LE MAGAZINE DES SCIENCES DE L’UNIVERS EN AFRIQUE

De nombreuses structures d’impact restent à découvrir sur le continent Africain. Pour cela, il faut former la nouvelle génération de géologues à reconnaitre les indices des conséquences des chutes de météorites sur les roches de la croûte terrestre. Le Centre International de Recherche & Restitution sur les Impacts et sur Rochechouart (https://cirir-edu.org/en), au cœur de la structure d’impact de Rochechouart (Fig. 1) est un lieu idéal pour remplir cet objectif, ainsi que pour développer de nouvelles méthodes d’étude des structures d’impact.

Cheikh Ahmadou Bamba NIANG, jeune chercheur, ayant soutenu sa thèse sur les structures d’impact en 2022 à l’Université Cheikh Anta Diop de Dakar effectue depuis le Sénégal ses recherches sur la structure d’impact Rochechouart. Que vient-il chercher au CIRIR et à Rochechouart ?

1 – Localisation de la structure d’impact de Rochechouart et du Centre de Recherche sur les Impact sur Rochechouart sur le terrain français.

 

Son travail de doctorat, qui a permis de documenter les signatures radiométriques de cratères d’impact et élucider l’origine des deux anneaux enrichis en Potassium (K) de la structure d’impact Bosumtwi au Ghana, a ouvert un nouveau champ de recherche : l’étude de la signature gamma des structures d’impact. Le rayonnement gamma est bien connu des astronomes. C’est le rayonnement le plus énergétique, au-delà donc des rayons X. En Astronomie, observer le rayonnement gamma permet d’étudier les processus physiques les plus violents et énergétiques de notre univers : étoiles en fin de vie, supernovas, pulsars, quasars, trous noirs stellaires et supermassifs, galaxies actives.  En Afrique,  le High Energy Stereoscopic System (HESS) est un réseau de télescopes à imagerie Tcherenkov atmosphérique situé à Gamsberg en Namibie pour l’étude des rayons gamma entre quelques dizaines de GeV et quelques TeV. L’acronyme est choisi en l’honneur de Victor Franz Hess, physicien autrichien et américain, qui découvre l’existence du rayonnement cosmique.

Ce rayonnement est aussi observé par les géologues lorsqu’ils regardent non pas vers le ciel, mais vers le sous-sol. Un rayonnement gamma est naturellement émis lors de la désintégration naturelle d’éléments présents dans les sols et roches terrestres. 40K, 232Th, et 238Th sont les trois principaux isotopes instables qui contribuent à ce rayonnement gamma naturel. Ces éléments étant présents au début de l’histoire de la terre, mais comme le taux de désintégration est très lent, il en reste toujours aujourd’hui. Il faut par exemple plus de 14 milliards d’années pour que la quantité de 232Th soit divisée par deux dans une roche. Au passage, ces trois isotopes sont également la source d’énergie interne de la Terre, à l’origine des volcans et des mouvements de convection du manteau, de la tectonique des plaques, et des tremblements de terre.

La cartographie de ce rayonnement permet de remonter à la concentration en potassium (K), thorium (Th) et uranium (U). Ces trois éléments sont très intéressants pour les géologues. Lors de la fusion des roches ou la cristallisation fractionnée, ils préfèrent demeurer avec les liquides silicatés. Leur concentration varie donc sur plusieurs ordres de grandeur et témoignent de l’histoire magmatique des roches étudiées. Lorsque les roches sont en contact avec des fluides, K est transportée, et une roche peut-être très appauvrie en K après le passage d’un fluide, ou enrichie par un fluide très riche en K. En revanche, Th demeure immobile. Pour U, sa mobilité dépend des conditions d’oxydoréduction. La forme réduit de l’uranium (U4+) est contenue dans des minéraux généralement insoluble. La forme oxydée (U6+) est en revanche plus mobile. Ce sont donc de bien précieux traceurs des processus géologiques. Le fait de pouvoir les cartographier à l’aide du rayonnement gamma a conduit à développer de nombreuses techniques au sol, et depuis le ciel, et même l’espace pour établir des cartes de ces éléments, sur Terre, en particulier pour la prospection des ressources minérales et sur d’autres planètes, comme Mars.

Qu’observe-t-on à Rochechouart quand on examine le rayonnement gamma et les éléments qui le produisent ?

Il existe une zone, au centre de la structure actuelle, qui est très riche en potassium (Fig. 2). Les concentrations en potassium dans les échantillons de roche atteignent parfois 10 %, ce qui est assez exceptionnel dans les matériaux terrestres naturels. Ces concentrations extrêmes en potassium sont le résultat d’un phénomène couramment observé dans les grandes structures d’impact : l’hydrothermalisme. En présence d’eau dans le sous-sol, la fracturation et la chaleur produite lors de l’impact sont responsables de la mise en place d’un système hydrothermal. La structure se refroidit progressivement, sur des milliers, voire des millions d’années, selon la taille de la structure. Les gradients thermiques ainsi formés sont responsables de la mise en mouvement de l’eau contenue dans le sous-sol, par simple contraste de densité (l’eau chaude est plus légère que l’eau froide et aura donc tendance à remonter au sein des aquifères). Ce système hydrothermal à transporté le potassium, et par métasomatisme, a enrichi en potassium les roches actuellement exposées à la surface.

2 – Carte de la concentration en Potassium sur la région de Rochechouart, superposée à une carte en relief ombré. Les zones riches en potassium apparaissent en rouge, les zones pauvres en potassium en bleu (source : BRGM).

 

Les cartes obtenues lors d’un survol aéroporté avec une détecteur capable de mesurer le rayonnement gamma, montrent une zone assez nette enrichie en potassium (Fig. 2), qui correspond aussi à la présence des brèches d’impact de Rochechouart : il s’agit de fragments de roche, mélangés ou non avec une matrice fondue lors de l’impact. Ces roches, chaudes au moment de l’impact, sont naturellement au cœur du système hydrothermal de Rochechouart. Mais l’interprétation des données aéroportées soulève de nombreuses questions.

Que signifient les variations en potassium observées dans les données aéroportées ? Sont-elles associés à des brèches de nature différente, à des quantités de matériau fondu différents dans les brèches ? Peut-on distinguer les différents types de brèches à partir de ces données ? Peut-on distinguer les limites de la zone qui a subi l’hydrothermalisme à l’aide de ces données ? D’autre part, à Rochechouart, les affleurements de roches sont rares. Lors d’un survol aéroporté, le détecteur ne mesure pas directement les concentrations dans les roches, mais essentiellement dans le sol, épais de quelques dizaines de centimètre d’épaisseur (Fig. 3) et qui est issu de la dégradation des roches et de la présence de matière organique. Le géologue a besoin de concentrations en K dans les roches pour réfléchir, et non dans des sols sur lesquels paissent paisiblement les vaches du Limousin.

 

3 – Illustration de ce que voit un détecteur  lors d’un survol aéroporté. Une source de rayonnement (disque rouge) verra son rayonnement atténué si elle est enfouie sur une certaine profondeur de sol, et à fortiori de roches.

 

4 – Illustration d’une mesure au sol à l’aide du spectromètre  qui permet en quelques minutes de déterminer les concentrations en K, Th et U dans le sous-sol.

 

Pour résoudre ces questions, il faut aller sur le terrain, et ce fut l’objectif de plusieurs missions de Cheikh Ahmadou Bamba Niang (Fig. 4). Par tous les temps (qui peuvent être rigoureux à Rochechouart), il a sillonné la région centrale du cratère pour mieux comprendre ce que l’on voit sur la donnée aéroportée. Il a donc documenté les relations qui existent entre la géochimie des sols et la géochimie des roches sur cette région, et a également patiemment réalisé des profils radiométriques, à l’aide de plusieurs spectroradiomètres portables. Les spectres obtenus permettent de déduire les concentrations en K, Th et U dans les roches et sols mesurés sur des échelles de l’ordre du mètre cube (Fig. 5). En effet, les photons gamma, très énergétiques, peuvent traverser roches ou sols sur des distance de l’ordre de plusieurs dizaines de centimètres. En revanche, on ne peut voir ce qu’il y a à plusieurs dizaines de mètres. Et dans ce cas, ce sont les forages réalisés à Rochechouart, sous la direction de Philippe Lambert qui sont utiles. Ce sont donc ainsi plusieurs centaines de mesures qui sont en cours d’analyses, et qui nous permettront de déchiffrer, avec l’aide des relevés radiométriques dans les forages, l’étendue en 3 dimensions de l’hydrothermalisme du cratère d’impact de Rochechouart.

Fig. 5 – Exemple de spectre gamma obtenu lors d’une mission de terrain à Rochechouart. La partie en rouge est intégrée pour calculer la concentration en potassium dans le sol. On fait de même pour le Thorium et l’Uranium dont les chaînes de désintégration comportent des émetteurs gamma.

 

Par Cheikh Ahmadou Bamba Niang, David Baratoux

Remerciements : Institut de Recherche pour le Développement, Centre National de la Recherche Scientifique (projet AWA, Astrophysics and Planetary Science in Africa), African Initiative for Planetary and Space Science (AFIPS, https://africapss.org), Centre International de Recherche & Restitution sur les Impacts et sur Rochechouart (https://cirir-edu.org/en).

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