par Sylvain Bouley | Avr 14, 2023 | Zoom Sur
La présence d’un océan polaire sur Mars a été proposée depuis les années 1980, mais cette hypothèse reste toujours très controversée.
L’enjeu est de taille car, il y a 3 milliards d’années, la vie microbienne a colonisé un grand nombre de milieux sur Terre. S’il y a bien eu un océan sur Mars, les conditions étaient similaires à celles de la Terre et donc les deux planètes auraient pu être habitables au même moment. Si la vie s’est développée sur Mars, pourrions-nous en trouver des traces fossiles aujourd’hui ? Si elle ne s’y est pas développée, quelles conditions l’en auraient empêché ? Ces questions restent totalement ouvertes à ce jour. Récemment, deux types d’études ont permis de jeter un œil nouveau sur la possible présence d’un océan polaire.
La première approche consiste à analyser les images renvoyées par les différentes sondes et identifier des signatures géomorphologiques d’objets attestant la présence d’un océan. Cette technique a permis de cartographier une ligne de rivage depuis les images Viking [1] mais, il y a quelques années, des dépôts de tsunamis ont été découverts ainsi que le possible impact lié à leur origine.
Il restait néanmoins un contre-argument majeur : aucune simulation de climat ne pouvait expliquer un océan stable. Soit le climat était trop froid et l’océan gelait. Soit il était trop chaud et l’océan s’évaporait pour former des nuages qui précipitaient et finalement l’eau était accumulée sous forme de neige et de glace sur les hauts plateaux de l’hémisphère Sud. L’océan n’était pas stable. Notre équipe a intégré deux nouveaux mécanismes dans les simulations numériques de climat : la circulation océanique et les glaciers.
1. Vue d’artiste de Kasei Valles. (F. Schmidt/NASA/USGS/ESA/DLR/FU Berlin (G. Neukum))
Nous avons utilisé une simulation numérique de climat, qui ressemble aux simulations météorologiques terrestres ou plus précisément aux simulations de climat utilisées – par exemple pour le GIEC et adaptées à Mars. Ces expériences numériques ont été effectuées par nos collègues du Nasa/Goddard Institute for Space Studies, en utilisant leur outil ROCKE-3D. La pression atmosphérique est montée à 1 bar, alors qu’elle n’est que de 10 mbar aujourd’hui, ce qui permet à l’eau d’être liquide. Il faut aussi réchauffer la planète, car Mars a une température moyenne de –60 °C à cause de sa grande distance au Soleil. D’autre part, à cette période, le Soleil était moins lumineux qu’aujourd’hui (environ 80 % de sa valeur actuelle il y a 3 milliards d’années). Il faut donc ajouter de puissants gaz à effet de serre pour contrebalancer ces effets. Nous avons pris une composition de l’atmosphère de 90 % de CO2 et 10 % de H2. Dans cette configuration, la température moyenne de Mars est de –7 °C, mais l’océan reste liquide à +7 °C, même en position polaire. Nos simulations démontrent que la circulation océanique stabilise l’étendue d’eau, grâce à des courants chauds qui circulent depuis les moyennes latitudes vers le pôle Nord. Le réchauffement dû à la circulation peut atteindre 4,5 °C. D’autre part, la couleur sombre de l’océan permet d’absorber efficacement le rayonnement solaire. Ces mécanismes favorisent les conditions de stabilité de l’océan localement, même pour des températures moyennes de Mars inférieures à 0 °C.
Nos simulations estiment aussi la quantité de glace et d’eau qui doit descendre des montagnes pour retourner dans l’océan et ainsi boucler le cycle de l’eau. Il faut un flux de 1015 kg/an, ce qui correspond à dix fois plus que les glaciers actuellement sur Terre. Mais la Terre actuelle est plutôt dans un contexte chaud et donc pas le meilleur analogue de l’ancienne planète Mars. Il vaudrait mieux comparer celle-ci au dernier maximum glaciaire terrestre qui a déplacé une énorme quantité de glace de l’ordre de 1016 kg/an, uniquement pour la calotte qui était située en Amérique du Nord. Le flux martien simulé est donc tout à fait comparable à un climat froid terrestre.
Un autre aspect étonnant est la stabilité du climat face à un paramètre très important : l’obliquité. Il s’agit de l’angle entre l’axe de rotation de la planète et son plan de révolution autour du Soleil. Une grande obliquité entraîne une saisonnalité importante avec des hivers rigoureux et des étés chauds. Une faible obliquité n’implique aucune différence entre les saisons. Nos simulations montrent que l’océan est stable pour des obliquités extrêmes de 0° à 60°, notamment à cause de sa circulation. C’est un atout majeur pour un océan stable sur de longues échelles de temps.
Comparaison avec la géologie de Mars
Nos simulations prédisent deux types de régimes climatiques (voir figure 2) : proche des côtes, à faible altitude, un climat tempéré dominé par la pluie ; sur les montagnes de l’hémisphère Sud, un climat froid et sec, dominé par la neige. Nous pouvons donc nous attendre à trouver des traces de réseaux de vallées ramifiées creusées par la pluie proches de la ligne de côte, ainsi que de larges vallées glaciaires, des zones d’accumulations de haute altitude vers l’océan. Une recherche bibliographique nous indique qu’il existe bien des figures de ce type dans le paysage martien.
Il y a par exemple des vallées ramifiées dans la région d’Alba Patera et une vallée glaciaire à Kasei Valles (fig. 1) datant d’il y a 3 milliards d’années. Malheureusement pour nous, certaines zones ont été recouvertes par des coulées volcaniques plus récentes et ne sont donc pas accessibles en surface. Sur Terre, les paysages sont sans cesse remodelés par la tectonique des plaques et ils ont des dizaines de millions d’années tout au plus. Sur Mars au contraire, en l’absence de tectonique des plaques, nous avons accès à des paysages très anciens en surface.
2. Simulation du climat en comparaison avec les indices géologiques. (F. Schmidt)
Une énigme majeure reste en suspens : que s’est-il passé avec toute cette eau ? Pour bien comprendre les enjeux, les scientifiques ont l’habitude de compter l’eau en « couche équivalente globale ». La quantité d’eau actuelle sur Mars représente 30 mètres. C’est-à-dire que si l’on compte toute l’eau des calottes polaires et des glaciers actuels de Mars, on pourrait recouvrir la surface de Mars sur une hauteur de 30 mètres [2]. L’énigme provient du fait que l’océan martien il y a 3 milliards d’année correspondrait à une couche de 150 mètres d’eau. Où sont donc passés les 120 mètres d’eau manquante ?
Deux options sont envisagées actuellement. Le premier type de mécanisme est interne : l’enfouissement de l’eau en profondeur, sous forme de pergélisol, voire d’aquifère profond ou de minéraux hydratés (argile par exemple). Le sous-sol de Mars est très difficile d’accès, mais nous avons des traces dans certains pics centraux des cratères qui sembleraient en accord avec cette hypothèse. Le second type de mécanisme est l’échappement atmosphérique. L’eau de Mars se serait éliminée en se disséminant dans l’espace interplanétaire. Ce processus commencerait par une évaporation de l’eau océanique. Les molécules d’eau évaporées et montées à haute altitude auraient été détruites par le rayonnement UV du Soleil, libérant de l’oxygène et de l’hydrogène. Ce mécanisme a été très étudié par la sonde Maven et il semblerait qu’une partie significative de l’hydrogène ainsi libéré ait pu s’échapper lors des périodes de Soleil actif, empêchant la reformation de l’eau.
Grâce aux données des missions en cours, nous espérons avoir des confirmations de la présence de cet océan et de son climat. La sonde chinoise Zhurong a atterri le 15 mai 2021 dans un endroit qui aurait été à la profondeur de 200 mètres dans l’océan il y a 3 milliards d’années. Les scientifiques chinois viennent de montrer que le paysage de cette surface d’Utopia Planitia est compatible avec la présence massive d’eau grâce à des minéraux hydratés et sols à croûte qui auraient pu se former lors du dessèchement de l’océan. Nous pouvons donc espérer retrouver des traces de l’océan dans les roches de surface.
Par Frédéric Schmidt | GEOPS (CNRS, Univ. Paris-Saclay)
Article publié dans l’Astronomie, Juillet-Août 2022
Références
-Schmidt F., Way M. J., Costard F., Bouley S., Séjourné A. & Aleinov I, Circumpolar ocean stability on Mars 3 Gy ago, Proceedings of the National Academy of Sciences, 2022, 119, e2112930118, http://dx.doi.org/10.1073/pnas.2112930118.
– Turbet M. & Forget F., The paradoxes of the Late Hesperian Mars ocean Scientific Reports, Springer Nature, 2019, 9 http://dx.doi.org/10.1038/s41598-019-42030-2.
– Jakosky B. M., Grebowsky J. M., Luhmann J. G., Connerney J., Eparvier F., Ergun R., Halekas J., Larson D., Mahaffy P., McFadden J. & et al., MAVEN observations of the response of Mars to an interplanetary coronal mass ejection, Science, American Association for the Advancement of Science (AAAS), 2015, 350, aad0210, http://dx.doi.org/10.1126/science.aad0210.
– Liu Y., Wu X., Zhao Y.-Y. S., Pan L., Wang C., Liu J., Zhao Z., Zhou X., Zhang C., Wu Y., Wan W. & Zou Y., Zhurong reveals recent aqueous activities in Utopia Planitia, Mars Science Advances, American Association for the Advancement of Science (AAAS), 2022, 8 http://dx.doi.org/10.1126/sciadv.abn8555.
par Sylvain Bouley | Jan 15, 2023 | Zoom Sur
C’est le 5 décembre 2020 que la capsule contenant quelques grammes du sol de l’astéroïde Ryugu [1] est tombée dans le désert australien ; les analyses ont commencé très vite au laboratoire spatial de la Jaxa, l’agence spatiale japonaise. Il s’agit tout d’abord de procéder à une analyse non destructive des poussières collectées, donnant accès à des informations permettant une première caractérisation de l’astéroïde ; en fait, il y eut deux collectes, respectivement A et B, tout d’abord du sol de surface puis de la poussière du sous-sol, extraite à la suite d’un impact artificiel (l’Astronomie 131, octobre 2019). Il est ainsi possible de compléter et préciser les informations obtenues au cours du survol de Ryugu en 2019. Comme rappelé dans l’Astronomie 157 de février 2022 et 163 de septembre 2022, il est démontré que l’astéroïde possède les propriétés attendues des solides les plus primitifs du Système solaire, et qu’il s’est formé par réaccumulation de matériau provenant d’un corps parent détruit suite à un impact. De plus, la comparaison directe avec la plupart des chondrites carbonées présentes dans les collections suggère des modifications du matériau d’origine dues à un chauffage et une déshydratation partielle. L’analyse plus poussée des propriétés de l’astéroïde devrait préciser les conditions de formation et d’évolution du corps parent de l’astéroïde lui-même.
C’est pourquoi une étude de grande envergure du sol de Ryugu est effectuée à partir de l’analyse d’échantillons des deux groupes A et B qui furent distribués à différents laboratoires internationaux équipés d’instruments d’analyse haute résolution permettant une caractérisation aussi fine que possible des poussières analysées. Au total, 18 particules de taille comprise entre 1 et 8 mm qui ont été analysées, 7 de A et 11 de B. Le résultat de ce travail est décrit dans un article paru il y a quelques semaines dans la revue Science [2], auquel ont participé en particulier des chercheurs du CNRS-Insu et du CNRS-IN2P3 avec le support du Cnes [2]. Cet article s’attache tout d’abord à comprendre où et quand le corps parent de Ryugu s’est formé dans la nébuleuse solaire. Dans un deuxième temps, il détermine la minéralogie du matériau originel et sa composition en eau, avant de reconstruire l’évolution au cours du temps des matériaux, suite aux réactions de leur interaction avec l’eau. L’article tente ensuite de répondre à la question de savoir quel est le rôle des radioéléments à courte période dans le chauffage de l’astéroïde ; enfin, il cherche à comprendre la formation de Ryugu après l’impact et la réaccumulation du matériau éjecté.
C’est donc une mise au point très pointue de l’histoire de Ryugu qui est proposée à partir de ces résultats. Il est montré que sont présents de la magnétite ainsi que différents minéraux hydratés, comme des argiles ou des carbonates, mais aussi de la matière organique. Il semble que la plupart des minéraux présents se sont formés au voisinage du Soleil. Si l’on compare les poussières de Ryugu avec les météorites, on voit qu’elles ont une composition très similaire à la composition de la météorite Orgueil [3]. Orgueil appartient à la classe rare des « chondrites carbonées de type CI1 », qui montrent la plus grande affinité avec l’abondance élémentaire du Soleil.
Vue au microscope optique des 17échantillons utilisés pour cette étude, du plus petit (C055) au plus grand C0002 ; les images sont approximativement à la même échelle. (© JAXA)
Pour tenter de faire une synthèse des nombreux résultats décrits dans l’article, les auteurs s’aident d’une simulation numérique qui tient compte de toutes les caractéristiques mesurées dans les quelques échantillons de poussière analysés. Ils suggèrent que le corps parent de Ryugu, d’une taille d’environ 100 km [4], s’est formé environ 2 millions d’années après la formation du Système solaire, puis a passé les 3 millions d’années suivantes à une faible température permettant des réactions d’altération aqueuse, avant qu’un impacteur le désagrège ; enfin, Ryugu s’est formé à partir du matériau libéré lors de l’impact.
iLa matière primitive du Système solaire est emmagasinée dans certains astéroïdes comme Ryugu, visité par la sonde Hayabusa[2] de la Jaxa dont il est question ici, et Bennu, visité par la sonde Osiris-Rex de la Nasa, et dont des échantillons prélevés en surface devraient atterrir sur Terre en septembre 2023. Anny-Chantal Levasseur-Regourd, décédée le 1er août 2022, aurait adoré suivre les avancées de ces missions. Elle travaillait surtout sur des expériences embarquées sur les missions vers les comètes, Giotto vers Halley et Rosetta-Philae vers 67P/Churyumov-Gerasimenko, autres corps primitifs du Système solaire. Sa contribution fut essentielle pour déchiffrer les analyses. Ce court article lui est dédié.
par Janet Borg, Institut d’astrophysique spatiale
Article publié dans l’Astronomie de Décembre 2022
Notes
- L’astéroïde (162173) Ryugu est de type C, considéré comme primitif, c’est-à-dire ayant peu évolué depuis sa formation au début du Système solaire.
- T. Nakamura et al., « Formation and evolution of carbonaceous asteroid Ryugu: direct evidence from returned samples », Science (2022). http://science.org/doi/10.1126/science.abn8671
- Orgueil est une météorite tombée dans un champ de la commune d’Orgueil près de Montauban, en France, en 1864 ; près de 14 kg ont été collectés, dont l’essentiel est conservé au MNHN à Paris.
- Rappelons que le diamètre de Ryugu est de 435 mètres.
par Sylvain Bouley | Jan 15, 2023 | Zoom Sur
Comète ou astéroïde ? Autrefois, suivant l’expression populaire, « y’avait pas photo ! ». Un simple coup d’œil dans la lunette ou le télescope et basta, l’affaire était pliée ! Si l’objet apparaissait nébuleux, c’était une comète. S’il était ponctuel, ne se distinguant des étoiles du champ que par son déplacement, c’était un astéroïde.
La situation s’est maintenant compliquée avec la découverte dans le Système solaire de nombreux petits corps dont les propriétés sont moins tranchées et qui échappent à cette classification désormais trop simpliste… Certains astéroïdes se sont mis à manifester une activité cométaire (on parle d’activité cométaire dès qu’une faible atmosphère se développe autour du noyau solide d’un petit corps du Système solaire). Inversement, certaines comètes ont cessé toute activité, devenant des cailloux stériles. Toute une classe d’objets intermédiaires s’est ainsi révélée, si bien que l’on parle même d’un continuum entre comètes et astéroïdes.
On s’accorde à penser qu’une comète est par nature un corps actif (ou susceptible de le devenir), dont l’activité est un mécanisme gouverné par la sublimation de ses glaces. Mais comment savoir, lorsque l’objet est trop faible pour que des observations spectroscopiques soient possibles, si des glaces sont présentes ou non ?
Des comètes qui s’épuisent, d’autres qui se réveillent
L’activité d’une comète est due à la sublimation de ses glaces lorsqu’elle s’approche du Soleil. La sublimation ne devient efficace qu’à moins de 5 unités astronomiques (1 UA = 150 millions de kilomètres) pour la glace d’eau. Plus loin, pour les glaces plus volatiles comme celles de CO ou CO2. Tout corps glacé est donc une comète putative. Mais comment le sait-on lorsque l’on a affaire à un corps trop lointain pour être actif ? Ou que la glace qu’il contient est isolée par une couche protectrice à la surface ? Là réside toute l’ambiguïté de la situation.
On connaît de nombreuses comètes à courte période qui ont cessé toute activité. Certaines se sont désintégrées, comme 3D/Biela dont on a observé le noyau dédoublé à ses retours de 1846 et 1852, puis plus rien aux retours suivants. D’autres ont pu épuiser leurs glaces. Ou construire une croûte protectrice de poussière à leur surface, les isolant du chauffage solaire et les protégeant de la sublimation.
Tout cela pose des questions de nomenclature : doit-on appeler ces objets des comètes ou des astéroïdes ? L’Union astronomique internationale (UAI) s’est emparée de ce problème et a reclassé certains astéroïdes en comètes, et vice versa (lire l’encadré 1). Le cas des comètes disparues est différent. On adjoint au nom des comètes totalement disparues le préfixe « D/ », comme nous l’avons vu pour 3D/Biela. Est-ce pour « dead », « defunct », « disappeared » ou « dismissed » en anglais, « disparue », « défunte », « défaite » en français ? les avis divergent. Mais les noyaux inactifs de certaines comètes éteintes peuvent être encore observables et nous apparaître tels des astéroïdes. C’est le cas de 49P/Arend-Rigaux ou 28P/Neujmin 1, qui n’apparaissent plus que comme des objets ponctuels ou, pour les retours les plus favorables, ne montrent qu’une très faible activité.
Mais le « D/ » pourrait aussi vouloir dire « dormante », car de telles comètes peuvent se réveiller ! C’est le cas de D/1783 W1 (Pigott) et de D/1819 W1 (Blanpain), qui ont perdu leur « D » et sont maintenant nommées 226P/Pigott-LINEAR-Kowalski et 289P/Blanpain. Ces résurgences peuvent être dues à l’amélioration des moyens d’observation qui, désormais plus sensibles, peuvent révéler une faible activité jusqu’alors passée inaperçue. Mais aussi à un réel regain d’activité, si par hasard la croûte protectrice vole en éclats. Les causes peuvent être diverses : pression d’une poche de gaz interne ; collision avec un autre petit corps ; changement d’orbite à la suite d’une perturbation gravitationnelle.
Des objets qui changent d’état civil
Les règles de nomenclature établies par l’Union astronomique internationale (UAI) diffèrent pour les comètes et les astéroïdes. L’ambiguïté de la classification de certains petits corps a donc posé des problèmes que l’UAI s’est efforcée de résoudre au cas par cas. Pour faire simple, le plus souvent, on conserve le nom de l’objet en n’en changeant que le préfixe. Ainsi, lorsqu’un astéroïde devient actif, on lui ajoute le préfixe « P/ » des comètes à courte période. Certains objets ont le privilège de posséder officiellement une double désignation. Ainsi, Chiron (fig. 1), découvert en 1977, est un corps de 166 km de diamètre qui gravite entre 8 et 18 UA du Soleil. C’est un Centaure – c’est ainsi que l’on désigne cette classe d’astéroïdes ayant ce genre d’orbites. Il a initialement été dûment immatriculé comme un astéroïde, (2060) Chiron. Mais en 1988, on lui a découvert une activité cométaire : augmentation de magnitude et queue. Il a alors acquis son autre désignation, la comète 96P/Chiron. Un autre Centaure actif possède également cette double identité : (60558) Echeclus, alias 174P/Echeclus. Non répertoriée comme astéroïde, la comète atypique 29P/Schwassmann-Wachmann 1 est cependant classée comme Centaure. Avec un noyau d’une soixantaine de kilomètres de diamètre, elle gravite sur une orbite quasi circulaire à 5 UA du Soleil, à peine plus loin que Jupiter, et présente des sursauts d’activité d’origine inexpliquée. Elle dégaze du monoxyde de carbone, mais aussi de l’eau qui pourrait provenir de la sublimation de grains glacés présents dans la chevelure plutôt que du noyau. L’UAI a prévu le préfixe « A/ » pour renommer un objet désigné par erreur comme comète et qui se révèle être un astéroïde. Mais ce préfixe semble avoir été très peu employé. Il a été momentanément utilisé pour le premier objet interstellaire, d’abord nommé comme comète C/2017 U1, puis reclassé comme astéroïde A/2017 U1 lorsque l’on s’est rendu compte qu’il ne manifestait aucune activité cométaire, et finalement renommé 1I/’Oumuamua lorsque l’UAI a décidé d’introduire le préfixe « I/ » pour cette nouvelle classe d’objets interstellaires (qu’ils soient comètes ou astéroïdes).
1. Le Centaure Chiron observé le 26 janvier 1996 au télescope de 2,2 m de l’eso montre une faible queue. (D’après Rauer et al., 1997, PASS, 45, 799.)
Des astéroïdes actifs
Les comètes de la ceinture principale
Les astéroïdes de la ceinture principale gravitent entre les orbites de Mars et Jupiter, soit entre 1,7 et 3,5 UA du Soleil. Un petit nombre seulement – environ 500 000 tout de même ! – ont été recensés.
Parmi eux figure l’astéroïde 1979 OW7, numéroté (7968). Mais en 1996, Eric Elst et Guido Pizarro redécouvrent cet objet sur une photo prise à l’Eso où il montre clairement une queue. Il a donc été rebaptisé 133P/Elst-Pizarro. C’était la première découverte d’une comète de la ceinture principale (fig. 2). D’autres ont suivi. On en connaît maintenant une bonne douzaine (Jewitt et al., 2015 ; Snodgrass et al., 2017). Ces objets sont indifféremment désignés « astéroïdes actifs » ou « comètes de la ceinture principale », ce qui illustre bien leur dualité. Certains ont conservé leurs deux nomenclatures d’astéroïde et de comète.
L’activité de ces corps peut avoir plusieurs explications (lire l’encadré 2). Ce peut être une activité cométaire réelle due à la présence d’une (faible) quantité de glaces. On note que la fameuse « ligne des glaces », en deçà de laquelle l’eau ne peut pas être accrétée sous forme de glace lors de la formation des petits corps, est vers 3 UA, au milieu de la ceinture principale (en remarquant que cette valeur a pu évoluer au cours de l’histoire du Système solaire). Certains astéroïdes ont donc pu conserver une certaine quantité de glace. Leur activité est alors récurrente et elle est liée aux passages successifs au périhélie (bien que l’excentricité des orbites de ces corps soit faible). Cependant, les recherches de gaz (eau, monoxyde de carbone ou radical CN) ont jusqu’à présent été infructueuses, la productivité de ces objets étant très faible.
2. La comète de la ceinture principale 133P/elst-Pizarro. (© ESO)
Une petite comète, comme 67P/Churyumov-Gerasimenko, produisait à son périhélie 10^28 molécules d’eau par seconde (soit 300 kg par seconde). Pour une grosse comète comme Hale-Bopp, c’était 10^31 molécules d’eau par seconde (300 tonnes par seconde). Les comètes de la ceinture principale, bien moins actives, échappent aux possibilités observationnelles actuelles qui ne permettent pas de détecter des productions de gaz inférieures à quelque 10^25 molécules par seconde (le kilogramme par seconde).
Pour certains objets, l’activité ne semble pas due à la sublimation de glaces, mais être le résultat d’une collision dispersant le régolithe de l’objet. L’activité est alors bien évidemment ponctuelle et la queue formée se détache de l’objet. Ce fut le cas de l’objet P/2010 A2 (LINEAR) = 354P/LINEAR pour lequel D. Jewitt et ses collègues ont suivi l’évolution de la queue de poussières (fig. 3). On a pu estimer que le responsable de la collision était un corps de taille métrique frappant l’astéroïde à une vitesse d’environ 5 km/s. L’événement qui a rendu actif P/2016 G1 (PANSTARRS) en mars 2016, comme l’ont observé O. Hainaut et son équipe, a été sans doute encore plus catastrophique, puisqu’il a conduit à la dislocation, et probablement la destruction totale, de l’astéroïde.
Et qu’en est-il des gros corps de la ceinture principale ? (1) Cérès, planète naine de 950 km de diamètre de la ceinture principale que personne ne songerait à classer comme comète, est actif et éjecte de l’eau, comme l’a observé en 2014 le satellite submillimétrique Herschel. (24) Thémis, un gros astéroïde de 200 km, présente de la glace d’eau à sa surface, sans qu’une activité notable ait été observée.
3. L’objet P/2010 A2 (LineAr) = 354P/LineAr présente une queue de poussières due à une collision plutôt qu’à une activité cométaire. (Nasa/Esa/HST)
L’activation des astéroïdes
Plusieurs mécanismes peuvent être responsables de l’activité d’un astéroïde. Ils peuvent jouer concurremment. La sublimation des glaces. Pour avoir accrété des glaces, le petit corps doit s’être formé à l’extérieur de la ligne des glaces, soit à plus de 3 UA du Soleil pour la glace d’eau.
- La sublimation n’est efficace que près du Soleil (à moins de 5 UA). Le petit corps mérite alors d’être considéré comme une comète.
- Une collision. Cette collision peut disperser une partie du régolithe de surface, ou même conduire à la dislocation totale du petit corps.
- La rotation rapide du noyau. Le régolithe est éjecté si la force centrifuge excède la force de gravité. Pour un corps sphérique sans cohésion de masse volumique 1 000 kg/m3, cela se passe à l’équateur lorsque la période de rotation est inférieure à 3,3 h.
- Des effets électrostatiques. Le plasma du vent solaire peut charger électriquement la surface du petit corps, conduisant au soulèvement des plus petites particules du régolithe.
- Une fracturation due à un choc thermique. Des variations de température de grande amplitude se produisent entre le jour et la nuit lors de la rotation du noyau, pouvant fragmenter la couche de surface.
- Une fracturation due aux forces de marée. C’est ce qui est arrivé à D/1993 F2 (Shoemaker-Levy 9) après avoir frôlé Jupiter.
Le cas de la « comète » Shoemaker-Levy 9
Autre objet exotique, D/1993 F2 (Shoemaker-Levy 9), cet objet qui a percuté Jupiter en juillet 1994. Avant sa découverte et sa mise en orbite autour de Jupiter, il était ignoré et probablement inactif. C’est à la suite d’un premier passage près de Jupiter, à seulement 1,3 rayon du centre de la planète le 7 juillet 1992, que le corps parent s’est fragmenté en une vingtaine de morceaux sous l’influence des forces de marée, donnant naissance à cet extraordinaire chapelet de petites comètes alignées, chacune dotée de sa propre queue (fig. 4). Mais le corps initial était-il une comète ou un simple astéroïde, les queues accompagnant les fragments étant de la poussière échappée lors de la fragmentation ? Aucune trace de gaz n’a pu être détectée autour de ces fragments. Du gaz (de l’eau) a bien été observé dans les taches d’impact après la collision avec Jupiter, mais il pourrait provenir de l’atmosphère de la planète. Le doute subsiste.
4. Les forces de marée ont fait éclater la comète (?) après son passage près de Jupiter, juste avant sa chute sur la planète. (Nasa)
Des astéroïdes sur des orbites cométaires
(3200) Phaethon est un astéroïde sur une orbite cométaire ! Une orbite très excentrique qui l’entraîne de 0,14 à 2,40 UA avec une période de 1,43 an. Il n’a pas d’activité cométaire stricto sensu, car il ne montre pas de coma. Mais il perd des poussières, car il génère une traînée météoritique qui est à l’origine de l’essaim des Géminides qui nous frappe à la mi-décembre. Une activité due à la sublimation de glaces semble être exclue, ces dernières ayant probablement été épuisées par les passages successifs près du Soleil. Il faut plutôt envisager une dissociation thermique due au chauffage par le Soleil et au fort gradient thermique qui en résulte, provoquant fracturation et dislocation.
C/2014 S3 (PANSTARRS) est une comète atypique qui présente un bel exemple de migration dans le Système solaire. Son orbite, rétrograde avec une période de 860 ans, est typique des comètes provenant du nuage de Oort. Elle est très peu active et sans queue. La couleur de son noyau est similaire à celle des astéroïdes rocheux. Selon K. Meech et ses collaborateurs, il semble que ce corps se soit formé dans la région interne du Système solaire parmi la cohorte des astéroïdes. Mais il a été éjecté dans le nuage de Oort. Il a cependant conservé une petite quantité de glaces qui lui permet de conserver une faible activité lorsqu’il nous revient vers son périhélie, à 2,05 UA du Soleil.
D’autres astéroïdes ou comètes éteintes ayant des orbites typiques des comètes à longue période ont été identifiés. Ce sont les Damocloïdes (du nom de l’astéroïde (5335) Damocles qui appartient à cette famille).
En y regardant de plus près avec les sondes spatiales
Les astéroïdes géocroiseurs de la famille Apollo sont les plus faciles à atteindre et sont des cibles privilégiées pour des missions spatiales avec retour d’échantillon. C’est le cas pour deux petits objets en cours d’exploration : (162173) Ryugu avec Hayabusa2, une mission de l’agence japonaise Jaxa, et (101955) Bennu avec OSIRIS-Rex, une mission de la Nasa (fig. 5a). Les nouvelles du déroulement de ces missions ont été relatées dans l’Astronomie. Les tailles respectives des astéroïdes Ryugu et Bennu sont de 865 m et 490 m, et leurs images sont similaires, montrant qu’ils sont des agrégats de débris, avec un renflement caractéristique à l’équateur.
La surprise est venue de Bennu, qui manifeste une activité surprenante. À plusieurs reprises, des éjections par bouffées de centaines de particules ont été observées par la caméra de navigation de la sonde OSIRIS-Rex (fig. 5b) [Lauretta et al., 2019]. La taille de ces particules va de quelques millimètres jusqu’à dix centimètres. Leur vitesse est de quelques centimètres à quelques mètres par seconde ; certaines s’échappent, d’autres retombent à la surface. Ce phénomène inattendu a causé quelque inquiétude pour la sécurité de la sonde.
5. A – L’astéroïde (101955) Bennu, ici observé par la sonde OSIRIS-Rex, est un agrégat de débris d’une taille de 490 m. (NASA)
Lauretta et ses collaborateurs ont examiné les mécanismes qui pourraient être responsables de l’éjection de ces particules, mais ne les ont pas pleinement élucidés. Bennu ne semble pas contenir de glaces, ce qui exclut une activité de type cométaire. Bien que la rotation de Bennu soit rapide (sa période est de 4,30 h) et sa masse volumique faible (seulement 1 190 kg/m3), la dispersion du régolithe par la force centrifuge n’est pas possible ; il faudrait en effet une période de rotation de moins de 3 h pour éjecter des particules de la région équatoriale, d’où, d’ailleurs, elles ne semblent par provenir.
5. B – La caméra de la sonde OSIRIS-Rex a observé à plusieurs reprises l’éjection de particules de taille centimétrique de la surface de l’astéroïde Bennu alors qu’il était à 0,9UA du soleil. ils apparaissent comme des points brillants sur cette image obtenue le 6 janvier 2019. (NASA/Goddard/University of Arizona/Lockheed Martin)
La détermination des trajectoires des particules nous donne un indice important en montrant qu’elles proviennent de la région après-midi de la surface de Bennu. C’est la région qui, alternativement chauffée par le Soleil puis refroidie suivant le cycle jour-nuit, atteint la température la plus élevée et subit des variations thermiques d’une grande amplitude pouvant atteindre 150 °C. Ce choc thermique est suffisant pour craqueler le matériau de surface et en libérer des fragments, comme cela a été expérimenté en laboratoire sur certaines météorites. L’analyse spectroscopique de Bennu montre que sa surface contient des phyllosilicates (des argiles). Ces composés sont riches en eau qu’ils peuvent relâcher s’ils sont suffisamment chauffés. Peut-être est-ce là une source du gaz pouvant entraîner les particules. Il est également possible que les particules soient éjectées par des chocs de micrométéorites. Le sens de rotation de l’astéroïde étant rétrograde, la région après-midi, qui va de l’avant sur l’orbite, est en effet exposée à un flux plus intense de météorites.
Un paramètre utile pour la classification
Le paramètre de Tisserand – Un paramètre utile pour la classification des petits corps est le paramètre TJ introduit par l’astronome Félix Tisserand (1845-1896), dérivé des éléments orbitaux :
où aJ est le demi-grand axe de l’orbite de Jupiter (5,2 UA), a celui de la comète, e son excentricité et i son inclinaison. Ce paramètre a la particularité d’être invariant lors d’une interaction gravitationnelle avec Jupiter. Il permet de distinguer, suivant leur orbite, les comètes de la famille de Jupiter et les autres, de séparer les comètes de la famille de Jupiter des astéroïdes de la ceinture principale. Les comètes de la famille de Jupiter ont 2 < TJ < 3 alors que les comètes à longue période ou de la famille de Halley ont TJ < 2 et les astéroïdes, TJ > 3 (fig. 6).
6. La classification des petits corps proposée par David Jewitt. elle est fondée sur leur activité (présence ou non d’une coma) et sur le paramètre de tisserand TJ.
Deux paramètres importants, mais élusifs
Des tentatives objectives de classification ont été faites (lire l’encadré 3). Elles sont basées sur l’activité de ces petits corps et sur le paramètre de Tisserand qui quantifie leur interaction avec Jupiter. Mais d’autres paramètres pourraient être considérés.
Quelle est la proportion de glaces et de roches dans ces corps ? Cela pourrait nous renseigner sur la nature de leur activité en distinguant petits corps « secs » et petits corps « humides ». En l’absence d’un diagnostic effectué à partir d’une analyse in situ (voir plus loin), il faut se résigner à étudier les matières éjectées lors de l’activité de ces corps. Pour les comètes traditionnelles, on évalue le rapport « gaz-sur-poussières » observé dans la coma. Le gaz se mesure avec précision en estimant les taux de production des différentes molécules par spectroscopie lorsque la comète est brillante. La production de poussières s’estime à partir des mesures photométriques de la chevelure, mais ces mesures ne sont sensibles qu’aux particules de poussières de petite taille ; les particules de grosse taille ne sont accessibles que par des observations radio ou radar, plus délicates à mettre en œuvre. Pour les objets faiblement actifs qui nous intéressent ici, le paramètre « gaz-sur-poussières » nous échappe le plus souvent. Et il faut préciser que les matières éjectées peuvent être fort différentes des matières restant dans le noyau. Ce paramètre est donc peu utilisable à l’heure actuelle.
La masse volumique pourrait encore jouer un rôle important dans la classification de ces objets, en distinguant les objets riches en glaces, peu denses, des objets riches en roches. Mais elle est difficile à mesurer. Elle n’est connue avec précision que pour deux comètes. Pour 9P/Tempel 1, la trajectoire des éjecta soulevés à la suite de l’impact de Deep Impact a permis de déterminer sa masse. La masse volumique est 350 kg/m3. Pour 67P/Churyumov-Gerasimenko, la masse a été mesurée à partir de l’orbitographie de la sonde Rosetta et conduit à une masse volumique de 530 kg/m3. Aucun astéroïde n’a une masse volumique aussi faible. Les moins denses sont les astéroïdes récemment explorés (101955) Bennu et (162173) Ryugu avec des masses volumiques d’environ 1 200 kg/m3 ; toutefois, des masses volumiques pouvant aller jusqu’à 3 500 kg/m3 s’observent pour les astéroïdes massifs avec cœur métallique.
Le témoignage des météorites ?
Les météorites de type chondrites carbonées sont parfois présentées comme étant des morceaux de noyaux cométaires. Ce serait une aubaine : plus besoin de se rendre sur place ! L’exemple le plus célèbre est la mythique météorite d’Orgueil (Gounelle & Zolensky, 2014). Sa masse volumique de 1 580 kg/m3 en fait l’une des météorites les moins denses connues.
De l’eau au moulin de cette hypothèse a été apportée par l’analyse de l’orbite du bolide qui avait accompagné la chute d’Orgueil le 14 mai 1864. Une étude récente basée sur des observations et témoignages recueillis par Aimé Laussédat juste après l’événement place le corps parent sur une orbite typiquement cométaire avec un aphélie au-delà de Jupiter. Vers 1850, l’astronome toulousain Frédéric Petit avait tenté d’établir les orbites de quelques bolides. Il pensait avoir ainsi découvert parmi eux un deuxième satellite de la Terre (ce qui a été mis en scène par Jules Verne dans Autour de la Lune). Les communications de Frédéric Petit ont été accueillies par les ricanements des académiciens (orchestrés par Le Verrier). De telles études sont cependant moins fiables que les observations systématiques faites actuellement par les caméras du réseau FRIPON.
Mais si Orgueil est réellement un morceau de noyau cométaire, comment réconcilier sa masse volumique avec celle bien plus faible des noyaux de 9P et 67P ? La disparition des éventuelles glaces cométaires de la météorite aurait dû causer une baisse de la masse volumique et une augmentation de la porosité. On peut arguer que l’extrême fragilité des noyaux cométaires n’a pas permis leur survie lors de la traversée de l’atmosphère, et que seuls les fragments les plus denses nous parviennent. Déjà, les fragments d’Orgueil qui nous sont parvenus sont fragiles : on constate leur altération au cours du temps en examinant les morceaux qui nous sont montrés lors des expositions : entourés de dépôts, ils tombent littéralement en poussière malgré les soins pris pour leur conservation (fig. 7).
7. Un fragment de la météorite d’orgueil exposé sous sa cloche. sa taille est d’environ 20 cm. on remarque les débris tombés autour de la météorite, témoignant de sa fragilité dans l’environnement terrestre.
Pour en savoir plus :
Une analyse en laboratoire
Comment en savoir plus ? En analysant la matière du noyau cométaire ou de l’astéroïde, si possible prélevée en profondeur. Cela nous permettrait de comprendre la nature du mélange glaces-poussières.
Cela peut se faire par un appareillage robotisé envoyé sur place. Philae, l’atterrisseur de Rosetta, était équipé pour le faire avec une foreuse. Le carottage envisagé devait se faire à une profondeur de 23 cm avec l’instrument SD2, les échantillons étant ensuite analysés avec les spectromètres de masse et les chromatographes des instruments COSAC et PTOLEMY. Mais mal positionné, Philae n’a pu effectuer le prélèvement prévu.
Une autre possibilité est le retour d’échantillons pour analyse avec les moyens sophistiqués des laboratoires terrestres. Ce retour doit se faire dans des conteneurs réfrigérés pour préserver les glaces (ce que ne permettent pas les missions en cours vers les astéroïdes). C’était déjà l’objectif de CESR (Comet Exploration Sample Return, 1986), version primitive de Rosetta, vite abandonnée en raison des difficultés techniques. Puis de Triple-F (Fresh From Fridge, Esa, 2009) et CAESAR (Comet Astrobiology Exploration Sample Return, Nasa, 2017), qui ont également été écartées. Maintenant Ambition, mission vers une comète de la famille de Jupiter, est proposée dans le cadre des projets à long terme « Voyage 2050 » de l’Esa (Bockelée-Morvan et al., 2019).
Faut-il une nouvelle définition pour comètes et astéroïdes ?
Il faut reconnaître que les règles rigides de nomenclature des comètes et des astéroïdes, qui diffèrent pour les deux classes d’objets, aboutissent à une situation bancale pour les objets intermédiaires, ce qui a amené l’UAI à adopter des aménagements. Faut-il revoir fondamentalement la nomenclature de ces objets, ce qui entraînerait le changement de nom de centaines, voire de milliers d’objets ? Une belle pagaille en perspective !
On se souvient des débats passionnés qui ont suivi la définition des planètes, planètes naines et astéroïdes à l’initiative de l’Union astronomique internationale en 2006. Nul doute que si l’UAI s’aventurait à vouloir formaliser la distinction entre comètes et astéroïdes, des débats non moins passionnés s’ensuivraient. Mais est-ce bien nécessaire ? Pour les astronomes, tous ces objets sont des petits corps, chacun ayant sa spécificité, et tout le monde s’y retrouve ! Toute classification, obligatoirement basée sur les connaissances et les techniques de son époque, est condamnée à être remise en cause. Botanistes et zoologues le savent bien, qui ont vu leurs belles classifications du passé totalement chamboulées par la révolution apportée par les analyses de l’ADN ! Et classification n’est pas explication : nous avons vu que des objets actifs d’une même classe pouvaient avoir leur activité causée par des mécanismes différents.
Par Jacques CROVISIER | Observatoire de Paris
Article publié dans l’Astronomie n°136, Mars 2020
Bibliographie
Bockelée-Morvan et al., « AMBITION – Comet Nucleus Cryogenic Sample Return », 2019, White paper for ESA’s Voyage 2050 programme. https://arxiv.org/abs/1907.11081
Gounelle & M. E. Zolensky, « The Orgueil meteorite: 150 years of history », 2014, Meteoritics & Planetary Science, 49, 1769-1794. https://onlinelibrary.wiley.com/doi/epdf/10.1111/maps.12351
Jewitt, H. Hsieh & J. Agarwal, « The active asteroids », 2015, in P. Michel, F. DeMeo & W. Bottke, Asteroids IV, Univ. Arizona Press, Tucson, 221-241. https://arxiv.org/pdf/1502.02361
D. S. Lauretta, C. W. Hergenrother et al., « Episodes of particle ejection from the surface of the active asteroid (101955) Bennu », 2019, Science, 366, eaay3544. https://science.sciencemag.org/content/366/6470/eaay3544
Snodgrass et al., « The Main Belt comets and ice in the Solar System », 2017, Astron. Astrophys. Rev., 25:5. https://arxiv.org/pdf/1709.05549
par Sylvain Bouley | Jan 14, 2023 | Zoom Sur
Dans la nuit du 26 au 27 septembre, le Double Asteroid Redirection Test (DART) de la Nasa a percuté avec succès sa cible, un tout petit astéroïde en orbite autour d’un autre, à peine plus grand que deux fois la tour Eiffel. C’était la première tentative mondiale de déplacer un astéroïde dans l’espace, après dix mois de voyage.
Dans le cadre de la stratégie globale de défense planétaire de la Nasa, l’impact de DART (l’acronyme veut aussi dire « fléchettes » en anglais) avec l’astéroïde Dimorphos avait pour but principal de démontrer la faisabilité d’un protocole de défense, qui consisterait à dévier la trajectoire d’un astéroïde si celui-ci présente un risque de collision avec la Terre. DART a ciblé l’astéroïde Dimorphos, un petit corps d’à peine 160 mètres de diamètre. Il est en orbite autour d’un astéroïde plus grand, de 780 mètres de diamètre, appelé Didymos. Aucun des deux astéroïdes ne constitue une menace pour la Terre, et l’idée de dévier la trajectoire de Dimorphos et non celle d’un astéroïde quelconque est d’en modifier la trajectoire autour de Didymos, mais de telle sorte que le système du couple d’astéroïdes ne change pas sa trajectoire autour du Soleil (ce serait quand même idiot de prendre le risque d’en faire un potentiel danger pour nous !). Le voyage aller de la mission a confirmé que la Nasa peut faire naviguer un vaisseau spatial pour qu’il entre intentionnellement en collision avec un astéroïde afin de le dévier, une technique connue sous le nom d’« impact cinétique ».
L’équipe de recherche a ensuite observé Dimorphos à l’aide de télescopes terrestres pour confirmer que l’impact de DART a modifié l’orbite de l’astéroïde autour de Didymos. Les chercheurs s’attendent à ce que l’impact raccourcisse l’orbite de Dimorphos d’environ 1 %, soit approximativement 10 minutes ; la mesure précise de la déviation de l’astéroïde est l’un des principaux objectifs de l’essai grandeur nature.
Sur ces images obtenues par le Virtual Telescope Project en collaboration avec le Klein Karoo Observatory de Calitzdorp, en Afrique du Sud, on voit nettement le nuage de poussière qui suit l’impact.
Côté exploit technologique, on retiendra le système de guidage automatique, qui a permis de diriger la sonde vers sa minuscule cible sur les 90 000 derniers kilomètres, pour une vitesse d’impact d’environ 22 530 kilomètres par heure afin de ralentir légèrement la vitesse orbitale de l’astéroïde. Les dernières images obtenues par l’engin spatial quelques secondes avant l’impact ont révélé la surface de Dimorphos dans ses moindres détails. C’est sous cet aspect que les retombées scientifiques vont être importantes pour la connaissance des petits corps du Système solaire. Pour connaître la composition de l’astéroïde et affiner les modèles, les astronomes analysent les images de l’impact qui a résulté de la collision et qui ont été enregistrées par le compagnon CubeSat de DART, le Light Italian CubeSat for Imaging of Asteroids (LICIACube), fourni par l’Agence spatiale italienne. Comme LICIACube n’est pas équipé d’une grande antenne, les images seront transmises vers la Terre une par une dans les semaines suivant l’impact.
En 2026, la sonde spatiale européenne Hera (Esa) s’approchera des deux astéroïdes afin d’étudier les conséquences de l’impact de DART au bout de quatre années d’évolution.
C’est un beau succès de la Nasa. Mais la défense planétaire contre les astéroïdes potentiellement dangereux ne fait que commencer, n’en déplaise à ceux qui ont déjà considéré DART comme une vengeance pour nos chers dinosaures.
par Léa Griton | Sorbonne Université, Observatoire de Paris-PSL
Article publié dans l’Astronomie n°165, nov. 2022
par Sylvain Bouley | Jan 10, 2023 | Zoom Sur
Le 26 septembre 2022, l’observatoire de Besely a observé en direct l’impact de la mission DART sur l’astéroide Dimorphos. Retour sur cette jolie histoire.
DART ou Double Asteroid Redirection Test (« Test de déviation d’un astéroïde double ») est une mission de la NASA qui a testé pour la première fois une méthode permettant de dévier un astéroïde susceptible de s’écraser sur la Terre. L’impact à la surface de Dimorphos a eu lieu le 26 septembre 2022 à 23 h 14 (UTC) à une vitesse relative de 6,58 km/s (23 700 km/h). La mission a été un succès car l’impact sur Dimorphos (masse de 4,8 milliards de kilogrammes) a modifié son orbite autour de Didymos et a diminué de 32 minutes sa période orbitale.
Schéma du déroulement de l’impact de l’engin spatial DART sur Dimorphos (mission de la NASA)
Observer cet impact depuis Madagascar n’était pas envisageable il y a encore un an. L’observatoire de Besely situé à Ecoles du Monde Madagascar près de Majunga a été inauguré en mai 2022. Cet observatoire muni d’un télescope de 35 cm est contrôlable à distance et les premières observations ont été réalisées durant cet été. Durant l’été, Benoit Carry, astronome à l’Observatoire de la Côte d’Azur contacte Arnaud Leroy, président de l’Uranoscope de l’Ile de France et conseiller de l’Observatoire de Besely pour lui suggérer d’observer l’impact depuis Madagascar. En effet, Madagascar était bien situé pour observer Didymos. L’idée, suivre la luminosité de l’astéroïde avant, pendant et après l’impact. Cet évènement de défense planétaire représentait pour ce tout nouvel observatoire un joli commencement de collaboration Pro/amateur. Le soir du 26 septembre, la météo était clémente à Madagascar. Arnaud Leroy depuis la France décide alors de pointer Didymos, dont le satellite Dimorphos sera impacté par la sonde Dart à 23h14 (UTC). En parallèle, Arnaud Leroy et Sylvain Bouley suivent sur la chaine NASA/ESA le live de l’arrivée de la sonde vers ce monde inconnu (pour rappel l’impact de la sonde a lieu à 11 millions de km de la Terre donc pas de risques). Le télescope commence à enregistrer des images de Didymos/Dimorphos (les deux éléments ne sont pas dissociables visuellement) environ 30 minutes avant l’impact afin de mesurer l’effet qui en en découlera après l’impact de la sonde. Alors que l’impact a eu lieu , 40 secondes plus tard, Arnaud Leroy et Sylvain Bouley commencent à voir les effets de l’impact sur les images; un panache semble apparaître autour de l’astéroïde (Figure 1) ! L’information est directement communiquée sur les différents réseaux . La prise d’images se poursuit pendant 45 minutes après l’impact . Que d’émotions!!
1. La panache de matière éjecté lors de l’impact est bien observable pendant plusieurs dizaines de minutes autour de l’astéroide Didymos.
3 Jours plus tard , Arnaud Leroy reçoit un appel à observation de la part du Dr Damya Souami, astronome à l’observatoire de la Côte d’Azur et membre de l’équipe ACROSS (qui suit des campagnes d’observations sur Didymos) . Elle encourage Arnaud à faire un suivi autant que possible de l’activité de Didymos/Dimorphos. L’équipe fera par la suite 5 nuits d’observations du 28 septembre au 5 octobre 2022. Les images ont été transmises à l’équipe ACROSS qui les partagera avec l’équipe HERA (sonde européenne qui partira revoir Didymos/Dimorphos en 2024 et arrivera en 2026) dont Patrick Michel est le responsable. Ces images de suivi post-impact ont montré que le nuage de poussières qui s’est dégagé suite à l’impact a donné un aspect cométaire à cet astéroïde (Figure 2) .
2. Une queue type cométaire est bien visible plusieurs jours après l’impact
Arnaud Leroy, président de l’Uranoscope de l’Ile de France
Andoniaina Rajaonarivelo, directeur de l’Observatoire de Besely
par Sylvain Bouley | Oct 13, 2022 | Zoom Sur
Année 2007, les astronomes détectent un pulsar à l’emplacement de ce qu’ils croyaient être depuis des années une variable cataclysmique : l’astre qu’ils croyaient être une étoile naine blanche d’une dizaine de milliers de kilomètres de diamètre (comparable à la Terre) et d’une masse de quelques dixièmes de la masse du Soleil (100 000 fois la Terre) s’avère être en réalité une étoile à neutrons*, c’est-à-dire un résidu d’étoile massive de seulement 20 km de diamètre et un milliard de fois plus dense qu’une naine blanche avec une masse d’environ 1,5 fois la masse du Soleil. Comment a-t-on pu faire une telle méprise ? C’est ce que nous allons essayer de voir dans le reste de cet article.
Un * renvoie au glossaire en fin d’article.
L’ESSENTIEL
Un pulsar est une étoile à neutrons magnétisée tournant très vite, que l’on peut observer en ondes radio, ou X ou gamma. Un pulsar émet beaucoup d’énergie, ce qui ralentit sa rotation au point qu’après quelques millions d’années, il s’éteint. Il reste une étoile à neutrons presque inerte. Cependant, d’anciens pulsars formant un système double avec une étoile peuvent accréter de la matière de leur compagnon, ils gagnent alors de la vitesse de rotation et se transforment à nouveau en pulsar. Le vent émis par le pulsar réactivé va progressivement faire disparaître le compagnon stellaire ayant permis son réallumage. Des observations très différentes du même objet, appelé J1023, menées en 2000, 2001, 2004 et 2007 ont été interprétées récemment comme provenant d’un système de deux étoiles subissant cette transformation. L’article, qui décrit cette transformation d’un système binaire en un pulsar milliseconde, tel qu’il est observé entre 2007 et 2013, est rédigé par un des coauteurs d’une étude de J1023 publiée cette année. Mentionnons que ce jeune chercheur a obtenu son doctorat en 2017, et qu’il a reçu le prix de la meilleure thèse de l’Union astronomique internationale, dans la thématique « phénomènes de haute énergie et physique fondamentale ».
1. Schéma représentant un pulsar. L’étoile à neutrons est en rotation autour de l’axe vertical vert. Les lignes blanches représentent le champ magnétique de l’étoile. Le cône bleu s’échappant des pôles magnétiques représente le faisceau d’ondes radio émis. Un observateur voit passer le faisceau à chaque rotation de l’étoile sous la forme d’une impulsion radio revenant avec une très grande régularité. (Mysid, CC BY-SA 3.0)
Genèse d’un pulsar
Un pulsar est constitué d’une étoile à neutrons qui elle-même est un résidu d’étoile massive. Par massive, on entend une étoile faisant plus de 8 fois la masse du Soleil. Les étoiles moins massives, et en particulier le Soleil, ont pour résidu une naine blanche qui, comme mentionné dans le texte, est à la fois beaucoup plus volumineuse et moins massive qu’une étoile à neutrons. Toutes les étoiles en activité résultent de l’équilibre entre la pression générée par la fusion nucléaire en leur cœur et la gravité qui tend à les faire s’effondrer sous leur propre poids. Une étoile « meurt » lorsque son combustible nucléaire est épuisé et que les réactions nucléaires s’arrêtent, menant à l’effondrement du cœur tandis qu’une grande partie de l’enveloppe de l’étoile est éjectée dans l’espace dans un dernier souffle. Dans le cas des étoiles massives, ce dernier souffle est particulièrement impressionnant : il s’agit d’une supernova dont la luminosité peut excéder la luminosité combinée de toutes les autres étoiles de sa galaxie hôte. Dans le cas d’une étoile de moins de 8 masses solaires, le résidu fait moins que la masse limite, dite de Chandrasekhar, laquelle vaut 1,4 masse solaire. Avec une telle masse, la pression de dégénérescence des électrons, c’est-à-dire la pression due au fait que deux électrons ne peuvent occuper le même état (la même position et la même vitesse essentiellement), suffit à stopper l’effondrement et l’on obtient une naine blanche. Dans le cas d’étoiles dont le résidu est plus massif, la pression de dégénérescence des électrons ne suffit pas et l’effondrement continue. Sous l’effet de la pression, les électrons se mêlent aux protons pour former des neutrons (ainsi que des neutrinos). Si c’est finalement la pression de dégénérescence des neutrons qui arrête l’effondrement, une étoile à neutrons se forme. Si cela ne suffit pas, alors il semble que rien ne puisse enrayer l’effondrement et un trou noir se forme. Avoir une étoile à neutrons ne signifie cependant pas nécessairement avoir un pulsar. Pour cela, on sait qu’une condition nécessaire est que celle-ci soit dotée d’une magnétosphère capable de produire des champs électriques très intenses, au moins de l’ordre de 1012 volts/mètre, capables d’exciter le plasma piégé dans la magnétosphère à de très hautes énergies ! Cela est possible si l’étoile tourne suffisamment vite sur elle-même, en pratique de 1,5 milliseconde à 8,5 secondes par tour, et si son champ magnétique est particulièrement intense, de plus de 10 000 à 1010 teslas.
Rebaptisé pour l’occasion PSR J1023+0038, l’astre se situe comme son nom l’indique à 10 h et 23 min en ascension droite et à 38 minutes en déclinaison dans le référentiel appelé « J2000 ». Le préfixe « PSR » est simplement l’abréviation de pulsar*. Le pulsar J1023 – les intimes ne s’embarrassent pas souvent de la déclinaison, laquelle est un peu comme le nom de famille de l’objet – n’avait pas été détecté plus tôt pour au moins une bonne raison : il n’était pas là ! Ou du moins, il était trop faible pour être détecté.
Lorsque les astronomes observent dans cette direction entre mai 2000 et décembre 2001 [1], ce qu’ils voient est une source radio continue, et en lumière visible un objet de magnitude 17,5 dont le spectre est très bleu. Surtout, le spectre montre des raies d’émission dédoublées ainsi qu’un scintillement rapide de l’intensité lumineuse, deux éléments caractéristiques des disques d’accrétion spiralant autour des naines blanches dites « variables cataclysmiques ». Jetant un coup d’œil à leurs archives, les astronomes remarquent que le flux radio observé était absent quelques années plus tôt, montrant que cette source varie beaucoup dans le temps. Les astronomes concluent qu’il est urgent d’en apprendre plus, et d’autres observations sont prévues.
Quelques années plus tard, en mars 2004, on assiste à un nouveau développement alors que J1023 est réobservé [3,4] : le spectre bleu, les raies d’émission, le scintillement… tout a disparu. À la place, une simple étoile de type G, comme le Soleil, à cela près que son intensité lumineuse varie mystérieusement avec une période de 4,75 heures.
Nous revoilà en 2007. Compte tenu de tout ce qui avait déjà été observé à l’emplacement de J1023, qu’est-ce qui a fait soudainement dire aux astronomes qu’un pulsar se nichait là ? Pour cela, il faut comprendre ce dont il s’agit exactement. Comme nous l’avons déjà mentionné, un pulsar est une étoile à neutrons, l’objet connu le plus compact qui ne s’effondre pas en trou noir (voir encadré). Dans certains cas au moins, ces objets sont dotés des champs magnétiques les plus extrêmes que nous connaissions, allant de 10 000 teslas à quelques milliards de teslas. Pour comparaison, le champ magnétique terrestre fait moins de 0,0001 tesla et les meilleures expériences en laboratoire ne parviennent à produire que des champs de 1 000 teslas, et encore, pendant une petite fraction de seconde, alors que dans les pulsars le champ est permanent ! Le résultat, c’est que le plasma piégé dans ce que l’on appelle la magnétosphère* du pulsar – la zone où l’influence du champ magnétique domine le plasma qui s’y trouve – produit toutes sortes de rayonnements. Les plus faciles à détecter, et de loin, sont les émissions radio. Surtout, cette émission vue par les radiotélescopes terrestres est pulsée, constituée d’un signal radio bref – un « bip » – répété avec une régularité non pas de métronome, mais d’horloge atomique : dans les meilleurs cas, il est possible de prédire le prochain bip avec une précision de 100 nanosecondes (un dix-millionième de seconde). Cela se comprend très bien si l’on considère que le signal fait partie d’un faisceau étroit produit en continu dans la magnétosphère et que l’étoile tourne sur elle-même, entraînant par là sa magnétosphère et le faisceau avec elle. L’étoile à neutrons se comporte alors comme un phare radio cosmique ! L’observateur, lui, voit passer le faisceau toutes les quelques millisecondes jusqu’à quelques secondes suivant la période de rotation de l’étoile. Pour que chaque impulsion soit aussi brève, il faut nécessairement que la zone d’émission, et donc l’étoile, soit particulièrement petite, ce qui élimine tous les types d’étoiles connus sauf les étoiles à neutrons. En résumé, lorsqu’un radiotélescope détecte un signal bref et périodique, si ce n’est pas la clôture électrique gardant les vaches dans un champ voisin (les radiotélescopes sont très sensibles au moindre signal électromagnétique d’origine humaine), alors il s’agit très certainement d’un pulsar, et c’est ce qui a été observé en 2007 (fig. 1) !
Mesurer le déplacement d’une horloge en écoutant ses tic-tac
Une conséquence particulièrement utile de la régularité d’un pulsar est le fait de pouvoir l’utiliser comme une horloge que l’on aurait posée à cet endroit précis de l’espace et qui nous transmettrait à chaque battement l’heure qu’il est, c’est-à-dire ici le nombre de rotations effectuées depuis que l’observateur a commencé à les compter. Et cela bien sûr sans que personne n’ait eu à faire un trajet de centaines ou de milliers d’années-lumière pour aller l’installer ! La nature fait bien les choses… mais, en fait, à quoi cela sert-il d’avoir des horloges éparpillées dans la Galaxie ? Très simplement, si quoi que ce soit vient perturber l’horloge, le tic-tac si régulier se met à battre la chamade, ou alors à ralentir. C’est exactement ce qui se passe chez J1023 en 2007, et ce d’une façon bien caractéristique que l’on observe à chaque fois qu’un pulsar est dans un système binaire avec une autre étoile. Ici, rien de bien surprenant car, après tout, on avait déjà repéré qu’il y avait là une étoile normale. La signature que l’on observe dans le chronométrage des impulsions du pulsar nous donne aussi plusieurs informations précieuses, dont la période orbitale du pulsar avec son compagnon. En effet, comme les deux objets sont de masses assez similaires, tous deux décrivent des orbites assez amples, contrairement au Soleil, dont on a parfois tendance à penser qu’il est immobile au milieu du Système solaire : cet apparent immobilisme n’est qu’une illusion due à sa masse immensément plus grande que celle des planètes.
Dans le cas de J1023, le pulsar se déplace de centaines de milliers de kilomètres autour du barycentre commun aux deux étoiles, ce qui est suffisant pour retarder l’arrivée du tic d’environ 1 seconde au radiotélescope quand le pulsar s’éloigne de la Terre – une fois l’effet de projection de l’orbite le long de la ligne de visée pris en compte – et avancer le tac de façon similaire lorsque le pulsar se rapproche de la Terre. Cet effet, aussi appelé retard de Rœmer (fig. 2), est le principal effet qui permette de déduire la période orbitale qui n’est autre que… 4,75 heures : la même que la période de la variation de l’intensité lumineuse de l’étoile compagnon détectée en 2004 ! Bon, les astronomes savaient déjà que cette variation était liée à l’orbite de l’étoile compagnon avec ce qu’ils pensaient à l’époque être une naine blanche, car cela est en fait un phénomène relativement commun. Néanmoins, l’astronomie est un peu un travail de détective : l’astronome ne dispose que de quelques indices, qu’il faut croiser, valider et confirmer sans cesse pour déterminer quelle est, au final, l’hypothèse la plus probable. Par ailleurs, les mesures effectuées par la méthode du chronométrage de pulsar sont généralement de loin les plus précises, pour les raisons expliquées plus haut, même si elles sont incapables dans le cas présent de donner à elles seules toutes les informations sur l’orbite [1].
2. Retard de Rœmer. On voit ici le pulsar à deux positions différentes sur son orbite, numérotées 1 et 2. Lorsque le pulsar est à la position 2, les impulsions radio qu’il émet mettent environ 1 seconde de plus pour parvenir à l’observateur que lorsqu’il se trouve en position 1, ce qui se traduit par un retard égal du temps d’arrivée au télescope de l’impulsion comparé avec ce que l’on attendrait d’un pulsar immobile. (Guillaume Voisin, CC BY-SA 4.0)
L’aspect du système binaire*
Le lecteur attentif aura peut-être noté qu’à aucun moment, je n’ai parlé d’image du système J1023, mais seulement d’intensité, de spectre, de signal ou encore de bip, de tic et de tac. Il est en fait impossible de simplement prendre une photographie où l’on verrait d’un côté le pulsar, et de l’autre le compagnon. D’abord parce que le pulsar, comme la plupart de ses congénères, n’apparaît pas en lumière visible, ensuite parce que la distance entre les deux étoiles est de seulement 4 secondes-lumière (environ 1 million de kilomètres), mais se situe à environ 4 300 années-lumière (environ 10 000 milliards de kilomètres). Discerner les deux objets reviendrait à pouvoir discerner les rovers lunaires laissés par les missions Apollo sur la Lune, ce qui est impossible même avec les meilleurs instruments. En revanche, nous voyons très bien les variations d’intensité, et cela peut nous apprendre beaucoup à condition d’avoir un peu d’imagination.
Supposons que nous puissions nous approcher à dix ou vingt millions de kilomètres sans être instantanément irradiés et bouillis par les rayonnements des deux étoiles, que verrions-nous ? L’étoile compagnon nous apparaîtrait comme happée vers un astre invisible, complètement étirée dans la direction du rayon de son orbite, la face intérieure comme aspirée dans un entonnoir. Ce que nous verrions est l’effet de marée gravitationnelle : la face intérieure du compagnon est plus proche du pulsar et donc plus attirée par ce dernier que la face extérieure, ce qui résulte en un étirement. Nous connaissons aussi ce phénomène sur Terre, quand la Lune attire plus les océans du côté de la Terre qui lui fait face que du côté opposé, provoquant un déplacement des masses d’eau. La Terre entière et la Lune se déforment aussi mutuellement, mais de façon imperceptible à l’échelle humaine. À l’échelle du compagnon, la combinaison des attractions gravitationnelles des deux étoiles et de la force centrifuge due à la grande vitesse orbitale crée ce que les astronomes appellent le lobe de Roche du compagnon : un volume en forme de goutte d’eau, pointant vers le pulsar, à l’intérieur duquel la gravité du compagnon domine les deux autres forces. Dans le cas présent, le compagnon remplit pratiquement ce lobe, ce qui lui donne sa forme. Observé de la Terre, cela se voit dans la courbe d’intensité reçue : lorsque nous voyons le « flanc » du compagnon, celui-ci apparaît plus lumineux que lorsque nous le voyons suivant sa section la plus étroite, simplement parce que la surface rayonnant en direction de la Terre varie au cours de l’orbite. On appelle cela la modulation ellipsoïdale, à cause de la forme approximative de l’étoile étirée. Comme l’étoile a deux flancs, la modulation ellipsoïdale de l’intensité présente donc deux maxima par orbite.
Le pulsar, lui, n’est pas visible, même à cette distance : il est minuscule en comparaison de son compagnon, qui fait plusieurs centaines de milliers de kilomètres, et le voir reviendrait à être capable de discerner un stade de football à la surface de la Lune. De toute façon, la très faible quantité de lumière visible qu’il émet serait engloutie dans le déluge provenant du compagnon, rendant le contraste difficile à percevoir. Tournons un peu autour, la face externe du compagnon est plus arrondie que la face interne, et surtout elle est beaucoup moins lumineuse, c’est littéralement la nuit et le jour. En effet, le compagnon montre toujours la même face au pulsar, il tourne sur lui-même à la même vitesse qu’il parcourt son orbite, comme la Lune autour de la Terre. Ce faisant, il absorbe une partie des radiations et des particules émises par le pulsar, ce que l’on appelle le vent. Bien que n’émettant pas en lumière visible, le pulsar rayonne en effet une remarquable quantité d’énergie à chaque instant, jusqu’à l’équivalent de 100 Soleils dans le cas de J1023 ! Même en absorbant seulement 10 % de cette énergie, la face jour du compagnon est surchauffée et brille d’autant plus fort. C’est là l’origine de la modulation jour-nuit, la plus importante modulation de l’intensité reçue par les télescopes observant J1023 : lorsque la face jour du compagnon fait face à la Terre, l’intensité est au maximum, alors qu’une demi-période plus tard, nous voyons la face nuit et l’intensité baisse à son minimum (fig. 3).
3. Une orbite complète de J1023, 4h 45min, avec les différentes étapes des modulations ellipsoïdale et jour-nuit. (Guillaume Voisin, CC BY-SA 4.0)
Les veuves noires à dos rouge
Par ailleurs, l’endroit n’est pas très propre, il y a du gaz qui traîne un peu partout. Le coupable semble tout désigné, car le gaz se trouve essentiellement autour du compagnon. On ne le voit pas directement en lumière visible, le gaz est trop ténu pour cela. En revanche, il est capable de bloquer le faisceau d’ondes radio émis par le pulsar, provoquant ainsi des éclipses radio à chaque fois que le compagnon passe entre le pulsar et la Terre, bien que le compagnon lui-même ne soit pas sur le chemin du faisceau. Mais ce serait aller un peu vite que de juger le compagnon comme étant l’unique responsable de ce bazar. Le pauvre est en fait plutôt la victime de la violence du vent du pulsar et des terribles forces de marée qui s’exercent sur lui. Résultat, le compagnon s’évapore petit à petit, perdant peut-être jusqu’à un cent-milliardième de sa masse par an, presque rien, mais quand même environ 1019 kg, soit la masse d’un planétoïde de quelques centaines de kilomètres tous les ans.
Dans cet état, J1023 est un représentant d’une classe de pulsars que l’on appelle les « araignées ». Ce surnom n’est pas vraiment lié à la capacité du pulsar à tisser une toile ni à son nombre de pattes, mais plutôt à sa tendance à dévorer, ou plutôt à évaporer, son compagnon. Plus précisément, les astronomes ont classé J1023 dans l’espèce des veuves noires à dos rouge (fig. 4). Cette espèce d’araignée originaire d’Australie a en effet la particularité que la femelle, beaucoup plus grosse que le mâle, dévore occasionnellement son compagnon après la copulation. C’est bien ce que l’on retrouve chez J1023 et les autres systèmes similaires : madame pulsar est jusqu’à plus de dix fois plus massive que son compagnon, bien que beaucoup plus petite, due à sa haute densité. En revanche il n’est pas clair que l’évaporation aille toujours jusqu’au bout et il se pourrait que le compagnon survive au moins dans certains cas. Déterminer le taux d’évaporation par l’observation est en effet particulièrement ardu, mais prévoir comment ce taux va évoluer dans le temps l’est tout autant et ce point est un sujet d’intenses débats dans la communauté scientifique. Il ne s’agit pas seulement pour les scientifiques de savoir à quelle sauce le compagnon va être mangé par son étoile à neutrons, mais aussi de lever le voile sur l’existence des pulsars milliseconde isolés (voir encadré).
4. Une femelle veuve noire à dos rouge. Le compagnon mâle est trois fois plus petit et se trouve souvent dévoré après l’accouplement. Chez les pulsars, le ratio, en termes de masse, est typiquement de trois à dix. (Toby Hudson, CC BY-SA 3.0)
Des étoiles géantes rouges font du recyclage
Les pulsars milliseconde sont les pulsars les plus rapides connus. Comme leur nom l’indique, leur période de rotation sur eux-mêmes est de l’ordre de quelques millisecondes. Il se trouve que J1023 est un pulsar milliseconde, avec une période d’environ 1,7 milliseconde. Sans entrer dans les détails, on ne voit pas comment un pulsar peut être formé avec une rotation aussi rapide (voir encadré). La plupart des pulsars « jeunes », dont l’âge est estimé de quelques dizaines à quelques centaines de milliers d’années, ne tournent d’ailleurs pas plus vite que quelques centièmes de seconde par tour, et le plus souvent en 0,1 ou 1 seconde par tour. L’estimation de l’âge des pulsars milliseconde est quant à elle beaucoup plus grande, se chiffrant potentiellement en milliards d’années. Se pourrait-il alors que les pulsars accélèrent avec le temps ? Pas vraiment, c’est même plutôt le contraire : la mesure fine des temps d’arrivée des impulsions radio, la technique dite du chronométrage, indique en effet que les pulsars ralentissent tous. C’est d’ailleurs ce à quoi l’on s’attend à partir de simples arguments d’ingénierie électromagnétique : imaginez, un pulsar n’est en première approche qu’un gros aimant en rotation sur lui-même. C’est-à-dire ce que l’on trouve dans n’importe quel moteur ou dynamo électrique. Sa rotation sur lui-même produit de l’énergie électromagnétique, énergie qui provient de la rotation. On en arrive à la très générale loi de Lenz de l’électromagnétisme, qui prédit que tout effet du champ électromagnétique s’oppose à sa cause.
Ainsi, à force de ralentir, les pulsars en arrivent à ne plus être capables de produire de rayonnements observables et deviennent de simples étoiles à neutrons invisibles à nos télescopes. Cela se produit assez vite, tant et si bien qu’il est très improbable d’observer des pulsars de plus d’un milliard d’années, rendant l’existence des pulsars milliseconde encore plus mystérieuse.
Alors, comment les pulsars milliseconde se forment-ils ? Ils ont besoin que quelque chose d’extérieur vienne les accélérer, par exemple un compagnon ! Lorsqu’une étoile massive explose en supernova et forme un pulsar, son éventuelle compagne* reste en orbite avec le pulsar nouvellement né. Si cette étoile est petite ou moyenne, comme le Soleil, elle pourra vivre pendant des milliards d’années avant de s’éteindre à son tour, laissant au pulsar le temps de ralentir jusqu’à l’extinction. Vers la fin de sa vie, une étoile analogue au Soleil gonfle dans de très grandes proportions en formant une géante rouge et son rayon peut être aisément multiplié par cent. Dans le cas du Soleil, par exemple, on pense que la Terre sera très proche, voire à l’intérieur de la surface de l’étoile, ce qui sent un peu le roussi pour la planète.
Mais, si au lieu de la Terre, est présente une étoile à neutrons, l’histoire est bien différente : c’est la géante rouge qui risque d’avoir quelques ennuis ! Le gaz de la géante, attiré et étiré par les forces gravitationnelles de l’étoile à neutrons, sort de la zone d’attraction du compagnon, son lobe de Roche, et se met à spiraler autour de celle-ci, formant ce que l’on appelle un disque d’accrétion. Sous l’effet de la friction au sein du gaz, celui-ci ralentit et perd de l’altitude jusqu’à s’écraser, un peu comme les satellites de basse altitude s’écrasent sur Terre à cause de la friction de l’atmosphère lorsqu’ils n’ont plus de carburant pour les rehausser régulièrement. Il résulte qu’une énorme quantité de matière, de l’ordre de plusieurs dixièmes de la masse du Soleil, s’écrase à très grande vitesse sur l’étoile à neutrons, non pas verticalement, mais plutôt tangentiellement à la surface, un peu comme de l’eau entraînant une roue à aubes. Si lorsqu’un satellite s’écrase sur Terre, cette dernière n’en est pas plus affectée qu’un gros éléphant par une piqûre de petit moustique, ce déluge de gaz est en principe suffisant pour accélérer la rotation de l’étoile à neutrons d’une période de plusieurs secondes jusqu’à une poignée de millisecondes une fois l’accrétion terminée. Reste à savoir si une fois ce traitement de choc subi l’étoile conserve sa capacité à être un pulsar. En effet, l’évolution de son champ magnétique pose notamment question, et sans champ magnétique, point de magnétosphère et point de rayonnement.
Ce scénario, qui pourrait expliquer l’existence des pulsars milliseconde comme J1023, a été imaginé très tôt après la découverte du premier pulsar milliseconde en 1982 [5,6], et a depuis été surnommé le mécanisme de recyclage des pulsars, car ceux-ci échappent à la mort par ralentissement grâce à la réaccélération (fig. 5). Il restait à prouver que ce scénario reflétait la réalité. En principe, ce recyclage devrait durer relativement longtemps, car une étoile comme le Soleil demeure dans la phase géante rouge pendant des centaines de millions d’années, nous donnant ainsi une chance de l’observer. Quelles seraient les signatures observationnelles ? En théorie, on devrait essentiellement voir le disque d’accrétion : la matière dans le disque est particulièrement échauffée par la friction, au point que le disque peut devenir nettement plus brillant que l’étoile compagne qui l’alimente. Ces disques deviennent tellement chauds qu’ils rayonnent surtout en rayons X dont l’observation nécessite des télescopes spatiaux, car l’atmosphère ne laisse pas passer ces rayons (heureusement pour la vie). Ils devraient donc être assez difficiles à détecter. En lumière visible, on devrait cependant voir un spectre inhabituellement intense dans le bleu ; cela ne vous rappelle rien ?
5. Évolution d’un système binaire jusqu’à la formation d’un pulsar milliseconde du type veuve noire à dos rouge. Les âges indiqués en gras sont donnés à titre d’exemple plausible, mais dépendent de nombreux paramètres et peuvent grandement varier [7]. (G. Voisin, CC BY-SA 4.0)
De fait, il existe bien des objets qui rayonnent fortement en rayons X. Les étoiles normales ne rayonnent pas beaucoup de rayons X, elles ne sont pas assez chaudes pour cela, mais un disque d’accrétion autour d’un objet compact le peut. Il existe une catégorie de sources X où l’on peut détecter de petites étoiles, quelques dixièmes de masse solaire, avec le même genre de modulation que montre le compagnon* de J1023. Par l’étude de ces modulations orbitales, on peut en déduire approximativement la masse de l’objet accréteur : entre une et deux masses solaires habituellement. On appelle ces objets « binaires X de faible masse », car l’étoile compagnon est moins massive que l’objet accréteur (Low Mass X-ray Binary en anglais). Ces binaires ressemblent étrangement à notre système favori, si ce n’est pour le disque d’accrétion et le fait qu’aucun pulsar n’est en vue. On sait cependant qu’il y a un objet compact, invisible, entre une et deux masses solaires, et cela ne laisse, en l’état des connaissances actuelles, que deux possibilités : une étoile à neutrons ou un trou noir. Il est difficile, parfois impossible, de déterminer avec certitude la nature de l’astre accréteur, mais on sait qu’au moins dans certains cas, il s’agit d’une étoile à neutrons par les traces typiques que celles-ci laissent dans les observations.
Observer le rallumage d’un pulsar naguère éteint
A-t-on trouvé les astres qui se transformeront un jour en pulsar milliseconde, ce que l’on appelle leurs progéniteurs ? Presque. Il n’est pas évident que, lorsque toute la matière du disque d’accrétion aura été accrétée sur l’étoile, celle-ci sera encore en mesure de rayonner comme un pulsar. Le champ magnétique pourrait avoir été dissipé ou enterré par la matière s’accumulant sur l’étoile, empêchant la formation de la magnétosphère sans laquelle un pulsar n’est qu’une simple étoile à neutrons inerte et le plus souvent invisible. En même temps, vérifier que les binaires X de faible masse se transforment bien en pulsar milliseconde supposerait de voir la transition, phénomène a priori très court à l’échelle de la vie de l’étoile, et donc très rare, ce qui rend les chances de l’observer quasi nulles.
Est-ce vraiment le cas ? Rappelez-vous, avant d’être détecté comme un pulsar milliseconde, J1023 était considéré comme une naine blanche avec un disque d’accrétion et une étoile compagnon, système de la famille des variables cataclysmiques. Cette famille de systèmes ressemble en fait beaucoup aux binaires X, à la différence que l’objet central est moins compact, rendant le disque d’accrétion moins chaud et moins lumineux. Il est par conséquent possible de confondre une binaire X peu lumineuse avec une variable cataclysmique plutôt intense. Et si, quelque part entre 2001 et 2007, c’est-à-dire entre la date de la dernière observation du disque d’accrétion et la découverte du pulsar, l’on avait en fait observé la transition entre la phase de recyclage et la résurrection du pulsar, plus rapide que jamais ? Cela se serait déroulé en l’espace de quelques années au maximum, c’est-à-dire rien en comparaison de l’âge du système, ou même des quelques centaines de millions d’années qu’une étoile comme le Soleil passe dans la phase géante rouge. Nous aurions donc eu une chance absolument extraordinaire ! Cependant, il est possible que la transition soit beaucoup plus longue, constituée d’un grand nombre de transitions dans les deux sens : de binaire X de faible masse en pulsar milliseconde, et de pulsar milliseconde en binaire X de faible masse. Les astronomes se sont donc armés de patience et ont commencé à surveiller régulièrement J1023, guettant le moindre signe de nouvelle transition.
C’est en juin 2013, entre deux observations effectuées à seulement deux semaines d’intervalle, que cela s’est produit : les pulsations radio ont disparu, le spectre visible très bleu et le scintillement sont revenus, le pulsar J1023 s’est de nouveau assoupi, le disque d’accrétion est revenu. Au moment d’écrire ces lignes, nous attendons impatiemment son réveil, certain que le chronométrage des pulsations radio nous dira comment l’orbite a changé au cours de la phase d’accrétion, de combien la rotation du pulsar a été accélérée. D’ici là, l’étude des modulations jour-nuit et ellipsoïdale nous en apprendra un peu plus sur les conditions extrêmes auxquelles le compagnon est soumis, et peut-être nous permettra de comprendre si oui ou non l’araignée engloutira un jour son compagnon jusqu’à la dernière bouchée.
Glossaire
Binaire ou Système binaire. Un système de deux étoiles orbitant l’une autour de l’autre.
Compagnon / étoile compagne. Dans une binaire, l’étoile la moins massive. Dans le cas des binaires considérées dans cet article, l’étoile compagne est toujours une étoile normale, alors que l’étoile la plus massive est une étoile à neutrons.
Étoile à neutrons. Résidu de certaines étoiles massives (plus de 8 fois la masse du Soleil) après leur explosion en supernova. Sous l’effet de la gravité, la masse de l’étoile (environ 1,5 masse solaire) est écrasée en un astre d’environ 20 km de diamètre. À une telle densité, les noyaux d’atomes subissent des réactions nucléaires transformant une grande partie d’entre eux en neutrons, d’où le nom de l’étoile.
Étoile normale. On entend ici une étoile qui, comme le Soleil, est une boule de plasma d’hydrogène et d’hélium dont l’énergie rayonnée provient des réactions de fusion nucléaire en son cœur.
Magnétosphère. La magnétosphère est la zone autour d’un astre où son champ magnétique domine sur les champs provenant de l’extérieur et détermine le comportement du plasma qui s’y trouve. Ainsi, de nombreux corps possèdent une magnétosphère, dont la Terre, le Soleil, ou encore Jupiter et son satellite Io. Les corps qui n’ont pas de champ magnétique, comme la Lune ou Mercure, n’ont donc pas de magnétosphère. Dans le cas des pulsars, le champ magnétique est immense, typiquement jusqu’à 109 teslas (10 000 milliards de fois le champ terrestre), ce qui leur donne des propriétés très particulières.
Pulsar. Un pulsar est une étoile à neutrons qui génère un signal sous forme d’impulsions (des « flashs » lumineux) se produisant selon la période de rotation de l’étoile. Généralement détectés en ondes radios, les pulsars peuvent aussi émettre à toutes les autres longueurs d’onde, mais seulement de façon exceptionnelle en lumière visible. On pense que la lumière n’est le plus souvent pas produite par l’étoile à neutrons elle-même, mais par le plasma piégé dans sa magnétosphère (voir ci-dessus). La magnétosphère tourne avec l’étoile et l’observateur voit une impulsion lorsque le faisceau pointe dans sa direction, expliquant la périodicité du signal. va ici
Notes
[1] Lorsque deux étoiles orbitent l’une autour de l’autre, chacune tourne autour du centre de gravité commun avec une même période, de sorte qu’elles se font toujours face. Le rapport entre les distances au centre de gravité des deux étoiles est déterminé par l’inverse du rapport de leurs masses. Ainsi, connaître l’orbite d’une seule des deux étoiles revient à connaître l’orbite de sa compagne également.
Références :
[1] Thorstensen et Armsrong, 2005
[2] Woudt, Warner et Pretorius, 2004
[4] Bond et al., 2002
[5] Backer et al., Nature, 1982
[6] Alpar et al., Nature, 1982
[7] Chen et al., The Astrophysical Journal, 2013