LE MAGAZINE DES SCIENCES DE L’UNIVERS EN AFRIQUE

Cet article est la suite d’un premier article publiée par l’Astronomie Afrique sur au sujet de la dépression circulaire de Vélingara, ou bassin de l’Anambé, potentielle structure d’impact météoritique au Sénégal.

L’équipe de recherche internationale (France, Sénégal, Côte d’Ivoire) poursuit ses recherches sur la dépression circulaire de l’Anambé afin d’élucider son origine, dans le cadre de l’Initiative Africaine pour les Sciences des Planètes et de l’Espace (https://africapss.org). Cette structure est considérée depuis une vingtaine d’année comme une possible structure d’impact météoritique érodée et enfouie sous des sédiments. Identifiée dans les données d’imagerie satellite, elle a fait l’objet de très rares visites de terrain. Les récents travaux de recherche ont pour objectif d’obtenir les données et financements nécessaires à la réalisation d’une campagne de forage, indispensable pour prouver l’origine météoritique de cette structure. Mais rappelons d’abord quelles sont les motivations ce projet.

Pourquoi chercher des cratères d’impact et pourquoi en Afrique de l’Ouest ?

 L’Afrique, et plus spécifiquement l’Afrique de l’Ouest montre un déficit de structures d’impact par rapport à d’autres régions de globe, en particulier par rapport l’Amérique du Nord, à l’Europe et à l’Australie. Il y a donc un potentiel important de découvertes. Avec une géologie riche de terrains anciens, et des climats arides dans la zone Sahélienne, il est possible à la fois de découvrir des structures d’impact importantes et anciennes, et des petits cratères d’impact récents et préservés de l’érosion. L’Afrique de l’ouest compte seulement trois structures d’impact confirmées, Bosumtwi (diamètre : 10.5 km, âge : 1 million d’années) au Ghana, Aouelloul (390 m, 3.1 millions d’années) et Tenoumer. Cette compte compte cependant un plus grand nombre de structures d’impact potentielles qui attendent des recherche sur le terrain pour être confirmées (Fig. 1). La recherche de ces structures d’impact est importante pour compléter nos connaissances sur l’histoire du bombardement météoritique sur Terre (et préciser le risque de collisions avec des astéroïdes), et pour comprendre le rôle qu’on pu jouer à l’échelle locale, régionale et mondiale ces collisions sur l’évolution de notre planète. Un tiers des structures d’impact météoritiques sont également associées à des ressources naturelles (réservoir d’eau, métaux, hydrocarbures, diamants) ou sont des lieux importants pour le développement économique et touristique d’un pays.

Fig. 1. Vue Satellite de l’Afrique de l’Ouest avec les 3 structures d’impact confirmées et les structures d’impact potentielles (source: Bing imagery).

Que sait-on sur le bassin de l’Anambé ?

Le bassin de l’Anambé est connu au Sénégal pour les projets agricoles qui y sont menés par la SODAGRI (Société de Développement Agricole et Industriel du Sénégal). La dépression circulaire permet une retenue d’eau naturelle. A l’aide de deux petits barrages installés au sud de la dépression, il est possible de contrôler l’irrigation du site pour un développement agricole du bassin de l’Anambé. Le centre de la dépression est occupé par un lac entouré de champs, essentiellement pour la culture du riz. En raison de cette irrigation exceptionnelle, le site est caractérisé par une biodiversité importante. La zone du lac regorge d’espèces végétales, d’oiseaux et, les paysages remarquables  de ce site en font un lieu pour le développement du tourisme en Casamance (Fig. 2), qui est aujourd’hui essentiellement concentré dans la région côtière.

Depuis l’espace, la dépression de Vélingara d’environ 40 km de diamètre est bien visible, malgré un relief peu marqué : seulement quelques dizaines de mètres entre le sommet du rempart circulaire et le centre de la dépression (Fig. 3). Si Vélingara est une structure d’impact météoritique, elle est nécessairement ancienne (plusieurs dizaines voire centaines de millions d’années) et très érodée. La cartographie géologique, réalisée il y a plusieurs dizaines d’années à l’aide de données de forages indique que la structure est essentiellement recouverte de sédiments récents. Au centre, ces données de forages hydrauliques (les échantillons ne sont malheureusement plus disponibles aujourd’hui), indiquent que le socle, qui peut donc contenir les preuves d’un impact, est situé seulement sous quelques dizaines de mètres de sédiments. Pour une structure d’impact de cette dimension, on s’attendrait à voir un soulèvement central, formé lors de la phase d’effondrement et rebond gravitaire qui fait immédiatement suite à l’excavation. L’absence de pic central dans les données topographiques est donc énigmatique, bien que celui-ci ait pu être simplement érodé.

Fig – 3 – Gauche : carte topographie et relief ombré de la dépression de l’Anambé. Un rempart circulaire est bien visible, cette morphologie est très évocatrice d’une structure d’impact, mais l’absence d’un pic central attendu pour une structure de cette dimension est énigmatique.

Quels sont les résultats de la première campagne de terrain menée en 2022 par l’équipe de chercheurs Français, Sénégalais et Ivoiriens ?

 En mars 2022, une équipe internationale composée de chercheurs de Toulouse et Aix-en-Provence (France), de  l’Université Cheikh Anta Diop de Dakar, de la SOMISEN SA et de l’Université Félix Houphouët-Boigny (Abidjan, Côte d’Ivoire) a réalisé une campagne de géophysique dont l’objectif était de cartographier les éventuelles anomalies gravimétriques et magnétiques associées à cette structure. La structure étant recouverte de sédiment, la géophysique est le seul moyen de connaitre la nature et la structure des roches en profondeur. La géophysique ne peut pas à elle-seule prouver l’origine météoritique de la dépression de Vélingara, mais elle peut orienter les recherches vers cette hypothèse ou d’autres hypothèses, et elle fournit des données essentielles en prévision de la réalisation d’un nouveau forage. Le résultat principal de cette campagne a été la découverte d’une anomalie circulaire de -15 mGal, compatible avec l’hypothèse météoritique. Cependant, les dimensions de cette anomalie sont bien inférieures à celle de la morphologie de la dépression (10 km de diamètre seulement) (Fig. 4), et ont donc lancé un débat au sein de l’équipe de chercheurs sur les dimensions réelles de la structure d’impact. L’histoire post-impact et l’érosion sont-ils capables de produire une dépression de 40 km à partir d’un cratère de 10 km ? Ou bien, quels sont les spécificités de cette structure qui expliquent un tel désaccord entre les observations de surface et les observations gravimétriques ? Le débat va se poursuivre, sans doute pour un troisième épisode dans l’Astronomie Afrique !

Fig. 4 – Principal résultat de la campagne de géophysique menée 2022 : découverte d’une anomalie circulaire gravimétrique de -15 mGal, traduisant un déficit de masse dans la région centrale de la dépression de Vélingara (sources : Quesnel et al., en révision).

Que faut-il faire pour prouver que Vélingara est un impact météoritique ?

Les preuves d’un choc entre un astéroïde et notre planète nécessite d’analyser en laboratoire des roches marquées par le passage d’une violente onde de choc se propageant lors de cette collision. A l’échelle de l’échantillon, il est possible de trouver la présence de « cônes de percussions » qui sont associées de manière unique aux structures d’impact (Fig. 5). La présence de cônes de percussions dans une roche prélevée en place au sein d’une structure circulaire est donc suffisante pour prouver l’origine météoritique de cette structure. A l’échelle microscopique, les minéraux montrent des figures de déformation et des transitions de phase « haute pression » qui sont également diagnostiques de ce que l’on appelle métamorphisme de choc. La recherche de ce type d’échantillons est donc une priorité pour déterminer l’origine de la dépression de Vélingara. Etant donné la couverture de plusieurs dizaines de mètres de sédiments, un forage carotté est la seule option pour obtenir ces précieux échantillons. L’équipe internationale déploie donc les efforts nécessaires pour obtenir les accords et le financement nécessaire pour réaliser ce forage en 2024. Les échantillons de ce forage seront conservés au Sénégal, avec l’appui d’un financement de la Meteoritical Society obtenu en 2023. Ce forage bénéficiera de collaborations avec le Centre International de Recherche sur les Impacts et sur Rochechouart (CIRIR). Rochechouart est la seule structure d’impact située en France. Le CIRIR, sous la houlette enthousiaste de son directeur, Philippe Lambert, a pu réaliser plusieurs forages de plusieurs centaines de mètre au total de cette structure. L’expérience lors du forage de cette structure sera précieuse pour assurer le succès d’une campagne de forage de la dépression de Vélingara.

Fig. 5 – Gauche : côte de percussion observés dans des roches calcaires (Agoudal, Maroc). Noter les striations divergentes sur les surfaces courbées des cônes de percussion. Droite : « Planar Deformation Features » dans un grain de quartz observés au microscope. Noter les fines bandes sombres parallèles distantes les unes des autres de quelques de micromètres.

David Baratoux

Références bibliographiques

Quesnel, Y., Rochette, P., Baratoux, D., Niang, C.A.B., Fall, M., Kouame, N.L, Wade, S., Kaire, M, Faye, G., Champollion, C. Potential-Field Measurements on The Velingara Candidate Impact Structure (Senegal), Journal of African Earth Science, en révision.

 

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