LE MAGAZINE DES SCIENCES DE L’UNIVERS EN AFRIQUE

Depuis une vingtaine d’années, les géologues ont mis en évidence un continent immergé d’environ 5 millions de kilomètres carrés de superficie situé à l’est de l’Australie. Les campagnes océanographiques, qui viennent de s’achever, ont permis de mieux comprendre son évolution.

 

Dans l’imaginaire collectif, le terme de continent perdu est souvent associé à l’Atlantide, île mythique évoquée par Platon, et qui aurait la dimension d’un continent. Si Platon situe cette île au-delà des Colonnes d’Hercule (le détroit de Gibraltar), c’est-à-dire quelque part dans l’océan Atlantique, la légende pourrait avoir pour origine l’explosion du volcan Santorin, en mer Égée, vers 1600 avant J.-C. Celle-ci aurait provoqué un tsunami géant, lui-même responsable de la disparition de la civilisation minoenne qui fleurissait en Crète à cette époque. À défaut d’Atlantide, les scientifiques ont, depuis une vingtaine d’années, identifié et étudié un continent presque entièrement immergé situé à l’est de l’Australie. La cartographie de ce huitième continent, baptisé Zélandia (ou Zealandia), en référence à la Nouvelle-Zélande qui constitue sa principale partie émergée, vient de s’achever [1]. Plusieurs campagnes océanographiques ont été nécessaires pour établir cette cartographie. Ces campagnes ont également effectué de nombreux prélèvements de roches par dragage, lesquelles ont permis de mieux cerner la géologie et l’évolution de ce continent perdu (et, désormais, retrouvé).

Un nouveau continent

Les résultats de ces campagnes ont d’abord permis de classer Zélandia parmi les continents. Rappelons qu’à la surface de la Terre, les géologues distinguent deux types de croûte. D’une part la croûte océanique, qui forme les planchers océaniques, à des profondeurs de 4 000 à 5 000 mètres sous le niveau de la mer, et qui est composée de basaltes. Relativement dense, elle replonge assez rapidement (en moins de 180 millions d’années, Ma) dans le manteau, suivant un phénomène de subduction. Et d’autre part, la croûte continentale, formée de roches moins denses, qui compose les masses continentales. Plus légers, les continents peuvent se maintenir en surface très longtemps (les plus anciennes roches continentales sont datées autour de 3,8 milliards d’années). Aujourd’hui, l’élévation de ces masses continentales se situe majoritairement au-dessus du niveau de la mer. Cependant, les continents possèdent aussi sur leur pourtour des parties immergées, les marges continentales, plus ou moins étroites et peu profondes (quelques centaines de mètres). Le fait d’être émergé ou immergé ne constitue donc pas un critère pour définir la croûte continentale. La classification de Zélandia parmi les continents repose sur deux principaux arguments. D’abord la composition des roches la constituant qui est typique de la croûte continentale. Ensuite son élévation moyenne (environ 1 100 m en dessous du niveau de la mer), qui la situe nettement au-dessus des planchers océaniques. En revanche, Zélandia se singularise par sa configuration presque entièrement sous-marine, conséquence du fait que la croûte continentale y est beaucoup moins épaisse (environ 20 km) que dans les autres continents (40 km en moyenne).

1. Les principales plaques tectoniques à la surface de la Terre. Zélandia est traversée par une frontière de plaque (ici, une zone de subduction) entre les plaques Australie et Pacifique. À noter également les marges continentales (en couleurs atténuées) plus ou moins larges sur le pourtour des continents. (© American Geophysical Union.)

 

Un peu de géographie et de géologie

Zélandia couvre une superficie de 5 millions de kilomètres carrés et est immergée à 95 %. Ses principales terres émergées sont la Nouvelle-Zélande, comme nous l’avons vu et, plus au nord, la Nouvelle-Calédonie. Elle comprend aussi de nombreuses petites îles volcaniques, comme les îles Lord Howe et Norfolk au nord, et les îles Campbell et Auckland au sud, ainsi que des récifs coralliens, comme celui de Fairway, tout au nord. Deux reliefs sous-marins, presque parallèles, parcourent Zélandia du nord-ouest vers le sud-est, jusqu’à la Nouvelle-Zélande. Ces deux rides sont séparées par le bassin de Nouvelle-Calédonie, qui est en fait un rift avorté [2]. Au sud de la Nouvelle-Zélande, Zélandia est dominée par deux plateaux sous-marins, Chatham et Campbell. Du point de vue de la tectonique des plaques [3], Zélandia est située à cheval sur les plaques Australie et Pacifique. Elle est donc traversée par une frontière de plaques, plus précisément, dans ce cas, une zone de subduction, localisée le long de la Nouvelle-Zélande. Cette frontière est utilisée par certains géologues pour séparer Zélandia en deux parties, la Zélandia du Nord et la Zélandia du Sud, qui incluent respectivement les îles nord et sud de la Nouvelle-Zélande.

Il y a près de 200 Ma, Zélandia faisait partie du supercontinent Gondwana, qui comprenait l’Amérique du Sud, l’Afrique, l’Inde, l’Australie et l’Antarctique, et qui commença à se fragmenter vers la fin du Jurassique moyen (160 Ma). Dans le cadre de cette fragmentation, la Zélandia du Sud s’est détachée de l’Antarctique à partir de 85 Ma, tandis qu’un peu plus tard, vers 60 Ma, la Zélandia du Nord s’est, elle, séparée de l’Australie. Plusieurs évènements ont ensuite affecté ces deux micro-continents, notamment des processus d’extensions, qui ont conduit à l’amincissement de la croûte et, vers 25 Ma, une migration vers le nord de la Zélandia du Sud, qui s’est traduite par la formation d’une chaîne de montagnes, les Alpes du Sud, sur l’île sud de la Nouvelle-Zélande. Combiné avec son amincissement, le refroidissement de la croûte, qui la rend plus dense et favorise son affaissement, a lentement conduit à la submersion de Zélandia. Il y a environ 25 Ma, ce continent a finalement disparu sous les eaux de l’océan Pacifique. Bien plus tard, au xviie siècle, les navigateurs européens, James Cook en tête, sillonnèrent cette région à la recherche d’un grand continent austral. Pouvaient-ils se douter qu’un continent, il est vrai plus petit et moins gorgé de richesses que les géographes de l’époque ne l’imaginaient, se trouvait précisément sous leurs frégates ?

Le Gondwana il y a 200millions d’années. (© American Geophysical Union.)

 

par Frédéric Deschamps, IESAS, Taipei, Taïwan

 

Publié dans le numéro de Janvier 2024

 

 

 

Notes :

  1. Mortimer N. et al., « Reconnaissance basement geology and tectonics of North Zealandia », Tectonics, 42, 2023, e2023TC007961, doi: 10.1029/2023TC007961.
  2. Un rift est une dépression causée par l’étirement et l’amincissement de la croûte continentale sous l’effet de forces tectoniques. Il peut conduire à un phénomène d’océanisation, c’est-à-dire de fracturation complète de la croûte avec formation d’une dorsale océanique et de croûte océanique de part et d’autre de cette dorsale. C’est ce qui s’est produit en mer Rouge et qui semble se produire le long du rift est-africain. Dans de nombreux cas, cependant, le processus d’étirement s’arrête avant que ne se forme un océan. On parle de rift avorté. Le fossé rhénan et la plaine de la Limagne en sont deux exemples.
  3. Lire à ce sujet l’article de Maelis Arnould dans l’Astronomie no 169 de mars 2023.
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