par Sylvain Bouley | Avr 11, 2024 | Zoom Sur
L’activité solaire passe d’une phase calme à une phase active, et ainsi de suite, et ce cycle dure environ onze ans. Les événements les plus spectaculaires ont généralement lieu autour du maximum d’activité solaire. L’observation du Soleil lors de sa période calme – comme actuellement – apporte cependant des informations cruciales sur les propriétés de notre étoile.

Par sa proximité, le Soleil nous permet d’étudier en détail les processus magnétiques et dynamiques sur des échelles spatiales et temporelles impossibles à reproduire en laboratoire. Le Soleil possède un cycle d’activité de 11 ans (voir l’Astronomie no 143, novembre 2020, p. 18), caractérisé par une alternance de périodes calmes (sans structure remarquable) et de périodes actives avec le développement de régions magnétiques telles que les taches*, les facules* et les filaments* (fig. 1). Les minima solaires sont plus ou moins marqués et plus ou moins longs (quelques années). La descente vers le minimum est douce (7 ans), tandis que la remontée est plus rapide (4 ans). Le dernier minimum date de fin 2019-début 2020 ; le prochain maximum est attendu autour de 2024-2025. Les minima favorisent l’observation du Soleil calme, c’est-à-dire des zones non perturbées par la présence de régions actives et de filaments ; le champ magnétique général du Soleil ressemble alors à celui d’un aimant. Ces périodes sont propices à l’observation des phénomènes qui couvrent globalement la surface, comme la granulation*, le réseau magnétique* associé à la supergranulation*, ou encore les micro-boucles et micro-éruptions identifiées récemment par la sonde Solar Orbiter (voir l’Astronomie no 142, octobre 2020, p. 18). Nous allons ici présenter un « focus » sur les différentes échelles du Soleil calme et sur le réseau magnétique.

1. structure du soleil (échelle non respectée). on observe la photosphère du soleil et les couches plus externes, mais l’intérieur de l’étoile ne peut être observé directement (© OP)
La granulation
La granulation (initialement appelée « grains de riz » par les premiers observateurs, fig. 2) est une structure qui constitue la signature de la zone convective sous-jacente du Soleil, inaccessible à l’observation (fig. 1). La granulation est uniformément répartie sur la photosphère, la surface visible (une fine couche de 500 km d’épaisseur en regard des 696 000 km du rayon de l’étoile). Il s’agit de petites cellules convectives, d’une taille moyenne de 1 000 km (la France), à l’intérieur desquelles la matière monte à la vitesse de 0,5 km/s à 1 km/s, modulée par des oscillations de cinq minutes. Les bords des cellules sont plus sombres, car plus froids (température de 5 500 K au lieu de 5 800 K), la matière y descend ; on appelle ces espaces « intergranules ». Il y a environ 10 millions de granules sur la surface du Soleil. Elle est donc en perpétuel renouvellement, puisque la durée de vie de chaque granule est seulement de 10 minutes. Cette évolution se révèle au télescope (si son pouvoir séparateur est meilleur que 1 seconde d’arc ou 730 km) sous la forme d’un « bouillonnement » lent et permanent. Un granule qui disparaît est remplacé par un autre ; certains explosent et se fragmentent en plusieurs granules.
La granulation apparaît dans le rayonnement continu visible, de manière plus contrastée vers le bleu du spectre. Elle s’évanouit dans les cœurs de raies, qui sont formés au-dessus, dans la haute photosphère ou la chromosphère.
La granulation semble évoluer légèrement avec le cycle solaire. En effet, les granules, dont la surface varie de 2 %, montrent une variation inverse de leur nombre. Cette double variation engendre peut-être une fluctuation de luminosité résiduelle, mais elle est indécelable car négligeable devant la variation d’irradiance* produite au cours du cycle par le jeu des taches et des facules.

2. Granulation vue par le télescope spatial Hinode (instrument sot/BFi) dans la bande de la molécule Cn (388 nm). La taille du champ est de 84 000 km× 44 000 km (le cercle rouge a la taille de la terre). Des points brillants apparaissent dans les espaces sombres intergranulaires : ce sont des tubes magnétiques* intenses, mais non résolus. (Hinode/JAXA/NASA/ESA)

3. Granulation et pore* dessinés par le père Angelo secchi, 1875.

4. L’une des premières observations photographiques de la granulation (1885) par Janssen à meudon. (OP)
Premières observations de la granulation
Le père Angelo Secchi (1818-1878), dans son ouvrage Le Soleil, paru en 1875, publie un dessin de la granulation (fig. 3) faisant référence aux observations antérieures de James Nasmyth (1861). Cependant, la granulation aurait été remarquée à la même époque par d’autres astronomes et même aperçue dès 1769 lors d’un transit de Vénus observé par des Mexicains. L’une des premières collections photographiques de la granulation (fig. 4) remonte à la fondation de l’observatoire de Meudon (1876), lorsque Jules Janssen (1824-1907) organise le service d’imagerie de la surface solaire, avant de se lancer plus tard dans la spectroscopie avec Henri Deslandres (voir l’Astronomie no 143, novembre 2020, p. 38). Au XXe siècle, la création de la lunette tourelle du Pic du Midi (1959) par Jean Rösch (1915-1999) a permis aux chercheurs français d’être en avance pendant trente ans.

5. themis à l’observatoire du teide, 2370 m d’altitude. (© J.-M. Malherbe, OP)
Comment observe-t-on la granulation au XXIe siècle ?
Dès 2006, le télescope spatial Hinode (Jaxa/Nasa) a révolutionné l’observation de la granulation grâce à son pouvoir séparateur inédit et constant de 150 km dans le violet, fournissant de très longues séquences homogènes (de 24 à 48 heures) impossibles à obtenir au sol. Auparavant, cette résolution n’avait pu être atteinte que rarement, sur de courtes durées, à la lunette tourelle du Pic du Midi, à la tour solaire de Sacramento Peak (É.-U.), au télescope suédois de 1 m à La Palma (Canaries). Le télescope de 1,60 m de l’observatoire solaire de Big Bear (É.-U.) descend à 80 km grâce à l’optique adaptative*. D’autres instruments au sol sont devenus capables d’égaler Hinode grâce à des techniques logicielles novatrices. Par exemple, le télescope Themis du CNRS à Tenerife (Canaries, fig. 5) fournit depuis 2019 de bonnes images en utilisant des algorithmes de restauration ; ceux-ci sont appliqués à des rafales acquises à 30 images/s (fig. 6) grâce à la nouvelle génération de caméras SCMOS et aux temps de pose brefs (moins de 1 milliseconde) qui figent la turbulence.

6. Granulation observée par themis en 2019 à 650 nm de longueur d’onde après restauration numérique d’une rafale de 100 images. Champ de 43000 km × 43000 km. Le cercle rouge a la taille de la terre. (Themis/Insu-CNRS)
Les simulations numériques 3D sur supercalculateurs viennent en complément ; elles sont précieuses pour comprendre les mécanismes physiques, car elles permettent de confronter les observations à la théorie. La figure 7 présente un résultat basé sur la résolution numérique des équations de la magnétohydrodynamique (MHD) qui combine l’hydrodynamique (évolution des densités de matière et des mouvements), l’électromagnétisme (champs magnétiques) et le transfert du rayonnement dans un espace à trois dimensions. On arrive aujourd’hui à reproduire correctement beaucoup d’observations, mais aussi à effectuer des prédictions que l’on teste par de nouvelles observations, qui à leur tour enrichissent les modèles. Les progrès dépendent du maillage de calcul, donc de la puissance des ordinateurs.

7. résultat de simulation numérique des mouvements et champs magnétiques du soleil calme. La matière montante (granules) est en bleu, celle qui descend (intergranules), en rouge. La simulation confirme que les champs magnétiques (en jaune) apparaissent dans les intergranules. Champ 86 000 km × 48 000 km. résolution 48 km. Le cercle vert a la taille de la terre. (R. Stein, MSU)
La supergranulation
La résolution du satellite Solar Dynamics Observatory (SDO), mis en service en 2010, est modeste (1 seconde, soit 730 km), mais ce satellite a l’avantage d’observer le disque solaire en totalité avec un pas temporel de 45 s. L’imageur magnétique héliosismique (HMI) enregistre la raie du fer neutre Fe I à 617,3 nm avec six points spectraux dans plusieurs états de polarisation, ce qui lui permet de dévoiler le réseau magnétique de la photosphère (fig. 8). Ce réseau est formé de cellules plus ou moins fermées aux frontières desquelles se concentre le champ magnétique. La taille de ces cellules est 30 fois plus grande que la granulation (30 000 km). Elles se nomment « supergranules » et sont visibles depuis longtemps sur les images du Soleil dans la raie K du calcium ionisé Ca II (spectrohéliogrammes de Meudon à 393,4 nm de longueur d’onde, voir http://bass2000.obspm.fr). Cependant, leur nature est mal comprise. La supergranulation est évolutive, sa durée de vie est d’un à deux jours ; elle change donc cent fois plus lentement que la granulation.
L’instrument HMI permet d’évaluer les mouvements horizontaux de surface. La figure 9 dévoile l’amplitude moyenne de ces mouvements intégrés pendant 6 heures. On y distingue des cellules en anneau, d’une taille de 25 000 km ; ce sont des mouvements d’expansion qui forment les supergranules associés au réseau magnétique. Ces mouvements ont pu être analysés avec plus de détails grâce aux données fournies par Hinode.

8.réseau magnétique photosphérique vu par Hmi (raie Fe i à 617,3 nm) grand champ de 900 000 km × 440 000 km (polarités magnétiques nord et sud en jaune et vert). Le cercle rouge au centre fait 30 000 km de diamètre, taille typique des cellules du réseau. (SDO/Nasa)

9. ensemble de supergranules (petites structures annulaires) détectés sur la surface solaire par analyse des flots horizontaux. Le grand anneau central est lié à la présence d’une tache qui entrave les mouvements. (SDO/Nasa et OMP)
Granules explosifs, familles et formation du réseau magnétique
On a compris à l’aide des observations Hinode et des simulations numériques que les granules n’évoluent pas indépendamment de leurs proches voisins, mais se groupent en ensembles appelés « familles » de granules (fig. 10) formant une échelle intermédiaire appelée « mésogranulation », d’environ 5 000 km. Chaque famille a pour origine un granule explosif, qui éclate et se segmente en chaîne en formant d’autres granules explosifs (fig. 11). Les familles croissent en taille pour réunir au plus une centaine de granules, puis disparaissent au bout de quelques heures, laissant la place à d’autres familles. On soupçonnait l’existence de ces cellules intercalées entre granulation et supergranulation (mais non directement visibles) sans comprendre leur nature. La découverte des familles apporte une explication : la mésogranulation serait composée de granules de même origine.

10. Les granules forment des familles évolutives issues de granules qui explosent en chaîne. ici, les granules de la même famille ont la même couleur, le pas entre deux images consécutives est de 5 heures. on voit un supergranule (taille 30 000 km) évoluer en regroupant plusieurs familles. ses frontières (en blanc) sont superposées au champ magnétique (en jaune). Champ de 45 000 km de côté. (Hinode/OMP/OP)

11. Un exemple typique de granule explosif (en vert, au centre) qui naît puis donne naissance à une famille (pas entre deux images = 1 minute), détail de 10 000 km de côté. (OMP/OP)
On a constaté que les familles ont des mouvements d’expansion horizontale (fig. 12) ; ceux-ci contribuent à transporter les champs magnétiques pour former le réseau qui se concentre aux frontières des supergranules. Comme chaque supergranule est en interaction avec ses voisins, les mouvements d’expansion deviennent convergents aux frontières. On tient là un mécanisme plausible expliquant la formation du réseau magnétique, qui intriguait depuis longtemps.

12. Un supergranule typique (taille 30000km) délimité par le réseau magnétique (rouge ou bleu pour polarité sud ou nord). Les mouvements sont convergents aux frontières (flèches). Une forte vitesse d’expansion (gris clair) contribue à transporter les tubes magnétiques de l’intérieur des cellules vers les bords, formant le réseau par concentration. (Hinode/Jaxa/OMP/OP)
Les instruments de la décennie 2020-2030
L’étude de la granulation solaire, et en particulier des tubes magnétiques concentrés dans les intergranules (non résolus actuellement), est d’importance majeure pour comprendre le chauffage et la remontée en température de la couronne à deux millions de degrés. Cela nécessite des observations à très haute résolution spatiale. Jusqu’ici, les tubes magnétiques n’ont jamais été résolus spatialement tellement ils sont minces. La limite d’Hinode est de 150 km. Les meilleures images au sol ont été obtenues par le nouvel instrument de Big Bear avec 80 km de pouvoir séparateur.

13. DKist, un télescope de 4,20 m dédié à l’observation en haute résolution spatiale de la surface solaire entre 400 nm et 5 microns de longueur d’onde. il devrait aussi s’attaquer à la mesure des champs magnétiques coronaux dans l’infrarouge, impossible jusqu’alors. (NSO/Aura/NSF)
Implanté sur l’île de Maui (Hawaï, É.-U.), le DKIST – pour Daniel K. Inouye Solar Telescope –, nous fait entrer dans une nouvelle ère, celle de la très haute résolution (fig. 13). Son miroir de 4,20 m, lors de sa première lumière fin 2019, a fourni des détails jamais vus de 30 km dans le proche infrarouge (fig. 14), voire de 20 km dans le bleu. Cet énorme bond en avant, autorisé par une optique adaptative performante, est susceptible de révolutionner notre compréhension du chauffage coronal au cours de la décennie présente.

14. Granulation observée à 789 nm de longueur d’onde par le nouveau télescope américain DKist (Hawaï) en optique adaptative (première lumière). Chaque granule mesure 1 000 km. Champ 32 000 km × 17 000 km. résolution 30 km. Le cercle rouge a la taille de la terre. Les rubans et points brillants entre les granules sont des tubes de champ magnétique qui sont, pour la première fois, détaillés. (NSO/Aura/NSF)
Le projet de Télescope solaire européen (EST, http://www.est-east.eu/) est le concurrent (fig. 15) du DKIST. Bien que très avancé en ce qui concerne les études coordonnées par l’Institut d’astrophysique des Canaries, il est encore en recherche de montage financier, de sorte qu’il ne sera pas actif avant 2026 ou 2028, sur l’île de La Palma. L’enjeu de l’EST est d’extrême importance, car ce serait le premier télescope solaire construit à l’échelle européenne. Ce grand équipement est essentiel pour rester à la pointe des recherches scientifiques et technologiques en physique solaire.
Il n’existe aucun projet spatial permettant de concurrencer DKIST et EST sur le terrain de la haute résolution angulaire ; en effet, les progrès sont liés à l’augmentation de la taille des miroirs, rendant leur installation en orbite impossible, car trop coûteuse.

15. L’est (vue d’artiste) est un télescope de 4,20 m en projet dédié à l’observation en haute résolution spatiale de la surface solaire du proche ultraviolet au proche infrarouge. il devrait aussi s’attaquer à la mesure des champs magnétiques des tubes concentrés intergranulaires. (EST consortium)
Conclusion : les granules explosifs, clef du Soleil calme ?
Les interactions entre les champs magnétiques et la matière, sur des échelles de temps et d’espace non testables en laboratoire, sont à l’œuvre sur le Soleil. Les taches constituent la manifestation la plus évidente du magnétisme. L’autre composante, moins connue mais dont l’importance physique est prépondérante (10 000 fois plus de flux magnétique !), est le réseau magnétique réparti sur l’ensemble du Soleil. Cependant, nous ne savons pas bien comment il se forme. La dynamique des familles de granules, découvertes récemment, est une piste séduisante. Elle pourrait expliquer le transport des champs magnétiques et leur concentration, constituant des structures plus grandes, les supergranules (dont l’origine est débattue depuis cinquante ans). Leur dimension moyenne (30 000 km) est encore une véritable énigme ! Ainsi, la formation des supergranules (et du réseau magnétique associé) pourrait être un phénomène dynamique « piloté » par les granules explosifs, sur lesquels les recherches sont en cours.
par Thierry ROUDIER | Irap, observatoire Midi-Pyrénées et Jean-Marie MALHERBE | Lesia, Observatoire de Paris

Publié dans le numéro Janvier 2021
Glossaire
Facule : région brillante autour d’une tache solaire, plus chaude que son environnement.
Filament : structure magnétique en forme de « hamac » s’élevant dans la couronne solaire, composée d’un plasma plus dense et froid que le milieu ambiant. La température de la matière du filament avoisine celle de la chromosphère (8 000 K), tandis que la température de la couronne solaire atteint les deux millions de degrés.
Granulation – granule – intergranule : structure convective élémentaire (1 000 km) recouvrant uniformément la photosphère solaire et de courte durée de vie (10 minutes).
Irradiance : puissance moyenne reçue du Soleil au niveau de l’orbite terrestre par unité de surface.
Mésogranulation – mésogranule : groupes de granules de dimension intermédiaire entre granulation et supergranulation.
Optique adaptative : dans un télescope, système basé sur un miroir déformable ayant pour but de compenser la turbulence atmosphérique, qui brouille les images.
Pore : petite tache correspondant à l’émergence de champs magnétiques, pouvant précéder l’apparition d’un centre actif complexe.
Réseau photosphérique : ensemble de champs magnétiques faibles associés à la supergranulation.
Supergranulation – supergranule : cellules de 30 000 km recouvrant la chromosphère solaire et dont l’origine est débattue (durée de vie 48 heures).
Tache solaire : région sombre de la photosphère marquée par une température inférieure à celle de son environnement. Une tache solaire est associée à un champ magnétique particulièrement intense.
Tube magnétique : mince « tuyau » rempli de matière isolée par un champ magnétique intense, fréquemment rencontré dans les espaces intergranulaires (à la limite du pouvoir de résolution des grands télescopes).
par Sylvain Bouley | Avr 11, 2024 | Zoom Sur
Il y a quinze ans, la découverte d’une relation étroite entre l’activité de formation stellaire et la masse stellaire des galaxies actives a ouvert une nouvelle fenêtre dans notre compréhension de l’évolution des galaxies.

La relation entre le taux de formation stellaire et la masse stellaire est communément appelée « séquence principale des galaxies ». Elle est maintenant bien observée et contrainte sur 90 % de l’âge de l’Univers, c’est-à-dire depuis que celui-ci a 1 milliard d’années. À une masse donnée, 64 % des galaxies suivent cette relation étroite entre la masse stellaire et le taux de formation d’étoiles. Au-dessus de cette séquence, on trouve les galaxies dites à flambée d’étoiles. Ces dernières ont une activité de formation plus intense que les galaxies de même masse se trouvant sur la séquence principale. Cela peut être le résultat d’une fusion de galaxies riches en gaz, par exemple, qui va engendrer un épisode de formation stellaire intense entraînant une consommation d’une grande partie du réservoir en gaz. Au-dessous de la séquence principale se trouvent des galaxies rouges et passives dont l’activité de formation stellaire est très faible, voire nulle. Entre les deux, on trouve des galaxies en transition dans la « vallée verte » subissant un processus qui impacte, diminue, voire arrête leur activité de formation stellaire.
L’histoire de la formation des étoiles d’une galaxie
L’existence même de la séquence principale des galaxies implique que les galaxies forment majoritairement leurs étoiles de manière séculaire plutôt que lors d’épisodes violents. En conséquence, il est possible de reconstituer l’histoire de formation stellaire globale d’une galaxie en faisant l’hypothèse que celle-ci suit cette séquence principale toute sa vie. Cette approche a permis de montrer que l’histoire de formation stellaire des galaxies dépend en premier lieu de leur masse stellaire, qui peut être interprétée comme un traceur de la masse de leur halo de matière noire, lui-même lié à son environnement (isolé ou dans un amas de galaxies, par exemple). Ces histoires reconstruites montrent un pic de formation stellaire, à une époque qui dépend de la masse stellaire initiale, après lequel le taux de formation d’étoiles décline lentement, entraînant une baisse de la croissance en masse stellaire. Les masses atteintes au moment du pic de l’histoire de formation des étoiles (SFH pour Star Formation History) correspondent à un état chaud et massif du halo de matière noire qui empêche le gaz disponible de « tomber » et d’alimenter la formation stellaire de la galaxie. Ce mécanisme pourrait expliquer le lent déclin de l’activité de formation stellaire suivant le pic de l’histoire de formation stellaire.
La normalisation de la séquence principale évolue avec le temps cosmique : toujours pour une masse donnée, les galaxies formaient plus d’étoiles par le passé qu’aujourd’hui. Cependant, le plus surprenant est que la dispersion de cette relation semble être constante quel que soit l’intervalle de masse et de temps cosmique étudié. Cela implique que dès lors que l’on connaît la masse d’une galaxie, on peut en déduire son taux de formation d’étoiles à un facteur 2 près. Plusieurs études ont montré une variation cohérente de propriétés physiques des galaxies au sein de la séquence principale telles que la fraction de gaz contenu par les galaxies, leur morphologie et leur taille, ou encore leurs couleurs optiques. Cela suggère que la dispersion de la séquence principale serait d’origine physique et non due à des incertitudes sur les mesures.

1. Taux de formation stellaire en fonction de la masse stellaire des galaxies. La plupart des galaxies se situent sur la séquence principale (en bleu). Les galaxies subissant un violent épisode de formation stellaire (en magenta) se situent au-dessus de cette séquence alors que les galaxies passives, ne formant plus d’étoiles se trouvent au-dessous (rouge). Des galaxies en transition (en vert) « tombent » rapidement de la séquence principale pour rejoindre les galaxies rouges et passives [1] . (Adapté de la collaboration CANDELS)
Le cheminement dans et hors de la séquence principale
Cependant, bien que les galaxies suivent une histoire de formation stellaire majoritairement commune, la dispersion de la séquence principale pointe également vers des variations dans ces histoires d’une galaxie à l’autre. En effet, comment les galaxies se déplacent-elles le long de la séquence principale ? Croissent-elles en masse jusqu’à atteindre une valeur critique entraînant la cessation de toute activité de formation stellaire ? Est-ce qu’elles oscillent dans la dispersion de la séquence principale pour finir par s’éteindre ? Passent-elles systématiquement par des phases d’intense activité de formation stellaire les faisant sortir de la séquence principale ? Les chemins qu’empruntent les galaxies le long de cette relation sont encore méconnus. Seule une contrainte forte sur leur histoire de formation stellaire permet de remonter dans le temps et de retracer leur mouvement le long de la séquence principale.

2. Taux de formation stellaire en fonction de la masse stellaire des galaxies. La normalisation de la séquence principale, représentée par différentes couleurs en fonction de l’âge de l’Univers (de 1 à 13 milliards d’années), augmentent lorsque l’on remonte le temps cosmique. (© figure adaptée de Popesso et al., 2023)
Découverte de galaxies atypiques dans la séquence principale
Récemment, les observations dans le domaine submillimétrique du plus grand relevé extragalactique fait par Alma [2] ont permis de découvrir une population particulière de galaxies cachée dans la séquence principale. En effet, ces galaxies ont des caractéristiques liées à leur contenu en gaz typiques des galaxies à flambée d’étoiles – ou starbursts – se trouvant au-dessus de la séquence principale (voir figure 1). D’une part, elles ont un contenu en gaz très faible comparé à des galaxies ayant la même activité de formation stellaire, comme s’il avait été consommé rapidement lors d’un épisode de flambée. D’autre part, la taille de ces galaxies vue en interférométrie par Alma aux longueurs d’onde radio submillimétriques est très réduite et compacte par rapport aux autres objets de même masse et même distance. Pourtant, ces galaxies se trouvent bel et bien dans la séquence principale. On les nomme « starbursts dans la séquence principale » pour cette raison. Il y a trois scénarios d’évolution possibles pour expliquer leur existence.

3. Schéma montrant les différents chemins d’évolution que peuvent prendre les galaxies sur le diagramme taux de formation stellaire – masse stellaire. Les lignes en pointillées indiquent la position de la séquence principale.
– Premier scénario avec des gaz migrateurs
Le premier, prédit par des modèles de formation des galaxies, propose que des galaxies étendues de la séquence principale peuvent évoluer de manière séculaire en galaxies compactes en acheminant du gaz vers leurs régions centrales. Un afflux de gaz déclenche un événement de compaction, provenant de flux contre-rotatifs ou de fusions mineures de galaxies, communément associés à des instabilités violentes du disque. Comme le taux d’apport de gaz est plus efficace que le taux de formation stellaire, le gaz est acheminé vers le centre de la galaxie : un noyau massif compact de gaz, formant activement des étoiles, se développe. Cette phase est caractérisée par une fraction de gaz très élevée et par un taux de consommation de celui-ci très rapide. En conséquence, la galaxie se déplace vers la partie haute de la séquence principale, puis redescend une fois l’épisode de formation stellaire passé. Tant que la masse de la galaxie est faible, le halo de matière noire n’empêche pas un nouvel apport en gaz et donc un nouvel événement. Une fois que la galaxie atteint une masse importante et critique, le halo de matière noire est chaud et empêche le gaz de réalimenter la galaxie, entraînant une extinction complète de la formation stellaire (scénario 1 de la figure 4).
– Un second scénario : des galaxies chutant
Une autre possibilité impliquerait les épisodes intenses de flambée d’étoiles qui placent les galaxies au-dessus de la séquence principale. L’épisode violent de formation d’étoiles, typique des fusions de galaxies riches en gaz, serait également capable de canaliser le gaz vers le cœur de la collision et de construire ainsi rapidement un noyau stellaire compact. En conséquence, la galaxie se déplace bien au-dessus de la séquence principale. Par la suite, elle retombe vers la séquence principale lorsque le taux de formation stellaire diminue à mesure que le réservoir de gaz est consommé. Enfin, la galaxie traverse la séquence principale en direction de la région des galaxies passives. Les « starbursts dans la séquence principale » seraient donc des galaxies en route vers la fin de leur vie, observées au moment de leur passage au travers de la séquence principale (scénario 2 de la figure 4).
– Un troisième scénario avec des galaxies en mode de survie
Finalement, un troisième scénario pourrait être aussi envisagé, avec des éléments des scénarios 1 et 2 : la galaxie pourrait subir une perte de moment angulaire, soit de manière externe via des fusions mineures avec de petites galaxies du voisinage, soit via des processus internes de migration de régions gazeuses. Dans les deux cas, le gaz est canalisé par le centre de la galaxie et la formation stellaire y est donc renforcée. Cependant, l’activité de formation stellaire n’est pas nécessairement forte au point de faire de la galaxie un vrai starburst au-dessus de la séquence principale, et elle peut juste rester dans sa partie haute. En tout cas, à mesure que le réservoir de gaz est consommé, la région de formation d’étoiles devient plus compacte, soutenant le taux de formation stellaire (consommation de gaz de l’extérieur vers l’intérieur). Le phénomène durerait jusqu’à ce que tout le gaz soit consommé. On peut voir ce scénario comme un mécanisme de survie de la galaxie. Elle fait tout pour maintenir une activité de formation stellaire qui lui permette de rester sur la séquence principale malgré son déficit en gaz. De cette façon, la galaxie passerait en moyenne plus de temps au sein de la séquence principale par rapport à celle du deuxième scénario.

4. Scénarios évoqués par expliquer l’évolution des galaxies atypiques appelées « starbursts dans la séquence principale ». La région bleue représente la séquence principale et la région rouge montre la zone des galaxies passives, ne formant plus d’étoiles. Les flèches indiquent le mouvement des galaxies atypiques dans ce plan selon le scénario d’évolution envisagé.
1. Et les toutes premières galaxies ?
Une compilation récente des études de la séquence principale disponibles dans la littérature a montré que la normalisation de la séquence principale augmente lorsque l’on remonte le temps cosmique jusqu’à une époque où l’Univers avait 1 milliard d’années. Comme expliqué précédemment, l’implication majeure de la présence de la séquence principale est que les galaxies forment leurs étoiles via des processus séculaires. Cela était-il également le cas lorsque les galaxies étaient beaucoup plus jeunes ? En théorie, la formation hiérarchique des structures suggère que les galaxies croissent (en absorbant d’autres galaxies tout au long de leur existence) à la fois en masse de matière noire et en masse de gaz au fil du temps. Les simulations hydrodynamiques prédisent que la formation d’étoiles dans les premières galaxies augmente avec le temps durant le premier milliard d’années, passant par une phase très perturbée où leur histoire de formation stellaire est ponctuée d’épisodes de flambée d’étoiles. À mesure que leurs potentiels gravitationnels deviennent suffisamment profonds pour résister aux rétroactions des supernovae et des processus radiatifs (lesquels défavorisent de nouvelles créations d’étoiles), la formation stellaire devient continue. Pour confirmer ces prédictions, il faut remonter plus loin dans le temps pour déterminer l’histoire de formation stellaire des premières galaxies et vérifier l’existence ou non d’une séquence principale. Cela est compliqué, car la mesure de la masse stellaire des galaxies nécessite des observations de l’émission proche infrarouge qu’elles émettent. À cause du décalage vers le rouge des distributions spectrales d’énergie des galaxies (lire l’encadré 2), ce domaine de longueur d’onde provenant des galaxies les plus lointaines était inaccessible aux télescopes, jusqu’au lancement du James Webb Space Telescope (JWST) en décembre 2021. Depuis 2022, le JWST révolutionne peu à peu notre vision des galaxies lointaines et ce sont à présent quelques milliers de galaxies qui ont été observées lorsque l’Univers avait moins de 1 milliard d’années. Les premières études pointeraient vers un ralentissement de l’augmentation de la normalisation de la séquence principale, voire une diminution, lorsque l’Univers avait entre 500 et 800 millions d’années, contrairement aux prédictions des grandes simulations hydrodynamiques. Confirmer ce résultat observationnel et le comprendre du point de vue théorique reste une question ouverte pour les mois à venir. ■
Lequel des trois scénarios doit-il être retenu ?
Le scénario 1 (acheminement de grande quantité de gaz vers les régions centrales) implique que l’on devrait voir dans la séquence principale des galaxies ayant une région de formation stellaire compacte, associée à un réservoir de gaz important. Or, ce que l’on observe, ce sont des galaxies avec une région de formation stellaire compacte mais contenant peu de gaz. Le scénario 1 peut donc être éliminé.
Nous voici donc avec le scénario 2 : les « starbursts dans la séquence principale » seraient des galaxies de passage entre les zones au-dessus et au-dessous de la séquence principale ; et avec le scénario 3 : la galaxie perd du moment angulaire, le gaz afflue vers son centre, mais la formation stellaire qui en résulte n’est pas assez intense pour faire de la galaxie un vrai starburst au-dessus de la séquence principale. Pour départager ces deux scénarios, il est nécessaire de reconstruire l’histoire de formation stellaire des galaxies. Cela passe par la modélisation de la distribution spectrale d’énergie des galaxies (lire l’encadré 2, p. 24), le même procédé qui permet de déterminer, entre autres, la masse stellaire et le taux de formation d’étoiles des galaxies. Ces deux paramètres sont d’ailleurs directement liés à l’histoire de formation stellaire : le taux de formation stellaire est le dernier pas de l’histoire et la masse stellaire est proportionnelle à la masse totale d’étoiles formée par la galaxie tout au long de sa vie (lire encadré 1).

5. Schéma illustrant la compression du cœur de la galaxie au fur et à mesure que son contenu en gaz diminue, étant consommé par la formation stellaire. (C. Gomez- Guijarro)

6. Écart à la séquence principale (en log) en fonction de la masse stellaire des galaxies. Les flèches représentent les galaxies de l’échantillon ALMA étudié, les flèches entourées de noir sont les
« starbursts dans la séquence principale ». Les différentes régions du plan taux de formation stellaire vs masse stellaire sont reprises ici. L’absence de flèches descendantes et rouges dans la région de la séquence principale élimine le scénario d’évolution 2.
Une approche dynamique de la séquence principale
Trancher entre les deux scénarios restants implique donc de pouvoir reconstruire l’histoire de formation stellaire de ces galaxies particulières et de retracer leur déplacement sur le plan du taux de formation d’étoiles vs masse stellaire. Pour cela, un indicateur de ce déplacement a été défini et calibré. Il indique, via un angle, le mouvement qu’une galaxie a suivi sur le plan durant un laps de temps défini. Il se calcule en mesurant la différence entre le taux de formation stellaire au début de ce laps de temps et maintenant, ainsi que la masse d’étoiles formée durant ce temps. Cet indicateur permet d’avoir une vue dynamique de la séquence principale des galaxies et de voir leur déplacement sur ce plan. Il a donc été utilisé pour poser de nouvelles contraintes sur l’évolution de ces galaxies aux propriétés particulières cachées dans la séquence principale.
Ce nouvel indicateur a permis de montrer que ces galaxies compactes et atypiques ne provenaient pas de la région constituée de galaxies subissant un épisode de formation stellaire intense (magenta sur la figure 6). À la place, les galaxies montrent sur les 100 derniers millions d’années un ensemble de mouvements très dispersés, mouvement propre à chaque galaxie et indépendant des autres, sur le plan taux de formation stellaire vs masse stellaire. Sur une plus longue période, un milliard d’années, toutes les galaxies étudiées dans ces travaux montrent un mouvement cohérent avec une augmentation de leur activité de formation stellaire sur ce laps de temps. Le second scénario proposé pour expliquer la présence de galaxies aux propriétés similaires à celles des galaxies à flambée d’étoiles ne semble donc pas valable.
En conclusion, la formation stellaire dans les galaxies massives « starbursts dans la séquence principale » semble se maintenir, leur permettant de rester sur la séquence principale. Néanmoins, leur fraction de gaz est faible et ces galaxies sont sur le chemin de la quiescence. Cela suggère donc un mécanisme d’autorégulation où la compression du gaz au centre de la galaxie permet de maintenir leur taux de formation stellaire.
2. « Mesurer les propriétés physiques des galaxies »
Contraindre individuellement l’histoire de formation stellaire d’une galaxie nécessite d’avoir une modélisation précise de l’émission de l’ensemble des populations stellaires qui la constitue. L’émission d’une galaxie en fonction de la longueur d’onde est appelée « distribution spectrale d’énergie ». Chaque processus physique en jeu dans les galaxies laisse son empreinte dans cette distribution. La modéliser permet alors de mesurer des propriétés clés des galaxies telles que leur masse stellaire, leur taux de formation d’étoiles, mais également leur quantité de poussière ou encore si elle abrite un trou noir supermassif. Pour reconstruire l’histoire de formation stellaire des galaxies, il est nécessaire d’obtenir des observations couvrant les domaines de longueurs d’onde allant de l’ultraviolet (UV, émis par les étoiles jeunes à la durée de vie très courte) au proche infrarouge (étoiles vieilles, un bon indicateur de la masse stellaire des galaxies). Cependant, la poussière présente dans les galaxies absorbe une partie de l’émission UV-optique des étoiles et la réémet en infrarouge lointain. Une bonne contrainte sur l’effet de la poussière via sa courbe d’atténuation est donc indispensable pour revenir à l’émission intrinsèque des étoiles et donc à leur histoire de formation stellaire. Pour prendre en compte ces processus et estimer les paramètres physiques des galaxies, il existe des codes de modélisation de la distribution spectrale d’énergie des galaxies. Ces codes sont basés sur des hypothèses de modèles d’émission de populations stellaires, de modèles d’histoire de formation stellaire, ou encore de loi d’atténuation par la poussière, etc. C’est une bonne douzaine de paramètres libres qu’il faut contraindre grâce aux observations. Une des hypothèses clés que ces codes utilisent est la modélisation de l’histoire de formation stellaire. Au premier ordre, ces codes utilisent une forme analytique, c’est-à-dire une fonction mathématique telle qu’une exponentielle décroissante, pour représenter l’histoire de la galaxie. Cependant, les études ont vite mis en avant des problèmes liés à ces représentations trop simples de l’histoire des galaxies. Elles engendrent des biais sur la mesure de la masse stellaire, du taux de formation d’étoiles, et même sur l’âge de la galaxie. Une autre approche a alors été explorée et la vie des galaxies est maintenant divisée en plusieurs intervalles de temps. Le taux de formation stellaire à chacun de ces intervalles est tiré au hasard dans une certaine loi statistique, et le résultat est comparé à la distribution spectrale d’énergie observée. Par essais successifs, on peut ainsi contraindre les paramètres permettant de reconstruire l’histoire d’une galaxie. Cette nouvelle approche permet maintenant de reconstruire de manière plus robuste l’histoire de formation stellaire des galaxies à partir de leur émission panchromatique (à toutes les longueurs d’onde), et donc de remonter dans le temps. ■
Conclusions
La « simple » relation entre le taux de formation d’étoiles et la masse stellaire des galaxies découverte il y a plus de quinze ans a ouvert tout un paradigme dans l’étude de l’évolution des galaxies. Les implications de son existence, sa normalisation, sa dispersion, ont permis aux astronomes de poser des contraintes fortes sur leur mode de croissance global. Cependant, de récentes découvertes ont montré une image plus complexe de la séquence principale avec des galaxies aux propriétés étonnantes enfouies parmi des galaxies tout à fait « normales ». Les questions liées à leur existence ont révélé la nécessité d’obtenir une approche plus dynamique de cette relation et de suivre le chemin qu’empruntent les galaxies sur ce fameux plan « taux de formation stellaire vs masse stellaire ». Cette vision dynamique n’est possible qu’à partir d’une bonne reconstruction de l’histoire de formation stellaire des galaxies. Aujourd’hui cette problématique est au cœur de la recherche autour de l’évolution des galaxies et de nouvelles techniques, issues d’études transdisciplinaires impliquant les mathématiques statistiques, permettent d’avancer grandement. De plus, l’arrivée des données spectaculaires provenant du JWST vont permettre d’étendre toutes ses études aux toutes premières galaxies et de sonder leur enfance.
par Laure CIESLA | Laboratoire d’astrophysique de Marseille | Prix jeune chercheure SF2A 2023

Publié dans le numéro Février 2024
Notes
- Pour toutes les figures, les unités employées dépendent de manière assez technique du décalage cosmologique vers le rouge (redshift) des galaxies. Ces unités ne sont pas explicitées. Les figures montrent qualitativement les comportements des galaxies décrits dans le texte.
- Alma (Atacama Large Millimeter/submillimeter Array) est un observatoire situé dans le désert d’Atacama au Chili géré par l’Eso. Alma est composé de 66 antennes paraboliques qui fonctionnent ensemble pour former un interféromètre, permettant aux astronomes d’observer le ciel dans le domaine des ondes millimétriques et submillimétriques.
Références
■ Ciesla et al. (2017) A&A 608, A41. doi: 10.1051/0004-6361/201731036.
■ Ciesla et al. (2023) A&A 672, A191. doi: 10.1051/0004-6361/202245376.
■ Gómez-Guijarro et al. (2022) A&A, 659, A196. doi: 10.1051/0004-6361/202142352.
par Sylvain Bouley | Avr 11, 2024 | Zoom Sur
Le satellite astrométrique européen Gaia vient de livrer ses premières découvertes d’exoplanètes. Elles devraient se multiplier à mesure que les observations seront dépouillées sur une plus longue durée : Gaia sera dans quelques années le principal pourvoyeur d’exoplanètes nouvelles.

1. Le satellite Gaia, vue d’artiste. (ESA)
Depuis le 19ème siècle, on a tenté de découvrir des planètes autour d’étoiles proches en détectant par astrométrie le petit mouvement qu’elles produisent sur l’étoile autour de laquelle elles gravitent. On a même annoncé quelques détections qui n’ont jamais été confirmées. Avant Gaia, six exoplanètes seulement (si nous appelons planètes les objets de masse inférieure à 20 fois celle de Jupiter, les plus massifs étant des étoiles naines brunes) ont été trouvées par astrométrie : une avec l’interféromètre optique PHASES au Mont Palomar, HD 176051 b ; deux par interférométrie radio à très longue base (VLBI, l’étoile centrale étant dans ce cas un émetteur d’ondes radio), GJ 896A b et TVLM 513-46546 b ; une par astrométrie en lumière visible, GJ 2030 c et deux par astrométrie dans l’infrarouge, WISE J0458+6434 B et 2MASS J0249-0557 (AB) c. Les observations correspondantes sont longues et difficiles, si bien que l’on ne s’attend pas à ce qu’elles conduisent à de nombreuses découvertes.
Cependant, la précision astrométrique du satellite européen Gaia (fig. 1) est comparable à celle des observations interférométriques, et on peut espérer que ce satellite permettra de découvrir de très nombreuses exoplanètes, s’ajoutant aux quelques 5 200 connues au moment où nous écrivons. Quelles seront ces planètes ? Plus la planète est massive et plus elle est éloignée de l’étoile, plus le mouvement de l’étoile est important. En effet, plus la planète est éloignée, plus le centre de l’étoile est distant du centre de gravité du système. On découvre donc préférentiellement par astrométrie de grosses planètes gravitant loin de leur étoile. Par ailleurs, on trouve plus facilement ainsi les planètes qui tournent autour d’étoiles de faible masse puisque le rapport de la masse de la planète à celle de l’étoile est plus grand, comme les étoiles naines de type M ou éventuellement les naines blanches ou brunes. Notons également que puisqu’une orbite sous-tend un angle d’autant plus grand qu’elle est plus près de nous, on découvre surtout par astrométrie des planètes autour d’étoiles proches.
Mais il faut être patient, car on ne peut pas se contenter d’observer une portion limitée de l’orbite, le mouvement de l’étoile pouvant alors être confondu avec le déplacement de l’étoile liée à son mouvement propre au sein de la galaxie. C’est une des raisons pour lesquelles aucune découverte d’exoplanète par Gaia n’avait encore été annoncée en 2020 ; l’autre raison est le temps nécessaire pour analyser la masse énorme de données acquises par le satellite. Cependant, Gaia avait déjà permis de constater que de nombreuses étoiles « bougent » ; la statistique a montré que 30 à 40 % des étoiles proches ont un compagnon massif, grosse planète ou naine brune (voir le numéro de janvier 2021 de l’Astronomie, p. 26).
La situation a bien changé avec la troisième livraison des données de Gaia, qui contient toutes les observations depuis les premières en juillet 2014 jusqu’à celles de mai 2017, soit pendant 34 mois. Le délai qui s’étend entre mai 2017 et aujourd’hui a été nécessaire pour réduire ces observations, c’est pourquoi elles ne sont publiées que maintenant. Les 34 mois d’observations permettent enfin de tracer l’orbite de nombreuses étoiles munies d’une exoplanète, donc de détecter celle-ci, alors que ce n’était guère possible lors de la première et de la deuxième livraison, qui ne portaient respectivement que sur 14 et 22 mois de données. 6 306 étoiles sont dotées d’un ou plusieurs compagnons compacts invisibles d’après ces données. Beaucoup sont des exoplanètes. Gaia a aussi repéré 214 étoiles devant lesquelles une planète est passée et 363 évènements d’amplification de la lumière d’une étoile par l’effet de microlentille gravitationnelle dûe à une étoile interposée. Pour ces objets, une étude approfondie permettra peut-être de détecter dans quelques cas le passage d’un compagnon compact de l’étoile interposée.

2. Les détecteurs du plan focal de Gaia. Ce sont 106 CCD avec un total de 938 millions de pixels. La rotation du satellite sur lui-même produit un balayage du ciel. Les objets sont d’abord repérés et triés dans les deux ensembles de 7 CCD, correspondant chacun à une des deux directions simultanées de visée du satellite, qui sont distantes de 106,5°. Puis les deux images superposées de ces deux directions de visée balayent les CCD astrométriques, donc chaque objet voit sa position mesurée 9 (ou 8) fois. La précision de mesure est meilleure dans la direction du balayage que dans la direction perpendiculaire. Les CCD pour la photométrie et pour la spectrométrie sont balayés ensuite. Deux CCD auxiliaires sont représentés en orange et deux en violet. (Adapté de l’ESA)
Comment Gaia trouve les exoplanètes
Voyons maintenant comment Gaia détecte les exoplanètes par astrométrie.
Chaque étoile a été observée de l’ordre de 400 fois pendant les 34 mois d’observations actuellement dépouillées ; lorsqu’elle est dans le champ de vision, l’étoile passe 8 ou 9 fois devant les détecteurs de position (fig. 2). La précision sur la position en est améliorée, mais le nombre d’observations indépendantes est réduit d’autant, à une cinquantaine. Pour chercher des exoplanètes, seuls sont utiles les groupes d’observations bien répartis dans le temps, qui sont finalement au nombre de 15 à 35 pour chaque étoile. Cela permet de chercher si elle possède une exoplanète, mais pour l’instant pas d’en trouver plusieurs autour de l’étoile.
Après les corrections habituelles sur la position de l’étoile (précession, nutation, aberration, déplacement relativiste par la masse du Soleil, parallaxe), on porte cette position en fonction du temps, obtenant ainsi le mouvement propre de l’étoile. En l’absence de perturbation, le déplacement de l’étoile est rectiligne, mais des déviations périodiques éventuelles révèlent la présence d’un compagnon (fig. 3). La distance de l’étoile étant connue par la mesure de sa parallaxe par Gaia, on peut déduire des observations le demi-grand axe a de la trajectoire de son centre autour du centre de gravité commun de l’ensemble étoile-planète. Puis, connaissant la période p de révolution et en estimant la masse M de l’étoile à partir de son type spectral, on peut obtenir le demi-grand axe A de l’orbite de la planète en utilisant la formule de Kepler/Newton : A³/p² = GM/4π²,
G étant la constante de la gravitation. On peut alors obtenir la masse m de la planète en remarquant que m/M = a/A.
On a le plus grand intérêt à vérifier les résultats de l’astrométrie en observant les variations de la vitesse radiale de l’étoile, ce qui permet d’améliorer et de compléter les paramètres du système. D’ailleurs, ces méthodes sont complémentaires : l’astrométrie est sensible aux mouvements dans le plan du ciel et la vitesse radiale aux mouvements perpendiculaires.

3. Mouvement de deux étoiles observé par Gaia. À gauche, HD 114762, un cas relativement facile (distance 129 années-lumière, période de révolution 83,7 jours, excentricité apparente 0,32). À droite, le cas plus difficile de HD 40503 (distance 128 années-lumière, période 2,3 ans, excentricité apparente 0,07). En haut, le mouvement de chaque étoile sur le ciel (échelles des ordonnées en millisecondes de degré). En bas, déplacement de l’étoile par rapport au centre de gravité étoile- planète. Les points d’observations individuelles sont en grisé, leurs moyennes sont les points noirs avec barre d’erreur dirigée selon la trajectoire de l’étoile sur les CCD (l’autre dimension n’est pas utilisée). (Adapté de Holl B., Sozzetti A., Sahlmann J. et al.)
Les résultats de l’astrométrie de Gaia
Des algorithmes différents ont été utilisés par plusieurs équipes pour chercher si les étoiles observées par Gaia avaient un compagnon compact. Une de ces équipes réunissant des chercheurs des observatoires de Genève et de Turin ainsi que de l’Agence spatiale européenne à Madrid a identifié 17 étoiles probablement munies d’une planète, dont 9 détections ont été validées par l’observation des variations de la vitesse radiale de l’étoile et correspondent donc à des exoplanètes déjà connues. Les autres restent à valider et seront donc des découvertes à mettre au compte de Gaia si leur validation est positive. La collaboration internationale DPAC trouve 70 étoiles éventuellement munies d’une exoplanète, dont 9 sont validées. Seules quelques-unes sont communes aux deux études, ce qui illustre les difficultés de détection des exoplanètes par astrométrie pendant un délai de seulement 34 mois. La situation devrait s’améliorer énormément par la validation des candidats déjà connus et surtout l’analyse des observations obtenues par Gaia pendant une période plus longue que les 34 mois actuellement analysés.
Les détections d’exoplanètes par transit
Les capacités photométriques de Gaia sont remarquables : le flux d’une étoile peut être mesuré avec une précision de l’ordre de 1/1 000. Cela a permis, comme on l’a dit plus haut, de détecter 214 étoiles devant lesquelles est probablement passée une planète. 173 de ces détections confirment des observations antérieures de transits à partir du sol ou de satellites, et 41 correspondent à des étoiles nouvelles. Pour être sûr que la diminution temporaire de l’éclat d’une étoile correspond bien au passage d’une exoplanète devant son disque et non à une variation intrinsèque, il faut observer plusieurs transits, et Gaia n’est pas particulièrement adaptée pour cela car chaque étoile n’est observée qu’une quinzaine de fois par an. Il faudra donc attendre d’avoir plus de données pour validation. Il est aussi très souhaitable d’observer les variations de la vitesse radiale de l’étoile pour confirmer la détection et en particulier pour préciser la période de révolution de l’exoplanète.
Ces conditions ont été réunies pour l’étoile de type solaire Gaia EDR3 3026325426682637824 (cf. Fig. 4). Ces 19 chiffres sont nécessaires pour identifier l’étoile parmi les quelque 2 milliards observées par Gaia. La figure 4 montre les mesures de l’éclat de l’étoile en fonction du temps pendant les 34 mois d’observation. La recherche d’une périodicité dans les diminutions d’éclat observées a conduit à une période de révolution de l’exoplanète de 3,0525 jours, valeur confirmée par des observations de la vitesse radiale de l’étoile. De l’ensemble de ces observations on déduit que la planète, nommée Gaia-1b, est un « Jupiter chaud » de masse voisine de celle de Jupiter, qui gravite très près de l’étoile, à seulement 6 millions de kilomètres, dix fois plus près de l’étoile que Mercure du Soleil. Gaia a aussi découvert par transit un autre Jupiter chaud, Gaia-2b et il reste donc 39 candidats à confirmer par des observations ultérieures.

4. Photométrie par Gaia de l’étoile EDR3 3026325426682637824. En haut, le flux en fonction du temps, dans les trois bandes G (vert, observée par les CCD astrométriques), BP (bleu) et RP (rouge) observées par les CCD photométriques (voir la figure 2). Les évènements d’occultation sont bien visibles. En bas, les mêmes données mais regroupées en fonction de la révolution de la planète. (Patrick Boissé)
Les résultats des observations astrométriques et photométriques que nous venons de décrire sont encore peu nombreux : mais ce n’est qu’un petit avant-goût de ce qui nous attend dans quelques années, lorsque toutes les observations de Gaia seront dépouillées. Elles couvrent actuellement plus de 8 années. On estime que Gaia pourrait découvrir par astrométrie de l’ordre de 70 000 exoplanètes si la durée de la mission est étendue à dix ans, ce qui est fort probable ; il faut y ajouter plusieurs centaines d’exoplanètes qui seront découvertes par transit devant leur étoile.
Par James Lequeux

Publié dans le numéro Novembre 2022
Pour en savoir plus
Gaia Collaboration : Arenou F., Babusiaux C., Barstow M. A. et al., 2022, « Gaia Data Release 3: Stellar multiplicity, a teaser for the hidden treasure » [https://www.aanda.org/articles/aa/abs/forth/aa43283-22/aa43283-22.html].
Holl B., Sozzetti A., Sahlmann J. et al., 2022, « Gaia DR3 astrometric orbit determination… » [https://arxiv.org/pdf/2206.05439.pdf].
Panahi A., Zucker S., Clementini G. et al., 2022, « The detection of transiting exoplanets by Gaia » [https://www.aanda.org/articles/aa/pdf/2022/07/aa43497-22.pdf].
par Sylvain Bouley | Jan 17, 2024 | Zoom Sur
L’observation des aurores polaires permet d’étudier à distance les planètes magnétisées et leur environnement, en complément de leur exploration in situ par des sondes spatiales. La magnétosphère de Saturne a été explorée de fond en comble entre 2004 et 2017 par la sonde spatiale internationale Cassini. La mission orbitale s’est conclue par une série inédite d’orbites polaires proches qui a fourni des observations uniques des régions aurorales, avec le soutien de télescopes terrestres comme Hubble. Un an après ce « Grand Finale », que sait-on des aurores kroniennes ?

Les planètes ne sont pas que des réflecteurs de la lumière des étoiles, elles sont aussi le siège d’émissions lumineuses intrinsèques. Lorsqu’elles possèdent un champ magnétique à grande échelle, comme Mercure, la Terre ou les planètes géantes, elles produisent des ondes électromagnétiques intenses autour des pôles magnétiques, ceux qu’indique une boussole. Boréales au nord, australes au sud, ce sont les aurores polaires. Des aurores ont été observées sur presque tout le spectre électromagnétique, dans les domaines infrarouge (IR), visible et ultraviolet (UV) pour les émissions produites dans l’atmosphère et dans les gammes radio et X pour les ondes rayonnées à plus haute altitude, dans l’environnement planétaire proche. La figure 1 montre des images des aurores de la Terre et de Jupiter, Saturne et Uranus à l’échelle.

1. (Page de gauche) images composites des aurores ultraviolettes de saturne, Jupiter, Uranus et la terre, à l’échelle, toutes vues depuis l’espace. (Ci- dessus) images composites des aurores visibles de la terre, observées depuis le sol ou l’espace. (NASA/ESA, L. Lamy & R. Prangé, LESIA/Obs. de Paris)
L’aurore « aux doigts de rose » ou « en robe de safran », ces vers de l’Iliade décrivant l’aube antique en Méditerranée auraient pu s’appliquer avec non moins de poésie aux ballets colorés du ciel polaire terrestre. Ce spectacle a longtemps inspiré les contes nordiques avant l’essor de la physique ionosphérique et aurorale sous l’impulsion de Kristian Birkeland à la fin du xixe siècle, puis l’exploration in situ de l’environnement terrestre avec l’avènement de l’ère spatiale dans les années 1960. Aujourd’hui, la physique des aurores terrestres est bien comprise, même si Internet contribue à diffuser massivement tout autant de fausses idées que de magnifiques images [1]. Plus loin dans le Système solaire, si l’on excepte la détection des émissions radio aurorales de Jupiter dès 1955 à l’aide de radiotélescopes au sol (qui fournirent la première preuve observationnelle de l’existence d’un champ magnétique jovien !), les aurores des planètes géantes ont été découvertes plus tard, par les sondes d’exploration Voyager et le télescope spatial IUE (International Ultraviolet Explorer) dans les années 1980. Mais que nous apprennent au juste ces chandelles célestes sur les astres qui les rayonnent ?
Les émissions aurorales sont produites par des particules énergétiques chargées électriquement. Ces particules, essentiellement des électrons, proviennent de l’environnement magnétisé et ionisé de la planète, sa magnétosphère, où elles sont accélérées puis guidées le long des lignes de champ magnétique de haute latitude, comme des perles sur un fil, jusqu’aux pôles magnétiques où leur énergie cinétique est dissipée en grande partie sous forme de rayonnement.
Lorsqu’elles entrent en collision avec la haute atmosphère, ces particules génèrent des émissions par impact qui couvrent la gamme UV/visible à IR. Au-dessus de l’atmosphère, elles alimentent des émissions dites de faisceau [Note 1] dans les domaines radio et X.
Les aurores révèlent ainsi des propriétés physiques essentielles de la planète hôte, son intérieur, son atmosphère et sa magnétosphère. Par exemple, la détection d’ovales auroraux organisés autour des pôles magnétiques donne instantanément la position de l’axe du champ magnétique planétaire. La mesure par un observateur fixe de la variation d’intensité en fonction du temps fournit, en sus, une mesure directe de la période de rotation du cœur planétaire qui produit le champ magnétique (selon le principe du phare tournant). Plus haut, les aurores sont un diagnostic des espèces chimiques de la haute atmosphère. Enfin, la position et la dynamique des différentes composantes aurorales renseignent sur les régions actives de la magnétosphère, identifiées grâce à un modèle de champ magnétique, et sondent les transferts d’énergie à grande échelle entre l’atmosphère, la magnétosphère, d’éventuelles lunes et le vent solaire.
L’étude des phénomènes auroraux du Système solaire bénéficie de mesures in situ de sondes d’exploration spatiale et d’observations à (grande) distance par des télescopes terrestres. C’est un enjeu d’envergure pour caractériser l’environnement des planètes magnétisées proches. Leur compréhension doit par ailleurs permettre d’établir un cadre de référence pour interpréter des émissions aurorales en provenance d’exoplanètes (dont la recherche bat son plein) ou d’objets plus massifs tels que des naines brunes ou des étoiles jeunes (avec déjà une quinzaine de sources aurorales détectées) inaccessibles à l’exploration. Le premier anniversaire de la fin de la mission orbitale Cassini nous donne l’occasion de revenir sur le cas très particulier de Saturne, qui ne se distingue pas seulement par son système d’anneaux, mais aussi par une magnétosphère atypique et de spectaculaires aurores polaires !

2. représentation schématique des magnétosphères planétaires du système solaire. Les particules énergisées dans l’environnement planétaire migrent vers les pôles magnétiques où l’énergie transportée est dissipée sous forme de rayonnements auroraux. (NASA/ESA, S. Cnudde & L. Lamy, LESIA/Obs. de Paris)
La magnétosphère géante de Saturne
Le lecteur assidu de l’Astronomie se souviendra sans doute d’un (excellent) article dédié aux magnétosphères planétaires publié en 2007, et toujours d’actualité [2]. On se contentera donc ici de rappeler qu’une magnétosphère est formée par l’interaction entre le vent solaire (ou stellaire), ce vent de particules chargées électriquement (on parle de plasma) émis en permanence par le Soleil à des vitesses moyennes d’environ 400 km/s, et le champ magnétique planétaire. Elle forme une cavité dans le milieu interplanétaire, comprimée par le vent solaire côté jour et allongée côté nuit, où les mouvements du plasma sont organisés par le champ magnétique planétaire. Propriété remarquable, une magnétosphère agit comme un gigantesque accélérateur de particules avec une intense activité électrique dont on peut mesurer, en bout de chaîne, la réponse aurorale, comme schématisé sur la figure 2.
La magnétosphère de Saturne, schématisée sur la figure 3, a été découverte par des mesures magnétiques lors du survol de la sonde Pioneer 11 en 1979, avant d’être explorée par les survols successifs des sondes Voyager 1 et 2 en 1980 et 1981, puis caractérisée en détail lors du tour orbital de la sonde Cassini entre 2004 et 2017, dont l’ultime phase, une série d’orbites polaires rapprochées sobrement baptisée « le Grand Finale » (dont le e final garde la trace sémantique de son origine, un hommage à l’opéra italien), s’est conclue par la spectaculaire plongée de la sonde dans l’atmosphère planétaire le 15 septembre 2017 [3].

3. schéma de principe de la magnétosphère de saturne et des processus complexes qu’elle héberge. Les émissions aurorales sont produites au- dessus des pôles magnétiques.
Les mesures du champ magnétique ainsi obtenues au plus près de la planète ont d’abord permis de confirmer une particularité unique de Saturne dans le Système solaire : son axe magnétique est confondu avec son axe de rotation (avec un écart angulaire < 0,0095° !). Cela rend la magnétosphère symétrique et les théoriciens perplexes, car un angle significatif (observé sur toutes les autres planètes magnétisées) est nécessaire pour générer un champ magnétique stable par effet dynamo. Saturne possède également un champ magnétique comparable à celui de la Terre (0,2 gauss en surface à l’équateur, contre 0,3 gauss pour la Terre), mais est dix fois plus éloignée du Soleil. Il en résulte une magnétosphère sensible au vent solaire et très étendue, atteignant 20 rayons planétaires (un rayon équatorial kronien [Note 2] mesure 60 268 km) côté jour et plusieurs centaines de rayons planétaires côté nuit. Autre fait d’importance, Saturne tourne rapidement, avec une période de rotation inférieure à 11 heures, ce qui affecte directement la circulation du plasma dans la magnétosphère. Soumis à la force centrifuge mais contraint de suivre les lignes de champ magnétique, le plasma s’accumule le long d’un disque près de l’équateur magnétique. Enfin, et découverte majeure de la première partie de la mission Cassini, sa principale source de plasma est le satellite de glace Encelade, dont les panaches de matière glacée alimentent la magnétosphère à hauteur d’environ 100 kg de plasma par seconde, ce qui donne naissance à un tore le long de l’orbite de la lune, distante de 4 rayons kroniens. Ces propriétés font de la magnétosphère de Saturne un objet astrophysique complexe, à la fois un cas intrinsèquement très particulier d’une part, et à mi-chemin entre la Terre (champ modéré, pas de source de plasma interne, rotation lente) et Jupiter (champ magnétique élevé, Io comme source principale de plasma, rotation rapide) d’autre part.
Les aurores de Saturne ont été essentiellement observées dans les domaines UV (par les observatoires spatiaux IUE, Voyager, Hubble puis Cassini) et radio (par les sondes Voyager, Ulysse et Cassini), mais aussi plus récemment dans le proche IR (par des télescopes au sol et Cassini) et tout dernièrement dans le visible (par Cassini uniquement car, dans ce domaine de fréquences, il faut pouvoir observer les aurores du côté nuit avec un contraste suffisant vis-à-vis de la contribution de l’atmosphère, comme sur Terre). Malgré plusieurs tentatives, aucune émission X n’a été détectée à ce jour, probablement en raison d’un niveau d’émission trop faible pour la sensibilité des télescopes actuels ou à cause d’une faible activité aurorale coïncidant avec les observations (les planètes savent se montrer facétieuses). Ces différents domaines spectraux sondent des processus d’émission variés et nous fournissent des informations riches et complémentaires.

4. images des émissions aurorales UV, ir (observées le 27 janv. 2009), visible (observées le 27 nov. 2011) et radio (le spectre dynamique degaucheaétéobtenudu12au15sept.2017, l’image radio de droite a été obtenue le 7 mars 2017) de saturne en fausses couleurs par les spectro-imageurs UVis, iss, Vims et rPWs de la sonde Cassini. (NASA/ESA, L. Lamy, LESIA/Obs. de Paris/CNES
Des aurores colorées
La fenêtre UV (ou visible) bénéficie d’une excellente résolution angulaire propice aux images. Elle sonde la réponse instantanée de la haute atmosphère neutre aux précipitations aurorales avec les transitions électroniques des espèces dominantes H et H2 entre 80 et 160 nm (ou la raie de Balmer rouge de H). Outre une mesure directe de l’énergie rayonnée, l’analyse des spectres UV permet aussi de déterminer la profondeur de pénétration des électrons énergétiques et ainsi leur énergie. La fenêtre proche IR permet de mesurer la réponse de la haute atmosphère ionisée avec les raies de la molécule H3+ entre 3 et 5 μm, sensibles à la température. Ces observations « optiques » sont acquises lors de séquences d’observations discontinues, souvent espacées dans le temps. Hubble a ainsi observé régulièrement les aurores UV de Saturne lors
de plus de 15 programmes d’observations étalées de 1994 à 2017. Une illustration des aurores UV, visible et IR de Saturne observées par les spectro-imageurs de la mission Cassini est visible en haut de la figure 4.
Les émissions radio aurorales couvrent la gamme basse fréquence s’étalant de 1 kHz à 1 MHz et ne peuvent donc être observées que depuis l’espace (l’atmosphère terrestre est opaque aux fréquences inférieures à 10 MHz). Elles résultent d’un mécanisme bien connu des radioastronomes, fondé sur l’amplification d’ondes par des électrons en mouvement circulaire (giration cyclotron) dans le champ magnétique de Saturne. Ces émissions radio se produisent au-dessus de l’atmosphère jusqu’à quelques rayons planétaires de distance le long de lignes de champ magnétique connectées, à plus basse altitude, aux aurores atmosphériques. Les observations radio à basse fréquence, donc grande longueur d’onde, ne fournissent généralement pas directement d’images, mais peuvent mesurer le spectre radio en continu pendant de longues périodes de temps, comme représenté sur le spectre « dynamique » en bas à gauche de la figure 4. Néanmoins, une technique de mesure sophistiquée mise en œuvre sur l’instrument radio embarqué sur Cassini a permis de réaliser les premières « images » d’émissions radio planétaires, telle celle en bas à droite de la figure 4. Elle montre non seulement que les sources radio aurorales sont bien localisées le long des lignes de champ de haute latitude, mais permet d’interpréter finement la richesse des structures observées dans le spectre dynamique.
Vingt-sept ans après la détection des aurores de Saturne, que nous ont-elles appris sur la planète et son environnement ?

5. Évolution temporelle de la résolution spatiale des observations des aurores ultraviolettes de saturne réalisées avec différentsspectro-imageursdeHubble(de performance croissante) et l’instrument Cassini/UVis (à des distances d’observation de plus en plus proches de la planète). Les images sont tracées en fausses couleurs. (NASA/ESA, APIS [5] et W. Pryor, LASP/Central Arizona College)
Des origines multiples
Les sondes Voyager 1 et 2 ont d’abord révélé le rayonnement radio (kilométrique) auroral, observé jusqu’à quelques unités astronomiques (UA) de distance, et montré qu’il est très variable à deux échelles de temps. Le spectre dynamique radio de la figure 4 (qui montre les ultimes observations Cassini, obtenues trois décennies plus tard) illustre que ce rayonnement est d’abord modulé à une période stable (flèches blanches), proche de la variété de périodes de rotation des nuages. Cette période radio de presque 11 heures a servi à définir la période de rotation interne, dont nous reparlerons plus loin. L’activité radio varie ensuite fortement avec le vent solaire, s’intensifiant au passage de chocs interplanétaires qui compriment la magnétosphère (épisodes « d’orages auroraux » comme celui visible sur la figure 4) jusqu’à s’éteindre complètement quand le vent solaire est « coupé », comme l’observa la sonde Voyager 2 en 1981 lorsque Saturne fut exceptionnellement plongée dans la queue de la magnétosphère de Jupiter, située 5 UA plus près du Soleil !
Voyager a aussi détecté les aurores atmosphériques avec son spectromètre UV, et montré que leur activité était corrélée à celles des émissions radio, mais il a fallu attendre Hubble pour en obtenir les premières images. Sur la figure 5, on distingue un ovale auroral prédominant, plus intense du côté matin (du côté gauche des images prises par Hubble depuis la Terre). Il s’intensifie parfois soudainement avec des émissions remplissant l’ovale du côté matin (comme sur les images prises en 2000 et 2004 de la figure 5) avant de revenir progressivement à sa forme circulaire et son intensité initiales au fur et à mesure de la rotation planétaire. Si l’on suit les lignes de champ magnétique associées, pour remonter la trajectoire des particules causant les aurores, on parvient aux parties les plus externes de la magnétosphère, qui sont en contact avec le milieu interplanétaire. Les émissions aurorales UV et radio ont ainsi été imputées à l’interaction variable de la planète avec le vent solaire [4]. Cette interaction est analogue à celle qui prévaut dans le cas terrestre, mais suit un scénario différent. Les lignes de champ magnétique connectées à l’ovale auroral principal forment une frontière au travers de laquelle le mouvement global du plasma change brutalement : on parle de cisaillement de vitesse. Celui-ci a lieu entre les lignes de champ magnétique dites « fermées » (connectées aux deux pôles de la planète et qui tournent avec elle) et les lignes dites « ouvertes » (connectées à un seul pôle et emportées du côté jour vers le côté nuit par le vent solaire). Ce cisaillement produit – en vertu de la loi d’Ampère – un courant électrique à grande échelle qui circule le long des lignes de champ aurorales pour se refermer dans la haute atmosphère ionisée de Saturne. On parle de courant « aligné » avec les lignes de champ, l’équivalent des courants de Birkeland terrestres. À haute latitude, comme on l’a vu, la densité de plasma, dominée par les électrons (les ions, plus lourds, étant confinés à l’équateur), est faible et la continuité du courant nécessite d’accélérer les électrons ambiants restants [Note 3]. Dans le cas de Saturne, l’énergie cinétique mesurée des électrons ainsi accélérés qui précipitent dans l’atmosphère varie de 1 à 20 kiloélectronvolts [Note 4] d’une région à l’autre des aurores. L’arrivée de ces électrons énergétiques aux pôles magnétiques à toutes les longitudes permet d’expliquer l’ovale circumpolaire observé. L’intensification des aurores côté matin correspond dans ce scénario à un cisaillement de vitesse maximal, donc une accélération d’électrons plus efficace.
La résolution croissante des observations Hubble et l’arrivée de Cassini en orbite, jusqu’à l’extrême précision des images obtenues pendant le Grand Finale représentées sur la figure 5, ont révolutionné cette vision. L’ovale auroral, qu’on appellera désormais plus modestement ovale principal, n’est pas une structure continue, ni même toujours avec une forme d’ovale, mais morcelée en une grande variété de régions actives variables temporellement jusqu’à l’échelle de la minute qui signalent des processus complexes et dynamiques à petite échelle dans la magnétosphère [6]. En dehors de cet ovale coexistent trois grandes catégories d’émission.
À plus basse latitude, on trouve un ovale secondaire (initialement découvert sur l’image Hubble du 26 janvier 2004 de la figure 5 et bien visible sur celles de Cassini prises ultérieurement), peu variable et d’intensité beaucoup plus faible. Il a été attribué à la précipitation dans l’atmosphère d’une population d’électrons « chauds » (d’énergie ~1 keV) présente en permanence dans la partie de la magnétosphère la plus proche de Saturne. À plus haute latitude, on trouve des taches ou des arcs transitoires brillants. Ces émissions ont été directement reliées à l’interaction entre la magnétosphère et le vent solaire par un processus de reconnexion magnétique entre les lignes de champ planétaire et interplanétaire du côté jour de la magnétosphère capable de transférer de l’énergie aux particules. Ce type de signatures intermittentes, qui permet de cartographier de manière dynamique la portion de la magnétosphère ouverte sur le vent solaire, est l’équivalent des aurores peu intenses de cornet polaire (le cornet polaire, nommé cusp en anglais, est indiqué sur la figure 3) régulièrement observées sur Terre.
Enfin, une dernière composante aurorale a été identifiée sur seulement trois images UV de toute la mission Cassini, dont l’une, prise en 2008, est représentée sur la figure 6. Il s’agit d’une tache située exactement au « pied » magnétique de la lune Encelade : autrement dit, remonter la ligne de champ associée à cette tache aboutit au satellite. Ce type de signature est bien connu sur Jupiter, où des taches brillantes semblables sont associées aux lunes Io, Ganymède et Callisto. L’empreinte aurorale d’Encelade révèle une interaction planète-satellite qui prend la forme d’un autre système de courant électrique « aligné », généré par le déplacement de la lune dans le champ magnétique de la planète et se refermant le long des lignes de champ de haute latitude, où il peut à nouveau accélérer les électrons froids ambiants. Jusqu’à cette découverte, les interactions planète-satellite étaient l’apanage du système de Jupiter. Le cas Saturne-Encelade révèle un processus universel, avec des caractéristiques très différentes (émission faible et très variable).

6. (À gauche) image d’artiste associant une observation UV à distance de Cassini/UVis et une observation de particules énergétiques au-dessus d’encelade de l’instrument Cassini/inCA à quelques semaines d’intervalle. (À droite) Projection polaire de l’observation UV. en dehors des aurores intenses autour du pôle, une tache (encadrée en blanc) indique l’empreinte aurorale d’encelade.
Le mystère de la longueur du jour
Une question qui reste largement incomprise à l’issue de la mission Cassini forme un sujet d’étude majeur depuis Voyager : la détermination de la période de rotation interne de Saturne [7]. Contrairement aux planètes rocheuses, il n’y a pas de repère fixe à suivre à la « surface » des planètes géantes où les nuages se déplacent le long de bandes de latitude à des vitesses différentes. Pour identifier la période de rotation interne, une alternative est de mesurer la période de modulation d’une observable liée au champ magnétique, lui-même formé dans le cœur planétaire. Les émissions radio ont été le diagnostic le plus utilisé, étant observables à distance et continûment pendant de longues périodes de temps. Les périodes radio mesurées pour les quatre planètes géantes (parfois vérifiées à l’aide d’autres mesures in situ) ont ainsi été officiellement adoptées comme périodes de rotation par l’Union astronomique internationale.
Cependant, l’existence même d’une période radio pour Saturne (séparant les sursauts radio réguliers indiqués par les flèches blanches sur le spectre dynamique de la figure 4) pose déjà un premier problème. Alors que l’angle entre l’axe de rotation et l’axe magnétique des autres géantes est significatif (d’une dizaine de degrés ou plus), ce qui conduit à interpréter la modulation radio observée par un observateur fixe comme un phare tournant, celui de Saturne est nul et ne devrait pas induire de modulation rotationnelle des émissions. Les observations à distance des sondes Ulysse dans les années 1990, puis Cassini à partir de 2003 ont révélé deux problèmes supplémentaires.
D’abord, la période radio mesurée varie d’environ 1 % à l’échelle de quelques années, une variation trop grande pour s’expliquer par une accélération ou un ralentissement du cœur planétaire. Ensuite, Saturne ne dispose pas d’une, mais de deux périodes radio, chacune correspondant à un hémisphère. Ces deux périodes radio varient lentement à l’échelle de quelques années de manière anti-corrélée. Une illustration de la variation des périodes radio nord et sud mesurées pendant la totalité de la mission Cassini est représentée sur la figure 7. Cette variation anti-corrélée à long terme a conduit à penser que la variation saisonnière[Note 5] de l’illumination solaire des régions polaires pouvait jouer un rôle dans un « ralentissement » de la période de l’hémisphère éclairé par rapport à une période de référence interne plus courte, par son influence sur la conductivité ionosphérique et ainsi sur les systèmes de courant qui couplent la magnétosphère à l’ionosphère pour donner naissance aux émissions radio. Néanmoins, la figure 7 montre que les deux périodes radio se sont « croisées » plusieurs années après l’équinoxe, alors que la période sud avait atteint son maximum bien après le solstice. En d’autres termes, même l’hypothèse la plus aboutie de variation saisonnière n’explique pas tout.
Plusieurs découvertes sont néanmoins venues lever une partie du voile sur ce mystère. Les deux périodes radio nord/sud ont été observées dans nombre d’autres phénomènes de la magnétosphère (oscillations locales du champ magnétique ou de la densité de plasma, oscillations de l’intensité et de la position des aurores UV/visible/IR, oscillations des frontières de la magnétosphère, etc.). Toutes ces modulations sont la conséquence directe de deux systèmes de courants électriques « alignés » le long des lignes de champ magnétique, tournant chacun dans un hémisphère à une période propre. L’origine de ces systèmes de courant reste cependant inconnue. L’hypothèse la plus défendue postule l’existence de deux tourbillons géants de matière dans la haute atmosphère ionisée, capables de produire un courant électrique à longue durée de vie et avec des périodes de rotation contrôlées par l’interaction entre l’atmosphère ionisée et l’atmosphère neutre. Cependant, ils se situeraient dans une région peu dense difficile à sonder, même pour Cassini, et valider cette hypothèse reste un défi.

7. Périodogramme des émissions radio aurorales de saturne en fonction du temps. Les courbes bleues et orange, ajustées sur les signaux périodiques les plus intenses, correspondent aux périodes radio des hémisphères nord et sud. (L. Lamy, LESIA/Obs. de Paris/CNES)
L’exploration in situ, une clef pour aborder la microphysique
Le panorama dressé montre que nous avons désormais une bonne connaissance des différentes composantes des aurores de Saturne, leur distribution spatiale, leur budget d’énergie et leur dynamique sur des échelles de temps allant de la saison à la minute. Associée à un bon modèle de champ magnétique, tel celui bâti à partir des dernières mesures de Cassini, l’observation de ces émissions permet de diagnostiquer précisément les régions actives de la magnétosphère et nous éclaire sur les processus globaux qui s’y déroulent, telle que la circulation générale du plasma, les systèmes de courant électrique à grande échelle, l’interaction variable entre Saturne et le vent solaire, entre la planète et sa lune Encelade, etc. Entre ces deux bouts de la chaîne, l’étude de la microphysique des processus d’accélération et de rayonnement, c’est-à-dire la manière dont l’énergie est transférée de la magnétosphère vers les régions polaires, commence à peine à éclore. C’est en effet grâce aux mesures in situ acquises lors du Grand Finale, lorsque la sonde a traversé les régions où accélération des particules et rayonnement radio se produisent, que ces questions peuvent pour la première fois être abordées pour Saturne et comparées au cas terrestre. Le hasard des calendriers des agences spatiales faisant parfois bien les choses, la sonde américaine Juno mène en ce moment même, et depuis son arrivée en orbite polaire autour de Jupiter mi-2016, des mesures similaires permettant de faire de la planétologie comparée in situ en même temps pour les deux géantes ! Cette coïncidence forme un véritable âge d’or pour la physique aurorale planétaire, même s’il faudra certainement plusieurs décennies pour analyser pleinement les données de ces deux sondes. Les premiers résultats in situ du Grand Finale confirment une chose importante : le rayonnement radio auroral de Saturne est produit par le même mécanisme que celui de la Terre, même si c’est dans un environnement très différent [6]. Cela suggère un mécanisme de rayonnement universel, capable de révéler des exoplanètes en orbite autour d’étoiles plus lointaines que le Soleil. De quoi attendre leur détection avec plus d’impatience encore.
par Laurent Lamy | LESIA – Observatoire de Paris

Publié dans le magazine L’Astronomie Mars 2019
Remerciements : L’auteur de ces lignes remercie Renée Prangé pour une relecture minutieuse, dans l’esprit et la lettre, ainsi que le comité éditorial de l’Astronomie pour ses commentaires constructifs et pertinents.
Références
[1] F. Mottez, Aurores polaires – La Terre sous le vent du Soleil, Belin, 2017, ISBN 978-2-7011-9605-3.
[2] P. Zarka, « L’environnement magnétique des planètes », l’Astronomie, mars-avril 2007, p. 151-157.
[3] Un rapide bilan scientifique de la mission Cassini est dressé dans cette animation du JPL : www.jpl.nasa.gov/video/details.php?id=1464
[4] Cette animation d’images UV de Saturne prise en 2017 avec Hubble montre clairement la dynamique des aurores à l’échelle de plusieurs semaines : www.youtube.com/watch?v=v3pp7DhxPtk
[5] Le service CNRS/INSU APIS (Auroral Planetary Imaging and Spectroscopy) permet de compulser des observations aurorales planétaires en ligne : http://apis.obspm.fr [6] Cette animation des aurores visibles de Saturne mesurée en 2009 avec Cassini montre des rideaux d’émission tournant avec la planète variable à l’échelle de quelques dizaines de minutes : www.youtube.com/watch?v=yWOjfznja6o
[7] Cette animation grand public résume fidèlement la problématique de la modulation rotationnelle radio : www.sciencemag.org/news/2018/10/how-long-saturn-s-day-search-reveals-even-deeper-mystery
[8] Les premières traversées des sources du rayonnement radio auroral kronien ont livré leurs résultats : https://www.obspm.fr/cassini-grand-finale-une.html
Notes
- Les émissions de faisceau sont produites directement par les faisceaux de particules. Par opposition les émissions par impact sont produites par les molécules de l’atmosphère. – 2. Du grec Kronos, assimilé par les Romains à Saturne. – 3. Pour maintenir un courant électrique, il faut conserver le produit de la vitesse par la densité des porteurs de charge électrique (ici les électrons). Si la densité diminue, il faut augmenter la vitesse, donc accélérer les électrons. – 4. Le kiloélectronvolt (ou keV) est une unité d’énergie correspondant à celle d’un électron accéléré par un potentiel électrique de 1 000 volts. – 5. Saturne effectue une révolution autour du Soleil en 29 ans.
par Sylvain Bouley | Jan 14, 2024 | Zoom Sur
Draperies lumineuses vertes ou grandes étendues rouges dans le ciel, les aurores sont faciles à contempler dans les régions polaires de la Terre. On sait qu’elles résultent essentiellement de l’interaction du vent solaire avec l’atmosphère terrestre. Mais existent-elles sur chaque planète du Système solaire ? Les ingrédients indispensables pour les produire sont-ils réunis ailleurs que sur Terre ?

C’est dans la gamme des ultraviolets (UV) que les aurores sont les plus lumineuses. Les UV sont filtrés par l’atmosphère, donc on ne les voit pas depuis le sol. Depuis l’espace, les caméras UV sont les meilleurs instruments pour détecter les rayonnements à ces longueurs d’onde. En scrutant les autres planètes dans la gamme des UV, par exemple avec le télescope spatial Hubble, des aurores ont été observées sur Jupiter, Saturne et même Uranus !
LES ÉLECTRONS, LES PINCEAUX POUR PEINDRE LES AURORES
Les aurores sont engendrées par des particules chargées, principalement des électrons, venant de l’espace et dirigées vers la haute atmosphère de la planète. Lorsqu’un électron rencontre des atomes atmosphériques (un seul électron pouvant subir des dizaines de collisions), les atomes bousculés absorbent une partie de son énergie et la restituent sous forme de lumière, d’où la luminosité des aurores.
La question a longtemps été de savoir quelle était l’origine de ces électrons. Une source possible est le Soleil : notre étoile émet en permanence un vent peu dense mais très rapide (400 à 800 km/s, tant au niveau de la Terre qu’à des distances plus grandes) composé d’électrons et d’ions d’hydrogène H+ (c’est-à-dire des protons) et d’hélium He+. Pour la Terre, le vent solaire est effectivement la source des particules chargées aurorales. Pour Jupiter, dont les aurores sont très puissantes, le vent solaire, déjà peu dense au niveau de la Terre (5 électrons par centimètre cube), l’est encore moins près de Jupiter. Le flux de particules solaires ne peut permettre à lui seul d’expliquer les aurores de Jupiter, et encore moins celles de Saturne et d’Uranus.

Ce schéma de la magnétosphère de Saturne
présente les principaux ingrédients qui participent à sa structure globale. Ces ingrédients, comme le champ magnétique planétaire, les gaz ionisés, les anneaux et les poussières, sont communs aux quatre planètes géantes, mais pourtant chaque magnétosphère est unique au sein du Système solaire.
DES SOURCES D’ÉLECTRONS VARIÉES
L’exploration spatiale de Jupiter, commencée avec le passage des sondes Voyager à la fin des années 1970, a montré que le plus proche satellite de Jupiter, Io, possède des volcans extrêmement actifs (l’Astronomie no 151). Comme cela a été confirmé avec la sonde Galileo, une partie des panaches volcaniques de Io s’échappe et se satellise autour de Jupiter, formant une région riche en gaz ionisés par le rayonnement solaire, c’est-à-dire en ions moléculaires et en électrons. C’est une des sources principales d’électrons capables de produire les aurores de Jupiter.
De même pour Saturne, les observations de la sonde Cassini ont révélé que le satellite Encelade émet de grands panaches d’eau qui viennent alimenter un tore (un anneau assez épais) de gaz ionisé en orbite autour de Saturne. Mais l’approvisionnement en particules chargées ne suffit pas à tout expliquer. Il faut que celles-ci tombent sur la planète pour rencontrer le gaz atmosphérique, et qu’elles aient une énergie suffisante pour expliquer la luminosité des aurores observées.

Ces deux schémas présentent les ordres de grandeur de la longueur caractéristique de chaque magnétosphère planétaire, dans deux unités de mesure différentes. Cette longueur caractéristique est la distance de la frontière du champ magnétique planétaire côté jour, avant la région dominée par le vent solaire. En haut, la taille est donnée en fonction du rayon de la planète à l’origine de la magnétosphère, en bas cette distance est rapportée en kilomètres.
LA MAGNÉTOSPHÈRE, CHEVALET DU PEINTRE DES AURORES
Dans le cas de la Terre, seule une très petite partie du vent solaire qui rencontre la Terre est utilisée pour produire les aurores. En revanche, les électrons causant les aurores sont typiquement dix fois plus énergétiques que ceux arrivant directement du vent solaire. Donc, la Terre n’est pas un simple collecteur de vent solaire, c’est aussi un accélérateur de particules. Dans le cas de Jupiter et de Saturne, il existe aussi « quelque chose » qui permet aux particules des tores de Io et d’Encelade, piégés dans le plan équatorial de la planète, de s’en échapper pour finalement tomber avec de grandes énergies très près des pôles. Ce « quelque chose » est la magnétosphère.
La magnétosphère est la région dominée par le champ magnétique planétaire, qui forme une cavité dans le vent solaire ambiant. La Terre, Jupiter, Saturne, Uranus, Neptune et même la petite Mercure ont en commun d’avoir un champ magnétique structuré à l’échelle planétaire qui est à l’origine d’une magnétosphère. Notons ici que Mercure a un champ magnétique suffisant pour avoir une magnétosphère planétaire miniature, mais pas d’atmosphère, donc pas d’aurore.
Le champ magnétique est en tout cas le troisième ingrédient fondamental des aurores (en plus d’une atmosphère et des électrons). La magnétosphère permet en effet d’accélérer les particules issues du vent solaire, d’organiser la circulation des particules chargées en provenance des lunes et de les précipiter vers les pieds des lignes de champ magnétique de la planète.

La dynamique des magnétosphères
dépend beaucoup de la géométrie relative de l’axe magnétique de la planète par rapport à la direction du vent solaire.
DES MAGNÉTOSPHÈRES PLANÉTAIRES TRÈS DIVERSES
Les planètes « magnétisées », Mercure, la Terre et les planètes géantes, ont des champs magnétiques d’intensités très différentes. La pression magnétique fournie par la planète varie donc d’une planète à l’autre. Comme le vent solaire est de moins en moins dense en se propageant loin du Soleil, sa pression dynamique sur les planètes décroît quand on s’éloigne du Soleil. La taille caractéristique d’une magnétosphère résulte d’un équilibre de ces deux pressions. On a donc dans le Système solaire des magnétosphères de tailles extrêmement variées !
En plus de cette question de taille, la géométrie relative de la magnétosphère d’une planète par rapport à la direction de propagation du vent solaire peut varier au cours d’une journée (Uranus et Neptune), au cours des saisons (Jupiter, Saturne, Uranus et Neptune) ou ne pas varier du tout (Mercure). C’est la conséquence de la rotation plus ou moins rapide des planètes, autour d’un axe de rotation plus ou moins aligné avec l’axe du champ magnétique.
La championne des changements de géométrie est sans aucun doute la magnétosphère d’Uranus, la plus exotique des magnétosphères planétaires et la moins explorée à ce jour : aucune mission n’a pour l’instant pu se mettre en orbite pour la mesurer en détail. Les simulations numériques permettent de comprendre comment la dynamique de la magnétosphère d’Uranus diffère de celle des autres planètes.
Ajoutons à cela la présence éventuelle de ceintures de radiation, d’interactions avec la surface ou l’atmosphère de la planète, de lunes sources de gaz ionisés, d’anneaux et de poussière, et l’on obtient toute une zoologie de phénomènes magnétosphériques qui font de chaque magnétosphère un laboratoire unique de physique des gaz ionisés !

Les magnétosphères d’Uranus et Neptune bouleversent notre compréhension des magnétosphères planétaires.
LES PLANÈTES SANS AURORES
Mars et Vénus ont une atmosphère, mais il leur manque, pour offir de belles aurores polaires, l’effet structurant et accélérateur d’une magnétosphère, car Mars et Vénus n’ont pas de champ magnétique développé à l’échelle de la planète. Neptune dispose d’une atmosphère, d’un champ magnétique, mais le vent solaire y est extrêmement ténu et, jusqu’à présent, aucune aurore n’y a été observée. Outre les planètes, la Lune n’a pas d’aurores, car elle n’a ni champ magnétique ni atmosphère.
En résumé, pour exhiber des aurores brillantes, il faut une atmosphère, une source de particules électriquement chargées qui peut être le vent solaire, ou une source interne liée à des satellites, et aussi une source d’énergie capable d’accélérer ces particules. Seules la Terre, Jupiter, Saturne et Uranus remplissent ces conditions dans l’état actuel des observations. Mais au-delà des aurores, la physique magnétosphérique permet d’étudier de nombreux phénomènes d’échanges d’énergie entre notre étoile et ses planètes. Cette interaction « magnétique » entre une étoile et ses planètes commence par ailleurs a être détectée au-delà de notre Système solaire. Les aurores ne permettant pas de tout comprendre, il est insuffisant de se contenter des observations depuis la Terre pour étudier l’environnement ionisé des planètes. Les magnétosphères planétaires sont donc des thèmes scientifiques fondamentaux des futures missions d’exploration du Système solaire.


Fabrice MOTTEZ – CNRS/Observatoire de Paris-PSL
Léa GRITON – Sorbonne Université, Lesia, Observatoire de Paris

Publié dans le magazine L’Astronomie Septembre 2021
par Sylvain Bouley | Jan 14, 2024 | Zoom Sur
Le vent solaire est invisible, et pourtant il est partout dans le Système solaire. Au cœur des objectifs de deux missions spatiales actuellement au plus près de notre étoile, il garde encore de nombreux mystères. Pourtant, comprendre son interaction avec les planètes, et en particulier la Terre, est un défi majeur pour la communauté scientifique.
Les astronomes ont, comme les botanistes, la manie de classer les objets de leurs découvertes en catégories, en familles, en classes, en sous-classes, aboutissant ainsi à de multiples zoologies célestes utiles à l’analyse des données d’observation et à la compréhension de l’Univers. Cette classification est, plus qu’utile, parfaitement nécessaire pour ordonner la pensée scientifique. Cependant, elle efface parfois un aspect fascinant du fonctionnement de l’Univers que sont les interactions.

1. Kristian Birkeland (à gauche), vers 1900, dans son laboratoire de l’université de Christiania (l’ancien nom de la ville d’Oslo), avec son expérience, la « terrela », qui tente de simuler le phénomène à l’origine des aurores polaires.
Interactions étoiles-planètes
Le Soleil est une étoile. C’est donc, par définition, un objet différent d’une planète. Et pourtant, le Soleil interagit avec la Terre. Cette interaction passe évidemment par la lumière, qui rayonne de l’étoile et baigne tous les objets alentour, mais pas seulement. L’atmosphère du Soleil est très vaste et se propage vers les planètes sous la forme d’un gaz qu’on appelle le vent solaire. Ce vent solaire interagit avec tout ce qui l’entoure, petits corps, planètes magnétisées et non magnétisées, poussières, lunes de planètes : rien autour du Soleil ne lui échappe. Les objets célestes ne peuvent donc pas éternellement être étudiés séparément, dans des boîtes bien délimitées et étanches, symbolisées par des départements d’agences spatiales différents ou des lignes de crédit séparées (l’on pense en particulier aux divisions habituelles d’« héliophysique » et de « planétologie »). L’étude des interactions étoile-planète commence, et c’est heureux, à se développer au-delà de notre Système solaire, alors même qu’elles sont encore mal comprises dans l’environnement proche de notre étoile. L’interaction étoile-planète peut couvrir de nombreux aspects, et je ne pourrai pas traiter ici des différentes facettes de cette interaction de manière exhaustive. Je me contenterai donc d’explorer ici un élément en particulier : le vent solaire et son interaction avec les planètes du Système solaire.
Un peu d’histoire
Il y a soixante-deux ans, un Américain de l’université de Chicago, Eugene Parker, construit pour la première fois une théorie du vent solaire. Il surnomme ainsi un phénomène que l’on soupçonne depuis les années 1850 de « peindre » les aurores polaires ou de perturber le télégraphe en attaquant le champ magnétique terrestre. À l’époque, on imagine des paquets de particules chargées émis de temps à autre par le Soleil et qui se propagent dans le vide. Au début du xxe siècle, le physicien norvégien Kristian Birkeland étudie sous toutes les coutures les aurores, concluant à l’existence de particules chargées émises par le Soleil en permanence, et non de manière sporadique. Un demi-siècle plus tard, ce ne sont pas les aurores mais les comètes qui amènent l’Allemand Ludwig Biermann à postuler qu’un flot continu de particules chargées venant de notre étoile pourrait expliquer la direction de la queue ionique des comètes et, peu de temps après, l’Anglais Sydney Chapman avance que l’atmosphère du Soleil pourrait s’étendre bien au-delà de l’orbite terrestre et que notre planète baignerait dedans.
Quand Eugene Parker publie en 1958 que tous ces Européens doivent parler d’une seule et même chose, un « gaz interplanétaire » qu’il appelle à l’oral « vent solaire », le débat scientifique s’enflamme et des campagnes d’observation voient le jour. Dès 1959, les premiers satellites confirment les résultats de Parker [1].

2. Cette magnifique image de la couronne solaire, prise lors de l’éclipse totale de 2017, révèle la structure du champ magnétique de notre étoile. on distingue très bien les lignes « ouvertes », s’échappant des trous coronaux aux pôles nord et sud, des lignes fermées, ou « boucles », plus nombreuses autour de l’équateur solaire. Ce sont les électrons qui émettent la lumière blanche photographiée ici : on voit tout de suite que le plasma est beaucoup plus dense autour des boucles fermées que le long des lignes ouvertes.
(© Miloslav Druckmüller/Peter Aniol/Vojtech Rušin/ubomír Klocok/Karel Martišek/Martin Dietzel)
Un vent solaire au coeur de plusieurs missions spatiales en cours
L’héliophysique connaît en ce moment un âge d’or, avec deux missions spatiales en train de sonder l’héliosphère interne au même moment. Lancée en août 2018, Parker Solar Probe (Nasa) est en train de s’approcher au plus près du Soleil. En octobre 2020, puis en janvier 2021, la sonde a frôlé le Soleil à seulement 20 rayons solaires de notre étoile ! Aussi près de l’étoile, la comparaison entre les structures observées dans le vent solaire et les phénomènes à la surface du Soleil devient à la fois plus facile (les phénomènes d’altération liés à la propagation du vent ont un impact minimal) et plus complexe : le niveau de détail des structures à étudier donne le tournis ! Un peu plus loin, mais équipée d’instruments complémentaires, la sonde Solar Orbiter est toujours en phase de croisière, depuis son lancement en février 2020. Elle ne commencera ses mesures scientifiques optimisées qu’en fin d’année. En attendant, certains instruments sont allumés lors de campagnes dédiées et les premières données, d’une résolution inédite, sont en cours d’analyse. Le 26 septembre dernier, les deux sondes étaient alignées radialement par rapport au Soleil, et Parker Solar Probe était pratiquement arrivé au périhélie : cette configuration plutôt rare (c’est la seule de l’année 2020) permet d’étudier plus en détail la propagation du vent, d’abord du Soleil à Parker Solar Probe, et ensuite de Parker Solar Probe à Solar Orbiter. Outre ces deux sondes, il y a bien sûr encore les observatoires spatiaux, comme SoHo, ou les télescopes solaires au sol, qui organisent des campagnes coordonnées pour mieux replacer les données collectées in situ dans leur contexte tridimensionnel.
Le vent solaire aujourd’hui
Le vent solaire est un plasma. C’est-à-dire que le vent solaire est un gaz qui, au niveau de l’orbite terrestre, est dix milliards de milliards de fois moins dense que l’air au niveau de la mer sur Terre. Sa température dépasse les cent mille degrés et sa vitesse moyenne est de plus d’un million de kilomètres par heure.
Le vent solaire, qui emporte avec lui 10–14 fois la masse du Soleil chaque année, résulte des réactions nucléaires qui ont lieu au sein de notre étoile. Il s’échappe en permanence de la couronne solaire, l’atmosphère principalement composée d’hydrogène chaud ionisé qui entoure le Soleil. La couronne solaire est particulièrement visible lors des éclipses par la Lune, d’où le nom de « couronne » (comme on peut le voir sur la fig. 2).
De nos jours, le vent solaire suscite toujours de nombreuses interrogations. En effet, l’héritage des observations passées a conduit à une séparation entre l’étude de l’atmosphère du Soleil, comprise entre la surface de l’étoile et une trentaine de rayons solaires de distance, et le vent solaire lui-même. L’étude de la couronne solaire est assurée par des instruments au sol [2] et les observatoires spatiaux, tandis que les mesures du vent solaire in situ sont prises bien au-delà du champ de vue des observatoires solaires, beaucoup plus loin de l’étoile, la plupart du temps au niveau de l’orbite terrestre.
Ainsi, Ulysses, la sonde de l’Agence spatiale européenne qui a permis d’explorer le vent solaire à la fois dans le plan de l’écliptique mais aussi au-dessus des pôles Nord et Sud solaires dans les années 1990, a prouvé que le vent solaire s’organise en fait en deux composantes principales : aux hautes latitudes, on observe essentiellement le vent solaire rapide, tandis que dans le plan de l’écliptique, où se trouvent les planètes, on mesure un mélange de vent solaire lent et de vent solaire rapide en proportions variables selon l’activité solaire. La sonde a révélé que la structuration du vent solaire dans l’héliosphère dépend de l’activité solaire, qui varie selon un cycle de onze ans environ (voir l’article « Le Nouveau cycle solaire est arrivé », l’Astronomie 143). Le vent rapide, qui se propage autour de 800 km/s, émane principalement des trous coronaux (des régions faiblement émissives en rayons X), qui se situent essentiellement aux pôles pendant la phase calme d’un cycle solaire. Le vent lent (se propageant à environ 400 km/s) doit provenir de régions à proximité de lignes de champ magnétique fermées. On devine ces lignes de champ fermées sur l’image d’éclipse de la figure 2, puisque les électrons qui suivent les lignes de champ magnétique réfléchissent de la lumière blanche issue du disque solaire. Ces lignes de champ fermées, ou « boucles », sont schématisées sur la figure 3.

3. sur ce schéma des lignes de champ magnétique du soleil sont représentées. Les lignes
« ouvertes », dont un seul des deux pieds est planté à la surface du soleil, sont dessinées en différentes couleurs en fonction de leur écartement à la direction radiale à leur base, à la surface du soleil : les lignes violettes sont alignées avec la direction radiale dès leur sortie du soleil, tandis que les lignes rouges s’alignent plus haut, du fait qu’elles contournent d’abord des lignes de champ magnétique fermées (en noir sur le schéma). Les lignes ouvertes sortent principalement des trous coronaux. Au-dessus d’un ensemble de boucles fermé se forme ce qu’on appelle un «helmet streamer», à cause de la forme en «casque» des lignes fermées. La polarité du champ magnétique s’inverse au-dessus de ces
streamers. Par contre, quand il y a deux boucles fermées côte à côte, on assiste à la formation d’un pseudo-streamer, et là la polarité du champ magnétique reste inchangée de part et d’autre des boucles fermées. toutes ces différentes géométries jouent un rôle crucial dans la formation de différents types de vent solaire. (Extrait de l’article de revue de Cranmer, en 2017)
Sachant cela, il reste de nombreuses questions sans réponse, qui constituent autant de défis théoriques, mathématiques, numériques, expérimentaux : la chercheuse américaine Nicoleen Viall et son collègue Joseph E. Borovsky ont publié début 2020 un article intitulé « Nine Outstanding Questions of Solar Wind Physics » (Neuf questions remarquables de la physique du vent solaire) qui les résume. Tout d’abord, les mécanismes physiques permettant d’expliquer l’origine du vent solaire, et en particulier de la composante lente du vent (se propageant à environ 400 km/s), restent aujourd’hui mal compris. Pour l’anecdote, quand j’expliquais que mon équipe, à l’Irap, travaille sur les origines du vent solaire lent [3], un petit malin en stage de 3e a haussé les épaules : « Ça vient du Soleil ! » Eh oui, jusque-là, on était au courant… Mais expliquer dans le détail comment ces particules chargées s’échappent à des vitesses différentes en fonction de leur source à la surface du Soleil, c’est déjà un peu plus compliqué ! En effet, le vent solaire lent n’est pas simplement plus lent, il a aussi une composition différente de celle du vent rapide. Les ions n’ont pas exactement les mêmes états d’ionisation dans les deux types de vent. Comme la composition peut difficilement être altérée au cours de la propagation du vent dans l’héliosphère, ces différences de composition sont sans doute liées à des mécanismes de formation différents à la surface du Soleil. Ce que l’on sait, c’est que la formation du vent solaire est étroitement liée à la structure du champ magnétique solaire, qui est lui-même issu de la zone de convection de notre étoile (lire le zoom de l’Astronomie no 145). La convection des gaz dans cette zone apporte de l’énergie, qui s’ajoute à l’énergie découlant des flux de champ magnétique, et cette énergie apporte de la chaleur à l’atmosphère solaire et commence à accélérer le vent. Les trois grandes questions liées à la formation du vent solaire sont donc : D’où vient le vent solaire sur la surface du Soleil ? Comment est-il éjecté ? Comment est-il accéléré ?
Mais ensuite, comment faire le lien entre les propriétés du vent solaire au niveau du Soleil et les propriétés mesurées au niveau de l’orbite terrestre ? Les processus de transport du vent solaire font l’objet de nombreuses études. En particulier, à partir d’une certaine distance, le vent solaire devient turbulent : la turbulence, décrite pour la première fois par Léonard de Vinci dans les écoulements d’eau, explique comment l’énergie peut être distribuée par les structures de grandes échelles vers les petites échelles, et ainsi expliquer l’organisation et le comportement des différentes populations de particules qui constituent le vent, et leur évolution liée à la propagation du vent. J’ai expliqué plus haut que le plasma interagit avec le champ magnétique. Un paramètre, qu’on appelle l’alfvénicité (du nom d’Hannes Alfvén, le physicien qui a découvert les ondes basse fréquence qui affectent à la fois le champ magnétique et le mouvement des ions), permet de décrire à quel point la vitesse du plasma est corrélée à la direction locale du champ magnétique. L’alfvénicité change avec la distance au Soleil, mais aussi d’une catégorie de vent à l’autre, en fonction de la source. Les ondes jouent aussi un rôle essentiel : ondes d’Alfvén, ondes magnéto-acoustiques, mais aussi ondes résultant d’effets cinétiques, c’est-à-dire intervenant aux petites échelles. Toutes ces ondes transmettent des informations souvent bien plus rapidement que le vent lui-même. Cela peut expliquer comment les flots de vents différents à la source vont ensuite se rencontrer, se mélanger et changer de propriétés au cours de leur voyage vers les planètes.
Les deux sondes actuellement en mission dans l’héliosphère interne, Parker Solar Probe (Nasa) et Solar Orbiter (Esa), vont permettre de résoudre nombre de ces questions en prenant des mesures au plus près de notre étoile (voir encadré 1). En particulier, Parker Solar Probe a effectué cet automne un passage à vingt rayons solaires du Soleil, une distance comprise dans le champ de vue des grands observatoires solaires. Le lien entre Soleil, origine du vent et propagation jusqu’à la Terre n’a jamais été aussi établi que maintenant.
Le vent solaire, un plasma
En 1928, Irving Langmuir (1881-1957) avait introduit le mot « plasma » pour désigner un gaz partiellement ou totalement ionisé. En 1963, David A. Frank-Kamenezki désignait pour la première fois le plasma comme le « quatrième état de la matière ». En ce sens, on ne peut considérer les lois régissant un plasma comme différentes de celles d’un gaz neutre. Malheureusement, elles sont plus complexes, car elles mêlent la mécanique des écoulements d’un fluide aux lois de l’électromagnétisme. Un plasma est donc un ensemble de particules chargées, des ions et des électrons, globalement neutre du point de vue électrique et qui présente néanmoins un comportement collectif. Ce dernier point signifie que lorsqu’on applique au plasma une perturbation, un grand nombre de particules de celui-ci sont impliquées dans la réponse macroscopique à la perturbation. On compare généralement l’effet des collisions binaires entre deux particules passant à proximité l’une de l’autre (effet dominant dans les gaz neutres) et l’effet des interactions collectives. Dans le vent solaire, l’effet des interactions collectives l’emporte très largement, et l’on dit que ce plasma est non collisionnel. Le plasma conduit l’électricité et interagit avec le champ magnétique. Le champ magnétique guide le plasma, mais celui-ci peut à son tour modifier le champ magnétique. De par sa nature de plasma, le vent solaire est étudié à des échelles diverses par différentes théories. Une particule chargée soumise à un champ magnétique dirigé dans une certaine direction effectue un mouvement circulaire autour d’une droite alignée avec la direction du champ magnétique (voir figure ci-contre), mouvement circulaire dont le rayon dépend de la masse de la particule, de l’intensité locale du champ magnétique et de la vitesse de la particule. Ce mouvement circulaire est appelé giration et le rayon de la giration est aussi connu sous le nom de rayon de Larmor. Ce mouvement de giration est aussi associé à une période de giration. Dans un champ magnétique intense et qui varie lentement à la fois dans l’espace et dans le temps (par rapport à la giration), on utilise la théorie du centre-guide pour décrire le mouvement d’une particule par rapport au tube de flux magnétique. Cette théorie permet de comprendre la manière dont une particule chargée évolue par rapport au champ magnétique. Cependant, pour des raisons de calcul évidentes, les équations du mouvement sont impossibles à résoudre pour chacune des millions ou des milliards de particules en jeu dans les phénomènes qui nous intéressent à l’échelle des objets célestes. Il faut donc, pour comprendre les comportements des particules qui composent le plasma, se reposer sur les calculs statistiques, et notamment la probabilité qu’il y ait une particule dotée de telle vitesse à tel endroit. Cette fonction de probabilité est appelée fonction de distribution. Dans le cas général d’un plasma peu collisionnel, une description détaillée de la fonction de distribution des particules est nécessaire, notamment lorsque l’on s’intéresse aux petites échelles, en dessous du rayon de giration des particules. C’est le domaine des théories cinétiques des plasmas, le plus souvent basées sur des équations du type de l’équation de Boltzmann pour le gaz [5], mais avec des termes de forces d’interactions plus complexes. Leur utilisation pour simuler un plasma aux grandes échelles (une magnétosphère planétaire par exemple) est malheureusement très difficile à cause de leur lourdeur en matière de ressources de calcul numérique. Enfin, lorsqu’on s’intéresse prioritairement aux grandes échelles, on peut négliger (sous certaines conditions) les phénomènes microscopiques et considérer le plasma comme un fluide d’ions et un fluide d’électrons, voire comme un fluide unique de particules chargées. La théorie basée sur cette dernière hypothèse est appelée la magnétohydrodynamique (MHD). Les plasmas n’existent pas à l’état naturel sur Terre, mais constituent plus de 99 % de la matière connue de l’Univers, et le plasma du Système solaire est le seul accessible pour les mesures in situ. Sur Terre, les plasmas « artificiels » sont étudiés pour essayer de produire de l’énergie nucléaire par fusion, comme dans le Soleil (et non par fission comme dans les centrales nucléaires actuelles), afin, entre autres problèmes, de réduire l’abondance des déchets liés actuellement à la production d’énergie nucléaire. Ainsi, confronter les théories de la physique des plasmas aux observations effectuées dans le vent solaire est un excellent moyen de faire progresser la physique des plasmas en soi, avec de futures retombées essentielles pour l’humanité

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La magnétosphère de la Terre et son interaction avec le vent solaire
Le vent solaire, s’il est fascinant, est surtout extrêmement dangereux pour les êtres vivants et les objets fonctionnant avec de l’électricité. Heureusement pour nous, et pour nos satellites artificiels, la Terre possède elle-même un champ magnétique complexe et puissant, qui permet de détourner le vent solaire à son arrivée à proximité de la Terre. La présence du champ magnétique terrestre bloque en effet le vent solaire dans sa course, formant ce qu’on appelle un choc (sur le même principe que le choc en forme de cône formé dans l’air par les avions quand ils passent le mur du son). Au niveau du choc, la vitesse du vent solaire dans la direction Soleil-planète passe de 400 km/s à une vitesse très faible, c’est très violent. Le vent est ensuite dévié de part et d’autre de la magnétopause, la frontière de la région dominée par le champ magnétique terrestre. Le vent est ensuite transporté vers le côté nuit, en exerçant de fait une pression sur le champ magnétique terrestre qui s’allonge autour d’une longue queue magnétosphérique. Au niveau de l’équateur, les lignes de champ sortantes se retrouvent collées au lignes de champ entrantes : c’est ainsi que se forme une région de fort courant électrique, qui parfois casse les lignes de champ magnétique (ce qu’on appelle un « orage magnétique »), permettant momentanément aux particules de vent solaire d’entrer dans la magnétosphère terrestre et de remonter le long des boucles fermées, côté nuit. Mais qu’il y ait un orage magnétique ou non, les particules de vent solaire qui remontent vers le pic des lignes fermées, à proximité du cercle polaire, peuvent provoquer les fameuses aurores boréales (dans l’hémisphère Nord) ou australes (dans l’hémisphère Sud, au-dessus de l’océan et du continent antarctique, donc plus rarement observées).
Lorsque le vent solaire est suffisamment puissant, il peut écraser le champ magnétique de la Terre côté jour. Les boucles fermées au niveau de l’équateur peinent alors à résister, et les satellites artificiels peuvent se retrouver sans protection. Pire, le vent solaire peut directement atteindre la surface de la Terre, comme lors de la très grosse tempête de vent solaire de 1859, qui avait provoqué de grosses perturbations du réseau de télégraphie. Si une telle tempête avait lieu aujourd’hui, les dégâts causés sur les infrastructures électriques se chiffreraient en centaines de milliards de dollars et la pagaille provoquée par ces destructions simultanées d’infrastructures à l’échelle d’un continent serait fort grande. Pour anticiper un tel désordre, les agences spatiales, mais aussi les grands groupes industriels privés de l’aérospatiale ont mis en place des programmes de surveillance du Soleil et de modélisation de la propagation du vent, en essayant de prédire ainsi l’arrivée de tempêtes solaires. C’est ce qu’on appelle la météorologie de l’espace.

4. Vue d’artiste de la magnétosphère de la terre avec les principales frontières représentées (les échelles de distance ne sont pas respectées) : le choc en amont (bow shock), la magnétopause et, entre les deux, la région appelée magnétogaine (magnetosheath). on y voit aussi deux satellites, Cluster et XMM-Newton, dont la mission consiste à prendre des mesures de la magnétosphère de la terre. (ESA/ATG medialab)
Les magnétosphères planétaires interagissent différemment avec le vent solaire
Chaque magnétosphère planétaire est unique ! Les ingrédients de base sont pourtant les mêmes : un champ magnétique planétaire, du vent solaire, mais comme les propriétés de ces deux éléments changent d’une planète à l’autre, cela résulte en six cas très distincts. Si l’on place à part la magnétosphère de Mercure, qui est vraiment toute petite, on peut comparer les tailles caractéristiques des quatre magnétosphères géantes à celle de la Terre de plusieurs manières.
La taille caractéristique est définie par l’équilibre entre la pression dynamique du vent solaire au niveau de l’orbite de la planète et la pression magnétique exercée par le champ magnétique de la planète. On voit bien, sur les schémas A et B, que Jupiter a une magnétosphère gigantesque : le champ magnétique interplanétaire, transporté par le vent solaire, met une dizaine de jours à se connecter puis à se déconnecter de la planète ! Sur Mercure, cette durée de connexion magnétique est de l’ordre de la minute ! L’autre horloge de la physique magnétosphérique est dictée par la rotation planétaire. Dans le cas de Mercure, celle-ci est négligeable. Elle commence à jouer un rôle dans la magnétosphère terrestre. Mais c’est surtout pour les magnétosphères des planètes géantes que la rotation planétaire dicte le bal. Avec des périodes de rotation de 10 à 17 heures, et des inclinaisons d’axe magnétique pouvant aller jusqu’à 60° (pour Uranus), la dynamique globale des magnétosphères géantes est absolument fascinante [6].
Que peuvent nous apprendre les autres planètes magnétisées ?
La magnétosphère de la Terre permet aussi de faire de la planétologie comparée : l’étude de l’interaction du vent solaire avec les autres planètes du Système solaire est essentielle à la compréhension de notre situation terrestre. De la génération du champ magnétique à la dynamique globale de la magnétosphère, en passant par des phénomènes étudiés aux toutes petites échelles, l’observation et l’exploration des autres planètes nous apportent des éléments de réponse indispensables à la construction de notre puzzle scientifique.
Le premier constat que l’on peut faire, c’est que toutes les planètes n’ont pas un champ magnétique global, à l’échelle de la planète. Vénus et Mars n’ont en effet pas (ou plus) de champ magnétique. Cela pose de grandes questions, notamment sur le rôle du champ magnétique planétaire dans la protection du développement de la vie. Et bien sûr, dans le cas de Mars, la question de l’envoi d’astronautes et des effets du vent solaire sur les organismes et les installations artificielles est délicate. En revanche, étrangement, Mercure a gardé un champ magnétique certes peu intense, mais suffisant pour soutenir une petite magnétosphère. C’est la seule magnétosphère du Système solaire dont l’échelle de distance caractéristique (mesurée par la position de la magnétopause côté jour) est du même ordre de grandeur que le rayon de la planète elle-même. Pour les autres magnétosphères planétaires (lire encadré 3), la planète est bien plus petite, et peut-être quasiment considérée comme un point par rapport à la totalité de la magnétosphère. Les planètes géantes ont en effet des champs magnétiques très intenses. La reine des magnétosphères planétaires est celle de Jupiter : la queue de la magnétosphère de Jupiter s’étend jusqu’à l’orbite de Saturne !

Les magnétosphères des planètes géantes sont plus ou moins bien connues, en fonction du nombre de missions spatiales qui ont été dédiées à chacune d’entre elles. Mais en combinant mesures in situ et observations au télescope (notamment les radiotélescopes ou les observatoires spatiaux comme Hubble), on arrive à trouver moult indices qui permettent de reconstituer d’incroyables raisonnements scientifiques : par exemple, on étudie l’interaction de la magnétosphère de Saturne avec ses anneaux, l’impact de la lune magnétisée Io sur les aurores polaires de Jupiter, ou encore on retrouve l’orientation du champ magnétique d’Uranus grâce aux quelques pixels lumineux qui correspondent aux aurores sur la planète [4] !
Toutes ces découvertes sont bien sûr à mettre en parallèle avec l’observation des exoplanètes ! Les interactions étoiles-exoplanètes magnétisées commencent à être détectées, ouvrant tout un nouveau domaine de recherche passionnant sur l’interaction des étoiles avec leurs planètes. Le vent solaire est donc, sous bien des aspects, une composante essentielle de l’astrophysique actuelle.
Léa Griton | Institut de recherche en astrophysique et planétologie, Toulouse

Publié dans le magazine L’Astronomie Février 2021
Notes
1. Pour en savoir plus sur l’histoire de la découverte du vent solaire, on conseille l’ouvrage de référence (en anglais) de Nicole Meyer-Vernet et celui de Fabrice Mottez, Aurores polaires – La Terre sous le vent du Soleil, Éditions Belin (en français), 2017. 2. Notamment grâce aux coronographes, voir l’article sur l’histoire des observations solaires dans l’Astronomie, no 143. Ce projet est financé par l’European Research Council sous la direction d’Alexis Rouillard, chargé de recherches au CNRS. 4. Lire l’article de Laurent Lamy sur la magnétosphère de Saturne paru dans l’Astronomie no 125, mars 2019. 5. Voir entre autres Goedbloed and Poedts (2004) ou Russell et al. (2016). 6. Je reviendrai dessus plus en détail dans un prochain article, mais pour les curieux, mon manuscrit de thèse est téléchargeable en ligne : [http://www.theses.fr/2018PSLEO006].