La mission lunaire chinoise de retour d’échantillons s’est parfaitement déroulée. Elle clôture en triomphe le programme d’exploration automatique de la Lune en trois phases qui avait été décidé par le gouvernement chinois en 2004.
Le recueil d’échantillons lunaires débuta peu après l’atterrissage de Chang’E-5, le 1er décembre 2020. Cette opération fut réalisée de manière presque idéale. En effet, si le bras télémanipulateur avec ses pelles avait parfaitement rempli son objectif à partir de 17 h 15 UTC, ce ne fut pas le cas de la foreuse qui n’avait pas pu récupérer les échantillons jusqu’à 2 m de profondeur, car le sous-sol était plus «dur» que prévu. Le forage put néanmoins extraire ce qui devait l’être à moins de 1 m (Fig. 1 et 2).
La phase de recueil fut plus courte que prévu : 19 heures au lieu de 20 heures. Elle était contrôlée depuis Pékin. Dans le Centre des observatoires nationaux, qui supervise les missions d’exploration chinoises, il y avait aussi une salle où l’on avait reproduit à la hâte le site d’atterrissage pour simuler sur Terre ce qui devait être réalisé sur la Lune. Cette pratique fut inaugurée avec Chang’E-3 en 2013-2014 pour commander le rover Yutu à la surface de la Lune.
Retour des échantillons lunaires sur Terre
Les échantillons lunaires furent déposés dans un conteneur cylindrique hermétique ; ce dernier fut placé dans l’étage ascensionnel. Cet étage quitta la Lune le 3 décembre 2020 pour rejoindre le segment orbital. Le rendez-vous automatique avec le segment orbital (une première mondiale) fut parfaitement effectué le 6 décembre avant que l’amarrage des deux objets soit assuré par des pinces. Ensuite, le conteneur avec la précieuse cargaison fut transféré de l’étage ascensionnel à la capsule de retour. C’était la dernière opération avant que l’orbiteur de Chang’E-5 quitte l’orbite de la Lune pour rejoindre notre planète. Le 17 décembre, la capsule fut larguée à 5 000 km de la Terre au-dessus de l’Atlantique Sud. Ensuite, elle effectua un rebond atmosphérique à 60km d’altitude pour réduire sa vitesse et les frictions avec l’atmosphère. En fin de parcours, le parachute s’ouvrit à 10 km d’altitude. La capsule se posa en douceur à 18h59 (heure de Paris) après un périple de 23 jours (Fig. 3).
La zone d’atterrissage se trouvait dans la Bannière de Siziwang, une division administrative de la province chinoise de Mongolie-Intérieure. Cette zone est utilisée depuis 1999 pour l’atterrissage des capsules des vaisseaux habités Shenzhou. C’est aussi dans cette région que la capsule de Chang’E-5T1 – le démonstrateur de Chang’E-5 – avait été récupérée en 2014. La recherche de la capsule après son atterrissage fut conduite à la fois par une brigade motorisée et par une cavalerie militaire locale qui dut préparer les chevaux à se déplacer de nuit et par –25 °C (fig. 4).
La capsule et ses échantillons furent accueillis triomphalement à Pékin. La pesée des échantillons lunaires donna lieu le 19 décembre 2020 à une cérémonie officielle en présence de plusieurs personnalités, dont le président de l’Académie des sciences, Hou Jianguo, et des dizaines de journalistes En définitive, Chang’E-5 rapporta 1 731 g de la Lune. C’est un peu moins que l’objectif des 2 kg, car le forage se fit sur un sol plus dur que prévu. Mais c’est beaucoup mieux que les trois missions soviétiques Luna, qui rapportèrent sur Terre 336 g de matières lunaires (mais 382kg pour Apollo !).
Selon l’Agence spatiale chinoise (CNSA), les échantillons seront prioritairement étudiés par les scientifiques de l’Observatoire astronomique national (une branche de l’Académie des sciences) et une petite partie sera confiée à des équipes étrangères. Pour ce faire, un comité d’experts chinois sélectionnera les propositions de recherche. La coopération avec la Nasa, qui a salué le succès de Chang’E-5, se fera en fonction de « l’évolution des relations politiques entre les États-Unis et la Chine ». Les autorités chinoises souhaitent aussi que les échantillons rapportés par Chang’E-5 soient présentés dans des musées et des expositions pour intéresser, en particulier, les jeunes sur les sujets scientifiques et les motiver pour suivre des carrières aérospatiales.
Une deuxième vie pour l’orbiteur de Chang’E-5
Après s’être séparé du segment orbital de Chang’E-5, l’étage ascensionnel fut désorbité pour s’écraser sur la Lune. Selon le professeur Yang Yuguang, la Chine ne souhaitait pas polluer l’environnement lunaire avec ce véhicule qui avait achevé sa mission. En revanche, l’étage propulsif – l’orbiteur de la mission Chang’E-5 – est toujours opérationnel. Le directeur de la troisième phase du programme lunaire chinois, Hu Hao, a indiqué le 20 décembre 2020 que la nouvelle mission de ce véhicule visait à étudier l’environnement spatial autour du point de Lagrange L1, celui qui est placé entre la Terre et le Soleil. L’orbiteur de Chang’E-5 dispose encore de 200 kg de carburant, une réserve qui autorise plusieurs manœuvres. À la vérité, les Chinois sont passés maîtres dans l’art de prolonger l’utilisation de leurs véhicules lunaires. C’était déjà le cas il y a une dizaine d’années avec l’orbiteur Chang’E-2, qui avait effectué de nombreuses manœuvres dans l’environnement lunaire et autour du point de Lagrange L2 avant d’être transformé en sonde interplanétaire et de survoler l’astéroïde 4179 Toutatis le 13 décembre 2012. Ensuite, Chang’E-5T1 rejoignit lui aussi L2 sur une orbite de halo pour préparer la mise à poste du satellite de télécommunications lunaire Queqiao. Celui-ci a relayé les communications de la sonde Chang’E-4 qui s’est posée en 2019 sur la face cachée de la Lune.
La Chine a patiemment acquis toutes les compétences technologiques et scientifiques pour explorer la Lune. Seuls les Américains et les Soviétiques en avaient fait davantage dans la compétition lunaire des années 1960. Mais cette première conquête de la Lune est déjà ancienne et il faut bien reconnaître que la Chine est cette fois-ci en tête sur notre satellite naturel. Les futures missions lunaires chinoises s’annoncent plus complexes (Chang’E-6, 7 et 8) et seront encore plus « spécialisées et utilitaires » que les précédentes, car il s’agit maintenant de créer à la surface de la Lune une station de recherche automatique en 2030, qui sera le prélude à l’envoi de taïkonautes d’ici une quinzaine d’années. À ce titre, il faut rappeler que toutes les séquences suivies par la mission Chang’E-5 étaient celles des missions Apollo. Assurément, le retour de l’homme sur la Lune n’est plus un vague projet. Un compte à rebours a débuté des deux côtés du Pacifique. Et personne ne sait aujourd’hui qui enclenchera le premier le compte positif.
Nous vivons une période passionnante !
Philippe COUÉ | Membre de l’Académie internationale d’astronautique (IAA)