Des expériences reproduisant les conditions de pression et température de la basse atmosphère des planètes géantes glacées mettent au jour deux nouvelles phases de la glace d’eau prédites par les modèles. Celles-ci pourraient expliquer la forme particulière des champs magnétiques d’Uranus et de Neptune.
Contrairement aux champs magnétiques de la Terre, Jupiter et Saturne, ceux de Neptune et d’Uranus (fig.1) sont irréguliers et asymétriques par rapport à leur axe de rotation. Des simulations numériques prédisent que les champs magnétiques de ces planètes sont générés par des glaces ioniquement conductrices, en convection au-dessus d’un intérieur stable ; celles-ci sont confinées à une fine couche occupant jusqu’à un tiers du rayon planétaire. Les deux géantes, dites de glace, contiennent une portion significative d’eau, qui pourrait être la source de ces champs magnétiques atypiques.
La glace dans tous ses états
La glace d’eau existe sous différents états cristallins selon les conditions de pression et de température auxquelles elle est soumise. À la pression atmosphérique terrestre, en dessous de 273 K, nous la connaissons sous la forme d’un assemblage cristallin de molécules d’H2O, nommée glace Ih. Mais d’autres formes existent, y compris des phases de hautes températures lorsque la pression est suffisante pour maintenir les molécules dans une forme solide. Dans des conditions extrêmes, telles celles rencontrées dans la basse atmosphère des géantes de glace, les modèles prédisent un état particulier : la glace superionique. Il est caractérisé par des protons mobiles dans une matrice d’oxygène et une conductivité électrique élevée. Son caractère conducteur rend cette glace beaucoup plus opaque que ses autres phases, d’où son surnom de « glace noire ». Jusque-là, le diagramme de phase de l’eau (fig. 2) sous hautes pressions demeurait largement incertain, notamment en ce qui concerne l’existence de phases superioniques, ainsi que leurs structures et domaines de stabilité. Une étude récemment publiée dans Nature Physics vient préciser ces conditions [1].
Des planètes au laboratoire
Pour ce faire, l’équipe dirigée par Vitali Prakapenka, de l’université de Chicago, a piégé un échantillon d’eau dans une cellule à enclumes de diamant chauffée par deux lasers infrarouges [2] (fig. 3). Ce dispositif expérimental a d’abord permis de porter l’échantillon jusqu’à une pression de 150 gigapascals (GPa), puis de le chauffer progressivement jusqu’à une température de 6 500 K. L’oxygène qu’il contient se réarrange en une structure cubique, puis l’hydrogène s’ionise, rendant la glace conductrice. L’évolution de la structure des glaces obtenues a ensuite été sondée par diffraction aux rayons X. Leur opacité a été mesurée par spectroscopie optique à l’aide d’un laser visible.
Cette étude a permis de mettre en évidence deux nouvelles phases de la glace d’eau. Celles-ci se forment à des pressions et températures dépassant les 20 GPa et 900 K pour la première, nommée glace XX, et 29 GPa et 1 300 K pour la seconde, la glace XVIII. Leurs caractéristiques sont conformes à celles prédites par les simulations. Leurs densités respectives, comprises entre celles des autres types de glaces rencontrées dans ces gammes de température et de pression et celle de l’eau liquide, permettent de les en distinguer. Leur énergie interne plus importante que celle des autres glaces indique une mobilité accrue de leurs atomes d’hydrogène. Enfin, elles sont plus opaques, indiquant qu’elles sont devenues électriquement conductrices. Tous ces éléments confirment la formation de glaces superioniques.
Cette étude apporte un nouvel éclairage sur le diagramme de phase de l’eau à hautes pression et température, et réconcilie les précédentes études et modélisations. Le manteau d’Uranus et Neptune, rendu conducteur par la présence de glaces superioniques, serait donc la source de leur champ magnétique. De futures études sur la viscosité et la conductivité de ces glaces permettraient de mieux comprendre les intérieurs de nos géantes glacées.
Par Mylaine Holin
- V. Prakapenka, N. Holtgrewe, S. Lobanov et al., « Structure and properties of two superionic ice phases », Nature Phyics, 17, 1233–1238 (2021). https://doi.org/10.1038/s41567-021-01351-8
- S. Anzellini, « Hot black ices », Nature Phyics, 17, 1195–1196 (2021). https://doi.org/10.1038/s41567-021-01358-1