par Sylvain Bouley | Juil 12, 2022 | Zoom Sur
Après avoir feuilleté en mars les dernières pages du ciel d’hiver généreux en objets galactiques au sein de la Voie lactée, l’amateur de belles galaxies voit arriver en avril le ciel de printemps avec envie : le Lion, la Vierge, la Chevelure de Bérénice et la Grande Ourse offrent une aire de jeux extragalactique d’une grande richesse. Les galaxies y sont si nombreuses qu’on peut parfois en observer plusieurs dans le même champ dans un instrument d’amateur. C’est le cas du couple Messier 95 – Messier 96 dans le Lion. Rencontre avec les membres les plus brillants de l’amas Leo I…

Le Very Large Telescope européen, qui opère depuis le Cerro Paranal dans le désert de l’Atacama, au Chili, a réalisé le 19 mars 2012 ce saisissant cliché de M95. Sa structure de spirale barrée ainsi que son premier bras circulaire sont bien mis en évidence. (ESO)
Leo I est un groupe de galaxies constitué de deux sous-groupes. Le premier sous-groupe contient le triplet du Lion avec les célèbres M 65–M 66–NGC 3628 (voir l’Astronomie no 114 de mars 2018) dans la cuisse du Lion, puis plus à l’ouest le deuxième sous-groupe dit groupe de M 96, sous le ventre du Lion, un amas qui contient une douzaine de galaxies dont les plus brillantes sont M 95, M 96 et M 105. Cet amas est situé entre 32 et 38 millions d’années-lumière (a.l.). Notons que M 105, située presque 1° au nord de M 96, est accompagnée par NGC 3371 et NGC 3373 toutes proches et que ces trois galaxies sont accessibles dans un instrument à partir de 200 mm. Cela fait donc 5 galaxies à observer dans ce petit coin de ciel.
Messier 95 ou M 95 (NGC 3351) est une superbe spirale SB-b, soit une spirale barrée, vue quasi de face. On note des bras quasi circulaires. Cette galaxie contient environ 40 milliards d’étoiles et son diamètre est estimé à 46 000 années-lumière (a.l.).
Le centre de M 95 contient une région de formation d’étoiles en forme d’anneau. Cette région a un diamètre de 2 000 a.l. Cet anneau montre la présence d’amas compacts d’étoiles, chacun d’un diamètre de 60 à 85 parsecs (1 parsec = 3,2616 a.l.). En utilisant le télescope spatial Hubble (HST), des chercheurs ont réalisé une étude de la dynamique et de la vitesse des objets tournant autour du noyau central. Cette étude a permis de mettre en évidence l’existence d’un trou noir dont la masse est estimée entre 1,9 et 6,4 millions de masses solaires.
La vitesse de récession de M 95 fait qu’elle s’éloigne actuellement de notre galaxie, la Voie lactée, à 778 km/s (ou 2467 a.l. par millions d’années).

Capturée par le puissant miroir de 8 m du VLT et sa caméra FORS-1 le 24 octobre 2011, M 96 dévoile son noyau décentré ainsi que ses bras asymétriques dus aux interactions gravitationnelles avec ses voisines (ESO/Oleg Maliy).
M 96 (NGC 3368) est, elle aussi, une spirale barrée, mais de type SAB-ab. Elle a une taille d’environ 100 000 a.l. et contient approximativement 100 milliards d’étoiles, soit des caractéristiques assez comparables à celles de notre propre Galaxie, la Voie lactée. La même étude que celle menée avec le HST sur M 95 a été menée sur le centre de M 96, et cette étude a abouti à la même conclusion, à savoir la mise en évidence d’un trou noir supermassif, la masse de ce dernier étant estimée entre 15 et 48 millions de masses solaires. Une autre étude, cette fois de sa structure d’ensemble, montre que son noyau ne se situe pas au centre et que ses bras spiraux sont asymétriques, des anomalies qui indiquent que M 96 subit des interactions avec ses voisines. Ces perturbations gravitationnelles ont étiré un des bras de M 96. Des simulations sur son passé font état d’une probable collision il y a 1 milliard d’années entre M 96 et NGC 3371, située plus au nord. Aujourd’hui, 40 millions d’a.l. séparent les deux galaxies. Cette collision a éjecté tellement de gaz qu’un anneau d’hydrogène froid entoure maintenant les galaxies du groupe de M 96.
Messier 105 ou M 105 (NGC 3379) est une belle galaxie elliptique de type E1. C’est la plus grosse galaxie elliptique du catalogue Messier hors de l’amas de la Vierge. Là encore, M 105 possède un trou noir central supermassif dont la masse est estimée entre 140 et 200 millions de masses solaires.
C’est Pierre Méchain (1744-1804), ami et collègue de Charles Messier (1730-1812) qui va découvrir M 95 et M 96 le 20 mars 1781. Messier va intégrer les deux objets dans son célèbre catalogue 4 jours plus tard.
Quant à M 105, sa découverte est mentionnée (lettre du 6 mai 1783) par Méchain lors d’une observation réalisée le 24 mars 1781. Cette galaxie a donc été observée à la même période que M 95 et M 96, mais, étrangement, ce troisième objet n’est pas inclus par Messier. C’est l’astronome américaine Helen Sawyer Hogg (1905-1993) qui propose en 1947 d’ajouter NGC 3379 en tant que 105ème objet du catalogue Messier.
Comment trouver M 95-M 96 ?
La localisation des deux galaxies est assez aisée. En première approximation, on indiquera qu’il est coutume de dire que M 95 et M 96 se trouvent sur le segment qui relie Régulus (α Leo) à Denebola (β Leo), au tiers de la distance qui sépare les deux étoiles en partant de Régulus. Mais la méthode la plus fiable consiste à partir de rhô Leonis (ρ Leo), de magnitude 3,8 et donc visible à l’œil nu. À 4,5° à l’est (à gauche) de ρ Leo se trouve l’étoile 53 Leo, de magnitude 5,3, à peine perceptible à l’œil nu mais bien vue aux jumelles et dans tout chercheur. M 96 se trouve à 1,5° nord et 30′ est de 53 Leo. M 95 se situe quant à elle 40′ à l’ouest de M 96, et M 105 à un peu moins d’un degré au nord de M 96. Enfin, NGC 3371 et NGC 3373 (parfois indiquées NGC 3384 et NGC 3389) sont à moins de 10′ à l’est de M 105.
Voici les tailles et les magnitudes de ces 5 objets :
M 95 = 3,1′ x 2,9′ et mag. 11,4
M 96 = 7,6′ x 5,2′ et mag. 10,1
M 105 = 5,4′ x 4,8′ et mag. 10,2
NGC 3371 = 5,5′ x 2,5′ et mag. 10,9
NGC 3373 = 1,9′ x 1,3′ et mag. 11,8
Avec des magnitudes comprises entre 10 et 12, il va sans dire qu’elles sont hors de portée des jumelles et des chercheurs. Elles vont nécessiter aussi un ciel noir, loin des villes et sans Lune pour être admirées.


Observations
Nous avons commencé nos observations dans une modeste lunette achromatique de 90 mm d’ouverture et de 910 mm de longueur focale. Au 30 mm (30 x), l’observation est difficile : M 96 apparaît en premier mais à la limite de visibilité. Après plusieurs secondes d’observation en vision décalée, elle finit par montrer un bâton allongé de lumière grise. M 95 est quant à elle invisible. On distingue cependant M 105 et NGC 3371, faibles mais captées sous forme stellaire en vision directe. Au bout de quelques secondes, en vision décalée, ces deux galaxies montrent deux petits fuseaux allongés, M 105 étant notablement plus brillante que NGC 3371.
Au 25 mm (36 x), c’est un peu mieux. M 96 est plus facile à distinguer, elle montre cette fois dès les premières secondes d’observation sa forme de bâton de lumière. M 105 et NGC 3371 sont plus évidentes, vues immédiatement. Par contre, si M 95 peut enfin être aperçue, c’est de manière bien furtive et à la limite de visibilité. On note une petite étoile de magnitude 10 à 6′ à l’ouest de la galaxie. Finalement, de ces quatre galaxies, c’est M 105 qui, à l’observation, s’avère la plus brillante. Elle dévoile un centre quasi stellaire autour duquel apparaît vaguement un très faible halo. NGC 3371 finit par montrer un aspect assez similaire à M 105 mais en plus petit et en plus faible.
Au 20 mm, les images sont bien plus flatteuses et intéressantes. M 96 devient plus évidente encore : elle montre un petit noyau ponctuel entouré d’un halo allongé. M 105 et NGC 3371 laissent d’abord voir chacune un noyau sous forme de bille quasi stellaire, chaque noyau étant entouré d’un halo allongé, ces deux halos étant parallèles. Enfin M 96 apparaît comme une pastille de lumière aux contours imprécis.
C’est avec le 15 mm qu’on obtient enfin de belles images des galaxies. M 96 est mieux définie ; elle dévoile un centre plus « ventru » ; par contre, le halo qui entoure ce noyau reste mal défini, aux contours incertains. M 95 devient très faible, mais, en vision décalée soutenue, on distingue un halo plus large et de forme arrondie. Dans l’oculaire de 12,5 mm (73 x), si on note certes un gain en taille des objets, on constate aussi que la hausse du contraste commence à « détruire » les images. M 96 devient plus faible. Le bâton est toujours bien vu mais le fuseau disparaît dans le fond de ciel noir et devient quasi invisible. En pointant M 105 et NGC 3371, la vision directe ne fait ressortir que deux billes de lumière. En vision décalée, les billes sont plus grosses et montrent un minuscule halo très faible les entourant. Quant à M 95, extrêmement difficile à voir en vision directe, elle ne montre en vision décalée qu’un vague flocon aux contours imprécis.

Beau cliché à champ large montrant les 5 galaxies les plus brillantes du groupe de M96 décrites dans cet article. L’instrument est une lunette Astro-Physics Starfire EDF 150 mm. Le boîtier est un Canon 5D Mark II + Filtre UV/Ir Baader. La monture est une GM 2000. Le temps de pose est de 62 × 5 minutes, soit 5 h 10 à 1 600 ISO. Traitement sous PixInsight et Photoshop CC. Photo réalisée le 6 mars 2021. (©Hermann Von Eiff)

M 96 vue dans un Dobson 400, derrière un oculaire Ethose 13, dessinée depuis La Collancelle, dans la Nièvre. (Simon Lericque / GAAC
Nous avons poursuivi nos observations dans le T150/750 (télescope équipé d’un miroir de 150 mm de diamètre et de 750 mm de focale). Avec l’oculaire de 30 mm (25 x), le fond de ciel est tellement laiteux et brillant que l’image n’est guère intéressante : M 96 est à peine perceptible, M 105 et NGC 3371 ne sont perçues que sous forme stellaire et M 95 est aux abonnés absents. Dans l’oculaire de 25 mm (30 x), c’est bien mieux : M 96 ressort du fond de ciel comme un minuscule flocon contrasté. M 105 et NGC 3371 apparaissent stellaires mais on s’aperçoit après plusieurs secondes d’observation soutenue que M 105 est une petite bille brillante alors que NGC 3371 reste stellaire. Enfin, si M 95 reste désespérément invisible en vision directe, elle n’apparaît en vision décalée que sous la forme d’un flocon d’une faiblesse extrême. Au 20 mm (35 x), l’image est bien plus intéressante : M 96 est devenue un petit bâton contrasté entouré d’un vague halo. M 105 et NGC 3371 sont évidentes, sous la forme de deux petites billes ponctuelles et brillantes, M 105 étant plus brillante que NGC 3371. Quant à M 95, la vision directe nous la montre comme une minuscule pastille centrale entourée d’un petit voile très faible. Comme bien souvent avec les galaxies, l’oculaire de 15 mm (50 x) permet de faire un bond en avant en qualité d’image : les galaxies y apparaissent plus contrastées. M 96 est un petit bâton brillant entouré d’un voile gris, flou et lui aussi allongé. M 105 et NGC 3371 sont maintenant jolies, brillantes avec un très faible voile allongé les entourant. M 95 reste toujours très faible. Enfin dans l’oculaire de 12,5 mm (60 x), l’image, à nouveau, est intéressante. Le noyau de M 96 montre une petite pastille brillante et contrastée, insérée dans un bâton gris et flou, l’ensemble au centre d’un fuseau très faible. M 96 est devenue une pastille faible mais contrastée, entourée d’un voile lui aussi arrondi mais très faible. Quant à M 105 et NGC 3371, si les deux petites billes brillantes de leurs noyaux sont plus évidentes encore, un observateur distrait pourrait les prendre pour des étoiles. Par contre, un observateur attentif, qui pratiquera la vision décalée, remarquera immédiatement la présence de voiles faibles mais bien visibles, entourant chacun des noyaux et attestant qu’il s’agit bien de galaxies. Il notera aussi que l’image de NGC 3371 ressemble à celle de M 105 en réduction.
Quel plaisir de finir ces observations avec le Dobson de 305 mm ! On pourra lire et entendre qu’un miroir de 300 mm collecte 4 fois plus de lumière qu’un autre de 150 mm, c’est à l’oculaire qu’on savoure l’étalage de sa puissance. Tout devient facile dans un T 305 !

M95 vue dans un Dobson400, oculaire Ethos 13, depuis La Collancelle, dans la Nièvre. (Simon Lericque / GAAC)
Dans l’oculaire de 30 mm (50 x), malgré le fond de ciel brillant, les galaxies sont toutes bien visibles. M 96 apparaît sous la forme d’une minuscule bille brillante légèrement allongée et entourée d’un petit halo brillant de même forme, halo lui-même entouré d’un voile très faible. M 95 est visible comme une petite comète, soit un petit noyau ponctuel, quasi stellaire, entouré d’un voile arrondi, comme une coma. Enfin, l’image de M 105 et NGC 3371 est bien plus flatteuse que dans les optiques précédentes : dès les premières secondes d’observation, la puissance du miroir de 305 mm exclut de les prendre pour des étoiles puisqu’elles dévoilent de minuscules halos gris et flous, celui de M 105, un peu plus étendu, étant bien plus évident. Dans le 20 mm (75 x), les images sont bien plus jolies et intéressantes. M 96 est bien mieux définie, bien sûr plus grosse, mais aussi et surtout, montrant un fuseau allongé de part et d’autre du noyau. Pour M 95, sa faiblesse reste de mise même avec cette optique généreuse : la vision directe montre une petite bille brillante, qui, grâce à la vision décalée, s’entoure d’un joli voile gris mais très faible. M 105 et NGC 3371 sont magnifiques en décalé ; M 105 est entourée d’un joli voile arrondi, ce qui lui donne l’aspect d’une galaxie spirale (ce qu’elle n’est pas) vue de face, du type de M 74, sans en distinguer les spirales bien sûr. L’oculaire de 15 mm (100 x) offre à nouveau une très belle image. M 96 offre l’image typique et flatteuse d’une belle galaxie, son noyau prenant l’aspect d’une petite LED grise, entourée d’un voile plus contrasté, un peu plus large et mieux défini. Même constat sur M 95 : le noyau est plus brillant, mieux défini et le halo arrondi montre des contours plus nets. Quant à M 105 et NGC 3371, elles sont superbes, comme deux belles galaxies d’aspect semblable mais d’éclat différent. Mais, au bout de quelques secondes, surprise… : elles ne sont pas seules ! Elles sont accompagnées à 5′ au sud-est par NGC 3373 de magnitude 11,8. Il n’est donc pas surprenant qu’elle n’apparaissait ni dans les optiques précédentes ni à faible amplification au 305 où elle demeurait « cachée » dans le fond de ciel trop brillant. Dans le 15 mm, NGC 3373 apparaît sous la forme d’un gros flocon flou allongé est-ouest et aux contours imprécis. Dans l’oculaire de 12,5 mm enfin (120 x), les images sont bien plus belles encore. Les cinq objets apparaissent mieux définis, plus nets. M 96 montre d’abord son noyau comme une bille brillante enserrée dans un petit bâton de lumière entouré d’un voile montrant une esquisse d’hélice en forme de S. M 95 quant à elle reste fidèle à son aspect d’une jolie comète, ou, là aussi, d’une spirale vue de face mais assez faible : son noyau est rond et entouré d’un voile large et flou. Enfin, pour M 105 et NGC 3371, on note de manière surprenante que la différence d’éclat s’estompe. De même, si les billes brillantes de noyaux sont plus que jamais présentes, les galaxies voient le voile les entourant s’estomper dans le fond de ciel devenu plus noir. En ce qui concerne NGC 3373, si on devine un peu mieux la forme de son fuseau, ce dernier est d’une faiblesse extrême et nécessite une observation soutenue pour être distingué du fond de ciel.
par Gilles SAUTOT | Science & Culture en Picardie
par Sylvain Bouley | Juil 12, 2022 | Zoom Sur
MeerKAT est un réseau de 64 antennes radio en Afrique du Sud travaillant à basse fréquence (3 cm). Il a été ouvert en 2018 et sera incorporé dans la première phase du réseau SKA (le Square Kilometre Array, en français « Réseau d’un kilomètre carré »). Seul, il donne déjà des résultats remarquables.

1. L’amas de galaxies Abell 3667, proposé par Meerkat, dans lequel la couleur blanche au centre correspond à l’addition de 550 galaxies, et les structures rouges aux ondes de choc formées pendant la création de ce superamas. (Crédit Francesco de Gasperin)
Observation d’une source radio diffuse dans l’amas de galaxies Abell 3667
Les amas de galaxies grossissent au cours de leur vie par accrétion de filaments gazeux et par fusion avec d’autres amas de galaxies. Lors de la fusion de deux amas, une énorme quantité d’énergie est libérée sous forme de turbulence et de chocs dans le milieu intra-amas. C’est ce qui s’est passé avec l’amas Abell 3667, distant de 750 000 années-lumière. Il est relativement proche pour un amas de galaxies, donc susceptible d’être observé en grand détail.
Une équipe internationale conduite par un Allemand de l’université de Hambourg vient de publier l’image radio observée autour d’Abell 3667 par MeerKat [1]. Elle correspond à une gigantesque onde de choc créée par la fusion de deux amas de galaxies qui s’est produite il y a 200 millions d’années et a probablement été l’une des plus violentes depuis le Big Bang. Des faisceaux d’électrons très rapides ont été projetés vers l’extérieur. Ils se sont rassemblés dans deux régions distinctes et ont émis des photons radio par le processus synchrotron [2] lors de leur traversée de champ magnétique. Ces particules se déplacent encore maintenant dans le milieu intergalactique à une vitesse de 1 500 km/s. Les astronomes ont non seulement déterminé l’intensité de la radiosource, mais également sa polarisation et ses propriétés spectrales, auxquelles s’ajoutent les observations en rayons X caractéristiques du gaz chaud. Ils ont comparé ces données à des simulations numériques, et ont découvert ainsi un halo étendu de gaz chaud bordé par deux grandes régions confinées par le champ magnétique (fig. 1).

2. Le Centre galactique par Meerkat. Cette image montre des régions déjà connues, mais également de nombreuses nouvelles régions, comme des restes de supernovae, des régions compactes de formation d’étoiles et une grande quantité de filaments radio mystérieux. Les couleurs montrent les régions brillantes, tandis que les régions de faible émission sont montrées en grisé. (I. Heywood et al.)
Une extraordinaire image radio du Centre galactique
Les 500 années-lumière au centre de la Voie lactée contiennent un trou noir supermassif de 4 millions de fois la masse du Soleil, une quantité importante de régions de formation d’étoiles, et une densité de rayons comiques deux cents fois plus grande que dans le reste du disque galactique. Situées à 25 000 années-lumière de nous, ces régions ne sont pas observables en visible à cause de l’absorption par les poussières. Grâce au réseau Meerkat, une incroyable complexité de phénomènes est révélée. Ainsi, une équipe internationale d’environ 150 astronomes conduite par un chercheur sud-africain vient de publier une image rassemblant les résultats obtenus ces dernières années par le réseau Meerkat [3]. Cette image est le résultat de 144 heures d’observation obtenues au cours de 20 pointés séparés et correspond à 6 degrés carrés du ciel (fig. 2). Elle montre en particulier des filaments, en nombre dix fois plus grand que ceux qui étaient déjà connus. Elle va permettre de connaître avec plus de précision l’histoire du centre de notre Galaxie.
Par Suzy Collin-Zahn, Observatoire de Paris-PSL
Notes:
1. F. de Gasperin et al., « MeerKAT view of the diffuse radio sources in Abell 3667 and their interactions with the thermal plasma », arXiv:2111.06940v2, à paraître dans A&A.
2. Processus synchrotron : rayonnement de particules chargées (souvent des électrons) se déplaçant dans un champ magnétique.
3. I. Heywood et al., « The 1.28 GHz MeerKAT Galactic Center Mosaic », arxiv.org/abs/2201.10541v3.
Légendes :
1. L’amas de galaxies Abell 3667, proposé par Meerkat, dans lequel la couleur blanche au centre correspond à l’addition de 550 galaxies, et les structures rouges aux ondes de choc formées pendant la création de ce superamas. (Crédit Francesco de Gasperin)
2. Le Centre galactique par Meerkat. Cette image montre des régions déjà connues, mais également de nombreuses nouvelles régions, comme des restes de supernovae, des régions compactes de formation d’étoiles et une grande quantité de filaments radio mystérieux. Les couleurs montrent les régions brillantes, tandis que les régions de faible émission sont montrées en grisé. (I. Heywood et al.)
par Sylvain Bouley | Avr 14, 2022 | Zoom Sur
Cela fait maintenant un peu plus de deux ans (décembre 2019) que le Soleil a passé son minimum d’activité et qu’il a commencé son vingt-cinquième cycle1. Le temps où les jours sans tache ni activité pouvaient s’accumuler pendant plusieurs semaines est bien loin. Récemment, le Soleil nous a gratifiés de plusieurs belles éruptions et éjections de masse coronale, célébrant ainsi sa montée d’activité vers un maximum toujours anticipé vers 2025. Retour sur cette montée de cycle.
Quand le cycle 24 a fini par laisser la place au cycle 25 fin 2019, le Soleil venait d’enchaîner plusieurs mois d’activité très faible, sans pratiquement aucune tache à sa surface et très peu d’éruptions. Nous montrons sur la figure 1 (à gauche) un magnétogramme (mesure du champ magnétique solaire) de la surface visible du Soleil pris par l’instrument HMI à bord du satellite SDO (Solar Dynamical Observatory) le 16 décembre 2019 et, en dessous, l’image prise en rayonnement UV à17,1 nm. On remarque le côté « sel-poivre » du magnétisme solaire de « fond », dit Soleil calme, c’est-à-dire cette multitude d’alternances à petite échelle de polarités + (vert) et – (jaune). À cette époque, entre le 14 novembre 2019 et le 23 décembre 2019, soit pendant 40 jours en continu, le Soleil a été sans tache. En remettant cette période de grand calme solaire en perspective dans l’histoire moderne de notre étoile et en ordonnant par la longueur de la durée de ces jours sans tache, cette période de 40 jours se classe 10e de l’ère contemporaine ! Comme elle a été suivie de 34 jours de février à mars 2020, il devient évident que cette période représente une période de calme quasi absolu de notre étoile.

Fig. 1 Magnétogrammes (ligne du haut) et images UV à 17,1 nm (ligne du bas) pour 3 dates emblématiques : à gauche, lors du minimum solaire de décembre 2019 et, au milieu et à droite, lors d’éruptions solaires intenses récentes, celle X du 28 octobre 2021 (voir fig. 3 pour une illustration de la CME) et une éruption M1.7 le 2 novembre ayant envoyé un nuage magnétique dit « cannibale », car il a rattrapé deux autres éjections de masse coronale parties quelques heures plus tôt (cf. fig. 4). Remarquez aussi sur les magnétogrammes que la polarité des taches solaires (des bipôles magnétiques associés) est inversée entre les hémisphères Nord et Sud, ordre jaune-vert en haut de gauche à droite et vert-jaune en bas. (Données SDO)
Depuis, les choses ont bien changé. Fin octobre et début novembre 2021, plusieurs séries d’éruptions et de taches solaires sont apparues. Pour comparaison, nous étudions à nouveau les magnétogrammes de cette période. La bande centrale correspond à la date du 28 octobre 2021, lors d’une des plus puissantes éruptions du Soleil pour le cycle 25 (classée X1) (voir le lexique) qui a eu lieu dans le complexe actif (AR) numéro 12887 (en bas du disque solaire). On remarque la présence de plusieurs complexes actifs, avec de fortes concentrations de champ magnétique venant maintenant se superposer au Soleil calme. Sur l’image UV correspondante, on remarque les nombreuses régions actives très brillantes et, au même endroit que l’AR 12887, l’augmentation de brillance et le panache de gaz (un peu sombre sur la gauche) caractéristiques de l’éruption solaire en cours de développement. Sur la bande de droite, 4 jours plus tard, l’AR 12887 est maintenant proche du limbe droit et a déjà produit deux éruptions et éjections de masse coronale (CME pour coronal mass ejection en anglais) lentes. Au milieu du disque solaire, dans l’hémisphère Nord, l’AR 12891 est cette fois-ci représenté lors de son éruption qui conduira à une éruption de classe M1.7 et surtout à la CME cannibale qui en découlera (voir texte et figure 4 plus loin).

2. Tracés de l’émissivité X du Soleil vue par le satellite GOES. À gauche, nous montrons l’activité proche du 28 octobre, en particulier on remarque que les courbes bleues et vertes (elles sont quasi superposées) atteignent la classe X dans la gamme 0,1 à 0,8 nm, correspondant à l’éruption vue dans la région active 12887. À droite, on montre les mêmes courbes mais centrées sur les 1er et 2 novembre 2021, dont l’éruption M1.7 du 2 novembre liées à la région active 12891 ayant produit l’éjection de masse coronale particulièrement rapide dite cannibale.
Nous montrons figure 2 (p. 10) l’enregistrement des émissions solaires en rayons X suivi en continu par le satellite GOES (Geostationnary Operational Environmental Satellite) de la NOAA (National Oceanic and Atmospheric Administration). Le satellite de l’Esa (European Space Agency) Solar Orbiter avec son instrument STIX (Spectrometer Telescope for Imaging X-rays) a aussi observé une forte intensité d’émission dans les canaux hautes énergies. En effet, à cette période, il était angulairement proche de la Terre puisque, le 26 novembre 2021, il allait effectuer son assistance gravitationnelle avec notre belle planète bleue afin de plonger plus profondément dans le Système solaire et ainsi commencer sa phase observationnelle après plus de 18 mois de croisière ayant permis le calibrage des instruments. Revenons à nos éruptions récentes et à leur grande intensité. On remarque en effet sur les courbes GOES le grand nombre d’éruptions de classes C et M entre le 28 octobre et le 2 novembre 2021 en plus de celle de classe X du 28 octobre.

3. Image différentielle (c’est-à-dire que l’on soustrait l’image de référence précédente, ici avec un délai de 1 h), afin de voir la modification de l’atmosphère solaire lors de la CME qui a suivi l’éruption X1.0 du 28/10. Celle-ci n’aura finalement pas l’impact aussi fort qu’anticipé sur la Terre (activité aurorale faible à modérée – indice Kp 3-4). À l’inverse, le triple événement quelques jours plus tard amènera une perturbation de la magnétosphère terrestre plus significative (indice Kp 7+, voir figures 4 et 5). (Données SDO+SOHO – site Helioviewer.com)
Pour illustrer l’intensité de l’éruption du 28 octobre, nous représentons sur la figure 3 (p. 10) une image du Soleil et de son atmosphère étendue (couronne + vent solaires). Afin de démontrer les grandes perturbations que de telles éruptions déclenchent, plutôt que de montrer les images brutes prises par SDO et SoHO, nous opérons une soustraction pixel par pixel de l’état plus calme précédant d’une heure cette éruption. On appelle cette représentation spécifique des données « images différentielles », car elles illustrent le changement d’activité entre deux époques proches. On remarque, en plus de l’éruption sur le disque solaire, le grand nuage qui s’échappe du Soleil et qui est parti en direction de la Terre. Le Soleil étant toujours plein de surprises, il s’avère que ce n’est pas l’éruption de classe X du 28 octobre qui a engendré le plus d’effets sur la Terre et sa magnétosphère (le cocon magnétique qui nous entoure), l’indice Kp (voir le lexique) n’atteignant au mieux que 4. En effet, c’est quelques jours plus tard, le 2 novembre, qu’une éruption moins intense à partir de l’AR 12891 propulsera un nuage magnétique très rapide qui rattrapera et « absorbera » durant son voyage vers la Terre deux éjections parties quelques heures avant depuis l’AR 12887. On appelle ce phénomène une éjection de masse coronale « cannibale » pour des raisons évidentes. Nous illustrons figure 4 une modélisation de la propagation de ces nuages magnétiques, en montrant une séquence de 4 images, où l’on voit le départ des 2 CME lentes suivies par celle beaucoup plus intense. Ce qui rend cet événement particulièrement intéressant est que les deux premières CME ont en quelque sorte ouvert la voie à la troisième plus intense, lui permettant ainsi d’être encore plus géo-effective que si elle avait été isolée. L’indice Kp a atteint 7+. Les centres de météorologie de l’espace ont émis des alertes comme quoi les communications radio pourraient être affectées modérément (R1) par cet événement, mais qu’une tempête géomagnétique intense (G3 à G4) était attendue. Ils ont aussi prévu un ovale auroral pouvant descendre vers des latitudes aussi basses que New York. Il s’avère que ces nuages magnétiques et de particules mettent entre 15 h et 3 jours à impacter la Terre, en fonction de leur vitesse d’éjection et de leur direction de propagation. Ce n’est donc que vers le 4 novembre que la conséquence du passage au travers de notre planète de ce nuage magnétique résultant de cette triple éruption a été visible sur Terre, avec notamment de très belles aurores boréales (figure 5).

4. Séquence de 4 instants extraits d’une simulation de l’héliosphère interne (jusqu’à
2 UA) avec le code EUHFORIA (d’en haut à gauche à en bas à droite) sur la période du 2 au 4 novembre 2021. On remarque l’amorçage d’une première CME depuis le Soleil au centre (petite image au centre), suivie d’une deuxième de la même région active (AR 12887) , puis d’une troisième d’une région active différente (AR 12891) qui rattrape les 2 autres pour former un nuage magnétique énorme qui impacte la Terre (petit disque bleu à droite). Les planètes intérieures du Système solaire sont indiquées ainsi que le satellite STEREO. Le satellite Solar Orbiter est proche de la Terre à cette époque, car il va effectuer une assistance gravitationnelle quelques semaines plus tard (mais il n’est pas représenté). (Modèle EUHFORIA – site web swe.ssa.esa.int)
Nous vivons autour d’un astre magnétique dont le degré d’activité est modulé selon un cycle d’environ 11 ans. Celui-ci, depuis quelques mois, vient de nous envoyer un message clair : sa phase de grand calme est bien finie et on peut s’attendre à observer de plus en plus d’éruptions et de nuages magnétiques dans les années à venir. En effet, les enregistrements historiques démontrent qu’il y a 9 à 10 fois plus d’événements de ce type en maximum de cycle qu’en période de minimum. Ces 3 à 4 prochaines années vont donc être riches en phénomènes magnétiques éruptifs solaires. Cela constitue une superbe opportunité pour mieux comprendre les mécanismes physiques à leur origine, car cette montée de cycle est concomitante avec la présence de nombreux satellites actuellement en orbite autour de notre étoile, notamment Solar Orbiter et sa suite de 10 instruments.

5. Aurores boréales du 4 novembre suite à l’arrivée de la CME cannibale. On remarque les gros piliers du vert au rouge/rosé/mauve pour ces aurores particulièrement intenses. Les molécules d’oxygène présentes dans l’atmosphère sont la principale source d’émission de ces couleurs magnifiques selon l’altitude entre 100 et 400 km où elles sont excitées (l’azote, l’hydrogène et l’hélium contribuent aussi). Copyright: R. Pond.
Par Allan Sacha Brun & Barbara Perri
Notes
- Rappelons que notre étoile a son activité magnétique modulée d’un cycle de quasi 11 ans, et que la numérotation des cycles a commencé en 1755. Pour plus de détails, voir par exemple l’actualité sur le début du cycle 25 page 18 du volume 134 de l’Astronomie de novembre 2020.
Lexique
Les éruptions solaires sont classées selon une échelle d’intensité dans une gamme de rayons X intégrée entre 0,1 et 0,8 nm. On les nomme A pour les moins fortes jusqu’à X pour les plus intenses en passant par B, C et M pour les échelles intermédiaires. Le chiffre qui suit la lettre indique un niveau d’intensité au sein de la classe : ainsi, une éruption de classe M2 est deux fois plus intense qu’une M1. Sur la figure 2 l’échelle est indiquée sur la droite des axes. L’indice Kp (Kp index ou Planetary K-index) permet de déterminer la probabilité de voir les aurores boréales (ou australes). Cet indice indique la gravité des perturbations magnétiques dans l’environnement spatial proche de la Terre, car il caractérise l’activité globale des orages géomagnétiques, variations de la magnétosphère terrestre liées à l’activité solaire. En phase d’activité géomagnétique quasi nulle, le Kp vaut 0 et l’ovale auroral est très confiné aux pôles et, au maximum d’activité (9), il s’étend à très basses latitudes. https://www.spaceweatherlive.com/en/archive/2021/11/01/kp.html
par Sylvain Bouley | Avr 14, 2022 | Zoom Sur
Les sursauts radio rapides ont été découverts au début des années 2010. Ils ont des propriétés auxquelles personne ne s’attendait. Très vite, des explications ont été proposées. Fabrice Mottez est l’auteur de l’une de ces explications et nous raconte dans cet article l’origine de cette proposition.
Il y a quelques années, un train dans lequel je voyageais s’arrêta sur la voie. À l’époque, la SNCF n’informait pas ses voyageurs de la nature des incidents concernant leur voyage. Dans les haut-parleurs de la voiture, une voix nous demanda simplement de ne pas descendre sur les voies. Alors, tranquillement, des voyageurs firent part de leur interprétation du phénomène. Dehors, rien ne paraissait anormal ; nous n’avions aucune information et toutes les explications données étaient plausibles compte tenu du peu d’informations dont nous disposions. Avez-vous constaté ce phénomène : moins les gens en savent, plus ils ont d’explications à proposer ? Voici le récit d’une recherche de nature théorique, commencée vers 2012, à propos d’un phénomène observé pour la première fois en 2006 et qu’on appellerait bientôt « sursaut radio rapide » (FRB pour fast radio burst en anglais).

Fig 1. Spectre du FRB011025 (obtenu le 25 octobre 2010) avec le radiotélescope de Parkes, en Australie. L’axe horizontal représente le temps exprimé en millisecondes. L’axe vertical représente les fréquences exprimées en mégahertz. Le signal apparaît en noir, il se détache clairement du bruit de fond. Le fait que le signal aux basses fréquences arrive en retard par rapport aux hautes fréquences est un effet de propagation lié aux électrons rencontrés par l’onde entre la source et les observateurs. La durée du signal à une fréquence donnée est de l’ordre de 1 à 10 millisecondes. (Sarah Burke-Spolaor & Keith Bannister, The Astrophysical Journal 792 :19, 2014)
Les FRB sont des signaux radio qui durent quelques millisecondes seulement (leur brièveté explique leur découverte tardive), mais les études statistiques montrent qu’il y aurait plusieurs milliers d’événements de ce type chaque jour dans notre ciel. Le fait étonnant, qui a intéressé les théoriciens comme moi, est l’éloignement de ces émetteurs radio, à des milliards d’années-lumière de nous. De plus, pour expliquer la brièveté du phénomène, il faut que sa source soit petite, de l’ordre de la centaine de kilomètres, voire moins. Pour qu’on en capte le signal d’aussi loin, il faut a priori un événement extrêmement énergétique. Ces deux observations semblent relier le phénomène aux étoiles à neutrons, qui sont à la fois des astres très petits, très énergétiques et capables d’émettre des ondes radio, bien que l’intensité généralement observée de ces dernières soit plus faible de plusieurs ordres de grandeur que celle des FRB.
En 2012, une dizaine d’événements avaient été observés. À cette époque, les théoriciens dont j’étais disposaient d’assez peu d’informations. Cela nous permettait d’avancer une grande quantité d’explications possibles : une explosion d’étoile à neutrons, ou sa transformation en trou noir sous l’effet d’une étoile voisine lui fournissant un flux continu de matière, ou bien la fusion de deux étoiles à neutrons, ou encore la chute d’une étoile dans un trou noir ou autre chose de ce genre. Ces événements très violents émettent en principe beaucoup de rayons X et gamma, que nous aurions dû capter. Or, on ne capte ni de rayons X ni de gamma lors des FRB. En outre, on ne s’attend pas à ce que des événements par nature uniques dans l’existence d’une étoile soient fréquents au point d’être observables des milliers de fois par jour. Le phénomène sur lequel nous nous penchions était qualifié de mystérieux et personne ne l’avait envisagé. Pourtant, une fois observé, il y eut plus de théories proposées que d’événements répertoriés ! Ainsi, dire qu’un phénomène est mystérieux ne signifie pas forcément que l’on n’a pas d’explication à avancer.
Avec deux collègues émérites (c’est-à-dire à la retraite mais continuant à faire de la recherche), Jean Heyvaerts et Silvano Bonazzola, nous étudions dans les années 2010 un sujet totalement « hors mode », a priori sans lien avec les FRB : des astéroïdes autour d’une étoile à neutrons. Personne en dehors de nous ne s’intéressait à ce phénomène, car personne ne pensait qu’il serait observable.
Le contexte général de nos recherches était l’environnement des étoiles à neutrons. C’est seulement en 1968 que fut confirmée l’existence des étoiles à neutrons grâce aux observations des radioastronomes, bien que trois physiciens géniaux aient décrit leur structure dès 1939. De nos jours, nous n’avons plus aucun doute sur le fait que les étoiles à neutrons existent. Nous en observons environ deux mille, généralement sous la forme d’émissions radio ou de hautes énergies pulsées à la fréquence de rotation de l’étoile sur elle-même. Nous appelons ces phénomènes répétitifs des pulsars. Les pulsars sont donc les catégories d’étoiles à neutrons les plus faciles à observer, bien que les étoiles à neutrons ne soient pas toutes associées à un pulsar.
Une étoile à neutrons est un astre très compact (une boule de 25 km de diamètre), ayant une ou deux fois la masse du Soleil. Cela représente la masse d’un Soleil et demi contenue dans une boule un peu plus petite que l’agglomération parisienne. Les étoiles à neutrons (du moins celles observées en tant que pulsars) tournent très vite sur elles-mêmes (le pulsar le plus rapide a une période de 1,6 milliseconde, les plus lents, un peu plus d’une seconde, contre 27 jours pour le Soleil), avec des champs magnétiques ultra-intenses, de l’ordre de 108 teslas. Et les champs magnétiques sont de très bons « ingrédients » pour fabriquer des ondes radio, lesquelles sont observables depuis la Terre. Et les champs magnétiques sont aussi ma spécialité.
Il doit y avoir environ un milliard d’étoiles à neutrons dans notre Galaxie. Il faut qu’elles soient disposées par rapport à nous selon des angles particuliers pour que nous puissions observer leur rayonnement, c’est-à-dire pour qu’elles apparaissent comme des pulsars ; c’est pour cela que nous n’en voyons que deux mille, tandis que nous estimons leur nombre à un milliard.
Certaines étoiles à neutrons ont un champ magnétique mille fois plus intense que ceux des pulsars et tournent un peu moins vite sur elles-mêmes (une rotation en une à dix secondes). On les appelle des magnétars.
Nous n’avons aucune preuve expérimentale que de telles étoiles puissent être environnées d’astéroïdes. Simplement, un article de radioastronomes publié vers 2008 montrait que des fluctuations de la période avec laquelle nous recevons les signaux d’un pulsar particulier, PSR J1937+21, pourraient être dues à la présence d’astéroïdes. Contrairement aux astéroïdes, nous avions des preuves que des planètes de pulsars existent. Ce furent même les premières exoplanètes découvertes, en 1992 : quatre planètes autour du pulsar PSR B1957+12, bien avant la fameuse planète 51 Peg b orbitant autour d’une étoile de la séquence principale. Une poignée de pulsars sont maintenant connus pour héberger des planètes.

2. Vue d’artiste d’une planète orbitant autour d’un pulsar. (Mark A. Garlick; Dunlap Institute for Astronomy & Astrophysics, University of Toronto)
Vers 2009, je faisais des calculs pour interpréter quelque chose qui n’avait rien à voir avec les FRB, dont j’ignorais alors l’existence. Je voulais comprendre le comportement particulier d’un pulsar nommé PSR 1931+24. Celui-ci est parfois actif (en émettant des ondes radio) et parfois inactif (inobservable). Il alternait les phases d’activité et d’inactivité de manière quasi périodique en une trentaine de jours. Cette périodicité et d’autres propriétés suggéraient que les variations d’activité du pulsar pouvaient être causées par son interaction avec une planète.
Les étoiles à neutrons émettent un vent d’électrons et de positrons. Les positrons sont des anti-électrons, des particules prédites en 1931 par le physicien Paul Dirac, puis détectées expérimentalement en 1932 par un autre physicien, Carl David Anderson. Le positron est de même masse que l’électron, mais de charge électrique opposée à celle de l’électron, c’est-à-dire positive. La notion d’antimatière a un je-ne-sais-quoi de fascinant qui a beaucoup inspiré les scientifiques et les auteurs de science-fiction. Certains imaginaient dans les années 1950-1960 des galaxies d’antimatière côtoyant dans l’Univers des galaxies de matière comme la nôtre. Des recherches menées dans les années 1970 ont montré qu’en fait, la matière est relativement rare dans l’Univers (elle ne constitue que 20% de sa masse, ou son équivalent en énergie), mais l’antimatière, elle, est presque complètement inexistante. Cependant, dans un pulsar, il arrive que des photons de très haute énergie constituant des rayons gamma se désintègrent en interagissant avec d’autres photons ou avec un champ magnétique, en produisant un électron et son antiparticule, un positron. Les paires d’électron-positron ainsi créées dans les pulsars sont assez nombreuses et énergétiques pour alimenter un vent se propageant depuis l’étoile vers l’espace. Ce vent est peu dense mais extrêmement rapide : il progresse quasiment à la vitesse de la lumière. Comme la théorie de la relativité d’Einstein s’applique pleinement dans ce cas, on dit que ce vent est ultra-relativiste. (Autrement dit, en faisant des calculs de mécanique classique – donc approchés par rapport à la réalité –, on n’obtiendrait avec le vent d’un pulsar des résultats complètement faux.)

Fig. 3. Dans la plupart des expériences menées sur notre belle planète dans des accélérateurs de particules, des paires électron-positron peuvent être créées lorsqu’un photon de rayonnement gamma interagit avec le champ électrique d’un atome rencontré sur son passage. C’est ce qui est illustré sur cette figure. Pour transformer un photon en une telle paire de particules, il est nécessaire que l’énergie initiale du photon gamma dépasse l’énergie de masse de l’électron plus celle du positron. C’est pour cela que seuls des photons gamma permettent cette réaction, les autres (X, visible, etc.) n’ont pas assez d’énergie. Dans une magnétosphère de pulsar, il y a peu d’atomes, mais beaucoup de photons dans la gamme des rayons X. Les paires électron-positron sont alors créées par interaction entre un photon gamma et un photon X. (DR)
Se trouver face à ce genre de phénomène a quelque chose de déroutant, et l’idée même n’en vient pas spontanément. Pour se faire une place dans ce monde de théories, il n’y a pas de routine possible. Il faut chercher à être à la fois créatifs et rigoureux. L’équilibre n’est pas aisé, et pour distinguer ce qui est possible de ce qui ne l’est pas, on rencontre souvent de sérieuses difficultés de calcul.
En 2012, j’avais calculé que, dans un vent ultra-relativiste, des astéroïdes ou des planètes d’étoiles à neutrons pouvaient émettre des ondes radio dans un faisceau extrêmement fin (bien plus fin que celui d’un laser) et avec une densité d’énergie très élevée. Si la Terre passait dans un tel faisceau, on capterait un signal radio même si la source était à des millions d’années-lumière (on a mieux calculé depuis qu’elle était même à des milliards d’années-lumière), c’est-à-dire dans des galaxies extrêmement éloignées.
Voici comment est élaboré ce modèle : imaginez un gros caillou conducteur d’électricité (les roches le sont toutes un peu), immergé dans ce vent ultra-rapide et accompagné d’un champ magnétique. Il se forme à l’arrière de ce caillou un sillage analogue à celui que laisse derrière lui un bateau, quasi stationnaire dans le référentiel du navire. S’agissant d’un astre dans un vent magnétisé d’électrons et de positrons, les ondes stationnaires sont des ondes de perturbation du champ magnétique, que l’on appelle des ondes d’Alfvén (voir l’éclairage du numéro de janvier 2022), et ces ondes stationnaires attachées à la planète ou à l’astéroïde sont appelées des ailes d’Alfvén.
Les ailes d’Alfvén sont bien expliquées, notamment celles du satellite Io, qui se déplace dans la magnétosphère de Jupiter. Je les avais étudiées avec un collègue radioastronome, Philippe Zarka, et un étudiant que nous encadrions alors, Sébastien Hess. Mais l’environnement de Jupiter n’est pas ultra-relativiste. En 2011, nous avions montré avec Jean Heyvaerts que les ondes d’Alfvén apparaissent dans un vent ultra-relativiste d’électrons et de positrons, dont nous avions calculé les propriétés. Nous avions aussi montré qu’une interaction entre une planète immergée dans le vent émis par le pulsar PSR 1931+24 (donc très proche de l’étoile à neutrons) pouvait expliquer l’intermittence quasi périodique de ce vent.
Le défaut de notre modèle, à ce stade de développement, était de n’indiquer aucune forme de rayonnement que pourraient capter les télescopes ou les radiotélescopes des astronomes. Or, une théorie n’impliquant pas de phénomènes observables n’intéresse en général pas grand monde. De plus, le fait que PSR 1931+24 puisse s’allumer et s’éteindre régulièrement était une preuve insuffisante de la pertinence du modèle développé par Jean Heyvaerts et moi. Jean décéda subitement en 2013. Vers 2014, j’essayais de calculer quel genre d’ondes radio pourrait engendrer un astre orbitant dans le vent ultrarelativiste d’un pulsar.
Mes calculs montrèrent que le faisceau d’ondes radio émis par le vent au moment où il traverse l’aile d’Alfvén de la planète ou du satellite se trouve focalisé vers l’avant (donc dans la direction opposée à l’étoile). Toute l’énergie était concentrée dans un cône dont l’angle au sommet est de l’ordre de 1/10 000 de degré. Ce faisceau, avec une forte densité de rayonnement encore mieux focalisée qu’un faisceau laser, avait donc tout ce qu’il fallait pour être vu de très loin (puisque la densité de rayonnement est forte), mais seulement très brièvement (au moment précis où la ligne de visée de l’observateur croise ce faisceau). J’étais un peu déçu, car je pensais qu’il faudrait une chance incroyable pour observer un tel phénomène. Quant à PSR 1931+24, sa planète n’avait pas la bonne orientation par rapport à nous pour nous permettre d’observer une telle émission.
Je racontai cela à mon ami Philippe, le radioastronome, lors d’un repas à la cantine de l’Observatoire, en 2013. Je lui dis que je croyais ces signaux inobservables. C’est là qu’il me parla des FRB. Ou plutôt du seul FRB observé à l’époque, qu’on appelait le « signal de Lorimer », un signal ultra-énergétique qu’un radioastronome australien appelé Duncan Lorimer avait découvert en 2010 en ré-épluchant les archives d’un radiotélescope australien (il réanalysait le signal brut avec de nouvelles techniques). Ce que je racontais à Philippe correspondait exactement à ce que Lorimer avait observé. C’était en 2013. À cette époque, Lorimer s’était laissé convaincre que son signal n’était pas un artefact, et il embauchait une thésarde nommée Emily Petroff. Petroff et Lorimer découvrirent et caractérisèrent vers 2012-2013 d’autres signaux de ce genre, puis des signaux analogues furent observés avec d’autres radiotélescopes. C’est à ce moment-là que le terme FRB fut inventé. Philippe et moi nous sommes mis au travail ensemble et, en 2014, nous avons publié un article montrant que des planètes (nous ne pensions pas encore à des astéroïdes) autour d’un pulsar pouvaient expliquer les FRB. On connaissait une dizaine de FRB en 2014, on dépasse le millier actuellement.
Nous présentions le seul modèle prédisant que les FRB pourraient se répéter périodiquement : du fait que les planètes tournent régulièrement, à chaque passage, on a une chance de capter un FRB. Tous les autres modèles de FRB associés à des sources très éloignées prévoyaient des phénomènes catastrophiques extrêmement énergétiques, mais uniques. Dans les mêmes années, des radioastronomes prouvèrent que les FRB se produisent réellement à des milliards d’années-lumière de nous. Notre modèle était donc le seul à prévoir la production d’un FRB par une source située à la bonne distance, ainsi que sa répétition périodique.

Fig. 4. Schéma illustrant le sillage d’un astéroïde dans le vent d’un pulsar ou d’un magnétar et l’emplacement des sources d’émission radio perçues depuis la Terre sous la forme de FRB. L’étoile à neutrons est à gauche (hors image) et le vent issu de la magnétosphère de cette étoile (flèche rouge) se déplace vers la droite. L’astéroïde possède un sillage électromagnétique nommé aile d’Alfvén, parcouru par un courant électrique intense (flèches bleues). L’interaction du vent du pulsar avec ce courant, qui a lieu dans l’aile, hors de l’ombre de l’astéroïde (zone en jaune), crée des émissions d’ondes radio. Dans le repère de l’astéroïde (ou celui de la Terre), celles-ci sont émises dans un faisceau étroit (figuré en vert). En réalité, l’angle formé par l’aile avec la direction du vent, ainsi que l’ouverture de l’angle au sommet du cône sont beaucoup plus faibles que sur cette image. Ces émissions radio sont très puissantes dans la direction du cône et nulles dans les autres directions. Quand ce cône croise brièvement les radiotélescopes terrestres, à des milliards d’années-lumière de distance, le signal correspond à un FRB. (F. Mottez)
Quelques mois plus tard, des radioastronomes d’Arecibo découvrirent un FRB se répétant. Il fut baptisé FRB121102, car il avait été enregistré la première fois le 2 novembre 2012 (et identifié ultérieurement). Quelle joie pour nous ! Mais les répétitions étaient irrégulières, et donc notre modèle ne collait pas parfaitement. Alors, avec Philippe et l’un de mes anciens étudiants, Guillaume Voisin, nous avons repensé à des astéroïdes. Il nous semblait que ceux-ci, par leur nombre et leurs positions variées autour de l’étoile, feraient disparaître le caractère périodique associé à une seule planète. Nous nous disions qu’en jouant un peu avec les paramètres, nous devrions y arriver.
Avec une collègue de l’Institut d’astrophysique de Paris, Kumiko Kotera, nous avons étudié le chauffage des astéroïdes. S’ils sont trop proches d’une étoile à neutrons, dont la température de surface est d’un million de degrés et qui émettent des ondes radio de très grande énergie, il faut s’attendre à ce que les astéroïdes s’évaporent, et donc… qu’il n’y en ait plus. Alors, exit notre modèle. L’onde électromagnétique qui chauffe des astres autour des pulsars est une onde émise à la fréquence de rotation du pulsar sur lui-même et qui se propage à la vitesse de la lumière. Comme une étoile à neutrons fait typiquement de 1 à 1 000 tours par seconde, c’est une onde de fréquence entre 1 Hz et 1 000 Hz, dont la longueur se mesure en centaines de kilomètres. Or, j’avais observé que, dans un four à micro-ondes (qui chauffe un peu à la manière de cette onde d’étoile à neutrons), on peut faire bouillir un bol rempli d’eau, mais que les gouttes tombées à côté du bol restent tièdes et ne s’évaporent pas. Avec Kumiko, nous avons expliqué cette observation par une théorie physique bien connue (la théorie de Mie), que nous avons appliquée aux astéroïdes de pulsar : pour qu’un corps absorbe l’énergie d’une onde (telle celle émise par un pulsar) et soit chauffé par elle, il faut que les dimensions de ce corps soient comparables ou plus grandes que la longueur de cette onde. Nous avons montré que les astéroïdes baignés dans les ondes des pulsars sont comme les gouttes d’eau dans un four à micro-ondes : ils sont assez petits pour ne pas être suffisamment chauffés et demeurent donc dans leur état solide de gros caillou.
Ensuite, j’ai préféré attendre que les données d’observation s’accumulent avant de me remettre au travail sur ce sujet. En fait, je ne croyais plus à ce modèle, pour certaines raisons techniques, liées notamment à la durée du phénomène, que je pensais plus variable que celle des FRB observés. Mais Philippe insistait pour s’y remettre. En 2020, je me suis laissé convaincre. Philippe, Guillaume et moi avons conçu un autre modèle montrant que des astéroïdes d’étoile à neutrons peuvent causer des FRB. En gros, notre nouveau modèle tenait bon, alors que des dizaines d’autres devenaient caduques au vu de récentes observations.

5. A l’issue d’une enquête difficile, il a été possible de localiser le FRB121102, le premier identifié comme ayant des sursauts se répétant aléatoirement. Il est situé dans une galaxie naine dénuée de caractéristiques remarquables, dont la distance est de l’ordre de 3 milliards d’années-lumière. (Gemini Observatory/AURA/NSF/NR)
Durant cette période 2018-2020, des observateurs découvraient un autre FRB répéteur (on en connaît actuellement plus d’une vingtaine). Celui-ci est périodique, mais statistiquement seulement : des sursauts se produisent aléatoirement, mais seulement lors d’intervalles de temps de quelques jours se répétant tous les 16 jours. Guillaume eut une idée judicieuse pour interpréter ce comportement : il serait dû à la présence de deux familles particulières d’astéroïdes, les troyens et les hildas, également observés dans l’environnement de Jupiter. Nos « ingrédients » étaient donc un pulsar (pas suffisamment bien orienté pour être observé, comme c’est le cas le plus fréquent), entouré d’une grosse planète (qu’on ne voit pas) et d’astéroïdes troyens et hildas liés à cette planète et à l’étoile à neutrons.
De nos jours, notre théorie n’est toujours pas dans le mainstream, ce n’est pas celle que les collègues citent le plus souvent. Cependant, elle reste en lice. Deux familles de modèles, avec de multiples variantes, sont plus populaires (à lire dans le prochain numéro de l’Astronomie), et une poignée d’autres avec un statut semblable à la nôtre.
Une autre théorie est souvent assimilée à la nôtre, car elle implique aussi une étoile à neutrons et des astéroïdes. Elle a été développée notamment par Bing Zang, de l’université du Nevada (É.-U.). Contrairement à la nôtre, qui laisse les astéroïdes en orbite autour d’une étoile à neutrons, la sienne fait tomber les astéroïdes directement sur l’étoile.
Les théories actuelles expliquent beaucoup de choses, mais pas tout. Elles progressent petit à petit, au fil des observations et des idées nouvelles. On peut espérer qu’il y aura finalement un consensus. Pour le moment, les chercheurs ne sont pas tous prêts à admettre qu’une seule et même théorie puisse expliquer l’ensemble des FRB. Il pourrait en effet exister plusieurs sortes de FRB, avec des causes différentes.
Que notre théorie soit bonne ou mauvaise, qu’elle survive ou non aux futures observations, nous aurons fait notre travail de chercheurs scientifiques, car la science avance ainsi, avec des essais, des échecs et des succès. Une théorie ne peut être acceptée seulement parce qu’elle fonctionne. Il faut aussi vérifier s’il n’y en a pas d’autres possibles. Et pour en être sûr, il faut toutes les essayer.
Fabrice MOTTEZ | CNRS, Observatoire de Paris
par Sylvain Bouley | Jan 13, 2022 | Zoom Sur
Parmi les quatre planètes telluriques, seules Vénus, la Terre et Mars sont dotées d’une atmosphère. Dans le cas de Mercure, la planète la plus petite et la plus proche du Soleil, le champ de gravité est trop faible et la température du côté jour trop élevée pour que la planète puisse conserver une atmosphère stable. Si l’on observe les atmosphères des trois autres planètes terrestres, on ne peut qu’être frappé par l’extrême diversité de leurs conditions de surface.

En effet, sur Vénus, la pression est presque cent fois la valeur terrestre, tandis que sur Mars, elle est inférieure au centième de bar ; quant à la température, elle frise les 460 °C sur Vénus et est en moyenne de –50 °C sur Mars, avec de fortes variations saisonnières. En revanche, la composition atmosphérique des deux planètes présente une forte similarité : dans les deux cas, elle est largement dominée par le dioxyde de carbone CO2 , avec quelques pour cent d’azote moléculaire N2. En dehors de l’argon, également présent sur Vénus au même niveau que N2, les autres éléments, en particulier CO et H2O, sont présents à l’état de traces, avec un rapport de mélange inférieur au pour cent. Quant à la Terre, avec une pression moyenne de 1 bar et une température moyenne de 15 °C en surface, elle occupe une position intermédiaire, comme on peut s’y attendre du fait de sa distance héliocentrique, entre ces deux extrêmes que représentent Vénus et Mars. Cependant, sa composition atmosphérique, constituée d’environ quatre cinquièmes d’oxygène moléculaire et d’un cinquième d’azote, est radicalement différente de celle de ses deux voisines. Comment ces trois planètes, a priori formées dans le même environnement, ont-elles pu évoluer de manière si divergente ? C’est l’une des grandes questions de la planétologie.

1. Vénus, la Terre et Mars. Les dimensions relatives des trois planètes sont respectées. (Nasa)
Tour d’horizon des trois atmosphères : similarités et différences
Commençons par une brève description des propriétés orbitales et physiques des trois planètes (tableau 1). Situées respectivement à 0,7 et 1 UA du Soleil, Vénus et la Terre ont des propriétés globales (taille, densité) très voisines, tandis que Mars, plus éloignée, à 1,5 UA du Soleil, est aussi nettement plus petite : sa masse est le dixième de celle de la Terre. La Terre et Mars ont en commun une obliquité proche de 24° et une période de rotation proche de 24 heures. Vénus, en revanche, avec une obliquité de 177° et une période de rotation de 243 jours, présente une rotation rétrograde extrêmement lente.
Observées au télescope, les trois planètes présentent un aspect très différent. La surface de Vénus est en permanence cachée par une épaisse couche de nuages ; les observations spectroscopiques ont montré qu’il s’agit de gouttelettes d’acide sulfurique, dont la présence résulte de la photodissociation du dioxyde de soufre suivie de la combinaison avec la vapeur d’eau. La basse atmosphère de Vénus est vraiment très inhospitalière ! D’ailleurs, les nombreuses sondes spatiales, pour la plupart envoyées par l’Union soviétique, n’ont jamais résisté au-delà d’une heure ; cela a été néanmoins suffisant pour envoyer vers la Terre des images de la surface, dévoilant un environnement volcanique. Les images de la planète Mars envoyées en 1972 par la sonde américaine Mariner 9 nous ont fait découvrir une surface désertique, formée de plaines au nord et de plateaux plus élevés au sud, qui porte la marque d’une intense activité tectonique et volcanique passée, avec en particulier les volcans de Tharsis et l’immense canyon Valles Marineris. Des calottes de glace carbonique se forment alternativement aux pôles en hiver : dans l’atmosphère très raréfiée de Mars, le dioxyde de carbone condense en hiver, provoquant des fluctuations allant jusqu’à 30 % de la pression totale au sol. Enfin, la Terre, avec ses océans et ses continents, est la « planète bleue » ; elle est en permanence recouverte de nuages blancs de vapeur d’eau sur une large fraction de sa surface globale.
La surface de Mars nous a été révélée grâce à la mission Viking. Lancée en 1975 par la Nasa, elle était constituée de deux orbiteurs et de modules de descente, en opération pendant plusieurs années. Elle a fourni ainsi une mine d’informations sur l’atmosphère et la surface de la planète. Celle-ci (fig. 2) présente une similarité frappante avec certains déserts terrestres ; elle est constituée de silicates et d’oxydes de fer qui donnent à la planète sa couleur rouge. Dans le cas de Vénus, c’est la mission Magellan, lancée également par la Nasa en 1989, qui a permis de cartographier sa surface au moyen d’un radar en orbite autour de la planète. La surface de Vénus est apparue uniformément recouverte de volcans (fig. 3) ; le faible nombre de cratères d’impact indique que leur âge n’excède pas quelques centaines de millions d’années ; c’est la signature d’un épisode volcanique global intervenu à cette époque.

2. Le sol de Mars observé depuis le site de l’atterrisseur Viking 1.

3. Le sol de Vénus, cartographié par imagerie radar par l’orbiteur Magellan. On voit ici Maats Mons, l’un des volcans les plus élevés de Vénus. (NASA)
On sait peu de chose de la structure interne de Vénus et de Mars ; dans le cas de cette dernière, les mesures de la sonde américaine InSight, en opération sur le sol martien depuis février 2019, devraient nous fournir de nouvelles informations dans les années qui viennent. En revanche, la structure interne de la Terre nous est bien connue, en particulier par l’étude des ondes sismiques qui s’est développée dans le courant du xxe siècle. Nous savons que la structure interne de la Terre se caractérise par la présence d’un noyau métallique, solide au centre et liquide dans ses couches externes, surmonté d’un manteau silicaté, avec différentes zones de transition correspondant à des changements de phase. Cette structure est le produit de la séquence de condensation des éléments chimiques, dont l’abondance reflète l’abondance du disque protosolaire (c’est-à-dire celle des éléments dans le Soleil), soumis à un lent refroidissement au sein du disque. On peut donc s’attendre à ce que la structure interne des planètes Vénus et Mars, formées dans un environnement proche de celui de la Terre, soit comparable dans ses grandes lignes.
Sur la Terre, un autre phénomène intervient : la tectonique des plaques, découverte par Alfred Wegener en 1915 et réfutée en son temps, universellement reconnue depuis les années 1960. Ce phénomène, dû à la convection du manteau supérieur terrestre, se traduit par un mouvement d’émergence (le long des dorsales océaniques) des matériaux issus du manteau, accompagné d’un mouvement de subduction d’une quantité équivalente de matériaux sous la croûte continentale. Ce phénomène est sans doute rendu possible par la présence des océans, la présence d’eau favorisant la convection au sein du manteau supérieur. Dans le cas de Vénus et de Mars, très pauvres en vapeur d’eau et dépourvues d’océans liquides, il n’y a pas de tectonique des plaques. Cependant, Mars garde la trace d’une activité tectonique importante dans le passé, avec l’émergence du plateau de Tharsis et l’immense canyon Valles Marineris.
En résumé, il apparaît que les trois planètes terrestres, malgré les disparités observées dans la nature de leur atmosphère, présentent bien, dans leur composition interne et leur surface, les similitudes que l’on peut attendre de trois planètes formées dans un environnement commun. Dès lors, comment expliquer l’évolution divergente de leurs atmosphères ? Pour la comprendre, il nous faut revenir aux mécanismes de formation des planètes, telluriques et géantes, dans le Système solaire.

Une formation au sein d’un disque
Nous savons aujourd’hui que les étoiles se forment généralement à la suite de l’effondrement en un disque d’une masse de gaz interstellaire en rotation sur elle-même ; c’est au sein de ce disque que se forment les planètes. Dès le XVIIe siècle, Emmanuel Kant puis Pierre-Simon de Laplace proposent ce scénario pour l’origine du Système solaire, sur la base de l’observation des orbites planétaires, toutes concentriques autour du Soleil et presque coplanaires. Dans ce scénario, la formation de deux classes de planètes, telluriques et géantes, peut s’expliquer assez simplement, si l’on considère que les planètes se forment par agglomération de particules solides au sein du disque protosolaire (fig. 4).
À proximité du Soleil (à une distance du Soleil inférieure à environ 3 UA), les seules particules solides sont des matériaux réfractaires, essentiellement des silicates et des oxydes métalliques ; ils proviennent d’éléments relativement lourds (Si, Mg, Fe…) et sont relativement peu abondants : en effet, la fusion des éléments lourds synthétisés dans les étoiles nécessite une grande énergie, et leur abondance cosmique tend à diminuer à mesure que leur masse atomique augmente. Les objets ainsi formés sont donc des objets relativement petits et denses : ce sont les planètes telluriques.
En revanche, à plus grande distance du Soleil (au-delà de 3 UA environ), la température au sein du disque protosolaire est suffisamment basse pour que la plupart des molécules simples formées avec les éléments les plus abondants (H2O, CH4, NH3, CO2…) soient sous forme de glace (alors que dans le cas précédent, ces molécules étaient à l’état de vapeur). La matière solide disponible est alors suffisante pour former de gros noyaux de glace dont la masse peut atteindre 10 à 15 masses terrestres. À ce stade, le champ de gravité de ces noyaux devient suffisant pour capturer la matière protosolaire environnante, principalement constituée d’hydrogène et d’hélium : les planètes géantes sont nées.
Revenons aux planètes telluriques. Leur champ de gravité est insuffisant pour conserver les éléments les plus légers (et les plus abondants) que sont l’hydrogène et l’hélium. En revanche (à l’exception de Mercure), elles peuvent conserver des molécules gazeuses plus lourdes, comme l’eau, le dioxyde de carbone, l’azote ou l’oxygène moléculaires. L’atmosphère des planètes telluriques a vraisemblablement deux origines : d’une part, elle provient du dégazage progressif du globe, après la phase de formation de la planète ; d’autre part, elle résulte du bombardement météoritique subi par la planète tout au long de son histoire. En particulier, des petits corps riches en eau, provenant de l’extérieur du Système solaire, sont sans doute à l’origine de l’eau des océans terrestres ; des impacts similaires ont dû affecter Vénus et Mars.
Quelle pouvait être la composition atmosphérique des planètes telluriques juste après leur formation ? D’après les modèles d’équilibre thermochimique, les atmosphères primitives ont dû être riches en dioxyde de carbone, en vapeur d’eau et en azote moléculaire ; en revanche, le méthane CH4 et l’ammoniac NH3 sont attendus (et effectivement présents) dans les planètes géantes. En effet, CO2 et N2 sont bien présents sur Vénus et Mars, le rapport N2/CO2 étant presque le même (quelques pour cent) sur les deux planètes. Une question se pose immédiatement : pourquoi les atmosphères de Vénus et Mars sont-elles dépourvues d’eau ?

Vénus et mars : à l’origine, beaucoup d’eau
Si l’eau a quasiment disparu aujourd’hui de l’atmosphère de Vénus et de Mars, cela n’a pas toujours été le cas. Nous le savons grâce à la présence d’une molécule, l’eau lourde (dite aussi monodeutérée) HDO, détectée par spectroscopie dans les deux planètes. HDO est une molécule d’eau H2O dans laquelle un atome d’hydrogène a été remplacé par son isotope, le deutérium. Celui-ci est un atome d’hydrogène (donc un électron et un proton) auquel s’est ajouté un neutron ; il a les mêmes propriétés chimiques que l’hydrogène, mais est deux fois plus lourd. Or, les mesures spectroscopiques du rapport d’abondance D/H (dérivé du rapport HDO/H2O) réalisées sur Mars en 1988 et Vénus en 1990 ont mis en évidence un enrichissement par rapport à la valeur terrestre d’un facteur 6 sur Mars et 120 sur Vénus ! Dans les deux cas, l’interprétation est la même : l’eau a été présente en abondance sur les deux planètes à l’origine, mais elle s’est échappée massivement au cours de leur histoire, suite à la dissociation des molécules H2O et HDO par le rayonnement ultraviolet solaire ; dans ce processus, le deutérium, deux fois plus lourd que l’hydrogène, s’est échappé moins facilement, ce qui a conduit à un enrichissement progressif du rapport D/H. L’enrichissement très élevé de Vénus est dû au fait que son atmosphère est très dense.
Dans le cas de Mars, il existe, en plus du rapport D/H, tout un faisceau d’indices témoignant de la présence d’eau – et même d’eau liquide – dans le passé de la planète. Le premier indice vient des images du sol prises par Mariner 9 et Viking, montrant des réseaux de vallées ramifiées desséchées (fig. 5) dans les terrains les plus anciens (de plus de 3,7 Ga), ainsi que des « vallées de débâcle » suggérant des inondations brutales dans un passé plus récent (entre 3 et 3,7 Ga). En 1998, la sonde Mars Global Surveyor a mis en évidence, entre les plaines du nord et les plateaux du sud, une ligne d’altitude constante s’étendant sur près de mille kilomètres, qui pourrait être le vestige d’une ligne de rivage, suggérant la présence possible d’un océan boréal il y a quelque 3 Ga (fig. 6). En 2000, la sonde Mars Odyssey a découvert la présence de pergélisol sous les pôles martiens. En 2006, le spectromètre infrarouge OMEGA de la sonde européenne Mars Express a détecté des argiles dans les terrains les plus anciens, suggérant que l’eau liquide a dû y couler en abondance au début de l’histoire de la planète. Enfin, en 2016, le robot Curiosity a mis en évidence dans le cratère Gale un environnement dit « habitable », c’est-à-dire réunissant un certain nombre de critères nécessaires à l’apparition de la vie : présence d’eau liquide, des éléments clés (C, H, N, O, P, S), de fer et de soufre dans différents états d’oxydation, milieu neutre et salinité faible (fig. 7). Cependant, si tout le monde s’accorde aujourd’hui sur la présence passée d’eau liquide sur Mars, les avis divergent quant à son abondance : les estimations de la profondeur du réservoir, moyennée sur le disque, varient entre 100 et 1 000 mètres selon les méthodes utilisées.
Au départ, un soleil moins brillant
Pour comprendre l’évolution des atmosphères planétaires, il faut se rappeler qu’il y a 4,5 milliards d’années, le Soleil était moins brillant qu’aujourd’hui. Selon les modèles d’évolution stellaire, il rayonnait alors 70 % de son flux actuel. Les températures d’équilibre de surface des planètes telluriques (celles que l’on calcule en supposant que tout le flux absorbé par la planète sert à chauffer sa surface) étaient alors plus faibles qu’aujourd’hui. En particulier, la température de surface de Vénus était alors compatible avec la présence d’eau liquide, ce qui signifie que la planète a pu, au début de son histoire, être recouverte d’océans ! Hélas ! nous n’en aurons sans doute jamais la preuve car, nous l’avons vu, la surface de Vénus a été complètement renouvelée par le volcanisme il y a quelques centaines de millions d’années…
Dans le cas de la Terre, le fait que le Soleil jeune soit moins brillant qu’aujourd’hui crée une difficulté. En effet, la température d’équilibre de la Terre aujourd’hui est compatible avec l’eau liquide ; c’est ainsi que l’eau de la Terre a échappé au phénomène d’échappement mentionné pour Vénus et Mars. Mais le rayonnement relativement faible du Soleil à l’origine pose un autre problème : comment la Terre a-t-elle pu échapper au scénario de la « boule de neige globale » ? En effet, la glace d’eau a un fort pouvoir réfléchissant. Plus la température baisse, plus la glace gagne en surface et réfléchit la lumière solaire, donc plus l’énergie solaire reçue diminue, ce qui amplifie la glaciation… Comme nous le verrons plus loin, c’est sans doute le volcanisme et/ou les impacts météoritiques qui ont permis à la Terre de sortir de ce cercle vicieux.
Qu’en est-il de Mars ? La planète présente, vis-à-vis de ses voisines, deux différences majeures : d’une part, elle est beaucoup moins massive ; d’autre part, elle est plus froide. La faible masse de Mars a deux conséquences : (1) son champ de gravité est plus faible, ce qui diminue les impacts météoritiques ; (2) la réserve d’éléments radioactifs présents dans son intérieur est réduite, ce qui limite l’énergie interne dont la planète dispose. Ces deux facteurs expliquent que l’atmosphère de Mars ait été, dès le départ, bien moins épaisse que celle de ses voisines. Selon les modèles d’évolution planétaire, la pression de surface a quand même pu atteindre le dixième de bar au début de l’histoire de la planète. Mais comment expliquer la présence d’eau liquide, compte tenu du faible rayonnement du jeune Soleil ? Les modèles peinent encore aujourd’hui à expliquer ce paradoxe. Comme sur la Terre, il est possible que des épisodes volcaniques violents ou des impacts météoritiques majeurs aient injecté dans l’atmosphère suffisamment de dioxyde de carbone pour réchauffer l’atmosphère. Celle-ci a dû connaître, à un certain stade, un échappement massif (comme en témoigne le rapport D/H élevé de Mars), mais sa cause n’est pas vraiment élucidée.

5. Le réseau de vallées ramifiées Wareggo Valles, observé par la caméra de la sonde Mars Express. (ESA)

6. Le site de Yellowknife Bay, dans le cratère Gale, observé par la sonde Curiosity. Les strates minéralogiques témoignent de la présence d’eau liquide dans le passé. (NASA)

7. Cartographie de l’altimétrie de Mars réalisée avec l’expérience d’altimétrie de la sonde Mars Global Surveyor. On voit la forte asymétrie nord-sud, avec des plaines au nord et des plateaux plus élevés au sud. La ligne de rivage observée se situe au niveau de la ligne de dichotomie (en jaune) qui sépare les deux types de terrains. (NASA)
Une Evolution Divergente
Nous sommes maintenant en mesure de retracer, dans ses grandes lignes, l’histoire de l’atmosphère des trois planètes depuis leur origine.
Vénus : un effet de serre qui s’emballe
Dans le cas de Vénus, l’atmosphère est, dès le départ, très dense et riche en eau et en dioxyde de carbone. Elle est sans doute tempérée, avec peut-être des océans d’eau liquide ; nous ne pouvons pas le savoir, en l’absence de vestiges de cette période. En revanche, nous savons que le flux solaire a progressivement augmenté. Cette augmentation a entraîné la vaporisation de l’eau, puis sa dissociation et son échappement vers l’extérieur. Mais dès le début de son histoire, l’atmosphère de Vénus a dû être soumise à un fort effet de serre, lié à la présence de vapeur d’eau et de dioxyde de carbone, et sa température de surface a augmenté. Cet effet de serre, alimenté par CO2, s’est poursuivi tout au long de l’histoire de la planète, amenant la température de surface jusqu’à sa valeur actuelle. Ajoutons que l’absence de tectonique des plaques a empêché la séquestration du dioxyde de carbone dans le manteau, comme c’est le cas sur la Terre. L’atmosphère actuelle de Vénus est donc le résultat d’un effet de serre galopant.
La Terre, idéalement placée par rapport au soleil
Plus éloignée que Vénus, la Terre, notre planète, a connu au départ une température de surface inférieure à celle de Vénus, ce qui aurait pu entraîner, comme nous l’avons dit plus haut, une phase de glaciation totale. De tels épisodes se sont produits au cours de l’histoire de la planète ; ils ont été heureusement interrompus, sans doute par des phénomènes volcaniques et/ou des impacts météoritiques ; le CO2 libéré dans l’atmosphère a permis son réchauffement par effet de serre. La présence d’océans liquides, datée par les zircons (cristaux de silicates de zirconium), remonte à près de 4 milliards d’années.
À la différence de Vénus, la présence d’eau liquide a fait chuter l’abondance de vapeur d’eau atmosphérique, réduisant drastiquement son rôle dans l’effet de serre. Plus encore, les océans ont permis la séquestration du CO2 sous forme de calcaire CaCO3, grâce à une réaction en deux temps faisant intervenir des silicates présents dans les fonds marins. La quantité de CO2 dans l’atmosphère a alors considérablement diminué. C’est ainsi que la Terre a pu conserver, tout au long de son histoire, une température relativement modérée. Autre conséquence majeure de la présence des océans terrestres : la vie y est apparue, il y au moins 3,7 milliards d’années. Est-elle née par l’intermédiaire de molécules prébiotiques venant de l’espace, ou est-elle apparue au sein des sources hydrothermales ? La question n’est toujours pas tranchée. Mais une chose est sûre : elle a considérablement modifié le climat terrestre. Celui-ci a connu plusieurs épisodes complexes qui ont vu varier la composition atmosphérique, avec l’apparition du méthane il y a 3,7 Ga, la diminution du dioxyde de carbone puis l’apparition de l’oxygène il y a 2,4 Ga. C’est ainsi que l’atmosphère terrestre a acquis sa composition actuelle, riche en N2 et en O2 : ces deux gaz étant très peu actifs du point de vue de l’effet de serre, celui-ci s’est stabilisé au cours du temps. Aujourd’hui, l’effet de serre contribue à une élévation de 30 °C de la température au sol ; dans le cas de Vénus, l’élévation de la température du sol due à l’effet de serre est de plus de 400 °C ! Que sera l’évolution future du climat terrestre ? L’exemple de Vénus illustre que nous avons toutes les raisons d’être inquiets. L’élévation du taux de CO2 atmosphérique lié à l’ère industrielle a entraîné un réchauffement climatique qui va se poursuivre au cours du siècle à venir, compte tenu de la très longue durée de vie du CO2 (plusieurs centaines d’années). Une prise de conscience planétaire du problème est indispensable, avec la mise en place urgente de politiques d’économies d’énergie, de recherche d’énergies renouvelables et de sauvegarde de la biodiversité.
Mars, une planète en voie d’extinction géologique
Quant à la planète Mars, elle semble bien à l’abri de ce destin funeste, en l’absence d’êtres intelligents (?) occupés à exploiter les ressources de son sol… En raison de sa petite taille, sa réserve d’énergie interne est plus réduite que celle de ses voisines. il s’est ensuivi une activité volcanique et tectonique plus limitée dans le temps. Celle-ci a pourtant été intense dans le premier milliard d’années : en témoignent les volcans de Tharsis et le canyon de Valles Marineris. Nous en avons une autre preuve avec la découverte, en 1998, d’un champ magnétique fossile détecté par la sonde Mars Global Surveyor dans les terrains anciens de l’hémisphère Sud. Ce champ magnétique est la preuve de l’existence au sein du globe d’un effet dynamo généré par les éléments radioactifs qu’il contenait. Mars a donc connu une magnétosphère dans le premier milliard d’années de son histoire. Avec l’épuisement des réserves d’énergie interne, la dynamo s’est arrêtée et la magnétosphère a disparu, entraînant peut-être la disparition de l’atmosphère… à moins que celle-ci ne se soit échappée suite à un impact géant. L’effet de serre alimenté par le CO2 a ainsi décru, la température a baissé, entraînant le stockage en sous-sol de l’eau résiduelle, sous forme de glace et de pergélisol.
La vie a-t-elle pu apparaître sur Mars ? Nous n’avons pas aujourd’hui de réponse à cette question. Ce que l’on peut dire, c’est que si elle est apparue, elle n’a pas été en mesure de modifier le climat comme cela a été le cas sur la Terre. En revanche, un autre facteur a influé sur le climat martien au cours de son histoire : c’est l’évolution de son obliquité. Des simulations numériques ont en effet montré que celle-ci avait oscillé entre 0° et 60° dans un passé relativement récent, selon un cycle d’environ 120 000 ans, l’amplitude des variations étant modulée avec une période de 2,4 millions d’années. Or, les conséquences sur le climat sont considérables : à forte obliquité, les pôles reçoivent en moyenne plus d’énergie solaire que l’équateur, et les glaciers migrent vers les basses latitudes ; des vestiges de ces glaciers ont été identifiés sur les images prises par les sondes spatiales. ii se trouve que dans le cas de la Terre, la présence de la Lune a stabilisé l’obliquité de la Terre à une valeur comprise entre 22° et 24°. Sans la présence de la Lune, les variations d’obliquité de la Terre auraient certainement eu de lourdes conséquences sur le climat terrestre… et sans doute aussi sur le développement de la vie.
Thérèse ENCRENAZ – Observatoire de Paris

par Sylvain Bouley | Jan 13, 2022 | Zoom Sur
L’exploration du Système solaire par les missions spatiales, entreprise vers le début des années 1970, a mis en évidence des traces d’activité volcanique, présentes ou passées, à la surface de la plupart des objets visités.

Cette observation peut paraître étonnante: pourquoi le volcanisme est-il si répandu à travers le Système solaire ? Mais à la réflexion, elle n’est pas très surprenante. Lors de leur formation, planètes et satellites ont emmagasiné de l’énergie. Les planètes rocheuses renferment aussi des éléments radioactifs (notamment les isotopes 235 et 238 de l’uranium) qui produisent de l’énergie en se désintégrant et, dans certains cas, les forces de marée sont suffisamment intenses pour dissiper de grandes quantités d’énergie. Toute cette énergie contribue à maintenir les intérieurs planétaires à des températures élevées. Cependant, en vertu du second principe de la thermodynamique, planètes et satellites se doivent de la restituer en surface, où la température est plus faible. En d’autres termes, planètes et satellites se refroidissent. La manifestation de surface de ce refroidissement est… le volcanisme. Passé ce constat, le volcanisme revêt, d’un objet à l’autre, des différences et particularités qui reflètent les propriétés de chacun de ces objets, que ce soit leur composition, les détails de leur histoire et bien sûr leur taille. Ainsi, comme nous allons le voir dans la première partie de cet article, le volcanisme que nous connaissons sur Terre, et qui est basé sur la fusion de roches silicatées, se retrouve avec des différences plus ou moins importantes sur les autres planètes telluriques, de même que sur la Lune. Plus loin, sur Cérès et au-delà de la ceinture d’astéroïdes, les éléments volatils (eau, azote, méthane et bien d’autres) dominent les compositions des corps solides et jouent un rôle clé dans le volcanisme qui anime ces objets.
Des magmas aux éruptions
Pour produire du volcanisme, il faut d’abord générer un magma, c’est-à-dire une roche fondue ou partiellement fondue. Dans le cas de la Terre, ces roches sont issues du manteau. La fusion intervient lorsque la température de ces roches, à une profondeur donnée, est supérieure à leur température de fusion. Comme pour la quasi-totalité des matériaux connus [2], la température de fusion des roches silicatées composant le manteau terrestre augmente avec la profondeur (et donc la pression). À l’inverse, le simple fait de remonter vers la surface peut provoquer, par décompression (et si la température est suffisante), la fusion. Sur Terre, les zones de fusion partielle sont situées vers 100 km de profondeur. Détail capital, les magmas sont plus légers que les roches qui les entourent, d’une part parce qu’ils sont liquides, d’autre part parce que les minéraux qui fusionnent en priorité sont moins riches en fer et en magnésium. Grâce à cette flottabilité*, ils vont pouvoir migrer vers la croûte, où ils seront stockés dans des réservoirs magmatiques.
En surface, la nature des éruptions est, elle aussi, contrôlée par des facteurs physico-chimiques. Lorsqu’un magma remonte vers la surface, les gaz qui y sont dissous ont tendance, par un processus d’exsolution*, à quitter le liquide pour former une multitude de bulles. Si le magma est peu visqueux, notamment parce qu’il est chaud ou riche en silice, les bulles vont pouvoir remonter facilement vers la surface. Le liquide dégazé va ensuite s’épancher le long des pentes du volcan sous la forme d’une coulée de lave, ou, s’il est plus visqueux, d’un dôme ou d’une aiguille [3]. On parle d’éruption effusive. À l’inverse, si le magma est trop visqueux, les bulles ne gaz ne parviennent pas à s’en échapper. Prisonnières, elles maintiennent une pression élevée qui conduit à une éruption explosive, au cours de laquelle un mélange de roches et de gaz est éjecté dans l’atmosphère sous forme de panache ou colonne plinienne [4]. Sur Terre, l’évolution d’une colonne plinienne dépend de sa capacité à ingérer de l’air. L’apport d’une grande quantité d’air allège la colonne et lui permet de monter jusqu’à la stratosphère. Si, au contraire, la quantité d’air absorbée est faible, la colonne s’effondre sous son propre poids et se transforme en coulée pyroclastique*, comme celle qui détruisit Pompéi en 79.
Les conditions de température et de pression, en surface ou en profondeur, ainsi que l’accélération de la gravité varient d’une planète à l’autre. On peut donc s’attendre à ce que les phénomènes que l’on vient de décrire changent plus ou moins selon la planète sur laquelle ils se produisent. Par exemple, la faible gravité martienne a sans doute eu un impact sur la migration des magmas, ainsi que sur la fréquence et l’intensité des éruptions. Pour un contraste de densité égal, la flottabilité des magmas est plus faible sur Mars que sur Terre. En conséquence, les chambres magmatiques devaient être de plus grandes dimensions et se trouver à de plus grandes profondeurs, si bien que seules les poches magmatiques les plus volumineuses ont dû atteindre la surface avant de se solidifier. Les éruptions martiennes devaient donc être a priori moins fréquentes, mais plus intenses que sur Terre. De plus, la température de surface, plus faible que sur Terre, a dû favoriser le développement de hautes colonnes pliniennes, phénomènes sans doute amplifiés par… la faible accélération de la gravité. À l’inverse, les conditions de température et de pression à la surface de Vénus suggèrent que les éruptions volcaniques y sont moins spectaculaires que sur Terre, l’atmosphère, très dense, n’y favorisant pas le développement de colonnes pliniennes. Par ailleurs, la faible altitude de la plupart des volcans vénusiens est sans doute imputable aux températures et aux pressions élevées, conditions qui favorisent l’épanchement des laves aux dépens de leur accumulation. Enfin, la longueur des canaux creusés par des coulées de lave, jusqu’à 6 800 km pour Baltis Vallis, suggère que les laves sont plus fluides et se refroidissent plus lentement que sur Terre, là encore à cause de la température de surface plus élevée.
Trois types De volcanisme
Trois types de volcanisme se manifestent à la surface de la Terre (fig. 1). Ils nous serviront de point de repère pour comprendre le volcanisme des autres planètes. Le plus répandu est aussi le moins visible, car il se produit au milieu des océans à des profondeurs de 2 000 à 3 000 m, le long de longues chaînes de montagnes appelées dorsales océaniques. C’est là que les planchers océaniques, ou si l’on préfère la croûte océanique, se forment à partir des magmas issus du manteau. Le deuxième type de volcanisme se produit à l’autre extrémité des planchers océaniques, lorsque ceux-ci plongent dans le manteau terrestre, par un phénomène appelé subduction*. Au contact de l’eau, et au fil des millions d’années, les minéraux des planchers océaniques se sont hydratés. En s’enfonçant dans le manteau, ces minéraux subissent des pressions de plus en plus fortes. Ils changent de structure cristalline, ce qui les conduit in fine à expulser l’eau qu’ils contenaient. Celle-ci est utilisée pour hydrater les roches du manteau environnant, avec pour conséquence l’abaissement de leur température de fusion et, si la température locale est suffisante, la production de magmas. Ces magmas viennent ensuite alimenter des volcans situés à l’aplomb des zones de subduction, comme les volcans d’Indonésie ou des Antilles. Au passage, notons que c’est ce processus qui est à l’origine de la croûte continentale.
Les volcans des dorsales et des zones de subduction sont intimement liés à la tectonique des plaques. On les trouve sur les frontières séparant ces plaques, frontières qu’ils participent à délimiter. Pourtant, d’autres volcans, comme ceux des îles Hawaï ou de l’île de la Réunion, sont situés bien à l’intérieur des plaques. Ce volcanisme intra-plaque, ou de point chaud, est lié à la présence de panaches mantéliques* (à ne pas confondre avec les panaches atmosphériques, ou colonnes pliniennes ; voir lexique) issus de la limite entre le noyau et le manteau, à 2 900 km de profondeur. L’arrivée en surface de la tête d’un panache engendre un volcanisme sans commune mesure avec le volcanisme contemporain. Il se caractérise par l’alternance de périodes très actives de quelques centaines d’années, durant lesquelles le taux d’émission des laves peut atteindre de 0,1 à 1kilomètre cube par seconde, et de périodes plus calmes et plus longues, de l’ordre de 10000ans. Cela conduit à la formation de grandes provinces magmatiques, ou trapps, correspondant à l’accumulation de coulées de lave sur des épaisseurs pouvant atteindre plusieurs kilomètres, comme dans le cas des trapps du Deccan. Cette région, située au nord-ouest de l’Inde, s’est formée il y a 65 millions d’années (Ma). Elle couvre environ 500 000 km2, et l’empilement des coulées de laves y atteint 3 000 m par endroits [5]

1. Les trois types de volcanisme sur Terre : dorsales océaniques, zones de subduction et points chauds. (© J.-L. Cheminée et al. (1993), institut de physique du globe de Paris)
Des trapps terrestres aux mers lunaires
Les trapps terrestres ont un équivalent sur notre Lune : les mers lunaires. Celles-ci, très majoritairement situées sur la face visible, correspondent à de grandes coulées basaltiques recouvrant les bassins d’impact formés entre 4,1 et 3,8 milliards d’années (Ga), lors du Grand Bombardement tardif. Toutefois, selon les datations disponibles, elles ne seraient pas la conséquence directe de ce bombardement, puisqu’elles se seraient mises en place quelques centaines de millions d’années plus tard, entre 3,5 à 3,0 Ga. Vers cette époque, le manteau lunaire aurait partiellement fondu, et le magma ainsi produit aurait migré à travers la croûte fracturée et amincie, pour venir remplir les bassins creusés par ces impacts.
Contrairement à ce que pensaient les astronomes du XIXe siècle, les cratères lunaires ne sont pas d’origine volcanique. En revanche, un autre témoin du passé volcanique de la Lune est la présence de longues crevasses sinueuses, appelées rimae ou rilles. Ces chenaux sont larges de quelques kilomètres et profonds de quelques centaines de mètres. Ils prennent naissance au voisinage de fractures et serpentent sur des longueurs pouvant atteindre quelques centaines de kilomètres. On compte près de 200 rilles, dont Rima Hadley, qui fut l’un des objectifs d’Apollo 15 et qui est observable avec un bon télescope amateur, comme le décrit Gilles Sautot dans un précédent numéro du magazine l’Astronomie. L’hypothèse privilégiée par les géologues, notamment sur la base des échantillons récoltés par Apollo 15, est que les rimae résultent de canaux ou de tunnels de lave émis au pied de volcans aujourd’hui éteints. Canaux et tubes de lave sont aussi observés sur Terre, mais avec des dimensions bien plus modestes. Le volcanisme à l’origine des rimae lunaires devait être associé à un taux d’éruption très élevé, sans commune mesure avec le volcanisme terrestre contemporain, mais en accord avec l’idée que les mers lunaires sont l’équivalent des grandes provinces magmatiques (les trapps) terrestres, à ceci près qu’elles ne sont pas liées à la présence de panaches dans le manteau lunaire.

2. Rima Hadley. (A) Vue depuis l’orbite. Le point orange indique le site d’Apollo 15. (NASA) (B) Dave Scott au bord de rima Hadley.
Tectonique des plaques versus plaque unique
La tectonique des plaques joue un rôle clé dans le volcanisme terrestre, notamment pour la formation des planchers océaniques. La surface de Vénus est dominée par de grandes plaines basaltiques semblables aux planchers océaniques terrestres. Cette similitude a laissé penser un temps que Vénus pouvait abriter une forme de tectonique des plaques, mais les données recueillies par la sonde Magellan ont invalidé cette idée. Des plaines volcaniques parsèment aussi la surface de Mars, mais celles-ci sont apparentées aux mers lunaires, les plus anciennes s’étant formées peu après la fin du Bombardement tardif, vers 3,8- 3,6 Ga. Pas de trace de tectonique des plaques, en revanche [6].
On sait aujourd’hui que la tectonique des plaques n’est à l’œuvre ni sur Vénus ni sur aucune des autres planètes rocheuses et satellites du Système solaire. Vénus, ainsi que Mars, sont des planètes à plaque unique, ou monoplaque, c’est-à-dire que leur lithosphère* tient d’un seul tenant et ne se renouvelle pas en continu [7]. Dans le cas de Vénus, l’absence de tectonique des plaques semble être liée à l’absence d’eau, ce qui accroît la résistance et la viscosité des roches. Les plaines basaltiques vénusiennes, dont nous venons de parler, sont beaucoup plus vieilles (au moins 500 Ma) que les planchers océaniques terrestres (au plus 180 Ma). En revanche, elles semblent avoir été mises en place dans un intervalle de temps assez court, lors d’épisodes de « resurfaçage » brefs (à l’échelle des temps géologiques), mais intenses.
Sur Mars, l’absence de tectonique des plaques est en partie responsable du gigantisme des volcans martiens, que nous allons bientôt rencontrer. Puisque la croûte reste fixe par rapport au panache responsable du volcanisme, il est possible de construire des édifices de taille imposante. Sur Terre, le fait que la croûte bouge par rapport aux panaches conduit à la formation d’une chaîne d’îles, comme la chaîne des Empereurs, dont les îles Hawaï sont la manifestation la plus récente [8] . Un autre facteur a certainement joué un rôle dans la taille des volcans martiens : la faible gravité de cette planète. Celle-ci permet de maintenir des édifices élevés, en évitant qu’ils ne s’affaissent sous l’effet de leur propre poids.

3. Des dômes en forme de crêpe (« pancake domes ») (A) et une corona (B) dans la région d’eistla, sur Vénus. Ces types de structures n’ont pas d’équivalents sur terre. (Nasa)
Coronae, « pancake Domes », et volcans géants
En l’absence de tectonique des plaques, c’est un volcanisme apparenté au volcanisme de point chaud, c’est-à-dire à l’ascension de panaches à travers le manteau, qui se manifeste sur Vénus et Mars. En plus des volcans boucliers (dont le plus grand, Maat Mons, culmine à 8 km d’altitude) et de longs canaux creusés par des coulées de laves, la surface de Vénus est parsemée de petits dômes volcaniques de quelques kilomètres à quelques dizaines de kilomètres de diamètre, les fameux « pancake domes », et de structures circulaires n’ayant pas d’équivalent terrestre, les coronae (fig. 3). Formés de laves très visqueuses, les « pancake domes » ne dépassent pas 1 km d’altitude et sont situés au voisinage de coronae et d’autres édifices volcaniques. Les coronae, quant à elles, sont constituées d’un anneau de crêtes et de fractures concentriques entourant une région centrale qui peut être un dôme, un plateau ou une dépression. Plus de 500 coronae ont été dénombrées, avec des diamètres allant, le plus souvent, de 100 à 1000km, et jusqu’à 2600km pour Artemis. L’hypothèse privilégiée est que les coronae résultent de l’interaction entre des panaches mantelliques et la lithosphère. Lorsqu’un panache arrive à la base de la croûte, il crée une poussée verticale sur celle-ci. Cela provoque un bombement de la croûte, qui s’affaisse une fois le panache disparu ou devenu inactif.
Mars est avant tout la planète des volcans géants (fig. 4). Olympus Mons, le plus grand édifice volcanique du Système solaire, en est l’exemple le plus emblématique. De sa base, il faut gravir un dénivelé de 22 km pour atteindre son sommet. Olympus est installé sur le flanc nord-ouest du dôme de Tharsis, qui supporte également Arsia, Ascraeus et Pavonis Montes, dont les sommets culminent tous entre 14 et 18 km d’altitude. Tharsis est sans doute lié à la poussée exercée par un gigantesque panache provenant de la limite entre le noyau et le manteau martiens, et qui semble avoir été actif dès 3,7 Ga et au moins jusqu’il y a 3,0 Ga. Il abrite aussi de nombreux volcans plus petits, que l’on peut diviser en deux classes, les tholi et les paterae. Les tholi sont des édifices en forme de dôme dont la pente est plus forte que celles des volcans géants. Les paterae ressemblent aux tholi, à ceci près qu’ils possèdent des caldeiras* plus étendues. oli et paterae sont plus anciens que les volcans géants et pourraient correspondre aux sommets d’anciens volcans boucliers recouverts par des coulées de lave plus récentes.

4. Les volcans géants de mars, Olympus (en haut à droite) et la chaîne des Tharsis : Arsia, Pavonis, et Ascraeus montes. Le schéma en médaillon compare les tailles d’Olympus mons et des volcans mauna Kea et mauna Loa, qui forment les îles Hawaï. (Nasa)
Des marées intenses: le volcanisme sur Io et Encelade
Il est temps maintenant de franchir la ceinture d’astéroïdes. Si l’on admet que le volcanisme découle du refroidissement d’une planète ou d’un satellite, on conçoit facilement que plus cet objet est gros, plus il a emmagasiné d’énergie, et donc plus le refroidissement est durable. De fait, c’est bien ce que l’on observe : la Terre est toujours active ainsi que Vénus. À l’inverse, les volcans martiens semblent avoir cessé de fonctionner il y a environ 500 Ma et, si l’on met de côté quelques événements ponctuels, la Lune est inactive depuis au moins 1,2 Ga. C’est pourquoi les images envoyées par Voyager 1 lors de sa traversée du système de Jupiter ont surpris les scientifiques. L’analyse de ces images a révélé la présence de panaches volcaniques, et donc d’éruptions, à la surface d’Io, le satellite galiléen le plus proche de Jupiter, et qui est à peine plus gros que la Lune. Les missions suivantes y ont mis en évidence plus de 400 volcans, associés soit à un volcanisme explosif (à l’origine des panaches observés par Voyager 1), soit à l’épanchement de coulées de lave. Ces dernières, composées de minéraux sulfurés et de silicates, sont émises depuis les planchers de grandes dépressions, les paterae, qui ressemblent aux caldeiras des volcans terrestres, ainsi que le long de fractures situées en plaine.
Étant donné la taille d’Io, il est peu probable que le chauffage radioactif ou le refroidissement séculaire fournissent la quantité d’énergie nécessaire à l’entretien de son activité volcanique. En revanche, Io subit des forces de marée très intenses de la part de Jupiter, liées notamment à l’excentricité de son orbite. Io est ainsi constamment déformé, ce qui produit de fortes frictions dans sa croûte et son manteau. La dissipation d’énergie qui en résulte est suffisante pour entraîner une élévation de la température provoquant une fusion partielle de la croûte et du manteau. L’histoire ne s’arrête pas là. Avec le temps, l’orbite d’Io aurait dû se circulariser. Si l’excentricité de cette trajectoire reste importante aujourd’hui, c’est à la faveur de résonances orbitales entre Io, Europe et Ganymède. Sans cela, Io graviterait sur une orbite circulaire et serait un corps beaucoup moins actif que le monde révélé par les missions spatiales.
Les forces de marée jouent aussi un rôle dans une autre forme de volcanisme, observée de façon saisissante sur Encelade. En 2005, la sonde Cassini a mis en évidence la présence de geysers au pôle Sud de ce petit satellite (252 km de rayon) de Saturne. Ces jets sont émis le long d’une série de 4 fractures, les « griffures de tigre », et ils s’élèvent jusqu’à 200 km d’altitude, venant alimenter l’anneau E de Saturne. Ils sont composés de vapeur d’eau, d’éléments volatils tels que le méthane et le dioxyde de carbone, ainsi que d’hydrocarbures et de fines particules de silicate. Les forces de marée interviennent sans doute à deux niveaux. D’une part en contrôlant l’ouverture et la fermeture des failles de surface (les « griffures de tigre »). Et d’autre part, comme dans le cas d’Io mais de façon moins extrême, les forces de marée pourraient fournir l’énergie nécessaire à l’entretien des geysers. Une hypothèse récemment mise en avant est que la dissipation de chaleur par les forces de marée serait localisée dans le noyau, supposé poreux, d’Encelade [9]. Selon ce scénario, ce noyau serait le siège d’une importante activité hydrothermale qui se répercuterait d’abord sur l’enveloppe liquide (l’océan) qui l’entoure, puis sur la croûte de glace d’Encelade (fig. 5).

5. Les geysers d’Encelade. (A) Vus par la sonde Cassini. (B) Un mécanisme possible expliquant la formation des geysers. Le noyau est le siège d’une activité hydrothermale entretenue par les forces de marée. L’arrivée d’eau chaude à la base de l’océan provoque la formation de panaches. Près des pôles, où le flux de chaleur issu du noyau est le plus élevé, les panaches secondaires amincissent localement la couche de glace, favorisant la fracturation de celle-ci et la circulation d’eau vers la surface. en surface, l’eau sous pression jaillit le long d’une série de fractures. (NASA/JPL Caltech)
Loin de la terre, le cryovolcanisme
Encelade n’est pas un cas isolé. En 1989, Voyager 2 a observé plusieurs geysers de diazote s’élevant depuis la surface de Triton, le plus gros satellite de Neptune. Des images UV réalisées entre 1999 et 2012 par le télescope spatial Hubble suggèrent, elles aussi, la présence épisodique de panaches de vapeur d’eau au pôle Sud d’Europe (un satellite de Jupiter voisin de Io). Ces jets, ou geysers, comme ceux d’Encelade, font partie d’un phénomène plus étendu, le cryovolcanisme, qui se manifeste à la surface des planètes naines et des satellites de glace des planètes géantes, et sur lequel les planétologues planchent depuis plus de deux décennies. Ici, les laves et magmas de roches silicatées cèdent la place à des « cryomagmas », mélanges de glaces, de matériaux volatils et de sels. Toutefois, un problème de taille surgit car, l’eau étant plus dense à l’état liquide qu’à l’état solide, ces cryomagmas sont a priori plus denses que la glace environnante. Comment font-ils, dans ces conditions, pour remonter en surface ? Des phénomènes de pressurisation ou de cristallisation fractionnée (dans le détail desquels nous n’entrerons pas) ont été avancés, mais la question reste débattue. Indépendamment de ce problème, le cryovolcanisme requiert aussi la présence de poches partiellement fondues à plus ou moins grande profondeur. Là encore, le mécanisme conduisant à la formation de ces poches n’est pas tranché, même s’il semble probable que l’énergie dissipée par les forces de marée y jouent un rôle clé.
Cela étant, des traces de cryovolcanisme ont été observées sur Titan, Pluton et Cérès. Ainsi, Sotra Facula, sur Titan, le plus gros satellite de Saturne, est un massif montagneux dont la structure, approximativement circulaire et possédant une dépression centrale, est typique d’un édifice volcanique. Toujours sur Titan, la présence de méthane dans l’atmosphère est un indice indirect d’une activité cryovolcanique récente ou contemporaine. Le méthane est en effet détruit dans la haute atmosphère de Titan, et sans un mécanisme de réapprovisionnement régulier, il aurait dû disparaître de cette atmosphère depuis longtemps. En revanche, si des réservoirs de méthane sont présents dans la croûte, le cryovolcanisme fournit un mécanisme adéquat pour réapprovisionner l’atmosphère en méthane. Sur Pluton, maintenant, Wright Mons culmine à 4 km d’altitude et possède, comme Sotra Facula, une dépression centrale qui en fait un excellent candidat au titre de cryovolcan. Qui plus est, le très
faible nombre de cratères d’impact sur ses flancs suggère qu’il a été actif récemment.
Enfin, retournons un instant dans la ceinture d’astéroïdes. Ahuna Mons, sur Cérès, est une montagne haute d’environ 5 km qui semble avoir surgi de nulle part (fig. 6A). Par analogie avec les dômes de lave que l’on rencontre sur Terre, les scientifiques pensent qu’il s’agit d’un dôme cryovolcanique. Sur notre planète, ce type de structures résulte de la remontée et de l’extrusion de laves relativement visqueuses et souvent riches en silice. À cause de leur viscosité élevée, ces laves ne peuvent pas s’écouler très loin de leur point d’émission. Elles s’accumulent autour de celui-ci, créant une structure en forme de dôme, comme dans le cas du volcan Chaitén, au Chili (fig. 6B). Mais revenons sur Cérès. Comme les dômes de lave terrestres, Ahuna Mons résulterait de la remontée et de l’extrusion d’un magma visqueux, à cela près que ce dernier ne serait pas composé de roches silicatées, mais d’un cryomagma.

6. (A) Ahuna mons, sur Cérès. (NAsA/JPL) (B) À comparer avec le dôme de lave du volcan Chaitén, au Chili. (sam Beebe)
Du volcanisme à l’apparition de la vie
Pour clore ce bref inventaire du volcanisme dans le Système solaire, on retiendra que des traces de volcanisme sont visibles à la surface de la plupart des objets visités par les sondes spatiales. Sur certains corps, comme Mercure, notre Lune et Mars, l’activité volcanique a cessé faute d’une source d’énergie, et les structures volcaniques que l’on y voit sont des vestiges du passé. En dehors de la Terre, l’observation d’éruptions volcaniques en temps réel est plus rare, mais spectaculaire : ce sont les volcans d’Io et les geysers d’Encelade, entretenus par la dissipation d’énergie liée aux forces de marée. Le cas de Vénus est plus délicat. L’atmosphère épaisse de notre voisine masque sa surface, et les conditions de température et de pression y imposent des manifestations plus discrètes que sur Io ou sur Terre. Une observation visuelle directe demanderait que l’on se trouve au bon endroit, au bon moment et avec les bons instruments. Bref, d’avoir un peu de chance. Pour le moment, il faut se contenter de preuves indirectes, comme les variations de température détectées en 2015 par Venus Express dans la région de Ganaki Chasma, qui sont sans doute liées à l’émission de gaz ou de laves.
Le volcanisme revêt enfin un intérêt que nous n’avons pas encore évoqué : il pourrait être étroitement lié à l’apparition de la vie sur Terre, en fournissant aux premières formes de vie connues, les bactéries, leur indispensable source d’énergie. Hypothèse notamment renforcée par la découverte de bactéries extrêmophiles, adaptées à des températures et à des pressions très élevées, autour des cheminées volcaniques des dorsales océaniques. Dans ces conditions, on se prend à imaginer que la vie a aussi pu démarrer en d’autres lieux, comme les océans souterrains des satellites de glace des planètes géantes. Mais nous quittons ici la planétologie comparée pour un domaine tout aussi passionnant : l’exobiologie.
Caldeira ou Caldera : Vaste dépression approximativement circulaire, en général de l’ordre de quelques kilomètres (sur terre) située au sommet de certains grands édifices volcaniques. souvent à fond plat, elles résultent d’une éruption qui a vidé la chambre magmatique sous-jacente.
Colonne plinienne : mélange de gaz et de fragments de roches volcaniques propulsé dans l’atmosphère sous forme de colonne (ou panache) et pouvant s’élever jusqu’à plusieurs dizaines de kilomètres. Le développement et l’ampleur d’une colonne plinienne dépendent de nombreux facteurs, notamment de la densité de l’air environnant, de la quantité d’air absorbé, et de la vitesse initiale des gaz et des roches volcaniques éjectés.
Coulée pyroclastique : Également appelée nuée ardente, c’est un mélange de gaz et de fragments de roches volcaniques (laves, scories, ponces, etc.) expulsés lors de l’éruption d’un volcan, et qui s’écoule à grande vitesse (quelques centaines de km/h) et au voisinage du sol sur les flancs de ce volcan.
Exsolution : Processus au cours duquel les gaz initialement dissous dans un magma à haute pression quittent ce magma. Ce phénomène est consécutif à la baisse de pression subie par le magma lorsqu’il remonte vers la surface.
Flottabilité : Ce terme désigne la poussée verticale exercée sur un magma par le milieu environnant, et qui lui permet de remonter en surface. elle est d’autant plus grande que la différence de densité entre le magma et le milieu environnant est élevée.
Lithosphère : enveloppe rigide externe d’une planète rocheuse constituée de la croûte et de la partie rigide du manteau. La lithosphère a donc une définition mécanique, par opposition à la croûte qui est la couche la plus externe d’une planète mais se définit par sa composition.
Panaches mantéliques : Dans les manteaux planétaires, un panache désigne une remontée de roches plus chaudes (et donc moins denses) que les roches environnantes. schématiquement, un panache est composé d’une bulle plus ou moins sphérique (la tête du panache) alimentée par un fin conduit. Lorsqu’il arrive près de la surface, un panache exerce une poussée sur la croûte. en réponse à cette poussée, la croûte se soulève, formant ainsi un bombement régional. Par analogie, dans les enveloppes externes des satellites de glaces, un panache correspond à la remontée de glace légèrement plus chaude que la glace environnante. Les panaches mantelliques ne doivent pas être confondus avec les panaches atmosphériques, ou colonnes pliniennes, qui se produisent en surface lors de certaines éruptions.
Subduction : Phénomène au cours duquel un plancher océanique, ou plus généralement une plaque tectonique, se courbe et plonge dans le manteau terrestre. Le plancher qui s’enfonce dans le manteau est désigné par le terme « slab ». en surface, les zones de subduction sont caractérisées par une fosse profonde pouvant atteindre une dizaine de kilomètres et, plus en avant, par une activité volcanique liée à la déshydratation du slab.
Frédéric DESCHAMPS | Academia Sinica, Taipei, Taïwan
1. sur les volcanismes terrestres et planétaires, ainsi que les mécanismes qui les contrôlent, voir notamment les numéros 92 (mars 2020) et 99 (novembre 2016) p. 26-37 de l’Astronomie. – 2. Une exception notable, et qui aura son importance lorsque nous parlerons du cryovolcanisme, est l’eau, dont la température de fusion diminue lorsque la pression augmente de 0 à 210 MPa (kbar). – 3. La construction d’un dôme de lave peut s’étaler sur des périodes allant de quelques mois à quelques centaines d’années, et la structure qui en résulte peut atteindre des hauteurs de plusieurs centaines de mètres. 4. Pour être plus précis, la vitesse d’ascension du magma joue aussi un rôle clé. si elle est trop faible, le gaz parvient à s’échapper et il se forme en surface un dôme très visqueux.- 5. Les trapps du deccan se sont mis en place dans un laps de temps d’environ un million d’années. Le volcanisme qui en est à l’origine est sans doute la cause principale de l’extinction de masse qui s’est produite à cette époque. Beaucoup moins actif aujourd’hui, le point chaud qui les a créés se situe maintenant sous l’île de la réunion, qu’il a également formée. – 6. L’interprétation de certaines observations magnétiques suggère qu’un bref épisode de tectonique des plaques s’est déroulé tôt dans l’histoire de Mars. Cette interprétation reste incertaine, et si un épisode de tectonique a effectivement eu lieu sur Mars, il a été sans suite. 7. Même sur Terre, la tectonique des plaques ne va pas de soi. Ce phénomène semble être apparu assez tardivement, il y a seulement 2 Ga environ, signe qu’il requiert des conditions thermiques, chimiques et mécaniques bien particulières permettant la déformation de la lithosphère. – 8. Notons tout de même que de sa base (à quelque 6 000 mètres sous la surface de l’océan Pacifique) jusqu’à son sommet, le Mauna Kea mesure un peu plus de 10 000 mètres… ce qui n’est pas rien.- 9. Voir à ce sujet le zoom du numéro 142 de l’Astronomie (octobre 2020), p. 26-37.