LE MAGAZINE DES SCIENCES DE L’UNIVERS EN AFRIQUE
La découverte d’un observatoire Dogon 

La découverte d’un observatoire Dogon 

Le peuple Dogon du Mali est célèbre dans le monde entier pour la splendeur de ses masques, la beauté de son architecture, la richesse de son patrimoine social et culturel. En Europe occidentale, et notamment en France, la délicatesse de leur civilisation nous est connue en grande partie par le travail de deux ethnologues français, Marcel Griaule et Germaine Dieterlen. Moins connu est l’article publié en 1950 par ces deux chercheurs où est relatée la connaissance de l’étoile Sirius par les Dogon. Cette publication a fait l’objet d’une vaste polémique car elle contient une énigme scientifique. Pour tenter de la résoudre, une expédition « ethno-astronomique » a été réalisée en 1998 dans la région de Sanga, en compagnie de Germaine Dieterlen. Les relevés réalisés en différents lieux ont pu démontrer l’existence de sites astronomiques, formés d’alignements, consacrés  à l’observation de Sirius. L’existence de tels « observatoires » en Afrique restitue à ce continent sa place dans l’histoire de l’astronomie mondiale. Ces observatoires évoquent aussi un lien probable avec la science ancienne égyptienne, dans la droite ligne des travaux de Cheikh Anta Diop.

Germaine Dieterlen (1903-1999). Après avoir débuté ses travaux en 1935, la voyage de 1998 a constitué pour Germaine Dieterlen son ultime mission ethnologique et sa dernière visite chez les Dogon à l’âge de 95 ans, après plus de soixante ans d’études. Germaine Dieterlen est ici en discussion avec un de ses informateurs, Diamguno Dolo (au centre), lors de cette dernière mission.

Introduction

Scientifiquement, l’Afrique est censée être un désert. En consultant les meilleurs ouvrages d’histoire des sciences et les encyclopédies, pratiquement nulle part vous ne trouverez de références à un scientifique africain, à une découverte ou simplement à un fait de science africaine. Ceci fait partie de l’aveuglement constant de l’Europe occidentale, et de ses satellites culturels du continent nord-américain, et de leur obstination à nier tout apport scientifique autre que celui issu de la culture classique grecque. Quitte à oublier au passage des pans entiers des savoirs de l’humanité, ceux de l’Asie, de l’Amérique latine ou bien à se le réapproprier de façon éhontée. Ainsi l’imprimerie, inventée en Chine par Bi Sheng en 1050, réapparaît attribuée à Gutenberg au XVe siècle et c’est ainsi qu’on enseigne encore aujourd’hui l’histoire de cette invention fondamentale.

L’histoire scientifique du monde est donc réécrite au prix d’un mensonge culturel constant. Pour l’Afrique, le trop peu de textes et de découvertes archéologiques mises au jour rend encore plus facile cette falsification. Seuls des travaux pluridisciplinaires d’avant-garde comme ceux de Cheik Anta Diop[i] (analogue à l’énorme tâche réalisée par Joseph Needham [ii] pour la Chine) ont contribué à tirer le continent africain de l’oubli scientifique.

Parmi toutes les sciences, l’astronomie est certainement à la fois la plus universelle et la plus ancienne. Dans un immense continent comme l’Afrique, il est totalement impensable que des hommes n’aient pas entretenu, ici comme ailleurs, un inventif dialogue avec le ciel. Et pourtant très peu de traces existent. Dans une terre où la tradition orale a souvent pris le pas sur les textes et les écrits, ce sont les mythes, les récits, voire les espaces, les pierres qui peuvent nous livrer les clefs de connaissances anciennes ou plus récentes qui forment la base de la science africaine.

La difficulté est alors de réunir des compétences complémentaires pour interpréter des informations souvent disparates. Dans le monde de l’ethnologie, un article consacré au mythe de l’étoile Sirius chez les Dogon, publié en 1950 par deux chercheurs français, Marcel Griaule et Germaine Dieterlen, dans le Journal des Africanistes [iii], a fait l’objet de nombreuses discussions souvent très polémiques [iv]. Dans le but d’évaluer les faits scientifiques sur lesquels pouvaient reposer le compte-rendu ethnologique, une mission « ethno-astronomique » a été réalisée en juillet 1998, dans le village de Sanga (Mali), en compagnie du cinéaste-ethnologue Jean Rouch et de l’ethnologue Germaine Dieterlen dont la présence s’est révélée indispensable [v]. Associant pour la première fois les apports de l’astronomie et de l’ethnologie, les relevés effectués sur place ont permis d’identifier un « observatoire Dogon », site consacré à l’observation de Sirius.

La connaissance ethnologique des Dogon

L’information la plus détaillée que nous avons aujourd’hui, en Europe occidentale, de la  population aujourd’hui sédentaire des Dogon, occupant les falaises de Bandiagara, à l’extrême nord-est du Mali, nous vient de travaux ethnologiques menés à partir des années 1930.  Leur « découverte » européenne est une conséquence de la mission Dakar-Djibouti, voyage d’exploration de l’Afrique d’Ouest en Est, organisé par l’ethnologue français Marcel Griaule et si bien relaté par l’écrivain Michel Leiris [vi]. Le passage à Bandiagara en pays Dogon allait déclencher chez Griaule une véritable passion pour cette population préservée, à l’écart de la boucle du Niger et des grandes routes de communication transafricaines, à laquelle il consacrera la majeure partie de son activité jusqu’à sa mort en 1956. Entouré de plusieurs collaboratrices dont Germaine Dieterlen dès 1935, il recueillera sur place lors de multiples missions, les éléments détaillés des mythes et de la cosmogonie Dogon, publié tout d’abord sous forme littéraire dans « Dieu d’eau » [vii] puis plus complètement dans « Masques Dogon » [viii] et enfin au travers du travail de synthèse poursuivie par G. Dieterlen avec « Le Renard Pâle » [ix].

Pour aussi imparfaite qu’ait été l’approche ethnologique européenne de cette époque (la mission Dakar-Djibouti contribua sans aucun doute à remplir le nouveau musée de l’Homme de trésors qui devraient un jour retourner dans leurs berceaux africains), l’état d’esprit de ces chercheurs était, pour la première fois, débarrassé du seul point de vue purement colonialiste. La richesse des savoirs Dogon que révélaient leurs études étaient si surprenante pour l’époque qu’elle déclencha d’ailleurs des attaques qui mettaient en doute l’honnêteté même de leurs sources [x].

A notre connaissance, l’article sur Sirius qu’ils publièrent en 1950 ne fit pas l’objet de polémique lors de sa publication, la portée astronomique ayant sans doute été sous-estimée. Dans  ce travail, Griaule et Dieterlen rapportent la position centrale de l’étoile Sirius dans la cosmogonie Dogon. De par son nom « sigui tolo », l’étoile du Sigui, Sirius, apparaît tout d’abord en relation directe avec la cérémonie traditionnelle et fondatrice de la culture Dogon, le « sigui »,  fête rituelle célébrée tous les soixante ans pendant sept années consécutives à travers les différents villages de la falaise de Bandiagara. Parmi les autres termes relevés par Griaule-Dieterlen figurent aussi l’association de Sirius et du Soleil dans la création du monde Dogon qui rapporte : « Les hommes qui avaient vu briller « sigi tolo » pendant toute la descente (et au moment de l’impact) assistèrent alors au premier lever du soleil qui sortit à l’est et dès ce moment éclaira l’univers…. » [xi].

Mais l’aspect le plus spectaculaire de l’article réside dans la référence à un (ou deux) compagnons de l’étoile. Le premier identifié sous le nom de « po tolo », l’étoile du po (la graine de fonio) étant en particulier désigné comme l’origine de toute la création, « l’axe du monde entier » Astre dense, il est réputé « semblable à l’œuf du Monde, ..la source de toutes choses » [xii] .Comme nous le verrons, cet astre existe vraiment ; son existence a bien été démontrée par les astronomes mais il est totalement invisible à l’œil nu ! Ceci constitue  l’énigme astronomique des Dogon. Comment était-il possible aux Dogon d’imaginer un astre inaccessible à l’observation à l’œil nu qu’ils pratiquaient ?

Griaule et Dieterlen n’étant pas spécialistes en astronomie, ils ne purent mesurer tout d’abord la portée de leur révélation. Selon le cinéaste et ethnologue, Jean Rouch, qui poursuivit avec G. Dieterlen le travail de Griaule en filmant notamment le dernier sigui Dogon de 1965-1972, l’énigme astronomique fut redécouverte à l’occasion d’une présentation de ses films aux USA, à laquelle assistait une jeune étudiante en cinéma dont le père était astrophysicien ! Cette énigme est ensuite évoquée par l’astronome anglais Mc Crea [xiii] dans un article sur les découvertes fortuites qui donna alors lieu à une floraison de publications discutant d’explications possibles [xiv]. La plus fréquemment reprise est celle d’un contact culturel avec un missionnaire qui aurait transmis aux Dogon une information scientifique moderne. Bien que plausible, cette interprétation se heurte néanmoins à de nombreuses difficultés. Tout l’édifice cosmogonique Dogon semble en effet tourner autour de Sirius et de son compagnon. Si des missions ont bien atteint le pays Dogon, ce ne fut que tardivement à une date très proche des premières enquêtes de Griaule. Il semble improbable que toute la cosmogonie Dogon ait pu être modifiée en un temps si court pour le simple bénéfice d’y inclure des informations modernes. La confusion sur cette question fut certainement portée à son comble par la publication en 1976 d’un livre à succès peu recommandable, quoique bien documenté, attribuant ces connaissances à un contact avec des … extraterrestres [xv].

La connaissance astronomique moderne de Sirius

Que cache l’étoile Sirius ? Sirius est l’étoile la plus brillante du ciel et, à ce titre, ne pouvait passer inaperçue pour l’ensemble des hommes depuis la nuit des temps. Pourtant, elle n’a pas une place centrale dans la plupart des cultures astronomiques, à l’exception remarquable de l’Egypte ancienne. Son statut y a été largement documenté [xvi]. Désignée sous le nom de « spdt » ou « sepdt » (la pointue), l’étoile est traditionnellement associée au début de l’année égyptienne. Son lever à l’horizon en même temps que le Soleil (ou lever héliaque), coïncidait approximativement avec la crue bénéfique du Nil. Le faible nombre de documents réellement utilisables [xvii] a nécessité de nombreuses « interpolations » pour établir que ce phénomène avait permis aux égyptiens, sans doute dès le XXe siècle avant le début de l’ère moderne, d’obtenir une valeur très précise de la durée de l’année, en réglant ainsi leur calendrier sur la sphère des étoiles plutôt que sur le Soleil ou la Lune [xviii].

La science moderne va révéler un autre aspect de Sirius [xix]. En 1844, le mathématicien prussien Friedrich Bessel, en étudiant le mouvement de Sirius, déduit la présence d’un autre corps perturbateur en orbite autour de l’étoile dont la masse devait être au moins égale à celle du Soleil [xx]. Cette étoile-compagnon était pourtant invisible à l’époque, c’était un « soleil noir ». Les premiers progrès des instruments astronomiques allaient lui donner raison. En 1862, l’opticien américain Alvan Clark, à l’aide d’une lunette de 47 cm de diamètre, la plus grande pour l’époque, fut le premier à apercevoir le compagnon de Sirius, une petite étoile dix mille fois plus faible que Sirius et située à très faible distance d’elle. Des mesures précises réalisées en 1914 par Walter Adams [xxi] allait prouver que la température de ce compagnon, nommé Sirius-B, était très élevée, environ 8500 degrés [xxii], bien supérieure à celle du Soleil et que sa taille était très petite, comparable à celle d’une planète comme Neptune [xxiii]. Ces étoiles baptisées « naines blanches » sont les restes  d’étoiles dont le cœur s’est effondré pour former un petit astre d’abord très dense et chaud qui se refroidit ensuite lentement [xxiv].

Le compagnon de Sirius est la première et la plus proche des quelques milliers de naines blanches découvertes à ce jour [xxv]. L’étoile est invisible à l’œil nu, en premier lieu bien sûr car elle est noyée dans le halo de lumière diffusée par Sirius. Mais, même isolée dans le ciel, une étoile comme Sirius-B resterait inaccessible à l’œil nu car elle est environ dix fois plus faible que ce que l’œil humain peut percevoir [xxvi]. Sa trajectoire autour de Sirius-A est relativement bien connue, C’est une orbite que Sirius-B parcourt en 50 ans et 18 jours, selon une ellipse relativement aplatie (d’excentricité 0,59), de sorte que sa distance à Sirius-A varie selon les époques. Sur le ciel, l’écart entre les deux étoiles varie entre 3 et 12 secondes d’arc (1 seconde d’arc est l’équivalent d’une pièce de monnaie de 1 cm vue à 2000 mètres de distance) [xxvii]. L’œil humain ne peut distinguer que des angles supérieurs à environ 90 secondes d’arc donc les deux étoiles ne sont pas séparables à l’œil nu.

L’analogie entre certains aspects des récits Dogon et les découvertes scientifiques concernant Sirius n’a pas manqué d’être relevée. Parmi ceux-ci, l’existence même du compagnon, les caractéristiques de sa trajectoire, sa nature dense et son caractère de matière « essentielle » car la matière d’une naine blanche est effectivement le creuset où ont été fabriqués tous les éléments chimiques autre que l’hydrogène et l’hélium.

Soyons clair, la transmission directe d’informations scientifiques aux Dogon, totale ou partielle, est plausible, peut-être même probable, mais il n’y a aujourd’hui aucun moyen de le prouver. En revanche, même dans ce cas, le plus intéressant est l’intérêt éminent que les Dogon auraient apporté à ces connaissances, traduisant ainsi leurs interrogations astronomiques fondamentales.  Plus que de vouloir identifier l’origine des informations, il semble donc plus essentiel de comprendre comment elles sont venues s’associer aux conceptions très élaborées qu’entretiennent les Dogon avec l’étoile Sirius et qui, elles, ne peuvent être mises en doute. C’est à l’issue de longues conversations sur ce sujet avec Germaine Dieterlen que nous avons décidé d’entreprendre une enquête très concrète sur le terrain, destinée à préciser les connaissances astronomiques Dogon.

L’observatoire de Sanga.

La mission a été conduite au Mali du 27 juillet au 8 août 1998 et elle associait les ethnologues Germaine Dieterlen et Jean Rouch, le réalisateur Jérôme Blumberg, les informateurs Dogon, Diamguno Dolo, Anagali Dolo, Pangalé Dolo et Ibrahim Guindo et l’auteur de cet article [xxviii].

 

Fig. 1- La grande arche de Polio-Kommo (Sanga-Mali)
La grande dalle de pierre a une hauteur de 6 à 8 m et une dimension d’environ 14 m de long et est orientée approximativement nord-sud. Le point d’observation depuis la table est marqué par un « trou d’homme », ouverture traversant le rocher, visible sur la photo de la face Est, obtenue en 1954 par l’ethnologue Germaine Dieterlen. La photographie de l’arche, prise en 1998, montre le basculement de la table de pierre probablement sous l’effet de la foudre, bouleversant la disposition antérieure. Le point d’observation est en partie comblé.

Un site en particulier a été relevé, le lieu-dit « polio-kommo » ou « caverne du traversement », situé à environ 4 km à l’ouest du village de Sanga. Ce site est organisé autour d’une gigantesque table de pierre d’une longueur approximative de 13 mètres, surplombant un ensemble de rochers (Figure 1). Les premières photos prises par G. Dieterlen en 1954, montrent la table intacte alors qu’actuellement elle est brisée en deux avec des traces caractéristiques de foudre. Sous la table, approximativement au milieu, était ménagé, un trou où un homme pouvait se glisser, aujourd’hui comblé par l’effondrement. Ce site est considéré par les Dogon de Sanga comme le lieu symbolique où l’arche (ou le panier) transportant les premiers ancêtres s’est posée sur la Terre dans la genèse Dogon. A côté de la table, qui symbolise l’arche, sont disposés, au sud, quatre rochers figurant les quatre ancêtres à l’origine des quatre grandes familles Dogon, les Arou, Dyon, Ono et Donmo. Enfin, à l’est de la table, se trouvent deux rochers séparés d’environ 20 m et qui sont désignés comme le rocher du Soleil (coté Nord-Est) et de Sirius (côté Sud-Est) [xxix], respectivement à 43 m et 29m de la table (Figure 2).

Fig. 2 – Le relevé du site de Polio-Kommo – Relevé général du site montrant l’orientation et la disposition de l’arche et des deux rochers du Soleil (au nord-est) et de Sirius (au sud-est). Vue depuis le point d’observation de l’arche, la direction géographique exacte des extrémités des rochers est de 74° (Soleil) et 110° (Sirius). Ces directions coïncident assez exactement avec la direction d’apparition du Soleil (71°) et de Sirius (107°), à l’époque de l’année de leurs levers presque simultanés (lever héliaque).

 

L’enquête ethnologique, recueillie auprès des premiers informateurs de Griaule et Dieterlen, montre l’importance de Sirius. Selon la cosmogonie Dogon, lors de la création du monde : « Après le Nommo, tous les êtres qui se trouvaient sur l’arche descendirent à leur tour sur la Terre. Lorsqu’elle fut vidée (de son contenu) Amma fit remonter au ciel la chaîne qui la maintenait puis il « referma » le ciel. Les hommes qui avaient vu briller « sigi tolo » pendant toute la descente (et au moment de l’impact) assistèrent alors au premier lever du soleil qui sortit à l’est et qui dès ce moment éclaira l’univers…. »[xxx] et le Soleil y est directement associé avec Sirius car   « …on dit  » sigi tolo et le Soleil sont descendus au milieu de la nuit, sigi tolo a montré le chemin, le Soleil après s’est levé« [xxxi].

Cette association Soleil-Sirius suggère très fortement le phénomène dit du lever « héliaque » (de helios=soleil, lever avec le Soleil). Ce terme désigne le moment où une étoile et le Soleil se lèvent ensemble sur l’horizon Est, au lever du jour. Du fait du mouvement saisonnier du Soleil à travers les étoiles, cette conjonction intervient une seule fois dans l’année, à une date précise, dépendant du lieu et des coordonnées de l’étoile. A cette date, l’étoile est aperçue fugitivement juste avant le lever du Soleil, puis de jour en jour, le Soleil se déplaçant avec la saison, l’étoile est visible de plus en plus longtemps. Le moment exact du lever héliaque, est difficile à déterminer, il dépend de la luminosité de l’étoile, des positions relatives étoile-Soleil et des conditions d’observations, un problème analogue à la première visibilité du croissant lunaire qui détermine en Islam le début et la fin du jeûne du mois de Ramadan. L’étoile ne sera réellement visible que lorsqu’elle se lève légèrement avant le Soleil pour ne pas être noyée dans la lumière du jour. L’observation est bien sûr plus aisée pour l’étoile la plus brillante du ciel et c’est pour cette raison que les anciens égyptiens avaient choisi le lever héliaque de Sirius pour mesurer leur année. Le retour de cette conjonction marque en effet très précisément l’écoulement d’une année entière.

 

L’ensemble du site a été relevé par arpentage et à l’aide d’un compas de poche (avec des précisions de l’ordre de 0,3 m sur les distances et de 1° sur les angles calculés). Sur le plan du site ont été en particulier mesurées les directions azimutales des deux rochers, à partir du point d’observation du trou d’homme, indiqué par les Dogon. Mesurées à partir de ce point, la pointe extrême Nord du rocher Soleil est situé à 74 degrés (azimut compté dans le sens direct à partir du Nord) et la pointe extrême sud de celui de Sirius à 110 degrés (Figure 2). Le déplacement du point d’observation du centre aux extrémités de la table entraînerait une variation maximale d’environ 6 degrés pour ces directions.

Ces directions ont pu être comparées aisément aux directions calculées du Soleil et de Sirius lors du lever héliaque à Sanga (Figure 3). La date du lever observable dépend de l’écart entre la hauteur sur l’horizon (élévation) de Sirius et du Soleil, imposé pour que l’étoile soit visible. A Sanga ( 3°19′ W /  14°32′ N), il est situé entre le 12 juillet, date à laquelle le Soleil et Sirius sont tous les deux à l’horizon et le 1er août où il existe déjà un écart de 18° entre l’élévation de Sirius et du Soleil. Entre les deux dates, l’angle azimutal du Soleil varie de 67 à 71° tandis que celui de Sirius est constant de 107°. L’observation  au niveau de l’horizon étant pratiquement impossible, les directions ont été également évaluées pour une position où les deux astres ont une élévation de 5° et elles correspondent à 73 et 109 degrés pour Soleil et Sirius [xxxii].

Fig. 3 – L’observatoire du lever héliaque
La vue de l’horizon depuis la grande arche de pierre. Face à elle, vers l’Est, deux rochers symbolisent le Soleil (à gauche) et Sirius (à droite), situés respectivement à 43 et 29 mètres. Sur le schéma, les variations de la position à l’horion du Soleil autour de la date du lever héliaque sont indiquées en gris, ainsi que la variation de l’angle de Sirius au cours de son lever. L’extrémité des rochers indique bien la position des astres lors du lever héliaque.

 

L’extrême bonne concordance entre ces positions et les directions des rochers démontre clairement que la disposition du terrain était pratiquement utilisée par les Dogon pour déterminer et observer le moment du lever héliaque de Sirius. La coïncidence devient plus claire lorsque l’on compare avec l’amplitude saisonnière de l’azimut du Soleil à son lever qui varie de 65° (au solstice d’hiver) à 114° (au solstice d’été). Curieusement néanmoins, le lever héliaque de Sirius à Sanga ne représente pas une époque particulièrement favorable dans l’année Dogon. En raison du climat de la région de  Bandiagara, il est situé au milieu de la saison des pluies et est de ce fait difficile à observer. La date de notre mission avait été choisie pour coïncider avec le meilleur intervalle de visibilité. Malgré un ciel parfois nuageux, nous avons pu néanmoins facilement vérifier visuellement et sur plusieurs nuits le phénomène, coïncidant avec l’alignement des rochers [xxxiii].

Il est très difficile de dire si le site a été aménagé ou simplement utilisé dans sa configuration particulière. La table, de par sa masse, n’a probablement pas pu être érigée à main d’homme  mais les rochers auraient pu être déplacés. Il s’agit de façon évidente d’une ré-appropriation au moins partielle du terrain et d’une configuration utilisé pour « mémoriser » une date et une configuration astronomique. En ceci, le dispositif peut être considéré comme un véritable « observatoire », en tout point analogue, quoique moins monumental, au célèbre site de Stonehenge (Wiltshire), dans le Sud de l’Angleterre où les alignements permettent de déterminer la date du solstice d’été.

Les premiers informateurs de G. Dieterlen ayant disparus, il est très difficile d’obtenir des informations complémentaires sur le rôle de ce lieu qui aujourd’hui semble plutôt délaissé. Servait-il ou a-t-il servi à la détermination du début de la cérémonie du Sigui ? Etait-il utile dans le compte des années qui sépare deux cérémonies ? Ou servait-il simplement comme en Egypte ancienne à la détermination de la durée de l’année et du calendrier ? Nous sommes obligés de laisser ces questions aux ethnologues qui voudront bien poursuivre l’œuvre de G. Dieterlen. On sait aujourd’hui que les Dogon ont occupé la falaise depuis probablement le XIIIe siècle, il est possible que progressivement certaines pratiques aient été perdues ou aient évoluées. Il est néanmoins certain que la préoccupation du lever héliaque traduit l’existence d’un savoir astronomique évolué qui, cette fois et de façon indiscutable, n’a aucun rapport avec une influence récente.

Conclusion

Bien au-delà de toutes nos attentes initiales, les relevés astronomiques simples qui ont pu être effectués dans des lieux désignés par les Dogon comme consacrés à Sirius ont apporté des résultats concrets, objectifs et précis qui permettent de tirer plusieurs conclusions.

Tout d’abord,  ils viennent confirmer la qualité et la rigueur du travail des ethnologues M. Griaule et G. Dieterlen et le soin qu’ils ont apporté au recueil des informations. Aucune information n’avait été « interprétée » voire « inventée » comme ont pu le suggérer certains contradicteurs. Puisque ces deux chercheurs d’exception sont aujourd’hui disparus, il convient ainsi de leur rendre hommage et faire taire des critiques injustes à leur égard.

Ces premiers relevés n’ont pas permis bien sûr d’apporter une réponse définitive sur l’origine des informations concernant le (ou les) compagnons de Sirius. L’énigme des compagnons reste non résolue même si certaines pistes peuvent être considérées. Dans une série de travaux récents, l’hypothèse d’un deuxième compagnon a été discutée pour rendre compte d’un possible changement de couleur de Sirius il y a environ 2000 ans [xxxiv]. L’interaction d’une petite étoile aurait ainsi perturbé l’atmosphère de Sirius. Ce phénomène, parfaitement perceptible à l’œil, nu aurait pu indirectement suggérer la présence de compagnon autour de l’étoile brillante. Un tel changement brutal d’aspect peut en effet être interprété par un observateur comme le résultat d’une cause extérieure, par exemple l’existence d’une deuxième étoile perturbatrice mais invisible. Les Dogon ont-ils eu connaissance de ce phénomène ancien par les astronomes égyptiens de la même façon qu’ils semblent avoir hérité d’eux la préoccupation du lever héliaque ? Comme l’a souligné le chercheur Cheikh Anta Diop, les connaissances de l’Egypte antique se sont certainement diffusé à travers l’Afrique grâce notamment à des voies de communication plus aisées dans le passé en raison d’un climat moins désertique. Il se peut que cette tradition astronomique ait été ainsi transmise aux Dogon, constituant la trame ayant donné naissance du mythe de « po tolo ».  Malheureusement, nous sommes là bien sûr dans d’hypothétiques spéculations dont il sera bien difficile d’apporter des preuves.

Du moins, la découverte de l’observatoire Dogon replace maintenant ces connaissances dans un univers Dogon où la préoccupation de Sirius était tout autant d’ordre scientifique que d’ordre symbolique. Les Dogon observaient bien Sirius et pour cela ils avaient construit un observatoire. De façon plus fondamentale, en association avec les mythes poétiques et fondateurs révélés par l’ethnologie, ils mettent en lumière, que cette préoccupation astronomique n’est très probablement que l’extrémité émergée d’un savoir beaucoup plus complet dont la teneur exacte n’est malheureusement pas connue mais qui semble avoir une parenté évidente avec les préoccupations des anciens Egyptiens.

Avec l’existence de l’observatoire de Sanga, le désert scientifique africain, vient donc de voir fleurir une fleur parmi tant d’autres à découvrir. Il donne ainsi raison à Check Anta Diop qui soulignait « Combien est impropre, quant au fond, la notion, si souvent ressassée, d’importation d’idéologies étrangères en Afrique : elle découle d’une parfaite ignorance du passé africain. Autant la technologie et la science modernes viennent d’Europe, autant, dans l’antiquité, le savoir universel coulait de la vallée du Nil vers le reste du monde, et en particulier vers la Grèce, qui servira de maillon intermédiaire. Par conséquent, aucune pensée, aucune idéologie n’est, par essence, étrangère à l’Afrique, qui fut la terre de leur enfantement. » [xxxv]

Existe-t-il d’autres sites similaires en Afrique ? C’est sans doute principalement aux Africains qu’incombe cette recherche du passé scientifique de l’Afrique. Eux seuls aujourd’hui, bien mieux que les « ethnologues » d’hier, ont les moyens de rapprocher témoignages oraux, coutumes locales et sites particuliers qui pourraient révéler à l’humanité une face de son savoir encore ignorée. Faire parler les hommes, faire parler les pierres pour que les premières bases du savoir humain puissent enfin être reconstituées totalement.

Jean-Marc Bonnet-Bidaud, Département d’Astrophysique, CEA, France

Cet article est adapté de la publication « L’observation de l’étoile Sirius par les Dogon » paru dans la revue ANKH, Revue d’Egyptologie et des Civilisations Africaines n°10/11, pp. 144-163 (2001-2002) http://ankhonline.com/ (avec l‘aimable autorisation de la revue).

 

Pour en savoir plus :

– voir les articles : http://bonnetbidaud.free.fr/sirius/pub_sirius.html

– et les vidéos : http://bonnetbidaud.free.fr/sirius/pub_media.html

Notes et Références bibliographiques

[i] Cheikh Anta DIOP (1981), « Civilisation ou Barbarie », Présence Africaine.

[ii] Joseph NEEDHAM (1954-1971) « Science and Civilisation in China », Cambridge Univ. Press,

[iii] Marcel GRIAULE et Germaine DIETERLEN (1950), « Un système soudanais de Sirius », Journal de la Société des Africanistes, tome XXV, p. 273-294

[iv] voir plus bas, note 10

[v] Germaine Dieterlen-Texier du Cros est décédée le 13 novembre 1999

[vi] Michel LEIRIS (1934), « L’Afrique fantôme », Gallimard, Collection Tel n°125, (édition 1981)

[vii] Marcel GRIAULE (1948) « Dieu d’eau », Livre de Poche n°4049, Fayard (ed. 1966)

[viii] Marcel GRIAULE (1938) « Masques Dogons », Musée de l’Homme, Institut d’Ethnologie, 4e édition 1994.

[ix] Marcel GRIAULE  et Germaine Dieterlen (1965) « Le Renard Pâle », 2e édition 1991, tome 1, Institut d’Ethnologie, Paris  (le deuxième tome était en voie d’achèvement lors la disparition de G. Dieterlen en 1999)

[x] Walter EA van BEEK (1991)  « Dogon Restudied« , Current Anthropology, Vol 32, Number 2, April 1991 p. 139

[xi] Marcel GRIAULE  et Germaine Dieterlen (1965), op. cit. p. 444

[xii] Marcel GRIAULE  et Germaine Dieterlen (1965), op. cit, p 473 et 474

[xiii] W. Mc CREA (1972),  “Astronomer’s luck”, QJRAS, 13, p.506

[xiv] voir notamment dans K. BRECHER (1979),  « Astronomy of the Ancients« , Eds Brecher & Feirtag, MIT Press, p. 91-115 et HETHERINGTON (1980), « Sirius-B and the gravitational redshift : An historical review », QJRAS, 21, p. 246

[xv] R. TEMPLE (1976), “The Sirius Mystery “ , Destiny Books, Rochester (Vermont USA), ed. 1987

[xvi] voir M. CLAGETT (1995), dans « Ancient Egyptian Science » Vol II, , Am. Philosophical Society, Philadelphie.

[xvii] voir CLAGETT, ibid

[xviii] cette année sidérale précise (d’environ 365,25 jours, très exactement 365,2563 jours) coexistait en Egypte avec un calendrier dit « vague » comportant 360 jours divisés en 12 mois de 30 jours (trois décans) et cinq jours francs dit « epagomènes ». L’écart, d’environ 0,25 jours par an entre les deux calendriers, entrainait un lent décalage du lever héliaque qui, dans le calendrier vague, se produit chaque année 0,25 jours plus tard. L’écart accumulé atteint ainsi un an entier au bout de 1461 ans (365,25/0,25), un très long cycle dite « période sothiaque » qui semble avoir été célébré par les Egyptiens au cours des millénaires couvrant leur histoire. La position du lever héliaque dans l’année vague permet par ailleurs une datation dans le cycle sothiaque, une méthode utilisée par les égyptologues pour situer certaines dynasties.

[xix] Parmi les étoiles les plus proches, Sirius est le 6e étoile à une distance de 8,6 années-lumière (81 000 milliards de kilomètres)

[xx] Friedrich BESSEL (1844), « On the Variations of the Proper Motions of Procyon and Sirius », MNRAS), 6, p.136

[xxi] Walter ADAMS (1915)  « The Spectrum of the Companion of Sirius« , PASP, 27, p. 236

[xxii] la température réelle de l’étoile est maintenant mesurée plus précisément à 25 000 degrés

[xxiii] en raison de l’erreur sur la température, le rayon de l’étoile était alors calculé comme 16 000 kilomètres, il est aujourd’hui estimé à (5845 +/- 175) kilomètres. Le rayon de Neptune est de 24 700 km, celui du Soleil de 696 000 km.

[xxiv] la première explication est due à Ralph FOWLER (1926), « On dense stars« , MNRAS, 87, 114

[xxv] on estime que près d’une étoile sur dix dans notre Galaxie s’est déjà transformée en naine blanche, leur nombre pourrait y avoisiner dix milliards.

[xxvi] dans l’échelle logarithmique des magnitudes (où un écart de 2,5 magnitude correspond à un flux dix fois plus faible), Sirius-A a une magnitude de –1,45, Sirius-B de 8,44, et  la plus faible étoile visible à l’œil nu a une magnitude d’environ 6.

[xxvii] D. BENEST & J.L. DUVENT (1995), « Is Sirius a triple star? », Astron. Astrophys. 299, 601, voir aussi GATEWOOD & GATEWOOD (1978), “A study of Sirius”, Astrophys. Journ. 225, 191

[xxviii] pour un compte-rendu filmé de cette misson, voir le film « Sirius, l’étoile Dogon », réalisateur J. Blumberg , CNRS 1999, https://youtu.be/gyh34nHE5XA

[xxix] à noter que dans la légende de la photographie du site dans le Renard Pâle (p. 465), la direction des deux rochers a été inversée

[xxx] Marcel GRIAULE  et Germaine Dieterlen (1965), op. cit. p. 443

[xxxi]  ibid, p. 461

[xxxii] Pour le détail, voir les calculs figurant en annexe 1 de « L’observation de l’étoile Sirius par les Dogon » ANKH, n°10/11, pp. 144-163 (2001-2002)

[xxxiii] Le phénomène a été enregistré dans une séquence  filmée qui, malgré ses imperfections dues aux conditions difficiles, illustre le déroulement du lever héliaque ( voir dans le film « Sirius, l’étoile Dogon », https://youtu.be/gyh34nHE5XA)

[xxxiv] J.M. BONNET-BIDAUD et C. GRY (1991), « The stellar field in the vicinity of Sirius and the color enigma », Astron. Astrophys. 252, 193, GRY & BONNBET-BIDAUD (1990), « Sirius and the color enigma » , Nature 347, 625 ; BONNET-BIDAUD & GRY, 1992, La Recherche 23, 105 et les résultats récents Bonnet-Bidaud, J. M.; Pantin E. (2008), « ADONIS high contrast infrared imaging of Sirius-B », Astronomy and Astrophysics, 489, pp.651-655

[xxxv] Cheikh Anta DIOP (1981), « Civilisation ou Barbarie », Présence Africaine, p. 12

 

 

Le Mouvement des nuages et des étoiles dans une galaxie

Le Mouvement des nuages et des étoiles dans une galaxie

Dans une galaxie, des objets comme les étoiles et les nuages moléculaires sont principalement soumis aux forces de gravitation. Les nuages sont également soumis à des collisions avec d’autres nuages. Nous nous intéressons dans cet éclairage aux effets gravitationnels.

 

Figure 1 – Quelques exemples de trajectoires épicycliques d’étoiles ou de nuages moléculaires dans une galaxie sans bras spiraux ni barre. Les fréquences épicycliques représentent ici un nombre entier d’épicycles par tour de galaxie. Dans ces cas particuliers, les trajectoires se referment à chaque tour. Les trajectoires en blanc et en noir ont deux épicycles par tour, la trajectoire en rouge en a 6, celle en bleu 5, et celle en vert 3. (ESA/Hubble & NASA, Judy Schmidt and J. Blakeslee (Dominion Astrophysical Observatory).

 

Dans un disque de galaxie homogène, axisymétrique, le potentiel gravitationnel U dans le plan de la galaxie ne dépend que de la distance R au centre, soit U(R). La trajectoire d’une étoile la plus simple possible est un cercle de rayon R.

Cependant, avec le mouvement circulaire, la direction et le module de la vitesse sont déterminés d’une manière unique, tandis que les vitesses réelles des étoiles et des nuages sont plus variées. Cette variété est caractérisée par une fonction appelée dispersion de vitesse.

Si, pour tenir compte de la dispersion, on perturbe légèrement ce mouvement circulaire, les calculs montrent que sa distance oscille un certain nombre de fois (pas forcément entier) à chaque tour (figures 1 et 2), avec une fréquence que l’on nomme la fréquence épicyclique.

 

Figure 2 – Exemple d’un épicycle de fréquence non entière, proche de 2. Un nombre entier d’épicycles ne correspond pas à un tour, si bien que la trajectoire ne se referme pas à chaque tour. Elle peut ne jamais se refermer si la fréquence épicyclique ne s’écrit pas sous forme de fraction de deux entiers. (ESA/Hubble & NASA)

 

La fréquence épicyclique peut être calculée en fonction du potentiel U(R), ou bien de la vitesse de rotation V(R) observée pour la galaxie.

Le moment cinétique, par unité de masse, est le produit du carré de la distance au centre de la galaxie et de la vitesse angulaire. C’est une constante du mouvement dans un disque de galaxie homogène, axisymétrique (c’est-à-dire symétrique par rapport à un axe). Mais il n’est pas conservé dès lors que le disque est perturbé par une barre ou des bras spiraux. Dans ce cas, la force de gravitation n’est plus orientée vers le centre galactique, mais il existe une composante perpendiculaire à cette direction, appelée force tangentielle (fig. 3). Alors, le moment cinétique de l’objet n’est plus constant le long de sa trajectoire. On dit que la barre exerce un couple de torsion1, lequel peut diminuer ou accroître le moment cinétique de l’objet, facilitant sa chute vers le centre ou, au contraire, le déplaçant vers la périphérie.

 

Figure 3 – Dans une galaxie barrée, la force gravitationnelle (flèche jaune) s’exerçant sur une étoile (en bleu) n’est pas orientée vers le centre de la galaxie en général, sauf sur les axes de symétrie de la barre (grand axe et petit axe). Dans ce cas, la barre exerce un couple capable de modifier le moment cinétique de l’étoile. (ESA/Hubble & NASA, Judy Schmidt)

Figure 4 – Exemples d’orbite fermée dans une galaxie barrée, avec deux épicycles (en noir et blanc). Supposons-les représentées ici dans un repère tournant à la même vitesse que la barre. Les nuages sur ces orbites sont les plus perturbés, car chaque passage au voisinage de la barre s’effectue dans des conditions identiques. Alors, à chaque fois, le couple exercé par la barre ajoute le même effet qu’aux passages précédents. C’est une résonance de Lindblad.

Les effets des perturbations gravitationnelles (fig. 4), peuvent être considérés comme faibles en première approximation. Cependant, si de petits effets se répètent toujours dans le même sens, ils peuvent avoir de grandes conséquences. Cela se produit quand la fréquence épicyclique coïncide avec la durée entre deux traversées de bras spiraux ou d’une barre. On désigne cette coïncidence sous le nom de résonance de Lindblad. Comme la fréquence épicyclique dépend de la distance moyenne de l’objet au centre de la galaxie, la résonance de Lindblad se produit à des distances bien déterminées. Avec une résonance de Lindblad, la trajectoire du nuage évolue rapidement (aux échelles de temps galactiques) jusqu’à se trouver dans un anneau, symétrique par rapport à la barre, où aucun couple ne lui sera imposé.

 

Fabrice Mottez – Observatoire de Paris-Meudon

 

 

 

 

Coordinateurs Nationaux pour la vulgarisation de l’astronomie – Afrique francophone

Coordinateurs Nationaux pour la vulgarisation de l’astronomie – Afrique francophone

La vulgarisation de l’astronomie est la voie par laquelle le grand public est informé et impliqué des avancées, des évènements en astronomie. Ceci a été une préoccupation de plusieurs sociétés dans le passé, Jacques Levy le démontre dans son ouvrage intitulé « Arago et l’astronomie populaire ».  Le premier texte d’astronomie écrit directement en français porte sur l’histoire de la vulgarisation, les Institutions astronomiques de Jean Pierre de Mesmes (institutions astronomiques, 1557).

L’impact positif de la vulgarisation de la science dans la société, en particulier de l’astronomie, a suscité l’intérêt de créer au sein de l’Union Astronomique Internationale (IAU en anglais) un bureau de vulgarisation appelé Bureau pour la vulgarisation de l’astronomie (en anglais Office for Astronomy Outreach – OAO). L’OAO est un projet mis en place par l’IAU et l’Observatoire Astronomique Nationale du Japon (NAOJ) en 2012 dans le but de mieux diffuser l’astronomie au plus grand nombre et de favoriser certains partenariats entre recherche et citoyens (science participative).

Mission de l’OAO

La mission de l’OAO est d’engager le public dans l’astronomie par l’accès à l’information astronomique et la communication de la science de l’astronomie (https://www.iau.org/public/). Le travail de l’OAO consiste à construire des ponts entre l’IAU et la communauté mondiale des astronomes amateurs, des praticiens de la vulgarisation, des éducateurs, des communicants et du grand public, et à travers une collaboration internationale, à rendre la science de l’astronomie accessible à tous.

Cette mission est mise en œuvre par le biais d’un réseau de coordinateurs nationaux de l’IAU (NOC, National Outreach Coordinator) et des initiatives d’engagement de l’IAU auprès du public, encourageant la communication active de la science par le biais d’activités d’engagement du public des membres de l’IAU, de professionnels-amateurs et de science citoyenne.

L’OAO dans son plan stratégique de la décennie (2020-2030) d’étendre son réseau de NOCs encourage chaque pays à avoir un coordonnateur local, y inclus l’Afrique afin de  toucher un plus grand nombre de pays qu’actuellement. Toutes les informations utiles pour devenir NOC peuvent être trouvées sur le lien suivant: https://www.iau.org/public/noc/ .

Ici nous intéressons au réseau NOC de l’Afrique francophone.

NOC Afrique francophone

Le réseau  NOC  Afrique francophone s’agrandit de plus en plus, même s’il reste encore des pays qui tardent à rejoindre la communauté (https://sites.google.com/oao.iau.org/iauoaonews/national-pages). L’absence de certains pays africains, surtout ceux qui ont comme langue le français, peut s’expliquer du fait que l’astronomie n’est pas encore très développée dans ces zones, et également par l’existence d’une barrière linguistique. Cependant l’OAO fait beaucoup d’efforts pour corriger ce fossé. Il compte élargir son réseau de traduction pour gérer et diffuser les résultats astronomiques dans plusieurs langues (IAU Strategic Plan 2020–2030, https://www.iau.org/administration/about/strategic_plan/).

Ce réseau africain assure la dissémination des projets de l’OAO au niveau national, partage les nouvelles et les événements liés à l’astronomie dans leur pays, et font le lien entre l’IAU et les communautés locales. Dans le même temps, ils bénéficient du soutien de l’OAO en matière de vulgarisation, comme l’accès au fond de financement des NOCs, et d’une connexion avec le réseau mondial des NOCs. Partageant les mêmes réalités socio-culturelles, la même langue de communication (le français), les NOCs de ces pays peuvent construire des projets communs de sensibilisation et bénéficier du support de l’OAO dans la réalisation de leurs activités visant à permettre l’accès à l’astronomie à toutes les couches de la société.

En 2019, l’année correspondant à la célébration du centenaire de l’IAU, ces NOCs ont permis à leurs pays d’être informés et de prendre part aux activités planifiées pour la commémoration, comme celle de la compétition mondiale NameExoWorlds (http://www.nameexoworlds.iau.org/ ), permettant à chaque pays qui le désire de participer à l’excitante campagne de nomination d’un système exoplanétaire (une étoile et une exoplanète). Les pays suivants de l’Afrique francophone avaient contribué à ce projet global: Algérie, Burkina Faso, Gabon, Ghana, Côte d’Ivoire, Madagascar, Ile Maurice, Maroc, Sénégal, Togo, et Tunisie. L’information est accessible via ce lien: http://www.nameexoworlds.iau.org/africa.

En 2020, les NOCs des pays d’Afrique francophone, avec l’approbation de l’OAO, ont créé un sous-réseau regroupant progressivement les NOCs africains dont la langue de communication est le français, dans le but de mener des activités coordonnées afin de mieux répondre aux attentes de l’OAO d’emmener l’astronomie à tous les niveaux.

Salma SYLLA 

Pays d’Afrique Francophone ayant un NOC

 

 

Le triomphe de Chang’e-5

Le triomphe de Chang’e-5

La mission lunaire chinoise de retour d’échantillons s’est parfaitement déroulée. Elle clôture en triomphe le programme d’exploration automatique de la Lune en trois phases qui avait été décidé par le gouvernement chinois en 2004. 

 

Figure 1 – Les pelles en action au bout du bras télémanipulateur de l’atterrisseur de Chang’E-5. on aperçoit à la surface lunaire les traces laissées par les pelles. (©CNSA)

 

Le recueil d’échantillons lunaires débuta peu après l’atterrissage de Chang’E-5, le 1er décembre 2020. Cette opération fut réalisée de manière presque idéale. En effet, si le bras télémanipulateur avec ses pelles avait parfaitement rempli son objectif à partir de 17 h 15 UTC, ce ne fut pas le cas de la foreuse qui n’avait pas pu récupérer les échantillons jusqu’à 2 m de profondeur, car le sous-sol était plus «dur» que prévu. Le forage put néanmoins extraire ce qui devait l’être à moins de 1 m (Fig. 1 et 2).
La phase de recueil fut plus courte que prévu : 19 heures au lieu de 20 heures. Elle était contrôlée depuis Pékin. Dans le Centre des observatoires nationaux, qui supervise les missions d’exploration chinoises, il y avait aussi une salle où l’on avait reproduit à la hâte le site d’atterrissage pour simuler sur Terre ce qui devait être réalisé sur la Lune. Cette pratique fut inaugurée avec Chang’E-3 en 2013-2014 pour commander le rover Yutu à la surface de la Lune.

 

Figure 2 – Le foret était le second système utilisé pour récupérer des échantillons lunaires. (©CNSA)

 

Retour des échantillons lunaires sur Terre

Les échantillons lunaires furent déposés dans un conteneur cylindrique hermétique ; ce dernier fut placé dans l’étage ascensionnel. Cet étage quitta la Lune le 3 décembre 2020 pour rejoindre le segment orbital. Le rendez-vous automatique avec le segment orbital (une première mondiale) fut parfaitement effectué le 6 décembre avant que l’amarrage des deux objets soit assuré par des pinces. Ensuite, le conteneur avec la précieuse cargaison fut transféré de l’étage ascensionnel à la capsule de retour. C’était la dernière opération avant que l’orbiteur de Chang’E-5 quitte l’orbite de la Lune pour rejoindre notre planète. Le 17 décembre, la capsule fut larguée à 5 000 km de la Terre au-dessus de l’Atlantique Sud. Ensuite, elle effectua un rebond atmosphérique à 60km d’altitude pour réduire sa vitesse et les frictions avec l’atmosphère. En fin de parcours, le parachute s’ouvrit à 10 km d’altitude. La capsule se posa en douceur à 18h59 (heure de Paris) après un périple de 23 jours (Fig. 3).

 

Figure 3 – La capsule de Chang’E-5 avec ses échantillons lunaires a atterri dans la Bannière de siziwang dans la province chinoise de Mongolie-Intérieure. C’est la seconde fois que la Chine récupère un objet lunaire. (CNSA)

 

La zone d’atterrissage se trouvait dans la Bannière de Siziwang, une division administrative de la province chinoise de Mongolie-Intérieure. Cette zone est utilisée depuis 1999 pour l’atterrissage des capsules des vaisseaux habités Shenzhou. C’est aussi dans cette région que la capsule de Chang’E-5T1 – le démonstrateur de Chang’E-5 – avait été récupérée en 2014. La recherche de la capsule après son atterrissage fut conduite à la fois par une brigade motorisée et par une cavalerie militaire locale qui dut préparer les chevaux à se déplacer de nuit et par –25 °C (fig. 4).

 

Figure 4 – Une brigade à cheval de l’Armée de terre chinoise pour repérer un objet«tombé»de la Lune!

 

La capsule et ses échantillons furent accueillis triomphalement à Pékin. La pesée des échantillons lunaires donna lieu le 19 décembre 2020 à une cérémonie officielle en présence de plusieurs personnalités, dont le président de l’Académie des sciences, Hou Jianguo, et des dizaines de journalistes  En définitive, Chang’E-5 rapporta 1 731 g de la Lune. C’est un peu moins que l’objectif des 2 kg, car le forage se fit sur un sol plus dur que prévu. Mais c’est beaucoup mieux que les trois missions soviétiques Luna, qui rapportèrent sur Terre 336 g de matières lunaires (mais 382kg pour Apollo !).

Selon l’Agence spatiale chinoise (CNSA), les échantillons seront prioritairement étudiés par les scientifiques de l’Observatoire astronomique national (une branche de l’Académie des sciences) et une petite partie sera confiée à des équipes étrangères. Pour ce faire, un comité d’experts chinois sélectionnera les propositions de recherche. La coopération avec la Nasa, qui a salué le succès de Chang’E-5, se fera en fonction de « l’évolution des relations politiques entre les États-Unis et la Chine ». Les autorités chinoises souhaitent aussi que les échantillons rapportés par Chang’E-5 soient présentés dans des musées et des expositions pour intéresser, en particulier, les jeunes sur les sujets scientifiques et les motiver pour suivre des carrières aérospatiales.

 

Panorama de type fisheye pris par l’atterrisseur de Chang’E-5. Celui-ci s’est posé au nord-ouest de l’océan des tempêtes, dans une zone caractérisée par des roches relativement jeunes. on distingue au premier plan l’un des 4 pieds d’atterrissage du module de descente de Chang’E-5.

 

Une deuxième vie pour l’orbiteur de Chang’E-5

Après s’être séparé du segment orbital de Chang’E-5, l’étage ascensionnel fut désorbité pour s’écraser sur la Lune. Selon le professeur Yang Yuguang, la Chine ne souhaitait pas polluer l’environnement lunaire avec ce véhicule qui avait achevé sa mission. En revanche, l’étage propulsif – l’orbiteur de la mission Chang’E-5 – est toujours opérationnel. Le directeur de la troisième phase du programme lunaire chinois, Hu Hao, a indiqué le 20 décembre 2020 que la nouvelle mission de ce véhicule visait à étudier l’environnement spatial autour du point de Lagrange L1, celui qui est placé entre la Terre et le Soleil. L’orbiteur de Chang’E-5 dispose encore de 200 kg de carburant, une réserve qui autorise plusieurs manœuvres. À la vérité, les Chinois sont passés maîtres dans l’art de prolonger l’utilisation de leurs véhicules lunaires. C’était déjà le cas il y a une dizaine d’années avec l’orbiteur Chang’E-2, qui avait effectué de nombreuses manœuvres dans l’environnement lunaire et autour du point de Lagrange L2 avant d’être transformé en sonde interplanétaire et de survoler l’astéroïde 4179 Toutatis le 13 décembre 2012. Ensuite, Chang’E-5T1 rejoignit lui aussi L2 sur une orbite de halo pour préparer la mise à poste du satellite de télécommunications lunaire Queqiao. Celui-ci a relayé les communications de la sonde Chang’E-4 qui s’est posée en 2019 sur la face cachée de la Lune.

La Chine a patiemment acquis toutes les compétences technologiques et scientifiques pour explorer la Lune. Seuls les Américains et les Soviétiques en avaient fait davantage dans la compétition lunaire des années 1960. Mais cette première conquête de la Lune est déjà ancienne et il faut bien reconnaître que la Chine est cette fois-ci en tête sur notre satellite naturel. Les futures missions lunaires chinoises s’annoncent plus complexes (Chang’E-6, 7 et 8) et seront encore plus « spécialisées et utilitaires » que les précédentes, car il s’agit maintenant de créer à la surface de la Lune une station de recherche automatique en 2030, qui sera le prélude à l’envoi de taïkonautes d’ici une quinzaine d’années. À ce titre, il faut rappeler que toutes les séquences suivies par la mission Chang’E-5 étaient celles des missions Apollo. Assurément, le retour de l’homme sur la Lune n’est plus un vague projet. Un compte à rebours a débuté des deux côtés du Pacifique. Et personne ne sait aujourd’hui qui enclenchera le premier le compte positif.

Nous vivons une période passionnante !

 

Philippe COUÉ | Membre de l’Académie internationale d’astronautique (IAA)

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