LE MAGAZINE DES SCIENCES DE L’UNIVERS EN AFRIQUE
Une ceinture d’électrons autour de Mercure

Une ceinture d’électrons autour de Mercure

SORBET, un instrument français à bord de la sonde spatiale BepiColombo dédiée à l’étude de Mercure, a pu détecter pour la première fois les frontières de l’environnement plasma de la planète par le biais des électrons. Cette détection inédite semble confirmer la présence d’une ceinture de plasma autour de Mercure, prédite par certaines simulations numériques.

La sonde BepiColombo, après avoir quitté la Terre en octobre 2018, se rapproche de Mercure par une succession de frondes gravitationnelles, en survolant les planètes qu’elle croise sur sa route. Après la Terre en avril 2020, puis Vénus en 2020 et 2021, c’était au tour de Mercure d’être survolée par la sonde de l’Esa et de la Jaxa, d’abord en octobre 2021 puis en juin 2022. Le prochain survol est prévu pour juin 2023 et sera suivi de trois autres avant la mise en orbite autour de Mercure des deux sondes de BepiColombo début décembre 2025.

 

BepiColombo, deux sondes en 2025

Pendant la phase de croisière, les deux sondes scientifiques de BepiColombo voyagent ensemble, poussées par un module de transfert à propulsion ionique. Ces deux sondes, une fois séparées et déployées autour de Mercure, auront deux missions bien distinctes. La sonde européenne, surnommée Bepi, est consacrée à l’étude de la planète Mercure : sa cartographie, l’analyse de sa surface, son champ magnétique, l’examen de son exosphère. La sonde japonaise, baptisée Mio, est équipée de longues antennes pour mesurer le champ magnétique, les ondes électromagnétiques et les particules du plasma au voisinage de la planète. À partir de 2025, Mio va réaliser des mesures complètement inédites de l’environnement de Mercure qui permettront à la communauté scientifique de mieux comprendre comment Mercure interagit avec le vent solaire.

 

1. La trajectoire de BepiColombo est représentée ici dans différents plans (X désigne la direction Mercure-Soleil, Z la direction sud-nord de Mercure et Y complète un repère « Mercury-Sun-Orbit » orthonormé direct centré sur la planète (disque noir) lors des deux premiers survols de Mercure). En jaune, on voit la magnétogaine, région comprise entre le choc supersonique et la magnétopause, qui entoure la magnétosphère (en cyan). Ces régions sont dessinées d’après des modèles théoriques.

 

Phase de croisière sans antennes

Pour le moment, et pendant toute la croisière, les antennes de Mio sont repliées et la sonde est elle-même protégée dans un grand bouclier. En effet, une fois déployée autour de Mercure, Mio tournera sur elle-même en sept secondes pour éviter que ses panneaux solaires ne surchauffent (on sera vraiment très près du Soleil, à moins de la moitié de la distance Soleil-Terre !). Cette configuration dans le bouclier empêche donc ses instruments de fonctionner dans leur mode nominal.

 

SORBET, le récepteur radio

À bord de Mio se trouve SORBET, l’instrument de Spectroscopie des Ondes Radio et du Bruit Électrostatique Thermique de l’Observatoire de Paris. SORBET doit mesurer les spectres des ondes qui se propagent dans le champ électromagnétique autour de BepiColombo. En effet, ces ondes permettent d’obtenir de précieuses informations sur le plasma ambiant. Le plasma est, par définition, composé de particules dotées d’une charge électrique, négative pour les électrons, et positive pour les protons et les quelques cations d’hélium ou éléments plus lourds qui composent le vent solaire. Le plasma se déplaçant très rapidement (plusieurs centaines de kilomètres par seconde), il génère du champ magnétique, qui lui-même, en retour, guide le mouvement des particules chargées. Cette interaction entre le plasma et le champ magnétique est à l’origine de plusieurs catégories d’ondes, dont certaines permettent de déduire la densité et la température des électrons présents. SORBET a besoin, pour fonctionner comme prévu, des antennes de Mio. Cependant, lors des deux premiers survols de Mercure, l’instrument était allumé pour des tests.

 

Des mesures inattendues

La surprise a été grande en recevant les mesures effectuées pendant les survols de Mercure [1]. En effet, contre toute attente, au moment du premier survol, le 21 octobre 2020 autour de 22 heures, l’instrument a enregistré des hausses et des baisses de densité. Les barres d’erreur sur les mesures sont trop grandes pour obtenir une valeur correcte de densité absolue, mais les chutes et augmentations fortes ont pu être exploitées, pour le premier survol du moins. En effet, lors de ce survol, le vent solaire en amont était suffisamment dense et la trajectoire suffisamment proche de la planète pour que l’entrée dans le choc soit fortement marquée. Au deuxième survol, le 23 juin 2021 au matin, ce n’était pas le cas. En l’absence d’antennes déployées, il est fort probable que ce soit l’électronique de l’instrument lui-même qui ait servi d’antenne. Pour prendre une image, c’est un peu comme pour les petits postes de radio portables : normalement, pour capter votre émission de radio préférée, il faut en déployer l’antenne. Mais parfois, même avec l’antenne repliée, vous captez des bribes de conversation avec beaucoup de bruits parasites. Il est arrivé la même chose à SORBET lors du premier survol de Mercure.

 

2. Les spectres des mesures du champ électrique obtenues par SORBET sont présentés ici pour le premier survol : en fonction du temps (axe horizontal), on voit l’intensité du signal reçu en fonction de la fréquence de celui-ci (axe vertical), avec en rouge les signaux les plus intenses. Par-dessus les spectres, les courbes blanches, rouge et noire présentent différentes mesures de la densité des électrons (notamment en blanc, les densités minimales et maximales), ce qui permet de visualiser les chutes et augmentations de densité qui sont au cœur de l’étude.

 

Comparaison avec les modèles des frontières

Ces mesures inattendues ont été comparées avec celles des autres instruments de BepiColombo, avec les modèles théoriques de position des différentes frontières de l’environnement plasma de Mercure, et enfin avec des simulations numériques en 3D de cet environnement. La première frontière que l’on s’attendait à traverser est le choc supersonique qui marque la rencontre du vent solaire, très rapide (plus de 300 km/s), avec le champ magnétique intrinsèque de Mercure. Les modèles théoriques prédisaient une entrée dans ce choc (en jaune sur la figure 1) autour de 22 h 40 le 21 octobre 2020. Dans les données de SORBET (fig.  2), on observe une première forte augmentation de la densité du plasma un peu avant 22 h 30 (première étoile rouge sur la figure 3). Puis la densité mesurée chute fortement à partir de 23 heures. C’est la traversée de la magnétopause, la frontière de la région interne dominée par le champ magnétique planétaire et dans laquelle il y a encore moins de particules que dans le vent solaire, et à des températures beaucoup plus basses et des vitesses beaucoup plus faibles. On parle de cavité magnétique et c’est cette région-là qui est désignée par le mot « magnétosphère ». Cette dernière est représentée en cyan sur les prévisions théoriques de la figure 1. Jusque-là, rien de surprenant. La comparaison avec les simulations numériques a cependant permis de prouver à quel point la variabilité du vent solaire est importante pour comprendre les mouvements des frontières de la magnétosphère de Mercure : il a fallu trois simulations différentes (les trois profils gris sur le graphique de la figure 3) avec des vents de vitesse et de densité différentes pour permettre de retrouver les temps des trois frontières rencontrées ; cela signifie que le vent a effectivement changé pendant la durée du survol. La magnétosphère de Mercure est en effet si petite qu’elle peut se reconfigurer entièrement en environ 5 minutes, alors que le survol a duré plusieurs heures.

 

3. Les données de densité obtenues après traitement des spectres de SORBET sont présentées ici pour la durée du premier survol le 21 octobre 2020 ; en bleu foncé, densité maximale possible, en bleu clair, densité minimale possible et en violet, densité moyenne. Le trait vertical pointillé rouge montre le temps du point de la trajectoire le plus proche de Mercure, un peu après 23 h 30. Les quatre traits verticaux pointillés noirs marquent, dans l’ordre chronologique, les traversées du choc d’entrée, de la magnétopause et du choc de sortie. Pour retrouver les mêmes temps de passage des frontières en entrée (marquées par les trois étoiles rouges : choc, magnétopause et remontada des électrons), il a fallu trois simulations différentes (profils gris et noirs) avec trois vents solaires différents, car la magnétosphère de Mercure se réorganise très vite quand le vent solaire change, ce qui a été vraisemblablement le cas.

 

La « remontada » des électrons

Ce qui a surpris tout le monde, c’est que la densité d’électrons augmente à nouveau fortement avant le point de l’orbite le plus proche de Mercure (« closest approach », ou « CA », en anglais). Les modèles théoriques courants du choc et de la magnétopause ne décrivent généralement pas cette « remontada » d’électrons à proximité de la planète : on est trop loin pour parler d’exosphère (la fine atmosphère de plasma de Mercure), et on devrait toujours se trouver dans la cavité magnétique où le plasma est très raréfié. Or, dans les simulations magnétohydrodynamiques en 3D de l’interaction du vent solaire avec Mercure, on retrouve bien une région de plasma plus dense autour de la planète (fig. 4). En utilisant cette simulation pour visualiser les lignes de champ magnétique à cet endroit, on se rend vite compte qu’elle correspond à la région dans laquelle les lignes de champ magnétique sont connectées à chacune des extrémités à la planète elle-même : on parle alors de lignes « fermées ». Ces lignes fermées forment une « cage » qui retient le plasma.

 

4. Sur cette coupe (plan contenant la trajectoire de BepiColombo, en blanc) du domaine de simulation, on voit en dégradé de couleur la densité du plasma autour de Mercure. La planète est colorée en fonction de la valeur du champ magnétique radial à sa surface (bleu : champ magnétique entrant, et rouge : sortant). La simulation permet de visualiser les trois régions mentionnées dans l’étude : la magnétogaine (1), la cavité magnétique (2) et la ceinture de plasma (3). Dans le cartouche, on voit à quoi ressemblent les lignes de champ magnétique rencontrées par BepiColombo.

 

La ceinture d’électrons de Mercure, nouvelle région à comprendre

On voit cette région dans les simulations magnétohydrodynamiques 3D, mais jusque-là, on n’avait jamais pu la mesurer. En effet, la précédente sonde à orbiter autour de Mercure, Messenger (Nasa), n’avait pas d’instrument permettant de mesurer la densité du plasma (en dehors de quelques particules avec les énergies les plus hautes). Or, en se fondant uniquement sur des mesures de champ magnétique disponibles, il est très difficile de repérer cette région interne qu’on appelle parfois la « ceinture de plasma ». Elle a donc été omise de la plupart des schémas de la magnétosphère de Mercure publiés pendant l’ère Messenger (entre 2008, premier survol, et 2015, fin de la phase orbitale). Cette ceinture de plasma avait été décrite dans une autre étude [2] utilisant des simulations numériques, une étude conduite par des chercheurs de plusieurs instituts praguois et allemands en 2015. Elle existe autour de la Terre et des planètes géantes, mais pour des raisons physiques qui ne peuvent pas s’appliquer à Mercure, dont la vitesse de rotation sur elle-même est très lente. Cette ceinture de plasma de Mercure est donc une région entièrement nouvelle à comprendre et à mesurer en détail avec les instruments de BepiColombo, lorsque la mission se déploiera en orbite autour de Mercure (avec les antennes déployées, cette fois-ci !) en décembre 2025. D’ici là, on cherche à mieux la retrouver dans les données de champ magnétique de Messenger et surtout dans les simulations numériques : son existence dépend-elle de la densité du vent solaire ? de l’orientation du champ magnétique interplanétaire ?

Cette première détection directe de la ceinture de plasma de Mercure est la première découverte de SORBET, qui démontre à quel point les mesures de cet instrument seront essentielles pour pousser plus loin notre connaissance des plasmas dans un environnement aussi extrême que celui de Mercure.

 

Par Léa Griton, Sorbonne Université, Observatoire de Paris-PSL

 

Publié dans le numéro de Juillet-Août 2023 de l’Astronomie

 

Notes

1. L. Griton, K. Issautier, M. Moncuquet, F. Pantellini, Y. Kasaba et H. Kojima, « Electron density revealing the boundaries of Mercury’s magnetosphere via serendipitous measurements by SORBET during BepiColombo first and second Mercury swing-bys », Astronomy & Astrophysics, 670, 2023, A174, DOI: https://doi.org/10.1051/0004-6361/202245162.

2. Herčík D., Trávníček P. M., Štverák Št., et Hellinger P., « Properties of Hermean plasma belt: Numerical simulations and comparison with MESSENGER data », J. Geophys. Res. Space Physics, 121, 2016, 413–431, doi:10.1002/2015JA021938.

Une trace d’activité volcanique contemporaine sur Vénus

Une trace d’activité volcanique contemporaine sur Vénus

L’analyse d’images radar prises par la sonde Magellan à 8 mois d’intervalle montre des modifications de terrain très certainement liées à une éruption volcanique.

Vénus, notre plus proche voisine, est une planète rocheuse à peine plus petite que la Terre. Sa composition et sa structure radiale sont sans doute très proches de celles de notre planète. Vénus et la Terre ont toutes deux emmagasiné de la chaleur lors de leur formation, chaleur à laquelle vient s’ajouter la chaleur produite par la désintégration d’éléments radiogéniques (isotopes 235 et 238 de l’uranium, 232 du thorium, et 40 du potassium) présents dans leur manteau et leur croûte. En se refroidissant, elles évacuent cette chaleur vers la surface. Même si les deux planètes ont suivi des chemins différents pour ce qui est de leur dynamique interne (rappelons que, contrairement à la Terre, Vénus ne possède pas de tectonique des plaques), leur refroidissement se manifeste par la présence de volcanisme en surface. Ainsi, malgré l’absence de tectonique des plaques (qui, sur Terre, est étroitement liée à la distribution des volcans), les traces d’activité volcanique sur Vénus sont nombreuses (voir encadré). Une question taraude cependant les scientifiques : Vénus est-elle, comme la Terre, toujours volcaniquement active ? Sa taille le laisse penser. Pour un objet donné, la longévité de l’activité volcanique d’une planète dépend de la quantité de chaleur que cet objet a pu emmagasiner, et donc de sa taille. La Terre étant toujours active, Vénus l’est sans doute également. Plusieurs observations effectuées par les sondes spatiales depuis les années 1980 vont dans le sens de cette intuition, sans la confirmer de façon indiscutable. Les variations temporelles de la quantité de dioxyde de soufre au sommet de la couche nuageuse, notamment entre 2006 et 2012, pourraient être la signature d’éruptions volcaniques. Ces variations ne sont toutefois pas concluantes, car elles pourraient aussi résulter de phénomènes de circulation atmosphérique. En 2015, des images infrarouges prises par Venus Express ont apporté un indice plus solide en détectant des variations de température dans la région de Ganaki Chasma, non loin de Maat Mons. Celles-ci pourraient être liées à l’émission de gaz ou de laves portés à des températures de 830 °C. Malgré ce faisceau d’indices, il n’existe jusqu’à présent aucune observation directe d’une éruption volcanique à la surface de Vénus. Et pour cause. Notre voisine est entourée d’une épaisse atmosphère essentiellement composée de dioxyde de carbone. Outre que cette atmosphère est responsable d’un puissant effet de serre, et donc de températures de surface très élevées, elle nous masque la surface de Vénus en permanence. Difficile, dans ces conditions, d’y observer une éventuelle éruption en temps réel. Comme si cela ne suffisait pas, les conditions de température et de pression en surface font que ces éruptions sont sans doute beaucoup moins spectaculaires que sur Terre. En particulier, une atmosphère dense et chaude ne favorise pas le développement de panaches volcaniques, ou colonnes pliniennes1.  Températures et pressions élevées favorisent également l’épanchement des laves aux dépens de leur accumulation, ce qui limite la taille des édifices volcaniques.

 

1. Différents aspects du volcanisme vénusien vus par les images radar de la sonde Magellan.
(A) Reconstruction 3D de Maat Mons, volcan bouclier culminant à 8 km d’altitude (l’échelle verticale est
augmentée d’environ un facteur 15). (B) Bayara Vallis, un canal creusé par une coulée de lave. (C) Aine Corona, une corona typique de 200 km de diamètre. (D) Seoritsu Fara, une série de dômes en crêpe ou « pancake domes ». (© J. Teske)

 

2. (E) Carte hémisphérique de la topographie de Vénus centrée sur la longitude 180° E. Atla Regio est entourée en blanc. (F) Reconstruction 3D d’Atla Regio avec Sapas Mons au premier plan, Ozza Mons sur lagauche,etMaatMonsàl’horizon. (©NASA/JPL/USGS)

 

Deux images pour une (possible) éruption

Pour tenter de trouver de nouveaux indices de volcanisme actif, deux chercheurs américains ont analysé des images radar acquises par la sonde Magellan il y a une trentaine d’années2, l’idée étant de repérer d’éventuelles modifications de surface entre deux clichés d’un même endroit pris à des instants différents. Les deux chercheurs, dont les travaux sont en cours de publication dans la revue Science3, se sont concentrés sur une quinzaine de régions dont on pense qu’elles pourraient être le siège de volcanisme actif, comme Atla Regio, qui abrite deux volcans boucliers, Maat Mons et Ozza Mons (fig. 2). Ce faisant, ils ont repéré un évent (ou fissure) volcanique dont la morphologie semble avoir changé en l’espace de huit mois (fig. 3). Cet évent est situé sur le flanc nord d’un petit dôme volcanique, lui-même localisé dans le massif de Maat Mons. Sur la première image, il est presque circulaire et sa superficie est d’un peu plus de 2 km2. Sur la seconde image, sa forme est irrégulière et sa superficie a doublé.  De plus, les parois internes qui apparaissaient abruptes sur la première image sont moins prononcées sur la seconde, signe que le plancher y est moins profond (quelques dizaines de mètres seulement). Robert Herrick et Scott Hensley interprètent ces changements par la formation d’un lac de lave à l’intérieur de l’évent au cours des huit mois séparant les deux images. Sur l’image la plus récente, ils identifient également un terrain ressemblant à une coulée de lave, qui est absente sur l’image prise huit mois plus tôt. Les deux images ayant été prises sous des angles différents, il n’est cependant pas exclu que cette coulée ait été déjà présente lors du premier passage, mais qu’elle n’ait pas été détectée. Quoi qu’il en soit, et même s’il est moins spectaculaire qu’une éruption en temps réel, le changement de morphologie d’un évent volcanique est un indice clé, car il est nécessairement associé à un évènement d’origine volcanique. Par exemple, outre son remplissage par un lac de lave, hypothèse avancée par Robert Herrick et Scott Hensley, un évent peut changer de forme sous l’effet d’un effondrement, lui-même provoqué par la purge d’une poche de magma souterraine. Une question reste en suspens : l’intensité du volcanisme vénusien. Comme nous l’avons souligné, ce volcanisme est apparenté au volcanisme de point chaud. Sur Terre, les éruptions de ce type de volcans, par exemple le Mauna Loa à Hawaï ou le piton de la Fournaise sur l’île de la Réunion, se répètent avec une période de quelques années. Vénus possède plusieurs douzaines de volcans de taille similaire au Mauna Loa, et l’on peut raisonnablement penser qu’une ou plusieurs éruptions s’y produisent chaque année. De ce point de vue, il est étonnant qu’aucune éruption (excepté celle que l’on vient de relater) n’ait effectivement été détectée lors des trois décennies écoulées. Il serait toutefois prématuré d’en conclure que Vénus est peu active. Identifier une éruption à partir des seules images radar reste une tâche difficile. De plus, même si elle se concentre sur des régions où l’on a a priori le plus de chance de détecter une éruption, l’étude publiée dans Science ne couvre qu’une toute petite fraction (environ 1,5 %) de la surface de Vénus. Plusieurs missions spatiales dédiées à cette planète sont en préparation, notamment EnVision et Veritas, respectivement développées par l’Esa et la Nasa, et dont les lancements sont prévus au début des années 2030. L’un de leurs principaux objectifs sera de détecter de nouvelles traces d’éruptions volcaniques à la surface de l’étoile du Berger. Il sera alors possible de mieux évaluer l’ampleur de cette activité.

par  Frédéric Deschamps – IESAS, Taipei, Taïwan

 

Publié dans le magazine L’Astronomie Mai 2023

 

 

 

 

 

 

notes 1. C’est le réchauffement des gaz atmosphériques absorbés par un panache qui permet à celui-ci de s’élever. Des gaz denses et chauds auront donc un effet très limité. 2. Magellan est une mission de la Nasa lancée en 1989 et active de 1990 à 1994. Essentiellement équipée d’un radar, elle a cartographié la surface de Vénus avec une résolution de 100 à 300 mètres. 3. Herrick R. R. et Hensley S. (2023), Surface changes observed on a Venusian volcano during the Magellan mission, Science, doi: 10.1126/science.abm7735.

 

Le satellite CHEOPS détecte une première exocomète

Le satellite CHEOPS détecte une première exocomète

 

1. Le système de Bêta Pictoris. Le disque de débris (en fausses couleurs) est vu par la tranche. La planète Bêta Pictoris b apparaît comme un point blanc à proximité immédiate de l’étoile. (ESO/ A.-M. Lagrange et al. 2010)

 

Qu’est-ce qu’une exocomète ?

C’est un objet de petite taille (de l’ordre de quelques kilomètres) dont on observe l’évaporation quand il est situé à proximité de son étoile hôte. C’est donc l’équivalent d’une comète, observé dans un système exoplanétaire. Les premières exocomètes ont été observées dès 1988 autour de la jeune étoile massive A6V Bêta Pictoris [1]. Auparavant, en 1983, le satellite IRAS avait détecté autour de cette étoile un rayonnement infrarouge émis par un disque de débris, qui est une ceinture circumstellaire constituée de petits objets ; la ceinture de Kuiper en est un exemple dans le Système solaire. Ce disque a ensuite été observé dans le domaine visible par la tranche à l’aide des télescopes terrestres. À partir de 2008, une planète massive (fig. 1) a été détectée par imagerie directe dans l’infrarouge [2], à une distance de 8 ua de Bêta Pictoris, son étoile hôte ; sa présence pourrait être à l’origine des objets évaporés ; en 2019, une deuxième planète a été observée, cette fois par la méthode des vitesses radiales.

2. Le satellite CHEOPS. (Université de Berne)

 

La présence d’une exocomète se manifeste par les propriétés suivantes : (1) des absorptions variables, souvent décalées vers le rouge, issues d’un nuage d’ions vaporisés devant le disque stellaire, et (2) des transits photométriques dus au passage de la chevelure ou la queue de la comète devant l’étoile. C’est ainsi que le suivi photométrique de Bêta Pictoris, par la détection d’une trentaine de transits photométriques, a permis de caractériser les propriétés des exocomètes de cette étoile, dont la distribution en taille est proche de celle des comètes de la famille de Jupiter dans le Système solaire [5].

Comme Bêta Pictoris, HD 172555 est une jeune étoile massive (de type spectral A7V) entourée d’un disque de débris, dans lequel une forte émission d’oxygène atomique a été détectée en 2012 par le satellite Herschel dans l’infrarouge lointain [3]. Cette observation suggère la présence possible d’exocomètes qui seraient la source de H2O, CO et CO2. Deux ans plus tard, des observations spectroscopiques dans le domaine visible ont pu les identifier[4].

CHEOPS (fig. 2) est un petit télescope spatial, lancé en 2019 par l’Université de Berne et l’Agence spatiale européenne (Esa) dédié à la caractérisation d’exoplanètes déjà identifiées (en particulier la mesure précise de leur rayon) par la méthode des transits. L’un des programmes de la mission CHEOPS porte sur l’observation des disques de débris et l’étoile HD 172555 a ainsi été observée pendant trente orbites consécutives de CHEOPS, soit une durée d’un peu plus de deux jours[6].

 

3. La courbe de lumière brute de HD 172555 enregistrée par le satellite CHEOPS. L’instant t0 correspond à la date MJD 59381.445.

 

4. Périodogramme de la courbe de lumière de HD 172555 (fig. 3). La courbe rouge en pointillé correspond à un niveau de signification de 4 s. L’encadré central montre un agrandissement de la partie à courte fréquence (< 1 100 mHz). (Kiefer et al. 2023)

 

5. Courbes résiduelles après extraction des oscillations stellaires. Points avec barres d’erreur : courbes de lumières de HD 172555 corrigées des effets des oscillations stellaires, correspondant aux différents niveaux de signal sur bruit (S/N) requis. Les traits pleins correspondent à une sommation des points individuels sur une durée d’une heure. Le modèle (courbe noire) correspond à la signature attendue d’un transit cométaire. (Kiefer et al. 2023)

 

La courbe de lumière de HD 172555 (fig. 3)  est dominée par les oscillations stellaires rapides, de type « d Scuti » (selon le nom de l’étoile sur laquelle ce phénomène a été découvert), caractéristiques de ces étoiles massives. Tout le travail de l’équipe a donc consisté à éliminer ces oscillations pour rechercher la signature d’un éventuel transit cométaire de bien moindre amplitude. À partir du périodogramme  (c’est-à-dire de  l’analyse en fréquence) de la courbe de lumière (fig. 4), les auteurs extraient du signal la composante périodique la plus intense, puis la suivante et ainsi de suite, jusqu’à éliminer les dix pics les plus intenses du périodogramme, signatures des oscillations stellaires, et ils poursuivent leur analyse d’élimination en appliquant divers seuils de probabilité, correspondant à différentes valeurs du rapport signal sur bruit (> 10, 8, 6 et 4,8). Les courbes résiduelles finales (fig. 5) indiquent la présence d’une absorption à un moment précis, que les auteurs attribuent à la signature d’une exocomète. Si la détection est réelle, l’objet aurait un rayon de 2,5 km et serait situé à une distance de 6,8 ± 1,4 rayons stellaires (soit 0,05 ± 0,01 ua). Ces valeurs sont en accord avec les résultats des mesures spectroscopiques [4], et aussi comparables à celles des exocomètes déjà détectées autour d’autres étoiles, en particulier Bêta Pictoris.

 

par Thérèse Encrenaz – Observatoire de Paris-PSL

Publié dans le magazine L’Astronomie Mai 2023

 

 

 

 

 

 

Notes:

  1. Ferlet R. et al., Astron. Astrophys. 185, 267, 1988.
  2. Lagrange A.-M. et al., Science 329, 57, 2010.
  3. Riviere-Marichalar P. et al., Astron. Astrophys. 546, L8, 2012.
  4. Kiefer F. et al., Astron. Astrophys. 561, L10.
  5. Lecavelier des Étangs A. et al., Scientific Reports 12, 5855, 2022.
  6. Kiefer F. et al., Astron. Astrophys. 671, id.A25, 2023.

 

 

La chute programmée de l’exoplanète Kepler 1658b

La chute programmée de l’exoplanète Kepler 1658b

Des mesures de temps de transit réalisées par plusieurs instruments montrent que l’orbite de l’exoplanète Kepler 1658b se rétrécit inexorablement. À terme, cette exoplanète sera absorbée par son étoile hôte.

 

Les planètes orbitant très près de leur étoile hôte subissent d’intenses forces de marée qui peuvent fortement affecter leurs propriétés orbitales. En transférant de l’énergie de la planète vers l’étoile, les marées ont notamment pour effet de diminuer la période, et donc le rayon, de l’orbite de la planète. Cette dernière se déplace ainsi sur une trajectoire spirale qui l’amène lentement mais inexorablement à entrer en collision avec son étoile hôte. Ce phénomène est toutefois difficile à mettre en évidence car, à l’échelle de la vie humaine, la diminution de la période de révolution est très faible.  Jusqu’à présent, un seul cas a été formellement identifié, celui de WASP 12b, une géante gazeuse environ deux fois plus grande que Jupiter et qui tourne autour d’une étoile comparable à notre Soleil. WASP 12b est distante de cette étoile de seulement 0,023 unité astronomique (ua) et elle parcourt son orbite en un peu plus d’un jour terrestre. Les observations suggèrent que dans quelque 3 millions d’années, elle sera absorbée par son étoile. Les effets de marée sont d’autant plus importants que le rapport entre le rayon de l’étoile et la taille (le demi-grand axe) de l’orbite de la planète est élevé. Autrement dit, le déclin orbital d’une planète est a priori plus rapide et sera plus facilement observable pour une planète se déplaçant autour d’une grosse étoile et à faible distance de celle-ci. C’est précisément le cas de Kepler 1658b, une géante gazeuse dont le rayon est de 6 fois celui de Jupiter. Kepler 1658b se situe à 0,054 ua de son étoile hôte, autour de laquelle elle tourne en 3,8 jours. Cette étoile, de type spectral F8, a quitté la séquence principale et son rayon est d’environ 2,9 rayons solaires.  En combinant les temps de transit de Kepler 1658b recueillis par les satellites Kepler et TESS (Transiting Exoplanet Survey Satellite) et par le spectromètre infrarouge WIRC (Wild Field Infrared Camera) monté sur le télescope Hale du Mont Palomar, une équipe d’astronomes a établi que la période de révolution de Kepler 1658b diminuait de 131 millisecondes (ms) par an [1]. Plus précisément, ce résultat a été déduit du fait que, par rapport à des éphémérides de référence et en comparaison des transits observés par Kepler une dizaine d’années plus tôt, les transits de Kepler 1658b mesurés par TESS et WIRC entre 2020 et 2022 se produisent avec quelques minutes d’avance (figure ci-contre). Les auteurs de cette étude ont par ailleurs vérifié que les données recueillies ne pouvaient pas être expliquées par d’autres phénomènes. En particulier, la précession du périastre de l’orbite peut conduire à une avance des temps de transit au cours du temps. Cependant, dans le cas de Kepler 1658b, cette avance est trop importante et nécessiterait des taux de précession beaucoup trop élevés par rapport à ce qui est physiquement possible. Ainsi, il semble bien que Kepler 1658b se rapproche de son étoile hôte et qu’à terme, elle tombera sur celle-ci. Au rythme déduit des observations de Kepler, TESS et WIRC, cela devrait se produire dans environ 2,5 millions d’années.

 

Temps de transit de Kepler 1658b devant son étoile hôte mesurés par le satellite Kepler (points bleus), le satellite TESS (points orange) et le spectromètre infrarouge WIRC (points rouges). L’axe des abscisses est gradué en jours juliens corrigés des variations de la position de la Terre par rapport au barycentre du Système solaire et correspond à un intervalle de 15 années. Les transits mesurés par TESS et WIRC entre 2020 et 2022 sont en avance de quelques minutes par rapport aux transits mesurés par Kepler une dizaine d’années auparavant. Cette avance ne peut pas s’expliquer par la précession du périastre de Kepler 1658b (courbe verte pointillée), sauf si l’on suppose des taux de précession très (trop) élevés (courbe verte en tirets). En revanche, elle s’explique bien si l’on suppose que Kepler 1658b se déplace sur une trajectoire spirale avec une période de révolution diminuant de 131 ms par an (courbe rouge). (Vissapragada et al., 2022)

 

par Frédéric Deschamps – IESAS, Taipei, Taïwan

Publié dans le magazine L’Astronomie Mai 2023

 

 

 

 

 

 

Notes

  1. Vissapragada S. et al. (2022), « The possible tidal demise of Kepler’s first planetary system », Astrophys. J. Lett., 941, L31, doi: 10.3847/2041-8213/aca47e.
Propriétés inattendues d’un anneau autour d’une planète naine

Propriétés inattendues d’un anneau autour d’une planète naine

Depuis plusieurs décennies, l’observation des objets du Système solaire à l’occasion d’occultations stellaires a révélé des résultats extrêmement intéressants. La méthode consiste à mesurer avec une grande précision et une grande résolution temporelle la lumière d’une étoile au moment du passage d’un objet (planète ou astéroïde) devant celle-ci. On voit alors la lumière de l’étoile diminuer jusqu’à s’annuler, puis réapparaître après le passage de l’objet. Cette méthode a apporté trois types de résultats : 1) l’étude des atmosphères des objets qui en sont dotés (planètes géantes, Titan, Triton, Pluton) ; 2) l’étude de leur forme et de leurs dimensions; et enfin 3) la découverte et l’étude d’anneaux autour de certains d’entre eux. C’est par cette méthode que les anneaux d’Uranus ont été découverts en 1977 [1] (fig. 1), puis ceux de Neptune en 1984 [2] (fig. 2) plusieurs années avant leur confirmation par Voyager 2. C’est aussi par cette méthode que le diamètre de l’objet transneptunien Éris a été mesuré [3] ; le résultat, très proche de celui de Pluton, a été un élément important en faveur de la redéfinition du statut de Pluton, rebaptisé planète naine par l’Union astronomique internationale en 2006.

1. Les anneaux d’Uranus observés par la sonde Voyager 2 (1986, à gauche) et par le télescope spatial Hubble (2002, à droite). (Nasa/JPL)

Au cours des dix dernières années, la méthode des occultations stellaires nous a offert de nouvelles surprises. En 2014, contre toute attente, un anneau a été découvert autour de l’astéroïde de type centaure (qui orbite entre Jupiter et Neptune) Chariklo [4] ; trois ans plus tard, c’est le transneptunien Hauméa qui s’est lui aussi trouvé doté d’un anneau [5]. Ces deux découvertes ont remis en question les modèles de formation des anneaux, que l’on croyait jusqu’alors réservés aux planètes géantes, et les ont fait progresser pour rendre compte de ces nouvelles observations.

Aujourd’hui, c’est une nouvelle surprise qui nous est révélée. A nouveau, un anneau a été découvert autour d’un objet transneptunien nommé Quaoar, par des observations d’occultation stellaire ; le fait nouveau est que cet anneau est situé à une distance anormalement éloignée de l’objet. Jusqu’à présent, tous les anneaux découverts dans le Système solaire (à l’exception des plus ténus, ou de ceux qui sont alimentés par des satellites) sont relativement proches de l’objet qu’ils entourent, de sorte que les forces de marée qu’ils subissent empêchent les particules de s’agglomérer pour former un satellite : c’est ce que l’on appelle la limite de Roche. Si les particules en orbite autour de l’objet ont la même densité que celui-ci, on estime cette limite à 2,5 fois le rayon de l’objet. Or, dans le cas de Quaoar, l’anneau observé est situé à plus de 7 rayons de l’objet central !

2. Les anneaux de Neptune observés par la sonde Voyager 2 (1989, en haut) et par le James Webb Space Telescope (2022, en bas). (Nasa/JWST)

Les observations

Quaoar est un objet transneptunien dont le diamètre est de 1 150 km et la période de rotation de 17,7 heures. Quaoar possède un satellite nommé Weywot, d’un diamètre de 170 km, et d’une période orbitale de 12,5 jours, découvert sur des images du télescope spatial Hubble. Il orbite dans un plan incliné de 14 degrés par rapport au plan de révolution de Quaoar autour du Soleil.

Quatre occultations stellaires par Quaoar ont été observées, grâce à des prédictions utilisant les données astrométriques les plus récentes de la sonde européenne Gaia. Elles ont eu lieu le 2 septembre 2018, le 5 juin 2019, le 11 juin 2020 et le 27 août 2021. Comme c’est l’usage, chaque événement mobilise plusieurs télescopes localisés en différents points du globe terrestre, la coordination étant assurée par un réseau regroupant astronomes amateurs et professionnels. Dans le cas de Quaoar, le télescope spatial CHEOPS, dédié à l’observation des exoplanètes par transit, a également été mobilisé le 11 juin 2020. La première détection de l’une des composantes de l’anneau a été obtenue en Namibie en 2018, ce qui a justifié la mise en place d’une campagne d’observations à l’occasion des occultations stellaires suivantes. Le plus beau résultat a été obtenu le 5 juin 2019 par le télescope GranTeCan de La Palma qui a pu observer les deux composantes de l’anneau de part et d’autre de l’occultation centrale due à l’objet lui-même (fig. 3). Plus tard, d’autres détections réalisées en différents sites ont permis d’affiner la représentation de l’anneau, en particulier celle obtenue en Australie en août 2021. C’est aussi le cas des observations de CHEOPS du 11 juin 2020 ; bien que la résolution temporelle des données soit inférieure à celle des données prises du sol, il est tout de même possible de détecter la présence des anneaux de part et d’autre de l’objet (fig. 4).

3. À gauche : Projection sur le ciel de la trajectoire de l’étoile en fonction du temps lors de l’occultation stellaire par Quaoar le 5juin 2019. À droite, en haut : Courbe d’occultation stellaire par Quaoar enregistrée au GranTeCan le 5 juin 2019, entre –250 et +250 secondes. À droite, en bas : Agrandissement de la courbe à proximité de l’occultation par l’anneau. On voit que les profils sont nettement différents, ce qui montre que l’anneau présente des inhomogénéités en longitude.

 

Les observations du 5 juin 2019 (fig. 3) font clairement apparaître que l’anneau de Quaoar n’est pas homogène en densité. À partir d’un modèle prenant en compte l’ensemble des observations, les auteurs de l’étude ont pu préciser les caractéristiques de l’anneau. Son épaisseur optique varie entre une fraction de pour cent et l’unité selon la longitude*. Les observations sont compatibles avec un anneau coplanaire avec l’orbite du satellite de Quaoar, Weywot, lui-même situé à 24 rayons du corps central ; il est en effet probable que l’anneau et le satellite sont tous deux issus du même système primordial en orbite autour de Quaoar. La distance de l’anneau à l’objet central est d’environ 4 100 km, soit 7,4 fois le rayon de Quaoar.

 

Un anneau au-delà de la limite de Roche

Comment peut-on expliquer l’existence d’un anneau au-delà de la limite de Roche ? Nous avons vu que cette limite dépend de la densité du matériau considéré. À la distance où l’anneau est observé, ce matériau devrait avoir une densité très faible (de l’ordre de 30 kg/m3) pour être détruit par les forces de marée de l’objet central ; cette densité correspondrait à un matériau extrêmement poreux, ce qui le rendrait très différent des anneaux observés autour de Chariklo et Hauméa. Mais même dans ces conditions, selon les simulations numériques, le matériau contenu dans l’anneau de Quaoar devrait former un satellite en seulement quelques décennies… La probabilité d’observer un tel phénomène est donc extrêmement faible, et l’explication doit être recherchée ailleurs.

4. À gauche : Projection sur le ciel de la trajectoire de l’étoile en fonction du temps lors de l’occultation stellaire par Quaoar le 11 juin 2020, telle qu’elle a été observée par le télescope spatial CHEOPS. À droite, en haut : Courbe d’occultation stellaire par Quaoar enregistrée par CHEOPS le 11 juin 2020, entre –200 et +200 secondes. À droite, en bas : Agrandissement de la courbe à proximité de l’occultation par l’anneau.

 

Une autre piste a été explorée par les découvreurs de l’anneau de Quaoar. Ils font remarquer que la force d’attraction gravitationnelle entre deux particules d’un anneau dépend de leur densité, mais aussi de la dispersion de leur vitesse par rapport à l’objet central. Si celle-ci est élevée, alors les deux particules peuvent éviter de s’agglomérer, même au-delà de la limite de Roche. Une façon d’augmenter la dispersion des vitesses des particules de l’anneau est d’utiliser une loi de collision qui n’a pas été jusque-là considérée pour les anneaux. Des mesures de laboratoire ont en effet montré que pour des températures plus basses que celles qui ont été jusque-là considérées pour les anneaux de Saturne, les collisions sont plus élastiques. Les auteurs de l’article montrent alors que les vitesses post-impacts restent suffisamment grandes pour que les particules échappent à leur attraction mutuelle, inhibant ainsi l’accrétion. Une autre cause pour maintenir une grande dispersion de vitesse pourrait également être une force extérieure. Celle-ci pourrait provenir de résonances (voir Éclairage, p. 76) avec Quaoar, ou avec son satellite Weywot, ou avec d’autres satellites qui resteraient à découvrir autour de Quaoar. Il se trouve que l’anneau est proche de la résonance spin-orbite 1:3 de Quaoar, et de la résonance de moyen mouvement 6:1 de Weywot. Vu sa taille relativement petite, Quaoar possède probablement une forme irrégulière qui pourrait être à l’origine de résonances spin-orbite 1:3 ; celles-ci sont aussi observées dans le cas des anneaux de Chariklo et Hauméa, et pourraient favoriser le confinement de l’anneau à proximité de cette résonance. Des simulations numériques sont en cours pour tester ce mécanisme

 

par Thérèse Encrenaz, Observatoire de Paris-PSL

 

Article publié dans l’Astronomie, Février 2023

 

 

NOTE

* Une épaisseur optique de 1 correspond à un objet totalement opaque et une épaisseur de 0 à un objet totalement transparent.

  1. J. L. Elliot et al. (1977). The rings of Uranus. Nature 267, 328-330.
  2. W. B. Hubbard et al. (1986). Occultation detection of a neptunian ring-like arc. Nature 319, 636-640.
  3. B. Sicardy et al. (2011). A Pluto-like radius and a high albedo for the dwarf planet Eris from an occultation. Nature 478, 493-496.
  4. F. Braga-Ribas et al. (2014). A ring system detected around the Centaur (10199) Chariklo. Nature 508, 72-75.
  5. J. L. Ortiz et al. (2017). The size, shape, density and ring of the dwarf planet Haumea from a stellar occultation. Nature 550, 219-223.

 

Et la Lune se forma (presque) instantanément…

Et la Lune se forma (presque) instantanément…

Des simulations numériques montrent que la Lune se serait formée immédiatement après l’impact entre Théia et la Terre, sans passer par une phase de disque de débris. Ces simulations expliquent également la composition isotopique des roches lunaires.

Selon la théorie actuelle, la Lune se serait formée à la suite d’un impact entre une petite planète, Théia, et une proto-Terre un peu plus petite que la Terre actuelle (voir l’Astronomie 129, été 2019, « Aux sources de la Lune – Rencontre avec Théia ? »). La collision entre ces deux objets aurait désintégré Théia et excavé une partie du manteau terrestre, envoyant en orbite un disque de débris. La Lune se serait ensuite formée par accrétion d’une partie du matériau de ce disque, le reste retombant sur Terre. Ce scénario, plus connu sous le nom d’impact géant, a été proposé dès 1975. Il permet d’expliquer un certain nombre de propriétés du système Terre-Lune tel que nous le connaissons, à commencer par le moment cinétique élevé de ce système et le fait que la Lune est globalement moins riche en fer que la Terre.

Dans une certaine mesure, il explique également la similarité isotopique entre notre planète et son satellite (voir encadré), similarité qui suggère que le manteau terrestre et la Lune sont issus d’une même source. En mélangeant les roches de Théia et du manteau de la proto-Terre, l’impact géant fournit en effet une source de matériau commune à la Lune et au manteau terrestre. Dans les années 2000, des simulations numériques ont démontré la faisabilité du scénario de l’impact géant. Mais ces simulations ont également jeté un doute en montrant que la Lune devait être formée du matériau issu de Théia à plus de 70 %. Selon ce résultat, la similarité isotopique entre la Terre et la Lune devrait, contrairement à ce qui est observé, être limitée. Cette contradiction constitue jusqu’à présent le principal obstacle à l’hypothèse de l’impact géant, sauf (ce qui est peu probable) si l’on suppose que la proto-Terre et Théia se sont formées dans le même environnement. De nouvelles simulations numériques semblent lever cette hypothèque [1].

2. Simulation d’un impact entre Théia et la proto-Terre à haute résolution (nombre de particules supérieur à 3 millions). Pour les deux premiers et deux derniers clichés, le code de couleur représente les matériaux de Théia (brun et jaune) et de la proto-Terre (gris et orange). Pour les clichés intermédiaires, il indique le matériau formant la Lune (violet) et les résidus retombant sur Terre (vert). Des animations 2D et 3D sont disponibles sur [https://icc.dur.ac.uk/giant_impacts]. (© Kegerreis et al. – 2022)

Des simulations à haute résolution

Les simulations numériques de collisions entre petites planètes sont basées sur des calculs hydrodynamiques dans lesquels les planètes sont modélisées par l’assemblage d’un grand nombre de points, ou particules, dont on suit l’évolution pendant et après l’impact. Plus le nombre de particules (ou, si l’on préfère, la résolution) utilisé est élevé, plus la taille de chaque particule est petite, et donc plus la précision des calculs sera bonne. Pour des raisons liées aux temps et aux puissances de calcul, les simulations réalisées jusqu’à présent utilisaient un nombre de particules compris entre cent mille (10^5) et un million (10^6).

Or, les simulations effectuées par Jacob Kegerreis, chercheur à l’université de Durham, qui utilisent jusqu’à cent millions (10^8) de particules, montrent que passé un certain seuil, autour de 3 millions de particules, le scénario de l’impact géant diverge notablement par rapport aux simulations précédentes. La principale différence est que la Lune se serait formée presque instantanément dans la foulée de l’impact, et sans passer par la formation d’un disque de débris (fig. 2).

Le matériau composant la future Lune se serait séparé très rapidement (moins de 2 heures après l’impact) du reste des débris, et aurait été placé immédiatement en orbite grâce à un effet de fronde [3]. Autre différence de taille, ces nouvelles simulations prédisent que le satellite ainsi formé, du moins son enveloppe externe, est composé à 60 % du matériau de la proto-Terre. Autrement dit, elles expliquent en grande partie la similarité isotopique entre la Terre et la Lune, venant ainsi conforter le scénario de l’impact géant, cela d’autant plus qu’elles rendent également compte du moment cinétique du système Terre-Lune et de l’appauvrissement en fer de notre satellite.

SIMILARITE ISOTOPIQUE

Un élément chimique est caractérisé par son nombre de protons (ou d’électrons), mais peut comporter un nombre différent de neutrons, ce qui définit autant d’isotopes du même élément. Par exemple, l’oxygène (O), qui comporte 8 protons, possède trois isotopes, 16O, 17O et 18O, comptant respectivement 8, 9 et 10 neutrons. Dans la nature, l’abondance en chaque isotope d’un élément donné peut varier d’un environnement (ou d’une roche) à un autre, l’un des isotopes étant généralement beaucoup plus abondant que les autres (16O dans le cas de l’oxygène). Ces variations sont induites par différents mécanismes physiques, comme les processus volcaniques ou l’évaporation (les isotopes les moins lourds ayant plus de chance de s’évaporer). On rassemble généralement ces processus sous le terme de fractionnement isotopique.

Pour le plus grand bonheur des scientifiques, les rapports isotopiques mesurés aujourd’hui dans les roches, les glaces ou d’autres matériaux apportent des indices sur les processus s’étant produits par le passé et ayant affecté la Terre ou les autres objets du Système solaire. Les éléments comportant plus de deux isotopes stables sont par ailleurs très intéressants, car ils permettent de déterminer si deux roches sont issues d’une même source primordiale même si, par la suite, ces roches ont suivi différentes histoires. En effet, lors d’un fractionnement isotopique, les rapports d’abondances entre les isotopes les moins fréquents et l’isotope dominant (par exemple, les abondances en 17O et 18O par rapport à 16O, notées d17O et d18O [2]) sont modifiés, mais dans des proportions identiques. Ainsi, lorsque, dans un graphe, on représente l’un de ces rapports en fonction de l’autre (par exemple d18O en fonction de d17O) les échantillons issus d’un même matériau primordial s’alignent le long d’une droite.

La dispersion des mesures le long de cette droite reflète un ou plusieurs fractionnements ultérieurs, suite à un ou des événements particuliers. De la même façon, le fait que des échantillons issus de différentes roches (par exemple des roches lunaires et des roches terrestres) s’alignent sur une même droite suggère que ces différentes roches proviennent d’un même matériau primordial. L’analyse des échantillons de roches lunaires rapportés par les missions Apollo a révélé une grande similarité de composition isotopique entre la Terre et son satellite. Par exemple, les rapports isotopiques de l’oxygène, d17O et d18O, suivent des tendances identiques sur Terre et sur la Lune : les rapports mesurés pour différents échantillons terrestres et lunaires se situent sur une même droite (fig. 1). La proximité isotopique entre la Terre et son satellite s’étend à d’autres éléments, dont le chrome, le titane, le fer, et le potassium, et, comme on vient de le voir, elle suggère que la Lune et le manteau terrestre sont issus d’un même matériau.

Les mesures réalisées sur les météorites provenant de différents corps du Système solaire, dont Mars et Vesta, montrent au contraire de grandes disparités isotopiques dans les matériaux sources utilisés pour former la Terre et ces corps. Ces différences reflètent d’importantes variations isotopiques dans la nébuleuse protoplanétaire, donc antérieures à la formation des planètes, sans doute liées à la distance au Soleil. Théia et la proto-Terre, dont la collision a donné naissance au système Terre-Lune, se sont sans doute formées dans des environnements différents et devaient donc avoir des signatures isotopiques initiales différentes. L’impact géant aurait eu pour effet de mélanger efficacement les matériaux de Théia et de la proto-Terre, fournissant une origine commune aux roches de la Lune et du manteau terrestre.

 

1. Comparaison des rapports isotopiques d17O et d18O de l’oxygène sur la Terre, la Lune, Mars et Vesta. (D’après Wiechert et al. (2001), Science, 294, 345-348.)

 

Par  Frédéric Deschamps, IESAS, Taipei, Taïwan

 

Article publié dans l’Astronomie, Mars 2023

 

 

 

Notes

  1. Kegerreis J. A. et al. (2022), « Immediate origin of the Moon as a post-impact satellite », Astrophys. J. Lett., 937, L40, doi: 10.3847/2041-8213/ac8d96.
  2. Les rapports isotopiques « deltas » sont obtenus en deux temps. D’abord, on mesure le rapport d’abondance R par rapport à l’isotope le plus fréquent (ici  16O), par exemple, pour 17O, R = 17O/16O. Puis on compare le rapport obtenu pour chaque échantillon avec un rapport de référence (ici, la composition isotopique moyenne des océans terrestres, RSMOW), par exemple, pour 17O, d17O = (R – RSMOW)/RSMOW.
  3. Plus précisément, la partie des débris qui, à terme, va retomber sur Terre transfère du moment cinétique à la future Lune, ce qui permet à cette dernière de se placer en orbite.

 

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