Le JWST a récemment obtenu une image directe, dans l’infrarouge, d’une exoplanète de type super-Jupiter. L’analyse de cette image et de données plus anciennes suggère que l’atmosphère de cette planète est enrichie en carbone et que sa température est de l’ordre de 275 K.

Images de l’exoplanète Eps Ind Ab obtenues par le coronographe du spectro-imageur MIRI du JWST aux longueurs d’onde 10,65 et 15,50 μm. L’étoile hôte (Eps Ind A), masquée par le coronographe, est au centre de l’image (étoile orange). Les barres blanches sur la figure de droite correspondent à des distances angulaires de 2,75” et 2,0”, soit 10 et 2,78 unités astronomiques. (© Matthews et al., 2024)
Parmi la vingtaine de planètes détectées jusqu’à présent par imagerie directe, toutes font partie de systèmes stellaires âgés de moins de 500 millions d’années, donc relativement jeunes. À l’aide du coronographe [1] du spectro-imageur MIRI installé sur le télescope spatial James-Webb (JWST), une équipe internationale d’astronomes conduite par Elisabeth Matthews, astrophysicienne au Max Planck Institute en Allemagne, et comprenant deux chercheurs de l’Observatoire de Paris-PSL vient d’obtenir une image infrarouge d’une exoplanète orbitant autour d’une étoile âgée d’environ 3,5 milliards d’années, Eps Ind A [2].
Cette étoile est située dans la constellation de l’Indien, à environ 11,8 années-lumière de la Terre. Elle est de type spectral KV5, donc un peu plus petite et moins massive que le Soleil. En 2003, des astronomes ont découvert une naine brune de masse comprise entre 40 et 60 fois la masse de Jupiter se déplaçant autour d’Eps Ind A. Les mesures de vitesse radiale disponibles à cette époque laissaient également entrevoir la présence, en plus de la naine brune, d’une planète géante dont l’existence n’a été confirmée qu’en 2018, sur la base de nouvelles mesures de la vitesse radiale. La masse de cette exoplanète, logiquement appelée Eps Ind Ab, avait alors été estimée à 3 fois la masse de Jupiter, et le demi-grand axe de son orbite à 11,6 unités astronomiques. L’image obtenue par le JWST apporte une confirmation supplémentaire (et directe) de son existence. En reprenant les mesures de vitesse radiale effectuées depuis une trentaine d’années, les astronomes ont pu aussi préciser ses propriétés et celles de son orbite. Selon ces nouvelles estimations, Eps Ind Ab serait ainsi plus massive que prévu, autour de 6,3 fois la masse de Jupiter, ce qui la range dans la catégorie des super-Jupiter, et elle se déplacerait sur une orbite très excentrique (e = 0,4) de demi-grand axe égal à 28,4 unités astronomiques, qu’elle accomplirait en environ 170 ans.
Les observations du JWST, effectuées dans l’infrarouge moyen, à 10,65 et 15,50 μm de longueur d’onde, permettent également d’apporter quelques informations sur l’atmosphère d’Eps Ind Ab. Les mesures de photométrie réalisées à ces longueurs d’onde sont compatibles avec les spectres d’émission calculés pour une atmosphère de planète géante gazeuse à une température de 300 K. Pour obtenir plus de précisions, des observations à d’autres longueurs d’onde sont nécessaires. En particulier, on s’attend à ce que l’atmosphère d’une géante gazeuse émette assez fortement autour de 3,5 et 5,0 μm, deux longueurs d’onde qui ne sont pas couvertes par MIRI. Les astronomes se sont donc tournés vers des images d’archive obtenues au VLT (Very Large Telescope) par deux spectro-imageurs différents : VIRIS, dont la gamme de longueurs d’onde est comparable à celle de MIRI et NaCo, qui couvre une gamme de longueurs d’onde plus petite, de 1 à 5 μm. Eps Ind Ab apparaît bien sur les images de VIRIS, mais pas sur celles de NaCo. Selon Elisabeth Matthews et ses collaborateurs, cette absence pourrait trahir la présence d’importantes quantités de méthane (CH4), de monoxyde de carbone (CO) et de dioxyde de carbone (CO2) dans l’atmosphère d’Eps Ind Ab, ces molécules étant responsables d’une forte absorption entre 3,5 et 5,0 μm. Autrement dit, l’atmosphère d’Eps Ind Ab serait enrichie en carbone. De plus, lorsque l’on tient compte de cet enrichissement, la comparaison entre les mesures de photométrie disponibles et les spectres d’émission théoriques suggèrent que la température de l’atmosphère d’Eps Ind Ab est de l’ordre de 275 K, ce qui en fait l’une des exoplanètes les plus froides observées à ce jour.
Les astronomes espèrent maintenant obtenir des images infrarouges d’autres géantes gazeuses d’âge comparable à celui de notre Système solaire. Plusieurs candidates sont en lice et devraient faire prochainement l’objet d’observation par le JWST. Les astronomes espèrent aussi réaliser des observations à des longueurs d’onde comprises entre 3,5 et 5,0 μm afin de déterminer lesquelles parmi ces planètes sont potentiellement enrichies en carbone et en autres éléments lourds.
Frédéric Deschamps – IESAS, Taipei, Taïwan