires a atterri dans la Bannière de siziwang dans la province chinoise de Mongolie-Intérieure. C’est la seconde fois que la Chine récupère un objet lunaire. (CNSA)

 

La zone d’atterrissage se trouvait dans la Bannière de Siziwang, une division administrative de la province chinoise de Mongolie-Intérieure. Cette zone est utilisée depuis 1999 pour l’atterrissage des capsules des vaisseaux habités Shenzhou. C’est aussi dans cette région que la capsule de Chang’E-5T1 – le démonstrateur de Chang’E-5 – avait été récupérée en 2014. La recherche de la capsule après son atterrissage fut conduite à la fois par une brigade motorisée et par une cavalerie militaire locale qui dut préparer les chevaux à se déplacer de nuit et par –25 °C (fig. 4).

 

Figure 4 – Une brigade à cheval de l’Armée de terre chinoise pour repérer un objet«tombé»de la Lune!

 

La capsule et ses échantillons furent accueillis triomphalement à Pékin. La pesée des échantillons lunaires donna lieu le 19 décembre 2020 à une cérémonie officielle en présence de plusieurs personnalités, dont le président de l’Académie des sciences, Hou Jianguo, et des dizaines de journalistes  En définitive, Chang’E-5 rapporta 1 731 g de la Lune. C’est un peu moins que l’objectif des 2 kg, car le forage se fit sur un sol plus dur que prévu. Mais c’est beaucoup mieux que les trois missions soviétiques Luna, qui rapportèrent sur Terre 336 g de matières lunaires (mais 382kg pour Apollo !).

Selon l’Agence spatiale chinoise (CNSA), les échantillons seront prioritairement étudiés par les scientifiques de l’Observatoire astronomique national (une branche de l’Académie des sciences) et une petite partie sera confiée à des équipes étrangères. Pour ce faire, un comité d’experts chinois sélectionnera les propositions de recherche. La coopération avec la Nasa, qui a salué le succès de Chang’E-5, se fera en fonction de « l’évolution des relations politiques entre les États-Unis et la Chine ». Les autorités chinoises souhaitent aussi que les échantillons rapportés par Chang’E-5 soient présentés dans des musées et des expositions pour intéresser, en particulier, les jeunes sur les sujets scientifiques et les motiver pour suivre des carrières aérospatiales.

 

Panorama de type fisheye pris par l’atterrisseur de Chang’E-5. Celui-ci s’est posé au nord-ouest de l’océan des tempêtes, dans une zone caractérisée par des roches relativement jeunes. on distingue au premier plan l’un des 4 pieds d’atterrissage du module de descente de Chang’E-5.

 

Une deuxième vie pour l’orbiteur de Chang’E-5

Après s’être séparé du segment orbital de Chang’E-5, l’étage ascensionnel fut désorbité pour s’écraser sur la Lune. Selon le professeur Yang Yuguang, la Chine ne souhaitait pas polluer l’environnement lunaire avec ce véhicule qui avait achevé sa mission. En revanche, l’étage propulsif – l’orbiteur de la mission Chang’E-5 – est toujours opérationnel. Le directeur de la troisième phase du programme lunaire chinois, Hu Hao, a indiqué le 20 décembre 2020 que la nouvelle mission de ce véhicule visait à étudier l’environnement spatial autour du point de Lagrange L1, celui qui est placé entre la Terre et le Soleil. L’orbiteur de Chang’E-5 dispose encore de 200 kg de carburant, une réserve qui autorise plusieurs manœuvres. À la vérité, les Chinois sont passés maîtres dans l’art de prolonger l’utilisation de leurs véhicules lunaires. C’était déjà le cas il y a une dizaine d’années avec l’orbiteur Chang’E-2, qui avait effectué de nombreuses manœuvres dans l’environnement lunaire et autour du point de Lagrange L2 avant d’être transformé en sonde interplanétaire et de survoler l’astéroïde 4179 Toutatis le 13 décembre 2012. Ensuite, Chang’E-5T1 rejoignit lui aussi L2 sur une orbite de halo pour préparer la mise à poste du satellite de télécommunications lunaire Queqiao. Celui-ci a relayé les communications de la sonde Chang’E-4 qui s’est posée en 2019 sur la face cachée de la Lune.

La Chine a patiemment acquis toutes les compétences technologiques et scientifiques pour explorer la Lune. Seuls les Américains et les Soviétiques en avaient fait davantage dans la compétition lunaire des années 1960. Mais cette première conquête de la Lune est déjà ancienne et il faut bien reconnaître que la Chine est cette fois-ci en tête sur notre satellite naturel. Les futures missions lunaires chinoises s’annoncent plus complexes (Chang’E-6, 7 et 8) et seront encore plus « spécialisées et utilitaires » que les précédentes, car il s’agit maintenant de créer à la surface de la Lune une station de recherche automatique en 2030, qui sera le prélude à l’envoi de taïkonautes d’ici une quinzaine d’années. À ce titre, il faut rappeler que toutes les séquences suivies par la mission Chang’E-5 étaient celles des missions Apollo. Assurément, le retour de l’homme sur la Lune n’est plus un vague projet. Un compte à rebours a débuté des deux côtés du Pacifique. Et personne ne sait aujourd’hui qui enclenchera le premier le compte positif.

Nous vivons une période passionnante !

 

Philippe COUÉ | Membre de l’Académie internationale d’astronautique (IAA)

Arecibo, la fin d’une belle histoire

Arecibo, la fin d’une belle histoire

Le 1er décembre dernier, le radiotélescope géant d’Arecibo a terminé sa carrière. La nacelle de 900 tonnes contenant le plan focal s’est effondrée sur l’immense antenne de plus de 300 mètres de diamètre. Après la rupture d’un premier câble en août dernier, puis d’un second en novembre, on savait la fin inéluctable : la National Science Foundation avait décidé l’arrêt et le démontage de la structure ; cette dernière phase n’aura pas eu le temps d’être réalisée.

 

Arecibo Observatory

 

Situé en pleine forêt tropicale, sur l’île de Porto Rico, le radio-télescope d’Arecibo (fig. 1) a été mis en service en 1963. Il est constitué d’une antenne sphérique placée dans une cuvette naturelle formée à la suite d’un effondrement de terrain. La plateforme contenant le récepteur est portée par une nacelle fixe, soutenue par un réseau de câbles à trois pylônes géants situés à la périphérie. Le déplacement des récepteurs sur un rail tournant autour d’un axe vertical permet de suivre la source observée lorsque celle-ci se déplace dans le ciel. Situé près de l’équateur, le radiotélescope peut notamment observer toutes les planètes du Système solaire et suivre leur mouvement autour du méridien. Pendant plus de cinquante ans, le radiotélescope d’Arecibo aura été le plus grand instrument radio de son type (antenne unique ou single dish) au monde. Il ne sera détrôné qu’en 2016 par le radiotélescope chinois FAST.

Peu de temps après sa mise en service, le radiotélescope, utilisé alors en mode radar, est à l’origine d’une découverte remarquable : en 1964, l’équipe de Gordon Pettengill, à partir de ses mesures radio, détermine la véritable période de rotation de la planète Mercure. Celle-ci n’est pas égale à sa période de révolution (88 jours), comme on le croyait précédemment, mais elle est de 59 jours. La planète n’est donc pas en rotation synchrone, mais tourne très lentement sur elle-même : la durée d’une journée sur Mercure est de 176 jours terrestres. À la même époque, un chercheur de l’Observatoire de Paris, Ilya Kazès (1926-2008), séjourne deux ans à Arecibo pour mesurer, en mode passif cette fois, le rayonnement radio de Jupiter à différentes longueurs d’onde, 70, 150 et 700 cm (ce qui correspond à des fréquences respectives de 429, 200 et 42,9 MHz), pour étudier la variation de ce rayonnement en fonction de la rotation de la planète. C’est à cette période que le Grand Radiotélescope de Nançay, rattaché à l’Observatoire de Paris, entre en service dans le Cher.

 

Le grand télescope d’Arecibo, sur l’île de Porto Rico. La nacelle, suspendue par des câbles aux trois pylônes périphériques, évolue à une hauteur d’environ 100 mètres au-dessus de la grande antenne dont le diamètre atteint 305 mètres. (NAIC Arecibo Observatory)

 

En 1974, le radiotélescope d’Arecibo connaît une rénovation majeure : le grillage qui constitue sa surface est remplacé par un ensemble d’environ 40 000 panneaux d’aluminium perforés supportés par un maillage de câbles en acier. L’amélioration de la qualité de surface ainsi obtenue permet l’observation à plus haute fréquence, en particulier celle de la raie de l’hydrogène neutre à 21 cm (1,420 GHz) qui se révèle être un diagnostic précieux pour sonder la dynamique de la Galaxie et déterminer la constante de Hubble, à partir de la mesure de l’éloignement des sources extragalactiques. D’autres transitions deviennent également observables : celles des radicaux OH à 18cm (1,66GHz) et CH à 9cm (3,3 GHz). Les observations de OH dans les comètes sont précieuses pour étudier leur taux de production (OH étant un produit de dissociation direct de la molécule d’eau, constituant principal des comètes) et suivre leur évolution en fonction de la distance héliocentrique. De telles études se poursuivent aujourd’hui sur le Grand Radiotélescope de Nançay. C’est à Arecibo qu’est obtenue, en 1989, la première image d’un astéroïde (4769 Castalia). Enfin, le radiotélescope connaît à nouveau son heure de gloire un an plus tard, lorsque l’astronome polonais Aleksander Wolszczan découvre deux pulsars, PSR B 1257 +12 et PSR B 1534 +12, puis, deux ans plus tard, deux planètes en orbite autour du premier d’entre eux. Il s’agit de la première découverte de planètes extrasolaires.

 

Le Message d’Arecibo – Les couleurs ont été ajoutées pour faciliter la compréhension. De haut en bas : (1) les nombres de 1 à 10 en format binaire (en blanc) ; (2) les masses atomiques des éléments H, C, N, O, P (en violet) ; (3) les formules brutes des nucléotides dans la configuration de l’ADN (en vert), le nombre de nucléotides (en blanc) et la structure en double hélice de l’ADN (en bleu) ; (4) la silhouette d’un homme avec à gauche en bleu sa taille, et à droite en blanc la population de la Terre ; (5) une représentation du Système solaire avec la Terre légèrement décalée (en jaune) ; (6) le télescope d’Arecibo (en violet) avec son diamètre (en unités de longueur d’onde). Le message a été émis à la longueur d’onde de 12,6 cm, soit 2,380 GHz. Il a été écrit par Frank Drake avec l’aide d’autres chercheurs, dont Carl Sagan.

 

Au-delà des découvertes scientifiques qu’il a accomplies, c’est surtout la quête d’une vie extraterrestre qui a fait la renommée du radiotélescope d’Arecibo. Son nom est en effet associé au projet SETI (Search for Extraterrestrial Intelligence). Né en 1960 à l’initiative de l’astronome Frank Drake, ce projet a pour ambition de communiquer avec d’éventuelles civilisations extraterrestres par le canal de la transition de l’hydrogène à 21 cm, supposée être universellement connue. La campagne commence avec la grande antenne de Green Bank, en Virginie-Occidentale, puis mobilise aussi celles d’Arecibo et de Parkes, en Australie, ainsi que le Grand Radiotélescope de Nançay. C’est depuis Arecibo qu’est lancé, en 1974, le célèbre message vers d’autres mondes, dans la direction de l’amas globulaire M13. Ce message de 1679bits, codé en binaire, définit une image de 23 × 73 points sur laquelle figurent des nombres, des formules chimiques et des images simplifiés représentant un homme et le télescope (encadré ci-dessus). Une première remarque s’impose : l’amas M13 étant situé à 25 000 années-lumière, il faudra s’armer de patience pour obtenir une réponse. Notons aussi qu’il faudra aux extraterrestres une intelligence supérieure pour déchiffrer ce message…

 

Thérèse ENCRENAZ | Observatoire de Paris

De nouvelles mesures expérimentales pour mieux comprendre l’intérieur de Mercure

De nouvelles mesures expérimentales pour mieux comprendre l’intérieur de Mercure

Des expériences ont mesuré la masse volumique d’un alliage de fer, de silicium et de carbone aux températures et pressions régnant dans le noyau de Mercure. Ces résultats permettent de mieux comprendre la structure interne de la première planète du Système solaire.

 

Figure 1 – Structure interne de Mercure. Avec un rayon d’environ 1 800 km, le noyau occupe 75 % du rayon total. Le noyau externe est liquide, et il est composé de fer et d’un certain nombre d’éléments légers, parmi lesquels se trouvent sans doute le silicium, le carbone et le soufre. La croûte et le manteau sont rocheux. L’anti-croûte, dont l’existence n’est pas certaine, est une couche intercalaire entre le noyau et le manteau composée de sulfure de fer solide. (D’après © NASA/JHUAPL.)

 

MERCURE, UNE PLANÈTE UN PEU PARTICULIÈRE

Mercure est un objet à part parmi les planètes telluriques du Système solaire. Avec un rayon moyen de 2 440 km, c’est la plus petite de ces planètes. De plus, elle est dépourvue d’atmosphère et sa surface ressemble beaucoup à celle de la Lune. Mais surtout, sa masse volumique moyenne très élevée, 5 340 kg/m3, indique qu’elle est considérablement enrichie en métaux (principalement du fer) par rapport aux autres planètes telluriques. Plus précisément, la masse volumique de Mercure suggère que cette planète est constituée d’un noyau métallique d’environ 1 800 km de rayon, c’est-à- dire les 3/4 de son rayon total [1], entouré d’un manteau et d’une croûte, tous deux composés de roches (fig. 1). Certaines études prédisent également la présence d’une couche de sulfure de fer (FeS) solide intercalée entre le noyau et le manteau. Le noyau de Mercure, tout comme le noyau terrestre, se divise en un noyau central solide (ou graine) et un noyau externe liquide. La présence d’un noyau liquide, qui est le siège de mouvements de convection, permet à Mercure d’entretenir un petit champ magnétique. La graine se forme par cristallisation du noyau liquide, et sa taille augmente au cours du temps. Sa taille actuelle n’est pas connue, mais les simulations numériques de dynamos, qui reconstituent les champs magnétiques des planètes, montrent que pour obtenir un champ magnétique comparable à celui de Mercure son rayon ne doit pas dépasser 1 200 km.

Les propriétés particulières de Mercure posent aussi la question de sa formation. Trois scénarios principaux sont mis en avant : une formation à partir d’un matériau très enrichi en fer ; une formation à partir d’un matériau plus classique suivie d’un impact géant ayant volatilisé une grande partie du manteau initial ; et enfin, l’évaporation, à cause de la proximité au Soleil, d’un manteau également beaucoup plus volumineux que le manteau actuel. Cette dernière hypothèse est cependant mise à mal par le fait que la surface de Mercure est riche en éléments volatils, notamment en soufre (S) et en potassium (K), qui auraient dû, eux aussi, disparaître lors de l’évaporation partielle du noyau. Une question  connexe est la composition des petits blocs à partir desquels Mercure s’est formée. Deux types de matériaux ont la préférence des scientifiques : un matériau similaire aux chondrites CB (ou bencubbinite), dont les abondances relatives en fer et silicium sont semblables à celles de Mercure ; et les chondrites EH, plus riches en sillicium. [2].

La réponse à ces questions passe par une connaissance plus pointue de la composition du noyau de Mercure, et plus particulièrement de la nature et de la quantité d’éléments légers présents à côté du fer. Les propriétés thermodynamiques de cet alliage sont également des informations clés. Sa masse volumique, par exemple, peut être utilisée pour estimer la masse volumique moyenne de Mercure ainsi que son moment d’inertie, deux paramètres que l’on peut mesurer directement.

 

DES MESURES EXPÉRIMENTALES POUR LE SYSTÈME FE-SI-C

La composition de surface fournit un premier indice sur la composition possible du noyau liquide. La présence de soufre et l’appauvrissement en fer observés par la sonde Messenger indiquent que Mercure s’est certainement formée dans un milieu réducteur, c’est-à-dire pauvre en oxygène. Dans ces conditions, les éléments tels que le silicium (Si) et le carbone (C) ont un comportement sidérophile : ils se lient facilement avec le fer, et ont tendance à le suivre dans le noyau lors de la formation de ce dernier. Du soufre peut également accompagner le fer, mais en quantité plus limitée. On s’attend donc à trouver du silicium et du carbone en quantité non négligeable dans le noyau de Mercure (et dans une moindre mesure, du soufre), raison pour laquelle une équipe de chercheurs, pour la plupart de l’université de Louvain, a mesuré les propriétés d’aliages Fe-Si-C (3) .

 

Jurrien Knibbe et ses collègues ont tout particulièrement déterminé la masse volumique de plusieurs alliages Fe-Si-C pour une gamme de pressions allant de 3 à 6 gigapascals (GPa) (4) et des températures comprises entre 1 600 et 2 000 K (fig. 2), conditions proches de celles auxquelles on s’attend dans le noyau externe de Mercure. Parce qu’elles ont été réalisées pour des alliages de compositions différentes, ces expériences permettent, par interpolation, d’estimer la masse volumique du noyau pour des abondances données en silicium et en carbone. On peut ainsi tester un ensemble de compositions possibles en comparant les valeurs de masse volumique moyenne et de moment d’inertie prédites par chacune de ces compositions avec les valeurs observées de ces paramètres.

 

Figure 2 – Masse volumique (ρ, axe des ordonnées) mesurée pour différents alliages fer-silicium- carbone (Fe-Si-C ; symboles de couleur), et à différentes pressions (axe des abscisses). (Knibbe et al., 2021)

 

UN NOUVEAU REGARD SUR LA STRUCTURE ET LA COMPOSITION

Dans la seconde partie de leur travail, Jurrien Knibbe et ses collègues se sont précisément livrés à ce type d’exercice. Leurs calculs montrent qu’un noyau trop riche en silicium (15 % en masse, ou plus) explique difficilement les observations. Cela nécessiterait un moment d’inertie proche de ou plus élevé que la borne supérieure admise par les observations, un manteau très dense, et un noyau externe de plus de 1 200 km de rayon (fig. 3). Ce dernier rend difficile l’entretien d’une dynamo dans le noyau externe, et donc l’existence d’un champ magnétique. Les résultats expérimentaux (fig. 2) montrent que l’ajout de carbone (aux dépens du silicium) augmente la masse volumique du noyau externe et permet de résoudre ces problèmes. On notera au passage que la quantité de carbone qui peut être dissoute dans le fer diminue lorsque la quantité de silicium augmente. Enfin, trop peu de silicium (4 % ou moins) n’est pas désirable, car dans ce cas le noyau externe deviendrait trop dense, ce qui impliquerait un moment d’inertie plus faible que la borne inférieure observée. Au total, les mesures de masse volumique du système Fe- Si-C à hautes températures et hautes pressions vont dans le sens d’une graine de rayon inférieur à 1 200 km, et d’un noyau externe composé de fer auquel il faut ajouter 5 à 7 % de silicium et 1 à 4 % de carbone. À son tour, cette composition accrédite l’hypothèse que Mercure s’est formée à partir d’un matériau plutôt semblable aux chondrites CB qu’aux chondrites EH, ces dernières impliquant une abondance en silicium de plus de 15 %.

 

Figure 3 – rayon de la graine calculé en fonction de l’abondance en silicium dans le noyau externe de Mercure et pour différentes compositions de ce noyau : (A) fer et silicium ; (B) fer, silicium, carbone ; (C) fer, silicium, soufre ; (D) fer, silicium, carbone et soufre. toutes les abondances sont données en pourcentage de masse (wt%). Chaque point représente un calcul effectué en supposant une valeur spécifique du moment d’inertie, I, et de la température (code de couleur). trois valeurs du moment d’inertie, correspondant à la valeur médiane et aux bornes supérieure et inférieure du moment observé, sont retenues pour les calculs. (Knibbe et al., 2021)

 

 

La présence, dans le noyau externe de Mercure, de quelques pour cent de carbone et éventuellement de soufre, dont les effets sont similaires, a des conséquences importantes pour le maintien du champ magnétique de Mercure. D’une part, comme on l’a vu, elle permet d’expliquer le moment d’inertie de cette planète sans avoir recours à une graine trop volumineuse, qui empêcherait un processus de dynamo de se produire. D’autre part, elle pourrait jouer un rôle moteur dans cette dynamo. En effet, le carbone et le soufre ne cristallisent pas avec le fer lors de la croissance de la graine. À l’inverse, ces éléments restent dans le liquide, et comme ils sont plus légers que le fer, ils peuvent enclencher et entretenir les mouvements de convection nécessaires à la dynamo, en migrant vers la surface du noyau.

 

Frédéric Deschamps IESAS, Taipei, Taïwan

 

1. En comparaison, le noyau de la Terre occupe un peu plus de la moitié (54 %) du rayon terrestre total. 2. Les chondrites CB sont des chondrites carbonées contenant plus de 50 % de métaux (fer et nickel), dont le prototype est la météorite de Bencubbin tombée en Australie. Les chondrites EH sont des chondrites à enstatite, également riches en fer, en éléments volatiles sidérophiles, et en silicium.
3. KNIBBE J. S. et al. (2021), « Mercury’s interior structure constrained by density and P-wave velocity measurements of liquid Fe-Si-C alloys », Journal of Geophysical Research Planets, 126, e2020JE006651, doi: 10.1029/2020JE006651.
4. Un gigapascal correspond à 104 atmosphères, c’est- à-dire 10 000 fois la pression atmosphèrique à la surface de la Terre.

Nouvelle fusion d’un trou noir

Nouvelle fusion d’un trou noir

Coalescence d’un trou noir de 23 masses solaires avec un astre compact 9 fois plus léger et de nature inconnue

Les détecteurs Virgo (USA) et LIGO (Italie) ont enregistré le 14 août 2019 des ondes gravitationnelles (des déformations de l’espace-temps) dont la fréquence est montée de 20 à 100 Hz environ en deux secondes. Leur analyse a révélé qu’elles ont été émises durant les dernières secondes avant la fusion de deux astres en un seul plus massif . Ce couple d’astres, avant qu’il fusionne en un trou noir plus massif de 25,6 masses solaires, était formé d’un astre compact de 2,6 masses solaires et d’un trou noir de 23,2 masses solaires. Aucune contrepartie connue à ce jour n’a été observée dans le spectre électromagnétique (lumière visible, ondes radio, rayons X et gamma).

Mais au fait, direz-vous, si on additionne les masses des deux astres, on trouve 2,6+23,2=25,8. Or l’astre final a une masse de 25,6 masses solaires. Où sont passées les 0,2 masses solaires manquantes ? Elles ont été converties en énergie, selon la célèbre formule E=mc**2, précisément celle qui a propagé des déformations d’espace-temps sous forme d’ondes gravitationnelles.

Cet événement présente deux particularités intéressantes.

D’abord la masse du corps le plus léger, 2,6 masses solaires, en fait  soit le trou noir le moins massif jamais observé, soit l’étoile à neutrons la plus massive connue. En principe, rien ne s’oppose à l’existence d’un trou noir de 2,6 masses solaires, mais les scénarios actuels de l’effondrement des étoiles massives suggèrent qu’on obtienne, outre les quantités énormes de matière éjectées dans l’espace, des trous noirs plus massifs. En ce qui concerne les étoiles à neutrons, tous les modèles actuels décrivant les propriétés de leur matière (équations d’état), quoique nombreux et tous relativement spéculatifs, prévoient pour les étoiles à neutrons une masse maximale n’excédant 2 masses solaires que de très peu.

L’autre intérêt est la grande différence de masses entre les deux astres au moment où ils ont émis ces ondes gravitationnelles. Une onde gravitationnelle émise par deux astres de même masse est surtout intense à une certaine fréquence, que l’on peut appeler la fréquence fondamentale du système. Deux astres de masses très différentes émettent, en plus de ce mode fondamental, des ondes gravitationnelles à des fréquences multiples du mode fondamental. Si on faisait un parallèle avec la musique, on dirait que les systèmes asymétriques ont un timbre plus riche que les systèmes formés de deux astres de même masse. Cela offre des contraintes nouvelles pour mettre à l’épreuve la théorie de la relativité générale en champ gravitationnel fort, ainsi que les théories alternatives. Encore une fois, on ne mesure pas de déviation entre ce qui est prédit par la théorie de la relativité générale et ce qui est observé.

masse des objets observés par LiGo-Virgo. Les fusions d’étoiles sont indiquées par des lignes partant des deux étoiles progénitrices et aboutissant (flèche) à l’étoile fusionnée. Les objets en jaune sont des étoiles à neutrons dont la masse a pu être mesurée par des observations dans le domaine électromagnétique (donc pas avec LiGo-Virgo). Les étoiles à neutrons détectées avec des ondes gravitationnelles (avec LiGo et/ou Virgo) sont en orange. Les objets en violet sont des trous noirs détectés dans le domaine électromagnétique, ceux en bleu sont des trous noirs détectés grâce aux ondes gravitationnelles. LiGo-Virgo a observé deux fusions d’étoiles à neutrons, onze fusions de trous noirs, et l’événement GW190814 (entouré en blanc), fusion entre un trou noir et un objet de nature inconnue. L’auteur parle de «stellar graveyard», soit «cimetière d’étoiles» pour ce objets.

 

Fabrice Mottez, CNRS, Observatoire de Paris-psl

Lien vers l’article de la découverte : https://ui.adsabs.harvard.edu/abs/2020arXiv200612611T/abstract

 

 

 

 

Astronomie et Covid

Astronomie et Covid

La maladie à coronavirus (COVID-19) est une maladie infectieuse causée par une nouvelle souche de coronavirus (SARS-CoV-2). Le premier cas a été signalé dans la ville de Wuhan, dans la province chinoise du Hubei, le 31 décembre 2019 par l’Organisation mondiale de la santé. Cette maladie est rapidement devenue une pandémie mondiale et s’est quasiment propagée  dans le monde entier. A ce jour, 11 janvier 2021, plus de 90 millions de personnes dans le monde ont été testées positives au COVID-19, avec plus de 1,9 million décès confirmés (les derniers chiffres sont disponibles sur le site web de l’OMS).

Heureusement, nous disposons maintenant de vaccins (Pfizer-BioNTech, Moderna, etc.), et de nombreux pays ont déjà commencé la campagne de vaccination. Cela permettra certainement de réduire le nombre de nouveaux cas et éventuellement d’atteindre l’immunité collective.

Toutefois, il est important de souligner que différentes activités ont été menées par des scientifiques (groupes ou individus) depuis le début de la pandémie afin d’aider à la combattre. Pour ce faire, j’ai donc travaillé en tant que fellow à l’Office of Astronomy for Development (OAD)  qui est basé à Cape Town en Afrique du Sud afin d’élucider comment la communauté d’astronomie peut contribuer à l’atténuation de la pandémie du COVID-19 et de ses effets. Mon étude a montré que les astronomes peuvent transférer leurs connaissances des études des étoiles et de l’exploration de l’univers à la contribution à la lutte contre la pandémie. Par exemple, les astronomes utilisent leurs ressources informatiques à l’exécution de simulations pour aider à comprendre la structure du virus, participent au travail d’assistance sanitaire (comme la conception de ventilateurs en Afrique du Sud, aux États-Unis, en Italie, au Canada et en Thaïlande) et participent à l’éducation des enfants via l’enseignement de l’astronomie en ligne afin de leur permettre de continuer  à apprendre tout en restant chez eux lors des fermetures des écoles et mesures de confinement.

National Ventilators Project (NVP) géré par SARAO (South African Radio Astronomy Observatory) en Afrique du Sud.

 

Ventilateur VITAL développé par la NASA Jet Propulsion Laboratory pour assister les patients de COVID-19 ayant des difficultés à respirer. Crédit photo: NASA/JPL-Caltech

 

De plus amples informations sur ces activités menées par la communauté astronomique dans la lutte contre le COVID-19 sont disponibles sur le site web de l’OAD: www.astro4dev.org/covid-19

Marie Korsaga – Burkina Faso

Le cycle nouveau est arrivé ! 

Le cycle nouveau est arrivé ! 

Le Soleil possède un cycle d’activité magnétique, modulé autour d‘une période de 11 ans. Par convention, ces cycles ont commencé à être numérotés à partir du milieu du 18 e siècle, le 1er cycle commençant en août 1755 et finissant en mars 1766. Récemment, le passage du 24 e vers le 25 e cycle a été acté, les données solaires montrant que le basculement s’est fait en décembre 2019. Nous allons ici donner un coup de projecteur sur les éléments ayant permis à la communauté scientifique de valider cette transition de cycle. De plus, celle-ci annonce qu’un nouveau maximum d’activité solaire devrait intervenir d’ici cinq ans, si les prévisions actuelles se vérifient.


Historiquement, tout au moins en Europe, c’est le célèbre savant italien Galilée qui a mis en évidence l’existence sur la surface du Soleil de taches sombres. Le suivi systématique de ces taches a alors commencé dans plusieurs observatoires et l’existence d’une modulation d’environ 11 ans fut mise en évidence par l’astronome allemand Henrich Schwabe au milieu du 19 e siècle, dans un article intitulé « Observations solaires durant 1843 ». Nous montrons sur la Figure 1 (panneau du haut), l’enregistrement des taches solaires depuis le début du 18 e siècle et la numérotation associée. La série montrée est la compilation méticuleuse de très nombreuses observations prises dans différents observatoires au cours des siècles sur des séries plus ou moins longues et fiables pour les plus anciennes et de manière plus systématique et coordonnée plus récemment. Elle a été remise à jour en 2015 par un groupe d’experts internationaux sous l’égide de l’Union Astronomique Internationale (IAU) et est librement accessible sur le site web de l’Observatoire Royal de Belgique (http://sidc.be/silso/home).

Nous remarquons, que le nombre de taches varie (oscille) en effet en moyenne sur 11 ans avec des cycles courts et d’autres plus longs. Nous notons aussi que certains cycles sont plus faibles que d’autres atteignant à peine 100 taches (cycles 5 et 6 par exemple) alors que d’autres comme le cycle 19, dépassent les 300 à son maximum vers 1960. Une analyse en transformée de Fourier révèle aussi qu’un autre cycle plus long existe. On peut en effet remarquer une modulation d’environ 90 à 100 ans sur l’amplitude des cycles, cette modulation s’appelle le cycle de Gleissberg.

Dès lors certaines questions deviennent inévitables : D’où viennent ces taches ? de quoi sont-elles faites ? pourquoi apparaissent elles de manière cyclique ?

Le lien entre ces taches sombres, appelées couramment taches solaires, et le magnétisme solaire n’a été réalisé qu’au début du 20 e siècle par l’astronome américain George Ellery Hale en 1908. Le même G.E. Hale, démontra en 1919 que le magnétisme du Soleil a changé de polarité d’un cycle à l’autre. Pour expliquer la nature magnétique des taches solaires, il faut donc que le Soleil lui-même soit magnétique. C’est effectivement le cas, le Soleil opère un mécanisme dit de dynamo fluide, qui convertit l’énergie mécanique de son enveloppe externe convective en énergie magnétique. Il s’avère que ce mécanisme induit un champ magnétique et un courant électrique associé, cycliques. Ces taches sont faites de plasma fortement magnétisé, et elles apparaissent sombres, étant moins chaudes que la convection (granulation) de surface les environnant (environ 1500 K d’écart) car le champ magnétique inhibe la convection et en modifie les propriétés thermodynamiques locales.

En enregistrant l’apparition de ces taches et en suivant l’évolution spatio-temporelle au fur et à mesure des rotations du Soleil sur lui-même (environ en 28 jours), il est possible d’établir une image précise du cycle solaire sur des périodes s’étalant sur des décennies voire des siècles et d’en caractériser les propriétés fines.

Panneau du haut : Nombre de taches solaires observées depuis le milieu du 18 e siècle. On remarque clairement la répétition des cycles d’une durée moyenne de 11 ans et leur numérotation. En bleu-gris nous représentons la moyenne glissante de 13 mois. C’est celle-ci qui détermine le début et la fin de chaque cycle. Nous représentons aussi en orange la même série mais avec une moyenne mensuelle, celle-ci montrant la variabilité autour du cycle de 11 ans (données SILSO/ROB). La zone légèrement bleutée à partir de 1975 couvre la même durée que le diagramme « papillon » représenté sur la panneau en bas à gauche. Ce diagramme représente la moyenne longitudinale des cartes synoptiques créées pour chaque rotation de Carrington (données Mount Wilcox/GONG/SOLIS). L’amplitude de la composante radiale du champ magnétique et sa polarité sont représentées en fonction du temps et de la latitude sur la surface du Soleil. On remarque la forme caractéristique de l’apparition des taches de plus en plus concentrées vers l’équateur au cours du cycle de 11 ans, ainsi qu’une branche polaire, avec inversion de polarités aux pôles au maximum de chaque cycle. Sur le panneau en bas à droite, on montre un zoom sur le cycle 24 du nombre de taches solaires (même code couleurs que sur la panneau du haut). En 2020 en particulier on remarque le tout début de la remontée du nombre de taches solaires, aussi bien sur la moyenne glissante sur 13 mois (courbe bleue-grise) que sur l’enregistrement mensuel (courbe orange) (données SIDC/SILSO).

 

Sur la Figure 1 (panneau du bas à gauche), on représente le diagramme dit « papillon » du magnétisme solaire, à cause de sa forme caractéristique en forme d’ailes. Celui-ci est constitué à partir de magnétogrammes, des enregistrements du magnétisme de surface du Soleil (voir fig. 2). En suivant la rotation du Soleil, on peut créer des images représentant l’activité magnétique du Soleil du nord au sud sur environ 28 jours (rotation dite de Carrington) et 360° de longitude[1]. Ces images, dites cartes synoptiques, peuvent ensuite être moyennées en longitude et former une bande en fonction de la latitude solaire par rotation (ici à partir de 1975 en utilisant les données sol du Mont Wilcox et du réseau GONG). En mettant ces bandes à la suite les unes après les autres, on commence à former une « fresque » temporelle du magnétisme solaire. On remarque alors la succession des cycles (ici sont représentés les quatre derniers cycles de 21 à 24), la propagation de l’apparition des taches, des moyennes latitudes vers l’équateur solaire et l’inversion de l’ordre des polarités des bipôles formés par les taches d’un cycle à l’autre.

 

Nous représentons 2 magnétogrammes de la surface du Soleil pris à différentes dates par l’instrument HMI à bord du satellite Solar Dynamical Observatory (SDO). À gauche, durant le maximum du cycle 24, en aout  2014 et à droite en juin 2020, lors du début du cycle 25 (données NASA/SDO- site solarmonitor.org). On remarque que durant le maximum d’activité il y a beaucoup plus de taches à la surface. On note aussi que l’ordre des polarités (noire négative, blanche positive) est inversé entre les hémisphères nord et sud. Encore plus surprenant, cet ordre des polarités s’inverse dans chaque hémisphère entre 2014 et 2020. En 2014, dans l’hémisphère nord la polarité plus (+) est derrière la polarité moins (-), alors qu’en 2020, elle est devant. Ceci prouve qu’en 2020, se sont des taches du nouveau cycle 25 qui apparaissent.

 

Pour acter la transition d’un cycle solaire, ici du cycle 24 au cycle 25, il faut donc plusieurs éléments. Tout d’abord il faut que la moyenne glissante sur 13 mois du nombre de taches solaires passe par un minimum. On voit Figure 1 (panneau bas à droite), que c’est le cas à partir de janvier 2020, on remarque la légère remontée de la courbe. On en déduit donc que le minimum a été atteint en décembre 2019. Ceci est confirmé quand on regarde sur la Figure 2, la polarité des bipôles magnétiques associés au taches solaires grâce à des magnétogrammes. On remarque que la succession des polarités des bipôles entre 2014 et 2020 a changé de signe dans les deux hémisphères. Par exemple, les bipôles magnétiques dans l’hémisphère nord étaient dans une configuration +/- (blanche/noire) en 2014 et -/+ (noire/blanche) en 2020. De plus on note qu’en 2014 les taches en plein maximum d’activité solaire (soit 5 ans après le début du cycle 24), sont plus proches de l’équateur que les taches observées en 2020, confirmant selon la progression du cycle (début vs fin), la migration plus ou moins forte vers les basses latitudes des taches. Une dernière confirmation vient du nombre de taches d’une polarité vs celle du cycle « précédent ». Sur la Figure 3, nous montrons comment la transition entre les cycles 24 et 25 sur les années 2018 à 2020 s’est opérée. Il est maintenant clair que la polarité des taches associées au cycle 25 (-/+ dans l’hémisphère nord) domine dans la plupart des bipôles observés en 2020. Il est normal d’avoir un léger chevauchement entre les deux cycles (l’un finissant, l’autre commençant) et donc parfois un mélange de l’ordre des polarités comme en janvier 2020, mais cela ne dure pas.

Pour conclure, la durée du cycle 24 aura donc été précisément 11 ans, de décembre 2008 à décembre 2019. Par comparaison la durée du cycle précédent (23) avait été de 12 ans et 3 mois. On note aussi que le cycle 24 a été plus faible que les 3 cycles précédents. Il est vraisemblable que nous soyons à la fin du cycle de Gleissberg commencé au 20eme siècle, et dont le maximum se trouvait autour du cycle 19. En comparaison au cycle 19, le cycle 24 est près de 2,5 fois plus faible. Les prévisions actuelles donnent un cycle 25 aussi faible que le cycle 24, un peu comme la succession des cycles 5 et 6 (dits minimum de Dalton). Il sera intéressant de vérifier cela dans quelques années, le prochain maximum étant prévu à ce jour en 2025. 

 

Nombre de groupe de taches solaires associé aux deux cycles 24 et 25, lors de la transition entre les deux vers fin 2019. Comme nous l’avons vu sur la figure 2, grâce aux magnétogrammes on connaît la polarité des taches solaires. Il est alors aisé de leur associer le bon cycle. On voit qu’à partir de décembre 2019, les taches de polarité du cycle nouveau (25) sont plus nombreuses. Leur position sur le disque peut aussi aider à la classer. Généralement à la fin du cycle, les taches sont proches de l’équateur (voir la figure 1 et la forme du diagramme papillon), alors qu’en début de cycle elles sont à moyennes latitudes vers 35-45 degrés (SIDC/SILSO).

 

Dr. Allan Sacha Brun, CEA Paris-Saclay/AIM

[1] rappelons ici que nous ne voyons qu’une face du Soleil à chaque instant depuis la Terre ; le satellite Solar Orbiter (SolO) lancé en février 2020 nous permettra d’y remédier en étendant la couverture longitudinale avec une vue complémentaire à celle de la ligne de visée Terre-Soleil (https://www.cosmos.esa.int/web/solar-orbiter/where-is-solar-orbiter).

 

Quelques sites supplémentaires pour voir des observations du Soleil :

http://bass2000.obspm.fr/home.php

https://nso.edu/data/solis-data/

http://solarmonitor.org

https://helioviewer.org

 

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