LE MAGAZINE DES SCIENCES DE L’UNIVERS EN AFRIQUE

Le Soleil possède un cycle d’activité magnétique, modulé autour d‘une période de 11 ans. Par convention, ces cycles ont commencé à être numérotés à partir du milieu du 18 e siècle, le 1er cycle commençant en août 1755 et finissant en mars 1766. Récemment, le passage du 24 e vers le 25 e cycle a été acté, les données solaires montrant que le basculement s’est fait en décembre 2019. Nous allons ici donner un coup de projecteur sur les éléments ayant permis à la communauté scientifique de valider cette transition de cycle. De plus, celle-ci annonce qu’un nouveau maximum d’activité solaire devrait intervenir d’ici cinq ans, si les prévisions actuelles se vérifient.


Historiquement, tout au moins en Europe, c’est le célèbre savant italien Galilée qui a mis en évidence l’existence sur la surface du Soleil de taches sombres. Le suivi systématique de ces taches a alors commencé dans plusieurs observatoires et l’existence d’une modulation d’environ 11 ans fut mise en évidence par l’astronome allemand Henrich Schwabe au milieu du 19 e siècle, dans un article intitulé « Observations solaires durant 1843 ». Nous montrons sur la Figure 1 (panneau du haut), l’enregistrement des taches solaires depuis le début du 18 e siècle et la numérotation associée. La série montrée est la compilation méticuleuse de très nombreuses observations prises dans différents observatoires au cours des siècles sur des séries plus ou moins longues et fiables pour les plus anciennes et de manière plus systématique et coordonnée plus récemment. Elle a été remise à jour en 2015 par un groupe d’experts internationaux sous l’égide de l’Union Astronomique Internationale (IAU) et est librement accessible sur le site web de l’Observatoire Royal de Belgique (http://sidc.be/silso/home).

Nous remarquons, que le nombre de taches varie (oscille) en effet en moyenne sur 11 ans avec des cycles courts et d’autres plus longs. Nous notons aussi que certains cycles sont plus faibles que d’autres atteignant à peine 100 taches (cycles 5 et 6 par exemple) alors que d’autres comme le cycle 19, dépassent les 300 à son maximum vers 1960. Une analyse en transformée de Fourier révèle aussi qu’un autre cycle plus long existe. On peut en effet remarquer une modulation d’environ 90 à 100 ans sur l’amplitude des cycles, cette modulation s’appelle le cycle de Gleissberg.

Dès lors certaines questions deviennent inévitables : D’où viennent ces taches ? de quoi sont-elles faites ? pourquoi apparaissent elles de manière cyclique ?

Le lien entre ces taches sombres, appelées couramment taches solaires, et le magnétisme solaire n’a été réalisé qu’au début du 20 e siècle par l’astronome américain George Ellery Hale en 1908. Le même G.E. Hale, démontra en 1919 que le magnétisme du Soleil a changé de polarité d’un cycle à l’autre. Pour expliquer la nature magnétique des taches solaires, il faut donc que le Soleil lui-même soit magnétique. C’est effectivement le cas, le Soleil opère un mécanisme dit de dynamo fluide, qui convertit l’énergie mécanique de son enveloppe externe convective en énergie magnétique. Il s’avère que ce mécanisme induit un champ magnétique et un courant électrique associé, cycliques. Ces taches sont faites de plasma fortement magnétisé, et elles apparaissent sombres, étant moins chaudes que la convection (granulation) de surface les environnant (environ 1500 K d’écart) car le champ magnétique inhibe la convection et en modifie les propriétés thermodynamiques locales.

En enregistrant l’apparition de ces taches et en suivant l’évolution spatio-temporelle au fur et à mesure des rotations du Soleil sur lui-même (environ en 28 jours), il est possible d’établir une image précise du cycle solaire sur des périodes s’étalant sur des décennies voire des siècles et d’en caractériser les propriétés fines.

Panneau du haut : Nombre de taches solaires observées depuis le milieu du 18 e siècle. On remarque clairement la répétition des cycles d’une durée moyenne de 11 ans et leur numérotation. En bleu-gris nous représentons la moyenne glissante de 13 mois. C’est celle-ci qui détermine le début et la fin de chaque cycle. Nous représentons aussi en orange la même série mais avec une moyenne mensuelle, celle-ci montrant la variabilité autour du cycle de 11 ans (données SILSO/ROB). La zone légèrement bleutée à partir de 1975 couvre la même durée que le diagramme « papillon » représenté sur la panneau en bas à gauche. Ce diagramme représente la moyenne longitudinale des cartes synoptiques créées pour chaque rotation de Carrington (données Mount Wilcox/GONG/SOLIS). L’amplitude de la composante radiale du champ magnétique et sa polarité sont représentées en fonction du temps et de la latitude sur la surface du Soleil. On remarque la forme caractéristique de l’apparition des taches de plus en plus concentrées vers l’équateur au cours du cycle de 11 ans, ainsi qu’une branche polaire, avec inversion de polarités aux pôles au maximum de chaque cycle. Sur le panneau en bas à droite, on montre un zoom sur le cycle 24 du nombre de taches solaires (même code couleurs que sur la panneau du haut). En 2020 en particulier on remarque le tout début de la remontée du nombre de taches solaires, aussi bien sur la moyenne glissante sur 13 mois (courbe bleue-grise) que sur l’enregistrement mensuel (courbe orange) (données SIDC/SILSO).

 

Sur la Figure 1 (panneau du bas à gauche), on représente le diagramme dit « papillon » du magnétisme solaire, à cause de sa forme caractéristique en forme d’ailes. Celui-ci est constitué à partir de magnétogrammes, des enregistrements du magnétisme de surface du Soleil (voir fig. 2). En suivant la rotation du Soleil, on peut créer des images représentant l’activité magnétique du Soleil du nord au sud sur environ 28 jours (rotation dite de Carrington) et 360° de longitude[1]. Ces images, dites cartes synoptiques, peuvent ensuite être moyennées en longitude et former une bande en fonction de la latitude solaire par rotation (ici à partir de 1975 en utilisant les données sol du Mont Wilcox et du réseau GONG). En mettant ces bandes à la suite les unes après les autres, on commence à former une « fresque » temporelle du magnétisme solaire. On remarque alors la succession des cycles (ici sont représentés les quatre derniers cycles de 21 à 24), la propagation de l’apparition des taches, des moyennes latitudes vers l’équateur solaire et l’inversion de l’ordre des polarités des bipôles formés par les taches d’un cycle à l’autre.

 

Nous représentons 2 magnétogrammes de la surface du Soleil pris à différentes dates par l’instrument HMI à bord du satellite Solar Dynamical Observatory (SDO). À gauche, durant le maximum du cycle 24, en aout  2014 et à droite en juin 2020, lors du début du cycle 25 (données NASA/SDO- site solarmonitor.org). On remarque que durant le maximum d’activité il y a beaucoup plus de taches à la surface. On note aussi que l’ordre des polarités (noire négative, blanche positive) est inversé entre les hémisphères nord et sud. Encore plus surprenant, cet ordre des polarités s’inverse dans chaque hémisphère entre 2014 et 2020. En 2014, dans l’hémisphère nord la polarité plus (+) est derrière la polarité moins (-), alors qu’en 2020, elle est devant. Ceci prouve qu’en 2020, se sont des taches du nouveau cycle 25 qui apparaissent.

 

Pour acter la transition d’un cycle solaire, ici du cycle 24 au cycle 25, il faut donc plusieurs éléments. Tout d’abord il faut que la moyenne glissante sur 13 mois du nombre de taches solaires passe par un minimum. On voit Figure 1 (panneau bas à droite), que c’est le cas à partir de janvier 2020, on remarque la légère remontée de la courbe. On en déduit donc que le minimum a été atteint en décembre 2019. Ceci est confirmé quand on regarde sur la Figure 2, la polarité des bipôles magnétiques associés au taches solaires grâce à des magnétogrammes. On remarque que la succession des polarités des bipôles entre 2014 et 2020 a changé de signe dans les deux hémisphères. Par exemple, les bipôles magnétiques dans l’hémisphère nord étaient dans une configuration +/- (blanche/noire) en 2014 et -/+ (noire/blanche) en 2020. De plus on note qu’en 2014 les taches en plein maximum d’activité solaire (soit 5 ans après le début du cycle 24), sont plus proches de l’équateur que les taches observées en 2020, confirmant selon la progression du cycle (début vs fin), la migration plus ou moins forte vers les basses latitudes des taches. Une dernière confirmation vient du nombre de taches d’une polarité vs celle du cycle « précédent ». Sur la Figure 3, nous montrons comment la transition entre les cycles 24 et 25 sur les années 2018 à 2020 s’est opérée. Il est maintenant clair que la polarité des taches associées au cycle 25 (-/+ dans l’hémisphère nord) domine dans la plupart des bipôles observés en 2020. Il est normal d’avoir un léger chevauchement entre les deux cycles (l’un finissant, l’autre commençant) et donc parfois un mélange de l’ordre des polarités comme en janvier 2020, mais cela ne dure pas.

Pour conclure, la durée du cycle 24 aura donc été précisément 11 ans, de décembre 2008 à décembre 2019. Par comparaison la durée du cycle précédent (23) avait été de 12 ans et 3 mois. On note aussi que le cycle 24 a été plus faible que les 3 cycles précédents. Il est vraisemblable que nous soyons à la fin du cycle de Gleissberg commencé au 20eme siècle, et dont le maximum se trouvait autour du cycle 19. En comparaison au cycle 19, le cycle 24 est près de 2,5 fois plus faible. Les prévisions actuelles donnent un cycle 25 aussi faible que le cycle 24, un peu comme la succession des cycles 5 et 6 (dits minimum de Dalton). Il sera intéressant de vérifier cela dans quelques années, le prochain maximum étant prévu à ce jour en 2025. 

 

Nombre de groupe de taches solaires associé aux deux cycles 24 et 25, lors de la transition entre les deux vers fin 2019. Comme nous l’avons vu sur la figure 2, grâce aux magnétogrammes on connaît la polarité des taches solaires. Il est alors aisé de leur associer le bon cycle. On voit qu’à partir de décembre 2019, les taches de polarité du cycle nouveau (25) sont plus nombreuses. Leur position sur le disque peut aussi aider à la classer. Généralement à la fin du cycle, les taches sont proches de l’équateur (voir la figure 1 et la forme du diagramme papillon), alors qu’en début de cycle elles sont à moyennes latitudes vers 35-45 degrés (SIDC/SILSO).

 

Dr. Allan Sacha Brun, CEA Paris-Saclay/AIM

[1] rappelons ici que nous ne voyons qu’une face du Soleil à chaque instant depuis la Terre ; le satellite Solar Orbiter (SolO) lancé en février 2020 nous permettra d’y remédier en étendant la couverture longitudinale avec une vue complémentaire à celle de la ligne de visée Terre-Soleil (https://www.cosmos.esa.int/web/solar-orbiter/where-is-solar-orbiter).

 

Quelques sites supplémentaires pour voir des observations du Soleil :

http://bass2000.obspm.fr/home.php

https://nso.edu/data/solis-data/

http://solarmonitor.org

https://helioviewer.org

 

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