LE MAGAZINE DES SCIENCES DE L’UNIVERS EN AFRIQUE

On accorde beaucoup de « pouvoirs » à notre satellite naturel, la Lune. Il existe des effets lunaires réels, liés à sa luminosité ou aux marées qu’elle provoque. Ainsi, les proies se cachent les nuits de pleine Lune, car les prédateurs pourraient les voir, et divers animaux marins, comme le ver palolo, ont des cycles reproductifs liés aux marées pour augmenter les chances d’avoir des descendants. Par contre, il existe aussi de nombreux effets imaginaires, des légendes urbaines parfois démontées depuis longtemps mais qui circulent encore, comme des naissances présumées plus nombreuses lors de la pleine Lune… Deux articles récents ont fait le buzz à ce sujet – mais que racontent-ils vraiment ?

 

Solomon, Simeon; The Moon and Sleep; Tate; http://www.artuk.org/artworks/the-moon-and-sleep-201934

LE SOMMEIL

Lorsque la Lune éclaire la nuit, il paraît bien normal qu’elle agisse sur le sommeil. On dort effectivement mieux sans lumière et la présence de lumière peut aussi favoriser la tenue d’activités nocturnes. La première étude parue en 2021 (Casiraghi et al., Science Advances 7 no 5, 2021) a demandé aux habitants de 3 villages argentins de noter pendant environ 3 mois quand ils se couchaient et se levaient. Les villages étaient différents : un très rural, sans accès à l’électricité, un très urbanisé (et éclairé), et un troisième en situation intermédiaire. Les mesures montrent des résultats fort dispersés, mais les moyennes indiquent que les habitants du village rural allaient se coucher 25minutes plus tard dans les journées qui précèdent la pleine Lune (et leur sommeil en était d’autant plus court). Le changement est bien moindre pour les urbains, qui ont accès à un éclairage quand ils le veulent. Une discussion avec les ruraux a d’ailleurs confirmé l’effet direct de la lumière lunaire : traditionnellement, les activités continuent en soirée sous Lune gibbeuse ou pleine.

La suite de l’article est moins claire. Une étude de 463 étudiants de l’université de Washington a été menée, mais ils n’étaient suivis qu’une à trois semaines. Il est difficile de savoir si la présence de lumière a pu influencer leur sommeil (dormaient-ils dans des chambres hermétiques ou avec des tentures laissant filtrer la lumière ?), mais aussi si les échantillons d’étudiants étaient comparables – une précision importante puisqu’on compare le sommeil d’étudiants différents selon les phases ! Cette question de l’échantillonnage avait déjà posé problème lors d’une étude médiatisée en 2013 – remesuré sur des échantillons larges et comparables, l’effet revendiqué alors disparaissait… Enfin, curieusement, les auteurs de l’étude récente finissent par évacuer l’effet de la lumière, pourtant clairement identifié : ils favorisent un effet gravifique, lié aux marées, mais en oubliant certains détails qui contredisent directement cette idée.

 

Raja Ravi Varma, Dame au clair de Lune (1889)

 

LES CYCLES MENSTRUELS

Un second article dans le même numéro de Science Advances (Helfrich-Förster et al.) se penche sur les règles des femmes. Il analyse les agendas où 22 femmes ont noté pendant 5 à 32 ans les dates de début de leurs règles. Les auteurs définissent une « synchronisation » lunaire comme une suite d’au moins 3 débuts de règles coïncidant avec la pleine Lune ou avec la nouvelle Lune. Sur les 22 femmes étudiées, 10 ne montrent jamais (!) de synchronisation. Les autres présentent des synchronisations uniquement intermittentes et parfois ciblées sur la pleine Lune, parfois sur la nouvelle Lune ! Il n’y a en outre aucun effet généralisé (une femme peut être synchronisée à un moment sans que les autres femmes le soient). Enfin, pour une même femme, le degré de synchronisation peut rester stable, augmenter ou diminuer avec l’âge. Comment dans une telle situation parler d’effet lunaire avéré ? C’est pourtant ce que n’hésitent pas à faire les auteurs en parlant, après avoir mentionné leurs résultats réels, de « haute synchronicité avec la Lune » ou d’une « suggestion forte d’une influence [lunaire] sur les cycles reproducteurs humains »…

Outre des contradictions entre leurs résultats et leurs conclusions, il y a aussi des erreurs : par exemple, ils écrivent que seulement deux sujets (#8 et #11) ne présentent aucune synchronisation, alors qu’il y en a 10 dans la table qu’ils publient. Ils effectuent en outre un test de diverses périodes entre 27 et 32 jours, assurant que seule celle de 29,5 jours donne des résultats significatifs, mais assénant un peu plus loin que les périodes sidérale et anomalistique, pile dans l’intervalle testé, fonctionnent tout aussi bien… Ayant considéré deux phases (PL et NL), les auteurs sont aussi fort embêtés de trouver que cela « marche » avec les deux – une analyse précédente (sur laquelle ils se basent et dont on pourrait aussi longuement discuter) mentionnait en effet juste la pleine Lune. Ils expliquent cela par des époques différentes, les cycles menstruels étant perturbés par la pollution lumineuse qui a fortement augmenté avec le temps. Or, il y a un recouvrement dans les années étudiées par les deux études, et les auteurs ne montrent aucun effet temporel. Si leur hypothèse était correcte, ils devraient pourtant observer une évolution au cours du temps (synchronisation avec uniquement la pleine Lune au début, puis progressivement une synchronisation double, avec la nouvelle Lune et la pleine Lune). On pourrait aussi leur reprocher une sélection importante des références : aucune référence ayant conclu à l’absence d’effet lunaire ne s’y trouve, par exemple, ce qui leur permet de pointer du doigt ces méchants scientifiques « sceptiques des rapports sur l’influence lunaire ». Et quand ils citent les cycles des autres primates, seuls ceux proches de 30 jours sont mentionnés – évacués, les chimpanzés et bonobos (les cycles chez les primates ont des durées entre 11 et 55 jours, ce qui est peu lunaire a priori)… Il est d’ailleurs aussi amusant de voir comme perspective l’utilisation des données des applications de smartphones pour étudier plus avant l’effet « détecté » : cela a déjà été fait par l’application Clue, avec des résultats… négatifs ! Finalement, ils identifient la cause de cette « forte synchronicité » comme étant la gravité via les marées, de nouveau. Ils proposent que les humains soient capables de sentir les changements de pression atmosphérique liés aux marées ou les oscillations de champs électro- magnétiques générées par des perturbations de la magnétoqueue. Faut-il vraiment préciser que ces capacités de détection n’ont jamais été

 

Yaël Nazé, Université de Liège

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