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Les planètes géantes – De Jupiter à Netpune

Les planètes géantes – De Jupiter à Netpune

Qu’est-ce qu’une planète géante ? À l’origine, ce terme a été utilisé pour désigner les quatre plus grosses planètes du Système solaire, Jupiter, Saturne, Uranus et Neptune. Celles-ci ont une particularité en commun : elles sont très volumineuses, d’où leur nom ; leur atmosphère est dominée par l’hydrogène et, en moindre proportion, l’hélium, ce qui se traduit par une faible densité. Ces propriétés les différencient des planètes rocheuses, plus proches du Soleil, et aussi plus petites et plus denses.

 

1. Les quatre planètes géantes. De gauche à droite : Saturne, Jupiter, Uranus et Neptune. (Nasa)

 

Cette dichotomie entre les planètes du Système solaire trouve une explication simple à la lumière de son scénario de formation. Il est aujourd’hui généralement admis que, dans le cas du Système solaire, les planètes se sont formées par accrétion de matière solide au sein d’un disque protoplanétaire, résultant lui-même de l’effondrement d’une nébuleuse en rotation sur elle-même et de la condensation du gaz en poussières solides, la partie centrale formant le proto-Soleil. À proximité du Soleil, la température était suffisamment élevée pour que seuls les éléments réfractaires (éléments dont la température de condensation est élevée) soient sous forme solide ; de leur accrétion sont nées les planètes telluriques (dites aussi rocheuses), petites et denses; la Terre est la plus grande et la plus massive d’entre elles. En revanche, au-delà de quelques unités astronomiques, la température du disque protoplanétaire était suffisamment basse pour permettre la condensation sous forme de glace des éléments les plus abondants dans le cosmos, associés à l’hydrogène, pour former des molécules simples (H2O, CH4, NH3…). Ces molécules, bien plus abondantes que celles formées à partir des éléments réfractaires des planètes rocheuses, ont permis la formation de noyaux très massifs, pouvant atteindre la dizaine de masses terrestres ; leur champ de gravité a alors été suffisant pour permettre la capture par le noyau de la matière gazeuse environnante, principalement constituée d’hydrogène et d’hélium. C’est ainsi que sont nées les planètes géantes du Système solaire. C’est ce que l’on appelle le modèle de nucléation, par opposition au modèle d’effondrement direct de la matière protosolaire environnante.

À quelle distance du Soleil la frontière entre planètes rocheuses et planètes géantes se trouve-t-elle ? C’est celle où est intervenue la condensation des molécules simples associées à l’hydrogène. Parmi ces molécules, il se trouve que la molécule d’eau H2O joue un rôle majeur, pour deux raisons : d’une part, l’oxygène est, après l’hydrogène et l’hélium, l’élément le plus abondant dans l’Univers ; d’autre part, lorsque la température décroît, la molécule H2O est, de loin, la première à passer de l’état de gaz à celui de glace. On appelle « ligne des glaces » cette frontière séparant les deux classes de planètes ; les modèles la situent à une température d’environ 180-200 K (environ –80 °C) et une distance au Soleil d’environ 3 UA (unités astronomiques) au moment de la formation des planètes.

Revenons à nos quatre planètes géantes. Un simple coup d’œil nous montre qu’elles se séparent en deux catégories bien distinctes. D’une part, Jupiter et Saturne, dont les masses sont respectivement 318 et 90 fois celle de la Terre, sont formées principalement de gaz protosolaire ; on les appelle les géantes gazeuses. D’autre part, Uranus et Neptune, dont les masses valent respectivement 14 et 17 masses terrestres, sont formées à plus de 50 % de leur noyau de glace initiale ; ce sont les géantes glacées. Comment expliquer cette différence ? On admet généralement que Jupiter s’est formée juste au-delà de la ligne des glaces, là où la quantité de matière solide était maximale, tandis que Saturne s’est formée un peu plus loin ; quant à Uranus et Neptune, elles ont dû se former à plus grande distance du Soleil, dans une région où la matière solide disponible était bien moins abondante. Disons tout de suite que ce scénario (qui a le mérite de la simplicité) s’est considérablement complexifié au cours des deux dernières décennies, grâce à l’introduction des simulations numériques permettant de retracer l’histoire dynamique des corps du Système solaire. Nous savons aujourd’hui que les planètes géantes ne se sont pas formées là où elles sont aujourd’hui, mais ont connu une migration importante au cours de leur histoire ; nous y reviendrons.

 

2. La mission Cassini-Huygens. (Nasa)

Quatre siècles d’exploration

Si les planètes Jupiter et Saturne, aisément visibles à l’œil nu dans le ciel nocturne, sont connues depuis l’Antiquité, il n’en est pas de même des deux géantes glacées, Uranus et Neptune. C’est en 1781 que l’astronome anglais William Herschel découvre Uranus, grâce à un nouveau type de télescope qu’il a développé. La planète Neptune, quant à elle, est découverte en 1846 par l’astronome prussien Johann Galle, à la suite des calculs menés en parallèle par John Couch Adam et Urbain Le Verrier pour rendre compte des perturbations observées sur l’orbite d’Uranus. L’exploration de Jupiter et de Saturne débute au début du XVIIe siècle avec la lunette de Galilée. Jean-Dominique Cassini, nommé premier administrateur de l’Observatoire de Paris en 1669 et observateur exceptionnel, réalise les meilleurs dessins de Jupiter sur lesquels figurent les zones et les bandes, ainsi que la Grande Tache rouge, et détermine la période de rotation de la planète. En 1655, l’astronome hollandais Christiaan Huygens met en évidence la présence d’un anneau autour de Saturne, responsable de l’aspect changeant de la planète qui dépend de la position de la Terre par rapport au plan de cet anneau. Pendant deux siècles, les observations se cantonnent à la surveillance des détails morphologiques, par le dessin puis, à la fin du XIXème siècle, par la photographie. Ce n’est que dans le courant du XXème siècle que l’atmosphère de Jupiter se dévoile grâce aux premières mesures spectroscopiques, avec la mise en évidence du méthane (CH4) et de l’ammoniac (NH3) ; la présence du constituant principal, l’hydrogène moléculaire (H2), suggérée par Gerhard Kuiper en 1952, ne sera confirmée qu’en 1961. Les années 1970 voient aussi le début de la spectroscopie infrarouge qui permet la détection de nombreux constituants mineurs dans l’atmosphère de Jupiter, et un peu plus tard dans celle de Saturne (en particulier CO, H2O, PH3), puis, dans la stratosphère, les dérivés de la photochimie du méthane, C2H2 et C2H6.

Les années 1970 voient le début de l’exploration spatiale des planètes géantes, d’abord avec les sondes Pioneer 10 et 11, lancées en 1972-1973, puis avec les sondes Voyager 1 et 2, lancées en 1977, à la faveur d’une configuration orbitale exceptionnellement favorable des quatre planètes géantes. Voyager 1 survole Jupiter en 1979, puis Saturne et son satellite Titan en 1980 ; Voyager 2 survole Jupiter en 1979, Saturne en 1981, puis Uranus en 1986 et enfin Neptune en 1989. La mission Voyager constitue un exploit technologique et scientifique sans précédent. Parmi les découvertes principales, on peut citer la complexité de la structure dynamique de Jupiter, le volcanisme actif de son satellite Io, la complexité des anneaux de Saturne, l’existence de molécules prébiotiques dans l’atmosphère de Titan, et les structures inattendues des magnétosphères d’Uranus et de Neptune. La base de données de Voyager sert toujours de référence actuellement, en particulier dans le cas d’Uranus et de Neptune, qui n’ont pas été visitées par d’autres sondes spatiales depuis leur survol par Voyager 2.

Après la phase des survols vient celle de l’exploration approfondie depuis l’orbite planétaire et de l’envoi de sondes de descente vers les planètes ou leur satellite. Le vaisseau spatial Galileo, lancé en 1989, s’approche de Jupiter en 1995 et y largue une sonde de descente qui donnera les premières mesures in situ de l’atmosphère jovienne ; l’orbiteur, quant à lui, fonctionnera jusqu’en 2003. En dépit du blocage de sa grande antenne, rendue ainsi inutilisable, il fera d’importantes découvertes sur les satellites, en particulier sur la présence probable d’un océan liquide salé sous la surface glacée d’Europe. L’étape suivante est l’ambitieuse mission Cassini-Huygens vers Saturne (fig. 2), menée conjointement par les agences spatiales américaine et européenne. La Nasa a la responsabilité de l’orbiteur Cassini, tandis que l’ESA a celle de la sonde Huygens, destinée à se poser sur le sol de Titan. Lancée en 1997, la mission est un superbe succès scientifique et technique ; c’est aussi un succès éclatant en matière de coopération internationale. La mission prendra fin en 2017, la sonde plongeant dans l’atmosphère de Saturne. Le bilan scientifique est considérable, qu’il s’agisse de la planète, de ses anneaux, de Titan ou de ses autres satellites. Dans le cas de Saturne, on retiendra particulièrement le suivi de la tempête géante de décembre 2010 et l’observation de la structure cyclonique hexagonale du pôle Nord.

Enfin, la dernière mission d’exploration de Jupiter, lancée par la Nasa en 2011, est toujours en opération, en orbite autour de la planète. Destinée à mieux comprendre le scénario des origines de la planète, la sonde Juno a fait des découvertes inattendues quant à la structure de l’atmosphère profonde et la structure interne de la planète qui se sont montrées très différentes des prévisions par les modèles ; nous y reviendrons.

Et Uranus et Neptune ? Oubliées des programmes d’exploration spatiale après le succès de la mission Voyager, les deux planètes ont pu, heureusement, bénéficier des observations du télescope spatial HST (Hubble), ainsi que des observatoires spatiaux ISO et Spitzer dans l’infrarouge, et Herschel dans le domaine submillimétrique. Les observations du HST, complétées par les observations depuis les télescopes terrestres, ont notamment permis d’étudier les variations saisonnières des deux planètes.

 

Composition atmosphérique

Dans l’atmosphère riche en hydrogène des planètes géantes, les constituants apparaissent principalement sous leur forme hydrogénée : CH4, NH3, H2O, PH3, GeH4, AsH3. Dans le cas d’Uranus et de Neptune, seul le méthane apparaît dans les spectres infrarouges, car les autres constituants (en dehors de l’hydrogène) ne sont pas sous forme gazeuse aux niveaux observables par spectroscopie (de pression de l’ordre de quelques bars au plus). Trois autres catégories d’éléments sont présents : (1) dans la troposphère, des constituants présents dans les couches profondes peuvent être transportés par des mouvements verticaux jusqu’à des niveaux où ils sont observables, la vitesse du transport vertical étant supérieure à celle de leur destruction ; c’est le cas de CO et PH3 dans Jupiter et Saturne ; (2) les hydrocarbures issus de la photodissociation du méthane (principalement C2H2 et C2H6), (3) des espèces oxygénées provenant de l’extérieur, suite à la chute d’impacts cométaires et/ou micrométéoritiques. L’exemple le plus spectaculaire a été la collision entre Jupiter et la comète Shoemaker-Levy 9 en 1994 qui a entraîné la formation de plusieurs molécules, dont H2O, HCN et CO, dans la stratosphère de Jupiter. Plus tard, en 1997, le satellite ISO a montré que l’eau était présente dans la stratosphère des quatre planètes géantes ; c’est aussi le cas de CO et de CO2. Notons que des espèces deutérées sont aussi observées : HD et CH3D.

 

Les rapports d’abondance et la formation des géantes

À partir de l’abondance des constituants mineurs, il est possible de déterminer des rapports d’abondance élémentaires et isotopiques qui peuvent apporter des contraintes aux modèles de formation planétaire. C’est le cas, en particulier, du rapport He/H. Dans les géantes glacées, ce rapport apparaît compatible avec la valeur protosolaire (celle-ci étant mesurée dans le vent solaire). Dans le cas de Jupiter et Saturne, on observe un appauvrissement de l’hélium gazeux, que l’on attribue à la condensation de l’hélium au sein de l’océan d’hydrogène métallique présent dans l’intérieur des planètes. Ce processus n’est pas attendu dans Uranus et Neptune dont la pression interne n’est sans doute pas suffisante pour que l’hydrogène passe de l’état moléculaire à l’état métallique.

Les abondances des éléments C, N, O, mesurées par rapport à l’hydrogène, fournissent un diagnostic permettant de contraindre les modèles de formation des planètes géantes. Ce rapport devrait être constant pour les quatre planètes géantes et égal à la valeur protosolaire dans le scénario de formation directe par effondrement. Il devrait au contraire être supérieur dans le cas du modèle de nucléation défini ci-dessus, l’enrichissement augmentant de Jupiter à Neptune. Les observations sont en accord avec le modèle de nucléation. Les mesures spectroscopiques dans l’infrarouge proche montrent que l’abondance du méthane augmente de Jupiter à Neptune. De plus, dans le cas de Jupiter, les mesures de la sonde Galileo ont montré un enrichissement de l’ordre de 3 par rapport à la valeur solaire pour les rapports C/H, N/H et S/H (fig. 3), apportant, là aussi, un argument décisif en faveur du modèle de nucléation. La mesure du rapport O/H, sensiblement inférieure à la valeur solaire, a toutefois posé une énigme. Cet appauvrissement a été attribué à des mouvements convectifs locaux qui rendraient la mesure non représentative de l’ensemble de la planète ; ce constat a été à l’origine de la mission Juno.

 

 

3. Abondances élémentaires dans Jupiter, comparées aux valeurs solaires, mesurées par la sonde Galileo en décembre 1995. Les éléments C, n, s, Ar, Kr et Xe montrent un enrichissement de l’ordre de 3. L’appauvrissement de He et ne est expliqué par un phénomène de condensation interne. Celui de o serait dû à des phénomènes de convection interne au niveau où la mesure a été obtenue. D’après owen et al., Science, 1999. Les croix correspondent à une réévaluation suite à une mise à jour des abondances solaires. (Owen et Encrenaz 2006)

Structure thermique et nuageuse

Comme dans le cas général des atmosphères planétaires, la structure atmosphérique des planètes géantes est régie par la loi des gaz parfaits et celle de l’équilibre hydrostatique. Elle se caractérise par une région convective, la troposphère qui, à la différence des planètes rocheuses, s’étend jusqu’à des profondeurs de plus de 1000 kilomètres et des pressions de plus de 1 000 bars. Le gradient y est adiabatique, avec une valeur proche de –2 K/km, presque la même pour les quatre planètes géantes, car elles sont toutes majoritairement constituées d’hydrogène et d’hélium. La tropopause, située pour les quatre planètes à un niveau de pression d’environ 100 mbars, marque la frontière entre la zone convective et la stratosphère, dans laquelle la température augmente avec l’altitude ; c’est un minimum de température dans le profil thermique (fig. 4). Dans la stratosphère, la remontée de température est due à l’absorption du rayonnement solaire par le méthane et divers aérosols provenant d’hydrocarbures issus de la photolyse du méthane. À plus haute altitude, d’autres mécanismes interviennent, propres à chaque planète, comme les ondes de gravité ou les particules énergétiques.

 

4. structure thermique et nuageuse des quatre planètes géantes. Dans la troposphère, les traits horizontaux indiquent les niveaux de condensation des molécules indiquées. Dans la stratosphère, on observe la formation d’aérosols suite à la condensation de certains hydrocarbures (C2H2, C2H6) dérivés de la photolyse du méthane. La localisation des couches nuageuses est déduite de modèles thermochimiques et est globalement en accord avec les observations.

Circulation atmosphérique

Depuis le XVIIe siècle, les observateurs ont remarqué la structure en zones et en bandes de Jupiter, alternées en latitude ; celle-ci est présente aussi sur Saturne, bien que moins contrastée. Elle est interprétée comme la signature d’une circulation de Hadley[1] dans une atmosphère en rotation rapide, et, comme dans le cas des planètes rocheuses, elle est induite par la différence d’ensoleillement entre l’équateur et les pôles. La direction des vents zonaux s’inverse entre les zones et les bandes. Les zones, plus claires, sont des régions de mouvement ascendant, dans lesquelles l’ammoniac condense ; les bandes sont des régions de mouvement descendant, dépourvues de nuages, dans lesquelles le rayonnement infrarouge pénètre jusqu’à une pression de quelques bars. C’est dans ces régions que les molécules mineures de la troposphère ont été détectées. Au sein des bandes, on trouve des régions plus localisées, les « hot spots », particulièrement sèches et profondes. C’est dans l’un de ces «puits » qu’a pénétré la sonde Galileo le 7 décembre 1995. Celle-ci a fonctionné jusqu’à une profondeur de 22 bars, mesurant en particulier les abondances des éléments par spectrométrie de masse (fig. 3), le régime des vents et les structures nuageuses. Elle a pu constater que les nuages étaient beaucoup plus rares que ce que prédisaient les modèles photochimiques, confirmant la nature particulière du point de chute. C’est ce qui expliquerait la faible abondance de l’oxygène mesurée par Galileo (fig. 3) qui n’est sans doute pas représentative de l’ensemble de la planète. Cette constatation a été à l’origine de la mission Juno, dont l’un des objectifs est la mesure du rapport O/H dans les zones profondes de la planète, afin de contraindre son modèle de formation. Grâce aux mesures de Juno, une autre explication a été proposée pour l’appauvrissement de NH3 et H2O dans la zone tempérée, lié à la présence de nombreux orages.

 

5. La tempête géante de décembre 2010 observée par la sonde Cassini. Au cours des mois qui ont suivi son éruption, le panache s’est étendu en longitude. (NASA/JPL-Caltech/SSI)

 

Une autre particularité de la planète Jupiter est la Grande Tache rouge, régulièrement observée elle aussi dès le XVIIe siècle. Il s’agit d’un vaste tourbillon anticyclonique, grand comme la Terre, situé dans l’hémisphère Sud à basse latitude, à la frontière entre la bande équatoriale sud et la zone tempérée sud. La stabilité de cette structure a longtemps posé problème aux modélisateurs. Depuis un siècle, on observe un lent rétrécissement de la tache, qui devient de plus en plus circulaire ; l’origine de ce phénomène reste, lui aussi, inexpliqué.

Dans le cas de Saturne, la structure en bandes et zones est présente, mais moins visible, car les nuages d’ammoniac, plus abondants, donnent à la planète une couleur plus claire. Pas de tache équivalente à la Grande Tache rouge de Jupiter, mais en revanche un phénomène, observé depuis plus d’un siècle, qui se reproduit environ tous les trente ans (la période de révolution de la planète) : il s’agit d’une tempête géante qui prend sans doute naissance dans le nuage d’eau profond, à une pression d’une dizaine de bars. La sonde Cassini a pu observer un tel phénomène en décembre 2010 et suivre son évolution dans les années suivantes (fig. 5). La structure hexagonale du pôle Nord de Saturne a également surpris les observateurs : elle est constituée de six cyclones entourant le pôle Nord ; elle n’a pas son équivalent au pôle Sud. En revanche, la sonde Juno a montré que les deux pôles de Jupiter étaient dotés de ce type de structure (fig. 6).

 

6. Les cyclones polaires sur saturne (pôle nord, vu par Cassini) et Jupiter (pôle sud, vu par Juno). (NASA)

 

Les géantes glacées Uranus et Neptune sont bien moins connues que les gazeuses. Depuis les survols par Voyager 2, notre connaissance s’appuie surtout sur les images du HST et des grands télescopes au sol. Les bandes et les zones sont bien moins marquées que dans le cas de Jupiter et de Saturne, et les structures semblent évoluer sensiblement au fil des saisons. Ainsi, Neptune présentait en 1989, au moment du survol par Voyager 2, une grande tache sombre qui a disparu dans les années qui ont suivi. La planète Uranus était dépourvue de structures lors du survol de Voyager 2 en 1986, alors que son axe de rotation était tourné vers le Soleil ; en 2006, à proximité de l’équinoxe, elle présentait une structure en bandes et en zones ainsi que des taches isolées (fig. 7). La condensation du méthane intervient sur les deux planètes, ainsi que la formation d’aérosols produits par la condensation de ses dérivés photochimiques.

 

7. Les planètes Uranus (gauche) et neptune (droite) photographiées par le HST en 2005 et 2011 respectivement.

Structure interne

Notre connaissance de l’intérieur des planètes géantes s’appuie sur une modélisation théorique des états de la matière à haute pression et haute température, contrainte par des données observables indirectes, à commencer par la masse, le rayon et le champ de gravitation. Dans le cas de Jupiter et Saturne, le champ de gravitation est très bien connu grâce aux sondes Galileo et Cassini. Une autre information nous est fournie par l’énergie interne des planètes. Depuis le début des mesures par spectroscopie infrarouge, en 1969, on sait que Jupiter possède une source interne d’énergie ; sa température effective est de 124 K, alors qu’elle devrait être de 110 K si elle ne rayonnait que l’énergie solaire absorbée. Saturne et Neptune sont aussi dotées d’une source interne alors qu’Uranus en est dépourvue. L’origine la plus plausible de la source interne est le refroidissement des planètes parvenues au dernier stade de leur contraction suite à l’effondrement du gaz sur le noyau initial. Dans le cas de Jupiter et de Saturne, nous avons vu que la condensation de l’hélium dans la phase métallique de l’hydrogène pouvait être une source d’énergie supplémentaire. La différence entre Uranus et Neptune reste mal comprise ; elle se manifeste aussi par une circulation atmosphérique verticale plus intense sur Neptune, ainsi qu’une température stratosphérique plus élevée. Avant l’arrivée de la sonde Juno, le modèle de structure interne de Jupiter généralement admis incluait un noyau de glaces et de roches, surmonté d’une enveloppe d’hydrogène métallique, avec à l’interface une pression de l’ordre de 40 Mbar et une température de 23 000 K, puis, à 0,85 rayon du centre, une enveloppe d’hydrogène moléculaire. Ce modèle a été remis en question par le gravimètre de la sonde Juno, dont les mesures suggèrent qu’il n’y a pas de séparation nette entre le noyau et la couche d’hydrogène métallique. La dilution du noyau dans l’hydrogène métallique pourrait résulter d’une collision entre la planète et un autre objet d’une quinzaine de masses terrestres.

Les modèles de structure interne de Saturne font intervenir, comme dans le cas de Jupiter, un noyau central de glaces et de roches surmonté par un océan d’hydrogène liquide, puis une couche d’hydrogène moléculaire, avec à l’interface entre ces deux milieux une pression de l’ordre de 13 Mbar et une température d’environ 12 000 K. Enfin, les mesures de gravimétrie réalisées par Voyager 2 ont indiqué, dans le cas d’Uranus et de Neptune, une pression au centre de l’ordre de 6 Mbar et une température de l’ordre de 3 000 K. Le noyau serait surmonté d’un mélange de glaces puis, à une distance d’environ 0,85 rayon du centre, d’une couche d’hydrogène moléculaire.

 

Des magnétosphères diversifiées

Comme la Terre, les quatre planètes géantes sont dotées d’un champ magnétique intense, sans doute généré par effet dynamo dans la partie centrale, fluide et conductrice (fig. 8). Dans le cas de Jupiter et de Saturne, il s’agit probablement de l’hydrogène métallique ; dans celui d’Uranus et de Neptune, le milieu conducteur pourrait être le mélange de glaces riche en molécules dissociées et ionisées. La magnétosphère de Jupiter est celle qui ressemble le plus à celle de la Terre. Elle est de nature dipolaire, avec un axe faiblement incliné par rapport à l’axe de rotation planétaire, et présente, comme dans le cas de la Terre, des ceintures de Van Allen, à l’origine du rayonnement radio de la planète dans le domaine décimétrique, et des phénomènes auroraux à proximité des pôles. Il existe une forte interaction entre le champ magnétique de Jupiter et le satellite Io ; celle-ci se traduit par une intense émission UV et IR au voisinage du pied du tube de champ magnétique perturbé par Io ; des empreintes aurorales associées à Europe et Ganymède ont aussi été observées par le HST puis par la sonde Juno.

La magnétosphère de Saturne se différencie de celle de Jupiter par l’absence des ceintures de Van Allen, due à la présence des anneaux qui empêchent le piégeage des particules le long des lignes de champ ; elle possède aussi, avec les geysers de son satellite Encelade, une source importante de plasma magnétosphérique. Les émissions aurorales de Saturne ont été observées en détail par Cassini et par le HST.

Dans le cas d’Uranus et de Neptune, c’est la sonde Voyager 2 qui nous a révélé la complexité de leur magnétosphère. Elles sont toutes deux de nature dipolaire, mais avec des dipôles très inclinés et excentrés (–60° et 0,31 R pour Uranus et –47° et 0,55 R pour Neptune, R étant le rayon de chaque planète). Dans le cas d’Uranus, la situation est encore compliquée par la position exceptionnelle de l’axe de rotation de la planète, très proche du plan de l’écliptique. Chaque magnétosphère est ainsi unique en son genre…

 

8. Les magnétosphères des quatre planètes géantes. De haut en bas à gauche : Jupiter, Saturne. De haut en bas à droite Uranus et Neptune. (L. Lamy, dans Le Système solaire, T. Encrenaz & J. Lequeux, ISTE, 2021)

A l’origine, une migration modérée

Dans le tour d’horizon qui précède, nous avons présenté une vision statique des planètes géantes, chacune étant placée sur son orbite actuelle. Or, les travaux de simulation numérique menés depuis une vingtaine d’années nous ont permis de retracer l’histoire dynamique des corps du Système solaire, à commencer par les planètes géantes dont les champs de gravité ont eu une influence considérable sur les mouvements des astéroïdes et des objets transneptuniens. Les spécialistes s’accordent à penser que les planètes géantes ont connu, au cours de leur histoire, une migration modérée mais significative. Selon le « modèle de Nice », développé à l’observatoire de Nice, Jupiter, formée initialement à 3,5 UA, juste au-delà de la ligne des glaces, aurait migré vers l’intérieur suite aux interactions de la planète avec le disque protoplanétaire avant la dissipation de celui-ci. Arrivé au niveau de l’orbite de Mars, Jupiter aurait été rejointe par Saturne, et les deux planètes seraient reparties vers l’extérieur : c’est le scénario du « Grand Tack ». Leur passage à la résonance 2:1 (Jupiter faisant deux révolutions tandis que Saturne en fait une) aurait été à l’origine du Grand Bombardement tardif, environ 800 millions d’années après la formation des planètes géantes ; celui-ci est visible sur la surface très cratérisée des astéroïdes et de la Lune (le taux de cratérisation étant un diagnostic de l’âge des surfaces). Ce scénario expliquerait aussi les orbites actuelles des diverses populations d’astéroïdes, la faible population de la ceinture de Kuiper (largement dispersée par la migration vers l’extérieur de Neptune), la faible masse de la planète Mars (dont la croissance aurait été interrompue par la proximité de Jupiter) et enfin le fait que la masse de Neptune est supérieure à celle d’Uranus. Ce scénario a l’avantage de rendre compte d’un certain nombre de faits observés aujourd’hui, mais ne constitue pas pour autant une démonstration, et les recherches se poursuivent dans le domaine particulièrement actif de l’histoire dynamique du Système solaire.

 

Des planètes géantes aux exoplanètes géantes

Si les modèles dynamiques du Système solaire se sont particulièrement développés au cours des vingt dernières années, c’est grâce au développement de la simulation numérique et des supercalculateurs, mais ce n’est pas la seule raison. Depuis 1995, nous savons que les exoplanètes sont nombreuses autour des étoiles voisines du Soleil, et aussi qu’il existe une nouvelle population auparavant inconnue, celle des exoplanètes géantes à proximité immédiate de leur étoile hôte. Pour expliquer ce phénomène, totalement inattendu dans les modèles de formation par nucléation, il a fallu faire appel au mécanisme de migration décrit ci-dessus : la planète géante se forme par nucléation loin de son étoile, puis s’en rapproche en spiralant sous l’effet de son interaction avec le gaz du disque protoplanétaire. Elle peut s’en approcher jusqu’au bord interne du disque, ce qui expliquerait la présence de nombreuses exoplanètes géantes très proches de leur étoile (beaucoup se situent à 0,03 UA). Le développement des modèles de migration pour rendre compte de la dynamique des systèmes exoplanétaires a sans aucun doute influencé les recherches concernant l’évolution dynamique du Système solaire. Dans notre cas, la migration des planètes géantes est restée modérée, fort heureusement pour l’histoire des planètes telluriques… et la nôtre.

 

Quel avenir pour l’exploration des planètes géantes ?

Grâce aux missions Galileo, Juno et Cassini-Huygens, nous avons une connaissance approfondie de Jupiter et de Saturne. Cela ne signifie pas que toutes les questions soient résolues, bien au contraire. À titre d’exemple, on ne connaît toujours pas la nature chimique des « chromophores » responsables de la couleur de la Grande Tache rouge ; dans le cas de Saturne, il faudrait une sonde de descente, analogue à celle de Galileo sur Jupiter, qui nous renseignerait sur la composition élémentaire et isotopique de l’atmosphère. Un tel projet a été présenté dans le cadre des programmes spatiaux de la Nasa et de l’ESA, mais n’a pas été retenu à ce jour. Les futures missions sélectionnées à destination des systèmes de Jupiter et de Saturne visent plutôt leurs satellites, dans le cadre de l’étude de leur habitabilité (Juice et Europa Clipper vers Europe et Ganymède, Dragonfly vers Titan).

Dans le cas des deux géantes glacées, notre ignorance est bien plus grande. Nous ne comprenons toujours pas pourquoi ces deux planètes, si voisines en volume et en densité, ont des propriétés si différentes : pourquoi Neptune possède- t-elle une énergie interne alors qu’Uranus en est dépourvue ? Comprendre l’origine de cette différence nous aiderait sans doute à mieux appréhender la diversité des exo-Neptunes autour d’autres étoiles, dont on sait aujourd’hui qu’elles sont particulièrement nombreuses… Il y a eu de nombreux débats, au cours des dernières années, autour d’un projet conjoint ESA-Nasa à destination de l’une des deux géantes glacées, voire des deux. Mais la grande difficulté réside dans leur éloignement du Soleil et de la nécessité de trouver une configuration orbitale favorable, et, à ce jour, aucune décision n’a été prise. Il faut espérer que l’exploration des géantes glacées restera une forte priorité de l’exploration planétaire pour les décennies à venir.

 

Thérèse Encrenaz – Observatoire de Paris

 

[1]. La circulation de Hadley est la circulation de masses d’air à basse altitude depuis les tropiques vers l’équateur. [2]. Un corps noir est un objet idéal qui absorbe toute l’énergie électromagnétique qu’il reçoit, ce qui se traduit par l’émission d’un rayonnement thermique, dit rayonnement du corps noir.

 

 

La constellation du trimestre – Andromède

La constellation du trimestre – Andromède

 

Conter la légende d’Andromède de la mythologie grecque, c’est vagabonder dans une vaste contrée du ciel étoilé. Andromède est la fille du roi d’Éthiopie Céphée et de la reine Cassiopée. Sa mère prétend qu’elle est plus belle que les Néréides. Pour venger les nymphes marines, Poséidon envoie le monstre Cetus (la Baleine) ravager les côtes du royaume. Céphée est contraint de livrer sa fille en sacrifice. Elle est enchaînée sur un rocher près du rivage, mais Persée, chevauchant Pégase, vole à son secours et pétrifie le monstre avec la tête de la Gorgone Méduse. Proche du zénith, la belle Andromède côtoie dans le ciel de novembre son père, sa mère et le demi- dieu Persée.

La constellation s’étend sur 722 degrés carrés entre celles de Persée et de Pégase, au sud du W caractéristique de Cassiopée. Ses trois étoiles principales de magnitude 2 apparaissent dès la tombée de la nuit. Elles forment un bel alignement aisément reconnais- sable: la tête Alpheratz ou Sirrah (α And), la hanche Mirach (β And) et le pied Almach (γ And). Andromède partage avec Pégase son étoile principale, Alpheratz, qui est l’un des sommets de son Grand Carré, à la fois tête de la princesse et nombril du cheval ailé.

 

« Cette belle constellation d’Andromède est riche en grands spectacles et l’on peut passer des heures charmantes dans sa contemplation… Le ciel fait oublier la terre. » Camille Flammarion

 

 

La galaxie d’Andromède (M31) donne bien du fil à retordre aux astrophysiciens, et l’on est loin de comprendre sa formation, sa structure et ses interactions avec les galaxies proches…dont la Voie lactée ! À croire que
plus un objet est proche et mieux on peut l’observer, plus il semble loin des idées théoriques élaborées sur lui et ses congénères! Voir la supernova 1987A, la Voie lactée avec son trou noir central minuscule, la galaxie « active » la plus proche de nous, NGC 1068, etc.

 

L’anneau de poussières vu par le télescope spatial Spitzer à 24 microns.

 

D’abord, Andromède présente deux condensations centrales, ce qui est déjà assez exceptionnel. On aurait pu croire que, à l’instar de quelques autres galaxies ayant fusionné avec l’une de leurs voisines dans un passé proche (disons il y a un milliard d’années…), elle se trouve posséder deux trous noirs proches. Ceux-ci entament alors un ballet qui va les conduire après quelques centaines de millions d’années à fusionner l’un avec l’autre en émettant une flambée d’ondes gravitationnelles. Mais ce n’est pas le cas! Car la plus brillante des condensations n’est pas réellement au centre et ne contient aucun trou noir. C’est l’autre qui possède un trou noir supermassif semblable à ceux que l’on trouve dans le cœur des galaxies. Et ce trou noir est particulièrement massif, puisqu’il « pèse » environ 200 millions de masses solaires, soit 40 fois plus que Sgr A*, le trou noir de la Voie lactée. Quelle est alors la nature de l’autre condensation, bien plus brillante? On en est réduit pour le moment à quelques spéculations.

Une autre caractéristique assez rare d’Andromède est de posséder un anneau de poussières bien distinct en infrarouge lointain: ce type d’anneau est en général la manifestation d’une collision avec une autre galaxie qui la percute perpendiculairement. Il est fort probable que la galaxie ayant traversé Andromède soit M32, qui présente elle-même des particularités morpho- logiques difficiles à expliquer. Cette petite galaxie, spirale au départ, au- rait été déshabillée de la plupart de ses étoiles et de tout son gaz au cours de la collision, ne conservant que son bulbe galactique

Or, si l’on ne peut bien comprendre le passé d’Andromède, on est en revanche capable de prévoir son avenir! En effet, on sait qu’elle se rapproche de la Voie lactée, car on peut mesurer par effet Doppler la projection sur la ligne de visée de la vitesse d’Andromède (ou plutôt de ses étoiles brillantes) par rapport à notre Galaxie. On connaît également, grâce à des mesures précises effectuées par le satellite Gaia, la projection sur le ciel de ces vitesses. On connaît donc les trois composantes de la vitesse relative des deux galaxies l’une par rapport à l’autre. Munis de ces 6 données (les 3 composantes de la position et les 3 composantes de la vitesse) on est capable de calculer les trajectoires futures des étoiles en utilisant les lois de la gravitation de Newton, car on dispose maintenant de superordinateurs capables de traiter des milliards de particules. On trouve ainsi qu’Andromède et la Voie lactée se rencontreront dans environ quatre milliards d’années, pour finir, après neuf milliards d’années et plusieurs rebonds, par fusionner en formant une seule gigantesque galaxie. Les deux trous noirs fusionneront probablement, et ce phénomène entraînera un surcroît de brillance du noyau, faisant de la nouvelle galaxie pendant quelque temps une « galaxie active », peut-être même un quasar. Dans ce processus, le Soleil et son cortège de planètes seront envoyés sur une autre orbite éloignée du centre. Mais lui-même aura à ce moment quitté depuis longtemps la séquence principale et sera devenu une petite naine blanche presque éteinte. Et les humains auront disparu depuis longtemps…

Suzy Collin-Zahn

 

Gérard RAFFAITIN

Le clin d’oeil de Bételgeuse

Le clin d’oeil de Bételgeuse

Nous sommes le 7 décembre 2019. Ce jour-là paraît le Télégramme des astronomes numéro 13341 qui s’intitule « La baisse de luminosité de la supergéante rouge proche Bételgeuse ». Tout est dans le titre : Bételgeuse est la plus célèbre des étoiles supergéantes rouges et, en cette fin d’année 2019, elle apparaît moins lumineuse que d’habitude.

 

 

Située dans la constellation d’Orion sur l’une de ses épaules, elle est très facilement repérable dans notre hiver boréal. Comme toutes les supergéantes rouges, c’est une variable semi-régulière : sans être tout à fait périodique, elle présente des changements de luminosité qui sont presque réguliers. Ainsi lui connaît-on deux périodes principales : une de 400 jours et une de 2 000 jours (environ 5 ans et demi). Pour cette raison, le 11 décembre, j’écris à mes collaborateurs Éric Lagadec (laboratoire Lagrange de l’observatoire de la Côte d’Azur, Nice) et Pierre Kervella (laboratoire Lesia de l’Observatoire de Paris-Meudon) qu’il est trop tôt pour affirmer que quelque chose est en cours sur Bételgeuse : sa luminosité est dans la gamme habituelle. On peut imaginer à ce moment qu’une conjonction des deux périodes de pulsation/convection conduira à un minimum un peu plus marqué, comme en 2009.

 

1. Courbe de lumière de Bételgeuse obtenue par l’Association américaine des observateurs d’étoiles variables (AAVSO) en bande V en vert foncé. Les points vert clair correspondent à des observations obtenues avec l’observatoire spatial STEREO-A. C’est une sonde normalement utilisée pour observer le Soleil et qui a été pointée sur Bételgeuse quand elle était inobservable depuis la Terre en juillet 2020, car justement trop proche du Soleil. STEREO-A est en retard par rapport à la Terre sur son orbite et n’avait donc pas le Soleil sur sa ligne de visée (https://www.astronomerstelegram.org/?read=13901). Les lignes verticales bleues correspondent aux dates des observations au VLT avec SPHERE.
(Montargès et al. 2021, Nature)

 

LA CAMPAGNE D’OBSERVATION

Le 19 décembre, alors que cette baisse de luminosité se poursuit et commence à agiter la presse, je décide de tenter des observations, dans le but de montrer que rien d’exceptionnel ne se passe (j’en ris encore !). Je compte utiliser les instruments de l’Observatoire européen austral (ESO), au Chili, installés sur le Very Large Telescope (VLT), car ils permettent de résoudre Bételgeuse, c’est-à-dire d’obtenir un niveau de détails suffisant pour ne plus la voir comme un point mais comme un disque. Or, les demandes de temps normal de l’Eso ne sont ouvertes qu’en mars et septembre (aux équinoxes). Je dois passer par le canal du « temps à la discrétion du directeur (DDT) », qui permet de solliciter du temps d’observation de manière exceptionnelle lorsque quelque chose d’imprévu a lieu en dehors des appels normaux. Mon projet est d’utiliser trois instruments :

 

  •  VLT/SPHERE-ZIMPOL : imagerie directe de la surface de l’étoile dans le domaine visible par optique adaptative (il s’agit du seul instrument au monde pouvant voir en détail la surface d’étoiles autres que le Soleil, en fait 4 ou 5 seulement !). Je compte initialement utiliser le mode polarimétrique à la recherche de poussière dans l’environnement de l’étoile.
  • VLTI/GRAVITY : un des 3 instruments interférométriques du VLT qui permet de recombiner la lumière de 4 télescopes, ici en infrarouge proche. Bételgeuse étant encore plus brillante en infrarouge qu’en visible, j’utilise les télescopes auxiliaires de 1,8 m de diamètre qui sont déplaçables, au lieu des grands unitaires de 8,2m. Le but est de déterminer la structure de la convection à la surface de l’étoile (voir l’Astronomie 131 de décembre 2017).
  • VLT/SPHERE-IRDIS : la composante proche infrarouge de SPHERE avec la technique de masquage de pupille. Un disque de quelques centimètres de diamètre est inséré sur le trajet de la lumière dans l’instrument percé de 7 trous : il transforme le télescope unitaire numéro 3 du VLT (Mélipal, la Croix du Sud) en interféromètre à courte ligne de base. Ici, je cherche à compléter les observations de GRAVITY.

 

Ces instruments installés au Chili ont été développés en Europe. Que ce soit SPHERE ou GRAVITY, les deux ont bénéficié d’une très forte participation française, l’Institut de planétologie et d’astrophysique de Grenoble (IPAG) étant même PI (Principal Investigator) sur SPHERE.

La demande de temps est soumise après relecture et commentaires par mes collaborateurs le 22 décembre. Le 27 décembre 2019 à 0 h 28, alors que je vais me coucher, je reçois un courriel sur mon téléphone m’indiquant que je dois envoyer les paramètres d’observation (Observing Blocks, OB) directement par courriel au télescope. Après un moment d’égarement, je comprends que je dois court-circuiter toute la procédure habituelle d’observation avec l’interface web dédiée, car tout le monde est en vacances pour Noël. À 1 h 38, j’envoie les OB et vais dormir. À 6 h 18, alors que je dors en Belgique, au Chili, SPHERE est pointé sur Bételgeuse et l’étoile que j’ai choisie pour l’étalonnage : la géante bleue Rigel. En me réveillant à 9 h 30, je reçois le courriel confirmant la bonne exécution des observations. Toujours en raison des vacances de Noël, au lieu de recevoir les données le jour même vers 14 heures, je dois attendre le 29 décembre en passant outre encore une fois une bonne partie des procédures habituelles. Stupéfaction : alors que je m’attendais à retrouver une Bételgeuse quasi ronde et uniforme, comme lors des observations que j’avais effectuées en personne un an auparavant, la nuit du 31 décembre 2018 au 1er janvier 2019 au Chili, je découvre que la partie sud de l’étoile est devenue 10 fois plus sombre ! C’est un sentiment grisant d’être, à ce moment-là, la seule personne à savoir que cette étoile (que tout le monde peut voir à l’œil nu !) a un aspect différent. Paradoxalement, ça n’est que le 30 décembre que je peux contempler Bételgeuse de mes propres yeux (la météo belge en décembre n’est pas celle du Chili). C’était saisissant de voir Bételgeuse, qui rivalise normalement avec Rigel, avoir la luminosité de Bellatrix.

 

2. La première ligne montre les images obtenues avec SPHERE-ZIMPOL dans le filtre continuum Hα à 644,9nm. La deuxième ligne correspond à un modèle de photosphère de supergéante rouge à 3700K avec un point froid à 3400K (3200K pour mars 2020). La troisième ligne est le produit de simulations de transfert radiatif avec un nuage de poussière juste devant Bételgeuse. Le disque blanc correspond au détail le plus petit que peut détecter ZIMPOL. L’échelle en ascension droite (RA) et déclinaison (Dec) est en millième de seconde d’angle. (Montargès et al. 2021, Nature)

 

UN VOILE DE POUSSIÈRES A CACHÉ BÉTELGEUSE

Le reste de l’histoire est maintenant connu. Le 14 février 2020, avec l’ESO, nous avons publié la comparaison avant et après des images SPHERE-ZIMPOL entre janvier et décembre 2019. Ce que peu savaient, c’est que j’avais effectué une seconde demande de temps à discrétion (DDT) dans le but d’observer Bételgeuse avec l’instrument MATISSE du VLTI (interférométrie en infrarouge moyen pour déterminer la composition de la poussière), et à nouveau avec SPHERE, avec cette fois la possibilité de déclencher les observations moi-même. Mon objectif était d’effectuer un suivi et d’obtenir des images au minimum de luminosité puis lors de la phase de remontée en brillance. Cette séquence fut un succès, les dernières observations avec SPHERE ont été sécurisées trois jours avant la fermeture du VLT en raison de la pandémie. Le reste de l’année s’est écoulé en modélisation (et réunions par vidéoconférence !). Pour cela, j’ai fait tourner des dizaines de milliers de modèles en utilisant la grille de calcul de mon institut à Louvain (ce qui permet de faire tourner jusqu’à plusieurs centaines de simulations en parallèle, mais nécessite malgré tout plusieurs jours). La conclusion de ce travail a été publiée dans Nature en juin 2021 (l’article avait été soumis en novembre 2020) : la Grande Baisse d’éclat de Bételgeuse a été provoquée par un refroidissement local de la photosphère qui a causé la formation de poussières (des particules solides mesurant un millième de millimètre) dans un nuage de gaz éjecté plusieurs mois auparavant par Bételgeuse sur la ligne de visée vers la Terre (voir schéma ci-dessus). En 150 ans, elle n’avait jamais connu une telle perte de luminosité. Quel vertige de penser que cet événement a eu lieu pile au bon moment, il y a plus de 700 ans, pour que sa lumière nous parvienne ces dernières années, alors que nous avons l’instrumentation adaptée pour le comprendre.

 

INTÉRÊT DE L’ÉVÉNEMENT

Il est légitime de se demander en quoi cet événement mérite une telle attention. Comme je l’avais expliqué dans l’Astronomie en décembre 2017 (numéro 111), on ne sait pas comment le vent stellaire des supergéantes rouges est déclenché. Or, il ne s’agit pas d’une petite brise comme pour le Soleil : il peut entraîner jusqu’à 60 % de la masse de l’étoile au cours de cette phase, et donc profondément changer son destin (type d’étoile donnant lieu à une supernova, courbe de lumière de la super- nova, nature du cadavre stellaire : trou noir ou étoile à neutrons). Ici, avec cette Grande Baisse d’éclat de Bételgeuse, nous avons assisté à un épisode plus important de perte de masse, ce qui va nous aider à mieux cerner les mécanismes en jeu. Nous allons continuer à observer et modéliser cette étoile et d’autres, mais cet événement aura eu un rôle fondamental dans notre compréhension des supergéantes rouges.

Miguel Montargès Lesia/Observatoire de Paris-PSL

L’Ile Maurice dans l’espace !

L’Ile Maurice dans l’espace !

MIR-SAT1 (Mauritius Imagery and Radio communication Satellite 1) est le premier nanosatellite mauricien dans l’espace !

Illustrations faites par Tasneem Rossenkhan, membre de l’IAU NOC Mauritius

 

Développé par le Conseil Mauricien de la Recherche et de l’Innovation (MRIC, Mauritius Research and Innovation Council), MIR-SAT1 est un nanosatellite en orbite basse autour de la Terre (410-430 km) qui a pour but principal de permettre à l’Ile Maurice d’acquérir une expertise technologique dans le désign, l’assemblage, l’intégration, les tests, le déploiement et l’opération de satellites. MIR-SAT1 prendra des images de l’Ile Maurice et de sa zone économique exclusive (EEZ, Economic Exclusive Zone) avec comme objectif principal d’apporter aux scientifiques une vision globale permettant une meilleure prévention et anticipation de catastrophes environnementales. Les données prises par MIR-SAT1 sont collectées par une station sol qui se trouve à Ebène au MRIC et également reçues par des stations radio amateur lorsque le satellite se trouve hors de portée des récepteurs du MRIC.

Images provenant du site MIR-SAT1 : orbite : https://spacemauritius.com/about/#orbit dimensions & forme : https://spacemauritius.com/about/#Satellite

 

L’histoire de MIR-SAT1 a débuté en 2018 dans le cadre du programme KiboCUBE 2018 organisé par le Bureau des Affaires Spatiales des Nations Unies (UNOOSA, United Nations Office for Outer Space Affairs) et l’agence spatiale japonaise (JAXA, Japan Aerospace Exploration Agency). Le projet mené par Faraaz Shamutally (Principal Investigator) et Dr Vickram Bissonauth (Project Coordinator) sort grand gagnant de cette édition et se voit ainsi offrir l’opportunité de développer, construire et déployer le nanosatellite MIR-SAT1. Le satellite a été conceptualisé à l’Île Maurice, puis produit par AAC Clyde Space au Royaume Uni. Après un passage à la JAXA début 2021 pour son intégration au sein du déployeur japonais, MIR-SAT1 a rejoint la NASA au Centre Spatial Kennedy en Floride et s’est envolé pour la Station Spatiale Internationale le 3 Juin 2021 à bord du lanceur SpaceX Falcon 9/Cargo Dragon (SPACEX CRS-22). MIR-SAT1 a été déployé le 22 Juin 2021 avec succès, envoyant ses premiers signaux dès le déploiement de ses antennes et panneaux solaires une fois en orbite. Aujourd’hui MIR-SAT1 se porte bien, mais se trouve toujours dans la phase de tests suite à sa mise en orbite (phase dite de commissioning). Cela ne l’empêche pas d’envoyer ses premières données de télémétrie, réceptionnées et analysées par plusieurs stations radio amateurs autour du globe, qui les partagent ensuite avec SatNOGS, un réseau participatif de stations sol regroupant logiciels et matériels pour l’analyse de données spatiales. 

Tout juste quelques mois après son déploiement, MIR-SAT1 est déjà une vraie réussite. Il fascine la future génération de scientifiques, rendant accessible et désacralisant l’étude des technologies spatiales à l’Ile Maurice. Deux universités et 4 écoles ont déjà reçu les diplômes décernés par la Mauritius Amateur Radio Society (MARS) pour leur implication dans le projet. C’est donc une affaire à suivre et de très près !

Mathilde Jauzac pour l’IAU NOC Mauritius

 

Décembre 2021

Décembre 2021

03/12/2021 Rapprochement entre la Lune et Mars le matin avant le lever du soleil

04/12/2021 NOUVELLE LUNE 

07/12/2021 Rapprochement entre la Lune et Vénus le soir après le coucher du soleil

 

08/12/2021 Rapprochement entre la Lune et Saturne 

09/12/2021  Rapprochement entre la Lune et Jupiter 

11/12/2021 PREMIER QUARTIER DE LA LUNE

14/12/2021  Pluie d’étoiles filantes : Géminides (150 météores/heure au zénith)

19/12/2021 PLEINE LUNE

21/12/2021  SOLSTICE D’HIVER

22/12/2021  Pluie d’étoiles filantes : Ursides 

27/12/2021  DERNIER QUARTIER DE LA LUNE

29/12/2021  Rapprochement entre Mercure et Vénus juste après le coucher du Soleil

31/12/2021 Rapprochement entre la Lune et Mars 

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