Selon une étude récente, l’inclinaison de l’axe de rotation de Saturne serait liée à la migration rapide des satellites de cette planète. De plus, le basculement de cet axe aurait débuté il y a un milliard d’années seulement et serait toujours en cours.
L’INCLINAISON DE L’AXE DE ROTATION DES PLANÈTES GÉANTES
Notre planète doit ses saisons au fait que son axe de rotation n’est pas perpendiculaire au plan de son orbite (le plan de l’écliptique), mais qu’il est incliné de 23,5° par rapport à la normale à ce plan. Il en va de même pour les planètes géantes. Ainsi, Saturne est inclinée de 26,7° par rapport à la perpendiculaire au plan de son orbite. C’est peu en comparaison d’Uranus qui, avec une inclinaison de 97,8°, est quasiment couchée sur son plan orbital, mais beaucoup par rapport à Jupiter, dont l’inclinaison est de seulement 3,1°. Pour compléter ce tableau, rappelons que l’inclinaison de Neptune est de 28,3°, donc proche de celle de Saturne. Les théories de formation des planètes géantes prédisent que, au moment de leur naissance, ces planètes devaient avoir une inclinaison très proche de zéro. Les inclinaisons observées aujourd’hui sont donc héritées d’événements ultérieurs. Dans le cas d’Uranus, l’hypothèse d’un impact violent survenu tôt dans l’histoire de cette planète est souvent avancée pour expliquer son inclinaison extrême. Saturne aurait, quant à elle, acquis son inclinaison vers la fin de l’épisode de migration des planètes géantes, il y a plus de 4 milliards d’années (Ga), sous l’effet d’un phénomène de résonance avec l’orbite de Neptune. Plus précisément, l’axe de rotation de Saturne est animé d’un mouvement de précession, lui-même provoqué par le couple de forces exercé par le Soleil sur le bourrelet équatorial de la planète, et c’est la résonance entre cette précession et la précession du plan de l’orbite de Neptune (ou précession nodale) qui serait responsable du basculement de Saturne.
UN NOUVEAU SCÉNARIO POUR SATURNE… ET JUPITER
C’est du moins ce que l’on pensait jusqu’à une découverte très récente, dont l’Astronomie s’est fait l’écho [1] : la migration des satellites de Saturne est plus rapide que prévue, notamment celle du plus gros d’entre eux, Titan, qui s’éloigne au rythme de 11 cm par an. Cette migration rapide serait liée à un type particulier de résonance, appelé resonance locking, qui peut s’expliquer dans le cadre de modèles de dissipation des forces de marée dans les planètes géantes. Selon Melaine Saillenfest, chercheuse au laboratoire IMCCE de l’Observatoire de Paris, la migration rapide des satellites de Saturne serait à son tour responsable du basculement de l’axe de rotation de cette planète [2].
Pour arriver à cette conclusion, Melaine Saillenfest et ses collègues s’appuient sur le fait que la période de précession de l’axe de rotation de Saturne ne dépend pas uniquement du couple de forces exercé par le Soleil, mais également des couples gravitationnels exercés par les satellites de Saturne, et tout particulièrement par Titan. Point capital, cette période est d’autant plus petite que les satellites sont éloignés de Saturne. La migration rapide de ces satellites implique qu’il y a 4 Ga, ceux-ci étaient beaucoup plus proches de Saturne que ce que l’on pensait jusqu’à présent. Les calculs montrent alors que la précession de l’axe de rotation de Saturne devait être trop rapide pour pouvoir entrer en résonance avec la précession nodale de Neptune (fig. 1). Faute de résonance, le basculement de cet axe de rotation n’a sans doute pas pu se produire à cette époque, comme le suppose l’hypothèse classique. Avec la migration de Titan, la précession de l’axe de rotation de Saturne a ralenti au cours du temps, jusqu’à ce qu’elle entre effectivement en résonance avec la précession nodale de Neptune, il y a environ 1 Ga (fig. 2). Ce serait à cette époque seulement que l’axe de rotation de Saturne aurait commencé à basculer, pour atteindre son inclinaison actuelle. Cette dernière n’est toutefois que temporaire car, selon les calculs, ce basculement se poursuivrait de nos jours, et l’inclinaison de Saturne pourrait doubler au cours des prochains milliards d’années.
La validité de ce scénario dépend toutefois d’un autre paramètre : le moment d’inertie de Saturne. Ce paramètre mesure la répartition radiale de masse à l’intérieur d’une planète et il modifie, lui aussi, la période de la précession de l’axe de rotation. Malheureusement, dans le cas de Saturne, sa valeur exacte est mal connue. Rapportée au produit de la masse et du carré du rayon (I/MR2), elle est comprise entre 0,20 et 0,24. Pour que la migration de Titan soit effectivement responsable du basculement de Saturne, le moment d’inertie doit se situer dans une plage plus réduite, entre 0,224 et 0,237. Moyennant ce petit bémol, ce qui est valable pour Saturne l’est aussi pour Jupiter. Comme nous l’avons vu, l’inclinaison de Jupiter est faible. Mais cette situation n’est peut-être que temporaire, car, d’une part, les quatre principaux satellites de Jupiter (Io, Europe, Ganymède et Callisto) s’éloignent d’elle, et d’autre part la précession de son axe de rotation est en résonance avec la précession nodale d’Uranus. Si l’hypothèse de Melaine Saillenfest est correcte, Jupiter serait elle aussi en train de basculer, et son inclinaison pourrait atteindre 30° lors des 5 prochains milliards d’années.
Frédéric Deschamps IESAS, Taipei, Taïwan
[1] Voir l’Astronomie no 141 de septembre 2020, p. 4-7.
[2] Saillenfest M. et al. (2021), « The large obliquity of Saturn explained by the fast migration of Titan », Nature Astronomy, 641, doi: 10.1038s41550-020-01284-x.