LE MAGAZINE DES SCIENCES DE L’UNIVERS EN AFRIQUE

Le 14 octobre dernier, la Nasa a procédé au lancement de la sonde Europa Clipper en direction du système de Jupiter, avec pour mission sa mise en orbite autour du satellite Europe, en vue d’étudier l’océan que l’on présume exister sous sa surface glacée.

Les mystères des lunes glacées de Jupiter

Découverts par Galilée en 1610 grâce à sa lunette (fig. 1), les satellites galiléens – Io, Europe, Ganymède et Callisto, par ordre croissant de distance à Jupiter – ont joué un rôle très important dans l’histoire de l’astronomie. Leur existence a tout d’abord apporté un soutien de poids à la théorie héliocentrique de Copernic alors fortement combattue par l’Église catholique. Très tôt, l’observation des éclipses des satellites, c’est-à-dire leur entrée dans l’ombre de Jupiter ou leur sortie de celle-ci, a été utilisée pour la mesure des longitudes, une information essentielle pour la navigation. Plus tard, en 1676, l’observation des satellites joviens va également permettre à l’astronome danois Olaus Rømer de montrer que la vitesse de la lumière n’est pas infinie ; sa mesure sera précisée cinquante ans plus tard par l’astronome anglais James Bradley. À la fin du XVIIIe siècle, le mathématicien français Pierre Simon de Laplace explique par les lois de la mécanique céleste le phénomène de résonance observé entre Io, Europe et Ganymède dû aux forces de marée exercées par Jupiter : Io effectue quatre révolutions autour de Jupiter pendant qu’Europe en effectue deux et Ganymède une.

Selon les modèles, la croûte de glace pourrait atteindre plusieurs dizaines de kilomètres d’épaisseur, et l’océan pourrait être suffisamment profond pour être en contact direct avec le noyau rocheux d’Europe. On pourrait alors imaginer (fig. 3) l’existence d’une chimie complexe qui pourrait mener à l’éclosion et au développement de la vie, comme dans les sources hydrothermales présentes au fond des océans terrestres ! Ces environnements réunissent en effet les trois conditions que les biologistes estiment nécessaires à l’apparition de la vie : la présence d’eau liquide, de l’énergie (générée par les forces de marée et éventuellement par réactions chimiques), et présence de nutriments (carbone C, hydrogène H, azote N, oxygène O, phosphore P, soufre S…, ceux-ci étant présents dans le noyau du satellite). Europe devient dès lors une cible privilégiée en matière d’exobiologie.

Europe n’est sans doute pas le seul satellite galiléen doté d’un océan d’eau liquide interne. Ganymède, le troisième et le plus gros d’entre eux, possède la particularité de posséder un champ magnétique intrinsèque, découvert par le magnétomètre de la sonde Galileo en 1995. Là aussi, cette découverte pourrait impliquer l’existence d’un océan interne d’eau liquide salée. Selon les modèles, cet océan pourrait se trouver piégé entre deux couches de glace, ce qui limiterait les perspectives en matière d’exobiologie. Quant à Callisto, le satellite le plus éloigné de Jupiter, il est moins affecté par les effets de marée que les trois autres galiléens ; il pourrait aussi être doté d’un océan interne. Dans le système de Saturne, trois lunes pourraient être dotées elles aussi d’un océan interne. Titan possède sans doute, comme Ganymède, un océan liquide entre deux couches de glace ; d’après une analyse approfondie de son orbite, Mimas pourrait aussi héberger un océan interne récent. Mais c’est le petit satellite Encelade, avec un océan liquide sans doute en contact avec la surface, qui semble la cible la plus intéressante. Au total, ce sont donc 5 satellites extérieurs qui pourraient être dotés d’un océan interne, et la liste n’est peut-être pas close.

 

La priorité sur Europe

Parmi les satellites galiléens, Europe est donc, du point de vue de l’exobiologie, la cible la plus prometteuse. Pourtant, la mission européenne Juice a choisi de mettre la priorité sur Ganymède avec une mise en orbite autour de ce satellite. Pourquoi ce choix ? Il a été dicté par des contraintes techniques. Au niveau de l’orbite d’Europe, le rayonnement provenant du champ magnétique de Jupiter est extrêmement puissant et capable de détruire très rapidement les instruments, même protégés par un épais blindage. Avec Juice, l’Esa a fait le choix de se mettre en orbite autour de Ganymède pour l’explorer en profondeur, après deux survols d’Europe. De son côté, la mission américaine Europa Clipper (fig. 4) a opté pour une série de survols rapprochés d’Europe (45 sont prévus), la sonde restant en orbite autour de Jupiter. Les deux missions sont donc très complémentaires.

Partie dix-huit mois après Juice, Europa Clipper va arriver dans le système de Jupiter un an avant la mission européenne, en avril 2030. La mission américaine a en effet bénéficié d’un lanceur particulièrement puissant, le Falcon Heavy non récupérable de la société SpaceX. Europa Clipper est un vaisseau spatial très lourd (6 tonnes, comme Juice, dont environ la moitié de carburant), muni (comme Juice) d’immenses panneaux solaires portant son envergure à 30 m (fig.4). Il emporte une panoplie d’instruments scientifiques d’une masse totale de 350 kg, dont l’électronique, pour la plupart d’entre eux, est située dans un caisson blindé destiné à la protéger des radiations liées à l’intense champ magnétique de Jupiter. Ils comportent deux caméras (visible et infrarouge), deux spectromètres (ultraviolet et infrarouge), un radar destiné à mesurer l’épaisseur de la croûte de glace, un spectromètre de masse pour la mesure in situ de la composition de l’atmosphère ténue d’Europe, un analyseur de poussières, un magnétomètre, un détecteur d’ondes plasma et enfin une expérience de radio-occultation pour caractériser les déformations du globe d’Europe induites par les forces de marée générées par le champ de gravité de Jupiter.

2. Le satellite Europe observé par la sonde Voyager 1 (1979) à gauche, Galileo (1995) au centre et Juno (2022) à droite. (© NASA)

 

Le scénario de la mission

Comme la sonde européenne, Europa Clipper va utiliser l’assistance gravitationnelle pour se propulser jusqu’à Jupiter : deux survols planétaires interviendront, celui de Mars en février 2025, puis celui de la Terre en décembre 2026 ; la sonde aura alors acquis une vitesse suffisante pour atteindre Jupiter.

En avril 2030, la sonde va s’insérer en orbite autour de Jupiter. Pendant six mois, elle va réaliser de multiples survols des satellites galiléens pour finalement se placer sur une orbite en résonance avec celle d’Europe ; sa période sera de 21 jours. L’exploration d’Europe commence alors pour une durée prévue de 3,5 ans, avec une série de 45 survols rapprochés, à des distances minimales très variables, allant de 25 à 2 700 km. Les objectifs des observations sont les suivants : vérifier la présence d’eau souterraine, mesurer l’épaisseur de la banquise, étudier les échanges entre l’océan, la banquise et la surface ; déterminer la composition de la banquise ; déterminer les caractéristiques et le mode de genèse des formations présentes à la surface, en particulier les plus récentes. En juillet 2032, la sonde Juice effectuera deux survols d’Europe à une distance de 400 km, avec une instrumentation un peu différente qui inclut en particulier un sondeur millimétrique et un altimètre laser. La sonde américaine Juno, quant à elle, en opération dans l’environnement de Jupiter depuis 2016, a réalisé en 2022 un survol d’Europe et a pu cartographier sa surface (fig. 2), ce qui permettra d’identifier d’éventuels changements dix ans plus tard. Les télescopes spatiaux Hubble et JWST ont eux aussi des programmes d’observation d’Europe par imagerie et spectroscopie infrarouge.

3. Deux modèles de structure interne d’Europe :à gauche, modèle à glace mince ; à droite, modèle à glace épaisse. Des sources hydrothermales sont représentées en bas de la figure au niveau du noyau rocheux d’Europe. (© Michael Carroll – http://photojournal.jpl.nasa.gov/catalog/PIA10131)

 

Qu’adviendra-t-il des sondes Juice et Europa Clipper à la fin de leur mission ? Elles seront toutes deux précipitées sur Ganymède pour éviter une éventuelle contamination d’Europe par des microorganismes terrestres ; la mission Juno, quant à elle, plongera dans l’atmosphère de Jupiter, comme l’avait fait en 2003 la sonde Galileo. Si les résultats des missions Juice et Europa Clipper sont concluants, il est probable que l’exploration d’Europe se poursuivra dans les décennies qui viennent. La Nasa a dans ses cartons un projet de sonde dédiée à la recherche de biosignatures, avec en particulier un spectromètre de masse qui mesure la masse atomique des molécules. Le travail de cartographie réalisé par Europa Clipper devrait permettre de déterminer les sites les plus favorables, à proximité d’une faille active, sur lesquels pourrait se poser un atterrisseur dans le style de Curiosity, arrivé sur Mars en 2012.

4. Schéma d’Europa Clipper. Sa masse est de 6 t et la longueur totale des panneaux solaires est de 30 m. On distingue notamment les capteurs du magnétomètre (1) et sa perche (2), l’antenne qui sert aux télécommunications (3), les panneaux solaires (7), le module blindé contenant l’électronique (11) et le pont supportant les instruments observant Europe (12). (© NASA)

 

Décembre 2024

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