Une équipe internationale vient de détecter une planète géante autour d’une étoile âgée de seulement 3 millions d’années. Cette observation confirme que la formation des planètes est un processus très rapide.

Vue d’artiste d’une planète orbitant autour d’une étoile de type T Tauri. (Crédit : Mark A. Garlick)
IRAS 04125+2902 est un système binaire (fig. 1) situé dans la constellation du Taureau à environ 520 années-lumière de nous, et dont la composante principale est une très jeune étoile légèrement moins massive que le Soleil (0,7 masse solaire). Elle appartient au nuage Taurus-Auriga, véritable pouponnière d’étoiles (fig. 2). Ses propriétés spectrales et sa luminosité confirment sa grande jeunesse, seulement 3,3 millions d’années (Myr), et la classe parmi les étoiles (ou protoétoile) de type T Tauri. Ces étoiles sont des cibles de choix pour étudier les premières étapes de l’évolution des systèmes stellaires et de la formation des planètes. Des disques stellaires ont ainsi été détectés autour de plusieurs étoiles de Taurus-Auriga âgées de 1 à 3 Myr, ainsi que la présence, jusqu’à présent non confirmée, de quelques planètes. Une étude publiée dans la revue Nature vient de montrer qu’une planète géante orbite bien autour d’IRAS 04125+2902 [1].

1. Le système binaire IRAS 04125+2902 vu par Pan-STARRS. La composante principale, au centre, est une étoile de type T Tauri légèrement moins massive que le Soleil. (Crédit : Pan-STARRS & Meli Thev)
Une planète géante autour d’IRAS 04125+2902
IRAS 04125+2902 a fait l’objet d’une campagne d’observation menée avec le télescope TESS (Transiting Exoplanet Survey Satellite) de la Nasa dès novembre 2019. Par la suite, TESS a détecté une vingtaine de transits sur cette étoile, c’est-à-dire de légères baisses périodiques de sa luminosité trahissant la présence d’une planète autour d’elle. L’analyse de ces transits, combinée avec d’autres observations réalisées avec les instruments de l’observatoire de Las Cumbres (un réseau international de télescopes robotisés répartis sur la planète), a permis de confirmer l’existence d’une planète, IRAS 04125+2902b, autour de la jeune étoile. Cette planète est légèrement plus petite que Jupiter (son rayon est estimé à 0,96 fois celui de Jupiter), et elle accomplit une orbite en un peu moins de 9 jours. Sa masse a pu, elle aussi, être estimée et se situerait autour de 0,3 fois la masse de Jupiter. Pour autant, IRAS 04125+2902b n’est sans doute pas une géante gazeuse analogue à Jupiter ou Saturne. On s’attend en effet à ce que les planètes géantes évoluent beaucoup au début de leur histoire, et notamment que leur rayon diminue fortement pendant les premières centaines de millions d’années de leur existence. Les observations disponibles semblent montrer que les planètes âgées de 10 à 700 Myr sont plus grosses et moins denses que les planètes plus anciennes. Par exemple, le rayon d’une planète de masse équivalente à celle de Jupiter pourrait, quelques dizaines de millions d’années après sa formation, atteindre jusqu’à 2 fois le rayon actuel de Jupiter avant de décroître jusqu’à sa valeur actuelle. Les astronomes pensent donc qu’IRAS 04125+2902b évoluera vers une planète de type mini-Saturne (de 4 à 7 fois le rayon de la Terre) ou mini-Neptune (de 1,5 à 4 rayons terrestres).

2. Le nuage moléculaire Taurus-Auriga, dans lequel de nombreuses étoiles sont en cours de formation. (Crédit : ESA/Herschel/JPL-CalTech, R. Hurt)
La détection d’IRAS 04125+2902b accrédite l’hypothèse que les planètes (et notamment les planètes géantes) se sont formées très rapidement, en seulement quelques millions d’années. Elle accrédite aussi le scénario de formation par « accrétion de petits grains », qui prévoit justement une formation très rapide (de 3 à 5 Myr au maximum) des planètes (voir encadré). Ce scénario est basé sur l’accrétion initiale (et rapide) de petits grains de matière conduisant à la formation de petits objets de quelques centaines de kilomètres de diamètre. Passé cette étape, ces objets grossissent en aspirant les grains de matière situés dans leur entourage. L’efficacité de ce modèle repose en grande partie sur la migration de grains de matière de la partie externe du disque protoplanétaire vers sa partie interne, migration rendue possible par les forces de frottement induites par les gaz contenus dans le disque.

3. Configuration du système IRAS 04125+2902. De gauche à droite : (a) la composante principale et la composante binaire ; (b) le disque transitoire avec sa cavité centrale ; (c) l’orbite de la planète IRAS 04125+2902b ; et (d) IRAS 04125+2902b en transit. Fait important, pour une raison encore inexpliquée, les orbites du compagnon binaire et d’IRAS 04125+2902b ne sont pas alignées avec le plan du disque transitoire. (Crédit : Barber et al., 2024)
Un disque transitoire gauchi
Au cours du temps, les disques protoplanétaires se dissipent de l’intérieur vers l’extérieur. Cela crée, autour de l’étoile, une cavité temporaire dont le diamètre peut atteindre quelques dizaines d’unités astronomiques, étape aussi appelée « disque transitoire ». Les observations réalisées dans le domaine radio montrent que le disque d’IRAS 04125+2902 est justement en cours de dissipation. Aucune planète n’a pu cependant être observée par imagerie directe dans la cavité. On s’attend bien entendu à ce que les orbites des planètes formées à partir du disque protoplanétaire soient plus ou moins alignées avec le plan de ce disque. Au passage, cela rend la détection de ces planètes très difficile tant que le disque est toujours présent, ce dernier bloquant les rayonnements visibles et infrarouges. Or, si l’orbite d’IRAS 04125+2902b est bien vue par la tranche (de profil, ce qui permet d’observer ses transits), le disque transitoire est, lui, vu de face (fig. 3). Autrement dit, l’orbite de la première n’est pas alignée avec le plan du second. Ce décalage n’est, pour le moment, pas bien compris. Il est possible qu’au moment de sa formation, IRAS 04125+2902b ait été alignée avec le disque, mais qu’elle ait perdu cet alignement lors de sa migration vers la partie interne du système d’IRAS 04125+2902. Cette solution nécessiterait la présence d’un autre objet, relativement massif, dans ce système. Une autre hypothèse, que des simulations numériques semblent étayer, est que le disque ait été déformé et gauchi en interagissant avec son environnement extérieur, par exemple lors de la chute de matière depuis le nuage moléculaire environnant.
Deux scénarios de formation planétaire Il est aujourd’hui admis que les planètes (dont celles de notre Système solaire) se forment par accumulation (ou accrétion) de petits grains de matière contenus dans les disques de gaz et de poussières qui entourent les étoiles au tout début de leur histoire. Dans le cas du Système solaire, les météorites, dont la plupart proviennent de corps parents de quelques dizaines à quelques centaines de kilomètres de diamètre formés très tôt après l’allumage du Soleil, fournissent des informations clés sur les processus qui ont conduit à leur formation. Pour autant, il n’y a toujours pas de consensus quant aux détails de ces processus, et deux principaux scénarios sont toujours en compétition. Selon un premier scénario, connu sous le nom d’accrétion oligarchique, les collisions entre les petits grains de matière conduisent dans un premier temps à la formation de planétésimaux de quelques kilomètres, puis, en l’espace de quelques centaines de milliers d’années, à de petites planètes de tailles intermédiaires entre celles de la Lune et de Mars. Les collisions entre ces objets aboutissent in fine à des planètes rocheuses comme Mercure, Vénus, la Terre et Mars dans le Système solaire. Cette dernière phase est relativement longue, de 50 à 100 millions d’années (Myr), car si elles sont inévitables sur le long terme, les collisions entre petites planètes nécessitent également une part de hasard. Les planètes gazeuses, parce qu’elles sont situées au-delà de la ligne des glaces, se sont sans doute formées plus rapidement, en moins de 10 Myr. Dans ces régions, en effet, des noyaux solides plus volumineux et plus massifs que dans le Système solaire interne ont pu se former, précisément grâce à la présence de différents types de glaces (eau, méthane, etc.). Ces noyaux ont ensuite absorbé les gaz (hydrogène, hélium) présents dans leur environnement. Le second scénario, connu sous le nom de formation par accrétion de petits grains (pebble accretion), est beaucoup plus rapide, de 3 à 5 Myr au maximum. Il s’achève donc avant que les gaz du disque protoplanétaire se soient dissipés. Au départ, il est lui aussi basé sur l’accrétion rapide de petits grains de matière conduisant à la formation de petits objets de quelques centaines de kilomètres de diamètre. Ces derniers continuent ensuite à grossir en aspirant, sous l’effet de leur gravité, les poussières et les gaz présents autour d’eux. Comme dans le scénario d’accrétion oligarchique, les planètes géantes ont, dans un premier temps, acquis des noyaux solides plus volumineux, avant d’absorber les gaz environnants. En revanche, pour expliquer la présence de planètes rocheuses dans la partie interne des systèmes planétaires (comme dans le cas du Système solaire), le scénario par accrétion de petits grains suppose qu’une grande quantité de poussières a pu migrer du système externe vers le système interne. Cette migration est rendue possible par les forces de frottement induites par les gaz encore présents dans le disque, et qui ont pour effet de précipiter des poussières vers étoile centrale. Ces deux scénarios de formation se différencient ainsi par le mode d’accrétion lors de la phase finale (collisions entre planétésimaux vs absorption de grains), par leur durée, mais aussi par les compositions isotopiques des planètes et des météorites qu’ils impliquent. Plus précisément, les rapports d’abondance entre les isotopes de certains éléments dépendent de l’origine des matériaux utilisés pour former les planètes et les corps parents des météorites (voir l’Astronomie 177, décembre 2023). Toutefois, là aussi, les mesures disponibles ne permettent pas de conclure en faveur de l’un des deux scénarios : certaines analyses penchent pour l’accrétion oligarchique, tandis que d’autres favorisent l’accrétion de petits grains.
À ce jour, les observations disponibles ne permettent pas d’estimer la fréquence de ce type de configuration. On ne sait pas si le gauchissement du disque d’IRAS 04125+2902 est un cas plutôt commun ou, au contraire, très rare. De nouvelles mesures dans le domaine radio devraient toutefois apporter des précisions quant à l’alignement de ce disque.
Frédéric Deschamps, IESAS, Taipei, Taïwan
1. Barber M. G. et al., « A giant planet transiting a 3-Myr protostar with a misaligned disk », Nature, 635, 2024, 574-577.

Publié dans le magazine l’Astronomie