Muse (Multi Unit Spectroscopic Explorer) est un spectrographe 3D travaillant dans les longueurs d’onde visibles, implanté sur l’un des télescopes du VLT (Very Large Telescope) de l’ESO (Observatoire Australe Européen), au Chili. Il a été développé par le Centre de recherche astrophysique de Lyon afin d’observer les galaxies lointaines. Il a permis récemment plusieurs découvertes concernant l’environnement de ces galaxies. Muse est à la fois un imageur et un spectrographe, ce qui lui permet d’explorer l’espace en 3 dimensions et de détecter les galaxies les plus jeunes (donc les plus lointaines).
On est pratiquement certain que l’évolution des galaxies est gouvernée par leur relation avec le milieu circumgalactique qui les entoure. En effet, les galaxies ont besoin d’accréter du gaz pour former des étoiles nouvelles, car celui qu’elles contiennent ne peut rendre compte de la masse totale des étoiles. Par ailleurs, elles éjectent le gaz créé lors des explosions de supernovae produites à la fin de la vie des étoiles massives (fig. 1).
Il existe une manière classique d’étudier la matière intergalactique. On s’arrange pour prendre les spectres des objets se situant sur la ligne de visée d’objets plus lointains très brillants, typiquement des quasars. Le gaz se trouvant sur le trajet des rayons lumineux issus du quasar produit alors des raies en absorption, dont les profils permettent de déduire sa cinématique. Toutefois, dans le cas qui nous occupe où il s’agit d’observer du gaz circumgalactique, l’étude est rendue plus compliquée par le fait que le gaz ne se contente pas de créer des raies en absorption, mais également des raies en émission, en particulier à cause des ondes de choc générées dans le gaz éjecté.
Le doublet de résonance du magnésium ionisé Mg II λλ2796, 2803, utilisé pour faire les mesures, est un traceur utile du gaz « froid »(c’est-à-dire à 10 000 ou 100 000 degrés) à cause, d’une part, de sa grande intensité aussi bien en absorption qu’en émission, d’autre part de sa longueur d’onde qui permet de l’observer avec des spectrographes optiques au sol, pour des objets ayant des redshifts compris entre 0,3 et 2,5 [1]. Des études de ce type avaient déjà révélé que le magnésium ionisé n’est pas distribué uniformément autour des galaxies : il est trouvé préférentiellement le long de leur axe mineur ou majeur. Cette bimodalité est cohérente avec l’idée que les galaxies sont constituées d’un disque par lequel elles accrètent du gaz, et que par ailleurs les étoiles qui évoluent produisent des supernovae, éjectant du gaz suivant la direction de moindre résistance, c’est-à-dire perpendiculairement au plan du disque.
Un relevé sur les champs de 22 quasars, combinant des observations au VLT avec le spectrographe UVES (Ultraviolet and Visual Echelle Spectrograph) et avec Muse, a permis d’obtenir un échantillon de 80 paires de galaxies/quasars dans le but d’étudier les éjections des galaxies. Comme le temps d’exposition, typiquement de 2 à 4 heures pour l’échantillon, est insuffisant pour détecter correctement le gaz en absorption et en émission devant un quasar, il a été nécessaire d’effectuer des observations plus longues, ce qui a été réalisé sur deux champs. Le résultat concernant la découverte pour la première fois d’une émission et d’une absorption étendue dans le doublet MgII a été obtenu autour d’une galaxie de redshift 0,7 dans le champ du quasar SDSSJ0937+0656 par une équipe de recherche internationale, menée côté français par le CNRS et l’université Claude-Bernard Lyon. L’équipe a cartographié un vent galactique pour la première fois en MgII et vient de publier un article relatif à cette observation (arXiv:2105.14090v1, Johannes Zabl et al. sous presse dans MNRAS). Ces observations ultraprofondes (11,2 heures) ont révélé la présence, autour d’une galaxie située sur la ligne de visée du quasar, d’un halo en émission contenant du magnésium ionisé s’étendant jusqu’à 75 000 années-lumière de la galaxie. La galaxie est fortement inclinée sur la ligne de visée (75 degrés) et se trouve à un redshift de 0,702, soit environ une distance de 6,5 milliards d’années-lumière . L’émission est principalement dirigée le long du petit axe de la galaxie. On observe également une absorption dans la raie du MgII, s’étendant jusqu’à 120 000 années-lumière. Les chercheurs ont modélisé d’une façon simple ces observations et en ont déduit que le gaz est éjecté biconiquement avec une vitesse de 130 km/s (fig. 2 et 3). Cette étude prouve qu’un phénomène bien connu pour les galaxies proches à formation stellaire, l’éjection de gaz, est également présent dans les galaxies lointaines. C’est seulement, n’en doutons pas, la première d’une série permettant de déterminer systématiquement la présence ou l’absence de halos de gaz en éjection dans les galaxies lointaines, grâce à une quantité croissante d’observations obtenues avec Muse et avec KCWI (Keck Cosmic Web Imager), le nouvel instrument qui sera implanté bientôt sur le télescope Keck d’Hawaï.
Suzy Collin-Zahn Observatoire de Paris-PSL