LE MAGAZINE DES SCIENCES DE L’UNIVERS EN AFRIQUE
Impact des Constellations de Satellites sur l’Astronomie : Une Nouvelle Publication de l’Observatoire OUCA dans Nature

Impact des Constellations de Satellites sur l’Astronomie : Une Nouvelle Publication de l’Observatoire OUCA dans Nature

L’impact des satellites sur l’astronomie est devenu un sujet de préoccupation croissante, particulièrement avec le lancement de BlueWalker 3 (BW3) par AST SpaceMobile en septembre 2022. Ce prototype, précurseur d’une constellation de plus de cent satellites destinés aux communications mobiles, est rapidement devenu l’un des objets les plus brillants du ciel. La luminosité de BlueWalker 3, combinée à son énorme antenne de 64 mètres carrés, dépasse la visibilité des étoiles les plus brillantes, posant des problèmes significatifs pour l’observation astronomique. Par ailleurs, l’utilisation des fréquences radio terrestres par BW3 menace directement le domaine de la radioastronomie, déjà confronté à des enjeux de pollution radio.

 

Figure 1: Les traces dans le ciel nocturne laissées par BlueWalker 3 sont juxtaposées au télescope de 4 mètres de Nicholas U. Mayall à l’observatoire national de Kitt Peak en Arizona, un programme du NOIRLab de la NSF. Les ruptures dans la traînée sont causées par des ruptures entre quatre expositions de vingt secondes qui ont été empilées pour créer cette image.  Source: KPNO/NOIRLab/IAU/SKAO/NSF/AURA/R. Sparks

 

Collaboration Internationale et Pro-Amateur 

Dans ce contexte, le centre CPS de l’Union Astronomique Internationale (IAU CPS; Center for the Protection of the Dark and Quiet Sky from Satellite Constellation Interference, Centre pour la protection du ciel sombre et silencieux contre les interférences des constellations de satellites) a orchestré une campagne d’observation d’envergure internationale. Cette initiative a impliqué des contributions de scientifiques et d’observateurs amateurs du monde entier, y compris des sites au Maroc, au Chili, aux États-Unis, au Mexique, en Nouvelle-Zélande, et aux Pays-Bas. Les données récoltées et leur analyse, faisant l’objet d’une publication dans « Nature », met en lumière les impacts potentiels de ce satellite sur l’observation des étoiles et la recherche en radioastronomie. Une augmentation significative de la luminosité de BW3 a été observée, coïncidant avec le déploiement de son antenne.

 

Figure 2: Observation d’un passage de BlueWalker 3 depuis l’observatoire d’Oukaimeden le 16 novembre 2022 à 05:30 UT. L’étoile brillante en bas à gauche est Zeta Puppis (V = 2.25), une géante O4. Le satellite était à une distance de 1225 km lors des observations et n’était donc pas au maximum de sa luminosité. Crédit Image: CLEOsat/ HAO Observatory/Oukaimeden Observatory/IAU CPS/A.E. Kaeouach

 

Détails de l’Étude

L’article publié dans « Nature » offre une analyse approfondie des variations de luminosité de BW3, influencées par des facteurs tels que l’altitude du satellite et l’angle entre l’observateur, le satellite et le Soleil. L’étude aborde également la trajectoire du satellite et les défis associés à la détection de ses composants détachés, notamment l’adaptateur de véhicule de lancement. Ces découvertes soulignent une tendance inquiétante vers des satellites commerciaux de plus grande taille et de plus grande luminosité, représentant un défi significatif pour l’astronomie optique et radio. Les auteurs insistent sur la nécessité d’une coopération internationale pour minimiser ces perturbations et préconisent des évaluations d’impact avant le lancement comme élément clé des processus d’autorisation de lancement futurs.

 

Équilibre entre Connectivité et Astronomie 

L’étude reconnaît la nécessité d’améliorer la connectivité globale, en particulier pour les communautés rurales et mal desservies. Toutefois, cet impératif doit être soigneusement équilibré avec les effets néfastes que les satellites lumineux peuvent avoir sur le ciel nocturne. D’où l’importance cruciale d’une coordination internationale dans ce domaine.

 

Contribution de l’Observatoire Universitaire Cadi Ayyad (OUCA)

L’Observatoire de l’Oukaimeden ou OUCA, rattaché à l’Université Cadi Ayyad, s’est imposé comme un acteur clé dans cette recherche. Répondant à l’accroissement rapide du nombre de satellites en orbite, l’Observatoire a développé un programme spécifique dédié à leur observation et suivi. Cette initiative a conduit à de nombreux partenariats et à l’intégration de l’observatoire au sein du centre CPS de l’IAU. La collaboration étroite avec des astronomes amateurs marocains a été déterminante dans l’observation et l’analyse des données de BW3, mettant en exergue l’importance de l’union entre professionnels et amateurs en astronomie. 

 

Conclusion 

La présence de BW3 dans l’espace met en évidence la nécessité d’une gestion réfléchie des satellites pour protéger le ciel nocturne. La communauté astronomique, à travers des collaborations internationales et pro-amateurs, continue de travailler sur des stratégies de mitigation pour préserver notre accès au cosmos. Les observations de BlueWalker 3 vont se poursuivre, avec des plans pour observer son émission thermique. Les discussions continueront lors du prochain Symposium de l’IAU sur l’astronomie et les constellations de satellites.

 

Par Meriem Elyajouri et Zouhair Benkhaldoun

 

Liens utiles:

Des nouvelles du trou noir de M87

Des nouvelles du trou noir de M87

En avril 2023 ont été publiées deux nouvelles reconstructions du trou noir supermassif au centre de la galaxie Virgo A (M 87). L’une correspond aux données obtenues à partir des observations de 2017 et utilise l’IA, tandis que l’autre provient de nouvelles données obtenues en 2018 et analysées par la méthode classique. Les deux articles concluent à une révision nécessaire des propriétés de l’image.

1. À gauche, image par l’EHT du trou noir au centre de M87, basée sur les observations de 2017, telle que rapportée par la collaboration EHT en 2019. Au milieu, reconstruction de l’image à partir des mêmes données en appliquant les algorithmes de PRIMO. À droite, l’image de PRIMO floutée pour la mettre à la résolution de l’EHT. Le diamètre de l’anneau d’émission, l’asymétrie nord-sud et la dépression centrale de la brillance sont présents dans toutes les images. Mais l’image PRIMO offre une utilisation supérieure de la résolution et de la dynamique de l’EHT.

 

Ce que l’on a nommé l’EHT (Event Horizon Telescope) est un réseau d’une douzaine de radiotélescopes distribués autour de la Terre, destinés à étudier notamment l’environnement immédiat du trou noir supermassif de la Voie lactée et de celui de M 87 avec un pouvoir de résolution permettant d’observer leur horizon [1]. L’observation a été réalisée en avril 2017 et les résultats en ont été rapportés en 2019 et 2021 (voir l’Astronomie 129 de juin 2019 et 149 de mai 2021). Ces observations ont révélé une structure en forme d’anneau qui a été interprétée comme une émission amplifiée gravitationnellement autour d’un trou noir central.

Une équipe d’astronomes états-uniens conduite par une chercheuse de l’Institut d’études avancées de Princeton vient de publier un article dans lequel elle réanalyse ces observations qui avaient été obtenues à partir de données informatiques assez clairsemées, à l’aide d’un algorithme de l’IA appelé PRIMO. Celui-ci utilise comme ensemble d’entraînement des simulations très précises de trous noirs [2]. Les auteurs déduisent que l’image du trou noir contient un anneau mince et brillant dont l’épaisseur est deux fois plus faible que ce qui avait été rapporté précédemment (fig. 1). Cette amélioration devrait conduire à des erreurs réduites concernant la masse du trou noir.

Un autre article publié presque en même temps par une équipe de plus de cent astronomes conduits par deux chercheurs chinois de l’observatoire astronomique de Shanghai rapporte les résultats d’une observation de M 87 réalisée en 2018 [3]. Cet article utilise des données obtenues avec le « Global Millimetre VLBI Array » (GMVA), un réseau plus ancien qui partage de nombreux collaborateurs avec l’EHT, mais observe à 3,5 millimètres de longueur d’onde et non pas à 1,3 millimètre.

 

2. Images à haute résolution de M 87 obtenues les 14 et 15 avril 2018 à la longueur d’onde de 3,4 millimètres. En a, image obtenue avec un poids uniforme. L’ellipse remplie dans le coin gauche en bas donne la taille du faisceau du radiotélescope. Les contours montrent la brillance en mJy et augmentent par pas d’un facteur 2. En b est montrée la région centrale de l’image mais restaurée avec le faisceau projeté sur un cercle ayant la taille du petit axe de l’ellipse. En c, grossissement de la région centrale montrant la taille de la structure en anneau vue à 3,5 millimètres de longueur d’onde, qui est approximativement 50 % plus large qu’à 1,3 millimètre. Pour chaque image, la carte en couleur donne la température en kelvin, qui est reliée à la brillance.

 

Quel est l’intérêt de cette nouvelle observation ? Se placer à une plus grande longueur d’onde réduit la résolution, mais montre une partie plus grande de l’image et permet pour la première fois de voir comment le jet se connecte à l’anneau. La source radio compacte est résolue spatialement et révèle une structure en anneau dont la taille est de 8 rayons gravitationnels, environ 50 % plus grand que celui observé à 1,3 mm. Cet anneau à la fois plus large et plus épais implique une contribution significative d’un flot d’accrétion, en plus de l’émission de l’anneau amplifiée gravitationnellement. Les images montrent le bord brillant d’un jet dont la région de lancement est plus grande que celle qu’on attendait. L’origine de cet excès est encore incomprise, mais il est possible qu’elle marque la présence d’un vent associé au flot d’accrétion (fig. 2).

Par Suzy Collin-Zahn, Observatoire de Paris-PSL

Publié dans le magazine L’Astronomie Juillet-Août 2023

 

 

 

 

 

 

 

Notes

  1. 1. L’horizon d’un trou noir représente la frontière à partir de laquelle la vitesse de libération atteint celle de la lumière, c’est-à-dire que la lumière elle-même est capturée et ne peut plus sortir du trou noir. D’une part, la taille de cet horizon dépend de la rotation du trou noir, d’autre part, elle est proportionnelle à sa masse. Ainsi, l’horizon d’un trou noir sans rotation d’un milliard de masses solaires a un rayon (le « rayon gravitationnel ») de 3 milliards de kilomètres. Il est plus petit si le trou noir est en rotation.
  2. Lia Medeiros, Dimitrios Psaltis, Tod R. Lauer, et Feryal Özel, « The Image of the M87 Black Hole Reconstructed with PRIMO », The Astrophysical Journal Letters, 947, L7, 10 avril 2023.
  3. Ru-Sen Lu, Keiichi Asada et al., « A ring-like accretion structure in M87 connecting its black hole and jet », Nature, avril 2023.
La planète engloutie

La planète engloutie

Des astronomes ont observé un sursaut lumineux qui pourrait être la signature de l’engloutissement d’une exoplanète de la taille de Jupiter par son étoile-hôte.

Figure 1. Évolution de l’étoile V838 Monocerotis vue par le télescope spatial Hubble (HST). Cette étoile initialement non répertoriée a connu un sursaut de luminosité début 2002, pour atteindre 600 000 luminosités solaires. Par la suite, le HST a observé l’évolution de cet objet, ou plus précisément l’écho lumineux qu’il a créé, pendant plusieurs années. V838 Monocerotis est en fait un système triple, et on pense aujourd’hui que l’évènement observé en 2002 correspond à la fusion de deux des trois étoiles composant ce système, phénomène aussi appelé nova rouge. (©NASA/ESA/HST)

 

Les modèles d’évolution planétaire prévoient qu’une planète qui se rapproche trop près de son étoile hôte et se déplace autour de celle-ci sur une orbite de courte période subit d’intenses forces de marée qui, à terme, l’amènent à tomber sur cette étoile. Il y a quelques mois, des astronomes avaient identifié une exoplanète, Kepler 1658b, se déplaçant sur une trajectoire qui devrait la conduire à entrer en collision avec son étoile parente dans environ 2,5 millions d’années (lire l’Astronomie 171 de mai 2023). Mais jusqu’à présent, aucun engloutissement planétaire n’a été observé. Une équipe internationale d’astronomes vient de détecter un sursaut lumineux qui pourrait précisément être la signature de ce type d’événement [1].

Le signal enregistré par Kishalay De et ses collaborateurs, nommé ZTF SLRN-2020, provient d’une région située à environ 4 kiloparsecs [2] de la Terre. Il se décompose en deux parties : un sursaut relativement bref (une dizaine de jours) dans le domaine visible, suivi d’une lente décroissance (six mois) dans l’infrarouge. Un sursaut de luminosité peut être associé à différents évènements astronomiques, comme les novae classiques, ou l’accrétion de gaz chaud par une étoile à neutrons, ou un trou noir. Dans un premier temps, les auteurs de l’étude ont donc comparé les propriétés de ZTF SLRN-2020 aux caractéristiques des sursauts associés à ces processus. L’absence de signal dans le domaine des rayons X permet d’éliminer le scénario de l’accrétion de gaz par une étoile à neutrons ou un trou noir. Les novae classiques sont, quant à elles, liées à l’accrétion sur une naine blanche d’hydrogène provenant d’une étoile compagne très proche, ce qui provoque des réactions de fusion thermonucléaire à la surface de la naine blanche. Le sursaut optique associé à ces réactions est cependant beaucoup plus court que dans le cas de ZTF SLRN-2020, et il s’accompagne de raies d’émission qui, toujours dans le cas de ZTF SLRN-2020, ne sont pas observées.

 

Figure 2. Scénario de l’engloutissement planétaire. (© Smadar Naoz)

 

En revanche, le signal mesuré ressemble aux sursauts associés aux novae rouges. Ces évènements, détectés pour la première fois il y a une trentaine d’années, et dont V838 Monocerotis est un bel exemple (fig. 1), sont provoqués par la fusion de deux étoiles d’un système binaire. Ils se manifestent par un sursaut de lumière rougeâtre suivi d’une longue décroissance de luminosité dans l’infrarouge, deux caractéristiques que l’on retrouve chez ZTF SLRN-2020. Ce dernier présente aussi, dans son spectre, des raies d’absorption moléculaire caractéristiques des novae rouges. Une différence de taille, cependant, est que ZTF SLRN-2020 est beaucoup moins lumineux qu’une nova rouge habituelle. Cela suggère que l’un des deux objets impliqués dans l’évènement observé est beaucoup plus petit qu’une étoile. Par ailleurs, sur la base de clichés plus anciens, les auteurs de l’étude ont pu établir que l’objet à l’origine du sursaut était une étoile de type solaire. Ils en déduisent que le sursaut observé correspond sans doute à l’engloutissement d’une planète géante gazeuse environ 10 fois plus massive que Jupiter (fig. 2). La longue décroissance lumineuse dans le domaine infrarouge serait une conséquence du réajustement thermique et dynamique de l’étoile hôte.

En conclusion de leur article, les auteurs ont calculé que, dans le disque galactique, le nombre de planètes englouties par leur étoile pourrait être compris entre un par décennie et plusieurs par an. Dans ces conditions, il est parfaitement envisageable, dans les années qui viennent, d’observer de nouveaux sursauts associés à ce type d’évènement.

 

Par Frédéric Deschamps, IESAS, Taipei, Taïwan

Publié dans le magazine L’Astronomie Septembre 2023

 

 

 

 

 

 

 

Notes :

  1. De K. et al., « An infrared transient from a star engulfing a planet », Nature, 617, 2023, 55-60, doi: 10.1038/s41586-023-05842-x.
  2. Rappelons qu’un parsec est égal à 3,26 années-lumière.

 

 

Une ceinture d’électrons autour de Mercure

Une ceinture d’électrons autour de Mercure

SORBET, un instrument français à bord de la sonde spatiale BepiColombo dédiée à l’étude de Mercure, a pu détecter pour la première fois les frontières de l’environnement plasma de la planète par le biais des électrons. Cette détection inédite semble confirmer la présence d’une ceinture de plasma autour de Mercure, prédite par certaines simulations numériques.

La sonde BepiColombo, après avoir quitté la Terre en octobre 2018, se rapproche de Mercure par une succession de frondes gravitationnelles, en survolant les planètes qu’elle croise sur sa route. Après la Terre en avril 2020, puis Vénus en 2020 et 2021, c’était au tour de Mercure d’être survolée par la sonde de l’Esa et de la Jaxa, d’abord en octobre 2021 puis en juin 2022. Le prochain survol est prévu pour juin 2023 et sera suivi de trois autres avant la mise en orbite autour de Mercure des deux sondes de BepiColombo début décembre 2025.

 

BepiColombo, deux sondes en 2025

Pendant la phase de croisière, les deux sondes scientifiques de BepiColombo voyagent ensemble, poussées par un module de transfert à propulsion ionique. Ces deux sondes, une fois séparées et déployées autour de Mercure, auront deux missions bien distinctes. La sonde européenne, surnommée Bepi, est consacrée à l’étude de la planète Mercure : sa cartographie, l’analyse de sa surface, son champ magnétique, l’examen de son exosphère. La sonde japonaise, baptisée Mio, est équipée de longues antennes pour mesurer le champ magnétique, les ondes électromagnétiques et les particules du plasma au voisinage de la planète. À partir de 2025, Mio va réaliser des mesures complètement inédites de l’environnement de Mercure qui permettront à la communauté scientifique de mieux comprendre comment Mercure interagit avec le vent solaire.

 

1. La trajectoire de BepiColombo est représentée ici dans différents plans (X désigne la direction Mercure-Soleil, Z la direction sud-nord de Mercure et Y complète un repère « Mercury-Sun-Orbit » orthonormé direct centré sur la planète (disque noir) lors des deux premiers survols de Mercure). En jaune, on voit la magnétogaine, région comprise entre le choc supersonique et la magnétopause, qui entoure la magnétosphère (en cyan). Ces régions sont dessinées d’après des modèles théoriques.

 

Phase de croisière sans antennes

Pour le moment, et pendant toute la croisière, les antennes de Mio sont repliées et la sonde est elle-même protégée dans un grand bouclier. En effet, une fois déployée autour de Mercure, Mio tournera sur elle-même en sept secondes pour éviter que ses panneaux solaires ne surchauffent (on sera vraiment très près du Soleil, à moins de la moitié de la distance Soleil-Terre !). Cette configuration dans le bouclier empêche donc ses instruments de fonctionner dans leur mode nominal.

 

SORBET, le récepteur radio

À bord de Mio se trouve SORBET, l’instrument de Spectroscopie des Ondes Radio et du Bruit Électrostatique Thermique de l’Observatoire de Paris. SORBET doit mesurer les spectres des ondes qui se propagent dans le champ électromagnétique autour de BepiColombo. En effet, ces ondes permettent d’obtenir de précieuses informations sur le plasma ambiant. Le plasma est, par définition, composé de particules dotées d’une charge électrique, négative pour les électrons, et positive pour les protons et les quelques cations d’hélium ou éléments plus lourds qui composent le vent solaire. Le plasma se déplaçant très rapidement (plusieurs centaines de kilomètres par seconde), il génère du champ magnétique, qui lui-même, en retour, guide le mouvement des particules chargées. Cette interaction entre le plasma et le champ magnétique est à l’origine de plusieurs catégories d’ondes, dont certaines permettent de déduire la densité et la température des électrons présents. SORBET a besoin, pour fonctionner comme prévu, des antennes de Mio. Cependant, lors des deux premiers survols de Mercure, l’instrument était allumé pour des tests.

 

Des mesures inattendues

La surprise a été grande en recevant les mesures effectuées pendant les survols de Mercure [1]. En effet, contre toute attente, au moment du premier survol, le 21 octobre 2020 autour de 22 heures, l’instrument a enregistré des hausses et des baisses de densité. Les barres d’erreur sur les mesures sont trop grandes pour obtenir une valeur correcte de densité absolue, mais les chutes et augmentations fortes ont pu être exploitées, pour le premier survol du moins. En effet, lors de ce survol, le vent solaire en amont était suffisamment dense et la trajectoire suffisamment proche de la planète pour que l’entrée dans le choc soit fortement marquée. Au deuxième survol, le 23 juin 2021 au matin, ce n’était pas le cas. En l’absence d’antennes déployées, il est fort probable que ce soit l’électronique de l’instrument lui-même qui ait servi d’antenne. Pour prendre une image, c’est un peu comme pour les petits postes de radio portables : normalement, pour capter votre émission de radio préférée, il faut en déployer l’antenne. Mais parfois, même avec l’antenne repliée, vous captez des bribes de conversation avec beaucoup de bruits parasites. Il est arrivé la même chose à SORBET lors du premier survol de Mercure.

 

2. Les spectres des mesures du champ électrique obtenues par SORBET sont présentés ici pour le premier survol : en fonction du temps (axe horizontal), on voit l’intensité du signal reçu en fonction de la fréquence de celui-ci (axe vertical), avec en rouge les signaux les plus intenses. Par-dessus les spectres, les courbes blanches, rouge et noire présentent différentes mesures de la densité des électrons (notamment en blanc, les densités minimales et maximales), ce qui permet de visualiser les chutes et augmentations de densité qui sont au cœur de l’étude.

 

Comparaison avec les modèles des frontières

Ces mesures inattendues ont été comparées avec celles des autres instruments de BepiColombo, avec les modèles théoriques de position des différentes frontières de l’environnement plasma de Mercure, et enfin avec des simulations numériques en 3D de cet environnement. La première frontière que l’on s’attendait à traverser est le choc supersonique qui marque la rencontre du vent solaire, très rapide (plus de 300 km/s), avec le champ magnétique intrinsèque de Mercure. Les modèles théoriques prédisaient une entrée dans ce choc (en jaune sur la figure 1) autour de 22 h 40 le 21 octobre 2020. Dans les données de SORBET (fig.  2), on observe une première forte augmentation de la densité du plasma un peu avant 22 h 30 (première étoile rouge sur la figure 3). Puis la densité mesurée chute fortement à partir de 23 heures. C’est la traversée de la magnétopause, la frontière de la région interne dominée par le champ magnétique planétaire et dans laquelle il y a encore moins de particules que dans le vent solaire, et à des températures beaucoup plus basses et des vitesses beaucoup plus faibles. On parle de cavité magnétique et c’est cette région-là qui est désignée par le mot « magnétosphère ». Cette dernière est représentée en cyan sur les prévisions théoriques de la figure 1. Jusque-là, rien de surprenant. La comparaison avec les simulations numériques a cependant permis de prouver à quel point la variabilité du vent solaire est importante pour comprendre les mouvements des frontières de la magnétosphère de Mercure : il a fallu trois simulations différentes (les trois profils gris sur le graphique de la figure 3) avec des vents de vitesse et de densité différentes pour permettre de retrouver les temps des trois frontières rencontrées ; cela signifie que le vent a effectivement changé pendant la durée du survol. La magnétosphère de Mercure est en effet si petite qu’elle peut se reconfigurer entièrement en environ 5 minutes, alors que le survol a duré plusieurs heures.

 

3. Les données de densité obtenues après traitement des spectres de SORBET sont présentées ici pour la durée du premier survol le 21 octobre 2020 ; en bleu foncé, densité maximale possible, en bleu clair, densité minimale possible et en violet, densité moyenne. Le trait vertical pointillé rouge montre le temps du point de la trajectoire le plus proche de Mercure, un peu après 23 h 30. Les quatre traits verticaux pointillés noirs marquent, dans l’ordre chronologique, les traversées du choc d’entrée, de la magnétopause et du choc de sortie. Pour retrouver les mêmes temps de passage des frontières en entrée (marquées par les trois étoiles rouges : choc, magnétopause et remontada des électrons), il a fallu trois simulations différentes (profils gris et noirs) avec trois vents solaires différents, car la magnétosphère de Mercure se réorganise très vite quand le vent solaire change, ce qui a été vraisemblablement le cas.

 

La « remontada » des électrons

Ce qui a surpris tout le monde, c’est que la densité d’électrons augmente à nouveau fortement avant le point de l’orbite le plus proche de Mercure (« closest approach », ou « CA », en anglais). Les modèles théoriques courants du choc et de la magnétopause ne décrivent généralement pas cette « remontada » d’électrons à proximité de la planète : on est trop loin pour parler d’exosphère (la fine atmosphère de plasma de Mercure), et on devrait toujours se trouver dans la cavité magnétique où le plasma est très raréfié. Or, dans les simulations magnétohydrodynamiques en 3D de l’interaction du vent solaire avec Mercure, on retrouve bien une région de plasma plus dense autour de la planète (fig. 4). En utilisant cette simulation pour visualiser les lignes de champ magnétique à cet endroit, on se rend vite compte qu’elle correspond à la région dans laquelle les lignes de champ magnétique sont connectées à chacune des extrémités à la planète elle-même : on parle alors de lignes « fermées ». Ces lignes fermées forment une « cage » qui retient le plasma.

 

4. Sur cette coupe (plan contenant la trajectoire de BepiColombo, en blanc) du domaine de simulation, on voit en dégradé de couleur la densité du plasma autour de Mercure. La planète est colorée en fonction de la valeur du champ magnétique radial à sa surface (bleu : champ magnétique entrant, et rouge : sortant). La simulation permet de visualiser les trois régions mentionnées dans l’étude : la magnétogaine (1), la cavité magnétique (2) et la ceinture de plasma (3). Dans le cartouche, on voit à quoi ressemblent les lignes de champ magnétique rencontrées par BepiColombo.

 

La ceinture d’électrons de Mercure, nouvelle région à comprendre

On voit cette région dans les simulations magnétohydrodynamiques 3D, mais jusque-là, on n’avait jamais pu la mesurer. En effet, la précédente sonde à orbiter autour de Mercure, Messenger (Nasa), n’avait pas d’instrument permettant de mesurer la densité du plasma (en dehors de quelques particules avec les énergies les plus hautes). Or, en se fondant uniquement sur des mesures de champ magnétique disponibles, il est très difficile de repérer cette région interne qu’on appelle parfois la « ceinture de plasma ». Elle a donc été omise de la plupart des schémas de la magnétosphère de Mercure publiés pendant l’ère Messenger (entre 2008, premier survol, et 2015, fin de la phase orbitale). Cette ceinture de plasma avait été décrite dans une autre étude [2] utilisant des simulations numériques, une étude conduite par des chercheurs de plusieurs instituts praguois et allemands en 2015. Elle existe autour de la Terre et des planètes géantes, mais pour des raisons physiques qui ne peuvent pas s’appliquer à Mercure, dont la vitesse de rotation sur elle-même est très lente. Cette ceinture de plasma de Mercure est donc une région entièrement nouvelle à comprendre et à mesurer en détail avec les instruments de BepiColombo, lorsque la mission se déploiera en orbite autour de Mercure (avec les antennes déployées, cette fois-ci !) en décembre 2025. D’ici là, on cherche à mieux la retrouver dans les données de champ magnétique de Messenger et surtout dans les simulations numériques : son existence dépend-elle de la densité du vent solaire ? de l’orientation du champ magnétique interplanétaire ?

Cette première détection directe de la ceinture de plasma de Mercure est la première découverte de SORBET, qui démontre à quel point les mesures de cet instrument seront essentielles pour pousser plus loin notre connaissance des plasmas dans un environnement aussi extrême que celui de Mercure.

 

Par Léa Griton, Sorbonne Université, Observatoire de Paris-PSL

 

Publié dans le numéro de Juillet-Août 2023 de l’Astronomie

 

Notes

1. L. Griton, K. Issautier, M. Moncuquet, F. Pantellini, Y. Kasaba et H. Kojima, « Electron density revealing the boundaries of Mercury’s magnetosphere via serendipitous measurements by SORBET during BepiColombo first and second Mercury swing-bys », Astronomy & Astrophysics, 670, 2023, A174, DOI: https://doi.org/10.1051/0004-6361/202245162.

2. Herčík D., Trávníček P. M., Štverák Št., et Hellinger P., « Properties of Hermean plasma belt: Numerical simulations and comparison with MESSENGER data », J. Geophys. Res. Space Physics, 121, 2016, 413–431, doi:10.1002/2015JA021938.

Une trace d’activité volcanique contemporaine sur Vénus

Une trace d’activité volcanique contemporaine sur Vénus

L’analyse d’images radar prises par la sonde Magellan à 8 mois d’intervalle montre des modifications de terrain très certainement liées à une éruption volcanique.

Vénus, notre plus proche voisine, est une planète rocheuse à peine plus petite que la Terre. Sa composition et sa structure radiale sont sans doute très proches de celles de notre planète. Vénus et la Terre ont toutes deux emmagasiné de la chaleur lors de leur formation, chaleur à laquelle vient s’ajouter la chaleur produite par la désintégration d’éléments radiogéniques (isotopes 235 et 238 de l’uranium, 232 du thorium, et 40 du potassium) présents dans leur manteau et leur croûte. En se refroidissant, elles évacuent cette chaleur vers la surface. Même si les deux planètes ont suivi des chemins différents pour ce qui est de leur dynamique interne (rappelons que, contrairement à la Terre, Vénus ne possède pas de tectonique des plaques), leur refroidissement se manifeste par la présence de volcanisme en surface. Ainsi, malgré l’absence de tectonique des plaques (qui, sur Terre, est étroitement liée à la distribution des volcans), les traces d’activité volcanique sur Vénus sont nombreuses (voir encadré). Une question taraude cependant les scientifiques : Vénus est-elle, comme la Terre, toujours volcaniquement active ? Sa taille le laisse penser. Pour un objet donné, la longévité de l’activité volcanique d’une planète dépend de la quantité de chaleur que cet objet a pu emmagasiner, et donc de sa taille. La Terre étant toujours active, Vénus l’est sans doute également. Plusieurs observations effectuées par les sondes spatiales depuis les années 1980 vont dans le sens de cette intuition, sans la confirmer de façon indiscutable. Les variations temporelles de la quantité de dioxyde de soufre au sommet de la couche nuageuse, notamment entre 2006 et 2012, pourraient être la signature d’éruptions volcaniques. Ces variations ne sont toutefois pas concluantes, car elles pourraient aussi résulter de phénomènes de circulation atmosphérique. En 2015, des images infrarouges prises par Venus Express ont apporté un indice plus solide en détectant des variations de température dans la région de Ganaki Chasma, non loin de Maat Mons. Celles-ci pourraient être liées à l’émission de gaz ou de laves portés à des températures de 830 °C. Malgré ce faisceau d’indices, il n’existe jusqu’à présent aucune observation directe d’une éruption volcanique à la surface de Vénus. Et pour cause. Notre voisine est entourée d’une épaisse atmosphère essentiellement composée de dioxyde de carbone. Outre que cette atmosphère est responsable d’un puissant effet de serre, et donc de températures de surface très élevées, elle nous masque la surface de Vénus en permanence. Difficile, dans ces conditions, d’y observer une éventuelle éruption en temps réel. Comme si cela ne suffisait pas, les conditions de température et de pression en surface font que ces éruptions sont sans doute beaucoup moins spectaculaires que sur Terre. En particulier, une atmosphère dense et chaude ne favorise pas le développement de panaches volcaniques, ou colonnes pliniennes1.  Températures et pressions élevées favorisent également l’épanchement des laves aux dépens de leur accumulation, ce qui limite la taille des édifices volcaniques.

 

1. Différents aspects du volcanisme vénusien vus par les images radar de la sonde Magellan.
(A) Reconstruction 3D de Maat Mons, volcan bouclier culminant à 8 km d’altitude (l’échelle verticale est
augmentée d’environ un facteur 15). (B) Bayara Vallis, un canal creusé par une coulée de lave. (C) Aine Corona, une corona typique de 200 km de diamètre. (D) Seoritsu Fara, une série de dômes en crêpe ou « pancake domes ». (© J. Teske)

 

2. (E) Carte hémisphérique de la topographie de Vénus centrée sur la longitude 180° E. Atla Regio est entourée en blanc. (F) Reconstruction 3D d’Atla Regio avec Sapas Mons au premier plan, Ozza Mons sur lagauche,etMaatMonsàl’horizon. (©NASA/JPL/USGS)

 

Deux images pour une (possible) éruption

Pour tenter de trouver de nouveaux indices de volcanisme actif, deux chercheurs américains ont analysé des images radar acquises par la sonde Magellan il y a une trentaine d’années2, l’idée étant de repérer d’éventuelles modifications de surface entre deux clichés d’un même endroit pris à des instants différents. Les deux chercheurs, dont les travaux sont en cours de publication dans la revue Science3, se sont concentrés sur une quinzaine de régions dont on pense qu’elles pourraient être le siège de volcanisme actif, comme Atla Regio, qui abrite deux volcans boucliers, Maat Mons et Ozza Mons (fig. 2). Ce faisant, ils ont repéré un évent (ou fissure) volcanique dont la morphologie semble avoir changé en l’espace de huit mois (fig. 3). Cet évent est situé sur le flanc nord d’un petit dôme volcanique, lui-même localisé dans le massif de Maat Mons. Sur la première image, il est presque circulaire et sa superficie est d’un peu plus de 2 km2. Sur la seconde image, sa forme est irrégulière et sa superficie a doublé.  De plus, les parois internes qui apparaissaient abruptes sur la première image sont moins prononcées sur la seconde, signe que le plancher y est moins profond (quelques dizaines de mètres seulement). Robert Herrick et Scott Hensley interprètent ces changements par la formation d’un lac de lave à l’intérieur de l’évent au cours des huit mois séparant les deux images. Sur l’image la plus récente, ils identifient également un terrain ressemblant à une coulée de lave, qui est absente sur l’image prise huit mois plus tôt. Les deux images ayant été prises sous des angles différents, il n’est cependant pas exclu que cette coulée ait été déjà présente lors du premier passage, mais qu’elle n’ait pas été détectée. Quoi qu’il en soit, et même s’il est moins spectaculaire qu’une éruption en temps réel, le changement de morphologie d’un évent volcanique est un indice clé, car il est nécessairement associé à un évènement d’origine volcanique. Par exemple, outre son remplissage par un lac de lave, hypothèse avancée par Robert Herrick et Scott Hensley, un évent peut changer de forme sous l’effet d’un effondrement, lui-même provoqué par la purge d’une poche de magma souterraine. Une question reste en suspens : l’intensité du volcanisme vénusien. Comme nous l’avons souligné, ce volcanisme est apparenté au volcanisme de point chaud. Sur Terre, les éruptions de ce type de volcans, par exemple le Mauna Loa à Hawaï ou le piton de la Fournaise sur l’île de la Réunion, se répètent avec une période de quelques années. Vénus possède plusieurs douzaines de volcans de taille similaire au Mauna Loa, et l’on peut raisonnablement penser qu’une ou plusieurs éruptions s’y produisent chaque année. De ce point de vue, il est étonnant qu’aucune éruption (excepté celle que l’on vient de relater) n’ait effectivement été détectée lors des trois décennies écoulées. Il serait toutefois prématuré d’en conclure que Vénus est peu active. Identifier une éruption à partir des seules images radar reste une tâche difficile. De plus, même si elle se concentre sur des régions où l’on a a priori le plus de chance de détecter une éruption, l’étude publiée dans Science ne couvre qu’une toute petite fraction (environ 1,5 %) de la surface de Vénus. Plusieurs missions spatiales dédiées à cette planète sont en préparation, notamment EnVision et Veritas, respectivement développées par l’Esa et la Nasa, et dont les lancements sont prévus au début des années 2030. L’un de leurs principaux objectifs sera de détecter de nouvelles traces d’éruptions volcaniques à la surface de l’étoile du Berger. Il sera alors possible de mieux évaluer l’ampleur de cette activité.

par  Frédéric Deschamps – IESAS, Taipei, Taïwan

 

Publié dans le magazine L’Astronomie Mai 2023

 

 

 

 

 

 

notes 1. C’est le réchauffement des gaz atmosphériques absorbés par un panache qui permet à celui-ci de s’élever. Des gaz denses et chauds auront donc un effet très limité. 2. Magellan est une mission de la Nasa lancée en 1989 et active de 1990 à 1994. Essentiellement équipée d’un radar, elle a cartographié la surface de Vénus avec une résolution de 100 à 300 mètres. 3. Herrick R. R. et Hensley S. (2023), Surface changes observed on a Venusian volcano during the Magellan mission, Science, doi: 10.1126/science.abm7735.

 

Le satellite CHEOPS détecte une première exocomète

Le satellite CHEOPS détecte une première exocomète

 

1. Le système de Bêta Pictoris. Le disque de débris (en fausses couleurs) est vu par la tranche. La planète Bêta Pictoris b apparaît comme un point blanc à proximité immédiate de l’étoile. (ESO/ A.-M. Lagrange et al. 2010)

 

Qu’est-ce qu’une exocomète ?

C’est un objet de petite taille (de l’ordre de quelques kilomètres) dont on observe l’évaporation quand il est situé à proximité de son étoile hôte. C’est donc l’équivalent d’une comète, observé dans un système exoplanétaire. Les premières exocomètes ont été observées dès 1988 autour de la jeune étoile massive A6V Bêta Pictoris [1]. Auparavant, en 1983, le satellite IRAS avait détecté autour de cette étoile un rayonnement infrarouge émis par un disque de débris, qui est une ceinture circumstellaire constituée de petits objets ; la ceinture de Kuiper en est un exemple dans le Système solaire. Ce disque a ensuite été observé dans le domaine visible par la tranche à l’aide des télescopes terrestres. À partir de 2008, une planète massive (fig. 1) a été détectée par imagerie directe dans l’infrarouge [2], à une distance de 8 ua de Bêta Pictoris, son étoile hôte ; sa présence pourrait être à l’origine des objets évaporés ; en 2019, une deuxième planète a été observée, cette fois par la méthode des vitesses radiales.

2. Le satellite CHEOPS. (Université de Berne)

 

La présence d’une exocomète se manifeste par les propriétés suivantes : (1) des absorptions variables, souvent décalées vers le rouge, issues d’un nuage d’ions vaporisés devant le disque stellaire, et (2) des transits photométriques dus au passage de la chevelure ou la queue de la comète devant l’étoile. C’est ainsi que le suivi photométrique de Bêta Pictoris, par la détection d’une trentaine de transits photométriques, a permis de caractériser les propriétés des exocomètes de cette étoile, dont la distribution en taille est proche de celle des comètes de la famille de Jupiter dans le Système solaire [5].

Comme Bêta Pictoris, HD 172555 est une jeune étoile massive (de type spectral A7V) entourée d’un disque de débris, dans lequel une forte émission d’oxygène atomique a été détectée en 2012 par le satellite Herschel dans l’infrarouge lointain [3]. Cette observation suggère la présence possible d’exocomètes qui seraient la source de H2O, CO et CO2. Deux ans plus tard, des observations spectroscopiques dans le domaine visible ont pu les identifier[4].

CHEOPS (fig. 2) est un petit télescope spatial, lancé en 2019 par l’Université de Berne et l’Agence spatiale européenne (Esa) dédié à la caractérisation d’exoplanètes déjà identifiées (en particulier la mesure précise de leur rayon) par la méthode des transits. L’un des programmes de la mission CHEOPS porte sur l’observation des disques de débris et l’étoile HD 172555 a ainsi été observée pendant trente orbites consécutives de CHEOPS, soit une durée d’un peu plus de deux jours[6].

 

3. La courbe de lumière brute de HD 172555 enregistrée par le satellite CHEOPS. L’instant t0 correspond à la date MJD 59381.445.

 

4. Périodogramme de la courbe de lumière de HD 172555 (fig. 3). La courbe rouge en pointillé correspond à un niveau de signification de 4 s. L’encadré central montre un agrandissement de la partie à courte fréquence (< 1 100 mHz). (Kiefer et al. 2023)

 

5. Courbes résiduelles après extraction des oscillations stellaires. Points avec barres d’erreur : courbes de lumières de HD 172555 corrigées des effets des oscillations stellaires, correspondant aux différents niveaux de signal sur bruit (S/N) requis. Les traits pleins correspondent à une sommation des points individuels sur une durée d’une heure. Le modèle (courbe noire) correspond à la signature attendue d’un transit cométaire. (Kiefer et al. 2023)

 

La courbe de lumière de HD 172555 (fig. 3)  est dominée par les oscillations stellaires rapides, de type « d Scuti » (selon le nom de l’étoile sur laquelle ce phénomène a été découvert), caractéristiques de ces étoiles massives. Tout le travail de l’équipe a donc consisté à éliminer ces oscillations pour rechercher la signature d’un éventuel transit cométaire de bien moindre amplitude. À partir du périodogramme  (c’est-à-dire de  l’analyse en fréquence) de la courbe de lumière (fig. 4), les auteurs extraient du signal la composante périodique la plus intense, puis la suivante et ainsi de suite, jusqu’à éliminer les dix pics les plus intenses du périodogramme, signatures des oscillations stellaires, et ils poursuivent leur analyse d’élimination en appliquant divers seuils de probabilité, correspondant à différentes valeurs du rapport signal sur bruit (> 10, 8, 6 et 4,8). Les courbes résiduelles finales (fig. 5) indiquent la présence d’une absorption à un moment précis, que les auteurs attribuent à la signature d’une exocomète. Si la détection est réelle, l’objet aurait un rayon de 2,5 km et serait situé à une distance de 6,8 ± 1,4 rayons stellaires (soit 0,05 ± 0,01 ua). Ces valeurs sont en accord avec les résultats des mesures spectroscopiques [4], et aussi comparables à celles des exocomètes déjà détectées autour d’autres étoiles, en particulier Bêta Pictoris.

 

par Thérèse Encrenaz – Observatoire de Paris-PSL

Publié dans le magazine L’Astronomie Mai 2023

 

 

 

 

 

 

Notes:

  1. Ferlet R. et al., Astron. Astrophys. 185, 267, 1988.
  2. Lagrange A.-M. et al., Science 329, 57, 2010.
  3. Riviere-Marichalar P. et al., Astron. Astrophys. 546, L8, 2012.
  4. Kiefer F. et al., Astron. Astrophys. 561, L10.
  5. Lecavelier des Étangs A. et al., Scientific Reports 12, 5855, 2022.
  6. Kiefer F. et al., Astron. Astrophys. 671, id.A25, 2023.

 

 

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