Mars aurait connu des méga-tsunamis produits par des impacts de météorites dans un océan. En effet, la découverte de dépôts de tsunamis* le long d’anciens rivages de l’hémisphère Nord de Mars relance le débat de l’existence d’un océan dans le passé et donc de la stabilité de l’eau liquide sur cette planète.
Les mots suivis d’un * sont définis dans le lexique en fin d’article.
L’hémisphère Nord de la planète Mars forme une vaste dépression nommée Vastitas Borealis atteignant une altitude de -5 km et occupant 70 % de la superficie de l’hémisphère Nord (fig. 1). Cette dépression régionale est le lieu de convergence de vallées d’une forme similaire à celle des vallées de débâcle* terrestres. Elles se caractérisent par des cours d’eau pouvant atteindre des débits extrêmement élevés. Cette convergence des principales vallées de débâcle dans Vastitas Borealis laisse supposer que ces plaines furent occupées temporairement par un océan constitué soit d’eau liquide, soit de boue, durant l’Hespérien (environ 3,5 Ga). Par la suite, l’eau s’est vraisemblablement évaporée ou infiltrée dans le sous-sol, où elle gela ensuite pour former un vaste pergélisol*, du fait du refroidissement global de la surface de la planète.
L’hypothèse selon laquelle les plaines de l’hémisphère Nord de la planète Mars auraient été recouvertes par un océan a été avancée à plusieurs reprises ; elle expliquerait certaines particularités, comme celles de la présence de certains reliefs impliquant l’existence d’eau sous forme liquide ou sous forme de glace (structures polygonales*, affaissement de terrains, cratères d’impact entourés d’éjectas lobés*, rides arquées subparallèles*). Curieusement, on peut suivre certains de ces reliefs tout le long d’une zone étroite située entre le haut plateau cratérisé de l’hémisphère Sud et les basses plaines de l’hémisphère Nord de Mars et selon une altitude constante de –3 760 m d’altitude ± 560 m (c’est la ligne blanche de la figure 1). Selon H. P. Jöns (1986), T. Parker et coll. (1996), il existerait un paléo-rivage, c’est-à-dire des traits de côte d’un ancien océan martien (fig. 1). Celui-ci fut nommé « Contact 2 » (le Contact 1 se situe un peu plus dans les terres et désigne un plateau à une altitude de –1 680 m ± 1 700 m sans lien apparent avec cet océan). De plus, les comptages de cratères dans les plaines de Mars (unité Vastitas Borealis) indiquent un âge de l’océan d’environ 3,5 milliards d’années (âge Hespérien de la chronologie martienne).
Cependant, l’hypothèse d’un ancien océan sur Mars fait toujours débat au sein de la communauté scientifique, car on ne retrouve ni minéraux hydratés, ni carbonates, ni gypses à grande échelle. La recherche d’indices prouvant ou non la présence de cet océan dans l’hémisphère Nord de Mars est donc de nos jours un véritable défi.
Les publications récentes de notre équipe (en 2017 et en 2019), et celles de nos collègues américains (Rodriguez et al., 2016) relancent le débat sur la présence d’un océan sur Mars. En effet, en utilisant les données topographiques et celles des images de la caméra HRSC de la sonde Mars Express de l’Esa, l’équipe de géomorphologues dont je fais partie [1] a pu retrouver à la fois les indices d’anciens méga-tsunamis et le cratère qui serait à l’origine de ces tsunamis ayant recouvert les paléo-rivages de la région d’Arabia Terra sur Mars (fig. 1). Voici donc l’histoire de cette découverte pour le moins surprenante.
Les premiers indices
Tout a commencé en 1988, quand j’étais doctorant au Laboratoire de géographie physique à Meudon [2]. Ma thèse concernait l’étude du pergélisol martien et, à cette occasion, j’ai été invité à passer quelques semaines à l’US Geological Survey à Flagstaff, haut lieu de la planétologie martienne. Là-bas, j’ai pu étudier et interpréter certaines images de Mars. L’une d’elles, située dans la région d’Arabia Terra (fig. 1), m’intrigua particulièrement, car je n’arrivais pas à interpréter d’étranges structures lobées (unité nommée Thumbprint Terrain*). Je repartis en France avec cette image sous le coude. Ce ne fut qu’en 2016 que je la ressortis pour la proposer à une étudiante en stage de master. L’étude de cette région se fit cette fois à l’aide d’images à bien plus haute résolution provenant de la caméra HRSC de la mission européenne MarsExpress et de données altitudinales à haute résolution du laser altimètre MOLA de la sonde Mars Global Surveyor.
À ma grande surprise, je découvris des formations lobées, larges de 10 km et épaisses de 10 m, qui remontent les pentes systématiquement sur de grandes distances (fig. 2). Du jamais vu sur Mars. Ma conclusion fut celle de dépôts de coulées sédimentaires liées aux passages de vagues successives survenues lors d’un ou de plusieurs épisodes de tsunamis provenant de l’hémisphère Nord de la planète. J’allais voir mon collègue Franck Lavigne, spécialiste des tsunamis sur Terre, qui, en voyant ces images, confirma l’hypothèse du tsunami.
Cartographie des dépôts de tsunamis
L’étude suivante fut plus longue et fastidieuse, car il s’agissait de cartographier méticuleusement ces formations particulières à l’aide d’un logiciel de cartographie. Avec Antoine Séjourné (GEOPS) et notre stagiaire I. Di Pietro (université de Pescara, Italie), nous avons identifié et cartographié systématiquement ces dépôts lobés caractérisés par une limite de forme arrondie (fig. 2), le long d’un supposé paléo-rivage préalablement repéré par T. Parker en 1993. Les coulées aux fronts lobés* s’étendent sur plus de 150 km à l’intérieur des terres (fig. 2), dépassant même les limites des paléo-rivages cartographiées par Parker (1993) à –3 760 m d’altitude (Contact 2), puis remontent les pentes sur plusieurs dizaines de mètres d’altitude. Cette remontée nécessite une certaine énergie qui pourrait être celle fournie par un tsunami.
Les directions principales de ces coulées qui ont quelque 10 kilomètres de large attestent d’une zone source située plus au nord, au beau milieu d’une plaine qui aurait donc été occupée par un vaste océan dans la région de Vastitas Borealis (fig. 1).
La datation de ces dépôts de tsunamis par comptage de cratères réalisée par Sylvain Bouley (GEOPS) indiqua la présence d’un océan sur Mars il y a ~ 3 milliards d’années (c’est-à-dire à la transition Hespérien-Amazonien). Sur le moment, ce résultat nous a vraiment surpris, car l’océan de l’hémisphère Nord de Mars apparaissait plus récent que les estimations faites par nos collègues géochimistes et climatologues. En effet, ces derniers n’envisageaient pas la présence d’un océan après 3,7 milliards d’années, en raison de la disparition progressive de l’atmosphère de Mars et du refroidissement qui s’ensuivit.
Modélisations numériques des tsunamis sur Mars
Sachant que sur Terre la quasi-totalité des tsunamis est déclenchée par des séismes, comment est-il possible d’avoir des tsunamis dans un océan sur Mars, alors que cette planète est du type mono-plaque, c’est-à-dire sans tectonique des plaques et, par conséquent, peu de séismes forts ? La seule alternative possible sur Mars serait que la propagation des ondes du tsunami se fasse lors d’un impact dans un océan…
De nombreux travaux montrent que lors d’un impact d’astéroïde dans un océan terrestre, deux vagues successives se forment : la première produite lors de l’expulsion de l’océan au moment de l’impact et la deuxième produite par le remplissage soudain de l’océan dans la profonde cavité transitoire formée par le cratère. Pour tester cette hypothèse appliquée au cas martien, nous avons utilisé le modèle numérique développé par Karim Kelfoun, permettant de reconstituer précisément les propagations des vagues d’un tsunami depuis un impact dans un océan. Nous avons testé plusieurs cratères d’impact localisés dans l’hémisphère Nord de Mars et plusieurs niveaux marins. D’après ces simulations, seul le cratère Lomonosov (64,9° N- 9,2° O) arrive à déclencher un tsunami suffisamment puissant pour atteindre les rives d’Arabia Terra (fig. 1). Cet impact dans l’océan aurait provoqué une onde de choc qui se serait déplacée à la vitesse de 220 km/h, créant sur le rivage des vagues de 150 m (fig. 3). D’après les simulations, ces vagues atteignent les côtes là où nous observons précisément les fronts lobés des coulées observées sur les images. Ces derniers seraient donc les témoins du passage de ces vagues successives de tsunamis sur les rivages d’un paléo-océan sur Mars.
Etude des cratères marins terrestres et martiens
D’après les simulations numériques, le cratère Lomonosov serait donc le favori pour déclencher un tsunami. Mais ce cratère a-t-il les caractéristiques d’un impact dans un océan ? Il se trouve que sur Terre, d’anciens cratères d’impact ont été récemment identifiés dans les fonds océaniques. Ils intéressent tout particulièrement les astronomes qui détectent et suivent les géocroiseurs, ces astéroïdes susceptibles de croiser l’orbite terrestre. Sur Terre, ces cratères marins sont à l’origine d’anciens méga-tsunamis, comme le cratère Chicxulub qui a déclenché de vastes tsunamis il y a 66 millions d’années et dont on trouve encore aujourd’hui la trace grâce aux dépôts de tsunamis clairement identifiés le long des paléo-côtes du golfe du Mexique.
Divers travaux avaient étudié ces dernières années la possibilité qu’un tel événement puisse se produire sur Mars, mais aucune équipe n’avait pu identifier le ou les cratères à l’origine de ces tsunamis. Ce travail fut mené avec notre ancien doctorant Anthony Lagain, et en étroite concertation avec J. A. P. Rodriguez (Tucson), auteur d’un article sur les tsunamis martiens en 2016, et Jens Ormö, un spécialiste des cratères marins terrestres.
C’est à partir d’une approche géomorphologique couplant les images de la caméra HRSC de la sonde Mars Express de l’Esa et les données topographiques qu’il a été possible de mettre en évidence le cratère qui serait à l’origine de ces tsunamis. Précisons que ce travail a été mené indépendamment de la modélisation numérique précédemment décrite. Sur une dizaine de cratères préalablement identifiés dans l’hémisphère Nord de Mars, seul le cratère Lomonosov (120 km de diamètre) se différencie de ces homologues par une topographie bien particulière. Celui-ci présente un aplatissement et de nombreux effondrements de son large rempart (fig. 4), ainsi qu’un déficit en volume de son rempart. Autant d’indices qui ne peuvent s’expliquer que par un impact dans un océan peu profond avec un affaissement caractéristique du rempart et un remplissage de la cavité du cratère par la mer (fig. 5).
Il se trouve aussi que l’âge de ce cratère (par la technique du comptage de cratères) correspond à l’âge des dépôts de tsunamis précédemment identifiés dans la région d’Arabia Terra (environ 3 milliards d‘années), ce qui laisse supposer que les dépôts de tsunamis seraient bien liés à ce cratère.
On savait que Mars contenait un océan primitif ; ainsi, la détection récente de ce cratère d’impact suggère qu’un océan était présent bien plus récemment que supposé jusqu’alors, puisque ce cratère s’est formé dans cet océan il y a environ 3 milliards d’années. Cette conclusion de l’étude relance le débat de l’existence de cet hypothétique océan et a de fortes implications sur les conditions climatiques qui devaient régner à cette époque.
La question de la stabilité d’un océan martien il y a environ 3 Ga
La formation de dépôts lobés créés par un impact implique en tout cas qu’il y avait un océan tardif dans l’hémisphère Nord de Mars. La découverte de ces tsunamis sur les paléo-rivages de l’hémisphère Nord de Mars relance ainsi le débat de l’existence d’un océan et donc de la stabilité de l’eau liquide sur cette planète il y a environ 3 milliards d’années. Nous poursuivons l’analyse de ces dépôts de tsunamis dans d’autres régions des plaines de l’hémisphère Nord de Mars. Nous avons établi une collaboration avec le laboratoire du Nasa/Goddard Institute for Space Studies qui a développé un modèle climatique perfectionné prenant en compte un océan dynamique (avec des courants marins). L’article de Frédéric Schmidt (p. 20) décrit comment un tel modèle permet de déterminer le climat à cette époque et, ainsi, de comprendre l’histoire de l’eau et de l’habitabilité sur Mars, il y a 3 milliards d’années.
Par François Costard | GEOPS , Université Paris-Saclay
Article publié dans l’Astronomie, Juillet-Août 2022
Cratère à éjectats lobés : éjectas mis en place par la fonte d’éléments volatils au moment de l’impact.
Front lobé : partie arrondie d’un dépôt. Paléo-rivage : anciens traits de côte d’un océan.
Pergélisol (ou permafrost) : sol gelé en permanence. Replat : pente plus faible entre deux pentes plus fortes.
Structure polygonale : polygone de contraction thermique formé en présence d’un sol gelé riche en glace.
Thumbprint Terrain : unité géologique présentant des rides subparallèles et arquées.
Tsunami : Un tsunami est une série d’ondes de très grande période se propageant à travers un milieu aquatique, issues du brusque mouvement (séisme, glissement de terrain, impact) d’un grand volume d’eau et pouvant se transformer, en atteignant les côtes, en destructrices déferlantes de très grande hauteur.
Vallée de débâcle : écoulement à fort débit.
Références:
- Avec Antoine Séjourné, Anthony Lagain et Sylvain Bouley (laboratoire Géosciences Paris-Saclay ; GEOPS, CNRS/université Paris-Saclay), Karim Kelfoun (VolcFlow, Lab. Magmas et Volcans, université Clermont-Auvergne), I. Di Pietro (université de Pescara, Italie) et Franck Lavigne (Laboratoire de géographie physique à Meudon).
- Le laboratoire de géographie physique est installé sur le site du CNRS Bellevue, un centre de recherches scientifiques sans rapport direct avec l’observatoire de Paris-Meudon.
Ouvrages généraux :
-Numéro spécial planète Mars, l’Astronomie, mars 1988, vol.102.
-Bouley et al. (2017). Impacts: des météores aux cratères. Éd Belin-Pour la Science. Contributions à 4 chapitres.
-Forget F., F. Costard et Ph. Lognonné (2007). La planète Mars, Éd. Belin-Pour la Science, 144 p.
Articles spécialisés :
-Costard F., A. Séjourné, K. Kelfoun , S. Clifford, F. Lavigne, I. Di Pietro, et S. Bouley (2017). Modeling tsunami propagation and the emplacement of thumbprint terrain in an early Mars ocean. JGR Planets, vol. 122, Issue 3, p. 633-649, DOI: 10.1002/2016JE005230.
-Costard F., A. Séjourné, A. Lagain, J. Ormö, J. A. P. Rodriguez, S. Clifford, S. Bouley, K. Kelfoun, F. Lavigne (2019). The Lomonosov crater impact event: a possible mega-tsunami source on Mars. JGR Planets, vol. 124, p. 1840-1851, doi.org/10.1029/2019JE006008.
-Jöns H. P. (1986). Arcuate Ground Undulations, Gelifluxion-Like Features, In Lunar and Planetary Science Conference, 17, 404-405.
-Parker T. J., D. S. Gorsline, R. S. Saunders, D. C. Pieri, et D. M Schneeberger (1993), Coastal geomorphology of the martian northern plains, J. Geophys. Res., 98, 11061–11078, DOI: 10.1029/93JE00618.
-Rodrı́guez J. A. P., Fairén A.G., Tanaka K. L., Zarroca M., Linares R., Platz T., Komatsu G., Miyamoto H., Kargel J., Yan J., Gulick V., Higuchi K. Baker V. R., et N. Glines (2016), Tsunami waves extensively resurfaced the shorelines of a receding, early Martian ocean, Nature Scientific Reports, 6: 25106, DOI: 10:1038/srep25106.
-Schmidt,F., M. Way, F. Costard, S. Bouley, A. Séjourné et I. Aleinov (2022). Circumpolar ocean stability on Mars 3 Gy ago. PNAS, vol. 19, n° 4, doi.org/10.1073/pnas.2112930118.