LE MAGAZINE DES SCIENCES DE L’UNIVERS EN AFRIQUE
Masse manquante – Une partie retrouvée autour des galaxies

Masse manquante – Une partie retrouvée autour des galaxies

Muse (Multi Unit Spectroscopic Explorer) est un spectrographe 3D travaillant dans les longueurs d’onde visibles, implanté sur l’un des télescopes du VLT (Very Large Telescope) de l’ESO (Observatoire Australe Européen), au Chili. Il a été développé par le Centre de recherche astrophysique de Lyon afin d’observer les galaxies lointaines. Il a permis récemment plusieurs découvertes concernant l’environnement de ces galaxies. Muse est à la fois un imageur et un spectrographe, ce qui lui permet d’explorer l’espace en 3 dimensions et de détecter les galaxies les plus jeunes (donc les plus lointaines).

 

 

On est pratiquement certain que l’évolution des galaxies est gouvernée par leur relation avec le milieu circumgalactique qui les entoure. En effet, les galaxies ont besoin d’accréter du gaz pour former des étoiles nouvelles, car celui qu’elles contiennent ne peut rendre compte de la masse totale des étoiles. Par ailleurs, elles éjectent le gaz créé lors des explosions de supernovae produites à la fin de la vie des étoiles massives (fig. 1).

Il existe une manière classique d’étudier la matière intergalactique. On s’arrange pour prendre les spectres des objets se situant sur la ligne de visée d’objets plus lointains très brillants, typiquement des quasars. Le gaz se trouvant sur le trajet des rayons lumineux issus du quasar produit alors des raies en absorption, dont les profils permettent de déduire sa cinématique. Toutefois, dans le cas qui nous occupe où il s’agit d’observer du gaz circumgalactique, l’étude est rendue plus compliquée par le fait que le gaz ne se contente pas de créer des raies en absorption, mais également des raies en émission, en particulier à cause des ondes de choc générées dans le gaz éjecté.

Fig. 2 – L’absorption observée dans le spectre UVES du quasar au redshift de la galaxie. Les raies détectées sont des transitions de MgII, MgI et FeII. Le modèle contient sept composantes en vitesse, dont les trois principales sont indiquées par les raies en rouge, magenta et cyan. La ligne épaisse dans la raie MgII2796 est artificiellement dégradée pour correspondre à la résolution de MUSE. (arXiv:2105.14090v1, Johannes Zabl et al.)

 

Le doublet de résonance du magnésium ionisé Mg II λλ2796, 2803, utilisé pour faire les mesures, est un traceur utile du gaz « froid »(c’est-à-dire à 10 000 ou 100 000 degrés) à cause, d’une part, de sa grande intensité aussi bien en absorption qu’en émission, d’autre part de sa longueur d’onde qui permet de l’observer avec des spectrographes optiques au sol, pour des objets ayant des redshifts compris entre 0,3 et 2,5 [1]. Des études de ce type avaient déjà révélé que le magnésium ionisé n’est pas distribué uniformément autour des galaxies : il est trouvé préférentiellement le long de leur axe mineur ou majeur. Cette bimodalité est cohérente avec l’idée que les galaxies sont constituées d’un disque par lequel elles accrètent du gaz, et que par ailleurs les étoiles qui évoluent produisent des supernovae, éjectant du gaz suivant la direction de moindre résistance, c’est-à-dire perpendiculairement au plan du disque.

FIg.3 – Les mouvements obtenus à partir du doublet MgII sont montrés en tirets bleus dans quatre régions de la galaxie. La rotation de la galaxie est mesurée à partir des raies de l’oxygène ionisé. (arXiv:2105.14090v1, Johannes Zabl et al.)

 

Un relevé sur les champs de 22 quasars, combinant des observations au VLT avec le spectrographe UVES (Ultraviolet and Visual Echelle Spectrograph) et avec Muse, a permis d’obtenir un échantillon de 80 paires de galaxies/quasars dans le but d’étudier les éjections des galaxies. Comme le temps d’exposition, typiquement de 2 à 4 heures pour l’échantillon, est insuffisant pour détecter correctement le gaz en absorption et en émission devant un quasar, il a été nécessaire d’effectuer des observations plus longues, ce qui a été réalisé sur deux champs. Le résultat concernant la découverte pour la première fois d’une émission et d’une absorption étendue dans le doublet MgII a été obtenu autour d’une galaxie de redshift 0,7 dans le champ du quasar SDSSJ0937+0656 par une équipe de recherche internationale, menée côté français par le CNRS et l’université Claude-Bernard Lyon. L’équipe a cartographié un vent galactique pour la première fois en MgII et vient de publier un article relatif à cette observation (arXiv:2105.14090v1, Johannes Zabl et al. sous presse dans MNRAS). Ces observations ultraprofondes (11,2 heures) ont révélé la présence, autour d’une galaxie située sur la ligne de visée du quasar, d’un halo en émission contenant du magnésium ionisé s’étendant jusqu’à 75 000 années-lumière de la galaxie. La galaxie est fortement inclinée sur la ligne de visée (75 degrés) et se trouve à un redshift de 0,702, soit environ une distance de 6,5 milliards d’années-lumière . L’émission est principalement dirigée le long du petit axe de la galaxie. On observe également une absorption dans la raie du MgII, s’étendant jusqu’à 120 000 années-lumière. Les chercheurs ont modélisé d’une façon simple ces observations et en ont déduit que le gaz est éjecté biconiquement avec une vitesse de 130 km/s (fig. 2 et 3). Cette étude prouve qu’un phénomène bien connu pour les galaxies proches à formation stellaire, l’éjection de gaz, est également présent dans les galaxies lointaines. C’est seulement, n’en doutons pas, la première d’une série permettant de déterminer systématiquement la présence ou l’absence de halos de gaz en éjection dans les galaxies lointaines, grâce à une quantité croissante d’observations obtenues avec Muse et avec KCWI (Keck Cosmic Web Imager), le nouvel instrument qui sera implanté bientôt sur le télescope Keck d’Hawaï.

 

Suzy Collin-Zahn Observatoire de Paris-PSL

Comprendre l’atmosphère de Jupiter

Comprendre l’atmosphère de Jupiter

Des expériences menées aux conditions de température et de pression des planètes géantes gazeuses permettent d’observer la séparation d’hydrogène et d’hélium initialement mélangés.

 

 

Jupiter et Saturne, les deux géantes gazeuses du Système solaire, sont principalement constituées d’hydrogène (environ 86 %) et d’hélium (13 %). Selon la pression et la température, ce mélange peut se trouver sous différentes phases ou états. Les structures radiales de Jupiter et de Saturne restent cependant encore mal connues. Les mesures du champ de gravité réalisées par les sondes Galileo et Juno favorisent un découpage en 4 régions principales (fig. 1). Passé la couche nuageuse, on traverse d’abord une enveloppe externe et homogène d’hydrogène moléculaire (H2) et d’hélium ; à des pressions plus élevées, l’hydrogène et l’hélium ne seraient plus miscibles, c’est-à-dire que, tout comme l’eau et l’huile, ils ne se mélangent pas. Cela conduirait à la séparation de ces deux éléments et à la précipitation de l’hélium, phénomène plus connu sous le nom de « pluie d’hélium » ; encore plus profondément se situerait une enveloppe d’hydrogène métallique [1] et d’hélium de nouveau mélangés ; passé cette région, on arrive enfin à un noyau de glace et de roches, les éléments les plus lourds se concentrant vers le centre.

 

Fig. 1 -Structure interne supposée de Jupiter. Sous la couche nuageuse, on traverse successivement une enveloppe d’hydrogène moléculaire (H2) et d’hélium mélangés, une zone dans laquelle l’hydrogène (H) et l’hélium sont immiscibles et se séparent, ce qui provoque une pluie d’hélium, une couche d’hydrogène métallique et d’hélium de nouveau mélangés, et un noyau composé de glaces et de roches. Les expériences réalisées par Stéphanie Brygoo et ses collègues ont permis de confirmer que l’existence d’une zone dans laquelle l’hydrogène et l’hélium sont immiscibles est envisageable, et d’estimer l’épaisseur de cette zone à environ 15 % du rayon de Jupiter.
(© F. Deschamps)

 

La taille exacte de chacune de ces régions reste à préciser. La présence d’une couche dans laquelle l’hydrogène et l’hélium ne sont pas miscibles revêt une importance particulière, car elle pourrait expliquer l’excès de luminosité de Saturne observé à partir des années 1970, l’idée étant que la chute de l’hélium fournit un surplus d’énergie. Cela permettrait aussi d’expliquer l’appauvrissement en hélium dans l’atmosphère de Jupiter observé par la sonde Galileo en 1996. Toutefois, aucune donnée expérimentale n’était venue étayer l’hypothèse que l’hydrogène et l’hélium sont effectivement immiscibles aux pressions et températures régnant dans Jupiter et Saturne.

Une étude menée par une équipe franco-américaine, parue récemment dans la revue Nature [2], vient combler cette lacune. Pour sonder le comportement d’un mélange H-He aux conditions de température et de pression régnant à l’intérieur des planètes géantes gazeuses, Stéphanie Brygoo, chercheuse au CEA, et ses collègues ont développé un procédé expérimental innovant qui combine deux méthodes de compression des matériaux utilisées, jusqu’à présent, indépendamment l’une de l’autre.

Ce procédé fait ainsi appel au passage d’une onde de choc générée par un laser (compression dynamique) dans un échantillon préalablement porté à haute pression grâce à une enclume de diamant (compression statique). Il permet de porter l’échantillon (ici un mélange H-He) à des pressions de 200 gigapascals (environ 2 millions de fois la pression atmosphérique) et à des températures de l’ordre de 10 000 K. L’analyse de l’intensité de l’onde de choc fournit une mesure de la réflectivité de l’échantillon, qui est elle-même une signature de l’état dans lequel se trouve cet échantillon, à savoir, dans le cas présent, si l’hydrogène et l’hélium sont ou non mélangés. Ainsi, entre 4 700 et 10 200 K, la réflectivité mesurée est typique de celle de l’hydrogène pur (fig. 2), signe que, dans cette gamme de températures, hydrogène et hélium sont séparés.

Ces mesures ont permis de préciser le diagramme de phase du mélange H-He, c’est-à-dire les plages de température et de pression pour lesquelles hydrogène et hélium peuvent se mélanger ou sont au contraire immiscibles. Ce diagramme montre que ces deux éléments ne sont pas miscibles dans des gammes de pression et de température plus étendues que prévu par les calculs, et surtout il conforte l’idée qu’à l’intérieur de Jupiter, ces deux éléments restent immiscibles dans une enveloppe s’étendant de 0,68 à 0,84 fois le rayon de Jupiter, soit environ 15 % de ce rayon. Dans cette zone, hydrogène et hélium sont donc séparés et une pluie d’hélium peut se produire.

 

Fig. 2 – Réflectivité d’un mélange d’hydrogène (H) et d’hélium (He) mesurée à différentes températures. Entre 4 700 et 10 200 K, la réflectivité est plus élevée que celle à laquelle on s’attend pour un mélange H- He (courbe bleue), mais elle s’accorde bien avec la réflectivité de l’hydrogène pur (zone grise). (© Brygoo et al., 2021)

 

Frédéric Deschamps IESAS, Taipei, Taïwan

 

1. Cette phase, prédite théoriquement par Eugene Wigner et Hilliard Huntington dès 1935, n’a été observée pour la première fois qu’en 1996. Elle pourrait exister à l’état liquide dès 400 gigapascals et pour des températures relativement faibles.

2. BRYGOO S. et al. (2021), « Evidence of hydrogen- helium immiscibility at Jupiter-interior conditions », Nature, 593, 517-521, doi : 10.1038/s41586-021-03516-0.

Le JWST s’est envolé

Le JWST s’est envolé

Le James Webb Space Telescope (JWST) est le plus gros télescope spatial jamais réalisé. Il a été lancé de Kourou avec succès par une fusée Ariane 5 le 25 décembre 2022. Son miroir primaire, constitué de dix-huit segments hexagonaux, a un diamètre de 6,50 mètres. Sa masse totale n’est que de 705 kg. Il opérera dans la partie orange-rouge du spectre visible, et dans le domaine infrarouge.

 

Le télescope Webb sera protégé de la lumière solaire par un bouclier de 21,2 par 14,2 mètres carrés. A un instant donné, le télescope Webb pourra potentiellement observer 39 % du ciel. Mais devant rester à l’écart des objets dont la luminosité en infrarouge pourrait nuire à sa sensibilité élevée , il ne pourra observer le Soleil, ni Mercure, ni Vénus, ni la Terre, ni la Lune. En revanche, des programmes d’observation sont dédiés aux autres planètes et petits corps du système solaire.

Le télescope Webb pourra transmettre 57,2 Gigaoctets de données scientifiques par jour, avec un débit maximal de 28 Mégaoctets par seconde.

Le télescope est équipé de quatre instruments scientifiques :

  • NIRCam est un imageur pour l’infrarouge proche et une partie du spectre visible, de 0,6 à 5 microns. NIRCam permettra aussi de la spectrographie, dans un domaine de longueurs d’ondes plus restreint qu’en imagerie. NIRCam permettra des observations coronographiques pour l’étude des exoplanètes. ● NIRSpec est un spectrographe pour l’infrarouge proche, de 0,6 à 5,3 microns ● MIRI est à la fois un imageur et un spectrographe pour l’infrarouge moyen, de 5 à 28 micromètres. ● FGS (Fine Guidance Sensor) permettra des pointages précis vers les sources à observer. ● FGS/NIRISS est un imageur et un spectrographe opérant en infrarouge, de 0,6 à 5 microns.

L’image des galaxies très anciennes de l’Univers est fortement décalée vers les grandes longueurs d’onde. Les rayonnements visibles ou ultraviolets qu’elles émettaient nous parviennent décalés dans le domaine infrarouge. Le JWST sera donc bien adapté à l’observation des premières étoiles et galaxies.

Les programmes d’observations sélectionnés pour la première phase d’études scientifiques couvrent l’étude des exoplanètes, celle des galaxies, du milieu intergalactique, des grandes structures de l’Univers, du Système solaire, de la physique stellaire, du milieu interstellaire, et des trous noirs super massifs et des noyaux actifs de galaxies.

 

Fabrice Mottez CNRS, Observatoire de Paris

L’atmosphère des planètes terrestres – Une évolution divergente

L’atmosphère des planètes terrestres – Une évolution divergente

Parmi les quatre planètes telluriques, seules Vénus, la Terre et Mars sont dotées d’une atmosphère. Dans le cas de Mercure, la planète la plus petite et la plus proche du Soleil, le champ de gravité est trop faible et la température du côté jour trop élevée pour que la planète puisse conserver une atmosphère stable. Si l’on observe les atmosphères des trois autres planètes terrestres, on ne peut qu’être frappé par l’extrême diversité de leurs conditions de surface.

 

En effet, sur Vénus, la pression est presque cent fois la valeur terrestre, tandis que sur Mars, elle est inférieure au centième de bar ; quant à la température, elle frise les 460 °C sur Vénus et est en moyenne de –50 °C sur Mars, avec de fortes variations saisonnières. En revanche, la composition atmosphérique des deux planètes présente une forte similarité : dans les deux cas, elle est largement dominée par le dioxyde de carbone CO2 , avec quelques pour cent d’azote moléculaire N2. En dehors de l’argon, également présent sur Vénus au même niveau que N2, les autres éléments, en particulier CO et H2O, sont présents à l’état de traces, avec un rapport de mélange inférieur au pour cent. Quant à la Terre, avec une pression moyenne de 1 bar et une température moyenne de 15 °C en surface, elle occupe une position intermédiaire, comme on peut s’y attendre du fait de sa distance héliocentrique, entre ces deux extrêmes que représentent Vénus et Mars. Cependant, sa composition atmosphérique, constituée d’environ quatre cinquièmes d’oxygène moléculaire et d’un cinquième d’azote, est radicalement différente de celle de ses deux voisines. Comment ces trois planètes, a priori formées dans le même environnement, ont-elles pu évoluer de manière si divergente ? C’est l’une des grandes questions de la planétologie.

1. Vénus, la Terre et Mars. Les dimensions relatives des trois planètes sont respectées. (Nasa)

 

Tour d’horizon des trois atmosphères : similarités et différences

Commençons par une brève description des propriétés orbitales et physiques des trois planètes (tableau 1). Situées respectivement à 0,7 et 1 UA du Soleil, Vénus et la Terre ont des propriétés globales (taille, densité) très voisines, tandis que Mars, plus éloignée, à 1,5 UA du Soleil, est aussi nettement plus petite : sa masse est le dixième de celle de la Terre. La Terre et Mars ont en commun une obliquité proche de 24° et une période de rotation proche de 24 heures. Vénus, en revanche, avec une obliquité de 177° et une période de rotation de 243 jours, présente une rotation rétrograde extrêmement lente.

Observées au télescope, les trois planètes présentent un aspect très différent. La surface de Vénus est en permanence cachée par une épaisse couche de nuages ; les observations spectroscopiques ont montré qu’il s’agit de gouttelettes d’acide sulfurique, dont la présence résulte de la photodissociation du dioxyde de soufre suivie de la combinaison avec la vapeur d’eau. La basse atmosphère de Vénus est vraiment très inhospitalière ! D’ailleurs, les nombreuses sondes spatiales, pour la plupart envoyées par l’Union soviétique, n’ont jamais résisté au-delà d’une heure ; cela a été néanmoins suffisant pour envoyer vers la Terre des images de la surface, dévoilant un environnement volcanique. Les images de la planète Mars envoyées en 1972 par la sonde américaine Mariner 9 nous ont fait découvrir une surface désertique, formée de plaines au nord et de plateaux plus élevés au sud, qui porte la marque d’une intense activité tectonique et volcanique passée, avec en particulier les volcans de Tharsis et l’immense canyon Valles Marineris. Des calottes de glace carbonique se forment alternativement aux pôles en hiver : dans l’atmosphère très raréfiée de Mars, le dioxyde de carbone condense en hiver, provoquant des fluctuations allant jusqu’à 30 % de la pression totale au sol. Enfin, la Terre, avec ses océans et ses continents, est la « planète bleue » ; elle est en permanence recouverte de nuages blancs de vapeur d’eau sur une large fraction de sa surface globale.

La surface de Mars nous a été révélée grâce à la mission Viking. Lancée en 1975 par la Nasa, elle était constituée de deux orbiteurs et de modules de descente, en opération pendant plusieurs années. Elle a fourni ainsi une mine d’informations sur l’atmosphère et la surface de la planète. Celle-ci (fig. 2) présente une similarité frappante avec certains déserts terrestres ; elle est constituée de silicates et d’oxydes de fer qui donnent à la planète sa couleur rouge. Dans le cas de Vénus, c’est la mission Magellan, lancée également par la Nasa en 1989, qui a permis de cartographier sa surface au moyen d’un radar en orbite autour de la planète. La surface de Vénus est apparue uniformément recouverte de volcans (fig. 3) ; le faible nombre de cratères d’impact indique que leur âge n’excède pas quelques centaines de millions d’années ; c’est la signature d’un épisode volcanique global intervenu à cette époque.

 

2. Le sol de Mars observé depuis le site de l’atterrisseur Viking 1.

 

3. Le sol de Vénus, cartographié par imagerie radar par l’orbiteur Magellan. On voit ici Maats Mons, l’un des volcans les plus élevés de Vénus. (NASA)

 

On sait peu de chose de la structure interne de Vénus et de Mars ; dans le cas de cette dernière, les mesures de la sonde américaine InSight, en opération sur le sol martien depuis février 2019, devraient nous fournir de nouvelles informations dans les années qui viennent. En revanche, la structure interne de la Terre nous est bien connue, en particulier par l’étude des ondes sismiques qui s’est développée dans le courant du xxe siècle. Nous savons que la structure interne de la Terre se caractérise par la présence d’un noyau métallique, solide au centre et liquide dans ses couches externes, surmonté d’un manteau silicaté, avec différentes zones de transition correspondant à des changements de phase. Cette structure est le produit de la séquence de condensation des éléments chimiques, dont l’abondance reflète l’abondance du disque protosolaire (c’est-à-dire celle des éléments dans le Soleil), soumis à un lent refroidissement au sein du disque. On peut donc s’attendre à ce que la structure interne des planètes Vénus et Mars, formées dans un environnement proche de celui de la Terre, soit comparable dans ses grandes lignes.
Sur la Terre, un autre phénomène intervient : la tectonique des plaques, découverte par Alfred Wegener en 1915 et réfutée en son temps, universellement reconnue depuis les années 1960. Ce phénomène, dû à la convection du manteau supérieur terrestre, se traduit par un mouvement d’émergence (le long des dorsales océaniques) des matériaux issus du manteau, accompagné d’un mouvement de subduction d’une quantité équivalente de matériaux sous la croûte continentale. Ce phénomène est sans doute rendu possible par la présence des océans, la présence d’eau favorisant la convection au sein du manteau supérieur. Dans le cas de Vénus et de Mars, très pauvres en vapeur d’eau et dépourvues d’océans liquides, il n’y a pas de tectonique des plaques. Cependant, Mars garde la trace d’une activité tectonique importante dans le passé, avec l’émergence du plateau de Tharsis et l’immense canyon Valles Marineris.
En résumé, il apparaît que les trois planètes terrestres, malgré les disparités observées dans la nature de leur atmosphère, présentent bien, dans leur composition interne et leur surface, les similitudes que l’on peut attendre de trois planètes formées dans un environnement commun. Dès lors, comment expliquer l’évolution divergente de leurs atmosphères ? Pour la comprendre, il nous faut revenir aux mécanismes de formation des planètes, telluriques et géantes, dans le Système solaire.

Une formation au sein d’un disque

Nous savons aujourd’hui que les étoiles se forment généralement à la suite de l’effondrement en un disque d’une masse de gaz interstellaire en rotation sur elle-même ; c’est au sein de ce disque que se forment les planètes. Dès le XVIIe siècle, Emmanuel Kant puis Pierre-Simon de Laplace proposent ce scénario pour l’origine du Système solaire, sur la base de l’observation des orbites planétaires, toutes concentriques autour du Soleil et presque coplanaires. Dans ce scénario, la formation de deux classes de planètes, telluriques et géantes, peut s’expliquer assez simplement, si l’on considère que les planètes se forment par agglomération de particules solides au sein du disque protosolaire (fig. 4).

À proximité du Soleil (à une distance du Soleil inférieure à environ 3 UA), les seules particules solides sont des matériaux réfractaires, essentiellement des silicates et des oxydes métalliques ; ils proviennent d’éléments relativement lourds (Si, Mg, Fe…) et sont relativement peu abondants : en effet, la fusion des éléments lourds synthétisés dans les étoiles nécessite une grande énergie, et leur abondance cosmique tend à diminuer à mesure que leur masse atomique augmente. Les objets ainsi formés sont donc des objets relativement petits et denses : ce sont les planètes telluriques.

En revanche, à plus grande distance du Soleil (au-delà de 3 UA environ), la température au sein du disque protosolaire est suffisamment basse pour que la plupart des molécules simples formées avec les éléments les plus abondants (H2O, CH4, NH3, CO2…) soient sous forme de glace (alors que dans le cas précédent, ces molécules étaient à l’état de vapeur). La matière solide disponible est alors suffisante pour former de gros noyaux de glace dont la masse peut atteindre 10 à 15 masses terrestres. À ce stade, le champ de gravité de ces noyaux devient suffisant pour capturer la matière protosolaire environnante, principalement constituée d’hydrogène et d’hélium : les planètes géantes sont nées.

Revenons aux planètes telluriques. Leur champ de gravité est insuffisant pour conserver les éléments les plus légers (et les plus abondants) que sont l’hydrogène et l’hélium. En revanche (à l’exception de Mercure), elles peuvent conserver des molécules gazeuses plus lourdes, comme l’eau, le dioxyde de carbone, l’azote ou l’oxygène moléculaires. L’atmosphère des planètes telluriques a vraisemblablement deux origines : d’une part, elle provient du dégazage progressif du globe, après la phase de formation de la planète ; d’autre part, elle résulte du bombardement météoritique subi par la planète tout au long de son histoire. En particulier, des petits corps riches en eau, provenant de l’extérieur du Système solaire, sont sans doute à l’origine de l’eau des océans terrestres ; des impacts similaires ont dû affecter Vénus et Mars.

Quelle pouvait être la composition atmosphérique des planètes telluriques juste après leur formation ? D’après les modèles d’équilibre thermochimique, les atmosphères primitives ont dû être riches en dioxyde de carbone, en vapeur d’eau et en azote moléculaire ; en revanche, le méthane CH4 et l’ammoniac NH3 sont attendus (et effectivement présents) dans les planètes géantes. En effet, CO2 et N2 sont bien présents sur Vénus et Mars, le rapport N2/CO2 étant presque le même (quelques pour cent) sur les deux planètes. Une question se pose immédiatement : pourquoi les atmosphères de Vénus et Mars sont-elles dépourvues d’eau ?

Vénus et mars : à l’origine, beaucoup d’eau

Si l’eau a quasiment disparu aujourd’hui de l’atmosphère de Vénus et de Mars, cela n’a pas toujours été le cas. Nous le savons grâce à la présence d’une molécule, l’eau lourde (dite aussi monodeutérée) HDO, détectée par spectroscopie dans les deux planètes. HDO est une molécule d’eau H2O dans laquelle un atome d’hydrogène a été remplacé par son isotope, le deutérium. Celui-ci est un atome d’hydrogène (donc un électron et un proton) auquel s’est ajouté un neutron ; il a les mêmes propriétés chimiques que l’hydrogène, mais est deux fois plus lourd. Or, les mesures spectroscopiques du rapport d’abondance D/H (dérivé du rapport HDO/H2O) réalisées sur Mars en 1988 et Vénus en 1990 ont mis en évidence un enrichissement par rapport à la valeur terrestre d’un facteur 6 sur Mars et 120 sur Vénus ! Dans les deux cas, l’interprétation est la même : l’eau a été présente en abondance sur les deux planètes à l’origine, mais elle s’est échappée massivement au cours de leur histoire, suite à la dissociation des molécules H2O et HDO par le rayonnement ultraviolet solaire ; dans ce processus, le deutérium, deux fois plus lourd que l’hydrogène, s’est échappé moins facilement, ce qui a conduit à un enrichissement progressif du rapport D/H. L’enrichissement très élevé de Vénus est dû au fait que son atmosphère est très dense.

Dans le cas de Mars, il existe, en plus du rapport D/H, tout un faisceau d’indices témoignant de la présence d’eau – et même d’eau liquide – dans le passé de la planète. Le premier indice vient des images du sol prises par Mariner 9 et Viking, montrant des réseaux de vallées ramifiées desséchées (fig. 5) dans les terrains les plus anciens (de plus de 3,7 Ga), ainsi que des « vallées de débâcle » suggérant des inondations brutales dans un passé plus récent (entre 3 et 3,7 Ga). En 1998, la sonde Mars Global Surveyor a mis en évidence, entre les plaines du nord et les plateaux du sud, une ligne d’altitude constante s’étendant sur près de mille kilomètres, qui pourrait être le vestige d’une ligne de rivage, suggérant la présence possible d’un océan boréal il y a quelque 3 Ga (fig. 6). En 2000, la sonde Mars Odyssey a découvert la présence de pergélisol sous les pôles martiens. En 2006, le spectromètre infrarouge OMEGA de la sonde européenne Mars Express a détecté des argiles dans les terrains les plus anciens, suggérant que l’eau liquide a dû y couler en abondance au début de l’histoire de la planète. Enfin, en 2016, le robot Curiosity a mis en évidence dans le cratère Gale un environnement dit « habitable », c’est-à-dire réunissant un certain nombre de critères nécessaires à l’apparition de la vie : présence d’eau liquide, des éléments clés (C, H, N, O, P, S), de fer et de soufre dans différents états d’oxydation, milieu neutre et salinité faible (fig. 7). Cependant, si tout le monde s’accorde aujourd’hui sur la présence passée d’eau liquide sur Mars, les avis divergent quant à son abondance : les estimations de la profondeur du réservoir, moyennée sur le disque, varient entre 100 et 1 000 mètres selon les méthodes utilisées.

 

Au départ, un soleil moins brillant

Pour comprendre l’évolution des atmosphères planétaires, il faut se rappeler qu’il y a 4,5 milliards d’années, le Soleil était moins brillant qu’aujourd’hui. Selon les modèles d’évolution stellaire, il rayonnait alors 70 % de son flux actuel. Les températures d’équilibre de surface des planètes telluriques (celles que l’on calcule en supposant que tout le flux absorbé par la planète sert à chauffer sa surface) étaient alors plus faibles qu’aujourd’hui. En particulier, la température de surface de Vénus était alors compatible avec la présence d’eau liquide, ce qui signifie que la planète a pu, au début de son histoire, être recouverte d’océans ! Hélas ! nous n’en aurons sans doute jamais la preuve car, nous l’avons vu, la surface de Vénus a été complètement renouvelée par le volcanisme il y a quelques centaines de millions d’années…

Dans le cas de la Terre, le fait que le Soleil jeune soit moins brillant qu’aujourd’hui crée une difficulté. En effet, la température d’équilibre de la Terre aujourd’hui est compatible avec l’eau liquide ; c’est ainsi que l’eau de la Terre a échappé au phénomène d’échappement mentionné pour Vénus et Mars. Mais le rayonnement relativement faible du Soleil à l’origine pose un autre problème : comment la Terre a-t-elle pu échapper au scénario de la « boule de neige globale » ? En effet, la glace d’eau a un fort pouvoir réfléchissant. Plus la température baisse, plus la glace gagne en surface et réfléchit la lumière solaire, donc plus l’énergie solaire reçue diminue, ce qui amplifie la glaciation… Comme nous le verrons plus loin, c’est sans doute le volcanisme et/ou les impacts météoritiques qui ont permis à la Terre de sortir de ce cercle vicieux.

Qu’en est-il de Mars ? La planète présente, vis-à-vis de ses voisines, deux différences majeures : d’une part, elle est beaucoup moins massive ; d’autre part, elle est plus froide. La faible masse de Mars a deux conséquences : (1) son champ de gravité est plus faible, ce qui diminue les impacts météoritiques ; (2) la réserve d’éléments radioactifs présents dans son intérieur est réduite, ce qui limite l’énergie interne dont la planète dispose. Ces deux facteurs expliquent que l’atmosphère de Mars ait été, dès le départ, bien moins épaisse que celle de ses voisines. Selon les modèles d’évolution planétaire, la pression de surface a quand même pu atteindre le dixième de bar au début de l’histoire de la planète. Mais comment expliquer la présence d’eau liquide, compte tenu du faible rayonnement du jeune Soleil ? Les modèles peinent encore aujourd’hui à expliquer ce paradoxe. Comme sur la Terre, il est possible que des épisodes volcaniques violents ou des impacts météoritiques majeurs aient injecté dans l’atmosphère suffisamment de dioxyde de carbone pour réchauffer l’atmosphère. Celle-ci a dû connaître, à un certain stade, un échappement massif (comme en témoigne le rapport D/H élevé de Mars), mais sa cause n’est pas vraiment élucidée.

 

5. Le réseau de vallées ramifiées Wareggo Valles, observé par la caméra de la sonde Mars Express. (ESA)

 

6. Le site de Yellowknife Bay, dans le cratère Gale, observé par la sonde Curiosity. Les strates minéralogiques témoignent de la présence d’eau liquide dans le passé. (NASA)

 

7. Cartographie de l’altimétrie de Mars réalisée avec l’expérience d’altimétrie de la sonde Mars Global Surveyor. On voit la forte asymétrie nord-sud, avec des plaines au nord et des plateaux plus élevés au sud. La ligne de rivage observée se situe au niveau de la ligne de dichotomie (en jaune) qui sépare les deux types de terrains. (NASA)

Une Evolution Divergente

Nous sommes maintenant en mesure de retracer, dans ses grandes lignes, l’histoire de l’atmosphère des trois planètes depuis leur origine.

Vénus : un effet de serre qui s’emballe

Dans le cas de Vénus, l’atmosphère est, dès le départ, très dense et riche en eau et en dioxyde de carbone. Elle est sans doute tempérée, avec peut-être des océans d’eau liquide ; nous ne pouvons pas le savoir, en l’absence de vestiges de cette période. En revanche, nous savons que le flux solaire a progressivement augmenté. Cette augmentation a entraîné la vaporisation de l’eau, puis sa dissociation et son échappement vers l’extérieur. Mais dès le début de son histoire, l’atmosphère de Vénus a dû être soumise à un fort effet de serre, lié à la présence de vapeur d’eau et de dioxyde de carbone, et sa température de surface a augmenté. Cet effet de serre, alimenté par CO2, s’est poursuivi tout au long de l’histoire de la planète, amenant la température de surface jusqu’à sa valeur actuelle. Ajoutons que l’absence de tectonique des plaques a empêché la séquestration du dioxyde de carbone dans le manteau, comme c’est le cas sur la Terre. L’atmosphère actuelle de Vénus est donc le résultat d’un effet de serre galopant.

 

La Terre, idéalement placée par rapport au soleil

Plus éloignée que Vénus, la Terre, notre planète, a connu au départ une température de surface inférieure à celle de Vénus, ce qui aurait pu entraîner, comme nous l’avons dit plus haut, une phase de glaciation totale. De tels épisodes se sont produits au cours de l’histoire de la planète ; ils ont été heureusement interrompus, sans doute par des phénomènes volcaniques et/ou des impacts météoritiques ; le CO2 libéré dans l’atmosphère a permis son réchauffement par effet de serre. La présence d’océans liquides, datée par les zircons (cristaux de silicates de zirconium), remonte à près de 4 milliards d’années.

À la différence de Vénus, la présence d’eau liquide a fait chuter l’abondance de vapeur d’eau atmosphérique, réduisant drastiquement son rôle dans l’effet de serre. Plus encore, les océans ont permis la séquestration du CO2 sous forme de calcaire CaCO3, grâce à une réaction en deux temps faisant intervenir des silicates présents dans les fonds marins. La quantité de CO2 dans l’atmosphère a alors considérablement diminué. C’est ainsi que la Terre a pu conserver, tout au long de son histoire, une température relativement modérée. Autre conséquence majeure de la présence des océans terrestres : la vie y est apparue, il y au moins 3,7 milliards d’années. Est-elle née par l’intermédiaire de molécules prébiotiques venant de l’espace, ou est-elle apparue au sein des sources hydrothermales ? La question n’est toujours pas tranchée. Mais une chose est sûre : elle a considérablement modifié le climat terrestre. Celui-ci a connu plusieurs épisodes complexes qui ont vu varier la composition atmosphérique, avec l’apparition du méthane il y a 3,7 Ga, la diminution du dioxyde de carbone puis l’apparition de l’oxygène il y a 2,4 Ga. C’est ainsi que l’atmosphère terrestre a acquis sa composition actuelle, riche en N2 et en O2 : ces deux gaz étant très peu actifs du point de vue de l’effet de serre, celui-ci s’est stabilisé au cours du temps. Aujourd’hui, l’effet de serre contribue à une élévation de 30 °C de la température au sol ; dans le cas de Vénus, l’élévation de la température du sol due à l’effet de serre est de plus de 400 °C ! Que sera l’évolution future du climat terrestre ? L’exemple de Vénus illustre que nous avons toutes les raisons d’être inquiets. L’élévation du taux de CO2 atmosphérique lié à l’ère industrielle a entraîné un réchauffement climatique qui va se poursuivre au cours du siècle à venir, compte tenu de la très longue durée de vie du CO2 (plusieurs centaines d’années). Une prise de conscience planétaire du problème est indispensable, avec la mise en place urgente de politiques d’économies d’énergie, de recherche d’énergies renouvelables et de sauvegarde de la biodiversité.

 

Mars, une planète en voie d’extinction géologique

Quant à la planète Mars, elle semble bien à l’abri de ce destin funeste, en l’absence d’êtres intelligents (?) occupés à exploiter les ressources de son sol… En raison de sa petite taille, sa réserve d’énergie interne est plus réduite que celle de ses voisines. il s’est ensuivi une activité volcanique et tectonique plus limitée dans le temps. Celle-ci a pourtant été intense dans le premier milliard d’années : en témoignent les volcans de Tharsis et le canyon de Valles Marineris. Nous en avons une autre preuve avec la découverte, en 1998, d’un champ magnétique fossile détecté par la sonde Mars Global Surveyor dans les terrains anciens de l’hémisphère Sud. Ce champ magnétique est la preuve de l’existence au sein du globe d’un effet dynamo généré par les éléments radioactifs qu’il contenait. Mars a donc connu une magnétosphère dans le premier milliard d’années de son histoire. Avec l’épuisement des réserves d’énergie interne, la dynamo s’est arrêtée et la magnétosphère a disparu, entraînant peut-être la disparition de l’atmosphère… à moins que celle-ci ne se soit échappée suite à un impact géant. L’effet de serre alimenté par le CO2 a ainsi décru, la température a baissé, entraînant le stockage en sous-sol de l’eau résiduelle, sous forme de glace et de pergélisol.

La vie a-t-elle pu apparaître sur Mars ? Nous n’avons pas aujourd’hui de réponse à cette question. Ce que l’on peut dire, c’est que si elle est apparue, elle n’a pas été en mesure de modifier le climat comme cela a été le cas sur la Terre. En revanche, un autre facteur a influé sur le climat martien au cours de son histoire : c’est l’évolution de son obliquité. Des simulations numériques ont en effet montré que celle-ci avait oscillé entre 0° et 60° dans un passé relativement récent, selon un cycle d’environ 120 000 ans, l’amplitude des variations étant modulée avec une période de 2,4 millions d’années. Or, les conséquences sur le climat sont considérables : à forte obliquité, les pôles reçoivent en moyenne plus d’énergie solaire que l’équateur, et les glaciers migrent vers les basses latitudes ; des vestiges de ces glaciers ont été identifiés sur les images prises par les sondes spatiales. ii se trouve que dans le cas de la Terre, la présence de la Lune a stabilisé l’obliquité de la Terre à une valeur comprise entre 22° et 24°. Sans la présence de la Lune, les variations d’obliquité de la Terre auraient certainement eu de lourdes conséquences sur le climat terrestre… et sans doute aussi sur le développement de la vie.

 

Thérèse ENCRENAZ – Observatoire de Paris

 

Des planètes et des volcans

Des planètes et des volcans

L’exploration du Système solaire par les missions spatiales, entreprise vers le début des années 1970, a mis en évidence des traces d’activité volcanique, présentes ou passées, à la surface de la plupart des objets visités.

 

 

Cette observation peut paraître étonnante: pourquoi le volcanisme est-il si répandu à travers le Système solaire ? Mais à la réflexion, elle n’est pas très surprenante. Lors de leur formation, planètes et satellites ont emmagasiné de l’énergie. Les planètes rocheuses renferment aussi des éléments radioactifs (notamment les isotopes 235 et 238 de l’uranium) qui produisent de l’énergie en se désintégrant et, dans certains cas, les forces de marée sont suffisamment intenses pour dissiper de grandes quantités d’énergie. Toute cette énergie contribue à maintenir les intérieurs planétaires à des températures élevées. Cependant, en vertu du second principe de la thermodynamique, planètes et satellites se doivent de la restituer en surface, où la température est plus faible. En d’autres termes, planètes et satellites se refroidissent. La manifestation de surface de ce refroidissement est… le volcanisme. Passé ce constat, le volcanisme revêt, d’un objet à l’autre, des différences et particularités qui reflètent les propriétés de chacun de ces objets, que ce soit leur composition, les détails de leur histoire et bien sûr leur taille. Ainsi, comme nous allons le voir dans la première partie de cet article, le volcanisme que nous connaissons sur Terre, et qui est basé sur la fusion de roches silicatées, se retrouve avec des différences plus ou moins importantes sur les autres planètes telluriques, de même que sur la Lune. Plus loin, sur Cérès et au-delà de la ceinture d’astéroïdes, les éléments volatils (eau, azote, méthane et bien d’autres) dominent les compositions des corps solides et jouent un rôle clé dans le volcanisme qui anime ces objets.

 

Des magmas aux éruptions

Pour produire du volcanisme, il faut d’abord générer un magma, c’est-à-dire une roche fondue ou partiellement fondue. Dans le cas de la Terre, ces roches sont issues du manteau. La fusion intervient lorsque la température de ces roches, à une profondeur donnée, est supérieure à leur température de fusion. Comme pour la quasi-totalité des matériaux connus [2], la température de fusion des roches silicatées composant le manteau terrestre augmente avec la profondeur (et donc la pression). À l’inverse, le simple fait de remonter vers la surface peut provoquer, par décompression (et si la température est suffisante), la fusion. Sur Terre, les zones de fusion partielle sont situées vers 100 km de profondeur. Détail capital, les magmas sont plus légers que les roches qui les entourent, d’une part parce qu’ils sont liquides, d’autre part parce que les minéraux qui fusionnent en priorité sont moins riches en fer et en magnésium. Grâce à cette flottabilité*, ils vont pouvoir migrer vers la croûte, où ils seront stockés dans des réservoirs magmatiques.

En surface, la nature des éruptions est, elle aussi, contrôlée par des facteurs physico-chimiques. Lorsqu’un magma remonte vers la surface, les gaz qui y sont dissous ont tendance, par un processus d’exsolution*, à quitter le liquide pour former une multitude de bulles. Si le magma est peu visqueux, notamment parce qu’il est chaud ou riche en silice, les bulles vont pouvoir remonter facilement vers la surface. Le liquide dégazé va ensuite s’épancher le long des pentes du volcan sous la forme d’une coulée de lave, ou, s’il est plus visqueux, d’un dôme ou d’une aiguille [3]. On parle d’éruption effusive. À l’inverse, si le magma est trop visqueux, les bulles ne gaz ne parviennent pas à s’en échapper. Prisonnières, elles maintiennent une pression élevée qui conduit à une éruption explosive, au cours de laquelle un mélange de roches et de gaz est éjecté dans l’atmosphère sous forme de panache ou colonne plinienne [4]. Sur Terre, l’évolution d’une colonne plinienne dépend de sa capacité à ingérer de l’air. L’apport d’une grande quantité d’air allège la colonne et lui permet de monter jusqu’à la stratosphère. Si, au contraire, la quantité d’air absorbée est faible, la colonne s’effondre sous son propre poids et se transforme en coulée pyroclastique*, comme celle qui détruisit Pompéi en 79.

Les conditions de température et de pression, en surface ou en profondeur, ainsi que l’accélération de la gravité varient d’une planète à l’autre. On peut donc s’attendre à ce que les phénomènes que l’on vient de décrire changent plus ou moins selon la planète sur laquelle ils se produisent. Par exemple, la faible gravité martienne a sans doute eu un impact sur la migration des magmas, ainsi que sur la fréquence et l’intensité des éruptions. Pour un contraste de densité égal, la flottabilité des magmas est plus faible sur Mars que sur Terre. En conséquence, les chambres magmatiques devaient être de plus grandes dimensions et se trouver à de plus grandes profondeurs, si bien que seules les poches magmatiques les plus volumineuses ont dû atteindre la surface avant de se solidifier. Les éruptions martiennes devaient donc être a priori moins fréquentes, mais plus intenses que sur Terre. De plus, la température de surface, plus faible que sur Terre, a dû favoriser le développement de hautes colonnes pliniennes, phénomènes sans doute amplifiés par… la faible accélération de la gravité. À l’inverse, les conditions de température et de pression à la surface de Vénus suggèrent que les éruptions volcaniques y sont moins spectaculaires que sur Terre, l’atmosphère, très dense, n’y favorisant pas le développement de colonnes pliniennes. Par ailleurs, la faible altitude de la plupart des volcans vénusiens est sans doute imputable aux températures et aux pressions élevées, conditions qui favorisent l’épanchement des laves aux dépens de leur accumulation. Enfin, la longueur des canaux creusés par des coulées de lave, jusqu’à 6 800 km pour Baltis Vallis, suggère que les laves sont plus fluides et se refroidissent plus lentement que sur Terre, là encore à cause de la température de surface plus élevée.

Trois types De volcanisme

Trois types de volcanisme se manifestent à la surface de la Terre (fig. 1). Ils nous serviront de point de repère pour comprendre le volcanisme des autres planètes. Le plus répandu est aussi le moins visible, car il se produit au milieu des océans à des profondeurs de 2 000 à 3 000 m, le long de longues chaînes de montagnes appelées dorsales océaniques. C’est là que les planchers océaniques, ou si l’on préfère la croûte océanique, se forment à partir des magmas issus du manteau. Le deuxième type de volcanisme se produit à l’autre extrémité des planchers océaniques, lorsque ceux-ci plongent dans le manteau terrestre, par un phénomène appelé subduction*. Au contact de l’eau, et au fil des millions d’années, les minéraux des planchers océaniques se sont hydratés. En s’enfonçant dans le manteau, ces minéraux subissent des pressions de plus en plus fortes. Ils changent de structure cristalline, ce qui les conduit in fine à expulser l’eau qu’ils contenaient. Celle-ci est utilisée pour hydrater les roches du manteau environnant, avec pour conséquence l’abaissement de leur température de fusion et, si la température locale est suffisante, la production de magmas. Ces magmas viennent ensuite alimenter des volcans situés à l’aplomb des zones de subduction, comme les volcans d’Indonésie ou des Antilles. Au passage, notons que c’est ce processus qui est à l’origine de la croûte continentale.

Les volcans des dorsales et des zones de subduction sont intimement liés à la tectonique des plaques. On les trouve sur les frontières séparant ces plaques, frontières qu’ils participent à délimiter. Pourtant, d’autres volcans, comme ceux des îles Hawaï ou de l’île de la Réunion, sont situés bien à l’intérieur des plaques. Ce volcanisme intra-plaque, ou de point chaud, est lié à la présence de panaches mantéliques* (à ne pas confondre avec les panaches atmosphériques, ou colonnes pliniennes ; voir lexique) issus de la limite entre le noyau et le manteau, à 2 900 km de profondeur. L’arrivée en surface de la tête d’un panache engendre un volcanisme sans commune mesure avec le volcanisme contemporain. Il se caractérise par l’alternance de périodes très actives de quelques centaines d’années, durant lesquelles le taux d’émission des laves peut atteindre de 0,1 à 1kilomètre cube par seconde, et de périodes plus calmes et plus longues, de l’ordre de 10000ans. Cela conduit à la formation de grandes provinces magmatiques, ou trapps, correspondant à l’accumulation de coulées de lave sur des épaisseurs pouvant atteindre plusieurs kilomètres, comme dans le cas des trapps du Deccan. Cette région, située au nord-ouest de l’Inde, s’est formée il y a 65 millions d’années (Ma). Elle couvre environ 500 000 km2, et l’empilement des coulées de laves y atteint 3 000 m par endroits [5]

 

1. Les trois types de volcanisme sur Terre : dorsales océaniques, zones de subduction et points chauds. (© J.-L. Cheminée et al. (1993), institut de physique du globe de Paris)

 

Des trapps terrestres aux mers lunaires

Les trapps terrestres ont un équivalent sur notre Lune : les mers lunaires. Celles-ci, très majoritairement situées sur la face visible, correspondent à de grandes coulées basaltiques recouvrant les bassins d’impact formés entre 4,1 et 3,8 milliards d’années (Ga), lors du Grand Bombardement tardif. Toutefois, selon les datations disponibles, elles ne seraient pas la conséquence directe de ce bombardement, puisqu’elles se seraient mises en place quelques centaines de millions d’années plus tard, entre 3,5 à 3,0 Ga. Vers cette époque, le manteau lunaire aurait partiellement fondu, et le magma ainsi produit aurait migré à travers la croûte fracturée et amincie, pour venir remplir les bassins creusés par ces impacts.

Contrairement à ce que pensaient les astronomes du XIXe siècle, les cratères lunaires ne sont pas d’origine volcanique. En revanche, un autre témoin du passé volcanique de la Lune est la présence de longues crevasses sinueuses, appelées rimae ou rilles. Ces chenaux sont larges de quelques kilomètres et profonds de quelques centaines de mètres. Ils prennent naissance au voisinage de fractures et serpentent sur des longueurs pouvant atteindre quelques centaines de kilomètres. On compte près de 200 rilles, dont Rima Hadley, qui fut l’un des objectifs d’Apollo 15 et qui est observable avec un bon télescope amateur, comme le décrit Gilles Sautot dans un précédent numéro du magazine l’Astronomie. L’hypothèse privilégiée par les géologues, notamment sur la base des échantillons récoltés par Apollo 15, est que les rimae résultent de canaux ou de tunnels de lave émis au pied de volcans aujourd’hui éteints. Canaux et tubes de lave sont aussi observés sur Terre, mais avec des dimensions bien plus modestes. Le volcanisme à l’origine des rimae lunaires devait être associé à un taux d’éruption très élevé, sans commune mesure avec le volcanisme terrestre contemporain, mais en accord avec l’idée que les mers lunaires sont l’équivalent des grandes provinces magmatiques (les trapps) terrestres, à ceci près qu’elles ne sont pas liées à la présence de panaches dans le manteau lunaire.

 

2. Rima Hadley. (A) Vue depuis l’orbite. Le point orange indique le site d’Apollo 15. (NASA) (B) Dave Scott au bord de rima Hadley.

 

Tectonique des plaques versus plaque unique

La tectonique des plaques joue un rôle clé dans le volcanisme terrestre, notamment pour la formation des planchers océaniques. La surface de Vénus est dominée par de grandes plaines basaltiques semblables aux planchers océaniques terrestres. Cette similitude a laissé penser un temps que Vénus pouvait abriter une forme de tectonique des plaques, mais les données recueillies par la sonde Magellan ont invalidé cette idée. Des plaines volcaniques parsèment aussi la surface de Mars, mais celles-ci sont apparentées aux mers lunaires, les plus anciennes s’étant formées peu après la fin du Bombardement tardif, vers 3,8- 3,6 Ga. Pas de trace de tectonique des plaques, en revanche [6].

On sait aujourd’hui que la tectonique des plaques n’est à l’œuvre ni sur Vénus ni sur aucune des autres planètes rocheuses et satellites du Système solaire. Vénus, ainsi que Mars, sont des planètes à plaque unique, ou monoplaque, c’est-à-dire que leur lithosphère* tient d’un seul tenant et ne se renouvelle pas en continu [7]. Dans le cas de Vénus, l’absence de tectonique des plaques semble être liée à l’absence d’eau, ce qui accroît la résistance et la viscosité des roches. Les plaines basaltiques vénusiennes, dont nous venons de parler, sont beaucoup plus vieilles (au moins 500 Ma) que les planchers océaniques terrestres (au plus 180 Ma). En revanche, elles semblent avoir été mises en place dans un intervalle de temps assez court, lors d’épisodes de « resurfaçage » brefs (à l’échelle des temps géologiques), mais intenses.

Sur Mars, l’absence de tectonique des plaques est en partie responsable du gigantisme des volcans martiens, que nous allons bientôt rencontrer. Puisque la croûte reste fixe par rapport au panache responsable du volcanisme, il est possible de construire des édifices de taille imposante. Sur Terre, le fait que la croûte bouge par rapport aux panaches conduit à la formation d’une chaîne d’îles, comme la chaîne des Empereurs, dont les îles Hawaï sont la manifestation la plus récente [8] . Un autre facteur a certainement joué un rôle dans la taille des volcans martiens : la faible gravité de cette planète. Celle-ci permet de maintenir des édifices élevés, en évitant qu’ils ne s’affaissent sous l’effet de leur propre poids.

 

3. Des dômes en forme de crêpe (« pancake domes ») (A) et une corona (B) dans la région d’eistla, sur Vénus. Ces types de structures n’ont pas d’équivalents sur terre. (Nasa)

 

Coronae, « pancake Domes », et volcans géants

En l’absence de tectonique des plaques, c’est un volcanisme apparenté au volcanisme de point chaud, c’est-à-dire à l’ascension de panaches à travers le manteau, qui se manifeste sur Vénus et Mars. En plus des volcans boucliers (dont le plus grand, Maat Mons, culmine à 8 km d’altitude) et de longs canaux creusés par des coulées de laves, la surface de Vénus est parsemée de petits dômes volcaniques de quelques kilomètres à quelques dizaines de kilomètres de diamètre, les fameux « pancake domes », et de structures circulaires n’ayant pas d’équivalent terrestre, les coronae (fig. 3). Formés de laves très visqueuses, les « pancake domes » ne dépassent pas 1 km d’altitude et sont situés au voisinage de coronae et d’autres édifices volcaniques. Les coronae, quant à elles, sont constituées d’un anneau de crêtes et de fractures concentriques entourant une région centrale qui peut être un dôme, un plateau ou une dépression. Plus de 500 coronae ont été dénombrées, avec des diamètres allant, le plus souvent, de 100 à 1000km, et jusqu’à 2600km pour Artemis. L’hypothèse privilégiée est que les coronae résultent de l’interaction entre des panaches mantelliques et la lithosphère. Lorsqu’un panache arrive à la base de la croûte, il crée une poussée verticale sur celle-ci. Cela provoque un bombement de la croûte, qui s’affaisse une fois le panache disparu ou devenu inactif.

Mars est avant tout la planète des volcans géants (fig. 4). Olympus Mons, le plus grand édifice volcanique du Système solaire, en est l’exemple le plus emblématique. De sa base, il faut gravir un dénivelé de 22 km pour atteindre son sommet. Olympus est installé sur le flanc nord-ouest du dôme de Tharsis, qui supporte également Arsia, Ascraeus et Pavonis Montes, dont les sommets culminent tous entre 14 et 18 km d’altitude. Tharsis est sans doute lié à la poussée exercée par un gigantesque panache provenant de la limite entre le noyau et le manteau martiens, et qui semble avoir été actif dès 3,7 Ga et au moins jusqu’il y a 3,0 Ga. Il abrite aussi de nombreux volcans plus petits, que l’on peut diviser en deux classes, les tholi et les paterae. Les tholi sont des édifices en forme de dôme dont la pente est plus forte que celles des volcans géants. Les paterae ressemblent aux tholi, à ceci près qu’ils possèdent des caldeiras* plus étendues. oli et paterae sont plus anciens que les volcans géants et pourraient correspondre aux sommets d’anciens volcans boucliers recouverts par des coulées de lave plus récentes.

 

4. Les volcans géants de mars, Olympus (en haut à droite) et la chaîne des Tharsis : Arsia, Pavonis, et Ascraeus montes. Le schéma en médaillon compare les tailles d’Olympus mons et des volcans mauna Kea et mauna Loa, qui forment les îles Hawaï. (Nasa)

 

Des marées intenses: le volcanisme sur Io et Encelade

Il est temps maintenant de franchir la ceinture d’astéroïdes. Si l’on admet que le volcanisme découle du refroidissement d’une planète ou d’un satellite, on conçoit facilement que plus cet objet est gros, plus il a emmagasiné d’énergie, et donc plus le refroidissement est durable. De fait, c’est bien ce que l’on observe : la Terre est toujours active ainsi que Vénus. À l’inverse, les volcans martiens semblent avoir cessé de fonctionner il y a environ 500 Ma et, si l’on met de côté quelques événements ponctuels, la Lune est inactive depuis au moins 1,2 Ga. C’est pourquoi les images envoyées par Voyager 1 lors de sa traversée du système de Jupiter ont surpris les scientifiques. L’analyse de ces images a révélé la présence de panaches volcaniques, et donc d’éruptions, à la surface d’Io, le satellite galiléen le plus proche de Jupiter, et qui est à peine plus gros que la Lune. Les missions suivantes y ont mis en évidence plus de 400 volcans, associés soit à un volcanisme explosif (à l’origine des panaches observés par Voyager 1), soit à l’épanchement de coulées de lave. Ces dernières, composées de minéraux sulfurés et de silicates, sont émises depuis les planchers de grandes dépressions, les paterae, qui ressemblent aux caldeiras des volcans terrestres, ainsi que le long de fractures situées en plaine.

Étant donné la taille d’Io, il est peu probable que le chauffage radioactif ou le refroidissement séculaire fournissent la quantité d’énergie nécessaire à l’entretien de son activité volcanique. En revanche, Io subit des forces de marée très intenses de la part de Jupiter, liées notamment à l’excentricité de son orbite. Io est ainsi constamment déformé, ce qui produit de fortes frictions dans sa croûte et son manteau. La dissipation d’énergie qui en résulte est suffisante pour entraîner une élévation de la température provoquant une fusion partielle de la croûte et du manteau. L’histoire ne s’arrête pas là. Avec le temps, l’orbite d’Io aurait dû se circulariser. Si l’excentricité de cette trajectoire reste importante aujourd’hui, c’est à la faveur de résonances orbitales entre Io, Europe et Ganymède. Sans cela, Io graviterait sur une orbite circulaire et serait un corps beaucoup moins actif que le monde révélé par les missions spatiales.

Les forces de marée jouent aussi un rôle dans une autre forme de volcanisme, observée de façon saisissante sur Encelade. En 2005, la sonde Cassini a mis en évidence la présence de geysers au pôle Sud de ce petit satellite (252 km de rayon) de Saturne. Ces jets sont émis le long d’une série de 4 fractures, les « griffures de tigre », et ils s’élèvent jusqu’à 200 km d’altitude, venant alimenter l’anneau E de Saturne. Ils sont composés de vapeur d’eau, d’éléments volatils tels que le méthane et le dioxyde de carbone, ainsi que d’hydrocarbures et de fines particules de silicate. Les forces de marée interviennent sans doute à deux niveaux. D’une part en contrôlant l’ouverture et la fermeture des failles de surface (les « griffures de tigre »). Et d’autre part, comme dans le cas d’Io mais de façon moins extrême, les forces de marée pourraient fournir l’énergie nécessaire à l’entretien des geysers. Une hypothèse récemment mise en avant est que la dissipation de chaleur par les forces de marée serait localisée dans le noyau, supposé poreux, d’Encelade [9]. Selon ce scénario, ce noyau serait le siège d’une importante activité hydrothermale qui se répercuterait d’abord sur l’enveloppe liquide (l’océan) qui l’entoure, puis sur la croûte de glace d’Encelade (fig. 5).

 

5. Les geysers d’Encelade. (A) Vus par la sonde Cassini. (B) Un mécanisme possible expliquant la formation des geysers. Le noyau est le siège d’une activité hydrothermale entretenue par les forces de marée. L’arrivée d’eau chaude à la base de l’océan provoque la formation de panaches. Près des pôles, où le flux de chaleur issu du noyau est le plus élevé, les panaches secondaires amincissent localement la couche de glace, favorisant la fracturation de celle-ci et la circulation d’eau vers la surface. en surface, l’eau sous pression jaillit le long d’une série de fractures. (NASA/JPL Caltech)

 

Loin de la terre, le cryovolcanisme

Encelade n’est pas un cas isolé. En 1989, Voyager 2 a observé plusieurs geysers de diazote s’élevant depuis la surface de Triton, le plus gros satellite de Neptune. Des images UV réalisées entre 1999 et 2012 par le télescope spatial Hubble suggèrent, elles aussi, la présence épisodique de panaches de vapeur d’eau au pôle Sud d’Europe (un satellite de Jupiter voisin de Io). Ces jets, ou geysers, comme ceux d’Encelade, font partie d’un phénomène plus étendu, le cryovolcanisme, qui se manifeste à la surface des planètes naines et des satellites de glace des planètes géantes, et sur lequel les planétologues planchent depuis plus de deux décennies. Ici, les laves et magmas de roches silicatées cèdent la place à des « cryomagmas », mélanges de glaces, de matériaux volatils et de sels. Toutefois, un problème de taille surgit car, l’eau étant plus dense à l’état liquide qu’à l’état solide, ces cryomagmas sont a priori plus denses que la glace environnante. Comment font-ils, dans ces conditions, pour remonter en surface ? Des phénomènes de pressurisation ou de cristallisation fractionnée (dans le détail desquels nous n’entrerons pas) ont été avancés, mais la question reste débattue. Indépendamment de ce problème, le cryovolcanisme requiert aussi la présence de poches partiellement fondues à plus ou moins grande profondeur. Là encore, le mécanisme conduisant à la formation de ces poches n’est pas tranché, même s’il semble probable que l’énergie dissipée par les forces de marée y jouent un rôle clé.

Cela étant, des traces de cryovolcanisme ont été observées sur Titan, Pluton et Cérès. Ainsi, Sotra Facula, sur Titan, le plus gros satellite de Saturne, est un massif montagneux dont la structure, approximativement circulaire et possédant une dépression centrale, est typique d’un édifice volcanique. Toujours sur Titan, la présence de méthane dans l’atmosphère est un indice indirect d’une activité cryovolcanique récente ou contemporaine. Le méthane est en effet détruit dans la haute atmosphère de Titan, et sans un mécanisme de réapprovisionnement régulier, il aurait dû disparaître de cette atmosphère depuis longtemps. En revanche, si des réservoirs de méthane sont présents dans la croûte, le cryovolcanisme fournit un mécanisme adéquat pour réapprovisionner l’atmosphère en méthane. Sur Pluton, maintenant, Wright Mons culmine à 4 km d’altitude et possède, comme Sotra Facula, une dépression centrale qui en fait un excellent candidat au titre de cryovolcan. Qui plus est, le très
faible nombre de cratères d’impact sur ses flancs suggère qu’il a été actif récemment.

Enfin, retournons un instant dans la ceinture d’astéroïdes. Ahuna Mons, sur Cérès, est une montagne haute d’environ 5 km qui semble avoir surgi de nulle part (fig. 6A). Par analogie avec les dômes de lave que l’on rencontre sur Terre, les scientifiques pensent qu’il s’agit d’un dôme cryovolcanique. Sur notre planète, ce type de structures résulte de la remontée et de l’extrusion de laves relativement visqueuses et souvent riches en silice. À cause de leur viscosité élevée, ces laves ne peuvent pas s’écouler très loin de leur point d’émission. Elles s’accumulent autour de celui-ci, créant une structure en forme de dôme, comme dans le cas du volcan Chaitén, au Chili (fig. 6B). Mais revenons sur Cérès. Comme les dômes de lave terrestres, Ahuna Mons résulterait de la remontée et de l’extrusion d’un magma visqueux, à cela près que ce dernier ne serait pas composé de roches silicatées, mais d’un cryomagma.

6. (A) Ahuna mons, sur Cérès. (NAsA/JPL) (B) À comparer avec le dôme de lave du volcan Chaitén, au Chili. (sam Beebe)


Du volcanisme à l’apparition de la vie

Pour clore ce bref inventaire du volcanisme dans le Système solaire, on retiendra que des traces de volcanisme sont visibles à la surface de la plupart des objets visités par les sondes spatiales. Sur certains corps, comme Mercure, notre Lune et Mars, l’activité volcanique a cessé faute d’une source d’énergie, et les structures volcaniques que l’on y voit sont des vestiges du passé. En dehors de la Terre, l’observation d’éruptions volcaniques en temps réel est plus rare, mais spectaculaire : ce sont les volcans d’Io et les geysers d’Encelade, entretenus par la dissipation d’énergie liée aux forces de marée. Le cas de Vénus est plus délicat. L’atmosphère épaisse de notre voisine masque sa surface, et les conditions de température et de pression y imposent des manifestations plus discrètes que sur Io ou sur Terre. Une observation visuelle directe demanderait que l’on se trouve au bon endroit, au bon moment et avec les bons instruments. Bref, d’avoir un peu de chance. Pour le moment, il faut se contenter de preuves indirectes, comme les variations de température détectées en 2015 par Venus Express dans la région de Ganaki Chasma, qui sont sans doute liées à l’émission de gaz ou de laves.

Le volcanisme revêt enfin un intérêt que nous n’avons pas encore évoqué : il pourrait être étroitement lié à l’apparition de la vie sur Terre, en fournissant aux premières formes de vie connues, les bactéries, leur indispensable source d’énergie. Hypothèse notamment renforcée par la découverte de bactéries extrêmophiles, adaptées à des températures et à des pressions très élevées, autour des cheminées volcaniques des dorsales océaniques. Dans ces conditions, on se prend à imaginer que la vie a aussi pu démarrer en d’autres lieux, comme les océans souterrains des satellites de glace des planètes géantes. Mais nous quittons ici la planétologie comparée pour un domaine tout aussi passionnant : l’exobiologie.

 

Caldeira ou Caldera : Vaste dépression approximativement circulaire, en général de l’ordre de quelques kilomètres (sur terre) située au sommet de certains grands édifices volcaniques. souvent à fond plat, elles résultent d’une éruption qui a vidé la chambre magmatique sous-jacente.

Colonne plinienne : mélange de gaz et de fragments de roches volcaniques propulsé dans l’atmosphère sous forme de colonne (ou panache) et pouvant s’élever jusqu’à plusieurs dizaines de kilomètres. Le développement et l’ampleur d’une colonne plinienne dépendent de nombreux facteurs, notamment de la densité de l’air environnant, de la quantité d’air absorbé, et de la vitesse initiale des gaz et des roches volcaniques éjectés.

Coulée pyroclastique : Également appelée nuée ardente, c’est un mélange de gaz et de fragments de roches volcaniques (laves, scories, ponces, etc.) expulsés lors de l’éruption d’un volcan, et qui s’écoule à grande vitesse (quelques centaines de km/h) et au voisinage du sol sur les flancs de ce volcan.

Exsolution : Processus au cours duquel les gaz initialement dissous dans un magma à haute pression quittent ce magma. Ce phénomène est consécutif à la baisse de pression subie par le magma lorsqu’il remonte vers la surface.

Flottabilité : Ce terme désigne la poussée verticale exercée sur un magma par le milieu environnant, et qui lui permet de remonter en surface. elle est d’autant plus grande que la différence de densité entre le magma et le milieu environnant est élevée.

Lithosphère : enveloppe rigide externe d’une planète rocheuse constituée de la croûte et de la partie rigide du manteau. La lithosphère a donc une définition mécanique, par opposition à la croûte qui est la couche la plus externe d’une planète mais se définit par sa composition.

Panaches mantéliques : Dans les manteaux planétaires, un panache désigne une remontée de roches plus chaudes (et donc moins denses) que les roches environnantes. schématiquement, un panache est composé d’une bulle plus ou moins sphérique (la tête du panache) alimentée par un fin conduit. Lorsqu’il arrive près de la surface, un panache exerce une poussée sur la croûte. en réponse à cette poussée, la croûte se soulève, formant ainsi un bombement régional. Par analogie, dans les enveloppes externes des satellites de glaces, un panache correspond à la remontée de glace légèrement plus chaude que la glace environnante. Les panaches mantelliques ne doivent pas être confondus avec les panaches atmosphériques, ou colonnes pliniennes, qui se produisent en surface lors de certaines éruptions.

Subduction : Phénomène au cours duquel un plancher océanique, ou plus généralement une plaque tectonique, se courbe et plonge dans le manteau terrestre. Le plancher qui s’enfonce dans le manteau est désigné par le terme « slab ». en surface, les zones de subduction sont caractérisées par une fosse profonde pouvant atteindre une dizaine de kilomètres et, plus en avant, par une activité volcanique liée à la déshydratation du slab.

 

 

Frédéric DESCHAMPS | Academia Sinica, Taipei, Taïwan

 

1. sur les volcanismes terrestres et planétaires, ainsi que les mécanismes qui les contrôlent, voir notamment les numéros 92 (mars 2020) et 99 (novembre 2016) p. 26-37 de l’Astronomie. – 2. Une exception notable, et qui aura son importance lorsque nous parlerons du cryovolcanisme, est l’eau, dont la température de fusion diminue lorsque la pression augmente de 0 à 210 MPa (kbar). – 3. La construction d’un dôme de lave peut s’étaler sur des périodes allant de quelques mois à quelques centaines d’années, et la structure qui en résulte peut atteindre des hauteurs de plusieurs centaines de mètres. 4. Pour être plus précis, la vitesse d’ascension du magma joue aussi un rôle clé. si elle est trop faible, le gaz parvient à s’échapper et il se forme en surface un dôme très visqueux.- 5. Les trapps du deccan se sont mis en place dans un laps de temps d’environ un million d’années. Le volcanisme qui en est à l’origine est sans doute la cause principale de l’extinction de masse qui s’est produite à cette époque. Beaucoup moins actif aujourd’hui, le point chaud qui les a créés se situe maintenant sous l’île de la réunion, qu’il a également formée. – 6. L’interprétation de certaines observations magnétiques suggère qu’un bref épisode de tectonique des plaques s’est déroulé tôt dans l’histoire de Mars. Cette interprétation reste incertaine, et si un épisode de tectonique a effectivement eu lieu sur Mars, il a été sans suite. 7. Même sur Terre, la tectonique des plaques ne va pas de soi. Ce phénomène semble être apparu assez tardivement, il y a seulement 2 Ga environ, signe qu’il requiert des conditions thermiques, chimiques et mécaniques bien particulières permettant la déformation de la lithosphère. – 8. Notons tout de même que de sa base (à quelque 6 000 mètres sous la surface de l’océan Pacifique) jusqu’à son sommet, le Mauna Kea mesure un peu plus de 10 000 mètres… ce qui n’est pas rien.- 9. Voir à ce sujet le zoom du numéro 142 de l’Astronomie (octobre 2020), p. 26-37.

 

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