par Sylvain Bouley | Avr 30, 2025 | Actualités
Deux récents articles d’une équipe internationale coordonnée par des chercheurs de l’Observatoire de Paris permettent de caractériser la température et le profil vertical de l’atmosphère de Jupiter dans la région polaire Sud, grâce aux mesures du JWST dans l’infrarouge moyen.

1. Aurore polaire sur Jupiter observée en ultraviolet par le télescope spatial Hubble. L’ovale auroral est centré autour du pôle magnétique Nord. Les taches claires sont les empreintes sur la planète des lignes de champ magnétique passant par les satellites galiléens. On voit l’empreinte de Io à gauche, Europe en bas à droite et Ganymède au centre. (Crédit : NASA/ESA)
Le champ magnétique de Jupiter, le plus intense parmi les planètes du Système solaire, est connu depuis les années 1950, lorsque les astronomes découvrirent que la planète était une source très puissante dans le domaine radio. Vingt ans plus tard, la sonde spatiale Pioneer 10 a pu l’observer de près et mettre en évidence sa structure dipolaire. L’une des manifestations de ce champ magnétique est la présence d’aurores à proximité des deux pôles de la planète ; celles-ci résultent de l’interaction des particules énergétiques associées au champ magnétique avec les atomes de la très haute atmosphère jovienne, provoquant des émissions lumineuses, tout comme sur la Terre. À la différence des aurores terrestres, dont les apparitions dépendent de nombreux paramètres, les aurores de Jupiter sont permanentes. Cependant, leur intensité est variable. Elles se présentent comme des ovales entourant les pôles magnétiques, auxquels s’ajoutent des points isolés correspondant aux empreintes des lignes de champ magnétique connectant les satellites Io, Europe et Ganymède à la planète (fig. 1). Les électrons pénétrant dans l’ionosphère jovienne y apportent une énergie considérable, ce qui a pour effet de perturber la structure de l’atmosphère dans son profil de température comme dans sa composition chimique.

2. Profils de température dans la stratosphère de Jupiter à l’extérieur de l’ovale auroral (à gauche) et à l’intérieur de l’ovale (à droite). Les deux profils finaux (en rouge, traits pleins et pointillés) sont obtenus à partir de deux profils initiaux (en noir, traits pleins et pointillés). On voit qu’à l’intérieur de l’ovale, le profil thermique présente deux maxima, à 1 mbar et à 0,01 mbar. (Crédit : Rodriguez-Ovalle et al., 2004a)
Les émissions aurorales se produisent dans tout le domaine du spectre électromagnétique, depuis les rayons X jusqu’aux ondes radio.
Avant la mise en service du JWST, les aurores de Jupiter avaient principalement été observées dans l’ultraviolet par le HST, et, localement, par les instruments UVS et JIRAM de la sonde Juno lors de ses survols rapprochés. Le 24 décembre 2022, le spectro-imageur MIRI du JWST a observé la zone polaire Sud de Jupiter dans l’infrarouge moyen, entre 4,8 et 29 mm. Ce domaine spectral permet de mesurer l’énergie thermique de la planète et donc sa température, et aussi d’étudier les profils verticaux des constituants atmosphériques dans la région polaire. Deux articles, publiés en 2024 par une équipe internationale coordonnée par des chercheurs de l’Observatoire de Paris, présentent les résultats de ce programme.
Dans le premier de ces articles [1], publié dans le Journal of Geophysical Research, les auteurs analysent le profil vertical de température dans la zone polaire Sud, ainsi que son évolution en fonction de la latitude. Ils ont ainsi pu mesurer l’effet de l’aurore sur la structure de l’atmosphère jovienne. Ils ont notamment mis en évidence une augmentation de la température par rapport aux régions voisines, avec deux maxima distincts à des niveaux de pression de 0,01 mbar et 1 mbar (fig. 2). À plus basse altitude, caractérisée par une pression atmosphérique de 10 mbar, une région froide est observée à une latitude de 65° S.

3. Projection depuis le pôle Sud de l’altitude de l’homopause. Les échelles d’altitude et de pression sont indiquées à droite. Les ellipses (en noir) indiquent les contours de l’ovale auroral. (Crédit : Rodriguez-Ovalle et al., 2004a)
La capacité des gaz à se mélanger dans l’atmosphère de Jupiter est contrôlée par une couche appelée homopause, dont l’altitude est elle-même influencée par les aurores. L’homopause marque la limite entre l’homosphère, en dessous, dans laquelle les constituants atmosphériques sont mélangés, et l’hétérosphère, au-dessus, dans laquelle les gaz se séparent, les plus lourds restant à proximité de l’homopause tandis que les plus légers s’élèvent. En dehors de la région polaire, l’homopause sur Jupiter se situe à une pression d’environ 1 mbar (fig. 3). À l’intérieur de l’ovale auroral, l’homopause est située à une altitude de 590 km au-dessus du niveau de référence situé à une pression de 1 bar. Par comparaison, cette altitude est de 350 km en dehors des régions aurorales (fig. 3). Les auteurs attribuent l’élévation de l’homopause et l’élévation de température à 0,01 mbar à l’excès d’énergie déposée par les particules énergétiques dans la zone polaire. Le maximum de température observé à 1 mbar pourrait quant à lui être dû au chauffage adiabatique résultant du transfert vers le bas de l’énergie aurorale. Le refroidissement observé à 10 mbar, à la latitude de 65° S, pourrait résulter du rayonnement des aérosols qui évacuent ainsi une partie de l’énergie aurorale.
Les profils de température sont déterminés à partir de l’analyse d’une forte bande du méthane, CH4, dont l’abondance est connue et constante en altitude dans l’atmosphère jusqu’à l’homopause. Une fois le profil de température connu, les profils verticaux des hydrocarbures C2H2 et C2H6 (qui varient avec l’altitude) peuvent être déterminés à partir de leurs émissions spectrales. L’étude montre que les deux hydrocarbures sont plus abondants dans la région polaire qu’à plus basse latitude.

4. En haut : profils méridionaux de l’abondance du benzène, à partir de trois profils choisis a priori, avec un maximum d’abondance à 0,05 mbar (en bleu), 0,5 mbar (en noir) et 5 mbar (en rouge). Les spectres ne permettent pas de déterminer à quelle altitude le benzène est présent mais, quelle que soit l’hypothèse de départ, l’abondance du benzène diminue d’un facteur 10 entre les latitudes 80° S et 50° S. En bas : profils méridionaux de l’épaisseur optique des aérosols, mesurée à trois longueurs d’onde (14,3 m en jaune, 13,3 m en vert et 6,9 m en bleu). Les flèches verticales indiquent des limites supérieures. On voit que le benzène et les aérosols présentent la même distribution en latitude, ce qui suggère que le benzène intervient dans la formation des aérosols. (Crédit : Rodriguez-Ovalle et al., 2024b)
Dans le deuxième article [2], publié dans Astronomy and Astrophysics, les auteurs s’intéressent à un hydrocarbure particulier, le benzène, C6H6. Cet hydrocarbure a déjà été détecté dans l’atmosphère de Jupiter, avec une abondance plus élevée à proximité des régions polaires. Les observations du JWST ont permis de confirmer et d’affiner ce résultat. Dans les régions polaires, au-delà d’une latitude de 60° S, le benzène est dix fois plus abondant qu’à moyenne latitude. De plus, l’abondance des aérosols augmente aussi vers le pôle Sud, en suivant la même évolution que le benzène (fig. 4). Les auteurs en déduisent que les particules énergétiques présentes dans les zones aurorales augmentent l’abondance des hydrocarbures, mais aussi des aérosols dans la stratosphère de Jupiter. Ces aérosols sont vraisemblablement situés autour du niveau de pression de 20 mbar ; de plus, leurs signatures spectrales indiquent la présence d’hydrocarbures saturés et non saturés. Les modèles photochimiques suggèrent que ces aérosols proviennent du benzène par la formation d’hydrocarbures polycycliques aromatiques (PAH) ; des réactions similaires ont été observées sur Saturne et Titan.
Thérèse Encrenaz, Observatoire de Paris-PSL
- Rodriguez-Ovalle P. et al., « Temperature and composition disturbances in the southern auroral region of jupiter revealed by JWST/MIRI », Journal of Geophysical Research: Planets, vol. 129, 10, article id. e2024JE008415, 2024a.
- Rodriguez-Ovalle P. et al., « Stratospheric aerosols and C6H6 in Jupiter’s south polar region from JWST/MIRI observations », Astron. Astrophys., 691, A51, 2024b

Publié dans le magazine l’Astronomie
par Sylvain Bouley | Avr 30, 2025 | Actualités
Le robot Perseverance a atteint le bord supérieur du rempart ouest du cratère Jezero le 11 décembre 2024 (sol 1354), après une montée de plus de 575 m depuis le fond du chenal Neretva Vallis situé au bas de la pente. Passée cette étape, Perseverance a entamé ses investigations des abords immédiats du cratère, suivant une descente vers l’ouest tout aussi périlleuse que la montée, mais qui devrait fournir de nouvelles découvertes, complétant celles faites dans le cratère lui-même.

NASA/JPL-Caltech/Kevin M. Gill
Rappels des campagnes passées
Ce beau dénivelé a été parcouru par le robot en près de trois mois et demi, alternant observations scientifiques et collectes d’échantillons que les experts de la Nasa espèrent être en mesure de récupérer dans quelques années [1].
Depuis son arrivée dans Jezero en février 2021, les chercheurs ont réalisé l’exploration de ce cratère en quatre étapes : « Crater Floor » (fond du cratère), « Fan Front » (front du delta), « Upper Fan » (haut du delta) et « Margin Unit » (l’unité à la marge du cratère). Des carbonates y ont été identifiés. Ces minéraux sont formés par interaction entre de l’eau liquide et du CO2 ; leur analyse peut donc aider à une meilleure compréhension de l’atmosphère passée de Mars ; de plus, des signatures de la vie microbienne pourraient y avoir été piégées. Dans l’ancien lit de la rivière, pierres et roches présentent parfois des particularités distinctes des roches avoisinantes. Ces roches peuvent être représentatives de la composition du sol sous la rivière ou des terrains plus en amont qui ont été érodés. Enfin, des traces de sulfate de calcium et d’hématite ont été identifiées lors des premières analyses du flanc du cratère [2].

Une vue martienne spectaculaire. Cette vue panoramique a été prise à –1 786 m d’altitude* depuis le col Lookout Hill, le 11 décembre 2024 au sol 1354 de la mission de Perseverance : elle permet de détailler le fond du cratère Jezero. Cette nouvelle perspective est à comparer avec la vue polaire générée avec les images prises au sol 3 peu après l’atterrissage (cf. l’Astronomie 148 d’avril 2021, p. 34).
Au-delà du sommet du cratère
Au sol 1354, marqué par le franchissement du col « Lookout Hill », Perseverance avait parcouru 32,07 km. Il a gravi des pentes de 20 %, faisant quelques arrêts en cours de route pour des observations scientifiques. Le rover aborde maintenant sa cinquième étape d’exploration nommée « Northern Rim », car son itinéraire couvre la partie nord de la section sud-ouest du bord de Jezero. Le premier site qu’il s’apprête à étudier, nommé Witch Hazel Hill, est un affleurement rocheux situé en contrebas du col, à environ 450 m : il comporte plusieurs strates (ou couches de roche différentes) et sera analysé couche par couche. Suivra, après une descente assez raide du flanc du cratère, l’exploration de la zone « lac de Charmes », un site localisé en plaine et qui n’a peut-être pas été affecté par la formation du cratère Jezero. Si ce cratère résulte bien d’un gros impact survenu il y a 3,9 milliards d’années, les roches qui y sont présentes témoigneront de cet impact, alors qu’au contraire, sur les flancs et le sommet du cratère, on devrait trouver des roches provenant du sous-sol de Mars éjectées lors de l’impact et ainsi représentatives de la croûte martienne.

Zoom sur le parachute. Détail du panorama pris au sol 1354. On découvre à 9,6 km de distance deux petites taches blanches : ce sont le parachute (à gauche) et le bouclier arrière (à droite) qui se sont posés sur la crête bordant le nord-est de la zone Séítah. Ceux-ci avaient été survolés le 20 avril 2022 (sol 414) par l’hélicoptère Ingenuity qui en avait pris de spectaculaires images rapprochées (cf. l’Astronomie 163 de septembre 2022, p. 33). Sur la plaine devant le parachute, on devine le tracé rectiligne laissé par Perseverance lorsqu’il a emprunté la plaine en face du delta, avant de tourner à 90° au nord pour se rapprocher du cap NukSaK visible au milieu à droite. À l’arrière-plan se détache aisément la dépression circulaire du cratère La Orotava distante de 11,4 km. (Crédits : NASA/JPL-Caltech/ASU, retraitements O. de Goursac)
L’épopée du robot se déroulera ensuite le long du rempart du cratère sur son flanc extérieur ouest. Les chercheurs n’excluent cependant pas de faire quelques petites montées plus au sud sur ce rempart. Dans cette zone, le robot pourra en effet chercher un affleurement de larges blocs rocheux datant peut-être de la formation de la troisième plus grande structure d’impact sur Mars, Isidis Planitia, qui est située à l’est du cratère Jezero ; cet affleurement pourrait dater de la formation de ce bassin d’impact, d’où son intérêt. Il s’agira aussi d’y dénicher des blocs de « mégabreccia », c’est-à-dire de grands morceaux de matériaux anciens et parfois stratifiés, qui ont été extraits du sous-sol par le choc des impacts à l’origine des cratères avoisinants. Ces roches pourraient aussi témoigner des conditions régnant plus en profondeur et qui auraient pu favoriser le développement d’une vie microbienne.

Nouveaux horizons. Cette vue a été prise au sol 1358 (15 décembre 2024), alors que Perseverance venait de franchir le col Lookout Hill pour entamer sa descente sur les flancs extérieurs à l’ouest du cratère Jezero. Des reliefs lointains sont aperçus à l’ouest voilés par la brume de poussières, avec : (1) émergeant de la pente à gauche à 40 km, une première butte culminant à –1 280 m* ; (2) juste derrière à 105 km, les remparts opposés d’un cratère dont le plus haut des pics culmine à +350 m* d’altitude (le centre du cratère, caché par les reliefs, se trouve à 85 km) ; (3) un relief allongé plein ouest au centre marquant l’horizon à 59 km ; (4 et 5) au centre droit à l’horizon, deux autres buttes lointaines situées à 56 km et à 59 km qui culminent respectivement à –740 m* et à –238 m* d’altitude ; (6) une butte plus proche à droite, située à 28 km et qui culmine à –1 570 m*. Ce franchissement marque l’entrée dans une sorte de terre promise propice à la quête de traces d’une vie passée… (Crédits : NASA/JPL-Caltech, retraitements O. de Goursac)
En fait, les chercheurs suivent le plan d’origine, « Midway Primary Reference Scenario », dont le but ultime est de rejoindre le site Midway, l’autre site d’atterrissage de Perseverance envisagé à l’origine dans cette région : celui-ci est situé à 15 km à vol d’oiseau au sud-ouest du col Lookout Hill. La zone Midway est étroitement associée aux roches riches en phyllosilicates (qui sont des minéraux résultant de l’altération d’autres minéraux par l’eau) et en olivine formées grâce aux sources hydrothermales souterraines ou à l’eau qui s’écoulait en surface. Les chercheurs pourraient aussi y trouver et y étudier d’autres blocs de « mégabreccia »…
Ces perspectives, qui seront décrites dans l’Astronomie au fur et à mesure qu’elles se réaliseront, offrent donc une riche moisson de résultats à venir dans les prochains mois.
Janet BORG, Olivier de GOURSAC│Société astronomique de France
Notes
- Dans le cadre de la mission conjointe Nasa-Esa Mars Sample Return (MSR), il est prévu le retour d’échantillons sélectionnés pendant le trajet et qui auront été déposés dans des collecteurs hermétiquement fermés. Leur analyse sur Terre devrait rendre possible l’identification de traces de vie passée sur Mars. Selon le planning en vigueur en 2024, les échantillons devraient atterrir sur Terre en 2033 ; toutefois, le coût de MSR croît régulièrement et est source de controverses au sein des décideurs politiques, puisqu’il menace les autres projets d’exploration du Système solaire de la Nasa. À ce jour, aucun budget n’est voté permettant un retour rapide sur Terre des échantillons collectés par Perseverance.
- Voir en particulier l’Astronomie 187 de novembre 2024.
* Altitudes exprimées vis-à-vis du niveau « 0 » de référence martien : rayon moyen de la planète à l’équateur (3 396 km), déterminé grâce aux données de l’altimètre laser de l’orbiteur Mars Global Surveyor.

Publié dans le magazine l’Astronomie
par Sylvain Bouley | Avr 30, 2025 | Actualités
Noctis Labyrinthus relie certaines des formations topographiques les plus significatives de la surface de Mars [Fig. 1]. Il s’étend sur 882 km d’est en ouest et 393 km du nord au sud, délimité par Valles Marineris à l’est, le vaste plateau volcanique de Tharsis à l’ouest et, au sud, par les plaines de lave de Syria Planum. L’activité liée à la mise en place de la province de Tharsis, de Valles Marineris et de Syria Planum est clairement associée à d’intenses activités volcaniques et tectoniques observées à la surface, et a dû participer à la formation de Noctis Labyrinthus.

Figure 1. Contexte topographique de Noctis Labyrinthus et principales caractéristiques géologiques de la zone environnante. La région comprise entre Noctis Labyrinthus et Syria Planum a été identifiée comme une zone d’extension. À l’est de Noctis Labyrinthus se trouve la zone de cisaillement de Valles Marineris, où d’importants groupes de failles d’extension ont été documentés. Vue centrée à -6,625°N_260,625°E. Du bleu au rouge = des basses vers les hautes altitudes.
En raison de sa complexité et du manque de compréhension des divers processus susceptibles d’agir à la surface et en profondeur pour façonner des caractéristiques topographiques aussi remarquables, Noctis Labyrinthus a suscité de nombreux débats. La région présente des reliefs très marqués et dentelés, semblant résulter d’une histoire géologique complexe, impliquant des activités tectoniques [Fig. 1], volcaniques et potentiellement hydrothermales.
Des travaux antérieurs menés par Weitz et al. [1] ont mis en évidence plusieurs périodes d’activité et d’altération aqueuse dans les fossés de Noctis Labyrinthus. Ces résultats ont permis d’étayer des recherches récentes suggérant un paysage karstique, avec des grottes associées, influencé par des processus hydriques ou fluviaux. Rodriguez et al. [2] ont proposé un écoulement d’eau souterraine structurellement contrôlé, à travers des dépôts riches en sels de la croûte supérieure, comme moteur des caractéristiques de surface complexes de la région. Baioni et al. (2017, 2018) [3,4] ont quant à eux suggéré une formation karstique évaporitique avec des grottes associées, liée à la présence d’eau. Chavan et al. [5] ont identifié un processus fluvial sur la base d’une cartographie structurale et d’interprétations de surface. Alternativement, Leone [6] a avancé l’hypothèse d’une évolution érosive ayant conduit à l’effondrement de tubes de lave, tandis que Kling et al. [7] ont proposé une déformation tectonique accompagnée d’une perte d’éléments chimiques volatils. D’autres hypothèses mettent en avant des activités volcaniques et tectoniques [8-10].
Aucun des modèles proposés n’a été unanimement accepté, ce qui montre que Noctis Labyrinthus mérite des observations plus poussées et de nouvelles approches d’étude. Sa surface constitue un enregistrement complexe d’une activité tectonique intense, caractérisée par de multiples réseaux de failles décrochantes [10], orientées selon différentes directions, qui auraient affecté la région tout au long de son histoire. Une étude approfondie de ces systèmes de failles pourrait fournir des informations précieuses sur le contexte tectonique et les épisodes de déformation de Noctis Labyrinthus.
Mayssa El Yazidi, chercheuse tunisienne, étudie Noctis Labyrinthus depuis 2018 afin de percer le mystère de sa formation et des processus impliqués. Elle est actuellement postdoctorante à l’Institut de radioastronomie – Institut national d’astrophysique de Bologne. Une étude récente de El Yazidi et al. (2024) [10] a été publiée, dans laquelle un grand nombre de failles, de grabens et de chaînes de fosses ont été cartographiés et analysés. À l’aide de la caméra stéréo haute résolution (HRSC) à bord de Mars Express (canal nadir ND2), ainsi que de la carte numérique du terrain (DTM) issue du Mission Experiment Gridded Data Record (MEGDR) de l’altimètre laser MOLA (Mars Orbiter Laser Altimeter) embarqué sur Mars Global Surveyor (MGS), une carte structurale détaillée de Noctis Labyrinthus a été élaborée.
L’étude de la distribution spatiale et de l’orientation des systèmes de failles, de la morphologie des chaînes de fosses, ainsi que la corrélation entre ces deux types de structures, a permis d’identifier trois systèmes de failles dans la région étudiée (1)) NS et NNE-SSW, (2)EO et ENE-OSO et (3° NNO-SSE et NO.
L’analyse des orientations, des croisements et des superpositions de failles a révélé de multiples intersections liées à la réactivation de structures héritées. Le premier système semble résulter du champ de contraintes régional, associé à une légère flexion de Valles Marineris. Le second serait généré par un champ de contraintes radiales aplati lié à la formation des volcans boucliers de Syria Planum. Le troisième système pourrait être associé à un processus régional externe, possiblement lié à la province de Tharsis.
Les fosses ont été classées en quatre stades évolutifs par El Yazidi et al. (2024) [10], sur la base de leurs caractéristiques morphométriques. Ces auteurs soutiennent que la formation des chaînes de fosses de Noctis Labyrinthus résulte d’un effondrement de surface consécutif à une chute de pression provoquée par la déflation d’une chambre magmatique associée à la province volcanique de Syria Planum. Ils proposent un modèle de déformation basé sur une extension précoce et la mise en place d’un système magmatique comme moteurs principaux de la formation de Noctis Labyrinthus.

La scène de l’image montre des parties de ces structures de graben qui ont des incisions de 5000 m de profondeur. Elles sont fortement érodées, comme en témoignent les débris au fond du graben. (crédit: HRSC/ESA)
Selon Mayssa El Yazidi des recherches plus approfondies sur Noctis Labyrinthus permettront de mieux contraindre et de révéler les processus géologiques à l’œuvre non seulement sur Mars, mais aussi sur les autres planètes telluriques et corps solides du Système Solaire, qui présentent eux aussi des formations géologiques complexes. En outre, Noctis Labyrinthus pourrait jouer un rôle dans l’exploration humaine future : il a en effet été retenu parmi 47 sites d’atterrissage proposés à la NASA lors du premier atelier de l’agence consacré aux sites d’atterrissage et zones d’exploration pour les missions humaines sur Mars, organisé à Houston (Texas) en octobre 2015.
Mayssa El Yazidi
References:
- Weitz, C.M & Bishop, J.L., 2014. Diversity of hydrated minerals and deposits at Noctis Labyrinthus: implications for the late Hesperian to Amazonian aqueous activity on Mars. Int. Conf. Mars. 1791, 1222. Bibcode: 2014LPICo1791.1222W
- Rodriguez, J.A.P., Zarroca, M., Linares, R., Gulick, V., Weitz, C.M., Yan, J., Fairén, A.G., Miyamoto, H., Platz, T., Baker, V., Kargel, J., Glines, N., Higuchi, K., 2016. Groundwater flow induced collapse and foolding in Noctis Labyrinthus, Mars. Planet. Space Sci.124, 1-14. doi: https://doi.org/10.1016/j.pss.2015.12.009
- Baioni, D., Tramontana, M & Hajna, N. Z., 2017. Karst landforms Within Noctis Labyrinthus, Mars. Acta Carsologica. 46 (1), 73-82. doi:https://doi.org/10.3986/ac.v46i1.4704
- Baioni, D., 2018. Karst Landforms as markers of recent climate change on Mars: An example from a late amazonian epoch evaporate-karst within a trough in western Noctis Labyrinthus. Recent and Current Landscape Evolution of the Red Planet. In: Dynamic Mars. Elsevier, 411-429. doi: https://doi.org/10.1016/B978-0-12-813018-6.00014-5
- Chavan, A., Sarkar, S., Bhandari, S., 2022. Episodic and declining fluvial processes in Noctis Fossae, Syria Planum Province, Mars. Adv. Space Res. 70, 3205-3219. doi: https://doi.org/10.1016/j.asr.2022.07.032
- Leone, G., 2014. A network of lava tubes as the origin of Labyrinthus Noctis and Valles Marineris on Mars. J. Volcanol. Geotherm. 277, 1-8. doi: http://dx.doi.org/10.1016/j.jvolgeores.2014.01.011
- Kling, C. L., Byrne, P. K., Atkins, R. M., Wegmann, K. W., 2021. Tectonic deformation and volatile loss in the formation of Noctis Labyrinthus, Mars. J. Geophys. Res. Planets.126 (11), e2020JE006555. doi: https://doi.org/10.1029/2020JE006555
- Mège, D., Cook, A. C., Garel, E., Lagabrielle, Y., Cormier, M.H., 2003. Volcanic rifting at Martian grabens. J. Geophys. Res.108 (E5), E55044. doi:https://doi.org/10.1029/2002JE001852
- Bistacchi, N., Massironi, M., Baggio, P., 2004. Large-scale fault kinematic analysis in Noctis Labyrinthus (Mars). Planet. Space Sci.52 (1-3), 215-222. doi: https://doi.org/10.1016/j.pss.2003.08.015
- El Yazidi, M., Orgel, C., Sefton-Nash, E., De Marchi, G., Bahia, R., Baratoux, D., Bouley, S., Filiberto, J., D’Incecco, P., Leone, G., Slim Shimi, N., Srarfi, F., Bradák, B. (2024). Analysis of faults and pit chains in Noctis Labyrinthus: Implications for early extension and possible magmatic plumbing. Icarus. 415, 116075. doi: https://doi.org/10.1016/j.icarus.2024.116075.
par Sylvain Bouley | Jan 31, 2025 | Actualités
Le mois de novembre 2024 a marqué une avancée remarquable pour l’astronomie en Afrique, grâce à l’organisation de deux événements scientifiques de premier plan à Marrakech, Maroc : la huitième édition de l’École Internationale d’Astrophysique d’Oukaimeden (OISA) (co chair : jamila Chouqar/Abdelmajid Benhida) et le Meeting RR Lyrae et Céphéides 2024 (co-chair: Abdelmajid Benhida/ Zouhair Benkhaldoun): https://cep24.uca.ma/ .
Ces manifestations, orchestrées par l’Université Cadi Ayyad et l’Observatoire d’Oukaimeden, ont rassemblé des scientifiques, des éducateurs et des étudiants de divers horizons, affirmant le rôle de l’Afrique dans la recherche astronomique mondiale.

L’Observatoire d’Oukaimeden : Une Plateforme Unique pour la Recherche et la Collaboration
L’Observatoire d’Oukaimeden s’est imposé comme un acteur clé dans l’organisation de ces événements, offrant non seulement des infrastructures de recherche de pointe, mais aussi un cadre exceptionnel pour inspirer les collaborations scientifiques. Situé à plus de 2 700 mètres d’altitude dans les montagnes de l’Atlas, cet observatoire est devenu un pôle de convergence pour les chercheurs du monde entier, grâce à ses contributions majeures à des programmes internationaux et son engagement dans le développement des sciences en Afrique.
En accueillant des excursions et des ateliers pratiques, l’Observatoire a démontré son rôle central dans la vulgarisation scientifique et la sensibilisation à l’astronomie, tout en renforçant son image comme un catalyseur d’échanges scientifiques internationaux.
Une Équipe à l’Origine de Réalisations Remarquables
Ces événements ont été portés par une équipe dynamique et expérimentée, qui a également orchestré avec succès la cinquième conférence de l’African Astronomical Society (AfAS) en avril 2024 à Marrakech. Cette conférence avait rassemblé des acteurs clés de l’astronomie africaine et internationale, consolidant le rôle du Maroc comme un hub scientifique régional.
Par ailleurs, la même équipe a joué un rôle actif dans l’organisation de l’Assemblée Générale de l’Union Astronomique Internationale (IAU) en août 2024 à Cape Town, un événement majeur qui a réuni des milliers de scientifiques du monde entier. La gestion de ces deux rendez-vous, en parallèle des préparatifs pour OISA et le Meeting RR Lyrae, a représenté un défi de taille, relevé avec brio.
OISA 2024 : Une Formation d’Excellence au Service des Talents de Demain
L’École Internationale d’Astrophysique d’Oukaimeden (OISA) a réuni pendant cinq jours des participants africains et internationaux autour d’un programme intensif consacré à la physique stellaire. Grâce à des conférences animées par des experts mondialement reconnus et à des ateliers basés sur les données des missions spatiales (TESS, Kepler, Gaia), les participants ont approfondi des thématiques clés telles que les relations période-luminosité-couleur, la spectroscopie des étoiles variables et l’analyse des données astrophysiques.
OISA 2024 a également illustré l’engagement stratégique de l’Afrique dans le développement des compétences en astronomie. La collaboration avec des chercheurs sud-africains de renom a mis en lumière le potentiel du continent pour s’imposer comme un acteur incontournable de la recherche mondiale. L’accès à des infrastructures de pointe, comme le Southern African Large Telescope (SALT), ainsi que l’échange d’expertises, témoignent de l’ambition croissante de la communauté astronomique africaine.
Le Meeting RR Lyrae et Céphéides : Un Rendez-vous d’Envergure Internationale
Quelques jours après OISA, le Meeting RR Lyrae et Céphéides 2024 a rassemblé 90 participants originaires de 26 pays dans un format hybride innovant. Ce cinquième rendez-vous a abordé des enjeux scientifiques majeurs autour des pulsateurs classiques – les RR Lyrae et les Céphéides – éléments essentiels pour la mesure des distances cosmiques et la compréhension de l’évolution stellaire.
Le programme, soigneusement élaboré, a exploré des thématiques complexes telles que l’effet Blazhko, les contributions des missions spatiales telle que GAÏA, et les perspectives offertes par les projets terrestres. Des sessions dédiées ont également permis de valoriser les capacités de l’Observatoire d’Oukaimeden, renforçant son positionnement comme un acteur incontournable de l’astronomie au sol.
Des Intervenants de Prestige pour un Contenu d’Exception
Ces événements se sont distingués par un programme scientifique d’une qualité exceptionnelle. Parmi les intervenants, Adam Riess, Prix Nobel de Physique 2011, a captivé l’audience avec une conférence portant sur les limites et promesses du télescope spatial James Webb dans le contexte de la tension de Hubble (différence de mesure entre la méthode directe par mesures des distances, et la méthode utilisant le fond diffus cosmologique pour déterminer la vitesse de fuite des objets extragalactiques).
Des chercheurs de renom, tels que Kathy Vivas, Robert Szabó, Sylvia Ekström, Radek Smolec, Katrien Kolenberg et Vincenzo Ripepi, ont enrichi les discussions avec des présentations couvrant des sujets variés : la modélisation numérique des pulsations stellaires, la photométrie spatiale et les implications des RR Lyrae et Céphéides pour la cosmologie. Ces échanges ont mis en lumière les avancées scientifiques récentes et ouvert la voie à de nouvelles collaborations.
Un Tremplin pour l’Astronomie Africaine dans le domaine des étoiles variables
En renforçant les compétences des chercheurs, en mobilisant des experts internationaux et en valorisant des infrastructures locales comme l’Observatoire d’Oukaimeden, ces événements ont consolidé la place de l’Afrique dans le paysage astronomique mondial. La synergie entre les chercheurs, les institutions et les infrastructures locales témoigne d’une ambition partagée : faire de l’Afrique un partenaire essentiel dans l’exploration scientifique de l’univers.
Astronomie pour Tous
Au cours de ce meeting international RRL cep2024, plusieurs conférences grand public ont été données par des astrophysiciens de renommée internationale : Kathy Vivas ( Université de Yale) et Rachael Beaton (Princeton University) .
Les organisateurs se sont également fixés comme objectif de promouvoir l’astronomie inclusive et d’orienter les jeunes élèves vers les domaines STEM. Des visites à des internats de jeunes filles (Dar Taliba Marrakech) et à des écoles dans et autour de Marrakech qui promeuvent l’éducation pour les filles rurales, en particulier celles issues de milieux défavorisés, ont été organisées.
En conclusion, l’OISA 2024 et le Meeting RR Lyrae et Céphéides 2024 ont illustré avec brio le potentiel scientifique de l’Afrique. Ces événements ne se contentent pas de promouvoir l’excellence académique : ils construisent également un pont entre l’Afrique et la communauté scientifique internationale, ouvrant des perspectives prometteuses pour l’avenir de l’astronomie en générale et la physique stellaire en particulier , en prenant rendez vous pour une présence africaine encore plus importante au cours de la prochaine édition qui aura lieu en Chili en 2026.
par : Dr. Jamila Chouqar et Prof. Zouhair Benkhaldoun
par Sylvain Bouley | Jan 31, 2025 | Actualités, Au fil des étoiles
Une équipe de recherche Franco-Sénégalaise, menée par François Colas (CNRS) et composée de membres de l’Université Numérique Cheikh Hane (UNHCK), de l’Université Cheikh Anta Diop de Dakar (UCAD), et de l’Institut de Recherche pour le Développement (IRD) a installé entre 2022 et 2024 les premières caméras d’observation du ciel qui font partie d’un réseau mondial de surveillance des météores. Ce réseau est dénommé avec l’acronyme FRIPON qui signifie « Fireball Recovery and InterPlanetary Observation Network » (Réseau d’observation et de récupération des bolides interplanétaires). La partie Sénégalaise de ce réseau, déjà composée de 7 caméras, se nomme Asamaan, ce qui signifie Ciel en Wolof.
Dans le sillage de l’Initiative Africaine pour les Sciences des Planète et de l’Espace lancée fin 2017 (http://africapss.org), le Sénégal poursuit donc son aventure spatiale tous azimuts, sous l’impulsion et la vision de Maram KAIRE, Directeur de l’Agence Sénégalaise d’Etudes Spatiales, crée en 2022. La mise en place réussie de ce réseau est indissociable du succès des Espaces Numériques Ouverts (ENO) de l’UNCHK. Les ENO permettent à des milliers de jeunes Sénégalaises et Sénégalais, vivant loin de Dakar, ou des principales universités du pays, de suivre à distance des formations diplômantes. Ces bâtiments dotés d’une infrastructure numérique performante forment un maillage sur le territoire du Sénégal idéal pour le déploiement de capteurs scientifiques tels que les caméras du réseau Asamaan.
A quoi sert le réseau FRIPON, et pourquoi son extension au Sénégal (Asamaan) est importante ? Le réseau FRIPON a pour objectif la détection des météores et la recherche de nouvelles chutes de météorites. Il a pour but de répondre aux questions suivantes : Quelle quantité de matière interplanétaire tombe sur la Terre ? D’où viennent ces objets ? Quelle est leur origine ? Quels sont leurs corps parents ? Initié en France en 2013, son extension à d’autres pays a pour but d’atteindre une description toujours plus complète de la matière interplanétaire tombant sur la Terre pour une gamme de tailles de 1 cm à 1 mètre. Le Sénégal offre une opportunité de compléter les capacités de surveillance du réseau vers le ciel de l’hémisphère sud, où le manque de données est important (Fig. 1).

1. Carte des radiants des météores observés pour des tailles centimétriques à métriques par le réseau FRIPON (2016-2022, 7300 objets).
On constate le manque de données dans l’hémisphère sud qui sera en partie comblé par le réseau Asamaan.
Le réseau Asamaan est actuellement composé de 7 caméras installées sur le toit des ENO de Mbour, Diourbel, Kaolack, Louga, Linguère, Saint-Louis, et Podor. Les caméras couvrent une petite moitié ouest du pays. Le réseau comptera au final au moins 16 cameras, les installations se feront en fonction de l’ouverture prévue de nouveaux ENO. La multiplication des caméras permet aussi de déterminer avec précisions les trajectoires des météores (Fig. 2, exemple de détection multiple). Le réseau a permis à ce jour plusieurs dizaines de détections (Fig. 3). L’équipe du Laboratoire d’Astrophysique de Marseille, responsable du Service National d’Observation labellisé par le CNRS se charge de l’inclusion des données des caméras Sénégalaises dans la base de données globale du réseau FRIPON. Compte tenu de la surface du réseau Asamaan et du climat Sahélien on s’attend à obtenir ~400 observations par an ce qui est loin d’être négligeable comparé aux 1500 météores observés annuellement par le réseau FRIPON.

2. Exemple de détection multiple, Louga et Saint-Louis – 23/12/2024, 4h45 TU.

3. Carte des caméras installés du réseau Asamaan à ce jour superposée aux trajectoires des météores détectés par le réseau sur la période 2022 – 2024.
L’aspect le plus excitant du projet est bien sûr de retrouver des météorites après leur chute. Ceci est particulièrement important pour récupérer des météorites non altérées par l’atmosphère terrestre et qui sont dans des conditions proches de celles de l’espace pour permettre des études pétrographiques proches de celles que l’on fait pour les missions spatiales avec retour d’échantillon. A ce jour, aucune météorite enregistrée dans les collections ne provient du Sénégal. Le projet ambitionne donc d’offrir au Sénégal sa première météorite, et par la même occasion de communiquer au grand public comment ces objets nous permettent de déchiffrer nos origines. Les campagnes de recherche de météorites bénéficieront de l’expérience française du projet de science citoyenne Vigie-Ciel, et seront coordonnées par l’ASES, avec l’appui des membres de l’Association Sénégalaise pour la Promotion de l’Astronomie (ASPA).
par François COLAS (IMCCE), Salma SYLLA (UCAD), Absa GASAMA (UNCHK), David BARATOUX (IRD/GET), Pr Ousmane SALL (UNCHK)
Remerciements : Ce projet bénéficie du soutien financier de l’IRD, du CNRS, de l’UNCHK. Le membres du projet remercie également les personnels des Espaces Numériques Ouverts pour leur accueil et les moyens mis en œuvre pour faciliter l’installation et la maintenance des services d’observation. Ces caméras ont été installé lors de deux missions dédiées, la dernière ayant eu lieu en novembre 2024, avec la participation sur le terrain de F. Colas (CNRS), D. Baratoux (IRD), S. Sylla (UCAD), A. Barro (UNCKH), I. C. Ba (UNCKH) et A.O. Diallo (IRD).
par Sylvain Bouley | Jan 31, 2025 | Actualités
La mission américaine Lucy, lancée en 2021, a survolé un petit astéroïde de la ceinture principale, Dinkinesh, doté d’un satellite baptisé Selam, dont la structure s’est révélée complexe.

1. L’astéroïde Ida et son satellite Dactyle, découvert lors du survol de l’astéroïde par la sonde Galileo le 28 août 1993. Ida est, comme Dinkinesh, un astéroïde de la ceinture principale, située entre Mars et Jupiter. Son diamètre moyen est de 31 km, alors que celui de Dactyle est de 1,4 km. (©NASA)
Depuis plus d’un demi-siècle, l’exploration spatiale du Système solaire a privilégié l’étude des planètes, de leurs satellites et des comètes. Il aura fallu attendre la fin du XXe siècle pour que les astéroïdes bénéficient eux aussi de leurs missions dédiées. Avant cette date, certains d’entre eux avaient tout de même été approchés par des sondes spatiales au cours de leur croisière : c’est le cas en particulier d’Ida, satellite de la ceinture principale autour duquel la sonde américaine Galileo, en route vers Jupiter, a découvert en 1993 un satellite nommé Dactyle ; d’autres astéroïdes ont aussi été observés par d’autres missions spatiales au cours de leur trajet, en particulier la mission européano-américaine Cassini-Huygens et la mission européenne Rosetta.

2. Exemples d’images de l’astéroïde Dinkinesh et de son satellite Selam prises par la sonde Lucy lors de son survol le 1er novembre 2023. À gauche, les images b et f montrent l’astéroïde Dinkinesh. Il a la forme d’une toupie aussi observée sur Ryugu et Bennu, caractéristique d’une structure interne en « rubble pile » (terme anglais pour décrire un assemblage de roches sans cohésion, maintenues ensemble par la force de gravité). On voit clairement le bourrelet équatorial et, sur l’image b, la faille oblique qui témoigne d’un bouleversement passé de sa structure interne. Les images d et m montrent l’astéroïde et son satellite sous des angles différents. L’image l est un agrandissement du satellite montrant clairement sa structure bilobée. (© Levison et al. 2024)
En 1996 est lancée la première mission dédiée à un astéroïde : c’est NEAR-Shoemaker qui explore l’astéroïde Éros en 2000. Ensuite, il faut attendre la mission japonaise Hayabusa, lancée en 2003, qui explore l’astéroïde Itokawa en 2005 et rapporte le premier échantillon astéroïdal sur Terre en 2010. En 2006, la mission américaine New Horizons est lancée en direction du Système Solaire extérieur : elle survole Pluton en 2015, puis en 2019 un autre objet transneptunien, Arrokoth. La collecte d’échantillons reprend avec la mission japonaise Hayabusa2, lancée en 2014, qui explore l’astéroïde Ryugu dont un échantillon est récupéré sur Terre en 2020. En parallèle, la mission américaine OsirisREx, lancée en 2016, explore entre 2018 et 2020 l’astéroïde Bennu, dont un échantillon a été rapporté sur Terre en 2023 ; comme celle d’Itokawa, les orbites de Ryugu et Bennu sont relativement proches de celle de la Terre.
Dans la lignée de New Horizons, la mission américaine Lucy, lancée en 2021, a aussi pour objectif d’explorer les astéroïdes éloignés. Il s’agit cette fois de six astéroïdes troyens qui partagent l’orbite de Jupiter. En chemin, la sonde doit explorer quatre autres astéroïdes de la ceinture principale. Le premier d’entre eux, Dinkinesh, a été survolé par la sonde Lucy le 1er novembre 2023 et la rencontre a déjà révélé une surprise de taille, révélée par un article de Harold Levison (SwRI, Boulder, Colorado, É.-U.) et ses collègues [1], publié dans la revue Nature le 30 mai 2024: un satellite en orbite autour de l’astéroïde principal ! Qui plus est, ce nouvel objet est constitué de deux lobes accolés, alignés le long de l’axe astéroïde-satellite. Le nouvel objet a été appelé Selam (les noms éthiopiens Dinkinesh et Selam étant les appellations de Lucy, l’australopithèque fossile découvert en 1974, et d’un autre fossile d’australopithèque).
Dinkinesh est un astéroïde de type S, c’est à-dire riche en silicates, d’un diamètre inférieur ou égal à 800 mètres. L’étude de sa courbe de lumière (par mesures télescopiques avant la rencontre) avait permis de déterminer une période de 52,6 heures. Les images enregistrées par la sonde Lucy lors de son survol ont mis en évidence l’existence du satellite ainsi que sa structure bilobée. De plus, les courbes de lumière de Dinkinesh et de Selam prises par la sonde Lucy après le survol montrent que la période orbitale de Selam est très proche de sa période de rotation, ce qui indique que les deux objets sont en rotation synchrone (Selam présente toujours la même face à Dinkinesh). Ce résultat est aussi confirmé par le fait que, comme le montrent les images, le centre de Dinkinesh est aligné avec les centres des deux lobes de Selam. De plus, l’observation d’occultations mutuelles sur la courbe de lumière de Selam montree que l’orbite de Selam est rétrograde par rapport à l’orbite héliocentrique de Dinkinesh. Les images de l’astéroïde montreent que Dinkinesh est en rotation rapide avec une période de 3,7 heures. Sa rotation est rétrograde par rapport au pôle Nord de l’écliptique, et donc dans le même sens que la révolution de Selam autour de Dinkinesh. L’examen des courbes de lumière suggère aussi que l’orbite de Selam est circulaire, et les phénomènes d’occultations mutuelles montrent que celle-ci est proche du plan orbital héliocentrique de Dinkinesh ; elle est aussi sans doute proche du plan équatorial de Dinkinesh. Cette configuration est très courante chez les petits astéroïdes binaires, car elle résulte d’une réorientation de l’axe de rotation sous l’effet des forces de rayonnement thermique asymétriques qui s’exercent sur l’objet : c’est ce que l’on nomme l’effet Yarkovsky [2].

3. Courbes de phase de Dinkinesh (EN HAUT) et de Selam (EN BAS) réalisées avec une période de rotation de 3,7387 h pour Dinkinesh et 52,67 h pour Selam, mesurées par la sonde Lucy après le survol. La courbe de Selam, très régulière, est conforme à la courbe attendue si les deux lobes de Selam sont alignés avec l’axe satellite-astéroïde. Les points rouges correspondent à des occultations mutuelles. Les flèches orange indiquent les événements attendus si l’orbite de Selam est rétrograde, et les flèches vertes indiquent les événements attendus dans le cas d’une orbite prograde. On voit que la courbe observée indique une orbite rétrograde. (© Levison et al. 2024)
Selon les calculs, il faut environ 107 ans – soit un temps très court à l’échelle du Système Solaire – pour que, sous l’effet YORP, l’axe de rotation de l’astéroïde devienne perpendiculaire au plan de son orbite. D’un point de vue dynamique, le couple Dinkinesh-Selam est conforme aux autres systèmes d’astéroïdes binaires de la ceinture principale ou en deçà, avec un objet principal en rotation rapide et un satellite en rotation synchrone autour de celui-ci.
Les images de Selam montrent deux lobes presque identiques, de diamètres respectifs 210 et 230 mètres. Dans l’image montrant les deux lobes côte à côte, la partie intermédiaire est dans l’ombre, ce qui fait que l’on ignore la largeur de la partie centrale. La forme triangulaire de Selam (que l’on retrouve chez d’autres petits astéroïdes comme Ryugu et Bennu) suggère aussi une structure en rubble pile. Cependant, la présence des deux lobes indique aussi une certaine forme de cohésion interne.
Les images montrent que Dinkinesh possède, comme Ryugu et Bennu, un bourrelet central, caractéristique de la structure en rubble pile. Elles montrent également un large sillon, interprété par les auteurs de l’étude comme la trace d’une fracture interne globale intervenue dans le passé, sans doute une conséquence de l’effet Yarkovsky. La matière évacuée au moment de ce bouleversement aurait formé un anneau, puis un bourrelet équatorial et un satellite.
La découverte du système de Dinkinesh suggère que les petits astéroïdes de la ceinture principale pourraient être plus complexes que prévu. L’existence de satellites bilobés autour d’un astéroïde suggère un nouveau mode de formation possible pour les astéroïdes bilobés tels qu’Itokawa ; ceux-ci pourraient, comme Selam autour de Dinkinesh, avoir été agrégés à un corps central, dont ils se seraient ensuite séparés.
Thérèse Encrenaz – Observatoire de Paris-PSL

- H. P. Levison et al., « A contact binary satellite of the asteroid (152830)Dinkinesh » , Nature 629, 1015, 2024.
- L’effet Yarkovsky, aussi appelé effet YORP (YarkovskyO’Keefe-Radsievskii-Paddack), a pour origine une force thermique liée à l’insolation asymétrique d’un astéroïde en rotation sur lui-même. Le rayonnement solaire absorbée par la surface de l’astéroïde est réémis après un certain temps sour forme de rayonnement thermique, dans une direction légèrement différente compte tenu de la rotation de l’objet sur lui-même ; il en résulte un couple susceptible de modifier à long terme le mouvement de l’objet. L’effet Yarkovsky dépend fortement de la capacité des matériaux en surface à conduire la chaleur en profondeur ; il est nul pour un objet parfaitement conducteur. Il s’applique aux objets de petit diamètre (D < 40 km) relativement proches du Soleil et a pour effet de modifier à long terme leur distance au Soleil, leur période de rotation et leur obliquité.