Madagascar est souvent célébrée pour sa biodiversité unique, mais un autre trésor, bien moins connu, mérite tout autant d’attention : son ciel nocturne. Encore relativement épargnée par la pollution lumineuse, la Grande Île offre des panoramas stellaires exceptionnels, où la Voie lactée s’étale librement, visible à l’œil nu depuis de nombreuses régions rurales. Alors que le pays poursuit son développement, avec un taux d’électrification encore faible mais en progression, notamment grâce aux énergies renouvelables, préserver cette obscurité naturelle représente une opportunité rare pour le développement de l’astronomie en Afrique. Ce potentiel est d’autant plus fort que le rapport des Malgaches au ciel est profondément ancré dans l’histoire et les traditions, fruit de vagues d’influences diverses au fil des siècles.

La voie lactée depuis Majunga
Un paradis noir
Les cartes de pollution lumineuse disponibles confirment que Madagascar reste l’un des rares pays où l’on peut encore profiter d’un ciel réellement sombre. Des régions entières, comme celles autour du parc national de Kirindy Mitea ou de l’Avenue des Baobabs, sont prisées des astrophotographes et amateurs d’étoiles. Plus de 75 % de la population vit sous un ciel encore « vierge », loin de l’éclat des grandes villes, ce qui rend possible l’implantation de sites astronomiques de grande qualité. Certes, des zones urbaines comme Antananarivo ou Toamasina montrent une pollution lumineuse plus marquée, mais cela reste très localisé à l’échelle de l’île. Même certaines zones noires sur les images satellites, souvent interprétées comme des absences de lumière, peuvent offrir une excellente qualité de ciel pour l’observation.

Pollution lumineuse diffuse en 2023 (Leaflet | OpenStreetMap, NOAA, EOG, Colorado School of Mines, DarkSkyLab)
Impacts écologiques de la lumière artificielle
Si Madagascar bénéficie encore d’un ciel sombre, les menaces ne sont pas absentes. L’introduction progressive de l’éclairage artificiel dans les zones rurales pourrait perturber des écosystèmes déjà fragiles. La faune nocturne, en particulier les lémuriens, dont certains ont des rythmes de vie étroitement liés à l’alternance jour/nuit, est vulnérable. La lumière artificielle peut altérer leur comportement, leur reproduction, voire leur survie. Les insectes nocturnes, essentiels à la pollinisation, et les espèces marines côtières, sont également concernés. Préserver l’obscurité n’est donc pas qu’une question d’astronomie, c’est aussi une nécessité pour la biodiversité unique de Madagascar.

Le ciel à l’Observatoire Ecoles du Monde Madagascar
Une dynamique astronomique en plein essor :
Les conditions exceptionnelles d’obscurité à Madagascar ouvrent un champ immense pour l’observation astronomique, tant pour la recherche que pour l’éducation ou le tourisme scientifique. Des initiatives initiées par les différentes associations d’astronomie malgache comme celles de l’association Haikintana avec la mise en place de l’Observatoire Ecoles du Monde Madagascar ou encore la participation au projet international Square Kilometre Array (SKA) témoignent d’un intérêt croissant pour l’astronomie sur l’île. L’observatoire robotisé de Besely, près de Mahajanga, est un exemple de valorisation réussie d’un ciel de qualité. À travers festivals, ateliers et conférences, des efforts sont menés pour rapprocher les publics du ciel. Préserver cette obscurité, c’est assurer un avenir à ces initiatives et favoriser l’émergence d’un astrotourisme durable et porteur pour les communautés locales.
Anticiper pour mieux agir
L’accès à l’électricité est une priorité pour le développement. Toutefois, la manière dont cette électrification se fait peut avoir des conséquences directes sur la qualité du ciel nocturne. L’éclairage public mal conçu ou mal orienté pourrait rapidement dégrader la visibilité astronomique. Pourtant, des solutions simples existent : lampadaires bien dirigés, intensité lumineuse adaptée, détecteurs de mouvement… Des approches responsables, inspirées notamment des recommandations de DarkSky International, permettent de concilier éclairage utile et préservation du ciel.

Antananarivo la nuit
La pollution atmosphérique comme autre menace
Outre la lumière, la pollution de l’air affecte également l’observation du ciel. À Madagascar, les feux de brousse sont une source importante de particules fines, qui obscurcissent l’atmosphère et altèrent la qualité de la lumière stellaire perçue. Cette pollution diffuse la lumière artificielle, réduit le contraste du ciel et compromet la clarté des observations. Limiter ces feux, en favorisant des alternatives agricoles durables et des sources d’énergie domestique plus propres, contribuerait à préserver un ciel limpide, bénéfique pour l’astronomie comme pour la santé publique.

Le ciel malgache lors de la période des feux de brousse
La place du ciel dans la culture malgache
Le rapport des Malgaches au ciel ne date pas d’hier. Diverses références aux astres sont présentes dans les récits traditionnels, les pratiques agricoles et les rituels. Des figures comme le Mpanandro, astrologue traditionnel, ou des concepts comme Zanahary, le dieu céleste, illustrent l’importance du firmament dans la cosmologie locale. L’arrivée des Arabes, notamment les Antemoro, a enrichi ce patrimoine avec les manuscrits Sorabe, où les astres ont aussi leur place. Cet héritage offre une base idéale pour une valorisation culturelle du ciel à travers l’astronomie culturelle et l’astrotourisme.

Le ciel étoilé malgache depuis Antananarivo (Nicky Aina)
Conclusion
Le ciel étoilé de Madagascar est une richesse rare. Il ne s’agit pas seulement d’un atout pour l’astronomie, mais d’un élément identitaire, écologique et économique. À l’heure où les nuits noires disparaissent ailleurs, Madagascar peut encore choisir un autre chemin : celui d’un développement éclairé, respectueux de la nuit. Préserver ce ciel, c’est construire un futur où science, nature et culture dialoguent harmonieusement.
Andoniaina Rajaonarivelo – Haikintana