par Sylvain Bouley | Juil 12, 2021 | Actualités
Les images fraîchement publiées par la collaboration internationale Lofar apportent un éclairage essentiel à notre compréhension de l’évolution de l’Univers. Grâce à une sensibilité et une résolution inédites, l’interféromètre radio surpasse de loin toutes les espérances en cartographiant la position des trous noirs supermassifs et les lieux de formation stellaire dans l’Univers primordial.
1. Représentation artistique d’une onde radio émise par un pulsar et détectée par le radiotélescope Lofar aux Pays-Bas.
(© Danielle Futselaar/ASTRON)
Explorer l’Univers par le prisme des ondes radio
Les fréquences radio émises par des sources astrophysiques couvrent une vaste gamme dans le spectre électromagnétique, de 10 MHz jusqu’à 300 GHz . Ainsi, presque tous les types d’astres et de processus physiques peuvent être observés à ces fréquences. De plus, contrairement aux autres plages d’énergie de la lumière (c.-à-d. l’infrarouge, l’ultraviolet, les rayons X et gamma), le domaine radio possède l’avantage d’être observable tant depuis le sol que depuis l’espace. En effet, communément désigné comme la « fenêtre radio », il fait partie – avec le visible – des rares rayonnements qui nous parviennent de l’Univers sans être absorbés par l’atmosphère terrestre.
Toutefois, même si des instruments au sol peuvent capter ces grandes longueurs d’onde (de l’ordre du centimètre jusqu’à la dizaine de mètres 2), la face radio de l’Univers demeure mal appréhendée. Les observations restent difficiles à entreprendre en raison de la présence d’une couche de plasma (c.-à-d. gaz ionisé) dans l’atmosphère, entre 50 km et 600 km depuis la surface de la Terre, appelée ionosphère, qui agit comme une lentille qui se déplace continuellement au-dessus des radiotélescopes. En la traversant, la propagation des rayons lumineux est perturbée et, par conséquent, la reconstruction du champ du ciel contemplé se voit dégradée. Pour tenir compte des turbulences ionosphériques, les scientifiques ont alors recours à des superordinateurs et des algorithmes pour annuler son influence dans les relevés de données. En pratique, plus l’Univers est sondé aux très basses fréquences (c.-à-d. aux alentours des 10 MHz), plus les fluctuations atmosphériques prennent de l’importance, rendant l’observation moins aisée puisque l’on s’approche de la zone de coupure ionosphérique.
L’interféromètre radio européen Lofar
Lofar – acronyme de Low Frequency Array – désigne le réseau d’antennes le plus étendu sur Terre, capable d’observer l’Univers en radio dans des bandes de fréquences ultra-basses (f < 100 MHz). Opérationnel depuis onze ans, ce projet international repose sur la technique de la synthèse d’ouverture par interférométrie. Le principe de fonctionnement consiste à répartir sur une vaste zone un ensemble d’antennes radio, puis de combiner les signaux reçus par chaque antenne pour afficher le bout de ciel étudié. De cette manière, les astronomes aboutissent à une résolution pour les images reconstituées équivalente à celle d’un unique et gigantesque radiotélescope, dont le diamètre vaudrait le périmètre couvert par l’agglomérat d’antennes (environ 1 500 km). Cette méthode remarquablement ingénieuse est également employée par la collaboration Event Horizon Telescope (EHT) qui s’emploie à capter l’ombre des trous noirs supermassifs.
En somme, ce télescope virtuel avec pointage numérique regroupe pas moins de cinquante-deux stations, ce qui représente plus de 70 000 antennes coordonnées et disséminées à travers neuf pays européens. Le cœur du réseau se localise aux Pays-Bas, avec trente-huit stations (fig. 1). Parmi les stations restantes, une se trouve en France, sur le site de Nançay de l’Observatoire de Paris-PSL. Ainsi, grâce à l’espace occupé au sol par Lofar, le degré de finesse des clichés obtenus entre 10 MHz et 240 MHz – intervalle du spectre électromagnétique couvert par l’instrument – est amélioré d’un facteur 10, constituant un véritable bond en avant pour la radioastronomie.
Avec pour ambition de révolutionner l’imagerie radio de l’hémisphère Nord (c.-à-d. en atteignant une résolution angulaire inférieure à 15″ 3), les astronomes travaillent à partir de deux types de relevés de données : d’une part LoTSS (Lofar Two-metre Sky Survey) qui sonde la voûte céleste entre 120 et 168 MHz en utilisant les antennes hautes fréquences HBA de Lofar, et d’autre part LoLSS (Lofar LBA Sky Survey) qui se concentre sur la gamme 42 MHz à 66 MHz à l’aide des antennes basses fréquences LBA.
2. Cartographie d’une portion du ciel à une résolution angulaire de 47”. Chaque point blanc est associé à un trou noir supermassif logé au centre d’une galaxie. Pour dresser cette mosaïque de 95 images, il aura finalement néć essité́ 256 heures d’observation au total. (© lOFAR/lolSS)
Une carte ultra-sensible met au jour plus de 25 000 trous noirs supermassifs
Une équipe d’astronomes du radiotélescope Lofar a fourni le 17 février 2021, dans la revue Astronomy & Astrophysics, la carte la plus étendue et précise du ciel vu à une fréquence d’environ 50 MHz. Ce sont d’ailleurs les ondes radio les plus grandes en longueur d’onde jamais utilisées pour observer une zone aussi large du ciel, jumelée à un niveau de détails sans précédent. Une carte qui a probablement à la fois émerveillé et déstabilisé le grand public dans la mesure où les points lumineux ne correspondent en rien à des étoiles (fig. 2). En effet, ces boules de réactions thermonucléaires étant pratiquement invisibles dans la bande radio, les astres qui transparaissent ici s’avèrent – pour la majeure partie – être des trous noirs supermassifs localisés au centre de galaxies actives très éloignées (AGN). Cartographier 3 % de l’hémisphère Nord a ainsi suffi pour révéler 25247 corps célestes en les comparant au catalogue de sources FIRST (Becker et al.,1995).
Bien que ces quatre-vingt-quinze images acquises avec le relevé LoLSS ne soient que préliminaires, « elles sont toujours dix fois plus sensibles que les études précédentes disponibles à ces basses fréquences », assurent les auteurs de la publication. « C’est le résultat de nombreuses années de travail sur des données incroyablement difficiles. Nous avons dû inventer de nouvelles stratégies pour convertir les signaux radio en images du ciel, mais nous sommes fiers d’avoir ouvert cette nouvelle fenêtre sur notre Univers », déclare Francesco de Gasperin, l’auteur référent de l’article. Cette mosaïque devra néanmoins recevoir des corrections pour retirer les effets dépendant de la direction, notamment l’influence de l’ionosphère repérable par la présence d’artefacts autour des points blancs. « Dans les deux prochaines années, nous prévoyons de traiter environ deux mille heures d’observation pour cartographier l’ensemble du ciel boréal. L’analyse de ces données pourrait révéler des phénomènes encore inconnus, par exemple nous pourrions voir l’émission de filaments cosmiques qui suivent la distribution de la matière dans l’Univers à grande échelle », confie avec enthousiasme Gianfranco Brunetti, astrophysicien coordinateur du consortium italien Lofar à l’Institut national d’astrophysique de Bologne (Inaf).
3. Image de la région centrale du champ Elais-N1 publiée par Lofar
(164 heures de pointage au total, à 150 MHz). On y distingue des jets radio résolus émis par des AGN (en haut à droite et en bas à gauche) ainsi que des sources ponctuelles trahissant des galaxies où se déroule un pic de formation stellaire (en bas à droite et en haut à gauche). (Philip Best & Jose Sabater/loTSS/lOFAR)
Un voile se lève sur la formation stellaire des jeunes galaxies
Le 7 avril 2021, une seconde parution dans la revue Astronomy & Astrophysics a constitué un tournant pour l’observation de la sphère céleste en multi-longueurs d’onde. Lofar y a présenté les résultats de trois régions particulières – Lockman Hole, Boötes et Elais-N –, issues de son premier relevé LoTSS en champ profond au voisinage de 150 MHz. « Les parties du ciel que nous avons choisies sont les mieux étudiées du ciel boréal », explique Philip Best, le responsable de l’étude, dans le communiqué de presse d’Astron (Institut néerlandais de radioastronomie). De ce fait, les chercheurs ont rassemblé des données optiques, submillimétriques, infrarouges proche et lointain pour les combiner sur les images LoTSS, afin d’interpréter le plus objectivement possible ce qui apparaît en radio.
L’initiative a permis de détecter plus de 85 000 radiosources, dont la faible lueur radio des étoiles massives qui explosent en supernovae au terme de leur vie, et ce au sein de dizaines de milliers de galaxies, jusqu’aux régions les plus reculées de l’Univers. « Quand une galaxie forme des étoiles, plein d’étoiles explosent en même temps, ce qui accélère les particules à très haute énergie, et les galaxies commencent à rayonner dans cette gamme d’ondes radio qu’observe Lofar », met en perspective Cyril Tasse, l’un
des auteurs de la publication (fig. 3). Il faut savoir qu’« autour de 3 milliards d’années après le Big Bang, c’est vraiment le feu d’artifice, avec un pic de formation stellaire et d’activité des trous noirs dans les jeunes galaxies », conclut l’astronome de l’Observatoire de Paris-PSL à l’Agence France-Presse.
« La formation des étoiles est généralement enveloppée de poussières, qui obscurcissent notre vue lorsque nous regardons avec des télescopes optiques. Mais les ondes radio pénètrent la poussière, si bien qu’avec Lofar, nous obtenons une image complète de leur formation stellaire », complète Isabella Prandoni, astrophysicienne à l’Inaf. Par conséquent, une nouvelle relation est sur le point de s’établir entre l’émission radio d’une galaxie et la vitesse à laquelle elle forme de nouvelles étoiles dans les jeunes années de l’Univers. « Et ce n’est que le début, ajoute Marco Bondi. La communauté italienne analyse les observations d’une autre région du ciel très intéressante, appelée Euclid Deep Field North. Ces données feront partie de la prochaine publication de données. »
Margaux Abello Présidente du Bureau des étudiants de l’Observatoire de Paris-PSL
I James J. CONDON et SCOTT m. RANSOM, Essential Radio Astronomy, Princeton university Press, 2016.
I Margaux Abello, « un trou noir surpris en train d’expulser de la matière, à plus de 99 % de la vitesse de la lumière ! », Journal Alma Mater, 2020.
I obs-nancay.fr/lofar/
I F. De Gasperin et al., « The lOFAR lBA Sky Survey – i. Survey description and preliminary data release », Astronomy & Astrophysics 648, A104, 2021.
I J. Sabater et al., « The lOFAR Two-meter Sky Survey: Deep Fields Data Release 1 – ii. The elAiS-N1 lOFAR deep field », Astronomy & Astrophysics 648, A2, 2021.
par Sylvain Bouley | Juil 12, 2021 | Actualités
Les filaments de gaz dans lesquels naissent les galaxies sont prédits depuis longtemps par les modèles cosmologiques, mais il n’existait pas encore d’images de ces objets. Pour la première fois, plusieurs filaments de cette « toile cosmique » ont été observés directement. Cette prouesse a été réalisée grâce à l’instrument Muse du Very Large Telescope (VLT) de l’Eso, au Chili.
1. Simulation de l’Univers lointain. Cette image illustre la lumière émise par les atomes d’hydrogène de la toile cosmique dans une région d’environ 15 millions d’années-lumière de côté. Outre l’émission très faible du gaz intergalactique, on devine de multiples sources ponctuelles, qui sont des galaxies formant leurs premières étoiles. (Jérémy Blaizot /projet Sphinx)
La structure filamentaire du gaz d’hydrogène dans lequel se forment les galaxies, appelée toile cosmique, est l’une des grandes prédictions du modèle du Big Bang et de la formation des galaxies (fig. 1). Jusqu’à maintenant, on ne pouvait détecter ces filaments qu’au moyen des raies d’absorption qu’ils impriment dans les spectres de sources lumineuses plus lointaines (des quasars la plupart du temps), lorsqu’ils sont situés sur leur ligne de visée. Ces observation ne permettaient d’obtenir une vision de l’Univers que suivant des lignes ténues et espacées. Or, les filaments émettent eux-mêmes une lumière diffuse très faible, due à la transition Lyman alpha de l’hydrogène atomique (voir encadré). Celle-ci peut être directement observée et imagée à condition de disposer d’un spectro-imageur puissant installé sur un très grand télescope muni d’un système d’optique adaptative permettant d’augmenter la résolution spatiale des images.
MUse (Multi Unit spectrograph explorer, voir l’Astronomie de juillet 2016) est un spectrographe-imageur 3D grand champ fonctionnant dans le visible, installé en 2014 sur le VLT. Il a été développé par le Centre de recherche en astrophysique de Lyon (Cral) afin d’explorer l’espace en trois dimensions (localisation et distance, cette dernière étant donnée par la vitesse de récession due à la loi de Hubble) et de détecter les galaxies les plus jeunes.
2. Les 2 250 galaxies du «cône» d’Univers observé par mUSe, représentées ici en fonction de l’âge de l’Univers (en milliards d’années). La période de l’Univers jeune (de 0,8 à 2,2 milliards d’années après le Big Bang), explorée dans cette étude, est représentée en rouge. Les 22 régions de surdensité de galaxies sont marquées par des rectangles gris. Les 5 régions où des filaments ont été identifiés de la manière la plus significative sont identifiées en bleu. (Roland Bacon / David Mary)
Une collaboration internationale dirigée par le Cral et associant le laboratoire Lagrange [1] a réussi à détecter ces filaments en pointant pendant plus de 140 heures le VLT équipé de l’instrument MUse sur une région du champ ultra-profond de Hubble, qui correspond à l’image la plus profonde du cosmos jamais obtenue [2].
Le traitement et l’analyse des données ont permis de révéler pour la première fois la lueur Lyman alpha de filaments d’hydrogène, dans 5 des 22 structures denses observées. Les images de plusieurs filaments de 2,5 à 4 Mpc [3] tels qu’ils étaient 1 à 2 milliards d’années après le Big Bang ont été alors obtenues (fig. 2 et 3). Les auteurs de l’article découvrent que si 70 % des filaments sont bien illuminés par des galaxies situées à de grandes distances, l’émission des 30 % restants provient du fond diffus cosmique. Cette émission est produite par une importante population d’émetteurs Lyman alpha de très faible luminosité.
3. Un des filaments d’hydrogène (en bleu) découverts par mUSe dans le champ ultra-profond de Hubble. il est situé dans la constellation du Fourneau, à 11,5 milliards d’années-lumière et s’étend sur plus de 15 millions d’années-lumière. L’image en arrière-plan est celle de Hubble
Il s’agirait d’une population de galaxies naines très nombreuses, jusqu’alors insoupçonnées, ayant existé 1 à 2 milliards d’années après le Big Bang. Ce qui signifierait qu’il existait à cette époque des filaments cosmiques constitués de galaxies dont la luminosité était aussi faible que mille luminosités solaires ! Cette observation ouvre évidemment des perspectives très prometteuses pour faire progresser nos connaissances sur la formation des galaxies.
Suzy Collin-Zahn Observatoire de Paris
La raie Lyman aLpha dans les filaments cosmiques
La raie Lyman alpha, lorsqu’elle est en émission, correspond aux photons émis lors des transitions entre le niveau 2 et le niveau 1 (niveau fondamental) de l’hydrogène atomique (voir la figure ci-dessous). Dans des milieux très dilués tels que le gaz intergalactique, cette raie est formée lorsqu’un atome dans l’état fondamental est ionisé par un photon ultraviolet de plus de 13,6 eV qui lui arrache son électron périphérique. L’ion d’hydrogène se recombine ensuite en capturant un électron sur un niveau supérieur, puis émet des photons correspondant aux cascades depuis les niveaux élevés jusqu’au niveau 2, et finit par émettre un photon Lyman alpha. On appelle ce processus « la fluorescence ».
Curieusement, bien que Lyman alpha soit une raie de l’hydrogène atomique, son intensité permet de déterminer le nombre d’ions d’hydrogène, qui dominent largement sur les atomes dans ces milieux, à partir du moment où ceux-ci contiennent des photons ultraviolets.
[1] CNRS/Université Lyon 1/ENS de Lyon et CNRS/Université Côte d’Azur/Observatoire de la Côte d’Azur.
[2] Roland Bacon, David Mary, Thibault Garel et al., « MUSE Extremely Deep Field: the cosmic web in emission at high redshift », arXiv 2101.07932.V1 et Astronomy & Astrophysics 647, 107, 2021.
[3] En coordonnées comobiles, c’est-à-dire en supposant que ces filaments n’ont pas de vitesse propre et qu’ils suivent simplement l’expansion de l’Univers.
par Sylvain Bouley | Juil 12, 2021 | Actualités
L’atterrissage de Perseverance dans le cratère Jezero a donné lieu à une fabuleuse découverte des environs dans le cratère ; en effet, les photos et les vidéos reçues permettent déjà de proposer un aperçu géologique et morphologique des environs du robot. Au mois d’avril, l’attention est plus particulièrement retenue par les premiers essais de l’hélicoptère Ingenuity, qui, fixé sous Perseverance, a fait le voyage jusqu’au cratère, avant d’être déposé sur le sol de Mars le 4 avril. Là, il a survécu au froid intense des nuits martiennes. Sa mission doit durer un mois, afin de tester la technologie mise en œuvre. Il n’y a aucun instrument scientifique à bord, il s’agit de tester qu’il est possible de faire voler ce type d’appareil dans l’atmosphère ténue de Mars, cent fois moins dense que l’atmosphère terrestre, ce qui nécessite des pales plus imposantes que pour un appareil de la même masse sur Terre et qui tournent beaucoup plus vite ; une aide au décollage est apportée par le champ gravitationnel de Mars, plus faible que sur Terre, qui fait que la masse à soulever peut être sensiblement plus importante que sur Terre. Il est prévu 4 vols pendant ce mois.
Le rover Perseverance en compagnie de l’hélicoptère Ingenuity. Cette photo a été prise le 6 avril 2021, au 46e sol, à l’aide de l’objectif grand angle de l’instrument SHERLOC situé à l’extrémité du long bras robotique du rover. (NASA/JPL-Caltech/MSSS)
LE PREMIER VOL (lundi 19 avril)
C’est le 7 avril, soit le 47e jour martien (ou sol) de la mission, que les moteurs sont testés, les pales libérées. Tout est contrôlé, vérifié avant le premier vol du petit hélicoptère. Ce vol d’essai a lieu le lundi 19 avril, immortalisé par la caméra WATSON fixée sur le bras robotique de Perseverance. Comme prévu, Ingenuity s’est élevé à environ 3 mètres du sol, a effectué un vol stationnaire avant de pivoter sur lui-même et revenir se poser au sol 30 secondes plus tard.
Il a fallu plus de trois heures pour que les données arrivent à la Terre ; Perseverance les a relayées à la sonde MRO[1], en orbite autour de Mars, qui les a ensuite renvoyées vers la Terre via le Deep Space[2] que des décisions devront être prises par le robot, en fonction de paramètres enregistrés par les ingénieurs par exemple sa température sera contrôlée par une sorte de thermostat de bord et des capteurs permettent de suivre les aspérités du terrain Dès lors qu’Ingenuity avait survécu à ce premier vol et prouvé qu’il pouvait recharger régulièrement ses batteries, il était prêt pour ses autres vols programmés pendant son mois d’activités sur Mars. Le second vol a eu lieu le 22 avril ; Ingenuity s’est élevé à une altitude de 5 mètres, a fait un aller-retour de 2 mètres à cette altitude, il est resté 51,9 secondes en l’air et a pu pivoter sur place de 276°. Dimanche 25 avril, Ingenuity a exécuté son troisième vol : à une altitude de 4,87 mètres, il a parcouru près de 50 mètres, pendant 80 secondes, à une vitesse qui a atteint 2m/s (figure). C’est mieux que tous les vols exécutés au cours des tests sur Terre. D’ici à début mai, un autre vol est Network . Ce délai dans les transmissions explique programmé .
PLUS LOIN, PLUS RAPIDE (lundi 25 avril)
Le rover Perseverance de la Nasa est visible dans le coin supérieur gauche de cette image prise par l’hélicoptère Ingenuity lors de son troisième vol, le 25 avril 2021. L’hélicoptère volait à une altitude de 5 mètres à environ 85 mètres du rover.
Cette capture d’Ingenuity par la NAVCAM gauche de Perseverance montre l’hélicoptère lors de son troisième vol, ici en stationnaire, le 25 avril 2021. (NASA / JPL-Caltech)
1. MRO (Mars Reconnaissance Orbiter) est une mission spatiale de la Nasa ; la sonde orbite autour de Mars depuis le printemps 2006.
2. Le Deep Space Network est le réseau utilisé par la Nasa pour les communications avec les sondes spatiales interplanétaires. Il est composé de 3 stations situées en Californie, en Espagne et en Australie, leur répartition permettant une couverture permanente du Système solaire.
3. Pour en savoir plus sur Ingenuity : go.nasa.gov/ingenuity.
Janet BORG | Institut d’astrophysique spatiale
par Sylvain Bouley | Avr 10, 2021 | Actualités
La mission lunaire chinoise de retour d’échantillons s’est parfaitement déroulée. Elle clôture en triomphe le programme d’exploration automatique de la Lune en trois phases qui avait été décidé par le gouvernement chinois en 2004.
Figure 1 – Les pelles en action au bout du bras télémanipulateur de l’atterrisseur de Chang’E-5. on aperçoit à la surface lunaire les traces laissées par les pelles. (©CNSA)
Le recueil d’échantillons lunaires débuta peu après l’atterrissage de Chang’E-5, le 1er décembre 2020. Cette opération fut réalisée de manière presque idéale. En effet, si le bras télémanipulateur avec ses pelles avait parfaitement rempli son objectif à partir de 17 h 15 UTC, ce ne fut pas le cas de la foreuse qui n’avait pas pu récupérer les échantillons jusqu’à 2 m de profondeur, car le sous-sol était plus «dur» que prévu. Le forage put néanmoins extraire ce qui devait l’être à moins de 1 m (Fig. 1 et 2).
La phase de recueil fut plus courte que prévu : 19 heures au lieu de 20 heures. Elle était contrôlée depuis Pékin. Dans le Centre des observatoires nationaux, qui supervise les missions d’exploration chinoises, il y avait aussi une salle où l’on avait reproduit à la hâte le site d’atterrissage pour simuler sur Terre ce qui devait être réalisé sur la Lune. Cette pratique fut inaugurée avec Chang’E-3 en 2013-2014 pour commander le rover Yutu à la surface de la Lune.
Figure 2 – Le foret était le second système utilisé pour récupérer des échantillons lunaires. (©CNSA)
Retour des échantillons lunaires sur Terre
Les échantillons lunaires furent déposés dans un conteneur cylindrique hermétique ; ce dernier fut placé dans l’étage ascensionnel. Cet étage quitta la Lune le 3 décembre 2020 pour rejoindre le segment orbital. Le rendez-vous automatique avec le segment orbital (une première mondiale) fut parfaitement effectué le 6 décembre avant que l’amarrage des deux objets soit assuré par des pinces. Ensuite, le conteneur avec la précieuse cargaison fut transféré de l’étage ascensionnel à la capsule de retour. C’était la dernière opération avant que l’orbiteur de Chang’E-5 quitte l’orbite de la Lune pour rejoindre notre planète. Le 17 décembre, la capsule fut larguée à 5 000 km de la Terre au-dessus de l’Atlantique Sud. Ensuite, elle effectua un rebond atmosphérique à 60km d’altitude pour réduire sa vitesse et les frictions avec l’atmosphère. En fin de parcours, le parachute s’ouvrit à 10 km d’altitude. La capsule se posa en douceur à 18h59 (heure de Paris) après un périple de 23 jours (Fig. 3).
Figure 3 – La capsule de Chang’E-5 avec ses échantillons lunaires a atterri dans la Bannière de siziwang dans la province chinoise de Mongolie-Intérieure. C’est la seconde fois que la Chine récupère un objet lunaire. (CNSA)
La zone d’atterrissage se trouvait dans la Bannière de Siziwang, une division administrative de la province chinoise de Mongolie-Intérieure. Cette zone est utilisée depuis 1999 pour l’atterrissage des capsules des vaisseaux habités Shenzhou. C’est aussi dans cette région que la capsule de Chang’E-5T1 – le démonstrateur de Chang’E-5 – avait été récupérée en 2014. La recherche de la capsule après son atterrissage fut conduite à la fois par une brigade motorisée et par une cavalerie militaire locale qui dut préparer les chevaux à se déplacer de nuit et par –25 °C (fig. 4).
Figure 4 – Une brigade à cheval de l’Armée de terre chinoise pour repérer un objet«tombé»de la Lune!
La capsule et ses échantillons furent accueillis triomphalement à Pékin. La pesée des échantillons lunaires donna lieu le 19 décembre 2020 à une cérémonie officielle en présence de plusieurs personnalités, dont le président de l’Académie des sciences, Hou Jianguo, et des dizaines de journalistes En définitive, Chang’E-5 rapporta 1 731 g de la Lune. C’est un peu moins que l’objectif des 2 kg, car le forage se fit sur un sol plus dur que prévu. Mais c’est beaucoup mieux que les trois missions soviétiques Luna, qui rapportèrent sur Terre 336 g de matières lunaires (mais 382kg pour Apollo !).
Selon l’Agence spatiale chinoise (CNSA), les échantillons seront prioritairement étudiés par les scientifiques de l’Observatoire astronomique national (une branche de l’Académie des sciences) et une petite partie sera confiée à des équipes étrangères. Pour ce faire, un comité d’experts chinois sélectionnera les propositions de recherche. La coopération avec la Nasa, qui a salué le succès de Chang’E-5, se fera en fonction de « l’évolution des relations politiques entre les États-Unis et la Chine ». Les autorités chinoises souhaitent aussi que les échantillons rapportés par Chang’E-5 soient présentés dans des musées et des expositions pour intéresser, en particulier, les jeunes sur les sujets scientifiques et les motiver pour suivre des carrières aérospatiales.
Panorama de type fisheye pris par l’atterrisseur de Chang’E-5. Celui-ci s’est posé au nord-ouest de l’océan des tempêtes, dans une zone caractérisée par des roches relativement jeunes. on distingue au premier plan l’un des 4 pieds d’atterrissage du module de descente de Chang’E-5.
Une deuxième vie pour l’orbiteur de Chang’E-5
Après s’être séparé du segment orbital de Chang’E-5, l’étage ascensionnel fut désorbité pour s’écraser sur la Lune. Selon le professeur Yang Yuguang, la Chine ne souhaitait pas polluer l’environnement lunaire avec ce véhicule qui avait achevé sa mission. En revanche, l’étage propulsif – l’orbiteur de la mission Chang’E-5 – est toujours opérationnel. Le directeur de la troisième phase du programme lunaire chinois, Hu Hao, a indiqué le 20 décembre 2020 que la nouvelle mission de ce véhicule visait à étudier l’environnement spatial autour du point de Lagrange L1, celui qui est placé entre la Terre et le Soleil. L’orbiteur de Chang’E-5 dispose encore de 200 kg de carburant, une réserve qui autorise plusieurs manœuvres. À la vérité, les Chinois sont passés maîtres dans l’art de prolonger l’utilisation de leurs véhicules lunaires. C’était déjà le cas il y a une dizaine d’années avec l’orbiteur Chang’E-2, qui avait effectué de nombreuses manœuvres dans l’environnement lunaire et autour du point de Lagrange L2 avant d’être transformé en sonde interplanétaire et de survoler l’astéroïde 4179 Toutatis le 13 décembre 2012. Ensuite, Chang’E-5T1 rejoignit lui aussi L2 sur une orbite de halo pour préparer la mise à poste du satellite de télécommunications lunaire Queqiao. Celui-ci a relayé les communications de la sonde Chang’E-4 qui s’est posée en 2019 sur la face cachée de la Lune.
La Chine a patiemment acquis toutes les compétences technologiques et scientifiques pour explorer la Lune. Seuls les Américains et les Soviétiques en avaient fait davantage dans la compétition lunaire des années 1960. Mais cette première conquête de la Lune est déjà ancienne et il faut bien reconnaître que la Chine est cette fois-ci en tête sur notre satellite naturel. Les futures missions lunaires chinoises s’annoncent plus complexes (Chang’E-6, 7 et 8) et seront encore plus « spécialisées et utilitaires » que les précédentes, car il s’agit maintenant de créer à la surface de la Lune une station de recherche automatique en 2030, qui sera le prélude à l’envoi de taïkonautes d’ici une quinzaine d’années. À ce titre, il faut rappeler que toutes les séquences suivies par la mission Chang’E-5 étaient celles des missions Apollo. Assurément, le retour de l’homme sur la Lune n’est plus un vague projet. Un compte à rebours a débuté des deux côtés du Pacifique. Et personne ne sait aujourd’hui qui enclenchera le premier le compte positif.
Nous vivons une période passionnante !
Philippe COUÉ | Membre de l’Académie internationale d’astronautique (IAA)
par Sylvain Bouley | Avr 10, 2021 | Actualités
Le 1er décembre dernier, le radiotélescope géant d’Arecibo a terminé sa carrière. La nacelle de 900 tonnes contenant le plan focal s’est effondrée sur l’immense antenne de plus de 300 mètres de diamètre. Après la rupture d’un premier câble en août dernier, puis d’un second en novembre, on savait la fin inéluctable : la National Science Foundation avait décidé l’arrêt et le démontage de la structure ; cette dernière phase n’aura pas eu le temps d’être réalisée.
Arecibo Observatory
Situé en pleine forêt tropicale, sur l’île de Porto Rico, le radio-télescope d’Arecibo (fig. 1) a été mis en service en 1963. Il est constitué d’une antenne sphérique placée dans une cuvette naturelle formée à la suite d’un effondrement de terrain. La plateforme contenant le récepteur est portée par une nacelle fixe, soutenue par un réseau de câbles à trois pylônes géants situés à la périphérie. Le déplacement des récepteurs sur un rail tournant autour d’un axe vertical permet de suivre la source observée lorsque celle-ci se déplace dans le ciel. Situé près de l’équateur, le radiotélescope peut notamment observer toutes les planètes du Système solaire et suivre leur mouvement autour du méridien. Pendant plus de cinquante ans, le radiotélescope d’Arecibo aura été le plus grand instrument radio de son type (antenne unique ou single dish) au monde. Il ne sera détrôné qu’en 2016 par le radiotélescope chinois FAST.
Peu de temps après sa mise en service, le radiotélescope, utilisé alors en mode radar, est à l’origine d’une découverte remarquable : en 1964, l’équipe de Gordon Pettengill, à partir de ses mesures radio, détermine la véritable période de rotation de la planète Mercure. Celle-ci n’est pas égale à sa période de révolution (88 jours), comme on le croyait précédemment, mais elle est de 59 jours. La planète n’est donc pas en rotation synchrone, mais tourne très lentement sur elle-même : la durée d’une journée sur Mercure est de 176 jours terrestres. À la même époque, un chercheur de l’Observatoire de Paris, Ilya Kazès (1926-2008), séjourne deux ans à Arecibo pour mesurer, en mode passif cette fois, le rayonnement radio de Jupiter à différentes longueurs d’onde, 70, 150 et 700 cm (ce qui correspond à des fréquences respectives de 429, 200 et 42,9 MHz), pour étudier la variation de ce rayonnement en fonction de la rotation de la planète. C’est à cette période que le Grand Radiotélescope de Nançay, rattaché à l’Observatoire de Paris, entre en service dans le Cher.
Le grand télescope d’Arecibo, sur l’île de Porto Rico. La nacelle, suspendue par des câbles aux trois pylônes périphériques, évolue à une hauteur d’environ 100 mètres au-dessus de la grande antenne dont le diamètre atteint 305 mètres. (NAIC Arecibo Observatory)
En 1974, le radiotélescope d’Arecibo connaît une rénovation majeure : le grillage qui constitue sa surface est remplacé par un ensemble d’environ 40 000 panneaux d’aluminium perforés supportés par un maillage de câbles en acier. L’amélioration de la qualité de surface ainsi obtenue permet l’observation à plus haute fréquence, en particulier celle de la raie de l’hydrogène neutre à 21 cm (1,420 GHz) qui se révèle être un diagnostic précieux pour sonder la dynamique de la Galaxie et déterminer la constante de Hubble, à partir de la mesure de l’éloignement des sources extragalactiques. D’autres transitions deviennent également observables : celles des radicaux OH à 18cm (1,66GHz) et CH à 9cm (3,3 GHz). Les observations de OH dans les comètes sont précieuses pour étudier leur taux de production (OH étant un produit de dissociation direct de la molécule d’eau, constituant principal des comètes) et suivre leur évolution en fonction de la distance héliocentrique. De telles études se poursuivent aujourd’hui sur le Grand Radiotélescope de Nançay. C’est à Arecibo qu’est obtenue, en 1989, la première image d’un astéroïde (4769 Castalia). Enfin, le radiotélescope connaît à nouveau son heure de gloire un an plus tard, lorsque l’astronome polonais Aleksander Wolszczan découvre deux pulsars, PSR B 1257 +12 et PSR B 1534 +12, puis, deux ans plus tard, deux planètes en orbite autour du premier d’entre eux. Il s’agit de la première découverte de planètes extrasolaires.
Le Message d’Arecibo – Les couleurs ont été ajoutées pour faciliter la compréhension. De haut en bas : (1) les nombres de 1 à 10 en format binaire (en blanc) ; (2) les masses atomiques des éléments H, C, N, O, P (en violet) ; (3) les formules brutes des nucléotides dans la configuration de l’ADN (en vert), le nombre de nucléotides (en blanc) et la structure en double hélice de l’ADN (en bleu) ; (4) la silhouette d’un homme avec à gauche en bleu sa taille, et à droite en blanc la population de la Terre ; (5) une représentation du Système solaire avec la Terre légèrement décalée (en jaune) ; (6) le télescope d’Arecibo (en violet) avec son diamètre (en unités de longueur d’onde). Le message a été émis à la longueur d’onde de 12,6 cm, soit 2,380 GHz. Il a été écrit par Frank Drake avec l’aide d’autres chercheurs, dont Carl Sagan.
Au-delà des découvertes scientifiques qu’il a accomplies, c’est surtout la quête d’une vie extraterrestre qui a fait la renommée du radiotélescope d’Arecibo. Son nom est en effet associé au projet SETI (Search for Extraterrestrial Intelligence). Né en 1960 à l’initiative de l’astronome Frank Drake, ce projet a pour ambition de communiquer avec d’éventuelles civilisations extraterrestres par le canal de la transition de l’hydrogène à 21 cm, supposée être universellement connue. La campagne commence avec la grande antenne de Green Bank, en Virginie-Occidentale, puis mobilise aussi celles d’Arecibo et de Parkes, en Australie, ainsi que le Grand Radiotélescope de Nançay. C’est depuis Arecibo qu’est lancé, en 1974, le célèbre message vers d’autres mondes, dans la direction de l’amas globulaire M13. Ce message de 1679bits, codé en binaire, définit une image de 23 × 73 points sur laquelle figurent des nombres, des formules chimiques et des images simplifiés représentant un homme et le télescope (encadré ci-dessus). Une première remarque s’impose : l’amas M13 étant situé à 25 000 années-lumière, il faudra s’armer de patience pour obtenir une réponse. Notons aussi qu’il faudra aux extraterrestres une intelligence supérieure pour déchiffrer ce message…
Thérèse ENCRENAZ | Observatoire de Paris
par Sylvain Bouley | Avr 10, 2021 | Actualités
Des expériences ont mesuré la masse volumique d’un alliage de fer, de silicium et de carbone aux températures et pressions régnant dans le noyau de Mercure. Ces résultats permettent de mieux comprendre la structure interne de la première planète du Système solaire.
Figure 1 – Structure interne de Mercure. Avec un rayon d’environ 1 800 km, le noyau occupe 75 % du rayon total. Le noyau externe est liquide, et il est composé de fer et d’un certain nombre d’éléments légers, parmi lesquels se trouvent sans doute le silicium, le carbone et le soufre. La croûte et le manteau sont rocheux. L’anti-croûte, dont l’existence n’est pas certaine, est une couche intercalaire entre le noyau et le manteau composée de sulfure de fer solide. (D’après © NASA/JHUAPL.)
MERCURE, UNE PLANÈTE UN PEU PARTICULIÈRE
Mercure est un objet à part parmi les planètes telluriques du Système solaire. Avec un rayon moyen de 2 440 km, c’est la plus petite de ces planètes. De plus, elle est dépourvue d’atmosphère et sa surface ressemble beaucoup à celle de la Lune. Mais surtout, sa masse volumique moyenne très élevée, 5 340 kg/m3, indique qu’elle est considérablement enrichie en métaux (principalement du fer) par rapport aux autres planètes telluriques. Plus précisément, la masse volumique de Mercure suggère que cette planète est constituée d’un noyau métallique d’environ 1 800 km de rayon, c’est-à- dire les 3/4 de son rayon total [1], entouré d’un manteau et d’une croûte, tous deux composés de roches (fig. 1). Certaines études prédisent également la présence d’une couche de sulfure de fer (FeS) solide intercalée entre le noyau et le manteau. Le noyau de Mercure, tout comme le noyau terrestre, se divise en un noyau central solide (ou graine) et un noyau externe liquide. La présence d’un noyau liquide, qui est le siège de mouvements de convection, permet à Mercure d’entretenir un petit champ magnétique. La graine se forme par cristallisation du noyau liquide, et sa taille augmente au cours du temps. Sa taille actuelle n’est pas connue, mais les simulations numériques de dynamos, qui reconstituent les champs magnétiques des planètes, montrent que pour obtenir un champ magnétique comparable à celui de Mercure son rayon ne doit pas dépasser 1 200 km.
Les propriétés particulières de Mercure posent aussi la question de sa formation. Trois scénarios principaux sont mis en avant : une formation à partir d’un matériau très enrichi en fer ; une formation à partir d’un matériau plus classique suivie d’un impact géant ayant volatilisé une grande partie du manteau initial ; et enfin, l’évaporation, à cause de la proximité au Soleil, d’un manteau également beaucoup plus volumineux que le manteau actuel. Cette dernière hypothèse est cependant mise à mal par le fait que la surface de Mercure est riche en éléments volatils, notamment en soufre (S) et en potassium (K), qui auraient dû, eux aussi, disparaître lors de l’évaporation partielle du noyau. Une question connexe est la composition des petits blocs à partir desquels Mercure s’est formée. Deux types de matériaux ont la préférence des scientifiques : un matériau similaire aux chondrites CB (ou bencubbinite), dont les abondances relatives en fer et silicium sont semblables à celles de Mercure ; et les chondrites EH, plus riches en sillicium. [2].
La réponse à ces questions passe par une connaissance plus pointue de la composition du noyau de Mercure, et plus particulièrement de la nature et de la quantité d’éléments légers présents à côté du fer. Les propriétés thermodynamiques de cet alliage sont également des informations clés. Sa masse volumique, par exemple, peut être utilisée pour estimer la masse volumique moyenne de Mercure ainsi que son moment d’inertie, deux paramètres que l’on peut mesurer directement.
DES MESURES EXPÉRIMENTALES POUR LE SYSTÈME FE-SI-C
La composition de surface fournit un premier indice sur la composition possible du noyau liquide. La présence de soufre et l’appauvrissement en fer observés par la sonde Messenger indiquent que Mercure s’est certainement formée dans un milieu réducteur, c’est-à-dire pauvre en oxygène. Dans ces conditions, les éléments tels que le silicium (Si) et le carbone (C) ont un comportement sidérophile : ils se lient facilement avec le fer, et ont tendance à le suivre dans le noyau lors de la formation de ce dernier. Du soufre peut également accompagner le fer, mais en quantité plus limitée. On s’attend donc à trouver du silicium et du carbone en quantité non négligeable dans le noyau de Mercure (et dans une moindre mesure, du soufre), raison pour laquelle une équipe de chercheurs, pour la plupart de l’université de Louvain, a mesuré les propriétés d’aliages Fe-Si-C (3) .
Jurrien Knibbe et ses collègues ont tout particulièrement déterminé la masse volumique de plusieurs alliages Fe-Si-C pour une gamme de pressions allant de 3 à 6 gigapascals (GPa) (4) et des températures comprises entre 1 600 et 2 000 K (fig. 2), conditions proches de celles auxquelles on s’attend dans le noyau externe de Mercure. Parce qu’elles ont été réalisées pour des alliages de compositions différentes, ces expériences permettent, par interpolation, d’estimer la masse volumique du noyau pour des abondances données en silicium et en carbone. On peut ainsi tester un ensemble de compositions possibles en comparant les valeurs de masse volumique moyenne et de moment d’inertie prédites par chacune de ces compositions avec les valeurs observées de ces paramètres.
Figure 2 – Masse volumique (ρ, axe des ordonnées) mesurée pour différents alliages fer-silicium- carbone (Fe-Si-C ; symboles de couleur), et à différentes pressions (axe des abscisses). (Knibbe et al., 2021)
UN NOUVEAU REGARD SUR LA STRUCTURE ET LA COMPOSITION
Dans la seconde partie de leur travail, Jurrien Knibbe et ses collègues se sont précisément livrés à ce type d’exercice. Leurs calculs montrent qu’un noyau trop riche en silicium (15 % en masse, ou plus) explique difficilement les observations. Cela nécessiterait un moment d’inertie proche de ou plus élevé que la borne supérieure admise par les observations, un manteau très dense, et un noyau externe de plus de 1 200 km de rayon (fig. 3). Ce dernier rend difficile l’entretien d’une dynamo dans le noyau externe, et donc l’existence d’un champ magnétique. Les résultats expérimentaux (fig. 2) montrent que l’ajout de carbone (aux dépens du silicium) augmente la masse volumique du noyau externe et permet de résoudre ces problèmes. On notera au passage que la quantité de carbone qui peut être dissoute dans le fer diminue lorsque la quantité de silicium augmente. Enfin, trop peu de silicium (4 % ou moins) n’est pas désirable, car dans ce cas le noyau externe deviendrait trop dense, ce qui impliquerait un moment d’inertie plus faible que la borne inférieure observée. Au total, les mesures de masse volumique du système Fe- Si-C à hautes températures et hautes pressions vont dans le sens d’une graine de rayon inférieur à 1 200 km, et d’un noyau externe composé de fer auquel il faut ajouter 5 à 7 % de silicium et 1 à 4 % de carbone. À son tour, cette composition accrédite l’hypothèse que Mercure s’est formée à partir d’un matériau plutôt semblable aux chondrites CB qu’aux chondrites EH, ces dernières impliquant une abondance en silicium de plus de 15 %.
Figure 3 – rayon de la graine calculé en fonction de l’abondance en silicium dans le noyau externe de Mercure et pour différentes compositions de ce noyau : (A) fer et silicium ; (B) fer, silicium, carbone ; (C) fer, silicium, soufre ; (D) fer, silicium, carbone et soufre. toutes les abondances sont données en pourcentage de masse (wt%). Chaque point représente un calcul effectué en supposant une valeur spécifique du moment d’inertie, I, et de la température (code de couleur). trois valeurs du moment d’inertie, correspondant à la valeur médiane et aux bornes supérieure et inférieure du moment observé, sont retenues pour les calculs. (Knibbe et al., 2021)
La présence, dans le noyau externe de Mercure, de quelques pour cent de carbone et éventuellement de soufre, dont les effets sont similaires, a des conséquences importantes pour le maintien du champ magnétique de Mercure. D’une part, comme on l’a vu, elle permet d’expliquer le moment d’inertie de cette planète sans avoir recours à une graine trop volumineuse, qui empêcherait un processus de dynamo de se produire. D’autre part, elle pourrait jouer un rôle moteur dans cette dynamo. En effet, le carbone et le soufre ne cristallisent pas avec le fer lors de la croissance de la graine. À l’inverse, ces éléments restent dans le liquide, et comme ils sont plus légers que le fer, ils peuvent enclencher et entretenir les mouvements de convection nécessaires à la dynamo, en migrant vers la surface du noyau.
Frédéric Deschamps IESAS, Taipei, Taïwan
1. En comparaison, le noyau de la Terre occupe un peu plus de la moitié (54 %) du rayon terrestre total. 2. Les chondrites CB sont des chondrites carbonées contenant plus de 50 % de métaux (fer et nickel), dont le prototype est la météorite de Bencubbin tombée en Australie. Les chondrites EH sont des chondrites à enstatite, également riches en fer, en éléments volatiles sidérophiles, et en silicium.
3. KNIBBE J. S. et al. (2021), « Mercury’s interior structure constrained by density and P-wave velocity measurements of liquid Fe-Si-C alloys », Journal of Geophysical Research Planets, 126, e2020JE006651, doi: 10.1029/2020JE006651.
4. Un gigapascal correspond à 104 atmosphères, c’est- à-dire 10 000 fois la pression atmosphèrique à la surface de la Terre.