Quelle est l’origine du projet JWST ?
Dès les années 80, les chercheurs ont commencé à imaginer à quoi devrait ressembler la future génération de télescopes spatiaux et en particulier le successeur du télescope spatial Hubble (HST) tout en aspirant à répondre aux grandes questions scientifiques : observer plus loin dans l’univers, rechercher les premières étoiles et galaxies créées après le Big Bang, mieux comprendre comment les planètes, les étoiles et les galaxies naissent et évoluent au fil du temps.
Au départ, le télescope spatial James Webb a été conçu pour capter le rayonnement extrêmement faible émis par la première génération de galaxies, qui a dû se former 100 à 200 millions d’années après la naissance de l’Univers. Comme l’Univers est en expansion, la lumière de ces galaxies lointaines est atténuée et étirée vers des longueurs d’onde infrarouges, c’est ce qu’on appelle le décalage vers le rouge (ou redshift). Il est donc très difficile de les voir et de les identifier, car elles sont très faibles et très rouges. Il a fallu donc deux caractéristiques au JWST : une très grande sensibilité à la lumière faible et être capable de voir dans l’infrarouge. Le JWST est donc le premier télescope doté d’un miroir suffisamment grand (6m50) et d’instruments suffisamment froids pour sonder notre Univers dans l’infrarouge proche et moyen (0.6-28 microns). Combiné à sa résolution spatiale, cela permettra de dévoiler des détails avec une précision sans précédent d’objets proches et d’observer des objets lointains.
Comment t’es-tu retrouvée impliquée dans ce projet ?
Durant l’été 2021, j’étais en recherche active de postdoctorat. Je suis tombée par hasard sur une annonce concernant une offre de postdoctorat JWST à l’Institut d’Astrophysique Spatiale (IAS) en France. Sur les conseils avisés de Jacques Lebourlot qui m’a recommandé de postuler, j’ai constitué un dossier, rédigé un rapport de recherche et sollicité des lettres de recommandation. Ensuite, il a fallu effectuer une présentation sur mes travaux antérieurs pour l’étape finale de la sélection. J’ai rejoint l’équipe en octobre 2021 et je suis très heureuse de faire partie de l’aventure JWST du groupe Astrophysique du Milieu Interstellaire (AMIS) à l’IAS.
Mon projet de recherche concerne l’étude des macromolécules et de la poussière dans les régions de photodissociation (PDRs) à l’aide des observations du JWST. Ces régions neutres du milieu interstellaire, à l’interface des nuages moléculaires, sont dominées par des photons ultraviolets qui influencent fortement les processus physiques et chimiques.
Devenir un expert dans l’analyse de la physique et de la chimie du milieu interstellaire, nécessiterait d’étudier les modèles théoriques des régions de photodissociation et de les comparer aux observations. À ces fins, les capacités des instruments du JWST en termes de résolution spatiale et de sensibilité sont parfaitement adaptées aux échelles auxquelles les environnements des PDRs changent. Sur cet aspect, l’équipe du groupe de recherche AMIS de l’IAS rassemble toute l’expertise : elle est profondément impliquée dans l’un des programmes précoces du JWST (Early Release Science; ERS) et dans l’analyse des observations d’un programme à temps garanti (gto) prises au cours de la première année de fonctionnement du télescope. En plus, l’équipe a accès au soutien du centre d’expertise français local pour l’instrument MIRI (Mid-Infrared Instrument).
Ce poste correspondait donc parfaitement à mes intérêts scientifiques, comme j’ai étudié de manière observationnelle comment les grandes molécules interagissent avec leur environnement dans le milieu interstellaire (MIS). Je me suis dit que poursuivre mes recherches dans l’étude de l’évolution du milieu interstellaire avec des objectifs similaires et compléter mon expérience dans la simulation et la modélisation des poussières impliquerait un pas en avant dans ma carrière et puis, quel privilège d’être parmi les premiers chercheurs à analyser les données du JWST !
En quoi ce télescope spatial est-il une révolution en Astronomie observationnelle ?
Le JWST est le télescope de tous les superlatifs. Il a le plus grand miroir, les instruments les plus froids et les plus performants jamais lancés dans l’espace. Donc on s’attend à ce que le JWST soit une révolution en astronomie observationnelle à plusieurs niveaux : d’abord, c’est une sorte de machine à remonter le temps, donc en regardant dans l’infrarouge, le webb va révéler des galaxies et des étoiles bien plus lointaines que tout ce qui a été observé jusqu’à présent.
Concernant les exoplanètes, le télescope spatial James Webb jouera un rôle crucial dans l’étude de la composition chimique et des conditions physiques des enveloppes gazeuses de ces systèmes planétaires. Le coronographe du JWST bloquera la lumière d’une étoile, révélant les planètes en orbite autour d’elle.
D’autre part, grâce à sa sensibilité et sa résolution, nous pourrons résoudre spatialement les structures filamentaires des nébuleuses les plus proches avec un détail sans précédent et ainsi contraindre les processus physico-chimiques de ces régions. La fenêtre spectrale couverte par l’instrument moyen-infrarouge MIRI est inédite et cruciale pour l’étude de ces régions. Cela permettra de répondre aux questions encore en suspens sur la formation des étoiles et comment ces étoiles en fin de vie enrichissent leur milieu en matière.
De plus, avec ses boucliers et ses miroirs segmentés qui devaient être déployés dans l’espace, le JSWT est également une prouesse technologique. Une autre capacité très intéressante de cet instrument spatial est la possibilité d’effectuer des observations en « mode parallèle ». En d’autres termes, on peut recueillir des données avec deux instruments différents du Webb en même temps avec des champs d’observation de taille différente. Cela vise non seulement à maximiser le rendement scientifique du JWST en obtenant simultanément des données de plusieurs instruments, mais on gagne également en efficacité dans l’interprétation des données en ayant des observations complémentaires (imagerie + spectroscopie).
Quelle est selon toi la découverte la plus importante du JWST à ce jour ?
L’une des capacités tant vantées du JWST est la possibilité de remonter dans le temps jusqu’aux débuts de l’univers et de voir certaines des premières galaxies et étoiles. Selon moi, c’est dans ce contexte-là qu’on pourra avoir les découvertes les plus importantes.
Concernant les exoplanètes, on a maintenant la première détection directe d’une exoplanète (première image !) ainsi que la détection du CO2. Cela n’implique pas qu’on va découvrir un signe de vie ailleurs tout de suite, mais il est important de comprendre la composition de l’atmosphère d’une planète, car elle nous renseigne sur l’origine de la planète et son évolution.
Mais n’oublions pas que le JWST est à ses débuts, l’analyse approfondie et pointue des données qui mènera vers les découvertes prendra du temps donc on n’aura pas toutes les réponses tout de suite. Ce n’est pas avec les belles images qu’on obtiendra les découvertes, car il est difficile d’expliquer le type de conditions physiques et d’éléments chimiques d’un phénomène ou d’un objet dans l’espace qu’avec l’imagerie. C’est surtout l’analyse spectroscopique – l’étude de l’interaction du rayonnement avec la matière – qui donnera des contraintes. En étudiant le spectre de fréquence de la lumière provenant d’un objet, il est possible de tirer des conclusions solides sur sa composition chimique, sa température et sa masse.
Que fais-tu avec les données du JWST ?
Avec le JWST, on veut sonder des zones où les étoiles se forment. Les étoiles se forment dans des nuages de gaz et de poussière dans le milieu interstellaire, et ces nuages sont opaques dans le visible et donc les télescopes optiques ne peuvent pas voir à travers ces nuages, d’où l’intérêt d’utiliser l’infrarouge. Je suis impliquée dans deux programmes : un Early Science Realase Program pour l’étude de la barre d’Orion et un Programme de temps garanti (gto) pour l’étude de la tête de Cheval et de la nébuleuse NGC7023.
Je vais analyser particulièrement l’interface de ces nébuleuses, comme mentionné dans une réponse précédente, dans ces régions les processus physiques et chimiques qui se produisent sont très intéressants pour comprendre le cycle de la matière interstellaire, de la formation des étoiles et l’interaction du champ de rayonnement UV des étoiles avec ces nuages. Il s’agit bien évidemment d’une collaboration nationale et internationale entre plusieurs scientifiques internationaux de différente expertise et différents backgrounds, chacun selon son domaine de prédilection est impliqué soit dans la réduction des données, l’analyse des spectres des instruments NIRSPEC et MRS ou le traitement des données d’imagerie MIRI ET NIRCAM.
Mon rôle est d’étudier l’évolution de la poussière (son émission et sa diffusion) dans ces trois régions en confrontant les observations du Webb aux modèles qui ont été élaborés dans mon équipe à l’IAS. Je commencerai par la barre d’Orion et dès que les données sont disponibles pour le gto, j’appliquerai les mêmes outils que j’ai développés à la tête de Cheval et à la nébuleuse NGC7023. Ces données permettront de tester des modèles théoriques largement utilisés et de les étendre à l’ère du JWST.
Qui peut participer à l’analyse des données fournies par ce télescope spatial ?
Le Webb constituera une énorme archive publique où les chercheurs pourront puiser. À terme, les données seront accessibles à toute personne intéressée et disposant des capacités et expertises nécessaires pour analyser les données de n’importe quel instrument du Webb.
Les données des programmes dits ‘ERS’ sont publiques immédiatement. La liste détaillée des programmes acceptés peut être retrouvée sur ce site : https://www.stsci.edu/jwst/science-execution/approved-ers-programs. Les données des programmes à temps garanti (gto) sont publiques après un an.
Contrairement à ce qu’on pourrait penser, les archives des missions spatiales ou des observatoires au sol sont une mine d’or et les données d’archives ne sont souvent que très partiellement exploitées. Les données d’archives du grand réseau d’antennes millimétrique/submillimétrique de l’Atacama ALMA, sont un très bon exemple, plusieurs recherches et articles ont été publiés en exploitant les données d’archive ALMA (https://almascience.nrao.edu/aq/).
Comment un étudiant ou chercheur africain passionné d’astronomie peut-il participer à cette aventure scientifique depuis son pays ?
Comme mentionné dans ma réponse précédente, les observations du télescope seront accessibles à toutes et à tous. Donc un étudiant ou un chercheur africain pourra puiser dans la base des données observées par le Webb télescope après la création d’un compte : https://archive.stsci.edu/missions-and-data/jwst
Aussi, pour ceux qui veulent avoir leurs propres observations : les astronomes de tous les pays peuvent utiliser les instruments du JWST, à condition d’avoir une proposition de temps de télescope qui soit approuvée par leurs pairs. D’où l’intérêt des programmes ERS, qui sont responsables de délivrer des produits scientifiques, conseils et même un mode d’emploi afin d’aider les chercheurs à mieux préparer leurs demandes d’observation pour les prochains cycles. Concrètement, il faut se rapprocher des responsables des différents programmes. Assez souvent des téléconférences et des ateliers dédiés sont organisés à distance.
À l’exception des scientifiques directement impliqués dans le projet Webb, la plupart des utilisateurs potentiels du JWST demandent du temps d’utilisation par le biais du programme général des observateurs, ou GO (pour General Observers program). Toute la documentation, ainsi que plusieurs outils indispensables pour la préparation de chacun de ces programmes comme les outils Astronomer Proposal Tool (APT) et Exposure Time Calculator (ETC) sont mis à la disposition des chercheurs sur le site : https://jwst-docs.stsci.edu/
J’aimerai également souligner l’existence de ressources en français, via le projet JWST France qui est porté par le CNES, le CEA et le CNRS. Le site https://www.jwst.fr/ propose plusieurs ressources en français pour les chercheurs et pour le grand public
Propos recueillis par David Baratoux
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