Cela fait maintenant un peu plus de deux ans (décembre 2019) que le Soleil a passé son minimum d’activité et qu’il a commencé son vingt-cinquième cycle1. Le temps où les jours sans tache ni activité pouvaient s’accumuler pendant plusieurs semaines est bien loin. Récemment, le Soleil nous a gratifiés de plusieurs belles éruptions et éjections de masse coronale, célébrant ainsi sa montée d’activité vers un maximum toujours anticipé vers 2025. Retour sur cette montée de cycle.
Quand le cycle 24 a fini par laisser la place au cycle 25 fin 2019, le Soleil venait d’enchaîner plusieurs mois d’activité très faible, sans pratiquement aucune tache à sa surface et très peu d’éruptions. Nous montrons sur la figure 1 (à gauche) un magnétogramme (mesure du champ magnétique solaire) de la surface visible du Soleil pris par l’instrument HMI à bord du satellite SDO (Solar Dynamical Observatory) le 16 décembre 2019 et, en dessous, l’image prise en rayonnement UV à17,1 nm. On remarque le côté « sel-poivre » du magnétisme solaire de « fond », dit Soleil calme, c’est-à-dire cette multitude d’alternances à petite échelle de polarités + (vert) et – (jaune). À cette époque, entre le 14 novembre 2019 et le 23 décembre 2019, soit pendant 40 jours en continu, le Soleil a été sans tache. En remettant cette période de grand calme solaire en perspective dans l’histoire moderne de notre étoile et en ordonnant par la longueur de la durée de ces jours sans tache, cette période de 40 jours se classe 10e de l’ère contemporaine ! Comme elle a été suivie de 34 jours de février à mars 2020, il devient évident que cette période représente une période de calme quasi absolu de notre étoile.
Depuis, les choses ont bien changé. Fin octobre et début novembre 2021, plusieurs séries d’éruptions et de taches solaires sont apparues. Pour comparaison, nous étudions à nouveau les magnétogrammes de cette période. La bande centrale correspond à la date du 28 octobre 2021, lors d’une des plus puissantes éruptions du Soleil pour le cycle 25 (classée X1) (voir le lexique) qui a eu lieu dans le complexe actif (AR) numéro 12887 (en bas du disque solaire). On remarque la présence de plusieurs complexes actifs, avec de fortes concentrations de champ magnétique venant maintenant se superposer au Soleil calme. Sur l’image UV correspondante, on remarque les nombreuses régions actives très brillantes et, au même endroit que l’AR 12887, l’augmentation de brillance et le panache de gaz (un peu sombre sur la gauche) caractéristiques de l’éruption solaire en cours de développement. Sur la bande de droite, 4 jours plus tard, l’AR 12887 est maintenant proche du limbe droit et a déjà produit deux éruptions et éjections de masse coronale (CME pour coronal mass ejection en anglais) lentes. Au milieu du disque solaire, dans l’hémisphère Nord, l’AR 12891 est cette fois-ci représenté lors de son éruption qui conduira à une éruption de classe M1.7 et surtout à la CME cannibale qui en découlera (voir texte et figure 4 plus loin).
Nous montrons figure 2 (p. 10) l’enregistrement des émissions solaires en rayons X suivi en continu par le satellite GOES (Geostationnary Operational Environmental Satellite) de la NOAA (National Oceanic and Atmospheric Administration). Le satellite de l’Esa (European Space Agency) Solar Orbiter avec son instrument STIX (Spectrometer Telescope for Imaging X-rays) a aussi observé une forte intensité d’émission dans les canaux hautes énergies. En effet, à cette période, il était angulairement proche de la Terre puisque, le 26 novembre 2021, il allait effectuer son assistance gravitationnelle avec notre belle planète bleue afin de plonger plus profondément dans le Système solaire et ainsi commencer sa phase observationnelle après plus de 18 mois de croisière ayant permis le calibrage des instruments. Revenons à nos éruptions récentes et à leur grande intensité. On remarque en effet sur les courbes GOES le grand nombre d’éruptions de classes C et M entre le 28 octobre et le 2 novembre 2021 en plus de celle de classe X du 28 octobre.
Pour illustrer l’intensité de l’éruption du 28 octobre, nous représentons sur la figure 3 (p. 10) une image du Soleil et de son atmosphère étendue (couronne + vent solaires). Afin de démontrer les grandes perturbations que de telles éruptions déclenchent, plutôt que de montrer les images brutes prises par SDO et SoHO, nous opérons une soustraction pixel par pixel de l’état plus calme précédant d’une heure cette éruption. On appelle cette représentation spécifique des données « images différentielles », car elles illustrent le changement d’activité entre deux époques proches. On remarque, en plus de l’éruption sur le disque solaire, le grand nuage qui s’échappe du Soleil et qui est parti en direction de la Terre. Le Soleil étant toujours plein de surprises, il s’avère que ce n’est pas l’éruption de classe X du 28 octobre qui a engendré le plus d’effets sur la Terre et sa magnétosphère (le cocon magnétique qui nous entoure), l’indice Kp (voir le lexique) n’atteignant au mieux que 4. En effet, c’est quelques jours plus tard, le 2 novembre, qu’une éruption moins intense à partir de l’AR 12891 propulsera un nuage magnétique très rapide qui rattrapera et « absorbera » durant son voyage vers la Terre deux éjections parties quelques heures avant depuis l’AR 12887. On appelle ce phénomène une éjection de masse coronale « cannibale » pour des raisons évidentes. Nous illustrons figure 4 une modélisation de la propagation de ces nuages magnétiques, en montrant une séquence de 4 images, où l’on voit le départ des 2 CME lentes suivies par celle beaucoup plus intense. Ce qui rend cet événement particulièrement intéressant est que les deux premières CME ont en quelque sorte ouvert la voie à la troisième plus intense, lui permettant ainsi d’être encore plus géo-effective que si elle avait été isolée. L’indice Kp a atteint 7+. Les centres de météorologie de l’espace ont émis des alertes comme quoi les communications radio pourraient être affectées modérément (R1) par cet événement, mais qu’une tempête géomagnétique intense (G3 à G4) était attendue. Ils ont aussi prévu un ovale auroral pouvant descendre vers des latitudes aussi basses que New York. Il s’avère que ces nuages magnétiques et de particules mettent entre 15 h et 3 jours à impacter la Terre, en fonction de leur vitesse d’éjection et de leur direction de propagation. Ce n’est donc que vers le 4 novembre que la conséquence du passage au travers de notre planète de ce nuage magnétique résultant de cette triple éruption a été visible sur Terre, avec notamment de très belles aurores boréales (figure 5).
Nous vivons autour d’un astre magnétique dont le degré d’activité est modulé selon un cycle d’environ 11 ans. Celui-ci, depuis quelques mois, vient de nous envoyer un message clair : sa phase de grand calme est bien finie et on peut s’attendre à observer de plus en plus d’éruptions et de nuages magnétiques dans les années à venir. En effet, les enregistrements historiques démontrent qu’il y a 9 à 10 fois plus d’événements de ce type en maximum de cycle qu’en période de minimum. Ces 3 à 4 prochaines années vont donc être riches en phénomènes magnétiques éruptifs solaires. Cela constitue une superbe opportunité pour mieux comprendre les mécanismes physiques à leur origine, car cette montée de cycle est concomitante avec la présence de nombreux satellites actuellement en orbite autour de notre étoile, notamment Solar Orbiter et sa suite de 10 instruments.
Par Allan Sacha Brun & Barbara Perri
Notes
- Rappelons que notre étoile a son activité magnétique modulée d’un cycle de quasi 11 ans, et que la numérotation des cycles a commencé en 1755. Pour plus de détails, voir par exemple l’actualité sur le début du cycle 25 page 18 du volume 134 de l’Astronomie de novembre 2020.
Les éruptions solaires sont classées selon une échelle d’intensité dans une gamme de rayons X intégrée entre 0,1 et 0,8 nm. On les nomme A pour les moins fortes jusqu’à X pour les plus intenses en passant par B, C et M pour les échelles intermédiaires. Le chiffre qui suit la lettre indique un niveau d’intensité au sein de la classe : ainsi, une éruption de classe M2 est deux fois plus intense qu’une M1. Sur la figure 2 l’échelle est indiquée sur la droite des axes. L’indice Kp (Kp index ou Planetary K-index) permet de déterminer la probabilité de voir les aurores boréales (ou australes). Cet indice indique la gravité des perturbations magnétiques dans l’environnement spatial proche de la Terre, car il caractérise l’activité globale des orages géomagnétiques, variations de la magnétosphère terrestre liées à l’activité solaire. En phase d’activité géomagnétique quasi nulle, le Kp vaut 0 et l’ovale auroral est très confiné aux pôles et, au maximum d’activité (9), il s’étend à très basses latitudes. https://www.spaceweatherlive.com/en/archive/2021/11/01/kp.html