De grands progrès ont été faits depuis une quinzaine d’années dans la compréhension de la formation des étoiles, surtout de celles de faible masse. Ils sont résumés dans cet article, qui décrit aussi l’évolution ultérieure de ces étoiles.
Les étoiles résultent de l’effondrement, sous l’effet de leur propre gravité, de nuages de gaz et de poussières interstellaires. Cela pose plusieurs questions : où cet effondrement se produit-il ? Est-il spontané ou déclenché par une cause extérieure, et laquelle ? Comment se passe-t-il ? Comment est-il affecté par des facteurs physiques comme les mouvements dans le nuage initial et le champ magnétique qu’il contient ? Quelles sont les étapes qui conduisent à l’étoile « adulte » ? C’est à ces questions que nous allons tenter de répondre.
Où les étoiles se forment-elles ?
L’observation montre que les nuages interstellaires les plus froids sont le siège de la formation d’étoiles de faible masse (inférieure à quelques masses solaires), que l’on observe d’abord en infrarouge lorsqu’elles sont encore à l’intérieur du nuage, puis qui apparaissent en lumière visible lorsque celui-ci se dissipe. Les nuages géants, comme celui qui se trouve derrière la nébuleuse d’Orion, sont plus chauds et forment des étoiles de toutes masses. On peut y observer les étoiles en formation les plus massives, encore immergées dans leur nuage parent, comme des sources infrarouges très brillantes : un exemple est l’objet de Becklin-Neugebauer (du nom de ses découvreurs en 1967), qui est l’astre le plus lumineux du ciel après le Soleil dans l’infrarouge moyen ; c’est une étoile en formation, une protoétoile, d’environ 15 masses solaires. Ces proto-étoiles massives se manifestent également par des phénomènes secondaires, dont les plus remarquables sont les émissions radio très intenses des molécules OH à 18 cm de longueur d’onde et H2O à 1,35 cm.
Regardons de plus près ces nuages interstellaires. Ce ne sont pas en général des structures plus ou moins sphériques : ceux où ne se forment que des étoiles de petite masse sont plutôt des filaments irréguliers. La figure 1 en montre deux exemples et la figure 2 est une vue plus détaillée de la formation d’étoiles dans une partie du champ de la figure 1. La théorie, bien vérifiée par l’observation, montre que l’effondrement sur elles-mêmes de portions de ces filaments pour former des étoiles devient possible lorsque leur masse par unité de longueur du filament est supérieure à une valeur critique, telle que la gravité devient supérieure à la force de pression qui maintenait le filament à l’équilibre. Cette valeur critique est estimée à Mcrit = 2Gcs2, où G est la constante de la gravitation et cs la vitesse du son dans le gaz du filament, laquelle dépend de sa température. Celle-ci est de l’ordre de 10 K (degrés absolus), et on trouve que la masse critique par année-lumière de longueur est de l’ordre de 4 masses solaires.
Le champ magnétique joue-t-il un rôle dans ce processus ? On peut aujourd’hui tracer le champ magnétique dans le milieu interstellaire, grâce à une propriété de très petits grains de poussière interstellaire magnétiques ou paramagnétiques : ils se comportent comme de minuscules aimants, qui tournent comme des toupies autour des lignes de force du champ magnétique et émettent dans l’infrarouge lointain un rayonnement thermique, partiellement polarisé perpendiculairement à la direction du champ magnétique. En observant cette polarisation (et les satellites Planck et Herschel étaient équipés pour cela), on obtient donc la direction du champ magnétique. La figure 3 en montre un exemple. On constate que le champ magnétique est plutôt perpendiculaire aux filaments lorsque ceux-ci sont assez denses, ce qui favorise l’écoulement de la matière interstellaire (laquelle est toujours partiellement ionisée et donc conductrice de l’électricité) le long des lignes de force du champ : cela alimente les filaments, comme on peut le voir figure 2 à droite. Cependant, le champ magnétique ne semble pas affecter beaucoup l’effondrement lui-même qui conduit à la formation des étoiles, car les observations sont en bon accord avec la théorie où on ne le fait pas intervenir.
Alors que la formation des étoiles de petite masse qui vient d’être décrite a surtout lieu dans les filaments interstellaires et est spontanée, celle des étoiles de grande masse, qui est toujours accompagnée de formation d’étoiles moins massives, se produit dans de grands nuages plus chauds et semble généralement nécessiter une action extérieure. On a cité plus haut le cas du nuage situé à l’arrière de la nébuleuse d’Orion, chauffé par le rayonnement des étoiles O, jeunes et massives, du Trapèze, et où se forment des étoiles de toutes masses. Un autre exemple est celui d’un nuage associé à la nébuleuse de la Rosette (fig. 4). L’augmentation de pression qui résulte de l’ionisation et des vents produits par les étoiles chaudes, ou de l’onde de choc qui borde le reste en expansion des supernovæ, ou même à plus grande échelle le passage d’un bras de spirale, pendant lequel le gaz est comprimé, sont les déclencheurs de l’effondrement des parties les plus denses du milieu interstellaire.
L’effondrement du nuage initial
Les condensations dans le gaz interstellaire peuvent s’effondrer spontanément sous l’effet de leur propre gravité lorsque leur masse est supérieure à une certaine quantité, nommée masse de Jeans, du nom de l’astronome anglais James Jeans (1877-1946), qui a le premier étudié ce problème : par exemple, dans un nuage moléculaire à la température de 10 K avec une densité de 5 000 molécules d’hydrogène par centimètre cube, la masse de Jeans est de l’ordre d’une dizaine de masses solaires. Mais, comme nous venons de le voir, une augmentation de la pression extérieure peut favoriser cet effondrement. Le nuage peut aussi se fragmenter, si bien que dans ce cas l’étoile finale n’a pas la masse de Jeans. Ces phénomènes ne sont pas très bien compris, car la présence de turbulence ou d’un champ magnétique vient compliquer la situation. Une fois l’instabilité déclenchée, tout se passe rapidement… à l’échelle astronomique : par exemple, le nuage que nous venons d’évoquer s’effondrerait complètement en 400 000 ans, si deux phénomènes ne venaient pas ralentir et même arrêter la chute.
Tout d’abord, la contraction produit une augmentation de pression qui chauffe le gaz dont est constitué le nuage. Au début, la chaleur peut être évacuée par rayonnement, mais cela ne dure guère, car ce rayonnement a de plus en plus de mal à sortir : le nuage devient vite complètement opaque dans le visible et même dans l’infrarouge proche et moyen. Ensuite, même l’émission des raies moléculaires radio, en particulier celles de la molécule CO, et dans l’infrarouge lointain l’émission de la poussière qui accompagne le gaz ne peuvent plus guère sortir du nuage. Celui-ci est donc de plus en plus chaud : la pression augmente et stoppe l’effondrement de la partie centrale du nuage, le cœur. Celui-ci continue cependant à croître grâce à la chute de la matière qui l’entoure. Si la masse du cœur ainsi alimenté est suffisante, plus de 0,08 fois celle du Soleil, les réactions nucléaires peuvent s’amorcer : une étoile est née. Si elle est plus petite, on a affaire à une étoile avortée, une naine brune. Il apparaît cependant que les fragments opaques ne peuvent aboutir à une étoile, qu’elle soit normale ou avortée, que si leur masse est supérieure à 0,007 masse solaire, soit 7 fois la masse de Jupiter : sinon, ils finissent par se disperser. Ainsi, les planètes ne peuvent généralement pas être formées par l’effondrement d’un nuage interstellaire, sauf peut-être les plus grosses d’entre elles (la distinction entre très grosses planètes et naines brunes n’est d’ailleurs pas claire).
Un autre phénomène, que nous avons négligé jusqu’ici mais qui affecte profondément l’effondrement, est la rotation du nuage qui s’effondre : cette rotation, qui paraît être presque toujours présente en raison des mouvements dans le nuage initial et surtout de sa turbulence, produit une force centrifuge qui s’oppose à la contraction sauf le long de l’axe de rotation, et l’objet s’aplatit donc en s’effondrant. S’il tourne trop vite, il peut se scinder et former une étoile double, par un mécanisme dont les détails ne sont pas encore très bien compris. S’il ne tourne pas trop vite, un disque en rotation se forme autour du cœur. C’est sur ce disque que tombe la matière environnante, tandis que la chute de matière sur le cœur, qui fait grossir la proto-étoile, se fait principalement à partir de l’intérieur du disque. Cependant, cette chute est entravée par la force centrifuge dans le disque en rotation, qui s’oppose à la progression de la matière vers l’intérieur. Il faut donc évacuer de l’intérieur du disque, au moins en partie, le moment cinétique de rotation. C’est bien ce qui s’est passé lors de la formation du Système solaire, où l’essentiel du moment cinétique se trouve dans la révolution des planètes tandis que le Soleil ne tourne que lentement sur lui-même.
L’observation montre que ce moment cinétique est principalement emporté, avec une partie de la matière, par un jet émis de chaque côté du disque, jet qui est en rotation rapide sur lui-même. De tels jets bipolaires (fig. 5) sont si fréquemment observés qu’ils paraissent être la règle. La théorie montre qu’un champ magnétique est nécessaire pour engendrer le jet (fig. 6). Le jet bipolaire entraîne avec lui une partie du nuage moléculaire résiduel, ce qui ralentit sa propre rotation.
Les jets bipolaires sont quelquefois observables dans le visible, quand l’extinction par ce qui reste du nuage initial n’est pas trop forte. On les observe plus facilement dans l’infrarouge et en ondes radio, où l’extinction ne gêne pas, par l’émission de la poussière et des molécules qu’ils contiennent. À leur extrémité, on voit les régions où la matière avoisinante est comprimée par l’arrivée du jet, formant un choc qui excite le rayonnement de petits objets, les objets de Herbig-Haro, du nom de leurs découvreurs (fig. 7).
La figure ci-dessous (d’après A. Maeder, 2009) montre l’évolution d’une étoile de la masse du Soleil dans un diagramme température-luminosité (échelles logarithmiques). Les lignes d’égal rayon de l’étoile sont indiquées, en rayons solaires, et la position actuelle du Soleil est marquée par un cercle jaune. Le temps à partir de la naissance de l’étoile est indiqué le long de la trajectoire d’évolution, et les moments où commence la fusion du deutérium, du lithium et de l’hydrogène sont en rouge. Le temps initial n’est pas le même ici que dans la figure 8 : il est environ 200 000 ans après, vers la fin de la phase d’évolution correspondant à la classe 1, au moment où la protoétoile devient bien visible et ne capture plus guère la matière du disque. À ce moment, elle a un rayon d’environ 10 fois le rayon du Soleil, et elle se contracte à température de surface sensiblement constante, tandis que sa température centrale augmente, déclenchant la fusion du deutérium D puis du lithium Li (en rouge) : c’est la classe 2, et l’étoile est une T Tauri. Elle atteint pratiquement son rayon final après 10 millions d’années, puis sa température de surface augmente de même que sa température interne, jusqu’à ce que la fusion de l’hydrogène en hélium s’amorce (classe 3). Elle arrive alors, après une centaine de millions d’années, sur la séquence principale, où elle va lentement évoluer pendant 10 milliards d’années, toujours en tirant son énergie de la fusion de l’hydrogène. Lorsque celui-ci est épuisé au centre, sa combustion continue autour d’un noyau d’hélium où il n’y a plus de réactions nucléaires. La production d’énergie augmente progressivement, ce qui occasionne une expansion des couches externes de l’étoile ; l’accroissement rapide du rayon n’est pas suffisamment compensé par l’augmentation de la production d’énergie pour maintenir une température de surface élevée : l’étoile devient une géante rouge plus froide, qui évolue assez rapidement. À l’âge de 13,2 milliards d’années se produit le flash de l’hélium dans le cœur extrêmement dense, dont la matière est dégénérée : ce n’est plus qu’une purée de noyaux atomiques et d’électrons, où la température a atteint un milliard de degrés, et l’hélium s’y transforme en carbone de façon explosive. La structure de l’étoile se réajuste rapidement avec pour conséquence une décroissance de la production d’énergie par fusion de l’hydrogène : la luminosité et le rayon diminuent rapidement (entre les deux étoiles à 4 branches de la figure). L’étoile a alors une structure en couches : autour d’un cœur inerte composé essentiellement de carbone se trouve une épaisse couche d’hélium qui fusionne en éléments plus lourds près du cœur, couche au-dessus de laquelle l’hydrogène continue à se transformer en hélium. L’énergie produite par la fusion de l’hélium fait que l’étoile redevient une géante en suivant une trajectoire semblable à celle effectuée précédemment : on l’appelle branche asymptotique ou AGB (de l’anglais Asymptotic Giant Branch). La fusion de l’hélium devient instable si bien qu’il se produit des impulsions thermiques (phase TP-AGB, TP pour Thermal Pulses), lesquelles occasionnent d’importantes pertes de masse. L’étoile se retrouve finalement sous la forme de son cœur très chaud, dont le rayonnement ultraviolet ionise la matière expulsée : c’est une nébuleuse planétaire. L’étoile centrale termine sa vie comme naine blanche.
Les différentes étapes de la formation des étoiles
Les étapes de l’évolution de la protoétoile vers l’étoile finale sont aujourd’hui bien connues, au moins pour les étoiles de masse faible ou moyenne, sous la forme de quatre classes illustrées par la figure 8.
La classe 0 correspond au stade où la protoétoile est généralement inobservable dans le visible et même dans l’infrarouge proche et moyen, car elle est cachée par la matière qui s’effondre, qui est très opaque : on ne détecte en général que le rayonnement de la poussière de cette matière, qui émet en ondes submillimétriques et millimétriques. C’est à ce stade que la proto-étoile acquiert l’essentiel de sa masse, et qu’un jet bipolaire se forme. La capture de matière par la protoétoile paraît très fluctuante au cours du temps ; les épisodes où elle est très intense correspondent à des objets qui peuvent être temporairement très lumineux, même dans le visible. On les nomme FU Orionis, du nom de leur prototype dont la magnitude a augmenté de 16,5 à 9,6 en 1937 ; elle s’affaiblit lentement depuis.
La classe 1 correspond à des objets beaucoup plus lumineux en moyenne que ceux de la classe 0. Ils émettent dans tout l’infrarouge. Le nuage primordial est en voie de disparition, révélant la protoétoile et son disque circumstellaire. La chute de matière a beaucoup diminué, ainsi que le jet bipolaire.
Dans la classe 2, l’étoile est complètement formée, avec un rayon initial 10 fois plus grand que celui de l’étoile finale et en conséquence une luminosité plus élevée. Elle se contracte progressivement ; la température centrale augmente et les réactions nucléaires s’y amorcent par la fusion du deutérium à 1 million de degrés, puis du lithium à une température un peu plus élevée. La température de surface varie peu, et la luminosité diminue. Le disque circumstellaire est encore important, mais le jet a disparu. Ce stade correspond aux étoiles dites T Tauri, du nom de leur prototype. Elles sont très variables, et leur spectre montre de fortes raies d’émission, produites par le gaz du disque excité par le rayonnement de l’étoile.
La classe 3 correspond à une étoile qui a presque atteint son rayon final. Sa température de surface croît, et son cœur atteint trois millions de degrés, ce qui va permettre la fusion de l’hydrogène. Elle parvient alors sur la séquence principale, où elle passera l’essentiel de sa vie. Son rayonnement a chassé le gaz des parties centrales du disque, où ne subsistent que des débris solides et où se formeront les planètes rocheuses comme Mercure, Vénus, la Terre et Mars, tandis que les planètes gazeuses comme Jupiter, Saturne, Uranus et Neptune se formeront plus loin, là où il reste du gaz… Mais cela est une autre histoire que nous ne détaillerons pas ici (voir l’Astronomie, juillet-août 2018, p. 28-35).
par James Lequeux, Observatoire de Paris-PSL
Pour en savoir plus
Lequeux J. Naissance, évolution et mort des étoiles, EDP Sciences, Les Ulis, 2011.