LE MAGAZINE DES SCIENCES DE L’UNIVERS EN AFRIQUE
Faisons Connaissance avec: La Société Africaine d’Astronomie – AfAS

Faisons Connaissance avec: La Société Africaine d’Astronomie – AfAS

Une Gestation Difficile

Le projet de création d’une association continentale d’astronomie professionnelle est une idée ancienne qui a eu une genèse plutôt laborieuse. L’appel à sa création remonte à 2008 lorsque Peter Martinez (Afrique du Sud) et Pius Okeke (Nigéria) ont discuté dans divers articles des moyens de développer l’astronomie en Afrique, en appelant spécifiquement à la formation d’une société panafricaine d’astronomie. Entre temps, des sociétés régionales d’astronomie professionnelle ont été créées en Afrique de l’Ouest et en Afrique de l’Est. Notons aussi que lors du lancement en 2010 de la société africaine de physique à Dakar, un certain nombre d’astronomes de tout le continent et de la diaspora africaine ont relancé l’idée de former une société africaine d’astronomie. Suite à cette réunion, s’est tenue la rencontre de Ouagadougou en 2010, lors de laquelle fut élaborée une première copie d’une constitution pour une telle société d’astronomie (AfAS), tâche qui fut achevée en janvier 2011. L’AfAS a finalement été inaugurée lors de la deuxième réunion régionale du MEARIM meeting de l’IAU pour l’Afrique et le Moyen-Orient à Cape Town en Afrique du Sud en avril 2011.

Fig1: La réunion de création de l’AfAS en mars 2018 à l’observatoire historique de Cape Town

Espoirs Déçus et Lancement d’ AfAS2.0

Malheureusement, pas grand chose ne se passa concrètement pendant les années suivantes; aussi un consensus se dégagea après plusieurs concertations, dont l’initiative des astronomes réunis lors de la réunion d’Addis-Abeba en 2017, de déclarer morte la structure précédente et de lancer l’AfAS 2.0, dans un nouveau cadre et avec notamment la nécessité de bénéficier d’un soutien institutionnel fort. C’était ce soutien qui semblait manquer dans la précédente structure.

Le gouvernement Sud African à travers la DSI (Department of Science and Innovation) proposa d’héberger la structure et de la financer pour les premières années. Un colloque fut organisé à ce propos à Cape Town en mars 2018, avec la participation de quelques soixante astronomes d’Afrique et de la diaspora à la suite duquel l’AfAS nouvelle version fut lancée et un nouveau comité directeur fut élu. Depuis, l’AfAS s’est mise à pied d’œuvre à travers ses différents comités et s’est lancée dans d’ambitieux programmes tant pour les astronomes professionnels qu’amateurs. De plus amples détails se trouvent sur le site de l’association.

Notons qu’un important développement a eu lieu en avril dernier lorsque l’AfAS est devenue un consortium englobant un certain nombre d’autres associations astronomiques continentales dont l’ African Planetariums Association (APA) et l’African Science Stars, toutes ayant aussi leurs sièges en Afrique du Sud, mais chapeautées toujours par l’AfAS.

 

Visions et objectifs principaux de l’AfAS

L’ambition de l’AfAS est de créer une communauté astronomique compétitive à l’échelle mondiale en Afrique. Elle se veut aussi être au service de la communauté amateur et du grand public.

Ses missions principales peuvent être déclinées comme suit:

– Être la voix de l’astronomie en Afrique

– Contribuer à relever les défis auxquels l’Afrique est confrontée à travers la promotion et l’avancement de l’astronomie.

Fig 2: Activités scolaires de diffusion de la culture astronomique à l’aide de planétarium portables au Kenya

Fig 3: Activités scolaires de diffusion de la culture astronomique à l’aide de planétarium portables en Algérie

– L’inclusion de l’astronomie dans le domaine du développement social et économique.

– L’utilisation de l’astronomie pour attirer les jeunes africains vers des carrières en sciences, technologie, ingénierie et mathématiques

– L’organisation de conférences thématiques et des campagnes d’observation lors d’événements astronomiques et des domaines connexes.

– Sauvegarder les sites astronomiques en Afrique et les connaissances autochtones du ciel.

 

Capitaliser sur les grands instruments Africains

L’AfAS, comme but stratégique, voudrait tirer parti de l’avantage géographique naturel de l’Afrique et capitaliser sur l’existence de grands instruments de classe mondiale sur le continent. Mentionnons les rapidement: Il y a notamment le telescope optique SALT (South African Large Telescope) sur le plateau du Sutherland (Afrique du Sud), qui est considéré comme le plus grand télescope optique d’astronomie optique au monde, télescope de type Hobby–Eberly avec un miroir principal de 11 m. Puis vient le radio-télescope MeerKAT dans le semi désert du Karoo toujours en Afrique du Sud et qui préfigure le futur SKA (Square Kilometer Array), un des plus grands projets de radioastronomie dans le Monde. Concluons la liste en mentionnant les télescopes du projet HESS pour l’astronomie gamma en Namibie.


Fig 4: Photo prise par le radiotélescope MeerKAT offrant en radio la vue la plus claire à ce jour du centre de notre Galaxie situé à quelque 25.000 années-lumière de la Terre.

Ces différents projets sont à même de jouer le rôle de locomotive pour l’astronomie professionnelle africaine et constituer une puissante source d’inspiration pour les astronomes amateurs et les jeunes scientifiques du continent en général. Il est un fait que jusqu’à présent, tout ces atouts n’ont pas suffisamment profité du talent humain africain et c’est ce qui devrait changer.   

En Conclusion

A bien des égards, l’astronomie est une science africaine avec une riche tradition populaire à travers tout le continent. Il est temps de la valoriser, la faire fructifier, ainsi que de la mettre au diapason de l’astronomie mondiale.

C’était là quelques perspectives sur les premiers pas de la Société Astronomique Africaine. Nous invitons tous les individus et parties intéressés et à même de contribuer, à se joindre à nous pour faire progresser l’astronomie sur notre continent.

 

Jamal Mimouni – Président, AfAS

Astronomie et Covid

Astronomie et Covid

La maladie à coronavirus (COVID-19) est une maladie infectieuse causée par une nouvelle souche de coronavirus (SARS-CoV-2). Le premier cas a été signalé dans la ville de Wuhan, dans la province chinoise du Hubei, le 31 décembre 2019 par l’Organisation mondiale de la santé. Cette maladie est rapidement devenue une pandémie mondiale et s’est quasiment propagée  dans le monde entier. A ce jour, 11 janvier 2021, plus de 90 millions de personnes dans le monde ont été testées positives au COVID-19, avec plus de 1,9 million décès confirmés (les derniers chiffres sont disponibles sur le site web de l’OMS).

Heureusement, nous disposons maintenant de vaccins (Pfizer-BioNTech, Moderna, etc.), et de nombreux pays ont déjà commencé la campagne de vaccination. Cela permettra certainement de réduire le nombre de nouveaux cas et éventuellement d’atteindre l’immunité collective.

Toutefois, il est important de souligner que différentes activités ont été menées par des scientifiques (groupes ou individus) depuis le début de la pandémie afin d’aider à la combattre. Pour ce faire, j’ai donc travaillé en tant que fellow à l’Office of Astronomy for Development (OAD)  qui est basé à Cape Town en Afrique du Sud afin d’élucider comment la communauté d’astronomie peut contribuer à l’atténuation de la pandémie du COVID-19 et de ses effets. Mon étude a montré que les astronomes peuvent transférer leurs connaissances des études des étoiles et de l’exploration de l’univers à la contribution à la lutte contre la pandémie. Par exemple, les astronomes utilisent leurs ressources informatiques à l’exécution de simulations pour aider à comprendre la structure du virus, participent au travail d’assistance sanitaire (comme la conception de ventilateurs en Afrique du Sud, aux États-Unis, en Italie, au Canada et en Thaïlande) et participent à l’éducation des enfants via l’enseignement de l’astronomie en ligne afin de leur permettre de continuer  à apprendre tout en restant chez eux lors des fermetures des écoles et mesures de confinement.

National Ventilators Project (NVP) géré par SARAO (South African Radio Astronomy Observatory) en Afrique du Sud.

 

Ventilateur VITAL développé par la NASA Jet Propulsion Laboratory pour assister les patients de COVID-19 ayant des difficultés à respirer. Crédit photo: NASA/JPL-Caltech

 

De plus amples informations sur ces activités menées par la communauté astronomique dans la lutte contre le COVID-19 sont disponibles sur le site web de l’OAD: www.astro4dev.org/covid-19

Marie Korsaga – Burkina Faso

Notre Univers Vu en Neutrinos

Notre Univers Vu en Neutrinos

Nous sommes tous familiers avec le ciel tel que nous le voyons en lumière visible, l’éclat de ces étoiles et nébuleuses de notre Galaxie, de ces galaxies proches et lointaines. Les images de nos télescopes optiques et en particulier celles provenant du télescope spatial Hubble (HST)  a fixé dans les esprits des gens de glorieux panoramas qui font partie du spectacle céleste et qui nous viennent spontanément en mémoire lorsqu’on imagine le cosmos. Ce n’est pas briser la magie de ces charmantes scènes cosmiques devenues lieux communs que de dire qu’elles sont à bien des égards assez trompeuses car adaptées à notre petite fenêtre visuelle se situant entre 0.4 à 0.7 microns. En effet, vu à d’autres longueurs d’ondes, ces paysages se morphent en d’autres assez différents. De plus, vu à travers d’autres messagers que le photon, les scènes deviennent souvent méconnaissables. Nous aborderons dans cet article, d’autres astronomies que celle du visible, et en particulier une astronomie née précisément un certain jour de janvier 1987 que l’on appelle l’astronomie des neutrinos.

L’Astronomie Classique ou «Photonique»

Depuis le siècle dernier, d’autres visions du ciel que celle du visible s’offrent à nous grâce notamment au progrès technique, d’abord pour le rayonnement optique, ce qui fera le sujet de ce paragraphe, puis en utilisant d’autres particules que le photon.

Fig 1: Notre vision la plus profonde du ciel aux rayons X grâce au télescope spatial eROSITA. La fine bande centrale irrégulière correspond au plan de notre Galaxie. La tache brillante jaune à droite est le reste de la supernova qui a formé la nébuleuse des Voiles.

 

En effet, si la fenêtre visible est celle de l’astronomie traditionnelle, celle qui utilise les yeux puis l’argentique, pourquoi se limiter à ce que permet notre détecteur naturel qu’est l’œil ou son extension l’appareil photo? Cela commença par découverte du rayonnement infrarouge (IR) par l’astronome William Herschel dès 1800, puis se poursuivit avec notre compréhension de l’électromagnétisme qui étendit le spectre des ondes «lumineuses» bien au-delà de la fenêtre du visible. 

Il suffisait seulement d’avoir les détecteurs adéquats pour explorer ces fenêtres nouvelles (Fig 1). Encore fallait-il que ces rayonnements puissent nous parvenir sur Terre, ce qui n’est pas le cas pour un large domaine du spectre photonique qui est absorbé par l’atmosphère terrestre. Il fallut aller chercher ces photons en sortant de l’atmosphère, d’où le développement de l’astronomie embarquée depuis l’ouverture de l’ère spatiale. Chaque domaine de fréquence des photons donne lieu à une astronomie nouvelle: astronomie infrarouge, UV, X, gamma et radio.

L’Astronomie Multimessager

Mais pourquoi se limiter aux photons pour sonder l’Univers et nous informer de son contenu et des processus s’y déroulant? Toute particule stable s’y propageant sur de longues distances peut-être mise à contribution pour nous ramener les dernières nouvelles du Cosmos. Vite, quelles sont les particules stables qui existent? Tout physicien en herbe, tout honnête homme scientifique de ce début du XXIème siècle pourra vous en faire la liste. Elle est d’ailleurs si courte que c’est un jeu d’enfant… même s’il aura fallu tous les efforts de la physique du siècle dernier pour l’élaborer! Alors la voilà: le proton, l’électron, le neutrino… et le graviton. 

Il y a cependant un intrus qui s’est glissé dans notre liste. Seriez-vous à même de le débusquer? Accordez vous un moment de réflexion et puis vous comparerez votre réponse avec celle donnée un peu plus loin. En fait, chacune des particules juste mentionnées forme désormais une branche particulière de l’astronomie. Nous avons ainsi l’astronomie des protons dite des Rayons Cosmiques, celle des neutrinos, des ondes gravitationnelles, chacune utilisant la particule fondamentale associée comme messager cosmique.

 

Fig 2: La nébuleuse du Crabe vu en un cocktail de différentes longueurs d’onde après avoir soigneusement composé les différentes photos «monochromatiques» de cinq telescopes en bas .

 

Cette astronomie nouvelle, en fait largement synthétique, est le fruit du progrès de la physique des particules appliquée au Cosmos. Elle est aussi multidisciplinaire que peut l’ être une branche du savoir, en fait c’est dans un sens, la plus fondamentalement multidisciplinaire de tous les prétendants à la pluridisciplinarité puisque utilisant toutes les particules «fondamentales» stables connues.

 

L’Astronomie Protonique ou des Rayons Cosmiques

Cette astronomie particulière utilise le proton, cette lourde particule de matière chargée qui peut parcourir d’immenses distances sans souci et qui peut donc nous informer des conditions physiques régnant à sa source. Ceci est possible pour deux raisons bien distinctes, d’abord parce que le proton est stable et n’aura donc pas la mauvaise idée de se désintégrer en chemin telles que d’autres particules fondamentales comme le muon et le pion, mais surtout parce que l’espace entre les étoiles dit espace intersidéral, ou même entre les galaxies dit intergalactique, est essentiellement vide. Le proton à cependant un grave défaut pour son utilisation optimale en astronomie: il est chargé et donc sensible aux champs magnétiques des régions qu’il traverse avant de nous parvenir. Ces champs magnétiques, même si extrêmement faibles par rapport à ceux régnants sur Terre par exemple, agissent sur d’immenses distances et sont à même de dévier complètement la trajectoire des protons qui nous arrivent donc sur Terre en rendant leurs directions aléatoires (Fig 3).

 

 


Fig 3: Trajectoires des différents messagers corpusculaires de leurs sources jusqu’à la Terre.

 

Ainsi, contrairement aux photons, leur détection sur Terre ne permet pas de désigner la position de la source dans le ciel- sauf pour les rayons cosmiques d’ultra haute énergie- leurs détecteurs sont à cet égard de bien mauvais télescopes au sens traditionnel. Pourtant leur capacité à sonder des domaines d’énergie très élevée et nous donnant donc un aperçu sur des phénomènes de l’Univers violent et inaccessibles par d’autres moyens rend l’astronomie des rayons cosmiques irremplaçable. Ajoutons pour la précision que les rayons cosmiques, en plus des protons qui en sont la composante principale, comprennent aussi des noyaux légers eux aussi chargés, ainsi que les rayons gamma d’ultra haute énergie.

L’Astronomie des ondes gravitationnelles

Cette astronomie des ondes gravitationnelles (GW) ou «gravitonique» pour lui donner une touche de physique des particules, est une autre branche récente de l’astronomie qui est née précisément en 2015 avec la première détection sur Terre d’une bouffée d’ondes gravitationnelles provenant de la fusion de deux trous noirs à quelque 1.4 milliards d’année-lumière de chez nous. Notons que parler de gravitons pour désigner ces GW est en fait commettre un petit abus de langage. En effet, les physiciens des particules l’utilisent dans une vision essentiellement quantique, et le principe de dualité onde-particule aidant, l’homologue des GW est une particule s’insérant dans le formalisme de la Relativité Générale d’Einstein décrivant la gravitation et doté d’un spin 2 que l’on a naturellement dénommé graviton. Sauf que ces gravitons ne peuvent par aucun moyen présent et futur être détectés!  

Il ne faudrait pas confondre ces ondes avec la force de gravitation qui s’exerce entre corps massifs suivant la loi de Newton. Dans le cas des GW, c’est bien les médiateurs mêmes de cette gravitation que l’on observe et qui sont produits en quantité détectable lors d’événements ultra violents mettant en branle des masses énormes et des accélérations prodigieuses. Ce sont finalement des ondes d’espace temps qui perturbent momentanément la géométrie de l’espace lui-même lors de leur passage. Ces GW se déplacent à la vitesse de la lumière et sont porteuses de précieuses informations sur les processus qui leur ont donné naissance et sur l’environnement des sources mêmes. Cette fenêtre est cependant très éclectique et se limite à la fusion de systèmes d’étoiles compactes tels les trous noirs et étoiles à neutron, et peut-être à certains événements qui en produisirent aux tout premiers instants de l’Univers.

Fig 4:  Le détecteur d’ondes gravitationnelles Virgo avec ses deux bras de 3km de longueur.

 

Leur détection se fait au moyen de gigantesques instruments en forme de la lettre «L» chacun étant en fait une sorte d’interféromètre comme celui de Fabry-Perrot en optique classique, mais hors échelle (Fig 4). Trois de ces détecteurs sont en fonctionnement actuellement, deux en tandem du nom de LIGO aux États Unis et l’autre Virgo en Europe.

 

Le Neutrino, cette particule passe-muraille

Nous arrivons au cœur de notre article proprement dit, le neutrino comme messager céleste. C’est une particule fort discrète, fantomatique comme elle est décrite parfois, qui fut prédite par le grand physicien Wolfgang Pauli pour expliquer des processus de désintégration nucléaire de type désintégration bêta, mais qui en fait est bien plus général que cela. C’est la particule la plus omniprésente de toutes les particules matérielles et qui est presque aussi abondante que le photon dans l’Univers. Bien que le neutrino apparaît surtout dans des processus nucléaires, il n’a pourtant aucune relation avec la force nucléaire dite interaction forte, ni même avec l’interaction électromagnétique vu qu’il n’est pas chargé, mais agissant uniquement par le biais de la force faible.

 

Fig 5: L’expérience historique de Raymond Davis dans la mine d’or abandonnée de Homestake au Dakota du Sud aux Etats Unis. Elle aboutira à la détection des neutrinos solaires, ouvrant ainsi la voie à l’astronomie des neutrinos. Davis à gauche sur la plate-forme et aussi en médaillon, un chimiste de formation, obtiendra le prix Nobel de physique en 2002.

Fig 6: La gigantesque cuve du détecteur de neutrinos Super Kamiokande au Japon contenant quelque 50.000 tonnes d’eau ultra pure et tapissée de modules optiques pour détecter les photons Cerenkov trahissant l’annihilation d’un neutrino cosmique. Les trois hommes au fond à gauche donnent l’échelle.

 

Cette faiblesse atavique de l’interaction du neutrino avec la matière fait de lui la parfaite particule passe-muraille; quasiment rien ne le retient sur place. D’ailleurs Pauli de désespoir, reconnu tout contrit qu’il venait de postuler l’existence d’une particule qui ne pourrait jamais être détectée et qui ne peut être confiné ou presque. A son époque, émettre une telle hypothèse de l’existence d’une nouvelle entité fondamentale était en science assez proche de l’occultisme, quoique les mentalités ont bien évolué depuis! Ainsi comme exemple souvent cité, un calcul simple donne pour qu’un neutrino puisse être absorbé par la matière de manière appréciable, il lui faudrait pour cela traverser quelque 10 années- lumière de longueur de plomb.

 

Fig 7: L’absorption des photons en fonction de la distance. Alors que l’Univers permet aux neutrinos, aux GW ainsi qu’aux photons de faible énergie de voyager essentiellement sans entrave, les photons plus durs sont arrêtés à diverses distances suivant les milieux rencontrés. Nous voyons que dans une large gamme d’énergie (En noir) l’Univers ne peut être exploré par l’astronomie photonique. La bande supérieure représente l’Univers vu à travers diverses fenêtres multi-messager de la Terre. (IceCube Collaboration)

 

 

En fait, heureusement pour lui et pour la science, il se trompait lourdement. L’ingénuité des scientifiques permirent de le détecter expérimentalement en plaçant leur appareil à proximité immédiate d’une des plus puissantes sources de neutrinos au Monde: un réacteur nucléaire. L’expérience conduite par Cowan et Reines se déroula en 1957 en utilisant l’intense flux de neutrinos du réacteur nucléaire de Savannah River en Caroline du Sud aux États-Unis qui venait juste d’entrer en fonctionnement. La physique des neutrinos venait véritablement de naître. A quand une astrophysique des neutrinos?

 

La Fenêtre Neutrinique sur l’ Univers

En plus de la production terrestre de neutrinos par les réacteurs nucléaires et la radioactivité de la Terre, ceux-ci sont abondamment produits au sein des étoiles, des Supernovae, et des disques d’accrétion autour des trous noirs. En général, les AGN (Active Galactic Nuclei), ces galaxies en surchauffe grâce précisément à un trou noir central actif sont des sources supposées pour toutes leurs variantes, y compris pour les monstrueux quasars et blazars. Mais d’emblée, le défi paraît formidable: comment détecter des neutrinos de sources situées à des distances cosmologiques alors que le faire sur Terre relève déjà de l’exploit et qu’il fallait comme nous l’avons vu se placer à proximité d’une source intense de telles particules ? L’idée de base est pourtant simple: pour pallier à la faiblesse extrême de l’interaction du neutrino avec la matière, il faut en faire passer beaucoup par notre détecteur pour que sa probabilité d’interagir soit non négligeable. Ainsi, à défaut de se placer à proximité d’une source intense , ce qui n’est pas possible pour l’astronomie, où la détection doit se faire nécessairement sur Terre ou en orbite, il faut utiliser un détecteur gargantuesque. En pratique, il y a trois milieux suffisamment transparents sur Terre qui peuvent jouer ce rôle de maxi détecteur hors gabarit: l’atmosphère terrestre, le fonds des océans ou l’écorce de glace de l’Antarctique. Il y a pour le premier cas de «détecteur atmosphérique» un sérieux problème de fond parasite et seuls pourraient éventuellement être observés des neutrinos ultra-énergétiques. Il reste les deux  derniers cas pour lesquels des détecteurs sont actuellement en activité ou en voie de réalisation.

 

Fig 8 & 9: A gauche, le centre des opérations du détecteur IceCube ou le «Lab» juste au dessus du Pole Sud. Les modules optiques qui forment le détecteur proprement dit sont enfouis dans la glace allant jusqu’à la croûte solide à quelque 2500m de profondeur. A droite, le relevé des sources des neutrinos astrophysiques détectés par IceCube. ( IceCube collaboration).

 

Notons que même s’il n’y pas de source intense proche à part le Soleil, ces explosions d’étoiles massives en fin de vie que sont les Supernovae sont aussi des sources super intenses de neutrinos. Ces neutrinos émis durant quelques secondes équivalent à tous les neutrinos produits par le Soleil durant ses quatre milliards et demi d’années et peuvent constituer un signal détectable. Là encore on compense la distance de la source par l’intensité du flux de neutrinos. La loi de décroissance de tout flux de matière ou rayonnement suivant l’inverse de la distance au carré, on peut se convaincre facilement que seules les supernovas galactiques sont accessibles. Encore faut-il être prêt pour un tel événement rare. C’est bien ce qui se passa le 23 février 1987 lorsque dans le Grand Nuage de Magellan, une galaxie naine en orbite autour de la nôtre, une étoile géante bleue connut son heure de gloire en expulsant ses couches extérieures suite à une implosion de son cœur de fer (SN87A). Le feu d’artifice céleste était suffisamment puissant pour qu’il puisse être vu à l’œil nu, un phénomène rarissime qui n’avait pas été observé depuis la fameuse supernova de Kepler en 1604. Ceci marqua la naissance de l’astrophysique des neutrinos. Reconnaissons qu’au rythme au meilleur des cas de deux à trois Supernovae par siècle dans notre Galaxie, les postulants au titre d’ astronomes des neutrinos de SN ont tout le temps de voir leurs cheveux blanchir avant la prochaine détection!

C’est avec un détecteur de ce type situé précisément au Pôle Sud, appelé IceCube (Fig 8) que furent détectés en 2012 les premiers neutrinos astrophysiques. Le détecteur consiste en un milliard de mètres cubes de glace claire et immaculée de plusieurs kilomètres d’épaisseur sous la surface du pôle Sud et où  furent enfouis quelque 2000 modules optiques capables de détecter la pâle lumière Cerenkov signalant l’interaction de neutrinos cosmiques avec la glace. D’autres sont en construction, dont l’un en Méditerranée appelé KM3NeT lui aussi dans la catégorie du milliard de tonnes (Rappelez vous, avec la densité de l’eau qui est d’un, un mètre cube c’est une tonne). Vous ne serez pas surpris de savoir ce à quoi correspond l’acronyme : «The Cubic Kilometre Neutrino Telescope».

Contrairement aux rayons cosmiques, les neutrinos, insensibles à toute interaction de par leur masse quasiment nulle et leur neutralité électrique, révèlent la direction de leur source d’origine comme les photons le font si bien. Sauf que là, c’est de la source même qu’émanent les neutrinos et non de la dernière «couche» d’interaction comme l’est la surface du Soleil pour les photons. Ainsi, si la lumière solaire nous parvient 8mn après avoir quitté la surface du Soleil, ses photons ont été produits quelque 30.000 ans avant au cœur du Soleil, soit lors du dernier âge glaciaire sur Terre. Par contre, les neutrinos solaires qui atteignent nos détecteurs terrestres ont été émis il n’y a pas plus que 8mn et «deux secondes» du cœur même du Soleil. 

Il faut cependant avouer que l’astronomie des neutrinos est bien dans son enfance à présent avec seulement une poignée de neutrinos de sources astrophysiques lointaines détectées jusqu’à présent. On a de plus été incapable de les corréler en direction à des sources connues, et  le ciel en neutrinos est plutôt blême avec une distribution assez isotrope dans le ciel (Voir la Figure 9). La détection du premier neutrino pointant vers une source astrophysique a eu lieu en 2017 et correspondait à un blazar à quelques 3.7 milliards d’années-lumière de chez nous. L’aubaine serait bien sûr que se répète l’événement de la Supernova de 1987, et si possible dans notre Galaxie même, auquel cas cela serait des milliers voire des dizaines de milliers de neutrinos qui seraient vus par nos détecteurs, ces derniers étant tous en mode veille pour cet événement extraordinaire. Il ne faudrait cependant pas que cette explosion d’étoile ne se produise trop près de la Terre, auquel cas la grosse bouffée de neutrinos qui nous parviendrait serait accompagnée d’un déluge de rayonnements X et Gamma destructeur. 

Les détecteurs de neutrinos sont donc  de bons télescopes qui «pointent» vers la source, des télescopes assez spéciaux dont les performances se comptent en gigatonnes de matière fiduciaire (L’eau en général) et non en diamètre d’un miroir principal. L’astronomie des neutrinos porte en elle la promesse de voir les étoiles en plein jour… et dans toutes les directions! Elle complétera les autres astronomies en nous dévoilant certains secrets de l’Univers violent (très hautes énergies) et même peut-être celui primordial (très proche du Big Bang).

Fig 10: Le Soleil «photographié» en neutrinos. La résolution n’est pas fameuse. Encore faudrait-il se rappeler que cette photo du Soleil a été prise de nuit et en regardant vers le bas à travers la Terre! Qui dit mieux? (Super Kamiokande collaboration)

 

Entre temps pour un avant goût en toute sobriété des promesses de l’astrophysique des neutrinos, pourquoi ne pas méditer sur cette belle photo du Soleil en neutrinos (Figure 10)?

 

Réponse à Question et Questions sans Réponses (Attention spoilers)

Revenons à une question laissée de côté plus haut. Vous avez dû réaliser que la particule stable en trop dans la liste des particules stables était l’électron. En effet, malgré sa stabilité, il n’y a pas de branche astronomique qui lui est associée, une astronomie qui s’appellerait naturellement l’astronomie des électrons ou de leurs antiparticules les positrons. La raison, certains d’entre vous l’auront deviné, est liée au fait que l’électron a une charge et est donc dévié par tout champ magnétique. Mais cela ne peut-être qu’une partie de la réponse car les plus futés d’entre vous objecteront que cela est aussi le cas pour les protons. En fait, vu sa faible masse, son libre parcours moyen est limité et donc l’électron ne peut nous parvenir que de sources très proches pour lesquelles les distances parcourues sont minimes au regard des distances des objets célestes intéressants dans notre Galaxie et plus encore pour ceux au-delà. Elle ne peut donc constituer qu’une astronomie de proximité. Mais nous possédons d’autres moyens plus efficaces pour sonder ces environnements cosmiques immédiats, et cette astronomie potentielle n’apporterait quasiment aucune plus value. Notons que nous parlons bien sûr des électrons primaires.

Maintenant une autre question pour nos attentifs lecteurs. Pourquoi ne pas placer ces télescopes neutriniques en orbite en utilisant la «transparence» du milieu interstellaire comme on le fait en optique?

Dans la foulée, on pourrait bien s’interroger pourquoi n’y a t-il pas d’astronomie neutronique, une astronomie qui utiliserait comme messager le neutron. Le neutron est bien cet autre nucléon qui, avec son compagnon le proton, forme la matière nucléaire des noyaux stables. Il est très abondant dans le cosmos. C’est en fait la deuxième particule massive de matière ordinaire de par son abondance dans l’Univers après le proton et avant l’électron. Et de plus, près de la moitié de notre poids provient des neutrons des noyaux des atomes des molécules formant les tissus de notre corps. Mais là je pense que le lecteur averti aura sûrement trouvé la réponse de lui même. Dans le cas contraire, qu’il se creuse un peu les méninges… ou qu’il cherche sur Internet. La réponse commentée dans le prochain numéro. 

Pour les plus futés de nos lecteurs et ceux qui n’ont pas peur d’un peu d’arithmétique, pourraient-ils trouver quel est le pourcentage en masse des neutrons dans l’Univers? Et dans notre corps? Au-delà d’avoir à connaître la composition en éléments de l’Univers et de notre corps que vous trouverez facilement sur Internet, le reste est un calcul arithmétique tout simple ne nécessitant pas plus que l’utilisation (judicieuse) de la règle de trois.  

Jamal Mimouni – Univ. de Constantine 1, LPMPS, Constantine, Algérie

 

Le cycle nouveau est arrivé ! 

Le cycle nouveau est arrivé ! 

Le Soleil possède un cycle d’activité magnétique, modulé autour d‘une période de 11 ans. Par convention, ces cycles ont commencé à être numérotés à partir du milieu du 18 e siècle, le 1er cycle commençant en août 1755 et finissant en mars 1766. Récemment, le passage du 24 e vers le 25 e cycle a été acté, les données solaires montrant que le basculement s’est fait en décembre 2019. Nous allons ici donner un coup de projecteur sur les éléments ayant permis à la communauté scientifique de valider cette transition de cycle. De plus, celle-ci annonce qu’un nouveau maximum d’activité solaire devrait intervenir d’ici cinq ans, si les prévisions actuelles se vérifient.


Historiquement, tout au moins en Europe, c’est le célèbre savant italien Galilée qui a mis en évidence l’existence sur la surface du Soleil de taches sombres. Le suivi systématique de ces taches a alors commencé dans plusieurs observatoires et l’existence d’une modulation d’environ 11 ans fut mise en évidence par l’astronome allemand Henrich Schwabe au milieu du 19 e siècle, dans un article intitulé « Observations solaires durant 1843 ». Nous montrons sur la Figure 1 (panneau du haut), l’enregistrement des taches solaires depuis le début du 18 e siècle et la numérotation associée. La série montrée est la compilation méticuleuse de très nombreuses observations prises dans différents observatoires au cours des siècles sur des séries plus ou moins longues et fiables pour les plus anciennes et de manière plus systématique et coordonnée plus récemment. Elle a été remise à jour en 2015 par un groupe d’experts internationaux sous l’égide de l’Union Astronomique Internationale (IAU) et est librement accessible sur le site web de l’Observatoire Royal de Belgique (http://sidc.be/silso/home).

Nous remarquons, que le nombre de taches varie (oscille) en effet en moyenne sur 11 ans avec des cycles courts et d’autres plus longs. Nous notons aussi que certains cycles sont plus faibles que d’autres atteignant à peine 100 taches (cycles 5 et 6 par exemple) alors que d’autres comme le cycle 19, dépassent les 300 à son maximum vers 1960. Une analyse en transformée de Fourier révèle aussi qu’un autre cycle plus long existe. On peut en effet remarquer une modulation d’environ 90 à 100 ans sur l’amplitude des cycles, cette modulation s’appelle le cycle de Gleissberg.

Dès lors certaines questions deviennent inévitables : D’où viennent ces taches ? de quoi sont-elles faites ? pourquoi apparaissent elles de manière cyclique ?

Le lien entre ces taches sombres, appelées couramment taches solaires, et le magnétisme solaire n’a été réalisé qu’au début du 20 e siècle par l’astronome américain George Ellery Hale en 1908. Le même G.E. Hale, démontra en 1919 que le magnétisme du Soleil a changé de polarité d’un cycle à l’autre. Pour expliquer la nature magnétique des taches solaires, il faut donc que le Soleil lui-même soit magnétique. C’est effectivement le cas, le Soleil opère un mécanisme dit de dynamo fluide, qui convertit l’énergie mécanique de son enveloppe externe convective en énergie magnétique. Il s’avère que ce mécanisme induit un champ magnétique et un courant électrique associé, cycliques. Ces taches sont faites de plasma fortement magnétisé, et elles apparaissent sombres, étant moins chaudes que la convection (granulation) de surface les environnant (environ 1500 K d’écart) car le champ magnétique inhibe la convection et en modifie les propriétés thermodynamiques locales.

En enregistrant l’apparition de ces taches et en suivant l’évolution spatio-temporelle au fur et à mesure des rotations du Soleil sur lui-même (environ en 28 jours), il est possible d’établir une image précise du cycle solaire sur des périodes s’étalant sur des décennies voire des siècles et d’en caractériser les propriétés fines.

Panneau du haut : Nombre de taches solaires observées depuis le milieu du 18 e siècle. On remarque clairement la répétition des cycles d’une durée moyenne de 11 ans et leur numérotation. En bleu-gris nous représentons la moyenne glissante de 13 mois. C’est celle-ci qui détermine le début et la fin de chaque cycle. Nous représentons aussi en orange la même série mais avec une moyenne mensuelle, celle-ci montrant la variabilité autour du cycle de 11 ans (données SILSO/ROB). La zone légèrement bleutée à partir de 1975 couvre la même durée que le diagramme « papillon » représenté sur la panneau en bas à gauche. Ce diagramme représente la moyenne longitudinale des cartes synoptiques créées pour chaque rotation de Carrington (données Mount Wilcox/GONG/SOLIS). L’amplitude de la composante radiale du champ magnétique et sa polarité sont représentées en fonction du temps et de la latitude sur la surface du Soleil. On remarque la forme caractéristique de l’apparition des taches de plus en plus concentrées vers l’équateur au cours du cycle de 11 ans, ainsi qu’une branche polaire, avec inversion de polarités aux pôles au maximum de chaque cycle. Sur le panneau en bas à droite, on montre un zoom sur le cycle 24 du nombre de taches solaires (même code couleurs que sur la panneau du haut). En 2020 en particulier on remarque le tout début de la remontée du nombre de taches solaires, aussi bien sur la moyenne glissante sur 13 mois (courbe bleue-grise) que sur l’enregistrement mensuel (courbe orange) (données SIDC/SILSO).

 

Sur la Figure 1 (panneau du bas à gauche), on représente le diagramme dit « papillon » du magnétisme solaire, à cause de sa forme caractéristique en forme d’ailes. Celui-ci est constitué à partir de magnétogrammes, des enregistrements du magnétisme de surface du Soleil (voir fig. 2). En suivant la rotation du Soleil, on peut créer des images représentant l’activité magnétique du Soleil du nord au sud sur environ 28 jours (rotation dite de Carrington) et 360° de longitude[1]. Ces images, dites cartes synoptiques, peuvent ensuite être moyennées en longitude et former une bande en fonction de la latitude solaire par rotation (ici à partir de 1975 en utilisant les données sol du Mont Wilcox et du réseau GONG). En mettant ces bandes à la suite les unes après les autres, on commence à former une « fresque » temporelle du magnétisme solaire. On remarque alors la succession des cycles (ici sont représentés les quatre derniers cycles de 21 à 24), la propagation de l’apparition des taches, des moyennes latitudes vers l’équateur solaire et l’inversion de l’ordre des polarités des bipôles formés par les taches d’un cycle à l’autre.

 

Nous représentons 2 magnétogrammes de la surface du Soleil pris à différentes dates par l’instrument HMI à bord du satellite Solar Dynamical Observatory (SDO). À gauche, durant le maximum du cycle 24, en aout  2014 et à droite en juin 2020, lors du début du cycle 25 (données NASA/SDO- site solarmonitor.org). On remarque que durant le maximum d’activité il y a beaucoup plus de taches à la surface. On note aussi que l’ordre des polarités (noire négative, blanche positive) est inversé entre les hémisphères nord et sud. Encore plus surprenant, cet ordre des polarités s’inverse dans chaque hémisphère entre 2014 et 2020. En 2014, dans l’hémisphère nord la polarité plus (+) est derrière la polarité moins (-), alors qu’en 2020, elle est devant. Ceci prouve qu’en 2020, se sont des taches du nouveau cycle 25 qui apparaissent.

 

Pour acter la transition d’un cycle solaire, ici du cycle 24 au cycle 25, il faut donc plusieurs éléments. Tout d’abord il faut que la moyenne glissante sur 13 mois du nombre de taches solaires passe par un minimum. On voit Figure 1 (panneau bas à droite), que c’est le cas à partir de janvier 2020, on remarque la légère remontée de la courbe. On en déduit donc que le minimum a été atteint en décembre 2019. Ceci est confirmé quand on regarde sur la Figure 2, la polarité des bipôles magnétiques associés au taches solaires grâce à des magnétogrammes. On remarque que la succession des polarités des bipôles entre 2014 et 2020 a changé de signe dans les deux hémisphères. Par exemple, les bipôles magnétiques dans l’hémisphère nord étaient dans une configuration +/- (blanche/noire) en 2014 et -/+ (noire/blanche) en 2020. De plus on note qu’en 2014 les taches en plein maximum d’activité solaire (soit 5 ans après le début du cycle 24), sont plus proches de l’équateur que les taches observées en 2020, confirmant selon la progression du cycle (début vs fin), la migration plus ou moins forte vers les basses latitudes des taches. Une dernière confirmation vient du nombre de taches d’une polarité vs celle du cycle « précédent ». Sur la Figure 3, nous montrons comment la transition entre les cycles 24 et 25 sur les années 2018 à 2020 s’est opérée. Il est maintenant clair que la polarité des taches associées au cycle 25 (-/+ dans l’hémisphère nord) domine dans la plupart des bipôles observés en 2020. Il est normal d’avoir un léger chevauchement entre les deux cycles (l’un finissant, l’autre commençant) et donc parfois un mélange de l’ordre des polarités comme en janvier 2020, mais cela ne dure pas.

Pour conclure, la durée du cycle 24 aura donc été précisément 11 ans, de décembre 2008 à décembre 2019. Par comparaison la durée du cycle précédent (23) avait été de 12 ans et 3 mois. On note aussi que le cycle 24 a été plus faible que les 3 cycles précédents. Il est vraisemblable que nous soyons à la fin du cycle de Gleissberg commencé au 20eme siècle, et dont le maximum se trouvait autour du cycle 19. En comparaison au cycle 19, le cycle 24 est près de 2,5 fois plus faible. Les prévisions actuelles donnent un cycle 25 aussi faible que le cycle 24, un peu comme la succession des cycles 5 et 6 (dits minimum de Dalton). Il sera intéressant de vérifier cela dans quelques années, le prochain maximum étant prévu à ce jour en 2025. 

 

Nombre de groupe de taches solaires associé aux deux cycles 24 et 25, lors de la transition entre les deux vers fin 2019. Comme nous l’avons vu sur la figure 2, grâce aux magnétogrammes on connaît la polarité des taches solaires. Il est alors aisé de leur associer le bon cycle. On voit qu’à partir de décembre 2019, les taches de polarité du cycle nouveau (25) sont plus nombreuses. Leur position sur le disque peut aussi aider à la classer. Généralement à la fin du cycle, les taches sont proches de l’équateur (voir la figure 1 et la forme du diagramme papillon), alors qu’en début de cycle elles sont à moyennes latitudes vers 35-45 degrés (SIDC/SILSO).

 

Dr. Allan Sacha Brun, CEA Paris-Saclay/AIM

[1] rappelons ici que nous ne voyons qu’une face du Soleil à chaque instant depuis la Terre ; le satellite Solar Orbiter (SolO) lancé en février 2020 nous permettra d’y remédier en étendant la couverture longitudinale avec une vue complémentaire à celle de la ligne de visée Terre-Soleil (https://www.cosmos.esa.int/web/solar-orbiter/where-is-solar-orbiter).

 

Quelques sites supplémentaires pour voir des observations du Soleil :

http://bass2000.obspm.fr/home.php

https://nso.edu/data/solis-data/

http://solarmonitor.org

https://helioviewer.org

 

Trop de poussière dans la Galaxie

Trop de poussière dans la Galaxie

Notre Voie Lactée laissant apparaitre des milliards d’étoiles mais pas que.

La Voie lactée : la plus grande galaxie de notre groupe local de la Vierge abrite une quantité inimaginable d’étoiles. On compte plus d’étoiles dans la Galaxie que de grains de sable sur l’ensemble des plages du globe. Les plus chanceux d’entre vous se sont peut-être déjà aperçu que les étoiles n’étaient pas les seuls constituants de notre belle Galaxie. Si les étoiles fournissent le rayonnement lumineux nécessaire à la vie sur Terre, un autre composant tout aussi essentiel constitue une bonne partie de la masse de notre Galaxie : la poussière.

La poussière: brique de la vie

Pour les astronomes, la poussière est quelque peu différente des agrégats moutonneux que l’on trouve sous nos armoires. La poussière interstellaire est constituée d’atomes, suffisamment nombreux pour former de petits grains mesurant quelques dixièmes de microns (> 0,1 µm). En comparaison, le diamètre d’un cheveu en mesure quelques dizaines (> 10 µm). C’est cette poussière qui donne l’aspect cotonneux à notre Galaxie observée depuis la Terre, et qui cache une partie des étoiles à nos yeux (fig. 1). Cette matière constitue la matrice idéale pour former les nouvelles générations d’étoiles et de planètes. En effet, les propriétés physico-chimique de ces grains en font de parfaits capteurs de rayonnement énergétique (visible et ultra-violet). Les grains de poussières chauffés par le rayonnement stellaire ont pour effet de refroidir le milieu environnant et de réémettre un rayonnement de plus faible énergie, l’infrarouge, qui est donc le domaine de longueur d’onde privilégié pour étudier leurs propriétés. En plus de fournir la matière qui formera les futures étoiles, la poussière constitue également les briques qui formeront plus tard les planètes, et tout ce qui s’y trouve (nous y compris). Oui, chaque atome a d’abord été forgé au cœur des étoiles, puis exposé au froid interstellaire sous forme de poussière avant de constituer les os de notre corps, l’air que l’on respire ou les composants de nos ordinateurs.

Nébuleuse du cône. Des étoiles naissantes sont visibles au sommet de l‘édifice de poussière. (HST/NASA)

Dans la Galaxie, la poussière  peut se trouver au sein de différentes objets astronomiques :

  • Les nuages moléculaires géants (La Nébuleuse de l’Aigle, ou d’Orion en sont de parfait exemples), là où naissent les étoiles (i.e.: les pouponnière d’étoiles, fig. 2),
  • Les disques de matière autour des étoiles nouvellement formées, restes de leur cocon originel et berceaux des futures systèmes planétaires,
  • Les nébuleuses planétaires comme la Lyre ou le Chat, vestige d’une fin de vie stellaire calme et sans sursaut,
  • Et enfin, autour des étoiles productrices de poussière.

Un excédent de poussière (galactique)

Jusqu’à aujourd’hui, on avait une idée assez claire concernant les protagonistes à l’origine des poussières observées dans les galaxies. La majorité de celle-ci se formerait autour des phases évoluées des étoiles de faible masse (i.e. de masse inférieure à huit fois la masse du Soleil). Après avoir brûlé son matériel nucléaire pendant des milliards d’années, l’étoile présente une phase instable, nommée Branche Asymptotique des Géantes (ou AGB). Ces étoiles pulsent, et cette pulsation entraîne du gaz au delà de la surface de l’étoile. La pulsation crée aussi des chocs, créant des zone de gaz denses et froid, car loin de l’étoile. Ce gaz se solidifie alors en poussière.  Cette poussière va absorber le rayonnement de l’étoile et être éjectée, entraînant avec elle le gaz de l’étoile, enrichissant ainsi le milieu interstellaire en az et poussière. Le deuxième mécanisme majeur surviendrait lors de l’explosion en supernovæ d’étoiles très massives, (au moins 8 fois plus lourdes que le Soleil). La matière éjectée lors de cette explosion pourrait alors condenser, s’agréger et former des grains de poussières. Des études récentes menées par la professeure Martha Boyer de l’Université Hopkins à Baltimore sur les Nuages de Magellan (galaxies satellites de la Voie lactée) ont montré que ces mécanismes ne pouvaient expliquer à eux seuls la quantité de poussières observées dans ces galaxies : il y a trop de poussière.

La nébuleuse spirale WR104 imagée en infrarouge grâce à l’instrument SPHERE du télescope européen VLT.

Des étoiles monstrueuses à la rescousse

Parmi les pistes évoquées pour expliquer l’excès de poussière galactique, figurent les étoiles massives évoluées, ultime étape de leur combustion thermonucléaire : les étoiles Wolf-Rayet (WR). Parmi les milliards d’étoiles présentes dans les galaxies, 1 sur 50 000 dispose d’une masse suffisante pour déclencher une phase Wolf-Rayet. Cette phase ne durant que quelques centaines de milliers d’années, elles sont extrêmement rares mais suscitent un intérêt renouvelé de par leurs caractéristiques particulières. Ces étoiles, nommées en l’honneur des astronomes français Charles Wolf et Georges Rayet, se caractérisent par une très grande instabilité et une luminosité hors normes. Cette grande luminosité (plus de 200 000 fois plus grande que celle du Soleil) génère une perte de masse importante sous forme de vent stellaire dense et rapide (se propageant à plus de 4 millions de km/h) : un phénomène similaire dans sa nomenclature au vent produit par le Soleil à l’origine des aurores boréales et australes, mais beaucoup plus important, au point d’occulter l’étoile elle-même. Ce type d’étoile étant souvent en couple (les stars n’aiment pas la solitude, c’est bien connu), l’interaction de ce vent avec un compagnon serait à l’origine d’une production de poussière sans commune mesure dans la Galaxie.

Vue d’artiste de la zone de collision de vent (en violet) donnant naissance à la poussière (en rouge). (Gemini Observatory)

En 2018, une étude menée par l’équipe du Dr. Anthony Soulain, chercheur à l’Université de Sydney, a révélé l’étrange système présent autour d’une de ces étoiles Wolf-Rayet nommé WR104 dans la constellation du Sagittaire. Au moyen de l’instrument SPHERE installé sur le très grand télescope (VLT) européen de huit mètres au Chili, l’équipe a montré que ce système pouvait produire une quantité de poussière équivalent à deux fois la masse de la planète Mars chaque année. En comparaison, cela représente la quantité de poussière produite par l’ensemble des étoiles AGB du Petit Nuage de Magellan (plusieurs milliers d’objets). Les images de très hautes précisions montrent un environnement de poussière en forme de spirale, faisant quasiment face à la Terre (fig. 3). Ce quasi alignement a d’ailleurs valu son nom d’étoile de la mort à WR104. En effet, ce type d’étoile finira par exploser en supernova, qui pourrait s’accompagner d’un jet de matière énergétique se propageant vers la Terre. Heureusement, les quelques degrés de décalage qui existent avec ce système nous mettent hors de danger. L’aspect spiral de cette nébuleuse est attribué à une production de poussière continue, associée à un mouvement orbital circulaire. Plus précisément, c’est le choc d’interaction des vents des 2 étoiles constituant le système de WR104 (une étoile WR riche en carbone (type WC) et une étoile massive (type O)), qui générerait les conditions propices à la création des grains de poussière (fig. 4). On peut aisément faire une analogie avec les systèmes d’arrosage de nos jardins, où la turbine en rotation va éjecter l’eau pour former une spirale (vue du dessus). En termes d’échelle, le gigantisme de la structure spirale observée est difficilement concevable car l’ensemble de notre Système solaire tiendrait dans la partie centrale la plus brillante de l’image. On connaît aujourd’hui près de 700 étoiles Wolf-Rayet dans notre Galaxie (666 pour être exact, drôle de coïncidence pour des étoiles monstrueuses). Si une seule de ces étoiles est capable de produire autant de poussière, à l’instar de WR104, cette population stellaire pourrait rivaliser avec les étoiles de plus faible masses (AGB) et les supernovas. Plusieurs études sont actuellement menées sur ce type d’étoiles afin de déterminer précisément leur taux de production de poussière. L’équipe du Dr. Ryan Lau, de l’Université de Tokyo, ont étudié le spectre infrarouge de plusieurs dizaines de WR révélant des taux de production extrêmement élevés. Si ces études se confirment, les étoiles WR seraient alors les producteurs de poussière les plus efficaces de la Galaxie. En parallèle des observations, plusieurs équipes de par le monde tentent d’expliquer la physique à l’œuvre dans ces systèmes au moyen de modèles numériques sophistiqués.

Les chercheurs Anthony Soulain et Astrid Lamberts, de l’Observatoire de la Côte d’Azur, ont permis de faire le lien entre la composition chimique de l’environnement de ces étoiles et les caractéristiques géométriques des spirales qui en résultent. Grâce à ces études, il est possible d’étudier directement les mécanismes de formation des grains de poussière grâce aux images obtenues depuis le sol et bientôt dans l’espace. En effet, les étoiles Wolf-Rayet constituent une des nombreuses cibles prometteuses qu’observera le télescope spatial JWST, remplaçant de Hubble, et permettra de mieux appréhender ces monstres stellaires.

 

Anthony Soulain – Sydney Institute for Astronomy (SIfA), université de Sydney, CNRS

 

 

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