LE MAGAZINE DES SCIENCES DE L’UNIVERS EN AFRIQUE

Des expériences menées aux conditions de température et de pression des planètes géantes gazeuses permettent d’observer la séparation d’hydrogène et d’hélium initialement mélangés.

 

 

Jupiter et Saturne, les deux géantes gazeuses du Système solaire, sont principalement constituées d’hydrogène (environ 86 %) et d’hélium (13 %). Selon la pression et la température, ce mélange peut se trouver sous différentes phases ou états. Les structures radiales de Jupiter et de Saturne restent cependant encore mal connues. Les mesures du champ de gravité réalisées par les sondes Galileo et Juno favorisent un découpage en 4 régions principales (fig. 1). Passé la couche nuageuse, on traverse d’abord une enveloppe externe et homogène d’hydrogène moléculaire (H2) et d’hélium ; à des pressions plus élevées, l’hydrogène et l’hélium ne seraient plus miscibles, c’est-à-dire que, tout comme l’eau et l’huile, ils ne se mélangent pas. Cela conduirait à la séparation de ces deux éléments et à la précipitation de l’hélium, phénomène plus connu sous le nom de « pluie d’hélium » ; encore plus profondément se situerait une enveloppe d’hydrogène métallique [1] et d’hélium de nouveau mélangés ; passé cette région, on arrive enfin à un noyau de glace et de roches, les éléments les plus lourds se concentrant vers le centre.

 

Fig. 1 -Structure interne supposée de Jupiter. Sous la couche nuageuse, on traverse successivement une enveloppe d’hydrogène moléculaire (H2) et d’hélium mélangés, une zone dans laquelle l’hydrogène (H) et l’hélium sont immiscibles et se séparent, ce qui provoque une pluie d’hélium, une couche d’hydrogène métallique et d’hélium de nouveau mélangés, et un noyau composé de glaces et de roches. Les expériences réalisées par Stéphanie Brygoo et ses collègues ont permis de confirmer que l’existence d’une zone dans laquelle l’hydrogène et l’hélium sont immiscibles est envisageable, et d’estimer l’épaisseur de cette zone à environ 15 % du rayon de Jupiter.
(© F. Deschamps)

 

La taille exacte de chacune de ces régions reste à préciser. La présence d’une couche dans laquelle l’hydrogène et l’hélium ne sont pas miscibles revêt une importance particulière, car elle pourrait expliquer l’excès de luminosité de Saturne observé à partir des années 1970, l’idée étant que la chute de l’hélium fournit un surplus d’énergie. Cela permettrait aussi d’expliquer l’appauvrissement en hélium dans l’atmosphère de Jupiter observé par la sonde Galileo en 1996. Toutefois, aucune donnée expérimentale n’était venue étayer l’hypothèse que l’hydrogène et l’hélium sont effectivement immiscibles aux pressions et températures régnant dans Jupiter et Saturne.

Une étude menée par une équipe franco-américaine, parue récemment dans la revue Nature [2], vient combler cette lacune. Pour sonder le comportement d’un mélange H-He aux conditions de température et de pression régnant à l’intérieur des planètes géantes gazeuses, Stéphanie Brygoo, chercheuse au CEA, et ses collègues ont développé un procédé expérimental innovant qui combine deux méthodes de compression des matériaux utilisées, jusqu’à présent, indépendamment l’une de l’autre.

Ce procédé fait ainsi appel au passage d’une onde de choc générée par un laser (compression dynamique) dans un échantillon préalablement porté à haute pression grâce à une enclume de diamant (compression statique). Il permet de porter l’échantillon (ici un mélange H-He) à des pressions de 200 gigapascals (environ 2 millions de fois la pression atmosphérique) et à des températures de l’ordre de 10 000 K. L’analyse de l’intensité de l’onde de choc fournit une mesure de la réflectivité de l’échantillon, qui est elle-même une signature de l’état dans lequel se trouve cet échantillon, à savoir, dans le cas présent, si l’hydrogène et l’hélium sont ou non mélangés. Ainsi, entre 4 700 et 10 200 K, la réflectivité mesurée est typique de celle de l’hydrogène pur (fig. 2), signe que, dans cette gamme de températures, hydrogène et hélium sont séparés.

Ces mesures ont permis de préciser le diagramme de phase du mélange H-He, c’est-à-dire les plages de température et de pression pour lesquelles hydrogène et hélium peuvent se mélanger ou sont au contraire immiscibles. Ce diagramme montre que ces deux éléments ne sont pas miscibles dans des gammes de pression et de température plus étendues que prévu par les calculs, et surtout il conforte l’idée qu’à l’intérieur de Jupiter, ces deux éléments restent immiscibles dans une enveloppe s’étendant de 0,68 à 0,84 fois le rayon de Jupiter, soit environ 15 % de ce rayon. Dans cette zone, hydrogène et hélium sont donc séparés et une pluie d’hélium peut se produire.

 

Fig. 2 – Réflectivité d’un mélange d’hydrogène (H) et d’hélium (He) mesurée à différentes températures. Entre 4 700 et 10 200 K, la réflectivité est plus élevée que celle à laquelle on s’attend pour un mélange H- He (courbe bleue), mais elle s’accorde bien avec la réflectivité de l’hydrogène pur (zone grise). (© Brygoo et al., 2021)

 

Frédéric Deschamps IESAS, Taipei, Taïwan

 

1. Cette phase, prédite théoriquement par Eugene Wigner et Hilliard Huntington dès 1935, n’a été observée pour la première fois qu’en 1996. Elle pourrait exister à l’état liquide dès 400 gigapascals et pour des températures relativement faibles.

2. BRYGOO S. et al. (2021), « Evidence of hydrogen- helium immiscibility at Jupiter-interior conditions », Nature, 593, 517-521, doi : 10.1038/s41586-021-03516-0.

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