LE MAGAZINE DES SCIENCES DE L’UNIVERS EN AFRIQUE
Découverte : une exoplanète non sphérique

Découverte : une exoplanète non sphérique

Le 11 janvier dernier, une découverte d’un genre nouveau a agité la communauté de l’« exoplanétologie ». Il ne s’agit pas cette fois de la détection d’un objet particulièrement exotique du fait de son orbite ou de ses paramètres physiques, mais de la première mesure d’un écart à la sphéricité d’une exoplanète déjà identifiée, WASP-103 b.

C’est la mission spatiale CHEOPS, en opération depuis 2020, qui est à l’origine de ce résultat. En utilisant ces données, une équipe scientifique a montré, grâce à l’analyse très précise de sa courbe de transit, que l’exoplanète WASP-203 b, un « Jupiter chaud » particulièrement proche de son étoile hôte, était déformée, tel un ballon de rugby, par les forces de marée agissant sur l’étoile et la planète.

Qu’est-ce que la mission CHEOPS ? Il s’agit de la première « petite » mission (dite de classe S) du programme Cosmic Vision de l’Agence spatiale européenne (Esa). L’idée était de développer dans un temps relativement court et avec un budget modeste (100 millions d’euros, financés à parts égales par l’Esa et un partenaire extérieur) une mission orientée vers un objectif scientifique bien ciblé. Le but de la mission CHEOPS (CHaracterizing EXOplanets Satellite) est de préciser les caractéristiques physiques (à commencer par le rayon) d’exoplanètes déjà connues. Développée conjointement par l’université de Berne et l’Esa, la mission CHEOPS, sélectionnée en 2012, a été lancée en décembre 2019. Équipé d’un télescope de 35 cm de diamètre et d’une masse totale inférieure à 300 kg, le satellite a déjà plusieurs résultats notoires à son actif, en particulier la caractérisation du système planétaire TOI-178, doté de 6 planètes, dont 5 en résonance orbitale, ainsi que la découverte d’une troisième planète dans le système proche (une quinzaine de parsecs) Nu2 Lupi. Mais le résultat qui vient d’être annoncé est d’une tout autre nature.

Dès le début de sa mise en opération, le satellite a observé des « Jupiters chauds », ces exoplanètes géantes très proches de leur étoile qui, du fait de leur courte période de révolution, sont des cibles idéales pour l’observation par transit. Or, l’exoplanète géante WASP-103 b, découverte par la méthode des transits en 2014 au moyen du réseau de télescopes terrestres SuperWASP, s’avère particulièrement intéressante. Dotée d’une masse égale à 1,5 fois celle de Jupiter et d’un rayon égal à deux rayons joviens, et située à moins de 0,02 UA de son étoile, sa rotation est synchrone et elle a une période orbitale de moins d’une journée. De plus, l’étoile hôte WASP-103, de type F8V, est particulièrement massive (1,22 masse solaire) et volumineuse (1,44 rayon solaire) ; sa température est de 6 110 K. Dès sa découverte, ce Jupiter particulièrement chaud a attiré l’attention des dynamiciens, qui ont soupçonné qu’un tel objet devait être soumis à des forces de marée extrêmement puissantes… suffisamment pour aller jusqu’à déformer la planète pour l’allonger comme un ballon de rugby selon l’axe étoile-planète. Nous connaissons bien cet effet dans le cas de la Terre, dont l’enveloppe liquide est déformée régulièrement par l’attraction de la Lune (et, dans une moindre mesure, du Soleil) : c’est le phénomène bien connu des marées.

 

Représentation schématique du transit de WASP-103 b devant son étoile. La forme allongée de la planète induit une très petite déformation de la courbe de transit. À droite : représentation schématique de la planète WASP-103 b, dont la forme est allongée dans la direction de son étoile.

 

Dans le cas de WASP-103 b, les spécialistes de mécanique céleste ont estimé que la force de marée exercée par l’étoile sur la planète pouvait être suffisante pour entraîner une déformation permanente, et que cet effet pourrait être mesurable à partir d’une courbe de transit extrêmement précise ; or, depuis deux ans, le satellite CHEOPS est capable de fournir cette précision. C’est ainsi qu’une équipe portugaise de l’université de Porto, en association avec l’université de Berne et l’Institut de mécanique céleste et de calcul des éphémérides (IMCCE, Observatoire de Paris) et de nombreux autres partenaires, a engagé un programme visant à observer des transits répétés de l’objet afin de détecter un éventuel écart à la sphéricité de la planète, et aussi pour rechercher (en utilisant des données antérieures) si une décroissance de la période orbitale (prévue par les calculs) pouvait aussi être observée. Les résultats viennent d’être publiés dans Astronomy and Astrophysics (Barros et al., 11 janvier 2022).

Dans cet article, les auteurs analysent 12 courbes de transit de WASP-103 b obtenues avec CHEOPS ; grâce à la facilité de pointage du satellite, ces douze transits ont pu être enregistrés dans un intervalle de deux mois seulement, entre avril et juin 2020. Après avoir corrigé les différents effets instrumentaux, ils ont réutilisé des courbes de transit de WASP-103 b obtenues en 2015 par les télescopes spatiaux Hubble et Spitzer et ont calculé, pour chaque jeu de données, les paramètres de transit dans le cas d’une planète sphérique et dans le cas d’une planète elliptique. La différence entre les courbes de transit correspondant aux deux modèles illustre la signature de la déformation de la planète sur la courbe de transit, qui se traduit par une légère oscillation de la courbe à l’immersion et à l’émersion. L’analyse de l’ensemble des courbes de transit a montré qu’elles étaient compatibles avec l’existence de cette déformation. À partir de l’analyse des courbes de lumière, l’équipe a pu calculer le « nombre de Love » de la planète, un paramètre qui mesure la répartition de la masse à l’intérieur d’une planète ; cette information peut donner une estimation de la rigidité d’un corps et de son aptitude à se déformer sous l’influence des forces de marée. Dans le cas de WASP-103 b, le nombre de Love déduit des mesures de transit est de 1,6, ce qui est comparable à la valeur pour Jupiter. Ce résultat pourrait signifier que les structures internes de ces deux objets sont comparables, en dépit de la nature nettement plus « gonflée » de l’exoplanète (figure ci-dessous).

En utilisant l’ensemble des données de 2015 et de 2020, les auteurs de l’article ont aussi tenté de mettre en évidence une diminution de la période orbitale, car celle-ci est prédite par les modèles comme une conséquence des effets de marée. Cependant, cet effet n’a pas été observé : à l’inverse, les mesures semblent indiquer une possible augmentation dont l’origine serait aujourd’hui inexpliquée. D’autres mesures seront nécessaires pour résoudre ce mystère. Dans un futur proche, on peut espérer que le JWST permettra d’obtenir de nouvelles courbes de transit encore plus précises, et donc de confirmer et préciser la déformation de l’exoplanète.

 

Par Thérèse Encrenaz Observatoire de Paris   

  1. S. Barros et al., « Detection of the tidal deformation of WASP-103b at 3 σ with CHEOPS », Astronomy and Astrophysics, 11 Janvier 2022, doi:10.1051/0004-6361/202142196.

 

 

Uranus et Neptune,  de la glace superionique dans les profondeurs

Uranus et Neptune, de la glace superionique dans les profondeurs

Des expériences reproduisant les conditions de pression et température de la basse atmosphère des planètes géantes glacées mettent au jour deux nouvelles phases de la glace d’eau prédites par les modèles. Celles-ci pourraient expliquer la forme particulière des champs magnétiques d’Uranus et de Neptune.

Contrairement aux champs magnétiques de la Terre, Jupiter et Saturne, ceux de Neptune et d’Uranus (fig.1) sont irréguliers et asymétriques par rapport à leur axe de rotation. Des simulations numériques prédisent que les champs magnétiques de ces planètes sont générés par des glaces ioniquement conductrices, en convection au-dessus d’un intérieur stable ; celles-ci sont confinées à une fine couche occupant jusqu’à un tiers du rayon planétaire. Les deux géantes, dites de glace, contiennent une portion significative d’eau, qui pourrait être la source de ces champs magnétiques atypiques.

La glace dans tous ses états

La glace d’eau existe sous différents états cristallins selon les conditions de pression et de température auxquelles elle est soumise. À la pression atmosphérique terrestre, en dessous de 273 K, nous la connaissons sous la forme d’un assemblage cristallin de molécules d’H2O, nommée glace Ih. Mais d’autres formes existent, y compris des phases de hautes températures lorsque la pression est suffisante pour maintenir les molécules dans une forme solide. Dans des conditions extrêmes, telles celles rencontrées dans la basse atmosphère des géantes de glace, les modèles prédisent un état particulier : la glace superionique. Il est caractérisé par des protons mobiles dans une matrice d’oxygène et une conductivité électrique élevée. Son caractère conducteur rend cette glace beaucoup plus opaque que ses autres phases, d’où son surnom de « glace noire ». Jusque-là, le diagramme de phase de l’eau (fig. 2) sous hautes pressions demeurait largement incertain, notamment en ce qui concerne l’existence de phases superioniques, ainsi que leurs structures et domaines de stabilité. Une étude récemment publiée dans Nature Physics vient préciser ces conditions [1].

1. Modélisation de la magnétosphère d’Uranus. Les lignes orange représentent la structure du champ magnétique. La flèche jaune indique la direction du Soleil, la flèche bleue l’axe de rotation d’Uranus pointée vers le nord et la flèche cyan le Nord magnétique. (NASA’s Scientific Visualization Studio)

Des planètes au laboratoire

Pour ce faire, l’équipe dirigée par Vitali Prakapenka, de l’université de Chicago, a piégé un échantillon d’eau dans une cellule à enclumes de diamant chauffée par deux lasers infrarouges [2] (fig. 3). Ce dispositif expérimental a d’abord permis de porter l’échantillon jusqu’à une pression de 150 gigapascals (GPa), puis de le chauffer progressivement jusqu’à une température de 6 500 K. L’oxygène qu’il contient se réarrange en une structure cubique, puis l’hydrogène s’ionise, rendant la glace conductrice. L’évolution de la structure des glaces obtenues a ensuite été sondée par diffraction aux rayons X. Leur opacité a été mesurée par spectroscopie optique à l’aide d’un laser visible.

2. Diagramme de phase de l’eau à des conditions de pression/température extrêmes. Les conditions rencontrées dans l’intérieur d’Uranus et Neptune sont délimitées par la zone en gris sombre. Le champ dans lequel la glace d’eau devient superionique, et donc capable de générer un champ magnétique, est délimité par les pointillés rouges. (S. S. Lobanov, GFZ. https://bit.ly/32eKWJ4)

 

Cette étude a permis de mettre en évidence deux nouvelles phases de la glace d’eau. Celles-ci se forment à des pressions et températures dépassant les 20 GPa et 900 K pour la première, nommée glace XX, et 29 GPa et 1 300 K pour la seconde, la glace XVIII. Leurs caractéristiques sont conformes à celles prédites par les simulations. Leurs densités respectives, comprises entre celles des autres types de glaces rencontrées dans ces gammes de température et de pression et celle de l’eau liquide, permettent de les en distinguer. Leur énergie interne plus importante que celle des autres glaces indique une mobilité accrue de leurs atomes d’hydrogène. Enfin, elles sont plus opaques, indiquant qu’elles sont devenues électriquement conductrices. Tous ces éléments confirment la formation de glaces superioniques.

Cette étude apporte un nouvel éclairage sur le diagramme de phase de l’eau à hautes pression et température, et réconcilie les précédentes études et modélisations. Le manteau d’Uranus et Neptune, rendu conducteur par la présence de glaces superioniques, serait donc la source de leur champ magnétique. De futures études sur la viscosité et la conductivité de ces glaces permettraient de mieux comprendre les intérieurs de nos géantes glacées.

3. Reconstitution des conditions de l’intérieur de Neptune en laboratoire. Un échantillon d’eau est compressé à l’aide d’une presse à enclumes de diamant. Ce dispositif de compression statique est composé de deux diamants artificiels placés tête-bêche. Un échantillon (représenté en haut à gauche) est piégé entre deux minuscules surfaces plates taillées dans la pointe des diamants. Une force appliquée sur la face la plus large est transmise à la pointe, créant une pression de plusieurs dizaines de GPa (de l’ordre de celle rencontrée dans les intérieurs planétaires). Les diamants sont transparents à la plupart des longueurs d’onde. Il est donc possible de faire passer à travers eux un faisceau laser infrarouge qui va chauffer l’échantillon, ainsi que des rayons X et visibles qui vont respectivement en sonder la structure et la conductivité. Le diagramme en bas à gauche illustre un spectre de diffraction X typique, montrant l’intensité du rayon diffracté en fonction de l’angle de mesure. (S. Anzellini)

 

Par Mylaine Holin   

  1. V. Prakapenka, N. Holtgrewe, S. Lobanov et al., « Structure and properties of two superionic ice phases », Nature Phyics, 17, 1233–1238 (2021). https://doi.org/10.1038/s41567-021-01351-8
  2. S. Anzellini, « Hot black ices », Nature Phyics, 17, 1195–1196 (2021). https://doi.org/10.1038/s41567-021-01358-1

 

Les galaxies naines proches de la Voie lactée sont-elles plus récentes qu’on le pensait ?

Les galaxies naines proches de la Voie lactée sont-elles plus récentes qu’on le pensait ?

Depuis cinquante ans, on pensait que les galaxies naines situées au voisinage de la Voie lactée avaient été satellisées il y a plusieurs milliards d’années. Cette idée a été remise en question grâce aux nouvelles données astrométriques du satellite Gaia, publiées dans le catalogue EDR3 (Gaia Early Data Release 3, Fig. 1) mis à la disposition de la communauté scientifique, et à ce jour les plus précises au monde.

 

Fig 1. Le ciel de Gaia EDR3 avec les mouvements propres de 2 000 étoiles en 800 000 ans. Les traits sont d’autant plus longs que les mouvements des étoiles sont plus grands. (Esa/Gaia/DPAC, CC BY-SA 3.0 IGO)

La première partie du troisième catalogue Gaia (voir le dernier article sur Gaia dans le numéro 144 de l’Astronomie) a été publiée le 3 décembre 2020. La seconde partie sera publiée en 2022. Ce catalogue, qui contient environ 1,8 milliard de sources, constitue une avancée majeure par rapport au deuxième catalogue quant à la précision, l’exactitude et l’homogénéité des données astrométriques et photométriques. Il donne pour plusieurs millions de sources les mouvements propres sur la sphère céleste et les vitesses radiales mesurées par effet Doppler. On peut en déduire les mouvements propres des sources (traits blancs sur la Figure 1).

La Voie lactée est entourée d’un halo contenant de nombreux objets, tels que des étoiles géantes ou des amas d’étoiles appelés « amas globulaires », et dans le cas qui nous occupe ici, des galaxies naines. Le catalogue EDR3 qui vient d’être publié a permis ainsi d’obtenir les paramètres orbitaux (apocentres et péricentres, excentricités, formes de l’orbite) de 46 galaxies naines du halo de la Voie lactée, avec une précision 2,5 fois supérieure à celle du précédent catalogue. L’incertitude principale sur ces paramètres provient en fait de notre méconnaissance de la masse exacte de la Voie lactée, qui joue naturellement un rôle important pour déduire les paramètres orbitaux en fonction des vitesses mesurées. Une telle incertitude empêche de déterminer la nature et l’origine de ces galaxies. Sont-elles de vieilles galaxies satellites liées depuis longtemps à la Voie lactée, ou au contraire de jeunes galaxies satellites effectuant leur premier passage au voisinage de la Voie lactée, comme c’est le cas des Nuages de Magellan ?

On a pensé pendant longtemps que l’observation d’une formation ancienne d’étoiles dans certaines de ces galaxies naines prouvait une arrivée datant de plusieurs milliards d’années, lorsqu’elles commencèrent à tomber dans le halo, comme le réclame la cosmologie standard « LambdaCDM ». Incidemment, on a découvert un grave problème résidant dans le nombre bien trop petit de galaxies satellites par rapport aux prévisions du modèle standard ; c’est ce que l’on a nommé « le problème des galaxies naines satellites », qui n’est toujours pas résolu. En fait, la formation stellaire dans ces galaxies naines ne prouve rien, car on y trouve aussi bien de vieilles étoiles que des étoiles récentes datant de deux milliards d’années. Et on ignore si elles contiennent des étoiles encore plus jeunes, en particulier parce que les étoiles géantes rouges ayant quitté la séquence principale ne sont pas détectées facilement et ne peuvent donc être utilisées pour déterminer un âge.

Fig 2. Une image de la Galaxie avec les principales galaxies naines qui l’entourent. Les lignes jaunes représentent la limite de la grande structure où se trouve la majeure partie des naines, la ligne violette est la limite d’un des relevés profonds pour trouver ces objets. (H. Jerjen (galaxies naines) & Eso (image de la Voie lactée))

 

Il faut donc se résoudre à contraindre l’histoire passée de ces galaxies naines par l’étude de leurs coordonnées dans l’espace à six dimensions issues des mesures de Gaia, celle des positions et des vitesses, d’où sont déduits leurs moments angulaires [1]. C’est ce qui vient d’être tenté dans un article publié par une équipe internationale dirigée par un astronome de l’Observatoire de Paris–PSL [2].

Les auteurs se sont d’abord rendu compte que les vitesses et les moments angulaires sont beaucoup plus grands que ceux des autres objets du halo. Or, il est admis que tous les objets gravitant autour de la Voie lactée ont des énergies et des moments angulaires décroissant avec le temps, à cause des effets de marée [3] et des rencontres avec d’autres objets. Plus longtemps ils sont en orbite, plus leurs énergies et leurs moments angulaires diminuent.

Puis les auteurs ont reconstitué les mouvements orbitaux en comparant les positions des galaxies naines avec celles des amas globulaires et de la population de vieilles étoiles du halo. La plupart des étoiles géantes entourant la Voie lactée sont nées d’une ancienne collision qui l’a formée il y a huit à dix milliards d’années. D’autres font partie d’un courant stellaire lié à la chute et à la destruction de la galaxie naine du Sagittaire dans la Voie lactée, il y a 4 à 5 milliards d’années. Or, les galaxies naines ont des énergies et des moments angulaires plus grands que tous ces objets, ce qui permet de conclure qu’elles ont rejoint la Voie lactée plus récemment, il y a seulement 1 ou 2 milliards d’années. Dans ces conditions, elles ont à peine eu le temps de parcourir une seule orbite.

Les auteurs en déduisent que ces galaxies naines ont dû arriver au voisinage de la Voie lactée à peu près en même temps que les Nuages de Magellan. Cela implique surtout que notre Galaxie a très peu de vrais satellites, ce qui pose un problème encore plus aigu concernant le modèle standard de la cosmologie. Une seconde conséquence est que ces galaxies ne contiennent peut-être pas de matière noire. En effet, on supposait qu’elles en contenaient beaucoup, ce qui leur permettait de résister pendant des milliards d’années aux forces de marée de la Voie lactée. C’est donc tout le scénario de la matière noire qui serait remis en cause. Cette solution était déjà proposée dans un article précédent des mêmes auteurs [4], mais elle n’était pas étayée par les mêmes données concernant les galaxies naines. C’est l’avenir qui dira si cette hypothèse radicale est juste ou non.

 

Par Suzy Collin-Zahn Observatoire de Paris-PSL

 

  1. Le moment angulaire est le produit de la vitesse tangentielle de la galaxie naine (la composante de la vitesse qui est projetée sur le ciel) par sa distance au centre de la Voie lactée.
  2. François Hammer et al., « Gaia EDR3 proper motions of Milky Way dwarfs. II: velocities, total energy and angular momentum », à paraître dans Astrophysical Journal.
  3. Effet d’étirement dû à la gravité d’un objet massif. C’est le même processus qui crée les marées terrestres sous l’effet de la gravité du Soleil et de la Lune.
  4. Hammer et al., « On the absence of dark matter in dwarf galaxies surrounding the Milky Way », The Astrophysical Journal, 883, 171, 2019.

 

Masse manquante – Une partie retrouvée autour des galaxies

Masse manquante – Une partie retrouvée autour des galaxies

Muse (Multi Unit Spectroscopic Explorer) est un spectrographe 3D travaillant dans les longueurs d’onde visibles, implanté sur l’un des télescopes du VLT (Very Large Telescope) de l’ESO (Observatoire Australe Européen), au Chili. Il a été développé par le Centre de recherche astrophysique de Lyon afin d’observer les galaxies lointaines. Il a permis récemment plusieurs découvertes concernant l’environnement de ces galaxies. Muse est à la fois un imageur et un spectrographe, ce qui lui permet d’explorer l’espace en 3 dimensions et de détecter les galaxies les plus jeunes (donc les plus lointaines).

 

 

On est pratiquement certain que l’évolution des galaxies est gouvernée par leur relation avec le milieu circumgalactique qui les entoure. En effet, les galaxies ont besoin d’accréter du gaz pour former des étoiles nouvelles, car celui qu’elles contiennent ne peut rendre compte de la masse totale des étoiles. Par ailleurs, elles éjectent le gaz créé lors des explosions de supernovae produites à la fin de la vie des étoiles massives (fig. 1).

Il existe une manière classique d’étudier la matière intergalactique. On s’arrange pour prendre les spectres des objets se situant sur la ligne de visée d’objets plus lointains très brillants, typiquement des quasars. Le gaz se trouvant sur le trajet des rayons lumineux issus du quasar produit alors des raies en absorption, dont les profils permettent de déduire sa cinématique. Toutefois, dans le cas qui nous occupe où il s’agit d’observer du gaz circumgalactique, l’étude est rendue plus compliquée par le fait que le gaz ne se contente pas de créer des raies en absorption, mais également des raies en émission, en particulier à cause des ondes de choc générées dans le gaz éjecté.

Fig. 2 – L’absorption observée dans le spectre UVES du quasar au redshift de la galaxie. Les raies détectées sont des transitions de MgII, MgI et FeII. Le modèle contient sept composantes en vitesse, dont les trois principales sont indiquées par les raies en rouge, magenta et cyan. La ligne épaisse dans la raie MgII2796 est artificiellement dégradée pour correspondre à la résolution de MUSE. (arXiv:2105.14090v1, Johannes Zabl et al.)

 

Le doublet de résonance du magnésium ionisé Mg II λλ2796, 2803, utilisé pour faire les mesures, est un traceur utile du gaz « froid »(c’est-à-dire à 10 000 ou 100 000 degrés) à cause, d’une part, de sa grande intensité aussi bien en absorption qu’en émission, d’autre part de sa longueur d’onde qui permet de l’observer avec des spectrographes optiques au sol, pour des objets ayant des redshifts compris entre 0,3 et 2,5 [1]. Des études de ce type avaient déjà révélé que le magnésium ionisé n’est pas distribué uniformément autour des galaxies : il est trouvé préférentiellement le long de leur axe mineur ou majeur. Cette bimodalité est cohérente avec l’idée que les galaxies sont constituées d’un disque par lequel elles accrètent du gaz, et que par ailleurs les étoiles qui évoluent produisent des supernovae, éjectant du gaz suivant la direction de moindre résistance, c’est-à-dire perpendiculairement au plan du disque.

FIg.3 – Les mouvements obtenus à partir du doublet MgII sont montrés en tirets bleus dans quatre régions de la galaxie. La rotation de la galaxie est mesurée à partir des raies de l’oxygène ionisé. (arXiv:2105.14090v1, Johannes Zabl et al.)

 

Un relevé sur les champs de 22 quasars, combinant des observations au VLT avec le spectrographe UVES (Ultraviolet and Visual Echelle Spectrograph) et avec Muse, a permis d’obtenir un échantillon de 80 paires de galaxies/quasars dans le but d’étudier les éjections des galaxies. Comme le temps d’exposition, typiquement de 2 à 4 heures pour l’échantillon, est insuffisant pour détecter correctement le gaz en absorption et en émission devant un quasar, il a été nécessaire d’effectuer des observations plus longues, ce qui a été réalisé sur deux champs. Le résultat concernant la découverte pour la première fois d’une émission et d’une absorption étendue dans le doublet MgII a été obtenu autour d’une galaxie de redshift 0,7 dans le champ du quasar SDSSJ0937+0656 par une équipe de recherche internationale, menée côté français par le CNRS et l’université Claude-Bernard Lyon. L’équipe a cartographié un vent galactique pour la première fois en MgII et vient de publier un article relatif à cette observation (arXiv:2105.14090v1, Johannes Zabl et al. sous presse dans MNRAS). Ces observations ultraprofondes (11,2 heures) ont révélé la présence, autour d’une galaxie située sur la ligne de visée du quasar, d’un halo en émission contenant du magnésium ionisé s’étendant jusqu’à 75 000 années-lumière de la galaxie. La galaxie est fortement inclinée sur la ligne de visée (75 degrés) et se trouve à un redshift de 0,702, soit environ une distance de 6,5 milliards d’années-lumière . L’émission est principalement dirigée le long du petit axe de la galaxie. On observe également une absorption dans la raie du MgII, s’étendant jusqu’à 120 000 années-lumière. Les chercheurs ont modélisé d’une façon simple ces observations et en ont déduit que le gaz est éjecté biconiquement avec une vitesse de 130 km/s (fig. 2 et 3). Cette étude prouve qu’un phénomène bien connu pour les galaxies proches à formation stellaire, l’éjection de gaz, est également présent dans les galaxies lointaines. C’est seulement, n’en doutons pas, la première d’une série permettant de déterminer systématiquement la présence ou l’absence de halos de gaz en éjection dans les galaxies lointaines, grâce à une quantité croissante d’observations obtenues avec Muse et avec KCWI (Keck Cosmic Web Imager), le nouvel instrument qui sera implanté bientôt sur le télescope Keck d’Hawaï.

 

Suzy Collin-Zahn Observatoire de Paris-PSL

Comprendre l’atmosphère de Jupiter

Comprendre l’atmosphère de Jupiter

Des expériences menées aux conditions de température et de pression des planètes géantes gazeuses permettent d’observer la séparation d’hydrogène et d’hélium initialement mélangés.

 

 

Jupiter et Saturne, les deux géantes gazeuses du Système solaire, sont principalement constituées d’hydrogène (environ 86 %) et d’hélium (13 %). Selon la pression et la température, ce mélange peut se trouver sous différentes phases ou états. Les structures radiales de Jupiter et de Saturne restent cependant encore mal connues. Les mesures du champ de gravité réalisées par les sondes Galileo et Juno favorisent un découpage en 4 régions principales (fig. 1). Passé la couche nuageuse, on traverse d’abord une enveloppe externe et homogène d’hydrogène moléculaire (H2) et d’hélium ; à des pressions plus élevées, l’hydrogène et l’hélium ne seraient plus miscibles, c’est-à-dire que, tout comme l’eau et l’huile, ils ne se mélangent pas. Cela conduirait à la séparation de ces deux éléments et à la précipitation de l’hélium, phénomène plus connu sous le nom de « pluie d’hélium » ; encore plus profondément se situerait une enveloppe d’hydrogène métallique [1] et d’hélium de nouveau mélangés ; passé cette région, on arrive enfin à un noyau de glace et de roches, les éléments les plus lourds se concentrant vers le centre.

 

Fig. 1 -Structure interne supposée de Jupiter. Sous la couche nuageuse, on traverse successivement une enveloppe d’hydrogène moléculaire (H2) et d’hélium mélangés, une zone dans laquelle l’hydrogène (H) et l’hélium sont immiscibles et se séparent, ce qui provoque une pluie d’hélium, une couche d’hydrogène métallique et d’hélium de nouveau mélangés, et un noyau composé de glaces et de roches. Les expériences réalisées par Stéphanie Brygoo et ses collègues ont permis de confirmer que l’existence d’une zone dans laquelle l’hydrogène et l’hélium sont immiscibles est envisageable, et d’estimer l’épaisseur de cette zone à environ 15 % du rayon de Jupiter.
(© F. Deschamps)

 

La taille exacte de chacune de ces régions reste à préciser. La présence d’une couche dans laquelle l’hydrogène et l’hélium ne sont pas miscibles revêt une importance particulière, car elle pourrait expliquer l’excès de luminosité de Saturne observé à partir des années 1970, l’idée étant que la chute de l’hélium fournit un surplus d’énergie. Cela permettrait aussi d’expliquer l’appauvrissement en hélium dans l’atmosphère de Jupiter observé par la sonde Galileo en 1996. Toutefois, aucune donnée expérimentale n’était venue étayer l’hypothèse que l’hydrogène et l’hélium sont effectivement immiscibles aux pressions et températures régnant dans Jupiter et Saturne.

Une étude menée par une équipe franco-américaine, parue récemment dans la revue Nature [2], vient combler cette lacune. Pour sonder le comportement d’un mélange H-He aux conditions de température et de pression régnant à l’intérieur des planètes géantes gazeuses, Stéphanie Brygoo, chercheuse au CEA, et ses collègues ont développé un procédé expérimental innovant qui combine deux méthodes de compression des matériaux utilisées, jusqu’à présent, indépendamment l’une de l’autre.

Ce procédé fait ainsi appel au passage d’une onde de choc générée par un laser (compression dynamique) dans un échantillon préalablement porté à haute pression grâce à une enclume de diamant (compression statique). Il permet de porter l’échantillon (ici un mélange H-He) à des pressions de 200 gigapascals (environ 2 millions de fois la pression atmosphérique) et à des températures de l’ordre de 10 000 K. L’analyse de l’intensité de l’onde de choc fournit une mesure de la réflectivité de l’échantillon, qui est elle-même une signature de l’état dans lequel se trouve cet échantillon, à savoir, dans le cas présent, si l’hydrogène et l’hélium sont ou non mélangés. Ainsi, entre 4 700 et 10 200 K, la réflectivité mesurée est typique de celle de l’hydrogène pur (fig. 2), signe que, dans cette gamme de températures, hydrogène et hélium sont séparés.

Ces mesures ont permis de préciser le diagramme de phase du mélange H-He, c’est-à-dire les plages de température et de pression pour lesquelles hydrogène et hélium peuvent se mélanger ou sont au contraire immiscibles. Ce diagramme montre que ces deux éléments ne sont pas miscibles dans des gammes de pression et de température plus étendues que prévu par les calculs, et surtout il conforte l’idée qu’à l’intérieur de Jupiter, ces deux éléments restent immiscibles dans une enveloppe s’étendant de 0,68 à 0,84 fois le rayon de Jupiter, soit environ 15 % de ce rayon. Dans cette zone, hydrogène et hélium sont donc séparés et une pluie d’hélium peut se produire.

 

Fig. 2 – Réflectivité d’un mélange d’hydrogène (H) et d’hélium (He) mesurée à différentes températures. Entre 4 700 et 10 200 K, la réflectivité est plus élevée que celle à laquelle on s’attend pour un mélange H- He (courbe bleue), mais elle s’accorde bien avec la réflectivité de l’hydrogène pur (zone grise). (© Brygoo et al., 2021)

 

Frédéric Deschamps IESAS, Taipei, Taïwan

 

1. Cette phase, prédite théoriquement par Eugene Wigner et Hilliard Huntington dès 1935, n’a été observée pour la première fois qu’en 1996. Elle pourrait exister à l’état liquide dès 400 gigapascals et pour des températures relativement faibles.

2. BRYGOO S. et al. (2021), « Evidence of hydrogen- helium immiscibility at Jupiter-interior conditions », Nature, 593, 517-521, doi : 10.1038/s41586-021-03516-0.

Le JWST s’est envolé

Le JWST s’est envolé

Le James Webb Space Telescope (JWST) est le plus gros télescope spatial jamais réalisé. Il a été lancé de Kourou avec succès par une fusée Ariane 5 le 25 décembre 2022. Son miroir primaire, constitué de dix-huit segments hexagonaux, a un diamètre de 6,50 mètres. Sa masse totale n’est que de 705 kg. Il opérera dans la partie orange-rouge du spectre visible, et dans le domaine infrarouge.

 

Le télescope Webb sera protégé de la lumière solaire par un bouclier de 21,2 par 14,2 mètres carrés. A un instant donné, le télescope Webb pourra potentiellement observer 39 % du ciel. Mais devant rester à l’écart des objets dont la luminosité en infrarouge pourrait nuire à sa sensibilité élevée , il ne pourra observer le Soleil, ni Mercure, ni Vénus, ni la Terre, ni la Lune. En revanche, des programmes d’observation sont dédiés aux autres planètes et petits corps du système solaire.

Le télescope Webb pourra transmettre 57,2 Gigaoctets de données scientifiques par jour, avec un débit maximal de 28 Mégaoctets par seconde.

Le télescope est équipé de quatre instruments scientifiques :

  • NIRCam est un imageur pour l’infrarouge proche et une partie du spectre visible, de 0,6 à 5 microns. NIRCam permettra aussi de la spectrographie, dans un domaine de longueurs d’ondes plus restreint qu’en imagerie. NIRCam permettra des observations coronographiques pour l’étude des exoplanètes. ● NIRSpec est un spectrographe pour l’infrarouge proche, de 0,6 à 5,3 microns ● MIRI est à la fois un imageur et un spectrographe pour l’infrarouge moyen, de 5 à 28 micromètres. ● FGS (Fine Guidance Sensor) permettra des pointages précis vers les sources à observer. ● FGS/NIRISS est un imageur et un spectrographe opérant en infrarouge, de 0,6 à 5 microns.

L’image des galaxies très anciennes de l’Univers est fortement décalée vers les grandes longueurs d’onde. Les rayonnements visibles ou ultraviolets qu’elles émettaient nous parviennent décalés dans le domaine infrarouge. Le JWST sera donc bien adapté à l’observation des premières étoiles et galaxies.

Les programmes d’observations sélectionnés pour la première phase d’études scientifiques couvrent l’étude des exoplanètes, celle des galaxies, du milieu intergalactique, des grandes structures de l’Univers, du Système solaire, de la physique stellaire, du milieu interstellaire, et des trous noirs super massifs et des noyaux actifs de galaxies.

 

Fabrice Mottez CNRS, Observatoire de Paris

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