LE MAGAZINE DES SCIENCES DE L’UNIVERS EN AFRIQUE

L’analyse des données sismiques enregistrées par l’atterrisseur InSight fournit un nouvel éclairage sur la structure interne de Mars, notamment l’épaisseur de sa croûte et la taille de son noyau. Elle révèle aussi une lithosphère très épaisse, de l’ordre de 500 km.

 

Les planètes rocheuses, comme la Terre, Vénus et Mars, sont différenciées, c’est-à-dire qu’elles se divisent en plusieurs enveloppes (principalement trois) de compositions différente (fig. 1). Du centre vers la surface, on traverse ainsi le noyau, composé de métaux (essentiellement du fer et du nickel), le manteau, composé de roches silicatées, et la croûte, également rocheuse, mais beaucoup plus fine et enrichie en éléments légers. Le noyau se divise parfois, comme dans le cas de la Terre, en une partie centrale solide, la graine, entourée d’une enveloppe liquide, le noyau externe. Deux processus, tous deux contrôlés par la gravité, jouent un rôle essentiel pour expliquer la structure différenciée des planètes rocheuses. La formation du noyau, qui intervient très tôt, résulte de la migration des éléments les plus lourds (les métaux) vers le centre de la planète. Les métaux entraînent parfois avec eux des éléments plus légers (soufre, silicium, oxygène, carbone) mais ayant des affinités chimiques avec le fer. La croûte est quant à elle issue de l’extraction, par volcanisme, des éléments les plus légers contenus dans le manteau. Les roches formées par la cristallisation des magmas sont, comme les roches du manteau, silicatées (c’est-à-dire basées sur l’oxyde de silicium SiO2), mais elles sont enrichies en éléments tels que l’aluminium, le sodium et le calcium.

 

1. Les structures internes de Mars et de la Terre. Notre planète (6 371 km de rayon) possède un noyau de fer et de nickel de 3 480 km de rayon, qui se divise en une graine solide (1221 km de rayon) et un noyau externe liquide. En surface, la croûte est épaisse de 5 à 10 km sous les océans, et de 30 à 40 km sous les continents. Mars (3 390 km de rayon) possède également un noyau de fer dont le rayon, d’environ 1 840 km, vient d’être estimé par les données du sismomètre SEIS embarqué sur InSight. Les données de SEIS ont également permis d’estimer localement l’épaisseur de la croûte, et d’en déduire que son épaisseur moyenne se situe entre 24 et 72km. (NASA/JPL adaptation Thierry Lombry)

 

La taille et la masse volumique moyenne de chaque enveloppe apportent des informations clés sur la composition globale d’une planète et sur son évolution. Ces propriétés peuvent être déduites de l’analyse des ondes sismiques qui se propagent à l’intérieur des planètes. Dans le cas de la Terre, les données sismiques ont ainsi permis de mesurer très précisément les tailles et les masses volumiques de la graine et du noyau externe, de cartographier l’épaisseur de la croûte et de mettre en évidence plusieurs changements de phase solide dans le manteau. En l’absence de données sismiques, il est impossible d’accéder à ce niveau de détails. C’est pourquoi planétologues et géophysiciens attachent une importance particulière au déploiement de sismomètres à la surface des planètes. Cette opération est délicate pour au moins deux raisons. D’abord, un sismomètre est essentiellement composé d’une masse. C’est donc un instrument relativement lourd, qu’il est coûteux d’envoyer dans l’espace. Ensuite, c’est un instrument fragile qui peut se dérégler facilement. Il est donc essentiel qu’il ne soit pas endommagé lors du transport, et notamment pendant l’atterrissage. Jusqu’à très récemment, cela n’a pu être réalisé que pour la Lune[1]. Les données collectées par les sismomètres déployés lors des missions Apollo ont alors permis de montrer que notre satellite possède un petit noyau d’environ 350 km de rayon, pour un rayon total de 1 740 km.

 

InSight ausculte l’intérieur de Mars

Le sismomètre SEIS, embarqué sur InSight et développé conjointement par l’Institut de physique du globe de Paris (IPGP) et l’Institut de géophysique de l’École polytechnique fédérale de Zurich (ETHZ), avait pour mission de déterminer la structure interne de Mars. Le défi était d’importance, d’autant plus que sa réussite reposait sur un pari audacieux. Rien n’indiquait que l’activité sismique de la croûte martienne permettrait de le relever. En effet, sur Terre, les séismes sont essentiellement liés à la tectonique des plaques, qui est absente sur Mars. On pensait donc que les séismes martiens, s’ils existent, devaient être liés au refroidissement et à la contraction de la croûte, les contraintes accumulées au cours du temps provoquant localement de petites ruptures, donc des séismes. Le premier résultat important de SEIS a donc été la détection de trois petits séismes en avril 2019, apportant la confirmation que la croûte martienne est bien sismiquement active (voir l’Astronomie 128, juin 2019). Depuis, au cours des deux années écoulées, SEIS a enregistré plus de 1 000 séismes. Ces événements restent modestes en comparaison des séismes terrestres, mais plusieurs d’entre eux, avec des magnitudes comprises entre 3 et 4, ont pu être mis à profit pour déterminer la structure interne de Mars (encart). Trois articles parus cet été dans la revue Science présentent ces résultats[2]. L’un de ces articles revient sur la détermination de la taille du noyau martien. Avec un rayon compris entre 1 810 et 1 860 km, ce noyau est légèrement plus gros que ce que l’on pensait jusqu’à présent. Il est aussi globalement moins dense que le noyau terrestre, ce qui suggère qu’il est sans doute enrichi en éléments légers, tels que le soufre, l’oxygène ou le carbone. Les données d’InSight ont également montré qu’il était essentiellement liquide. Les deux autres articles auscultent la croûte de Mars et son manteau jusqu’à une profondeur de 800 km.

 

L’épaisseur de la croûte martienne

Les planétologues disposaient déjà d’une estimation de l’épaisseur moyenne de la croûte martienne, environ 60 km avec une incertitude de 25 km, déduite de données gravimétriques (qui mesurent les variations géographiques de l’accélération de la gravité) et topographiques, supposant une masse volumique comprise entre 2 700 et 3 100 kg/m3. D’autres estimations, basées sur l’hypothèse d’une croûte très dense (3 300 kg/m3) prédisaient une épaisseur nettement plus importante, autour de 110 km. En comparaison, la croûte terrestre est épaisse d’environ 30-40 km sous les continents et de 5-10 km sous les océans.

Pour déterminer l’épaisseur de la croûte sous le site d’InSight, Brigitte Knapmeyer-Endrun est ses collègues ont cherché dans les données recueillies par SEIS des signaux issus de la réflexion des ondes sismiques sur d’éventuelles interfaces situées en profondeur (encadré). Cette analyse a mis en évidence deux discontinuités très nettes, vers 9 et 20 km de profondeur, ainsi qu’une troisième discontinuité moins marquée vers 39 km (fig. 2). Si cette discontinuité est bien réelle, elle pourrait marquer la base de la croûte sous le site d’InSight, et cette croûte se diviserait en trois couches. Dans le cas inverse, la croûte serait moins épaisse, environ 20 km, et elle se diviserait en deux couches. Cette estimation n’est évidemment valable que pour le site d’InSight et les plaines environnantes. On s’attend à ce que la croûte soit plus épaisse dans les highlands et sous le dôme volcanique de Tharsis. Pour avoir une idée de l’épaisseur de la croûte martienne dans ces régions, les planétologues se sont de nouveau tournés vers les données gravimétriques et topographiques, en intégrant dans ces données la mesure effectuée par InSight. D’après ces calculs, l’épaisseur moyenne de la croûte martienne serait comprise soit entre 24 et 38 km soit entre 39 et 72 km, selon que son épaisseur sur le site d’InSight est de 20 ou 39 km.

2. Profils de vitesses sismiques des ondes S dans la croûte martienne sous le site d’InSight. (A) Modèle à 2 couches, avec une limite croûte-manteau (Moho) autour de 20 km. (B) Modèle à 3 couches, avec un Moho autour de 39 km. C’est ce dernier modèle qui est, pour le moment, privilégié sur la base d’arguments géodynamiques et géochimiques. Dans les deux cas, deux méthodes d’inversion différentes de données ont été utilisées, mais conduisent à des résultats similaires.

 

L’épaisseur de la croûte entrouvre à son tour une fenêtre sur l’évolution de Mars. Dans le cas d’une croûte relativement fine (24-38 km), les modèles de dynamique interne prévoient que cette croûte doit être très enrichie en éléments radiogéniques, tels que l’uranium et le thorium (fig. 3). Bien que lourds, ces éléments ont en effet tendance à être incorporés dans la croûte lorsque celle-ci se forme. Les concentrations prédites par les modèles dynamiques impliquent que ces éléments ont été incorporés massivement lors d’un épisode d’océan magmatique. Dans le cas d’une croûte plus épaisse (39-72 km), les modèles prévoient également un enrichissement en éléments radiogéniques, mais plus modeste et en meilleur accord avec les mesures réalisées par le spectromètre gamma de la mission Mars Odyssey. Dans ce cas, ils pourraient avoir été incorporés dans la croûte plus progressivement au fil du temps. Au total, bien que les données sismiques seules ne permettent pas de départager l’hypothèse d’une croûte fine (20 km) de celle d’une croûte épaisse (39 km), les modèles géodynamiques et géochimiques privilégient plutôt cette seconde hypothèse.

3. Interprétation géodynamique et géochimique pour une croûte mince (thin crust, A) et épaisse (thick crust, B). Dans les deux cas, la croûte est enrichie en éléments radiogéniques (HPE) par rapport au manteau (mantle), mais cet enrichissement est beaucoup plus important dans le cas d’une croûte mince. Les estimations de profondeur de la croûte sous d’autres régions (par exemple le dôme de Tharsis) reposent sur la combinaison de l’estimation faite par InSight sur le site de son atterrissage et de données gravimétriques et topographiques. (© 2021 Knapmeyer-Endrun et al.)

 

Structure interne et propagation des ondes sismiques

Pour explorer l’intérieur de la Terre et, lorsque cela est possible, l’intérieur des autres planètes rocheuses, les géophysiciens utilisent les ondes sismiques générées par les séismes. Rappelons tout d’abord qu’une onde sismique est une onde élastique qui déforme temporairement la matière se trouvant sur son passage, et que l’on distingue deux principaux types d’ondes sismiques : les ondes de compression (ou ondes P), qui correspondent à une déformation longitudinale (parallèle à la direction de propagation) selon un cycle compression/dilatation ; et les ondes de cisaillement (ou ondes S), qui sont liées à une déformation transversale (perpendiculaire à la direction de propagation). Dans les planètes rocheuses, les limites entre la croûte et le manteau (aussi appelé Moho) et entre le manteau et le noyau (LNM pour limite noyau-manteau) marquent des changements de composition qui se traduisent par une discontinuité sismique, c’est-à-dire que les vitesses des ondes P et S augmentent (au Moho) ou diminuent (à la LNM) brutalement de part et d’autre de ces interfaces. La croûte elle-même n’est pas homogène. Sa composition change avec la profondeur, chaque changement se traduisant, lui aussi, par une discontinuité sismique. Dans le manteau, des transitions de phase solide-solide peuvent, si la pression le permet, également se produire, provoquant là encore une discontinuité sismique. Toutes ces discontinuités affectent la propagation des ondes sismiques, en particulier leurs temps de parcours entre la source (le séisme) et le détecteur (la station sismique). D’autre part, au passage d’une discontinuité, les ondes sismiques sont partiellement réfléchies, ce qui génère des phases sismiques particulières, identifiables sur les sismogrammes. À cela s’ajoutent les effets réguliers de la pression et de la température : les vitesses des ondes sismiques augmentent progressivement avec la pression, mais diminuent avec la température. L’analyse simultanée de plusieurs sismogrammes, liés à différents séismes et donc à différents trajets empruntés par les ondes sismiques, permet en principe de construire des profils sismiques, c’est-à-dire des courbes représentant les vitesses sismiques en fonction de la profondeur, et d’y détecter d’éventuelles discontinuités. En pratique, cela nécessite des traitements de données et l’utilisation de méthodes d’inversion sophistiquées. Les sismologues s’intéressent à différentes phases sismiques selon la région qu’ils souhaitent étudier. Pour déterminer la structure de la croûte, y compris sa profondeur, ils utilisent souvent des fonctions récepteurs. Ces signaux correspondent à des ondes remontant vers la surface et qui sont d’abord réfractées au passage d’une interface (par exemple, le Moho), puis se réfléchissent successivement une ou plusieurs fois sous la surface et sur l’interface en changeant éventuellement de type (S vers P ou P vers S) lors de chaque réflexion (fig. 6A).

6A. Fonctions récepteurs. Ces phases sismiques correspondent à une onde incidente traversant une discontinuité (par exemple, la limite croûte-manteau, appelée Moho) de l’intérieur vers la surface, et se réfléchissant successivement une ou plusieurs fois sous la surface et sur la face interne de la discontinuité, un peu comme une onde guidée. Chaque réflexion s’accompagne éventuellement d’un changement de type d’ondes (P vers S ou S vers P). Ces phases sont utilisées pour étudier la structure des enveloppes superficielles, et tout particulièrement de la croûte. (© Frédéric Deschamps.)

 

C’est ce type de signaux qui a été utilisé pour déterminer la structure et l’epaisseur de la croûte martienne. Pour explorer des régions plus profondes, les sismologues utilisent d’autres phases sismiques, en particulier des ondes P ou S s’étant réfléchies une ou plusieurs fois sous la surface avant de parvenir à une station sismique (fig. 6B). Une onde PP, par exemple, commence par s’enfoncer vers l’intérieur du manteau, atteint une profondeur maximum, remonte vers la surface où elle est réfléchie, redescend, atteint de nouveau une profondeur maximum, puis remonte vers la surface. Une onde SSS suit un parcours similaire, mais se réfléchit deux fois sous la surface. Cela permet d’échantillonner des profondeurs intermédiaires entre la base de la croûte et le manteau profond. Les sismologues ont mis à profit ce type d’ondes pour sonder le manteau martien jusque vers 800 km de profondeur. La LNM est beaucoup plus profonde (2890 km dans le cas de la Terre et autour de 1 560 km pour Mars), et son étude (ainsi que l’étude du noyau) nécessite encore d’autres phases sismiques, notamment les ondes ScS, qui sont des ondes S se réfléchissant à la surface du noyau avant de remonter vers la surface (fig. 6B). C’est ce type d’onde qui a permis de déterminer la profondeur de la LNM de Mars, et donc la taille du noyau de cette planète. Les ondes PKP, qui sont des ondes de compression voyageant dans le manteau, puis dans le noyau et de nouveau le manteau, sont également souvent utilisées pour étudier le noyau, mais dans le cas de Mars, elles n’ont pas encore été détectées par SEIS.

6B. Trajets de quelques phases sismiques à l’intérieur d’une planète rocheuse (ici dans le cas de Mars). Les trajets directs sont notés P et S pour les ondes de compression et de cisaillement, respectivement. Les ondes P et S peuvent se réfléchir sous la surface une ou plusieurs fois, produisant des phases PP, PPP, SS, SSS, etc. , qui sont utilisées pour étudier la partie supérieur du manteau. Les ondes qui se réfléchissent à la surface du noyau, comme les ondes ScS et PcP (non représentée) apportent des informations sur la limite noyau-manteau (LNM) et sa région. Les ondes PKP et SKS (non représentée), qui voyagent dans le noyau, apportent aussi des informations sur cette région (ainsi que sur le noyau), mais n’ont pas été détectées dans le cas de Mars. (© Frédéric Deschamps.)

Une lithosphère particulièrement épaisse…

Les scientifiques de la mission InSight ont également sondé l’intérieur de Mars à de plus grandes profondeurs, échantillonnant la partie supérieure du manteau. Contrairement à l’étude de la croûte, le but principal de cet exercice n’est pas de détecter d’éventuelles discontinuités, mais de déterminer les changements réguliers (ou continus) de vitesse sismique en fonction de la profondeur (encadré), ce qui fournit des informations sur la structure thermique (le profil radial de température) de Mars. En utilisant des ondes se réfléchissant une ou plusieurs fois sous la surface (phases PP, SS, PPP, et SSS ; encadré et fig. 4), une équipe internationale dirigée par Amir Khan, chercheur à l’ETHZ, a pu sonder cet intérieur jusque vers 800 km. Cette plage de profondeur est particulièrement intéressante, car elle englobe la lithosphère, c’est-à-dire l’enveloppe rigide externe d’une planète rocheuse constituée de la croûte et du sommet du manteau [3]. Dans le cas de la Terre, cette enveloppe s’étend jusqu’à 50 à 200 km de profondeur, selon les endroits.

4. Un exemple de séisme martien enregistré par SEIS. Le volet (A) représente les trois composantes (verticale, nord/sud et est/ouest) du sismogramme, c’est-à-dire le mouvement du sol selon chacune de ces trois directions. (B) Détails des sismogrammes pointant les ondes réfléchies (PP, PPP, SS et SSS) utilisées pour sonder le manteau. (© 2021 Khan et al.)

 

Les analyses effectuées par Amir Khan et ses collègues (fig. 5A) mettent d’abord en évidence une discontinuité vers 30-50 km de profondeur, interprétée comme la base de la croûte et qui semble confirmer l’hypothèse d’une croûte épaisse. Puis, à de plus grandes profondeurs, ces analyses révèlent une légère diminution de la vitesse des ondes S jusque vers 400 à 600  km, tandis que la vitesse des ondes P reste constante. Au-delà, et jusqu’à 800 km, les vitesses des ondes P et S augmentent de nouveau avec la profondeur. Cette observation est intéressante car, en principe, les vitesses des ondes P et S augmentent régulièrement avec la pression (donc la profondeur). La diminution des vitesses entre 100 et 400-600 km pourrait ainsi être la signature d’une lithosphère thermique, c’est-à-dire une région dans laquelle la température augmente rapidement avec la profondeur [4], comme le suggèrent les profils de température déduits des profils de vitesse sismique (fig. 5B). Dans cette région, l’augmentation des vitesses sismiques liée à la pression serait ainsi compensée par une diminution de ces mêmes vitesses en réponse à un accroissement de la température. La lithosphère terrestre est également marquée par une légère diminution de la vitesse des ondes S. Mais ce qui est remarquable dans le cas de Mars, c’est l’épaisseur, 400 km au minimum, de cette lithosphère.

 

5. (A) Profils de vitesses sismiques des ondes P (à droite) et S (à gauche) déduits des données de SEIS. Deux analyses (inversion de données) ont été réalisées suivant différentes méthodes (les profils gris utilisent une paramétrisation simple, tandis que les profils bleus et rouges utilisent une paramétrisation basée sur la minéralogie supposée du manteau martien). Dans tous les cas, la largeur des profils représente la barre d’erreur. (B) Profils de température déduits des profils de vitesses sismiques. La base de la lithosphère est fixée soit entre 400 et 500 km (courbes bleues), soit entre 500 et 600 km (courbes rouges). (© 2021 Khan et al.)

… et pas de manteau inférieur

Sur Terre, les géophysiciens ont identifié une discontinuité sismique autour de 660 km de profondeur, donc à l’intérieur du manteau. Celle-ci est associée à une transition de phase, ou plus précisément à la séparation de la ringwoodite (une phase haute pression de l’olivine, (Mg,Fe)SiO4, le minéral le plus abondant du manteau) en deux minéraux, la bridgmanite (Mg,Fe)SiO3 et le ferropériclase, (Mg,Fe)O. Cette frontière sépare le manteau supérieur du manteau inférieur, et elle joue un rôle important dans la dynamique globale du manteau. Une question clé, dans le cas de Mars, était de savoir si le manteau de cette planète se divisait aussi en un manteau supérieur (dominé par l’olivine) et un manteau inférieur (dominé par la bridgmanite). Compte tenu de la gravité plus faible de Mars, qui implique que la pression à une profondeur donnée est plus faible que dans la Terre, cette frontière devrait se trouver autour de 1 740 km de profondeur. La mesure du rayon du noyau martien, entre 1 810 et 1 860 km, répond indirectement à cette question. Le rayon total de Mars étant de 3 390 km, la base du manteau se trouve entre 1 530 et 1 580 km de profondeur. Mars ne possède donc pas de manteau inférieur, ce qui d’une certaine manière simplifie sa dynamique interne.

Initialement prévue pour durer jusqu’en décembre 2020, la mission InSight a été prolongée de deux années supplémentaires, que les scientifiques souhaitent mettre à profit pour collecter de nouvelles données. Lors du dernier hiver martien, les conditions météorologiques, notamment le vent, qui est à l’origine d’un bruit sismique important, ont empêché la détection de séismes martiens (seuls trois événements ont été observés pendant cette période). Depuis février 2021, les conditions sont de nouveau propices à l’enregistrement de séismes. Les sismologues espèrent y détecter des ondes ayant traversé le noyau (phases PKP et SKS), ce qui ouvrirait une fenêtre sur le noyau martien et constituerait un très beau résultat pour conclure la mission InSight.

 

Par Frédéric Deschamps, IESAS, Taipei, Taïwan

 

 

Article publié dans l’Astronomie, Octobre 2021

 

 

Notes

  1. Au milieu des années 1970, les sondes Viking, qui se sont posées sur Mars, étaient bien équipées de sismomètres, mais ceux-ci n’ont pas fonctionné correctement.
  2. KHAN A. et al. (2021), Upper mantle structure of Mars from InSight seismic data, Science, 373, 434-438 ; KNAPMEYER-ENDRUN B. et al. (2021), Thickness and structure of the martian crust from InSight data, Science, 373, 438-443 ; STÄHLER S. C. et al. (2021), Seismic detection of the martian core, Science, 373, 443-448.
  3. La lithosphère a donc une définition mécanique, par opposition à la croûte qui est la couche la plus externe d’une planète mais se définit par sa composition.
  4. Dans les planètes rocheuses, la température augmente en fait naturellement avec la pression, de l’ordre de 0,3 à 0,4 degré par kilomètre, ce que les géophysiciens désignent par le terme de « gradient adiabatique ». L’augmentation de température déduite des profils sismiques du manteau supérieur martien est nettement plus élevée, de l’ordre de 1,6 à 2,5 degrés par kilomètre. Elle n’est donc pas liée au seul accroissement de la pression.

 

 

 

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