Après avoir feuilleté en mars les dernières pages du ciel d’hiver généreux en objets galactiques au sein de la Voie lactée, l’amateur de belles galaxies voit arriver en avril le ciel de printemps avec envie : le Lion, la Vierge, la Chevelure de Bérénice et la Grande Ourse offrent une aire de jeux extragalactique d’une grande richesse. Les galaxies y sont si nombreuses qu’on peut parfois en observer plusieurs dans le même champ dans un instrument d’amateur. C’est le cas du couple Messier 95 – Messier 96 dans le Lion. Rencontre avec les membres les plus brillants de l’amas Leo I…
Leo I est un groupe de galaxies constitué de deux sous-groupes. Le premier sous-groupe contient le triplet du Lion avec les célèbres M 65–M 66–NGC 3628 (voir l’Astronomie no 114 de mars 2018) dans la cuisse du Lion, puis plus à l’ouest le deuxième sous-groupe dit groupe de M 96, sous le ventre du Lion, un amas qui contient une douzaine de galaxies dont les plus brillantes sont M 95, M 96 et M 105. Cet amas est situé entre 32 et 38 millions d’années-lumière (a.l.). Notons que M 105, située presque 1° au nord de M 96, est accompagnée par NGC 3371 et NGC 3373 toutes proches et que ces trois galaxies sont accessibles dans un instrument à partir de 200 mm. Cela fait donc 5 galaxies à observer dans ce petit coin de ciel.
Messier 95 ou M 95 (NGC 3351) est une superbe spirale SB-b, soit une spirale barrée, vue quasi de face. On note des bras quasi circulaires. Cette galaxie contient environ 40 milliards d’étoiles et son diamètre est estimé à 46 000 années-lumière (a.l.).
Le centre de M 95 contient une région de formation d’étoiles en forme d’anneau. Cette région a un diamètre de 2 000 a.l. Cet anneau montre la présence d’amas compacts d’étoiles, chacun d’un diamètre de 60 à 85 parsecs (1 parsec = 3,2616 a.l.). En utilisant le télescope spatial Hubble (HST), des chercheurs ont réalisé une étude de la dynamique et de la vitesse des objets tournant autour du noyau central. Cette étude a permis de mettre en évidence l’existence d’un trou noir dont la masse est estimée entre 1,9 et 6,4 millions de masses solaires.
La vitesse de récession de M 95 fait qu’elle s’éloigne actuellement de notre galaxie, la Voie lactée, à 778 km/s (ou 2467 a.l. par millions d’années).
M 96 (NGC 3368) est, elle aussi, une spirale barrée, mais de type SAB-ab. Elle a une taille d’environ 100 000 a.l. et contient approximativement 100 milliards d’étoiles, soit des caractéristiques assez comparables à celles de notre propre Galaxie, la Voie lactée. La même étude que celle menée avec le HST sur M 95 a été menée sur le centre de M 96, et cette étude a abouti à la même conclusion, à savoir la mise en évidence d’un trou noir supermassif, la masse de ce dernier étant estimée entre 15 et 48 millions de masses solaires. Une autre étude, cette fois de sa structure d’ensemble, montre que son noyau ne se situe pas au centre et que ses bras spiraux sont asymétriques, des anomalies qui indiquent que M 96 subit des interactions avec ses voisines. Ces perturbations gravitationnelles ont étiré un des bras de M 96. Des simulations sur son passé font état d’une probable collision il y a 1 milliard d’années entre M 96 et NGC 3371, située plus au nord. Aujourd’hui, 40 millions d’a.l. séparent les deux galaxies. Cette collision a éjecté tellement de gaz qu’un anneau d’hydrogène froid entoure maintenant les galaxies du groupe de M 96.
Messier 105 ou M 105 (NGC 3379) est une belle galaxie elliptique de type E1. C’est la plus grosse galaxie elliptique du catalogue Messier hors de l’amas de la Vierge. Là encore, M 105 possède un trou noir central supermassif dont la masse est estimée entre 140 et 200 millions de masses solaires.
C’est Pierre Méchain (1744-1804), ami et collègue de Charles Messier (1730-1812) qui va découvrir M 95 et M 96 le 20 mars 1781. Messier va intégrer les deux objets dans son célèbre catalogue 4 jours plus tard.
Quant à M 105, sa découverte est mentionnée (lettre du 6 mai 1783) par Méchain lors d’une observation réalisée le 24 mars 1781. Cette galaxie a donc été observée à la même période que M 95 et M 96, mais, étrangement, ce troisième objet n’est pas inclus par Messier. C’est l’astronome américaine Helen Sawyer Hogg (1905-1993) qui propose en 1947 d’ajouter NGC 3379 en tant que 105ème objet du catalogue Messier.
Comment trouver M 95-M 96 ?
La localisation des deux galaxies est assez aisée. En première approximation, on indiquera qu’il est coutume de dire que M 95 et M 96 se trouvent sur le segment qui relie Régulus (α Leo) à Denebola (β Leo), au tiers de la distance qui sépare les deux étoiles en partant de Régulus. Mais la méthode la plus fiable consiste à partir de rhô Leonis (ρ Leo), de magnitude 3,8 et donc visible à l’œil nu. À 4,5° à l’est (à gauche) de ρ Leo se trouve l’étoile 53 Leo, de magnitude 5,3, à peine perceptible à l’œil nu mais bien vue aux jumelles et dans tout chercheur. M 96 se trouve à 1,5° nord et 30′ est de 53 Leo. M 95 se situe quant à elle 40′ à l’ouest de M 96, et M 105 à un peu moins d’un degré au nord de M 96. Enfin, NGC 3371 et NGC 3373 (parfois indiquées NGC 3384 et NGC 3389) sont à moins de 10′ à l’est de M 105.
Voici les tailles et les magnitudes de ces 5 objets :
M 95 = 3,1′ x 2,9′ et mag. 11,4
M 96 = 7,6′ x 5,2′ et mag. 10,1
M 105 = 5,4′ x 4,8′ et mag. 10,2
NGC 3371 = 5,5′ x 2,5′ et mag. 10,9
NGC 3373 = 1,9′ x 1,3′ et mag. 11,8
Avec des magnitudes comprises entre 10 et 12, il va sans dire qu’elles sont hors de portée des jumelles et des chercheurs. Elles vont nécessiter aussi un ciel noir, loin des villes et sans Lune pour être admirées.
Observations
Nous avons commencé nos observations dans une modeste lunette achromatique de 90 mm d’ouverture et de 910 mm de longueur focale. Au 30 mm (30 x), l’observation est difficile : M 96 apparaît en premier mais à la limite de visibilité. Après plusieurs secondes d’observation en vision décalée, elle finit par montrer un bâton allongé de lumière grise. M 95 est quant à elle invisible. On distingue cependant M 105 et NGC 3371, faibles mais captées sous forme stellaire en vision directe. Au bout de quelques secondes, en vision décalée, ces deux galaxies montrent deux petits fuseaux allongés, M 105 étant notablement plus brillante que NGC 3371.
Au 25 mm (36 x), c’est un peu mieux. M 96 est plus facile à distinguer, elle montre cette fois dès les premières secondes d’observation sa forme de bâton de lumière. M 105 et NGC 3371 sont plus évidentes, vues immédiatement. Par contre, si M 95 peut enfin être aperçue, c’est de manière bien furtive et à la limite de visibilité. On note une petite étoile de magnitude 10 à 6′ à l’ouest de la galaxie. Finalement, de ces quatre galaxies, c’est M 105 qui, à l’observation, s’avère la plus brillante. Elle dévoile un centre quasi stellaire autour duquel apparaît vaguement un très faible halo. NGC 3371 finit par montrer un aspect assez similaire à M 105 mais en plus petit et en plus faible.
Au 20 mm, les images sont bien plus flatteuses et intéressantes. M 96 devient plus évidente encore : elle montre un petit noyau ponctuel entouré d’un halo allongé. M 105 et NGC 3371 laissent d’abord voir chacune un noyau sous forme de bille quasi stellaire, chaque noyau étant entouré d’un halo allongé, ces deux halos étant parallèles. Enfin M 96 apparaît comme une pastille de lumière aux contours imprécis.
C’est avec le 15 mm qu’on obtient enfin de belles images des galaxies. M 96 est mieux définie ; elle dévoile un centre plus « ventru » ; par contre, le halo qui entoure ce noyau reste mal défini, aux contours incertains. M 95 devient très faible, mais, en vision décalée soutenue, on distingue un halo plus large et de forme arrondie. Dans l’oculaire de 12,5 mm (73 x), si on note certes un gain en taille des objets, on constate aussi que la hausse du contraste commence à « détruire » les images. M 96 devient plus faible. Le bâton est toujours bien vu mais le fuseau disparaît dans le fond de ciel noir et devient quasi invisible. En pointant M 105 et NGC 3371, la vision directe ne fait ressortir que deux billes de lumière. En vision décalée, les billes sont plus grosses et montrent un minuscule halo très faible les entourant. Quant à M 95, extrêmement difficile à voir en vision directe, elle ne montre en vision décalée qu’un vague flocon aux contours imprécis.
Nous avons poursuivi nos observations dans le T150/750 (télescope équipé d’un miroir de 150 mm de diamètre et de 750 mm de focale). Avec l’oculaire de 30 mm (25 x), le fond de ciel est tellement laiteux et brillant que l’image n’est guère intéressante : M 96 est à peine perceptible, M 105 et NGC 3371 ne sont perçues que sous forme stellaire et M 95 est aux abonnés absents. Dans l’oculaire de 25 mm (30 x), c’est bien mieux : M 96 ressort du fond de ciel comme un minuscule flocon contrasté. M 105 et NGC 3371 apparaissent stellaires mais on s’aperçoit après plusieurs secondes d’observation soutenue que M 105 est une petite bille brillante alors que NGC 3371 reste stellaire. Enfin, si M 95 reste désespérément invisible en vision directe, elle n’apparaît en vision décalée que sous la forme d’un flocon d’une faiblesse extrême. Au 20 mm (35 x), l’image est bien plus intéressante : M 96 est devenue un petit bâton contrasté entouré d’un vague halo. M 105 et NGC 3371 sont évidentes, sous la forme de deux petites billes ponctuelles et brillantes, M 105 étant plus brillante que NGC 3371. Quant à M 95, la vision directe nous la montre comme une minuscule pastille centrale entourée d’un petit voile très faible. Comme bien souvent avec les galaxies, l’oculaire de 15 mm (50 x) permet de faire un bond en avant en qualité d’image : les galaxies y apparaissent plus contrastées. M 96 est un petit bâton brillant entouré d’un voile gris, flou et lui aussi allongé. M 105 et NGC 3371 sont maintenant jolies, brillantes avec un très faible voile allongé les entourant. M 95 reste toujours très faible. Enfin dans l’oculaire de 12,5 mm (60 x), l’image, à nouveau, est intéressante. Le noyau de M 96 montre une petite pastille brillante et contrastée, insérée dans un bâton gris et flou, l’ensemble au centre d’un fuseau très faible. M 96 est devenue une pastille faible mais contrastée, entourée d’un voile lui aussi arrondi mais très faible. Quant à M 105 et NGC 3371, si les deux petites billes brillantes de leurs noyaux sont plus évidentes encore, un observateur distrait pourrait les prendre pour des étoiles. Par contre, un observateur attentif, qui pratiquera la vision décalée, remarquera immédiatement la présence de voiles faibles mais bien visibles, entourant chacun des noyaux et attestant qu’il s’agit bien de galaxies. Il notera aussi que l’image de NGC 3371 ressemble à celle de M 105 en réduction.
Quel plaisir de finir ces observations avec le Dobson de 305 mm ! On pourra lire et entendre qu’un miroir de 300 mm collecte 4 fois plus de lumière qu’un autre de 150 mm, c’est à l’oculaire qu’on savoure l’étalage de sa puissance. Tout devient facile dans un T 305 !
Dans l’oculaire de 30 mm (50 x), malgré le fond de ciel brillant, les galaxies sont toutes bien visibles. M 96 apparaît sous la forme d’une minuscule bille brillante légèrement allongée et entourée d’un petit halo brillant de même forme, halo lui-même entouré d’un voile très faible. M 95 est visible comme une petite comète, soit un petit noyau ponctuel, quasi stellaire, entouré d’un voile arrondi, comme une coma. Enfin, l’image de M 105 et NGC 3371 est bien plus flatteuse que dans les optiques précédentes : dès les premières secondes d’observation, la puissance du miroir de 305 mm exclut de les prendre pour des étoiles puisqu’elles dévoilent de minuscules halos gris et flous, celui de M 105, un peu plus étendu, étant bien plus évident. Dans le 20 mm (75 x), les images sont bien plus jolies et intéressantes. M 96 est bien mieux définie, bien sûr plus grosse, mais aussi et surtout, montrant un fuseau allongé de part et d’autre du noyau. Pour M 95, sa faiblesse reste de mise même avec cette optique généreuse : la vision directe montre une petite bille brillante, qui, grâce à la vision décalée, s’entoure d’un joli voile gris mais très faible. M 105 et NGC 3371 sont magnifiques en décalé ; M 105 est entourée d’un joli voile arrondi, ce qui lui donne l’aspect d’une galaxie spirale (ce qu’elle n’est pas) vue de face, du type de M 74, sans en distinguer les spirales bien sûr. L’oculaire de 15 mm (100 x) offre à nouveau une très belle image. M 96 offre l’image typique et flatteuse d’une belle galaxie, son noyau prenant l’aspect d’une petite LED grise, entourée d’un voile plus contrasté, un peu plus large et mieux défini. Même constat sur M 95 : le noyau est plus brillant, mieux défini et le halo arrondi montre des contours plus nets. Quant à M 105 et NGC 3371, elles sont superbes, comme deux belles galaxies d’aspect semblable mais d’éclat différent. Mais, au bout de quelques secondes, surprise… : elles ne sont pas seules ! Elles sont accompagnées à 5′ au sud-est par NGC 3373 de magnitude 11,8. Il n’est donc pas surprenant qu’elle n’apparaissait ni dans les optiques précédentes ni à faible amplification au 305 où elle demeurait « cachée » dans le fond de ciel trop brillant. Dans le 15 mm, NGC 3373 apparaît sous la forme d’un gros flocon flou allongé est-ouest et aux contours imprécis. Dans l’oculaire de 12,5 mm enfin (120 x), les images sont bien plus belles encore. Les cinq objets apparaissent mieux définis, plus nets. M 96 montre d’abord son noyau comme une bille brillante enserrée dans un petit bâton de lumière entouré d’un voile montrant une esquisse d’hélice en forme de S. M 95 quant à elle reste fidèle à son aspect d’une jolie comète, ou, là aussi, d’une spirale vue de face mais assez faible : son noyau est rond et entouré d’un voile large et flou. Enfin, pour M 105 et NGC 3371, on note de manière surprenante que la différence d’éclat s’estompe. De même, si les billes brillantes de noyaux sont plus que jamais présentes, les galaxies voient le voile les entourant s’estomper dans le fond de ciel devenu plus noir. En ce qui concerne NGC 3373, si on devine un peu mieux la forme de son fuseau, ce dernier est d’une faiblesse extrême et nécessite une observation soutenue pour être distingué du fond de ciel.
par Gilles SAUTOT | Science & Culture en Picardie