Année 2007, les astronomes détectent un pulsar à l’emplacement de ce qu’ils croyaient être depuis des années une variable cataclysmique : l’astre qu’ils croyaient être une étoile naine blanche d’une dizaine de milliers de kilomètres de diamètre (comparable à la Terre) et d’une masse de quelques dixièmes de la masse du Soleil (100 000 fois la Terre) s’avère être en réalité une étoile à neutrons*, c’est-à-dire un résidu d’étoile massive de seulement 20 km de diamètre et un milliard de fois plus dense qu’une naine blanche avec une masse d’environ 1,5 fois la masse du Soleil. Comment a-t-on pu faire une telle méprise ? C’est ce que nous allons essayer de voir dans le reste de cet article.
Un * renvoie au glossaire en fin d’article.
Un pulsar est une étoile à neutrons magnétisée tournant très vite, que l’on peut observer en ondes radio, ou X ou gamma. Un pulsar émet beaucoup d’énergie, ce qui ralentit sa rotation au point qu’après quelques millions d’années, il s’éteint. Il reste une étoile à neutrons presque inerte. Cependant, d’anciens pulsars formant un système double avec une étoile peuvent accréter de la matière de leur compagnon, ils gagnent alors de la vitesse de rotation et se transforment à nouveau en pulsar. Le vent émis par le pulsar réactivé va progressivement faire disparaître le compagnon stellaire ayant permis son réallumage. Des observations très différentes du même objet, appelé J1023, menées en 2000, 2001, 2004 et 2007 ont été interprétées récemment comme provenant d’un système de deux étoiles subissant cette transformation. L’article, qui décrit cette transformation d’un système binaire en un pulsar milliseconde, tel qu’il est observé entre 2007 et 2013, est rédigé par un des coauteurs d’une étude de J1023 publiée cette année. Mentionnons que ce jeune chercheur a obtenu son doctorat en 2017, et qu’il a reçu le prix de la meilleure thèse de l’Union astronomique internationale, dans la thématique « phénomènes de haute énergie et physique fondamentale ».
Un pulsar est constitué d’une étoile à neutrons qui elle-même est un résidu d’étoile massive. Par massive, on entend une étoile faisant plus de 8 fois la masse du Soleil. Les étoiles moins massives, et en particulier le Soleil, ont pour résidu une naine blanche qui, comme mentionné dans le texte, est à la fois beaucoup plus volumineuse et moins massive qu’une étoile à neutrons. Toutes les étoiles en activité résultent de l’équilibre entre la pression générée par la fusion nucléaire en leur cœur et la gravité qui tend à les faire s’effondrer sous leur propre poids. Une étoile « meurt » lorsque son combustible nucléaire est épuisé et que les réactions nucléaires s’arrêtent, menant à l’effondrement du cœur tandis qu’une grande partie de l’enveloppe de l’étoile est éjectée dans l’espace dans un dernier souffle. Dans le cas des étoiles massives, ce dernier souffle est particulièrement impressionnant : il s’agit d’une supernova dont la luminosité peut excéder la luminosité combinée de toutes les autres étoiles de sa galaxie hôte. Dans le cas d’une étoile de moins de 8 masses solaires, le résidu fait moins que la masse limite, dite de Chandrasekhar, laquelle vaut 1,4 masse solaire. Avec une telle masse, la pression de dégénérescence des électrons, c’est-à-dire la pression due au fait que deux électrons ne peuvent occuper le même état (la même position et la même vitesse essentiellement), suffit à stopper l’effondrement et l’on obtient une naine blanche. Dans le cas d’étoiles dont le résidu est plus massif, la pression de dégénérescence des électrons ne suffit pas et l’effondrement continue. Sous l’effet de la pression, les électrons se mêlent aux protons pour former des neutrons (ainsi que des neutrinos). Si c’est finalement la pression de dégénérescence des neutrons qui arrête l’effondrement, une étoile à neutrons se forme. Si cela ne suffit pas, alors il semble que rien ne puisse enrayer l’effondrement et un trou noir se forme. Avoir une étoile à neutrons ne signifie cependant pas nécessairement avoir un pulsar. Pour cela, on sait qu’une condition nécessaire est que celle-ci soit dotée d’une magnétosphère capable de produire des champs électriques très intenses, au moins de l’ordre de 1012 volts/mètre, capables d’exciter le plasma piégé dans la magnétosphère à de très hautes énergies ! Cela est possible si l’étoile tourne suffisamment vite sur elle-même, en pratique de 1,5 milliseconde à 8,5 secondes par tour, et si son champ magnétique est particulièrement intense, de plus de 10 000 à 1010 teslas.
Rebaptisé pour l’occasion PSR J1023+0038, l’astre se situe comme son nom l’indique à 10 h et 23 min en ascension droite et à 38 minutes en déclinaison dans le référentiel appelé « J2000 ». Le préfixe « PSR » est simplement l’abréviation de pulsar*. Le pulsar J1023 – les intimes ne s’embarrassent pas souvent de la déclinaison, laquelle est un peu comme le nom de famille de l’objet – n’avait pas été détecté plus tôt pour au moins une bonne raison : il n’était pas là ! Ou du moins, il était trop faible pour être détecté.
Lorsque les astronomes observent dans cette direction entre mai 2000 et décembre 2001 [1], ce qu’ils voient est une source radio continue, et en lumière visible un objet de magnitude 17,5 dont le spectre est très bleu. Surtout, le spectre montre des raies d’émission dédoublées ainsi qu’un scintillement rapide de l’intensité lumineuse, deux éléments caractéristiques des disques d’accrétion spiralant autour des naines blanches dites « variables cataclysmiques ». Jetant un coup d’œil à leurs archives, les astronomes remarquent que le flux radio observé était absent quelques années plus tôt, montrant que cette source varie beaucoup dans le temps. Les astronomes concluent qu’il est urgent d’en apprendre plus, et d’autres observations sont prévues.
Quelques années plus tard, en mars 2004, on assiste à un nouveau développement alors que J1023 est réobservé [3,4] : le spectre bleu, les raies d’émission, le scintillement… tout a disparu. À la place, une simple étoile de type G, comme le Soleil, à cela près que son intensité lumineuse varie mystérieusement avec une période de 4,75 heures.
Nous revoilà en 2007. Compte tenu de tout ce qui avait déjà été observé à l’emplacement de J1023, qu’est-ce qui a fait soudainement dire aux astronomes qu’un pulsar se nichait là ? Pour cela, il faut comprendre ce dont il s’agit exactement. Comme nous l’avons déjà mentionné, un pulsar est une étoile à neutrons, l’objet connu le plus compact qui ne s’effondre pas en trou noir (voir encadré). Dans certains cas au moins, ces objets sont dotés des champs magnétiques les plus extrêmes que nous connaissions, allant de 10 000 teslas à quelques milliards de teslas. Pour comparaison, le champ magnétique terrestre fait moins de 0,0001 tesla et les meilleures expériences en laboratoire ne parviennent à produire que des champs de 1 000 teslas, et encore, pendant une petite fraction de seconde, alors que dans les pulsars le champ est permanent ! Le résultat, c’est que le plasma piégé dans ce que l’on appelle la magnétosphère* du pulsar – la zone où l’influence du champ magnétique domine le plasma qui s’y trouve – produit toutes sortes de rayonnements. Les plus faciles à détecter, et de loin, sont les émissions radio. Surtout, cette émission vue par les radiotélescopes terrestres est pulsée, constituée d’un signal radio bref – un « bip » – répété avec une régularité non pas de métronome, mais d’horloge atomique : dans les meilleurs cas, il est possible de prédire le prochain bip avec une précision de 100 nanosecondes (un dix-millionième de seconde). Cela se comprend très bien si l’on considère que le signal fait partie d’un faisceau étroit produit en continu dans la magnétosphère et que l’étoile tourne sur elle-même, entraînant par là sa magnétosphère et le faisceau avec elle. L’étoile à neutrons se comporte alors comme un phare radio cosmique ! L’observateur, lui, voit passer le faisceau toutes les quelques millisecondes jusqu’à quelques secondes suivant la période de rotation de l’étoile. Pour que chaque impulsion soit aussi brève, il faut nécessairement que la zone d’émission, et donc l’étoile, soit particulièrement petite, ce qui élimine tous les types d’étoiles connus sauf les étoiles à neutrons. En résumé, lorsqu’un radiotélescope détecte un signal bref et périodique, si ce n’est pas la clôture électrique gardant les vaches dans un champ voisin (les radiotélescopes sont très sensibles au moindre signal électromagnétique d’origine humaine), alors il s’agit très certainement d’un pulsar, et c’est ce qui a été observé en 2007 (fig. 1) !
Mesurer le déplacement d’une horloge en écoutant ses tic-tac
Une conséquence particulièrement utile de la régularité d’un pulsar est le fait de pouvoir l’utiliser comme une horloge que l’on aurait posée à cet endroit précis de l’espace et qui nous transmettrait à chaque battement l’heure qu’il est, c’est-à-dire ici le nombre de rotations effectuées depuis que l’observateur a commencé à les compter. Et cela bien sûr sans que personne n’ait eu à faire un trajet de centaines ou de milliers d’années-lumière pour aller l’installer ! La nature fait bien les choses… mais, en fait, à quoi cela sert-il d’avoir des horloges éparpillées dans la Galaxie ? Très simplement, si quoi que ce soit vient perturber l’horloge, le tic-tac si régulier se met à battre la chamade, ou alors à ralentir. C’est exactement ce qui se passe chez J1023 en 2007, et ce d’une façon bien caractéristique que l’on observe à chaque fois qu’un pulsar est dans un système binaire avec une autre étoile. Ici, rien de bien surprenant car, après tout, on avait déjà repéré qu’il y avait là une étoile normale. La signature que l’on observe dans le chronométrage des impulsions du pulsar nous donne aussi plusieurs informations précieuses, dont la période orbitale du pulsar avec son compagnon. En effet, comme les deux objets sont de masses assez similaires, tous deux décrivent des orbites assez amples, contrairement au Soleil, dont on a parfois tendance à penser qu’il est immobile au milieu du Système solaire : cet apparent immobilisme n’est qu’une illusion due à sa masse immensément plus grande que celle des planètes.
Dans le cas de J1023, le pulsar se déplace de centaines de milliers de kilomètres autour du barycentre commun aux deux étoiles, ce qui est suffisant pour retarder l’arrivée du tic d’environ 1 seconde au radiotélescope quand le pulsar s’éloigne de la Terre – une fois l’effet de projection de l’orbite le long de la ligne de visée pris en compte – et avancer le tac de façon similaire lorsque le pulsar se rapproche de la Terre. Cet effet, aussi appelé retard de Rœmer (fig. 2), est le principal effet qui permette de déduire la période orbitale qui n’est autre que… 4,75 heures : la même que la période de la variation de l’intensité lumineuse de l’étoile compagnon détectée en 2004 ! Bon, les astronomes savaient déjà que cette variation était liée à l’orbite de l’étoile compagnon avec ce qu’ils pensaient à l’époque être une naine blanche, car cela est en fait un phénomène relativement commun. Néanmoins, l’astronomie est un peu un travail de détective : l’astronome ne dispose que de quelques indices, qu’il faut croiser, valider et confirmer sans cesse pour déterminer quelle est, au final, l’hypothèse la plus probable. Par ailleurs, les mesures effectuées par la méthode du chronométrage de pulsar sont généralement de loin les plus précises, pour les raisons expliquées plus haut, même si elles sont incapables dans le cas présent de donner à elles seules toutes les informations sur l’orbite [1].
L’aspect du système binaire*
Le lecteur attentif aura peut-être noté qu’à aucun moment, je n’ai parlé d’image du système J1023, mais seulement d’intensité, de spectre, de signal ou encore de bip, de tic et de tac. Il est en fait impossible de simplement prendre une photographie où l’on verrait d’un côté le pulsar, et de l’autre le compagnon. D’abord parce que le pulsar, comme la plupart de ses congénères, n’apparaît pas en lumière visible, ensuite parce que la distance entre les deux étoiles est de seulement 4 secondes-lumière (environ 1 million de kilomètres), mais se situe à environ 4 300 années-lumière (environ 10 000 milliards de kilomètres). Discerner les deux objets reviendrait à pouvoir discerner les rovers lunaires laissés par les missions Apollo sur la Lune, ce qui est impossible même avec les meilleurs instruments. En revanche, nous voyons très bien les variations d’intensité, et cela peut nous apprendre beaucoup à condition d’avoir un peu d’imagination.
Supposons que nous puissions nous approcher à dix ou vingt millions de kilomètres sans être instantanément irradiés et bouillis par les rayonnements des deux étoiles, que verrions-nous ? L’étoile compagnon nous apparaîtrait comme happée vers un astre invisible, complètement étirée dans la direction du rayon de son orbite, la face intérieure comme aspirée dans un entonnoir. Ce que nous verrions est l’effet de marée gravitationnelle : la face intérieure du compagnon est plus proche du pulsar et donc plus attirée par ce dernier que la face extérieure, ce qui résulte en un étirement. Nous connaissons aussi ce phénomène sur Terre, quand la Lune attire plus les océans du côté de la Terre qui lui fait face que du côté opposé, provoquant un déplacement des masses d’eau. La Terre entière et la Lune se déforment aussi mutuellement, mais de façon imperceptible à l’échelle humaine. À l’échelle du compagnon, la combinaison des attractions gravitationnelles des deux étoiles et de la force centrifuge due à la grande vitesse orbitale crée ce que les astronomes appellent le lobe de Roche du compagnon : un volume en forme de goutte d’eau, pointant vers le pulsar, à l’intérieur duquel la gravité du compagnon domine les deux autres forces. Dans le cas présent, le compagnon remplit pratiquement ce lobe, ce qui lui donne sa forme. Observé de la Terre, cela se voit dans la courbe d’intensité reçue : lorsque nous voyons le « flanc » du compagnon, celui-ci apparaît plus lumineux que lorsque nous le voyons suivant sa section la plus étroite, simplement parce que la surface rayonnant en direction de la Terre varie au cours de l’orbite. On appelle cela la modulation ellipsoïdale, à cause de la forme approximative de l’étoile étirée. Comme l’étoile a deux flancs, la modulation ellipsoïdale de l’intensité présente donc deux maxima par orbite.
Le pulsar, lui, n’est pas visible, même à cette distance : il est minuscule en comparaison de son compagnon, qui fait plusieurs centaines de milliers de kilomètres, et le voir reviendrait à être capable de discerner un stade de football à la surface de la Lune. De toute façon, la très faible quantité de lumière visible qu’il émet serait engloutie dans le déluge provenant du compagnon, rendant le contraste difficile à percevoir. Tournons un peu autour, la face externe du compagnon est plus arrondie que la face interne, et surtout elle est beaucoup moins lumineuse, c’est littéralement la nuit et le jour. En effet, le compagnon montre toujours la même face au pulsar, il tourne sur lui-même à la même vitesse qu’il parcourt son orbite, comme la Lune autour de la Terre. Ce faisant, il absorbe une partie des radiations et des particules émises par le pulsar, ce que l’on appelle le vent. Bien que n’émettant pas en lumière visible, le pulsar rayonne en effet une remarquable quantité d’énergie à chaque instant, jusqu’à l’équivalent de 100 Soleils dans le cas de J1023 ! Même en absorbant seulement 10 % de cette énergie, la face jour du compagnon est surchauffée et brille d’autant plus fort. C’est là l’origine de la modulation jour-nuit, la plus importante modulation de l’intensité reçue par les télescopes observant J1023 : lorsque la face jour du compagnon fait face à la Terre, l’intensité est au maximum, alors qu’une demi-période plus tard, nous voyons la face nuit et l’intensité baisse à son minimum (fig. 3).
Les veuves noires à dos rouge
Par ailleurs, l’endroit n’est pas très propre, il y a du gaz qui traîne un peu partout. Le coupable semble tout désigné, car le gaz se trouve essentiellement autour du compagnon. On ne le voit pas directement en lumière visible, le gaz est trop ténu pour cela. En revanche, il est capable de bloquer le faisceau d’ondes radio émis par le pulsar, provoquant ainsi des éclipses radio à chaque fois que le compagnon passe entre le pulsar et la Terre, bien que le compagnon lui-même ne soit pas sur le chemin du faisceau. Mais ce serait aller un peu vite que de juger le compagnon comme étant l’unique responsable de ce bazar. Le pauvre est en fait plutôt la victime de la violence du vent du pulsar et des terribles forces de marée qui s’exercent sur lui. Résultat, le compagnon s’évapore petit à petit, perdant peut-être jusqu’à un cent-milliardième de sa masse par an, presque rien, mais quand même environ 1019 kg, soit la masse d’un planétoïde de quelques centaines de kilomètres tous les ans.
Dans cet état, J1023 est un représentant d’une classe de pulsars que l’on appelle les « araignées ». Ce surnom n’est pas vraiment lié à la capacité du pulsar à tisser une toile ni à son nombre de pattes, mais plutôt à sa tendance à dévorer, ou plutôt à évaporer, son compagnon. Plus précisément, les astronomes ont classé J1023 dans l’espèce des veuves noires à dos rouge (fig. 4). Cette espèce d’araignée originaire d’Australie a en effet la particularité que la femelle, beaucoup plus grosse que le mâle, dévore occasionnellement son compagnon après la copulation. C’est bien ce que l’on retrouve chez J1023 et les autres systèmes similaires : madame pulsar est jusqu’à plus de dix fois plus massive que son compagnon, bien que beaucoup plus petite, due à sa haute densité. En revanche il n’est pas clair que l’évaporation aille toujours jusqu’au bout et il se pourrait que le compagnon survive au moins dans certains cas. Déterminer le taux d’évaporation par l’observation est en effet particulièrement ardu, mais prévoir comment ce taux va évoluer dans le temps l’est tout autant et ce point est un sujet d’intenses débats dans la communauté scientifique. Il ne s’agit pas seulement pour les scientifiques de savoir à quelle sauce le compagnon va être mangé par son étoile à neutrons, mais aussi de lever le voile sur l’existence des pulsars milliseconde isolés (voir encadré).
Des étoiles géantes rouges font du recyclage
Les pulsars milliseconde sont les pulsars les plus rapides connus. Comme leur nom l’indique, leur période de rotation sur eux-mêmes est de l’ordre de quelques millisecondes. Il se trouve que J1023 est un pulsar milliseconde, avec une période d’environ 1,7 milliseconde. Sans entrer dans les détails, on ne voit pas comment un pulsar peut être formé avec une rotation aussi rapide (voir encadré). La plupart des pulsars « jeunes », dont l’âge est estimé de quelques dizaines à quelques centaines de milliers d’années, ne tournent d’ailleurs pas plus vite que quelques centièmes de seconde par tour, et le plus souvent en 0,1 ou 1 seconde par tour. L’estimation de l’âge des pulsars milliseconde est quant à elle beaucoup plus grande, se chiffrant potentiellement en milliards d’années. Se pourrait-il alors que les pulsars accélèrent avec le temps ? Pas vraiment, c’est même plutôt le contraire : la mesure fine des temps d’arrivée des impulsions radio, la technique dite du chronométrage, indique en effet que les pulsars ralentissent tous. C’est d’ailleurs ce à quoi l’on s’attend à partir de simples arguments d’ingénierie électromagnétique : imaginez, un pulsar n’est en première approche qu’un gros aimant en rotation sur lui-même. C’est-à-dire ce que l’on trouve dans n’importe quel moteur ou dynamo électrique. Sa rotation sur lui-même produit de l’énergie électromagnétique, énergie qui provient de la rotation. On en arrive à la très générale loi de Lenz de l’électromagnétisme, qui prédit que tout effet du champ électromagnétique s’oppose à sa cause.
Ainsi, à force de ralentir, les pulsars en arrivent à ne plus être capables de produire de rayonnements observables et deviennent de simples étoiles à neutrons invisibles à nos télescopes. Cela se produit assez vite, tant et si bien qu’il est très improbable d’observer des pulsars de plus d’un milliard d’années, rendant l’existence des pulsars milliseconde encore plus mystérieuse.
Alors, comment les pulsars milliseconde se forment-ils ? Ils ont besoin que quelque chose d’extérieur vienne les accélérer, par exemple un compagnon ! Lorsqu’une étoile massive explose en supernova et forme un pulsar, son éventuelle compagne* reste en orbite avec le pulsar nouvellement né. Si cette étoile est petite ou moyenne, comme le Soleil, elle pourra vivre pendant des milliards d’années avant de s’éteindre à son tour, laissant au pulsar le temps de ralentir jusqu’à l’extinction. Vers la fin de sa vie, une étoile analogue au Soleil gonfle dans de très grandes proportions en formant une géante rouge et son rayon peut être aisément multiplié par cent. Dans le cas du Soleil, par exemple, on pense que la Terre sera très proche, voire à l’intérieur de la surface de l’étoile, ce qui sent un peu le roussi pour la planète.
Mais, si au lieu de la Terre, est présente une étoile à neutrons, l’histoire est bien différente : c’est la géante rouge qui risque d’avoir quelques ennuis ! Le gaz de la géante, attiré et étiré par les forces gravitationnelles de l’étoile à neutrons, sort de la zone d’attraction du compagnon, son lobe de Roche, et se met à spiraler autour de celle-ci, formant ce que l’on appelle un disque d’accrétion. Sous l’effet de la friction au sein du gaz, celui-ci ralentit et perd de l’altitude jusqu’à s’écraser, un peu comme les satellites de basse altitude s’écrasent sur Terre à cause de la friction de l’atmosphère lorsqu’ils n’ont plus de carburant pour les rehausser régulièrement. Il résulte qu’une énorme quantité de matière, de l’ordre de plusieurs dixièmes de la masse du Soleil, s’écrase à très grande vitesse sur l’étoile à neutrons, non pas verticalement, mais plutôt tangentiellement à la surface, un peu comme de l’eau entraînant une roue à aubes. Si lorsqu’un satellite s’écrase sur Terre, cette dernière n’en est pas plus affectée qu’un gros éléphant par une piqûre de petit moustique, ce déluge de gaz est en principe suffisant pour accélérer la rotation de l’étoile à neutrons d’une période de plusieurs secondes jusqu’à une poignée de millisecondes une fois l’accrétion terminée. Reste à savoir si une fois ce traitement de choc subi l’étoile conserve sa capacité à être un pulsar. En effet, l’évolution de son champ magnétique pose notamment question, et sans champ magnétique, point de magnétosphère et point de rayonnement.
Ce scénario, qui pourrait expliquer l’existence des pulsars milliseconde comme J1023, a été imaginé très tôt après la découverte du premier pulsar milliseconde en 1982 [5,6], et a depuis été surnommé le mécanisme de recyclage des pulsars, car ceux-ci échappent à la mort par ralentissement grâce à la réaccélération (fig. 5). Il restait à prouver que ce scénario reflétait la réalité. En principe, ce recyclage devrait durer relativement longtemps, car une étoile comme le Soleil demeure dans la phase géante rouge pendant des centaines de millions d’années, nous donnant ainsi une chance de l’observer. Quelles seraient les signatures observationnelles ? En théorie, on devrait essentiellement voir le disque d’accrétion : la matière dans le disque est particulièrement échauffée par la friction, au point que le disque peut devenir nettement plus brillant que l’étoile compagne qui l’alimente. Ces disques deviennent tellement chauds qu’ils rayonnent surtout en rayons X dont l’observation nécessite des télescopes spatiaux, car l’atmosphère ne laisse pas passer ces rayons (heureusement pour la vie). Ils devraient donc être assez difficiles à détecter. En lumière visible, on devrait cependant voir un spectre inhabituellement intense dans le bleu ; cela ne vous rappelle rien ?
De fait, il existe bien des objets qui rayonnent fortement en rayons X. Les étoiles normales ne rayonnent pas beaucoup de rayons X, elles ne sont pas assez chaudes pour cela, mais un disque d’accrétion autour d’un objet compact le peut. Il existe une catégorie de sources X où l’on peut détecter de petites étoiles, quelques dixièmes de masse solaire, avec le même genre de modulation que montre le compagnon* de J1023. Par l’étude de ces modulations orbitales, on peut en déduire approximativement la masse de l’objet accréteur : entre une et deux masses solaires habituellement. On appelle ces objets « binaires X de faible masse », car l’étoile compagnon est moins massive que l’objet accréteur (Low Mass X-ray Binary en anglais). Ces binaires ressemblent étrangement à notre système favori, si ce n’est pour le disque d’accrétion et le fait qu’aucun pulsar n’est en vue. On sait cependant qu’il y a un objet compact, invisible, entre une et deux masses solaires, et cela ne laisse, en l’état des connaissances actuelles, que deux possibilités : une étoile à neutrons ou un trou noir. Il est difficile, parfois impossible, de déterminer avec certitude la nature de l’astre accréteur, mais on sait qu’au moins dans certains cas, il s’agit d’une étoile à neutrons par les traces typiques que celles-ci laissent dans les observations.
Observer le rallumage d’un pulsar naguère éteint
A-t-on trouvé les astres qui se transformeront un jour en pulsar milliseconde, ce que l’on appelle leurs progéniteurs ? Presque. Il n’est pas évident que, lorsque toute la matière du disque d’accrétion aura été accrétée sur l’étoile, celle-ci sera encore en mesure de rayonner comme un pulsar. Le champ magnétique pourrait avoir été dissipé ou enterré par la matière s’accumulant sur l’étoile, empêchant la formation de la magnétosphère sans laquelle un pulsar n’est qu’une simple étoile à neutrons inerte et le plus souvent invisible. En même temps, vérifier que les binaires X de faible masse se transforment bien en pulsar milliseconde supposerait de voir la transition, phénomène a priori très court à l’échelle de la vie de l’étoile, et donc très rare, ce qui rend les chances de l’observer quasi nulles.
Est-ce vraiment le cas ? Rappelez-vous, avant d’être détecté comme un pulsar milliseconde, J1023 était considéré comme une naine blanche avec un disque d’accrétion et une étoile compagnon, système de la famille des variables cataclysmiques. Cette famille de systèmes ressemble en fait beaucoup aux binaires X, à la différence que l’objet central est moins compact, rendant le disque d’accrétion moins chaud et moins lumineux. Il est par conséquent possible de confondre une binaire X peu lumineuse avec une variable cataclysmique plutôt intense. Et si, quelque part entre 2001 et 2007, c’est-à-dire entre la date de la dernière observation du disque d’accrétion et la découverte du pulsar, l’on avait en fait observé la transition entre la phase de recyclage et la résurrection du pulsar, plus rapide que jamais ? Cela se serait déroulé en l’espace de quelques années au maximum, c’est-à-dire rien en comparaison de l’âge du système, ou même des quelques centaines de millions d’années qu’une étoile comme le Soleil passe dans la phase géante rouge. Nous aurions donc eu une chance absolument extraordinaire ! Cependant, il est possible que la transition soit beaucoup plus longue, constituée d’un grand nombre de transitions dans les deux sens : de binaire X de faible masse en pulsar milliseconde, et de pulsar milliseconde en binaire X de faible masse. Les astronomes se sont donc armés de patience et ont commencé à surveiller régulièrement J1023, guettant le moindre signe de nouvelle transition.
C’est en juin 2013, entre deux observations effectuées à seulement deux semaines d’intervalle, que cela s’est produit : les pulsations radio ont disparu, le spectre visible très bleu et le scintillement sont revenus, le pulsar J1023 s’est de nouveau assoupi, le disque d’accrétion est revenu. Au moment d’écrire ces lignes, nous attendons impatiemment son réveil, certain que le chronométrage des pulsations radio nous dira comment l’orbite a changé au cours de la phase d’accrétion, de combien la rotation du pulsar a été accélérée. D’ici là, l’étude des modulations jour-nuit et ellipsoïdale nous en apprendra un peu plus sur les conditions extrêmes auxquelles le compagnon est soumis, et peut-être nous permettra de comprendre si oui ou non l’araignée engloutira un jour son compagnon jusqu’à la dernière bouchée.
Binaire ou Système binaire. Un système de deux étoiles orbitant l’une autour de l’autre.
Compagnon / étoile compagne. Dans une binaire, l’étoile la moins massive. Dans le cas des binaires considérées dans cet article, l’étoile compagne est toujours une étoile normale, alors que l’étoile la plus massive est une étoile à neutrons.
Étoile à neutrons. Résidu de certaines étoiles massives (plus de 8 fois la masse du Soleil) après leur explosion en supernova. Sous l’effet de la gravité, la masse de l’étoile (environ 1,5 masse solaire) est écrasée en un astre d’environ 20 km de diamètre. À une telle densité, les noyaux d’atomes subissent des réactions nucléaires transformant une grande partie d’entre eux en neutrons, d’où le nom de l’étoile.
Étoile normale. On entend ici une étoile qui, comme le Soleil, est une boule de plasma d’hydrogène et d’hélium dont l’énergie rayonnée provient des réactions de fusion nucléaire en son cœur.
Magnétosphère. La magnétosphère est la zone autour d’un astre où son champ magnétique domine sur les champs provenant de l’extérieur et détermine le comportement du plasma qui s’y trouve. Ainsi, de nombreux corps possèdent une magnétosphère, dont la Terre, le Soleil, ou encore Jupiter et son satellite Io. Les corps qui n’ont pas de champ magnétique, comme la Lune ou Mercure, n’ont donc pas de magnétosphère. Dans le cas des pulsars, le champ magnétique est immense, typiquement jusqu’à 109 teslas (10 000 milliards de fois le champ terrestre), ce qui leur donne des propriétés très particulières.
Pulsar. Un pulsar est une étoile à neutrons qui génère un signal sous forme d’impulsions (des « flashs » lumineux) se produisant selon la période de rotation de l’étoile. Généralement détectés en ondes radios, les pulsars peuvent aussi émettre à toutes les autres longueurs d’onde, mais seulement de façon exceptionnelle en lumière visible. On pense que la lumière n’est le plus souvent pas produite par l’étoile à neutrons elle-même, mais par le plasma piégé dans sa magnétosphère (voir ci-dessus). La magnétosphère tourne avec l’étoile et l’observateur voit une impulsion lorsque le faisceau pointe dans sa direction, expliquant la périodicité du signal. va ici
Notes
[1] Lorsque deux étoiles orbitent l’une autour de l’autre, chacune tourne autour du centre de gravité commun avec une même période, de sorte qu’elles se font toujours face. Le rapport entre les distances au centre de gravité des deux étoiles est déterminé par l’inverse du rapport de leurs masses. Ainsi, connaître l’orbite d’une seule des deux étoiles revient à connaître l’orbite de sa compagne également.
Références :
[1] Thorstensen et Armsrong, 2005
[2] Woudt, Warner et Pretorius, 2004
[4] Bond et al., 2002
[5] Backer et al., Nature, 1982
[6] Alpar et al., Nature, 1982
[7] Chen et al., The Astrophysical Journal, 2013