LE MAGAZINE DES SCIENCES DE L’UNIVERS EN AFRIQUE

La présence d’un océan polaire sur Mars a été proposée depuis les années 1980, mais cette hypothèse reste toujours très controversée.

L’enjeu est de taille car, il y a 3 milliards d’années, la vie microbienne a colonisé un grand nombre de milieux sur Terre. S’il y a bien eu un océan sur Mars, les conditions étaient similaires à celles de la Terre et donc les deux planètes auraient pu être habitables au même moment. Si la vie s’est développée sur Mars, pourrions-nous en trouver des traces fossiles aujourd’hui ? Si elle ne s’y est pas développée, quelles conditions l’en auraient empêché ? Ces questions restent totalement ouvertes à ce jour. Récemment, deux types d’études ont permis de jeter un œil nouveau sur la possible présence d’un océan polaire.

La première approche consiste à analyser les images renvoyées par les différentes sondes et identifier des signatures géomorphologiques d’objets attestant la présence d’un océan. Cette technique a permis de cartographier une ligne de rivage depuis les images Viking [1] mais, il y a quelques années, des dépôts de tsunamis ont été découverts ainsi que le possible impact lié à leur origine.

Il restait néanmoins un contre-argument majeur : aucune simulation de climat ne pouvait expliquer un océan stable. Soit le climat était trop froid et l’océan gelait. Soit il était trop chaud et l’océan s’évaporait pour former des nuages qui précipitaient et finalement l’eau était accumulée sous forme de neige et de glace sur les hauts plateaux de l’hémisphère Sud. L’océan n’était pas stable. Notre équipe a intégré deux nouveaux mécanismes dans les simulations numériques de climat : la circulation océanique et les glaciers.

 

1. Vue d’artiste de Kasei Valles. (F. Schmidt/NASA/USGS/ESA/DLR/FU Berlin (G. Neukum))

 

Nous avons utilisé une simulation numérique de climat, qui ressemble aux simulations météorologiques terrestres ou plus précisément aux simulations de climat utilisées – par exemple pour le GIEC et adaptées à Mars. Ces expériences numériques ont été effectuées par nos collègues du Nasa/Goddard Institute for Space Studies, en utilisant leur outil ROCKE-3D. La pression atmosphérique est montée à 1 bar, alors qu’elle n’est que de 10 mbar aujourd’hui, ce qui permet à l’eau d’être liquide. Il faut aussi réchauffer la planète, car Mars a une température moyenne de –60 °C à cause de sa grande distance au Soleil. D’autre part, à cette période, le Soleil était moins lumineux qu’aujourd’hui (environ 80 % de sa valeur actuelle il y a 3 milliards d’années). Il faut donc ajouter de puissants gaz à effet de serre pour contrebalancer ces effets. Nous avons pris une composition de l’atmosphère de 90 % de CO2 et 10 % de H2. Dans cette configuration, la température moyenne de Mars est de –7 °C, mais l’océan reste liquide à +7 °C, même en position polaire. Nos simulations démontrent que la circulation océanique stabilise l’étendue d’eau, grâce à des courants chauds qui circulent depuis les moyennes latitudes vers le pôle Nord. Le réchauffement dû à la circulation peut atteindre 4,5 °C. D’autre part, la couleur sombre de l’océan permet d’absorber efficacement le rayonnement solaire. Ces mécanismes favorisent les conditions de stabilité de l’océan localement, même pour des températures moyennes de Mars inférieures à 0 °C.

Nos simulations estiment aussi la quantité de glace et d’eau qui doit descendre des montagnes pour retourner dans l’océan et ainsi boucler le cycle de l’eau. Il faut un flux de 1015 kg/an, ce qui correspond à dix fois plus que les glaciers actuellement sur Terre. Mais la Terre actuelle est plutôt dans un contexte chaud et donc pas le meilleur analogue de l’ancienne planète Mars. Il vaudrait mieux comparer celle-ci au dernier maximum glaciaire terrestre qui a déplacé une énorme quantité de glace de l’ordre de 1016 kg/an, uniquement pour la calotte qui était située en Amérique du Nord. Le flux martien simulé est donc tout à fait comparable à un climat froid terrestre.

Un autre aspect étonnant est la stabilité du climat face à un paramètre très important : l’obliquité. Il s’agit de l’angle entre l’axe de rotation de la planète et son plan de révolution autour du Soleil. Une grande obliquité entraîne une saisonnalité importante avec des hivers rigoureux et des étés chauds. Une faible obliquité n’implique aucune différence entre les saisons. Nos simulations montrent que l’océan est stable pour des obliquités extrêmes de 0° à 60°, notamment à cause de sa circulation. C’est un atout majeur pour un océan stable sur de longues échelles de temps.

 

Comparaison avec la géologie de Mars

Nos simulations prédisent deux types de régimes climatiques (voir figure 2) : proche des côtes, à faible altitude, un climat tempéré dominé par la pluie ; sur les montagnes de l’hémisphère Sud, un climat froid et sec, dominé par la neige. Nous pouvons donc nous attendre à trouver des traces de réseaux de vallées ramifiées creusées par la pluie proches de la ligne de côte, ainsi que de larges vallées glaciaires, des zones d’accumulations de haute altitude vers l’océan. Une recherche bibliographique nous indique qu’il existe bien des figures de ce type dans le paysage martien.

Il y a par exemple des vallées ramifiées dans la région d’Alba Patera et une vallée glaciaire à Kasei Valles (fig. 1) datant d’il y a 3 milliards d’années. Malheureusement pour nous, certaines zones ont été recouvertes par des coulées volcaniques plus récentes et ne sont donc pas accessibles en surface. Sur Terre, les paysages sont sans cesse remodelés par la tectonique des plaques et ils ont des dizaines de millions d’années tout au plus. Sur Mars au contraire, en l’absence de tectonique des plaques, nous avons accès à des paysages très anciens en surface.

 

2. Simulation du climat en comparaison avec les indices géologiques. (F. Schmidt)

Une énigme majeure reste en suspens : que s’est-il passé avec toute cette eau ? Pour bien comprendre les enjeux, les scientifiques ont l’habitude de compter l’eau en « couche équivalente globale ». La quantité d’eau actuelle sur Mars représente 30 mètres. C’est-à-dire que si l’on compte toute l’eau des calottes polaires et des glaciers actuels de Mars, on pourrait recouvrir la surface de Mars sur une hauteur de 30 mètres [2]. L’énigme provient du fait que l’océan martien il y a 3 milliards d’année correspondrait à une couche de 150 mètres d’eau. Où sont donc passés les 120 mètres d’eau manquante ?

Deux options sont envisagées actuellement. Le premier type de mécanisme est interne : l’enfouissement de l’eau en profondeur, sous forme de pergélisol, voire d’aquifère profond ou de minéraux hydratés (argile par exemple). Le sous-sol de Mars est très difficile d’accès, mais nous avons des traces dans certains pics centraux des cratères qui sembleraient en accord avec cette hypothèse. Le second type de mécanisme est l’échappement atmosphérique. L’eau de Mars se serait éliminée en se disséminant dans l’espace interplanétaire. Ce processus commencerait par une évaporation de l’eau océanique. Les molécules d’eau évaporées et montées à haute altitude auraient été détruites par le rayonnement UV du Soleil, libérant de l’oxygène et de l’hydrogène. Ce mécanisme a été très étudié par la sonde Maven et il semblerait qu’une partie significative de l’hydrogène ainsi libéré ait pu s’échapper lors des périodes de Soleil actif, empêchant la reformation de l’eau.

Grâce aux données des missions en cours, nous espérons avoir des confirmations de la présence de cet océan et de son climat. La sonde chinoise Zhurong a atterri le 15 mai 2021 dans un endroit qui aurait été à la profondeur de 200 mètres dans l’océan il y a 3 milliards d’années. Les scientifiques chinois viennent de montrer que le paysage de cette surface d’Utopia Planitia est compatible avec la présence massive d’eau grâce à des minéraux hydratés et sols à croûte qui auraient pu se former lors du dessèchement de l’océan. Nous pouvons donc espérer retrouver des traces de l’océan dans les roches de surface.

 

Par Frédéric Schmidt  | GEOPS (CNRS, Univ. Paris-Saclay)

 

Article publié dans l’Astronomie, Juillet-Août 2022

 

 

Références

-Schmidt F., Way M. J., Costard F., Bouley S., Séjourné A. & Aleinov I, Circumpolar ocean stability on Mars 3 Gy ago, Proceedings of the National Academy of Sciences, 2022, 119, e2112930118, http://dx.doi.org/10.1073/pnas.2112930118.

– Turbet M. & Forget F., The paradoxes of the Late Hesperian Mars ocean Scientific Reports, Springer Nature, 2019, 9 http://dx.doi.org/10.1038/s41598-019-42030-2.

– Jakosky B. M., Grebowsky J. M., Luhmann J. G., Connerney J., Eparvier F., Ergun R., Halekas J., Larson D., Mahaffy P., McFadden J. & et al., MAVEN observations of the response of Mars to an interplanetary coronal mass ejection, Science, American Association for the Advancement of Science (AAAS), 2015, 350, aad0210, http://dx.doi.org/10.1126/science.aad0210.

– Liu Y., Wu X., Zhao Y.-Y. S., Pan L., Wang C., Liu J., Zhao Z., Zhou X., Zhang C., Wu Y., Wan W. & Zou Y., Zhurong reveals recent aqueous activities in Utopia Planitia, Mars Science Advances, American Association for the Advancement of Science (AAAS), 2022, 8 http://dx.doi.org/10.1126/sciadv.abn8555.

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